Le Nouveau Pourceaugnac (Eugène SCRIBE - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 18 février 1817.

 

Personnages

 

M. DE VERSEUIL, colonel de hussards

NINA, sa fille

THÉODORE, lieutenant de hussards, amant de Nina

JULES, sous-lieutenant de hussards

LÉON, sous-lieutenant de hussards

ERNEST DE ROUFIGNAC, jeune officier de cavalerie, prétendu de Nina

M. FUTET, percepteur des contributions

MADAME FUTET, sa femme

TIENNETTE, filleule de Nina

DROLICHON, commis de Futet

OFFICIERS DE HUSSARDS

JEUNES GENS DE PARIS

 

La scène se passe dans une petite ville voisine de Paris, dans laquelle est caserne le régiment de M. de Verseuil.

 

 

Scène première

 

THÉODORE, LÉON, JULES, et plusieurs OFFICIERS DE HUSSARDS, assis autour d’une table, et figurant un conseil de guerre

 

TOUS, parlant à la fois.

Moi, messieurs, je pense, et mon avis est que d’abord...

JULES.

Eh, messieurs ! un peu de silence ; on ne peut juger sans entendre, et si vous parlez tous ensemble...

THÉODORE.

C’est à moi de vous expliquer...

JULES.

Non, les amoureux sont trop bavards.

Se levant.

Voici le fait :

Air du vaudeville de la Robe et les Bottes.

Théodore aime sa cousine,
Qui tout bas brûle aussi pour lui ;
Mais pour un autre on la destine,
Et cet autre arrive aujourd’hui.
Sur son hymen il vient, en homme sage,
Pour implorer vos secours, vos avis,
Persuadé qu’en fait de mariage
On doit toujours compter sur ses amis.

J’ai dit.

LÉON.

Air : Adieu, je vous fuis, bois charmant.

Eh bien, messieurs, qu’en pensez-vous ?
Permettrons-nous qu’à nos yeux même
Un autre soit l’heureux époux
De la jeune beauté qu’il aime ?

JULES.

Nous seuls, puisqu’on veut la ravir,
Serons ses protecteurs suprêmes...
Et plutôt que de le souffrir,
Nous l’épouserions tous nous-mêmes !

THÉODORE.

Mes amis, mes généreux amis, c’en est trop.

JULES.

Non, voilà comme nous sommes. Mais nous aurions bien du malheur si, entre nous, nous ne trouvions pas quelque moyen de renvoyer le futur dans sa province.

THÉODORE.

Pensez-y donc, messieurs ; un prétendu de Limoges, et qui se nomme monsieur de Roufignac.

TOUS.

De Roufignac !

JULES.

De Roufignac ! Voilà qui rime terriblement bien à Pourceaugnac. Et quel homme est-ce ?

THÉODORE.

C’est ce qu’on ne sait pas précisément. Mais songez, de grâce, qu’il arrive aujourd’hui, et qu’il n’y a pas de temps à perdre.

JULES.

Voyons donc quelque moyen bien extravagant. Si nous... non, cela ne vaut rien.

THÉODORE.

Nous pourrions... oh ! ce serait trop fort.

LÉON.

Je le tiens... Nous n’avons qu’à... non, cela pourrait compromettre...

JULES.

Allons, voilà de beaux moyens ! Eh, messieurs ! au lieu de nous creuser la tête à chercher des inventions nouvelles, des farces ingénieuses pour éconduire un prétendu, n’avons-nous pas sous la main ce qu’il nous faut ? Nous avons tous assisté ce soir à la représentation de monsieur de Pourceaugnac ; voilà nos moyens tout trouvés : les farces de Molière en valent bien d’autres.

THÉODORE.

Laissez donc, c’est trop usé.

JULES.

Bah ! avec des changements et des additions, voilà comme on fait du neuf ; c’est la mode d’ailleurs, et l’on a trouvé plus commode de refaire Molière que de l’imiter.

Air : Un homme pour faire un tableau.

Des Cottins, qu’il peignit si bien,
Nous voyons la race renaître ;
Mais d’un crayon tel que le sien
Nul encor ne s’est rendu maître.
Des hypocrites et des sots
On craindrait moins le caractère,
Si tous nos Tartufes nouveaux
Faisaient naître un nouveau Molière.

THÉODORE.

Ma foi ! faute de mieux, tenons-nous-en donc à Molière. Va pour monsieur de Pourceaugnac.

TOUS.

Va pour monsieur de Pourceaugnac.

JULES.

Adopté à la majorité. Aujourd’hui l’arrivée du futur, demain son départ, et nous marions Théodore le mardi gras.

THÉODORE.

Comme tu y vas !

Air : Il n’est pas temps de vous quitter.

Se marier un mardi gras !
Vit-on jamais rien de semblable ?

JULES.

Eh, mon cher ami! pourquoi pas ?
L’à-propos me semble admirable.
Ce mardi gras qui voit la gaîté fuir
D’un jour d’hymen m’offre l’emblème.
C’est encore un jour de plaisir ;
Mais c’est la veille du carême.

Il ne reste plus qu’à distribuer nos rôles. Si encore nous avions ici notre cher Futet et sa digne épouse ! ce sont eux qui nous seconderaient merveilleusement. Mais ce cher percepteur des contributions est à Paris depuis ce matin. Quel dommage ! lui qui passe sa vie à faire des tours, des malices : quelle fête pour lui ! Il sait pourtant la situation où nous nous trouvons : il avait promis de nous seconder. Eh ! qu’entends-je ? le voici !

 

 

Scène II

 

THÉODORE, LÉON, JULES, et plusieurs OFFICIERS DE HUSSARDS, FUTET

 

FUTET.

Air : Lorsque le Champagne.

Pour fuir l’humeur noire,
Jouer chaque jour
Un tour ;
Chanter, rire et boire,
C’est là le fait
De Futet.
Nul sot ne m’échappe ;
Sur chacun je drape ;
Tous les jours j’attrape
Nouvel original.
Enfin sur la terre,
Par mon savoir-faire,
Mon année entière
Est un vrai carnaval.

TOUS.

Pour fuir l’humeur noire, Itc.

THÉODORE.

Nous vous accusions déjà, mon cher Futet.

FUTET.

Ingrat ! je m’occupais de vous : je n’ai fait que rêver à votre aventure toute la nuit. Vous m’intéressez d’une manière toute particulière ; ce n’est pas à cause des excellents dîners où vous m’invitez : je paie toujours mon écot... en gaîté. Mais vous aimez tant votre cousine ; elle est si gentille, votre charmante Nina ! c’est un petit démon, en vérité. Je me suis dit : Futet, tu te dois tout entier à ce couple intéressant. Ce matin, je me lève à six heures, je m’arrache des bras de madame Futet, je selle Coco, et me voilà à Paris au bureau des diligences ; deux ou trois entraient dans la cour. Quel spectacle qu’une descente de diligence !

Air : Pégase est un cheval.

Un monsieur, que je juge artiste,
Demandait le grand Opéra ;
Tandis qu’une jeune modiste
Demande le Panorama ;
« Corcelet, » crie un gastronome ;
Plus loin, d’un air sentimental,
Je remarque un petit jeune homme
Demandant le Palais-Royal.

