Notre futur (Georges FEYDEAU)

Pièce en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, à la salle de géographie, le 11 février 1894.

 

Personnages

 

HENRIETTE DE TRÉVILLE

VALENTINE

 

Un grand salon très richement meublé. Au fond, une cheminée avec des candélabres, allumés. Portes latérales, portes à droite et à gauche. Une table, des fauteuils, un divan, etc... Sur la table, des journaux.

 

 

Scène première

 

HENRIETTE, seule

 

Henriette en costume de bal et couverte de diamants, entre par l’une des portes du fond et parle à quelqu’un qu’on n’aperçoit pas.

Ainsi, vous avez bien compris ? Des bougies partout, des lumières... beaucoup de lumières ! Enfin, que tout soit pour le mieux.

Entrant.

Oh ! oui, beaucoup de lumières, je les adore, moi !... C’est étonnant comme cela sied à mon visage !

Elle s’approche de la glace.

Eh ! bien, mais savez-vous madame, que vous êtes tout simplement ravissante. Ce costume vous va à ravir !... et je me trompe fort ou bien vous allez faire encore quelque nouvelle conquête !... Toutes ces dames vont être furieuses ! C’est si jaloux, les femmes !... Quand à ces messieurs, par exemple... Eh ! bien, là, franchement, il y a des moments où je comprends les hommes !

Regardant la pendule.

Huit heures un quart...

S’asseyant.

Allons, j’ai encore une heure devant moi, une grande heure d’ennui !... C’est quand on attend... Malgré moi je me sens inquiète, agitée... Ah ! dame, l’idée d’un mariage peut bien vous émouvoir un peu... surtout lorsqu’il s’agit d’un jeune homme et que l’on est la veuve d’une vieux général !... Ah ! c’est qu’en faut d’amour, mon pauvre mari n’était pas la prodigalité même ! Mon Dieu ! Je ne le lui reproche pas !... le cher homme ! Je sais bien que ce n’était pas de sa faute !... mais c’est égal, franchement, il était un peu trop... comment dirai-je ? un peu trop... économe... Oh ! mais, avec monsieur de Neyriss, cela n’est pas à craindre ! Il est jeune lui ! Il est du midi, lui ! Et quand on est du midi, Dieu sait !... Enfin cela n’est pas à craindre !... Pourvu qu’il vienne seulement, c’est qu’il y a déjà quelque temps qu’il n’a donné signe de vie... Bah ! je l’ai invité, il viendra ; d’ailleurs il m’aime !... i a l’intention de m’épouser, j’en suis sûre... il profitera de cette soirée pour... et déjà l’autre jour, dans le petit salon, lorsque j’étais assise sur mon joli divan havane, s’il s’est mis à mes genoux, c’était, bien sûr, pour me faire sa demande... Ce n’était pas l’envie qui lui en manquait, et si l’on ne nous avait interrompu !...

On sonne.

Tiens ! l’on a sonné !

Regardant l’heure.

Neuf heures moins vingt. Qui peut venir si tôt ?

 

 

Scène II

 

HENRIETTE, puis VALENTINE

 

On entend la voix de Valentine dans les coulisses.

La voix de VALENTINE.

Thank you very much, miss Alice ! you may go now ! Thank you !

HENRIETTE.

Valentine !

VALENTINE, entrant.

Moi-même, cousine ! Bonjour !

HENRIETTE, l’embrassant.

Comme tu arrives de bonne heure !

VALENTINE.

Est-ce un reproche ?

HENRIETTE.

Enfant, va !

VALENTINE.

C’est que, vois-tu, j’ai désiré venir un peu avant le bal... parce que j’avais à t’entretenir de choses sérieuses !

HENRIETTE, souriant.

Ah ! mon Dieu !

VALENTINE, s’asseyant.

Oh ! Très sérieuses ! Tu comprends, il est des choses que je n’oserais dire à maman, et que je puis te dire à toi.

HENRIETTE.

Voyez-vous ça, Mademoiselle !

VALENTINE.

Oui, je viens te demander conseil !... Mais d’abord, laisse-moi te faire tous mes compliments. Dieu ! que tu es belle ce soir !

HENRIETTE.

Ah ! Le « ce soir » est aimable.

VALENTINE.

Oh ! Tu es toujours restée taquine, toi... Je veux dire : « Quelle jolie toilette tu as ce soir... », là !...

