Les Enlèvements (Michel BARON)

Comédie en un acte, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Français, le 6 juillet 1685.

 

Personnages

 

M. DE LA DAVOISIÈRE

M. DE LA SOZIÈRE

LE COMTE, Fils de M. de la Davoisière

LE CHEVALIER, Fils de M. de la Davoisière

LÉONOR, Fille de M de la Sozière

M. GUILLAUME, Fermier de de la Davoisière

BABET, Fille de M. Guillaume

PELLERIN, vieux Domestique M. de la Davoisière

VINCENT, paysan

PIERROT, paysan

 

La scène est dans la Place du Château de la Davoisière.

 

 

Scène première

 

M. DE LA DAVOISIÈRE, PELLERIN, M. GUILLAUME

 

M. GUILLAUME.

Je vous avoue, Monsieur, que l’année n’a pas été mauvaise, et que j’ai gagné quelque chose avec vous. Hé ! que serait-ce, enfin, s’il fallait toujours perdre ?

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Allons, allons, Monsieur Guillaume, parlons de bonne foi : Vous n’avez jamais rien perdu avec moi, et je n’en suis pas fâché, je vous jure. Je ne vous dis pas cela même, pour vous obliger à l’avenir à tenir mes Terres à un plus haut prix.

M. GUILLAUME.

Un autre peut-être vous en donnerait davantage, et ne vous paierait pas si bien.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

C’est ce que je considère. On n’a point besoin de caution avec vous, et l’on peut dire ici que le Fermier est plus riche que le Maître. Votre fille Babet, si vous continuez, sera un des plus gros partis de la Province.

M. GUILLAUME.

Hé de grâce, Monsieur, épargnez-moi.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Je ne raille point.

M. GUILLAUME.

Hé ! Moniteur, je ne suis pas si riche qu’on s’imagine ; et quand je le serais, qui jetterait les yeux sur une pauvre Paysanne ?

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Écoutez : Autrefois on y aurait pu faire quelque scrupule, oui ; et j’ai vu de mon temps que c’était un grand crime que de se mésallier : mais à présent, tout cela est bien changé.

M. GUILLAUME.

Oh bien, Monsieur, pour moi, s’il m’est permis de raisonner là-dessus, je crois, si c’était autrefois un crime à un homme de condition d’épouser une Paysanne riche, que c’était une grande sottise au Paysan de donner sa fille à un Gentilhomme ; et je ne me souviens pas bien d’où j’ai retenu, que l’on ne vit heureux qu’avec ses égaux.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Adieu, Monsieur Guillaume, ayez toujours bien soin de mes affaires. Pellerin, je vais dîner chez Monsieur de la Marcilière, j’y pourrai bien souper, peut-être. Avez-vous fait seller le Superbe ?

PELLERIN.

Oui, Monsieur, mais j’ai bien peur qu’on ne soit contraint de lui changer ce nom dans peu. La pauvre bête commence à se sentir de la vieillerie ; et ses génuflexions continuelles vous feront avouer, peut-être à vos dépens, que l’Humble ou le Civil seraient des noms à lui conviendraient mieux.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Je ne m’en suis pas encore aperçu.

PELLERIN.

Tant mieux pour vous.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Monsieur Guillaume, faites dresser toutes vos quittances, je les signerai à mon retour.

M. GUILLAUME.

Oui, Monsieur.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Pellerin, vous direz à ma femme où je suis allé.

PELLERIN.

Oui, Monsieur.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Monsieur Guillaume, envoyez Babet au Château, pour la divertir ; une pauvre malade est ravie d’avoir quelqu’un pour s’amuser.

M. GUILLAUME.

Je n’y manquerai pas.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Pellerin, la Fille de Monsieur de la Sozière, ma bru prétendue, doit venir voir ma femme : dites-bien à mon fils le Comte, qu’il ne sorte pas aujourd’hui, afin qu’il se trouve pour la recevoir.

PELLERIN.

C’est assez.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Monsieur Guillaume... j’avais encore quelque chose à vous dire.

M. GUILLAUME.

Que vous plaît-il ?

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Je m’en souviendrai. Pellerin ?

PELLERIN.

Monsieur ?

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Prenez garde que mon fils le Chevalier ne fasse de sottise.

PELLERIN.