Je me retourne, et j’aperçois la diligence de Limoges ; je m’informe adroitement du conducteur si monsieur de Roufignac est parmi les voyageurs. Réponse affirmative. Je vois descendre de la diligence bon nombre d’originaux, des têtes toutes particulières, comme nous les aimons, nous autres farceurs. Nous voilà donc assurés que notre victime est arrivée, qu’elle est digne de nos coups !

Air : Suzon sortait de son village.

Quand j’ai remarqué leur figure,
Je tourne bride vivement ;
Et de Coco pressant l’allure,
J’arrive ici dans un instant,
Pour concerter,
Pour arrêter
Tous les bons tours qu’il faut exécuter.
Le carnaval
Sera fatal,
Je le parie, à cet original.
Condamnons, par maintes esclandres,
Notre victime au célibat,
Et nous brûlerons le contrat
Le mercredi des cendres.

TOUS.

C’est convenu.

FUTET.

Madame Futet nous secondera. C’est une commère... Suffit, je n’en dis rien ; c’est mon épouse, et vous la jugerez dans le danger.

JULES.

Nous allons t’expliquer...

FUTET.

Songez, pour moi, que je veux, que j’ai droit à un bon rôle. Ah ! je vous recommande mon commis à cheval, Drolichon, qui n’est pas une bête.

JULES.

Tu seras content... Il s’agit donc...

 

 

Scène III

 

THÉODORE, LÉON, JULES, et plusieurs OFFICIERS DE HUSSARDS, FUTET, TIENNETTE

 

TIENNETTE.

Chut ! Eh vite, retirez-vous !

JULES.

C’est Tiennette qui est notre sentinelle avancée.

FUTET.

Tant mieux. Joli talent. Elle peut nous seconder dans les ingénues, en l’instruisant un peu.

TIENNETTE.

Oh ! j’ai de la bonne volonté. Mais il faut vous retirer. Monsieur le colonel est levé ; il va sortir : il est d’une humeur !...

JULES.

Il n’est pas abordable depuis quelques jours.

THÉODORE.

Il attend à chaque instant le général, qui doit venir passer en revue notre régiment.

TIENNETTE.

Allons, voyons, allez-vous-en, car, d’un moment à l’autre, M. de Verseuil...

JULES.

Ah çà, Tiennette, avancez à l’ordre. Nous attendons plusieurs jeunes gens de l’endroit, et même de Paris, qui doivent nous servir dans nos projets.

TIENNETTE.

Oui, dans vos projets de comédie... Je sais...

LÉON.

Comment ! tu sais ?

TIENNETTE.

Oui, j’étais là, en sentinelle, et j’écoutais. Oh ! soyez tranquille, j’ai tout entendu.

JULES.

Futet a raison ; elle a des dispositions.

THÉODORE.

Si donc ces jeunes gens arrivent, tu sais ce dont nous sommes convenus.

TIENNETTE.

C’est tout simple. Oh, mon dieu ! vous pouvez vous en rapporter à moi. Je les fais passer tous dans le jardin, jusqu’à ce que le colonel soit parti ; et s’il les rencontre, ce sont des messieurs qui viennent pour notre bal masqué ; c’est entendu.

FUTET.

Voyez-vous la petite gaillarde ! Embrasse-moi, mon enfant. Tu aurais été digne d’être mademoiselle Futet. Allons, messieurs, ne perdons point de temps.

Air du Pantalon.

Que chacun fasse
À l’instant
Le serment
De promener,
De berner,
Sans faire grâce,
Le prétendu
Éperdu,
Confondu,
Et de rendre ses calculs
Nuls !

JULES.

Si, venant de son pays,
À Paris,
Ce beau-fils
Prend chez nos demoiselles
Les plus sages, les plus belles ;
Par ce choix incivil
Que nous restera-t-il ?

TOUS.

Que chacun fasse
À l’instant
Le serment, etc.

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

TIENNETTE, seule

 

Me voilà de la confidence ; c’est gentil d’être dans une confidence ! et surtout pour servir mademoiselle Nina, ma marraine, qui est si bonne ! Que mon papa dise maintenant que je suis une bête !

Air : C’est ma mie, j’la venu.

Tout bas quand on cause,
J’entends toujours bien ;
Je sais mainte chose
Dont je ne dis rien ;
Et pourtant papa
Dit que je suis bête,
Est-ce ma faute, da !
S’il m’a faite
Comm’ ça ?

J’ sais que l’ voisin Pierre
Gronde tant qu’il peut,
Et finit par faire
C’ que sa femme veut.
Et pourtant papa, etc.

Je vois d’ordinaire
Maint et maint chaland
Qui vient voir mon père
Pour saluer maman.
Et pourtant papa, etc.

Je voudrais bien le voir ce monsieur de Roufignac... Roufignac ! il me semble que quelqu’un qui a un nom comme celui-là doit avoir une figure bien drôle.

 

 

Scène V

 

TIENNETTE, ERNEST DE ROUFIGNAC, en négligé d’officier de cavalerie[1]

 

ERNEST.

Quel singulier pays ! Comment, personne pour me recevoir ? Ils ne sont pas curieux du tout. Si un prétendu arrivait à Limoges, toute la famille serait depuis le matin sur la grande route.

TIENNETTE.

Ah, mon dieu ! voilà déjà quelqu’un !

ERNEST.

Ma belle enfant...

TIENNETTE.

Chut !

ERNEST.

Qu’est-ce que c’est donc ?

TIENNETTE.

Chut ! vous dis-je. Vous venez de Paris ?

ERNEST.

À l’instant même.

TIENNETTE.

Ces messieurs et mademoiselle Nina vous attendent ; mais il ne faut pas paraître tout de suite.

ERNEST.

Eh ! pourquoi donc ?

TIENNETTE.

Le colonel n’est pas encore sorti, et je guette son départ et l’arrivée du prétendu.

ERNEST.

Du prétendu !

TIENNETTE.

Oui. Vous entendez bien qu’il ne faut pas qu’il sache...

ERNEST.

Parbleu ! cela va sans dire.

TIENNETTE.

Parce que s’il se doutait seulement des tours qu’on veut lui jouer, ce ne serait plus cela.

ERNEST.

C’est juste. Mais, dites-moi, le prétendu, c’est ?...

TIENNETTE.

Cet imbécile qui arrive de Limoges.

ERNEST.

Ah ! oui, oui, monsieur de Roufignac.

TIENNETTE.

Justement. Ah bien ! si vous savez déjà...

ERNEST.

Oui, je sais, confusément...

TIENNETTE.

Oh ! nous allons bien nous amuser ! Tous ces messieurs, ces messieurs les officiers sont avertis. C’est M. Futet, le percepteur des contributions, qui mène tout cela. Mademoiselle va se concerter avec eux : elle s’est déjà entendue avec M. Théodore.

ERNEST.

Eh ! quel est ce monsieur Théodore ?

TIENNETTE.

Air : Mon galoubet.

C’est son cousin,
Qu’elle aima dès son premier âge ;
Et si quelqu’autre avait sa main,
Mad’moiselle est fidèle et sage,
Et n’aimerait jamais, je gage,
Que son cousin.

ERNEST.

C’est charmant !

TIENNETTE.

C’est son cousin
Qui toujours a la préférence ;
Et si la noce s’ faisait d’main,
Savez-vous qui lui f’rait d’avance
Danser la premier’ contre-danse ?
C’est son cousin.

ERNEST.