HENRIETTE.

Tu trouves ?

VALENTINE.

Mais c’est-à-dire que j’ai l’air d’une petite Cendrillon à côté de toi, avec ma robe blanche, toute simple.

HENRIETTE.

Toi ! tu es cent fois charmante, comme cela !

VALENTINE, soupirant.

Et des diamants ! En as-tu assez ! oh ! c’est moi qui aimerais ça, des diamants !

HENRIETTE.

Tu sais bien qu’une jeune fille n’en porte pas.

VALENTINE, naïvement.

Oui, tandis qu’une veuve !... Dieu ! que cela doit être agréable d’être veuve !

HENRIETTE.

Eh ! bien, c’est gentil pour ton futur mari ce que tu dis là !

VALENTINE.

Tiens ! c’est vrai ! J’ai dit une bêtise ! ! Je ne fais que cela... ou bien je ne dis rien du tout, et alors je deviens bête... de peur de dire des bêtises !

HENRIETTE.

Gamine, va !

Elle se lève et va prendre une tapisserie.

VALENTINE.

Mais aussi, je te l’ai dit, je compte sur toi pour me donner quelques conseils... ah ! d’abord, quand un jeune homme vous parle, qu’est-ce qu’il faut faire ?... Moi, je suis toujours très embarrassée !... Ainsi, tiens, à ton dernier bal, monsieur de Mercourt est venu à moi et m’a dit comme ça : « Ah ! Mademoiselle, vous êtes vraiment charmante » ! Eh bien ! sais-tu ce que je lui ai répondu ?

HENRIETTE, s’asseyant et faisant de la tapisserie.

Non.

VALENTINE.

« Et vous aussi, monsieur ! » Tu vous l’effet d’ici !... alors il a cru que je me moquais de lui et il est parti.

HENRIETTE.

Pauvre enfant, voilà ce que c’est que l’innocence.

VALENTINE, naïvement.

Oh ! oui, l’innocence, voilà une vertu que j’admire beaucoup... chez les autres !... Que je voudrais en savoir autant que toi ! mon Dieu !

HENRIETTE, d’un air de reproche.

Valentine !

VALENTINE.

Encore une bêtise... Tu vois, c’est plus fort que moi !... aussi il faut absolument que tu me dises...

HENRIETTE.

Ah ! pardon, mais d’abord, de quoi s’agit-il ?

VALENTINE, rougissante.

C’est que c’est très difficile à expliquer !... Il s’agit de... d’un...

HENRIETTE.

Tu rougis ! tu baisses les yeux ! Je comprends, c’est un jeune homme !

VALENTINE.

Hein ! Comment le sais-tu ?

HENRIETTE.

Est-ce que je n’ai pas été jeune fille, moi ? Est-ce que je n’ai pas rougi, moi... dans le temps ? Va, chère petite, je ne m’y trompe pas !

VALENTINE.

Eh ! bien, oui, là, c’est un jeune homme.

HENRIETTE.

Je le savais bien !... et il se nomme ?

VALENTINE, d’un air mystérieux.

Oh ! ça, je te le dirai plus tard.

HENRIETTE.

Du mystère, c’est parfait ! Est-il bien, au moins ?

VALENTINE.

Lui ? Oh ! très bien !

HENRIETTE.

Très bien ! Tu me le montreras ?

VALENTINE.

Tu le verras ce soir !... Et tu me diras alors si j’ai bon goût !

HENRIETTE.

Tiens, vraiment, tu m’amuses !... et... il t’aime ?

VALENTINE.

Oh ! oui, il m’aime !... il m’a même dit l’autre jour qu’il serait bien heureux si je consentais à l’épouser.

HENRIETTE.

Bah ! ce n’est pas une preuve.

VALENTINE.

Oh ! mais pour lui, c’est sérieux ! Figure-toi qu’à ton dernier bal, j’ai dansé avec lui... et sans en avoir l’air, tout en valsant, il m’a emmenée dans le petit salon, tu sais, le petit salon ?

HENRIETTE.

Oui, oui.

À part.

Il paraît que c’est l’endroit !

VALENTINE.

Il n’y avait justement personne... Alors il m’a fait asseoir sur ton divan havane...

HENRIETTE.

Sur mon divan havane ?

VALENTINE.

Oui ! cela t’étonne ?

HENRIETTE.

Moi ! non, du tout.

À part.

Oh ! ces hommes, tous les mêmes !...

Haut.

Apporte-moi mes laines !

VALENTINE, apportant la corbeille à ouvrage.

Et puis, lorsque j’ai été assise, monsieur de...

HENRIETTE, vivement.

Monsieur de... ?

VALENTINE, souriant.

Ce monsieur-là enfin m’a pris les deux mains, et s’est mis à genoux devant moi... Comme cela, tiens !

Elle se met à genoux devant sa cousine et la prend par la taille.

Oh ! c’est étonnant comme c’est agréable de voir un homme à ses genoux !

HENRIETTE.

Cela n’est pas précisément l’opinion de messieurs nos maris... Enfin ! continue.

VALENTINE.

Eh ! bien donc, il s’est mis à genoux devant moi et, avec une voix tendre, il m’a dit des choses, oh ! mais des choses ! Je ne comprenais pas toujours, mais je sentais que cela me faisait plaisir ! Oh ! mais c’est égal ! Je t’assure que j’étais très embarrassée ; aussi, de peur de dire des bêtises, je me contentais de répondre « oui » à tout ce qu’il disait.

HENRIETTE, posant sa tapisserie.

Tu disais oui ? Malheureuse enfant !

VALENTINE, se relevant.

Est-ce que j’ai eu trot ?

HENRIETTE.

Avec les hommes, c’est si dangereux !

VALENTINE.

Mais je ne savais que répondre, moi ! Si tu l’avais entendu : « ah ! mademoiselle, vous êtes belle et je vous aime. Oui ? Ah ! Valentine – il m’a appelée Valentine - Ah ! Valentine, réalisez le rêve de ma vie ! Mon cœur est consumé par l’ardeur de ses flammes et seule vous pouvez éteindre l’incendie que... que vos beaux yeux ont allumé. » ça je n’ai pas très bien compris ce que cela voulait dire ! « Enfin vous êtes ma reine, mon ange, Valentine, voulez-vous être ma femme ? »

HENRIETTE, se levant et vivement.

Et tu as répondu ?

VALENTINE.

Oui !... Dame, j’étais si troublée, je ne savais que dire.

HENRIETTE.

Les hommes sont si entreprenants !

VALENTINE, avec conviction.

Oh ! oui !

HENRIETTE, étonnée.

« Oh ! oui ! » Ah çà ! comment le sais-tu ?

VALENTINE, embarrassée.

Mais cousine !

HENRIETTE, insistant.

Oh ! il n’y a pas de « mais cousine ! » Et je vois bien que tu me caches quelque chose ! Mais je ne te tiens pas quitte comme cela, entends-tu bien, et tu vas m’expliquer...

VALENTINE, s’appuyant sur son épaule.

Eh ! bien, oui, là, j’aime mieux tout te dire !... À maman je n’aurais jamais osé, avec toi je sens que j’aurai plus de courage.

Baissant les yeux.

Ah ! ma chère Henriette, si tu savais ce qu’il a fait !

HENRIETTE, inquiète.

Ah ! Mon Dieu ! C’est donc bien grave ?

VALENTINE, toute émue.

Oh ! oui, c’est grave ; c’est-à-dire que, maintenant, il faut qu’on nous marie.

HENRIETTE, l’embrassant avec tendresse.

Est-il possible ? oh ! pauvre enfant ! pauvre enfant !

VALENTINE, avec douleur.

Il m’a embrassée !

HENRIETTE, changeant de ton.

Ah ! Tu m’avais fait peur.

Elle s’assied.

VALENTINE, s’asseyant aussi.

Tu ne trouves donc pas cela grave, toi ?

HENRIETTE.

Mon Dieu ! si j’étais ton confesseur, je te dirais : « C’est très grave ! » Mais moi, ma pauvre enfant, je n’ai pas le courage de t’en blâmer.

Avec un soupir.

Je connais trop bien les hommes !

VALENTINE.

Est-il possible !

HENRIETTE.

Et si l’on devait se marier pour si peu de chose, je crois qu’il y aurait bien peu de femmes sur la terre qui coifferaient Sainte-Catherine.

Elle reprend sa tapisserie.

VALENTINE.

Alors, cousine, tu ne m’en veux pas ?

HENRIETTE.

Moi, chère petite... oh ! pas du tout !... Mon pauvre général me le disait souvent : « L’amour est la meilleure des excuses ! ». Et j’étais bien de son avis !