Cette petite fille-là a de l’esprit pour son âge.

TIENNETTE.

N’est-ce pas, monsieur ? Il paraît qu’on vous attendait pour commencer. Mais, dites-moi, qu’est-ce que vous faites donc là-dedans ?

ERNEST.

Ma foi, je te l’avouerai, je ne sais pas trop quel rôle je dois jouer. Tu dis donc que Nina aime Théodore ?

TIENNETTE.

Sans doute, ce qui n’empêche pas qu’ils n’aient quelquefois de grandes disputes, parce que monsieur Jules est aussi fort aimable. Au fait, mademoiselle Nina a raison ; on a des prévenances, des égards, et on l’accuse d’être coquette. Mais tous les hommes sont jaloux, jusqu’à monsieur Futet, qui, quoique marié depuis quatre ans, a fait, il y a six mois, une scène horrible à sa femme, parce qu’on prétendait l’avoir rencontrée en carriole dans les environs de Melun, tête-à-tête avec un jeune homme ; et ça a fait des propos, des histoires... parce que dans une petite ville on est méchant, mauvaise langue et bavard, bavard, bavard, vous n’en avez pas d’idée.

ERNEST.

Si fait, si fait, je commence.

TIENNETTE.

Écoutez, c’est, je crois, le colonel ; je vais le guetter. Courez vite rejoindre ces messieurs, et vous habiller pour la comédie ; vous savez bien, cette comédie qu’ils jouent : monsieur de Pourceau... Pourceau...

ERNEST.

Pourceaugnac.

TIENNETTE.

Gnac, c’est ça.

ERNEST.

Ah ! je vois alors le rôle qu’on me destine. Dites-moi, y a t-il ici un costumier ?

TIENNETTE.

Comment donc, monsieur ! et un qui vient de Paris encore, un élève de Babin, dans la grand’rue à droite, un magasin de masques à côté de l’évêché, tout ce qu’il y a de plus nouveau : des Gilles, des Arlequins, Cendrillon, madame Angot et la Tête de mort. Votre servante, monsieur.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

ERNEST, seul

 

Allons, le sort en est jeté, et je vois que c’est à moi de soutenir l’honneur des habitants de Limoges. Ne perdons point de temps, et de peur d’oublier, prenons mes notes comme au bal de l’Opéra.

Écrivant au crayon sur un carnet qu’il tire de sa poche.

M. Théodore, M. Jules ; tous deux font la cour, et pour un rien seraient rivaux. – Mademoiselle Nina, ma future, tant soit peu coquette. – M. Futet, jaloux. – Madame Futet, vue en carriole dans les environs de Melun, avec un jeune homme ; c’est charmant. On vient !... Eh vite ! au magasin de masques.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

LE COLONEL DE VERSEUIL, NINA

 

LE COLONEL, achevant de donner des ordres.

Qu’on tienne tous les chevaux sellés, et qu’au premier signal le régiment soit prêt à se rendre sur la place d’armes. Nous attendons le général d’un moment à l’autre ; et j’ai prévenu MM. les officiers de ne point quitter la caserne. Une revue ! quel bonheur !

Air : Ça fait toujours plaisir.

Que je trouve de charmes
À voir tous mes guerriers
Rangés et sous les armes,
Lancer leurs fiers coursiers !
Ainsi sous la mitraille
Je les voyais courir...
C’est presque une bataille ;
Ça fait toujours plaisir.

Toi, ma fille, si monsieur de Roufignac arrivait, tu lui diras qu’un déjeuner de cérémonie m’a forcé de m’absenter pour quelques heures ; mais que tu t’es chargée de le recevoir.

NINA.

Mon père, je n’oserai jamais.

LE COLONEL.

Comment, tu n’oseras jamais ? le fils d’un ancien ami ! un jeune homme qui, j’en suis sûr, doit être fort bien !

NINA.

Mais je ne le connais pas.

LE COLONEL.

Qu’est-ce que ça fait ; vous ferez connaissance. Écoute-moi ; j’ai là dessus un système :

Air : Ces postillons sont d’une maladresse.

Oui, sans amour je veux qu’on se marie ;
Ainsi jadis ta mère m’épousa.
Quand l’amour vient à la cérémonie,
Le lendemain bien souvent il s’en va.
Mais quand ce dieu ne parut pas d’avance,
On n’a pas peur qu’il vienne à s’esquiver ;
Même, au contraire, on garde l’espérance
De le voir arriver.

Aussi arriva-t-il ; et tu l’éprouveras aussi.

NINA.

Je suis bien sûre que non.

LE COLONEL.

Allons, tu as des préventions contre lui. Parle franchement ; il est impossible qu’il ait du mérite parce qu’il est de Limoges : voilà comme vous êtes, vous autres gens de Paris.

Air : Le briquet frappe la pierre.

Ton erreur est excusable :
À Paris tous les amans
Sont plus vifs et plus galans ;
Leur ton est plus agréable.
Mais, je le dis entre nous,
En province les époux
Sont plus empressés, plus doux.

NINA.

Oui, j’obéirai, mon père.
Pourtant, malgré vos avis,
Si j’en crois maints beaux esprits,
Chacun prétend, au contraire,
Que c’est toujours à Paris
Qu’on trouve les bons maris.

LE COLONEL.

Chimères que tout cela. Tu sais d’ailleurs que ma parole est engagée, et quand j’ai une fois promis... Allons, rentre.

NINA.

Non, mon père, je veux vous reconduire et vous voir monter à cheval.

LE COLONEL.

Air : Ah ! quel plaisir !

Dépêchons-nous
J’entends l’heure qui m’appelle ;
Dépêchons-nous
On m’attend au rendez-vous.
Près de sa belle
Le futur
Peut attendre, le fait est sûr.

NINA.

Avec moi, mon père, je sens
Qu’il pourrait attendre longtemps.

LE COLONEL.

Dépêchons-nous, etc.

Ils sortent ; Jules, Léon et Théodore entrent de l’autre côté avec précaution.

 

 

Scène VIII

 

JULES, THÉODORE, LÉON

 

THÉODORE.

Vivat ! le voilà enfin parti.

LÉON.

Et nous sommes maîtres du champ de bataille.

On entend du bruit dans le fond.

JULES.

Quel est ce bruit ? Eh ! vois donc quel original !

On entend crier en dehors.

 

 

Scène IX

 

JULES, THÉODORE, LÉON, ERNEST[2], habillé grotesquement et parlant à la cantonade

 

ERNEST.

Eh bien ! quoi ? qu’est-ce ? On dirait qu’il n’ont jamais rien vu. Je vous demande la maison de monsieur de Verseuil, oui, du colonel de Verseuil ; il n’y a pas de quoi me rire au nez.

THÉODORE.

M. de Verseuil ! Serait-ce notre homme ?

JULES.

Ma foi ! voilà bien l’idée que je m’en faisais.

Se tournant et parlant vers le fond.

Oui, messieurs, qu’est-ce que ça signifie d’accueillir ainsi les étrangers ?

ERNEST.

À la bonne heure, voilà un honnête homme !

Allant à la porte du fond, et s’adressant, comme Jules, à ceux du dehors.

Qu’est-ce que ça signifie d’accueillir ainsi les étrangers ?

JULES, même jeu.

Monsieur a-t-il en soi quelque chose de ridicule ?

ERNEST, même jeu.