VALENTINE.

Mais alors... si ce soir il veut m’emmener... est-ce qu’il faudra ?...

HENRIETTE, vivement.

Garde-t’en bien !... Les hommes sont toujours plus entreprenants la seconde fois que la première !

VALENTINE.

Mais alors comment faire ? S’il me demande de danser avec lui, je ne puis pourtant pas lui refuser... puisqu’il m’a promis de m’épouser ?

HENRIETTE.

Oh ! Je vois ce que tu veux !... Voyons, fillette, alors tu l’aimes ?

VALENTINE, baissant les yeux.

Mon Dieu ! je ne sais pas !

HENRIETTE.

Bon ! Je comprends ! ça veut dire beaucoup !... Et lui, est-ce qu’il t’aime ?

VALENTINE.

Il m’adore.

HENRIETTE.

Eh ! bien donc, c’est parfait !... Puisqu’il en est ainsi je parlerai à ta mère et, si elle y consent, tu l’épouseras !

VALENTINE.

Je l’épouserai !

Embrassant Henriette tendrement.

Oh ! ma chère Henriette !

HENRIETTE, d’un air moqueur.

Hein ! Comme il y a des moments où l’on vous aime !... ah çà ! tu serais donc bien heureuse de te marier, toi ?

VALENTINE, avec exaltation.

Me marier, cousine ! mais c’est ce que je rêve ! Se faire appeler Madame ! porter des diamants !... aller au Palais Royal !...

HENRIETTE.

Eh bien ! tu as une manière de comprendre tes devoirs conjugaux toi ! Je t’en fais mes compliments !

VALENTINE.

Mais cousine...

HENRIETTE.

Enfin, vous vous aimez, c’est l’essentiel ! Et puisqu’il t’a promis de t’épouser, je parlerai à ta mère... Mais au moins serai-t-il bon pour cela que je connusse le nom de ton... prétendu ?

VALENTINE.

C’est juste... D’ailleurs je n’ai plus de raisons pour te le cacher !... C’est Monsieur de Neyriss.

HENRIETTE, stupéfaite.

Monsieur de Neyriss !

Elle pose vivement sa tapisserie.

VALENTINE.

Oui ! qu’y a-t-il là qui t’étonne ?

HENRIETTE.

Non ! c’est impossible !

VALENTINE.

Comment impossible ! mais je t’assure que c’est la pure vérité.

HENRIETTE.

Oh ! Je te dis qu’il ne t’aime pas... j’en suis sûre.

VALENTINE.

Mais puisqu’il me l’a dit !

HENRIETTE, se levant.

Bah ! Tu crois à ces choses-là, toi ?

VALENTINE, se levant aussi.

Et pourquoi ne m’aimerait-il pas, après tout ?

HENRIETTE.

Parce que... parce qu’il ne t’aime pas.

VALENTINE.

Mais puisqu’il doit m’épouser, là !

HENRIETTE.

Eh bien ! et moi aussi, là !

VALENTINE, stupéfaite.

Il doit t’épouser ?

HENRIETTE.

Oui.

VALENTINE.

Il a demandé ta main ?

HENRIETTE.

Oh ! c’est tout comme. Il va me la demander ce soir !

VALENTINE.

Oh ! mais, moi, c’est déjà fait, voilà la différence.

HENRIETTE.

Bah ! qu’est-ce que cela prouve ? Pour ces messieurs le mariage n’est-il pas le pseudonyme de l’amour ?

VALENTINE.

Mais...

HENRIETTE.

Et puis, d’abord, il ne te convient pas du tout ! Tu es bien trop jeune pour lui.

VALENTINE.

Comment ! Mais c’est un jeune homme...

HENRIETTE.

Lui ! un jeune homme ! il a trente ans, c’est tout au plus homme jeune ! voilà tout ! Va, je te dis qu’il ne te convient pas du tout !

VALENTINE, impatientée.

Enfin, que veux-tu ! Cela me regarde et comme tu m’as promis de demander à maman...

HENRIETTE.

Moi ! demander à ta mère ! ah ! non, par exemple !... Je ne veux pas que tu puisse me reprocher un jour d’avoir fait ton malheur.

VALENTINE.

Mon malheur !

HENRIETTE.

Mais, dame ! tu vois bien qu’il ne t’aime pas sérieusement.

VALENTINE.