C’est vrai. Est-ce que j’ai quelque chose en soi de ridicule ?

JULES, même jeu.

Le premier qui se moquera de lui aura affaire à moi.

ERNEST, même jeu.

Le premier qui se moquera de moi aura affaire à lui.

Il revient sur le devant du théâtre, et s’adressant aux officiers.

Avez-vous vu ? parce que je leur dis que je viens de Limoges, il semble que j’aie l’air d’arriver de Pontoise.

TOUS, l’entourant.

Comment ! vous venez de Limoges ?

ERNEST.

Air : Ma bouteille et ma brune.

Oui, vraiment, j’en arrive.
Youp, youp, j’arrive grand train.
La flamme la plus vive
Me guidait en chemin.
J’ dois êtr’ marié demain.

THÉODORE.

Quoi ! vous seriez notre cousin ?
Ah ! pour nous quel heureux destin !

ERNEST.

Eh quoi ! vous êtes mon cousin ?
Ah ! pour moi quel heureux destin !

TOUS.

Embrassons-nous, mon cher cousin !
Bravo ! c’est notre cousin !

ERNEST.

Embrassons-nous, mon cher cousin !
Youp, youp, quel heureux destin !

Mais voyez donc comme ça se rencontre !

THÉODORE.

On n’attend que vous pour la noce.

ERNEST.

Ah ! ah !

JULES.

Il y aura longtemps qu’on n’aura rien vu d’aussi beau.

ERNEST.

Oh ! Oh !

JULES.

Ah ! Ah! oh ! oh ! Le futur n’est pas fort sur les répliques.

ERNEST, riant comme d’inspiration.

Eh ! eh ! eh !

THÉODORE.

Qu’avez-vous donc à rire ?

ERNEST.

C’est une idée qui me vient. Est-ce que vous ne comptez pas me faire quelque drôlerie pour mon mariage ?

THÉODORE.

Nous y avions déjà bien pensé.

ERNEST.

Oh ! mais il faut des farces.

JULES.

Oh ! nous ne sommes pas trop farceurs ici.

ERNEST.

Oh ! Limoges n’est peuplé que de farceurs ; les enfants, même hauts comme ça, sont déjà de petits farceurs.

JULES.

Je suis sûr que monsieur est un des plus malins.

ERNEST.

Ah ! ah ! c’est vrai. Tel que vous me voyez, je ne suis pas bête.

THÉODORE.

Il y a comme ça des physionomies bien trompeuses.

ERNEST.

Mais il faut se faire des niches, des attrapes. Il n’y a pas de plaisir sans cela.

JULES, THÉODORE, LÉON.

Eh bien ! l’on vous en fera, l’on vous en fera.

ERNEST.

Mais, par exemple, il faut avoir l’esprit bien fait, et ne jamais se fâcher. Moi, d’abord, on m’aurait assommé que j’aurais toujours ri.

THÉODORE, à part.

Il y a vraiment conscience de duper ce pauvre diable-là.

ERNEST.

Et même, pour que cela finît plus gaîment, c’étaient ceux qui avaient été pris pour dupes qui payaient un grand souper aux autres.

JULES.

Très bien vu.

THÉODORE.

On a de très bonnes idées à Limoges.

ERNEST.

N’est-ce pas ?

JULES.

Va donc pour le grand repas. Mais tremblez, messieurs : avec un adversaire tel que monsieur de Roufignac, vous m’avez bien l’air d’en être pour vos frais. Moi, d’abord, je parie pour lui.

 

 

Scène X

 

JULES, THÉODORE, LÉON, ERNEST, FUTET

 

FUTET.

Eh bien ! qu’est-ce ? Déjeune-t-on aujourd’hui ?

JULES, bas à Futet.

C’est notre homme.

FUTET.

Oh ! alors, nous allons nous amuser. Laissez-moi faire.

À part, en faisant un geste de surprise.

Ô ciel ! en croirai-je mes yeux ? Quelle heureuse rencontre ! N’est-ce point là monsieur de Roufignac ?

ERNEST.

Comment ! monsieur ?

FUTET.

Se peut-il que vous ne reconnaissiez pas le meilleur ami de toute la famille des Roufignac ?

ERNEST.

Mais, monsieur, pas beaucoup.

THÉODORE.

Il y a cent choses comme cela qui passent de la tête.

FUTET.

Je vous ai vu pas plus haut que cela, et je ne sais combien de fois nous avons joué ensemble. Comment appelez-vous ce café de Limoges qui est si fréquenté ?

ERNEST.

Aux Innocens.

FUTET.

Aux Innocens, c’est cela. Nous y jouions tous les jours au billard. Nous étions là une vingtaine de lurons.

ERNEST, cherchant à se rappeler.

Attendez donc... ah ! oui, oui.

FUTET.

Vous me connaissez, n’est-ce pas ? Embrassons-nous, je vous prie.

Ils s’embrassent.

Bas.

Heim ! est-il d’une bonne pâte !

À Ernest.

Et cet endroit où l’on dansait, comment l’appelez-vous donc ?

ERNEST.

Ah ! la Redoute. Heim ! le beau bal.

FUTET.

Je n’en manquais pas un. C’était une foule. Et vous souvient-il de cette querelle que vous eûtes ?

ERNEST.

Ah ! dam’, on en avait souvent, ne fût-ce que pour retenir ses places.

FUTET.

Oui ; mais je vous parle de cette affaire où vous vous montrâtes si bien, et où vous reçûtes un soufflet.

ERNEST.

Comment ! un soufflet ? Qui est-ce qui vous a donc dit ?...

FUTET.

Enfin vous reçûtes un soufflet, convenez-en. Vous voyez que je suis bien instruit.

Bas.

Est-il bête !

ERNEST.

C’est vrai.

THÉODORE.

Comment ! monsieur, vous avez reçu un soufflet ?

ERNEST.

Sans doute. Ça peut arriver aux personnes les mieux constituées.

À Futet.

Mais d’où savez-vous ?...

FUTET.

Parbleu ! je dois bien le savoir, c’est moi...

ERNEST.

C’est vous ?

FUTET.

Qui vous l’ai donné.

TOUS.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

ERNEST.

Comment ! c’était vous ? Est-ce heureux de se retrouver ainsi. Eh bien ! imaginez-vous que je n’en savais rien, parole d’honneur !

FUTET.

Je crois bien.

ERNEST.

C’était dans la foule que je l’avais reçu ; et je vous remercie de m’avoir instruit.

FUTET.

Il n’y a pas de quoi.

ERNEST, mettant son chapeau, et d’un air patelin.

Si, parce que je suis alors obligé de vous en demander satisfaction ; et comme ces messieurs ont justement là leurs épées...

FUTET.

Comment ! comment ?

ERNEST, à Théodore.

D’autant plus qu’à Limoges nous sommes extrêmement mauvaises têtes.

JULES.

Ah ! ah ! nous allons rire.

FUTET.

Oui, nous allons bien nous amuser : c’est singulier comme je m’amuse !

THÉODORE.

Ah ça ! vous êtes donc un brave, monsieur de Roufignac ?

ERNEST.

Ah, mon dieu ! non ; mais comme j’ai dix ans de salle, et que je suis le premier tireur de Limoges, je suis toujours sûr de tuer mon homme sans qu’il m’arrive rien.

FUTET.

Ah, mon dieu !...