Comment cela ?

HENRIETTE.

Puisqu’il me fait aussi la cour, à moi !

VALENTINE.

Mais...

HENRIETTE, s’échauffant petit à petit.

Et qui te dit qu’il n’agit pas de même avec toutes les femmes !

VALENTINE, agacée.

Oh !

HENRIETTE.

Et cet homme-là serait un mari fidèle ?... Allons donc !

VALENTINE.

Eh ! bien, pourquoi veux-tu l’épouser, alors ?

HENRIETTE, embarrassée.

Pourquoi je veux l’épouser...

VALENTINE.

Dame ! il en sera pour toi comme pour moi ! Et je suppose que ce n’est pas pour l’unique agrément d’avoir un mari volage que...

HENRIETTE, sèchement.

D’abord, il n’est pas question de moi en ce moment... Et puis, je te dirai que ce n’est pas du tout la même chose... Une veuve a sur cette matière plus d’expérience qu’une petite fille.

VALENTINE.

Mais...

HENRIETTE.

Et d’ailleurs, toi non plus tu ne l’aimes pas !... Mais non ! Si tu veux l’épouser, c’est par caprice... pour aller au Palais-Royal.

VALENTINE.

Mais quand je te dis...

HENRIETTE.

Ah ! bah ! tout cela ce sont des amours de petite fille ! Un feu de paille ! Cela brûle, mais ne dure pas... va, ma chère enfant, je sais très bien comme on est à cet âge. Aperçoit-on un jeune homme ? Aussitôt, l’on en devient folle ! S’avise-t-il de vous faire un compliment, le moindre brin de cour ? Ah ! alors, c’est évident ! on croit tout de suite qu’il va vous épouser... et pour peu que l’on ait lu des romans, l’on s’étonne toujours que le beau jeune homme ne vous demande pas la permission de vous enlever !... Oui, voilà comme vous êtes, à votre âge ! Des amourettes, voilà tout ! Mais un amour sérieux ! Allons donc ! non ! non ! non ! mille fois, non !

VALENTINE, aigrement.

Tu ne parlais pas précisément comme cela tout à l’heure !

HENRIETTE.

C’est que j’ai réfléchi !

VALENTINE.

Bien rapidement, alors ! Car ce n’est que depuis que j’ai prononcé le nom de monsieur de Neyriss, que...

HENRIETTE.

Que veux-tu dire ?

VALENTINE.

Eh ! je veux dire que je sais bien pourquoi tu parles de la sorte... et que les meilleurs avocats sont toujours ceux qui défendent leur propre cause.

HENRIETTE.

Là ! Je m’y attendais ! de l’aigreur !... Parce que je te dis des vérités sur monsieur de Neyriss, alors cela te fâche ! Eh ! bien, veux-tu que je te dise : Épouse-le ! Tu pourras te vanter d’avoir un mari charmant... trop charmant même... surtout avec les autres !

VALENTINE, avec mauvaise humeur.

C’est ça, moque-toi de moi à présent : tiens, vrai ! tu n’es pas gentille !

HENRIETTE.

Voyons, Valentine !

VALENTINE, sèchement.

Laisse-moi tranquille !

HENRIETTE, s’asseyant.

Ah !... tu veux bouder ? à ton aise ! Seulement, quand tu auras fini, tu auras la bonté de me le dire.

Un instant de silence. Valentine tourne à demi le dos à Henriette. Cette dernière prend un journal sur la table et se met à lire. Tout à coup, elle pousse un cri.

HENRIETTE, se levant en sursaut.

Ah ! mon Dieu, que vois-je ?... monsieur de Neyriss !...

VALENTINE, vivement.

Monsieur de Neyriss ! Qu’y a-t-il ?

HENRIETTE.

Le perfide ! Il se marie.

VALENTINE, se levant en sursaut.

Il se marie ?

HENRIETTE.

Tiens, lis plutôt !

Lisant.

On annonce le mariage de M. Raoul de Neyriss avec Mademoiselle de Stainfeld ! Cette toute charmante personne.

Parlé.

Toute charmante, est-il possible ! elle louche !

Lisant.

Cette toute charmante personne apporte à son mari la jolie dot de deux cent mille livres de rente ! Hâtons-nous de dire que M. de Neyriss, qui est un galant homme.

Parlé.

Un galant homme, lui !

Lisant.

Qui est un galant homme n’a vu dans ce mariage qu’un mariage d’amour !

Parlé.

Oh ! le traître !

VALENTINE, qui pendant cette lecture est tombée sur un fauteuil, toute accablée.

Qui aurait jamais pu s’attendre à cela, mon Dieu !

HENRIETTE, très agitée.

Oh ! les hommes ! les hommes ! Les voilà bien !

VALENTINE, avec douleur.

Et il me disait qu’il m’aimait !

HENRIETTE, même jeu.

Non, tenez ! Ils ne valent pas la corde pour les pendre ! Et c’est là l’homme que tu voulais épouser !... et tu crois que je t’aurais laissé faire cette bêtise ?... ah non, par exemple !

VALENTINE.

Hélas ! cousine...

HENRIETTE.

Ah ! oui, tu pousses des soupirs à présent, tu me dis : « Hélas, cousine ». Mais tout à l’heure, lorsque je cherchais à te dissuader de ce mariage, lorsque je te disais que tu faisais une sottise, tu te fâchais et tu m’en voulais, j’en suis sûre, de prendre ainsi ton intérêt contre toi-même ! Eh ! bien, tu reconnais à présent combien j’avais raison ! Mais non, tu ne voulais rien entendre ! et si je t’avais écoutée, j’aurais été demander à ta mère !... et j’aurais, moi, participé à ton malheur futur. Ah ! tiens ! Valentine, tu ne mérités pas qu’on te plaigne.

VALENTINE, tristement.

Henriette, tu me fais de la peine.

HENRIETTE.

Cela t’apprendra à m’écouter à l’avenir !

VALENTINE.

Hélas ! cousine, comment pouvais-je savoir ?...

HENRIETTE.

C’est vrai !... le perfide, moi aussi, je m’y étais laissé prendre !... oh ! mais, va, maintenant, je ne le regrette pas !

VALENTINE, vivement.

Oh ! ni moi non plus, certes !

Tristement.

Et pourtant, je ne sais pas, il me semble que cela me fait quelque chose.

HENRIETTE.

Que vois-je, tu pleures ?

VALENTINE, s’essuyant vivement les yeux.

Moi ? Non, cousine !

HENRIETTE.

Enfant ! à quoi bon me cacher tes larmes ? Va, tu n’as pas à en rougir... La honte n’est pas pour celui qui les verse.

L’embrassant.

Mais pour celui qui les fait couler.

VALENTINE, avec effort.

N’importe cousine, je ne pleurerai pas ! ces larmes, il ne les mérite pas.

HENRIETTE, tendrement.

Hélas ! ma pauvre chérie, tu n’as pas été heureuse pour ton premier amour !... mais qu’une chose te console : dis-toi bien que tu aurais pu être bien plus malheureuse en devenant sa femme !

VALENTINE.

C’est vrai, cousine, aussi, je ne veux plus penser à lui, et je l’oublierai, je te le promets !

HENRIETTE.

C’est ce que tu feras de mieux, fillette !

VALENTINE, avec douleur.

Et je le haïrai !

HENRIETTE, vivement.

Oh ! cela garde-t’en, ma pauvre enfant... tu l’adorais.

VALENTINE.

Moi... l’adorer ? Mais...

HENRIETTE.

Oh ! toi, tout comme une autre ! Va ! nous sommes toutes les mêmes, nous autres femmes ! Aussi ne cherche pas à le haïr, n’essaie même pas de le juger, car si ta douleur le condamnait, ton amour trouverait encore une excuse pour le justifier. Oublie-le, voilà tout ! et quand l’oubli sera peu à peu entré dans ton cœur, quand l’amour ne seras plus là pour excuser cet homme, alors tu verras comme tu le mépriseras et comme tu remercieras le ciel des pleurs qu’il t’aura fait verser.

VALENTINE, avec tendresse.

Ma chère Henriette !... Tu es bonne, toi... tu cherches à me consoler, tu ne veux pas que je pleure.

HENRIETTE, vivement.

Mais certainement non, je ne veux pas que tu pleures ! Eh ! que diraient nos invités s’ils te voyaient de la sorte ! Je veux que tu sois gaie au contraire, que tu ries, que tu danses, que tu t’amuses enfin !... Allons, fillette, embrasse-moi !

Elles s’embrassent.

Et maintenant, mademoiselle de Stainfeld, vous pouvez épouser « Notre futur » !

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