ERNEST.

Air : Ma commère, quand je danse.

J’appris, dès mon plus jeune âge,
À manier le fleuret ;
J’ai le jeu prudent et sage,
Et suis ferme du jarret.
C’est que mon maître en détachait.
Il m’a donné du courage
À trois livres le cachet.

Croyez-vous, sans cela, que j’irais m’exposer à recevoir quelque coup qui me ferait mal ? pas si bête.

FUTET, cherchant à se sauver.

Un moment ; je suis bien votre serviteur.

LES JEUNES GENS, le retenant.

Restez donc.

ERNEST, aux officiers.

Ah, messieurs ! examinez ce coup-là. Je parie, en entrant en tierce, lui percer l’oreille gauche, et me retrouver en quarte.

THÉODORE.

Je parie pour...

FUTET.

Je ne parie pas.

JULES.

Je parie contre.

Bas à Futet.

Allez, allez toujours. La plaisanterie est divine : c’est délicieux !

FUTET.

N’est-ce pas ? n’est-ce pas ? Diable ! comme il y va ! Je voudrais bien vous y voir, vous autres. C’est qu’un butor comme cela est capable de faire quelque sottise.

ERNEST, à Futet.

Allons, en garde. Voulez-vous baisser un peu le collet de votre habit, s’il vous plaît, monsieur ?

FUTET.

Pourquoi donc ? monsieur ?

ERNEST.

C’est pour l’oreille.

FUTET.

Comment ! pour l’oreille ? Non, monsieur, je ne le baisserai pas.

Ernest va à lui, et baisse le collet de son habit.

Eh mais ! dites donc, monsieur, voulez-vous me laisser ? Eh mais ! c’est qu’à la fin... voyez-vous... Eh mais !...

ERNEST.

Vous ne voulez pas le baisser ? eh bien ! je vais percer le collet et l’oreille.

FUTET.

Monsieur, monsieur, réservez votre valeur pour une meilleure occasion.

ERNEST.

Comment ! une meilleure occasion ? Où voulez-vous que je trouve jamais des oreilles comme les vôtres ?

FUTET.

Écoutez : le soufflet était de mon invention ; je vous l’avais donné, je vous l’ôte : votre honneur est intact. Ainsi, rengainez. Mais c’est qu’il le croyait bonnement. Ah ! ah ! est-il bête !

ERNEST.

Comment ! c’était donc pour rire ?

FUTET.

Eh ! sans doute.

ERNEST.

Pour vous moquer de moi ?

FUTET.

Oui, oui.

ERNEST, remettant son chapeau.

Alors je suis obligé de vous en demander satisfaction. Allons, l’épée à la main.

FUTET, aux officiers.

Ah ça, quel enragé ! Mais, est-il bête ! est-il bête ! je vous le demande ?

À Ernest.

Je vous déclare, monsieur, que dans un jour consacré au plaisir, je me fais un devoir de ne point me battre, et je ne me battrai pas un mardi gras ; demain, si le cœur vous en dit.

Bas, à Théodore.

C’est décidé, il faut le renvoyer aujourd’hui, et je m’en charge.

THÉODORE..

Comment ! vous voulez ?...

FUTET.

C’est une affaire qui devient la mienne. Justement, voici ma femme.

ERNEST.

Sa femme !

FUTET.

Soyez à vos rôles. Ça va commencer.

 

 

Scène XI

 

JULES, THÉODORE, LÉON, ERNEST, FUTET, MADAME FUTET

 

MADAME FUTET.

Air : Oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah !

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Qui m’enseignera
L’infidèle
Qu’en vain j’appelle ?
Ah ! ah, ah, ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ce perfide-là,
Qui donc ici me le rendra ?
Ah ! dans le siècle où nous sommes,
À quoi donc sert la vertu ?
Oui, notre sexe est perdu,
Tant qu’existeront les hommes.
Oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Qui m’enseignera
L’infidèle
Qu’en vain j’appelle ?
Oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ce perfide-là,
Qui donc ici me le rendra ?

FUTET.

Heim ! joue-t-elle son rôle !

MADAME FUTET.

Est-il vrai que madame de Verseuil donne sa fille à un monsieur de Roufignac ?

THÉODORE, montrant Ernest.

Le voici lui-même.

MADAME FUTET.

Ah, Dieu ! c’est bien lui ! c’est trop lui ! Soutenez-moi, je vous prie.

ERNEST.

Qu’est-ce qu’elle a donc ?

MADAME FUTET, se relevant.

Ce que j’ai ? perfide ! Tu ne me connais pas ? après la promesse de mariage que tu m’as faite !

Air : Jeunes filles, jeunes garçons.

C’est ta coupable trahison
Qui seule égara ma faiblesse.
Pour toi j’ai perdu ma jeunesse,
Pour toi j’ai perdu la raison ;
J’ai perdu, quelle école !
Le sort qui m’était dû :
J’ai perdu la vertu !...

ERNEST.

Vous n’avez pas perdu
La parole.

THÉODORE.

Comment, monsieur ! oser faire la cour à ma cousine lorsque vous avez déjà...

FUTET, bas à sa femme.

C’est bien, c’est bien.

Haut.

Le fait est que si vous avez déjà...

MADAME FUTET.

Parle, perfide ; oserais-tu le nier ? et mon souvenir est-il banni de ta mémoire, après toutes les bontés que j’ai eues pour toi ?

ERNEST.

En effet. Serait-ce possible ? Eh oui ! je crois reconnaître...

FUTET, à part.

Il reconnaît ma femme ! C’est charmant ! Est-il bête ! est-il bête !

ERNEST.

C’est vrai ; madame a raison. Moi, d’abord, je ne mens jamais. Mais je vous ai si peu vue ! Cette carriole était si obscure ; et puis ça ne s’est pas passé comme vous le dites.

TOUS.

Comment ! comment ?

ERNEST.

J’aime mieux tout vous raconter ;

À Futet.

et c’est vous que je prends pour juge. Il y a environ six mois...

MADAME FUTET.

Monsieur...

ERNEST.

Oui, oui, madame, il y a six mois ; j’allais à Melun.

FUTET.

À Melun !...

ERNEST.

Je me trouvai tête-à-tête, dans une petite carriole, avec une femme charmante, dont je ne pouvais pas distinguer les traits.

FUTET.

Une carriole !

ERNEST.

Je reconnais maintenant que c’est madame.

FUTET.

C’est madame ?

ERNEST.

Je suis trop honnête homme pour ne pas le dire tout haut. Mais je vous demande si c’est ma faute. En carriole le sentiment va si vite.

FUTET, à sa femme.

Morbleu ! madame...

ERNEST.

Mais je n’ai rien promis ; dites-le vous-même.

FUTET.

Eh bien ! avais-je tort d’être jaloux ?

À Ernest.

Monsieur, ça ne se terminera pas ainsi.

ERNEST.

Oh ! moi, je n’ai pas de rancune.

FUTET.

Je vous dis, monsieur, que ça ne peut pas se terminer ainsi ; et nous verrons...

FUTET.

Est-ce qu’il voudrait revenir à notre querelle de tout à l’heure ? Eh bien ! soit. En garde ! Il ne s’agit pas de cela. Apprenez que madame est mariée ; qu’elle a un mari respectable.

ERNEST.

C’est bien agréable pour lui !

MADAME FUTET, à Ernest.

Mais, monsieur...

À son mari.

Mais, mon ami...

FUTET.

Fi, madame !...

JULES, à Ernest.

Cela n’empêche pas, monsieur, que votre conduite ne soit très immorale, très blâmable. Croyez, mon cher Futet, que nous prenons sincèrement part à votre malheur. Mais vous serez vengé : il n’épousera pas mademoiselle Nina. Nous allons répandre partout son aventure.

THÉODORE.

Oui, je vais la raconter à tout le monde ; et voici ma cousine elle-même, à qui nous allons tout apprendre.

 

 

Scène XII

 

JULES, THÉODORE, LÉON, ERNEST, FUTET, MADAME FUTET, NINA

 

THÉODORE.

Venez, ma chère cousine, venez connaître l’époux que votre père vous destinait, et que le hasard vient heureusement de démasquer.

NINA.

Je sais tout ; j’avais vu madame avant vous.

FUTET.

Oui ; mais vous ne savez pas...

NINA, bas à Futet.

C’est très bien ; tout va à merveille.

FUTET.

Mais non, au contraire. Maudit Limousin ! va...

NINA.

J’espère, monsieur, qu’après l’éclat d’une pareille aventure, vous ne songez plus à ma main ?

FUTET.

C’est ça ; renvoyez-moi le provincial.

ERNEST.

Ah ! ah ! qu’est-ce que ça fait ? On a une inclination, et on se marie ; ça n’y fait rien. Vous le savez bien, puisque vous m’épousez.

NINA.

Comment ! monsieur ?...

ERNEST.

Eh, mon dieu ! je sais tout. Vous sentez bien qu’on n’est pas venu de Limoges sans prendre des informations. On assure que vous avez distingué un monsieur Théodore, un fort joli garçon que je ne connais pas : fort aimable, mais d’un caractère facile, et qui ne s’aperçoit pas qu’on l’abuse.

THÉODORE.

Monsieur...

NINA.

Eh ! qui a pu vous dire que je l’aimais ?

ERNEST.

On n’a point dit ça : c’est bien lui qui vous fait la cour ; mais c’est un de ses amis, monsieur Jules, que vous aimez en secret.

THÉODORE, furieux.

Eh bien ! je m’en suis toujours douté.

ERNEST.

Pardi ! c’est connu ; tout le monde vous le dira.

NINA.

Quelle indignité !

JULES, bas à Théodore.

Je te jure, mon ami...

THÉODORE.

C’en est assez, monsieur, et vous ne jouirez pas plus longtemps de votre triomphe.

JULES.

Écoute donc, comme il te plaira.

MADAME FUTET.

Mais, messieurs, de grâce...

FUTET, vivement.

Taisez-vous, madame.

Air : Cœur infidèle (Blaise et Babet.)

THÉODORE, à Nina.

Cœur trop léger !

FUTET, à madame Futet.

Femme volage,
Peux-tu me faire un tel outrage ?

THÉODORE, FUTET.

Cœur volage !
Ne me parle pas davantage.

THÉODORE, à Jules.

À demain.

FUTET, à sa femme.

Il n’est point d’excuse.

JULES, à Théodore.

À demain, soit ; je vous attends.

FUTET, à part.

Ce Limousin dont je m’amuse,
S’amuserait à mes dépens !

Ensemble.

FUTET, THÉODORE.

Cœur infidèle, etc.

TOUS LES OFFICIERS.

Dans le fond du cœur je partage
Un tel affront, un tel outrage.

MADAME FUTET, NINA.

Je n’entends rien à leur langage.
Cessons un pareil badinage,
Monsieur, après un tel outrage,
Ne me parlez pas davantage.

 

 

Scène XIII

 

NINA, ERNEST

 

NINA.

C’est pourtant ce maudit prétendu qui est cause de tout cela. Oh ! je m’en vengerai ; et je vais le traiter de manière qu’il ne lui restera pas d’envie de m’épouser.

ERNEST.

Ma future est vraiment fort jolie ! et a l’air de m’aimer beaucoup.

NINA.

Eh bien, monsieur ! vous êtes content. Voilà tout le monde brouillé, et cela, grâce à vous.

ERNEST.

Ah dam’ ! ils ont l’air fâché ; mais pourquoi cela ? moi, je n’en sais rien.

NINA.

Comment ! vous n’en savez rien, quand vous allez justement leur dire ?...

À part.

Au fait, il a si peu d’intelligence, qu’il ne se doute pas même...

Haut.

Dites-moi, monsieur de Roufignac, croyez-vous qu’un sot puisse épouser une demoiselle malgré elle ?

ERNEST.

Ah ! ah ! voyez-vous ?

NINA.

Répondez-moi donc ?

ERNEST.

Pardon, mademoiselle, c’est que je ne sais pas ce que vous me demandez.

NINA.

Écoutez :

Le faisant reculer.

je suis bonne, je suis naturellement douce ; mais savez-vous que l’amour peut changer le caractère ?

ERNEST.

Oui, je le sais : c’est justement ce que je viens d’éprouver en vous voyant. Vous pouvez deviner, sans que je vous le dise, que je n’ai pas grand esprit, tranchons le mot, je suis un franc imbécile, sans éducation, sans talent, sans usage : eh bien ! du moment où je vous ai aperçue, je ne sais quelle révolution soudaine s’est opérée en moi : il m’a semblé qu’un nouveau jour m’éclairait ; de nouvelles idées se présentaient à mon imagination : et sans peine, sans efforts, les mots s’offraient d’eux-mêmes pour les exprimer.

NINA.

Quel langage !

ERNEST.

Et qu’a-t-il donc de si étonnant ? De tout temps l’Amour n’a-t-il pas fait des prodiges ? Douteriez-vous de ses miracles ? et qui, plus que vous cependant, serait capable d’y faire croire ?

Air du vaudeville du Piège.

Ah ! d’un semblable changement
Il faut vous en prendre à vous-même
On devient bien vite éloquent
Lorsqu’on est près de ce qu’on aime.
Plus d’un amant fut interdit
Près de charmes comme les vôtres ;
Et si vous me donnez l’esprit,
Vous l’avez fait perdre à bien d’autres.

NINA.

Serait-ce une plaisanterie ?

ERNEST.

Qui, moi ! plaisanter sur un pareil sujet ? j’en suis incapable, et vous aussi ; je le parierais. Et si notre mariage vous avait déplu, si quelques raisons secrètes s’étaient opposées à cette union, je suis sûr que vous m’en auriez averti ; que, loin de me tourner en ridicule, vous auriez eu pour moi les égards, les procédés qu’on doit à un ami de son père : que loin de confier votre secret à une jeunesse imprudente, légère, qui peut vous compromettre, vous m’auriez tout avoué franchement, et vous vous seriez confiée à ma délicatesse. N’est-il pas vrai ?

NINA.

Monsieur...

ERNEST.

Jugez donc de ce qui aurait pu arriver, si, en voyant un jeune homme, simple, sans défiance, vous vous étiez fait un jeu de le tourmenter ; si ce malheureux vous aimait réellement ; si, à votre vue, il n’avait pu se défendre d’un sentiment fatal : si, trompé, désabusé, forcé de renoncer à vous, il emportait dans son cœur le trait qui l’a blessé, et qui doit peut-être le conduire au tombeau !

NINA.

Grand dieu !

ERNEST.

Rassurez-vous ; il faut espérer que cela n’ira pas jusque là. Mais si ce n’est pas pour lui que je parle, que ce soit au moins pour vous. À quoi ne vous exposiez-vous pas en vous livrant ainsi ? car enfin vous ne savez pas qui il est ; vous ignorez son secret, et il possède le vôtre. Et s’il profitait de ses avantages, quel parti n’en pourrait-il pas tirer dans une petite ville amie du bruit et du scandale ?

NINA.

Ah, monsieur !...

ERNEST.

Mais, heureusement, tout dépend de vous. Ma discrétion se réglera sur la vôtre. Vous aviez voulu m’intriguer un peu, je vous l’ai bien rendu : ma vengeance se bornera là. Surtout pas le mot à ces messieurs ; je n’exige pas non plus que vous agissiez contre eux : restez neutre, c’est tout ce que je vous demande. Je croirai avoir remporté une assez belle victoire en détachant de leur coalition l’alliée la plus redoutable.

NINA.

Je reste stupéfaite, et je ne sais plus où j’en suis.

 

 

Scène XIV

 

NINA, ERNEST, TIENNETTE

 

TIENNETTE, les apercevant.

Ah, comment ! c’est vous, monsieur ? À la bonne heure ; vous voilà bien déguisé. Vous avez bien trouvé le magasin. Mais ce n’est plus cela : il faudra encore changer. Si vous voyiez les autres, ils sont tout en noir.

NINA, à Tiennette.

Comment ! est-ce que tu connais monsieur ?

TIENNETTE.

Sans doute ; mais ne craignez rien : il est aussi du secret. Madame Futet a rassemblé les jeunes gens de la ville ; ils s’habillent de ce côté : allez, allez, ils sont bien drôles, et nous allons bien rire. Vous ne savez pas, il paraît que ça allait mal : tous ces messieurs étaient brouillés, mais M. Futet les a raccommodés, et les a réunis tous contre l’ennemi commun. C’est comme ça qu’il parle. Mais il faut que M. Futet en veuille bien au prétendu, car il y met un zèle, une ardeur !...

ERNEST, se mettant à une table. À part.

Ah, diable !

Haut.

Attends, je vais le seconder.

NINA.

Mais je ne reviens pas de tout ce que je vois ! et comment il se fait !...

ERNEST.

Oh ! vous en verrez bien d’autres.

TIENNETTE.

Oh ! oui, vous en verrez bien d’autres.

ERNEST, à Tiennette.

Tiens, cette note au pâtissier, cette autre au glacier, ce billet au colonel, et cette bourse pour toi.

NINA.

Mais, monsieur ?...

ERNEST.

Vous m’avez promis de rester neutre.

À Tiennette.

Le colonel est au château ; il faut trouver, à l’instant, quelqu’un pour lui porter ce billet.

TIENNETTE.

Nous avons Jacques, le postillon.

ERNEST.

C’est bon. Passe à la poste.

TIENNETTE.

Oh ! ce n’est pas là qu’on le trouvera : c’est au cabaret du coin, où chez l’orangère en face. Oh ! ça ne sera pas long. À propos, le prétendu est-il venu ici ? l’avez-vous vu ? est-il bien drôle ?

ERNEST.

Oui, oui ; mais dépêche-toi.

TIENNETTE, courant.

Votre servante, monsieur.

Elle sort.

 

 

Scène XV

 

NINA, ERNEST

 

NINA.

Que dit-elle ? le prétendu est-il venu ? Est-ce que vous n’êtes pas monsieur de Roufignac ? Au nom du ciel ! qui êtes vous, décidément ?

ERNEST.

Le plus dévoué de vos serviteurs. Vous saurez tout dans un instant, pourvu que vous gardiez le silence avec ces messieurs.

NINA.

Ah ! je vous le promets.

ERNEST, lui présentant la main.

Me sera-t-il permis de vous reconduire jusqu’à votre appartement ?

NINA.

Vous vous méfiez de moi ?

ERNEST.

Non ; mais je veux vous éloigner du théâtre de la guerre.

Il la reconduit jusqu’à la porte, et la salue.

 

 

Scène XVI

 

ERNEST, seul

 

Bon ! voilà une partie de l’armée ennemie hors d’état de me nuire. Il paraît que, malgré la division que j’avais semée parmi les autres, ils se sont réunis pour frapper les grands coups ; heureusement, mes renforts vont arriver. N’importe, tenons-nous sur nos gardes, et courons faire en sorte...

 

 

Scène XVII

 

ERNEST, FUTET, DROLICHON, en robe de médecin

 

FUTET, arrêtant Ernest.

Non pas ; halte-là.

Bas.

Allons, Drolichon, à votre rôle, mon ami !

ERNEST, se dégageant et voulant s’échapper.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

DROLICHON, l’arrêtant de l’autre côté.

Vous n’irez pas plus loin.

FUTET.

D’après les inquiétudes qu’on a conçues pour votre santé, votre beau-père et votre nouvelle famille nous envoient vers vous.

DROLICHON.

Vous nous êtes recommandé.

FUTET.

Et vous ne sortirez de nos mains que radicalement guéri.

DROLICHON.

Radicalement guéri.

ERNEST, à part.

Ah ! j’y suis. Les médecins... C’est ça, la scène obligée. Sans doute les apothicaires ne sont pas loin. Allons je n’éviterai pas la promenade.

FUTET.

Voilà un pouls qui n’est pas bon.

DROLICHON.

Voilà un pouls qui n’est pas bon.

ERNEST.

Je crois déjà les entendre, et je vois d’ici l’arme fatale ! Morbleu !

DROLICHON.

Cet homme n’est pas bien.

ERNEST.

Non, c’est vrai.

À part.

Quelle idée !

Haut.

Ça commence même à m’inquiéter, et je ne serai pas fâché de vous consulter ; car la fatigue du voyage... Il y a pourtant déjà huit jours.

Faisant la grimace.

Ahi !... Mais ils disent comme ça que le neuvième... Ahi !

FUTET.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il a donc ?

ERNEST, faisant la grimace.

Maudit animal !

DROLICHON.

Comment ?

ERNEST.

Non, ce n’est pas à vous que j’en veux : c’est à un petit chien, pas plus haut que cela, qui, il y a quelques jours, s’attacha à mes jambes, et me mordit avec une affection toute particulière.

FUTET et DROLICHON.

Un chien !

ERNEST.

Je sais bien qu’ils voulaient tous me faire accroire qu’il était enragé. Ah bien ! oui, pas si bête !

FUTET, reculant.

Enragé !

ERNEST, le retenant.

Vous sentez bien que ça n’est pas vrai ; mais vous allez toujours me faire une petite ordonnance de précaution.

FUTET et DROLICHON.

Ah, mon dieu !

ERNEST, les retenant.

Oh ! vous ne me quitterez pas ; et je veux que vous me voyiez, parce que depuis quelque temps j’éprouve de moments à autres certaines émotions : mes yeux s’enflamment, mes nerfs se contractent. Eh bien ! qu’est-ce que je sens donc ?

Il fait plusieurs contorsions.

Je crois que cela me prend.

FUTET.

Grand dieu !

DROLICHON.

Nous sommes perdus !

Ernest marche d’un air furieux.

FUTET, appelant.

Au secours ! à moi, messieurs ! il est enragé.

 

 

Scène XVIII

 

ERNEST, FUTET, DROLICHON, THÉODORE, JULES, LÉON, en médecins, et tous les autres jeunes gens en apothicaires, entrent aux cris de Futet et de Drolichon

 

On entend au même instant battre le tambour et sonner le bouteselle. Chacun reste étonné.

 

 

Scène XIX

 

ERNEST, FUTET, DROLICHON, THÉODORE, JULES, LÉON, LE COLONEL

 

LE COLONEL, entrant.

Eh bien ! messieurs, sommes-nous prêts ? Le général va bientôt arriver, et je...

Apercevant les officiers déguisés.

Corbleu ! que veut dire cette plaisanterie ?

TOUS.

Air : Courons aux Prés Saint-Gervais.

Colonel, vous l’avez vu ?
Au devoir nous allions nous rendre ;
Mais chacun est retenu
Par un revers inattendu.

LE COLONEL.

Que veut dire ce mystère
Et ces armes-là ? Corbleu !
Est-ce donc là la manière
D’aller au feu ?

TOUS.

Colonel, vous l’avez vu ? etc.

FUTET.

Oui, colonel, quand vous saurez que monsieur est enragé.

LE COLONEL.

À l’autre...

 

 

Scène XX

 

ERNEST, FUTET, DROLICHON, THÉODORE, JULES, LÉON, LE COLONEL, TIENNETTE

 

TIENNETTE, accourant sans voir le colonel.

Monsieur, les voilà ! les voilà !

FUTET.

Qui donc ?

TIENNETTE.

Eh bien ! les pâtissiers, les traiteurs, les glaciers, les limonadiers ! que sais-je ? Tout ce que ce monsieur qui est si farce a commandé pour le repas que ces messieurs doivent lui payer ce soir.

TOUS.

Comment ! le repas ?

TIENNETTE, à Ernest.

Jacques a remis à monsieur le colonel la lettre que vous m’aviez donnée pour lui.

LE COLONEL, à part.

Ma lettre, serait-ce celle ?...

TIENNETTE.

Ah, mon dieu ! le voilà !

LE COLONEL.

Ah ça ! m’expliquera-t-on ce que signifie tout ceci ? Qui diable êtes-vous, monsieur l’enragé, qui faites venir des pâtissiers, des traiteurs ; qui m’annoncez des revues d’un général qui heureusement n’arrive pas, et qui enfin, rendez muet et tranquille un régiment de démons, que j’ai l’honneur de commander ?

ERNEST.

Mon colonel, je suis un de ces pauvres provinciaux sur le compte desquels on cherche toujours à se divertir : dans ce moment-ci, ces messieurs s’amusaient à mes dépens.

LE COLONEL.

Eh bien ! je ne m’en serais pas douté.

ERNEST.

Demandez plutôt à mademoiselle,

Voyant Nina qui arrive.

qui, mieux que personne, vous dira qui je suis.

NINA.

Qui, moi ? je craindrais trop de me tromper. C’est Tiennette qui seule vous connaît.

TIENNETTE.

Point du tout. C’est un jeune homme de Paris : c’est un ami de ces messieurs.

FUTET.

À d’autres : c’est le diable !

ERNEST.

Pas tout-à-fait, et puisqu’il faut vous le dire...

Air : Il me faudra quitter l’empire.

Mon père et vous d’un heureux mariage
Aviez conçu l’espoir flatteur ;
Mais j’aurai fait un long voyage

Montrant Théodore et Nina.

Pour assister à leur bonheur.
Oui, j’aime mieux, en homme sage,
De ces messieurs, pour éviter les traits,
Les divertir avant le mariage,
Que de les amuser après.

LE COLONEL, aux officiers.

Messieurs, une pareille plaisanterie...

ERNEST.

Est bien permise, colonel : je suis militaire comme ces messieurs, à ce titre, s’ils veulent bien me pardonner de ne point m’être laissé attraper, la belle Nina d’avoir voulu un instant troubler son bonheur, monsieur Futet d’avoir un peu alarmé sa jalousie, vous, colonel, d’avoir interrompu un déjeuner de corps, que le dîner de ces messieurs va remplacer, nous n’aurons rien à nous reprocher.

FUTET.

Comment ! La carriole de Melun ?

ERNEST.

Je ne vais jamais en carriole.

DROLICHON.

Et le petit chien, pas plus haut que cela ?

ERNEST.

Il court encore.

FUTET.

Eh quoi, ma femme !...

MADAME FUTET.

Pouvais-tu douter de moi ?

À part, regardant Ernest.

J’étais bien sûre que ce n’était pas lui.

ERNEST.

Ah ! nous avons aussi à Limoges quelques plaisanteries pour les jours gras, et si ces messieurs veulent bien m’accorder leur amitié...

TOUS.

Monsieur...

ERNEST.

S’ils me jugent digne de m’associer à eux, nous chercherons, ensemble, quelques bons tours pour passer gaîment le carnaval.

Vaudeville.

Air : Que Pantin, etc.

Célébrons le carnaval,
Le délire
Qu’il inspire ;
Célébrons le carnaval :
Des plaisirs c’est le signal.

MADAME FUTET.

Air : Un soir, que, sous son ombrage.

Pauvres humains dans la vie,
Qu’on vous joue, hélas ! de tours :
La fortune, la folie,
Et plus encor les amours.
En vain, d’avance, on se vante
De ne plus être trompé ;
Qu’un minois se présente,
Encore un d’attrapé.
Célébrons, etc.

JULES.

L’amour nous ravit les belles ;
Bientôt l’hymen nous les rend :
Car l’hymen est auprès d’elles
Notre allié le plus grand.
Chacun dans l’espoir précoce
D’un succès anticipé,
Peut dire à chaque noce :
Encore un d’attrapé.
Célébrons, etc.

TIENNETTE.

Quand j’étais petite fille,
L’s amans n’ songeaient pas à moi ;
J’ devins un peu plus gentille :
L’un d’eux me lorgna, je crois.
Maintenant rien ne m’échappe.
D’ moi plus d’un est occupé.
À chaque grâce que j’attrape,
Encore un d’attrapé.
Célébrons, etc.

ERNEST.

De tout ce qui m’environne
À quoi bon m’inquiéter ?
Les ans que le ciel me donne,
Je les prends tous sans compter.
Des jours qui forment ma vie,
Bien loin de m’être occupé,
Chaque soir je m’écrie :
Encore un d’attrapé.
Célébrons, etc.

FUTET.

Dès qu’on parle ou qu’on discute,
Pour échauffer je suis là.
Hier, dans une dispute,
Certain sot m’apostropha ;
Mais voyez le bon apôtre,
Ce coup dont il m’a frappé,
Il était pour un autre.

Se frottant les mains.

Encore un d’attrapé.
Célébrons, etc.

NINA, au Public.

À la critique on échappe
Dans ces jours où tout est bien.
Si la pièce est une attrape,
Silence ! n’en dites rien,
Pour que tout Paris s’avise,
Comme vous, d’être attrapé,
Et qu’à chacun l’on dise :
Encore un d’attrapé.
Célébrons, etc.


[1] Frac et chapeau bourgeois, veste, pantalon et bottes d’uniforme.

[2] L’entrée d’Ernest doit être la même que celle de Pourceaugnac ; elle doit être accompagnée des mêmes lazzis.

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