J’y aurai l’œil.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Ah ! je m’en ressouviens, Monsieur Guillaume : n’oubliez pas, un des jours de cette semaine, de passer au Moulin rouge, et d’observer ce qu’il y a à faire.

M. GUILLAUME.

J’irai, Monsieur.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Attendez. Est-ce tout ? Oui. Adieu.

 

 

Scène II

 

PELLERIN, M. GUILLAUME

 

PELLERIN.

Monsieur Guillaume voudra-t-il bien permettre que Pellerin le félicite des grandes alliances ou sa bonne fortune pourra le faire entrer ? Notre Maître a bien raison, votre fille Babet ne va pas être mal courue de tous nos houbereaux.

M. GUILLAUME.

Mon pauvre Pellerin, tu me prends pour un grand sot, si tu me crois entêté de ces chimères.

PELLERIN.

Oh ! Monsieur, je vous prends pour ce que vous êtes, c’est-à-dire, pour un homme merveilleusement entendu dans toutes les affaires.

M. GUILLAUME.

J’en donnerais là de belles marques, ma foi.

PELLERIN.

Écoutez, après quelques réflexions...

M. GUILLAUME.

J’irais me rendre esclave ?

PELLERIN.

Je ne désapprouve pas tout-à-fait...

M. GUILLAUME.

D’autres jouiraient des fruits de mes travaux ?

PELLERIN.

Franchement, il n’est pas mal aisé de voir...

M. GUILLAUME.

Les enfants de ma Fille seraient plus grands Seigneurs que moi ?

PELLERIN.

Il y a bien des choses à dire là-dessus.

M. GUILLAUME.

Je les appellerais Messieurs ?

PELLERIN.

Il est vrai...

M. GUILLAUME.

Il faudrait me tenir à l’écart, quand il aurait compagnie ?

PELLERIN.

Il est certain...

M. GUILLAUME.

Je n’oserais pas dire le moindre mot pour rire ?

PELLERIN.

Je vois.

M. GUILLAUME.

Pas la moindre petite familiarité ?

PELLERIN.

Je n’ai garde...

M. GUILLAUME.

Je ne boirais pas avec mon gendre ?

PELLERIN.

Quelle apparence...

M. GUILLAUME.

Pas la moindre partie de boule ?

PELLERIN.

Vraiment...

M. GUILLAUME.

Aux Dames ?

PELLERIN.

Mais...

M. GUILLAUME.

Au Piquet ?

PELLERIN.

Si...

M. GUILLAUME.

La promenade ?

PELLERIN.

Quoi ?

M. GUILLAUME.

Non, Monsieur Pellerin, voyez-vous, cela est inutile, et je n’en ferai jamais qu’à ma tête ;

PELLERIN.

Hé ! qui diantre vous dit le contraire ?

M. GUILLAUME.

Vous, qui depuis une heure ne faites que me contester.

PELLERIN.

Il y a une heure que je vous dis que vous avez raison.

M. GUILLAUME.

J’ai lu quelque part une belle sentence, lorsque... Ah ! elle est tout-à-fait belle.

PELLERIN.

Oh ! je le crois.

M. GUILLAUME.

Oh ! belle tout-à-fait.

PELLERIN.

Dites-la donc.

M. GUILLAUME.

La voilà : Quiconque entre dans la maison d’un Grand, serf il devient. C’est Plutarque qui dit cette belle chose.

PELLERIN.

Et ce Plutarque là n’a pas tort.

M. GUILLAUME.

Il y a environ vingt ans qu’un des amis d’un grand Seigneur que je servais, ne voulut point aller jusqu’au Château de mon Maître, où il devaient passer ensemble quelques jours, par ce qu’en passant par Angers, ils trouvèrent malheureusement dans un cabaret un Plutarque ouvert ; et l’ami de mon Maître, qui n’était pas si grand Seigneur que lui, jetant les yeux par hasard sur cette sentence, ne voulu jamais poursuivre le voyage, quoiqu’il ne fut qu’à quatre petites lieues de sa maison.

PELLERIN.

Cet ami-là était un homme de bon sens ; et franchement, Monsieur, je sens bien mieux que vous, qu’à quelque sauce qu’on mette la servitude, elle est toujours affreuse, et qu’enfin les gens de bon esprit, ne doivent servir que pour ne plus servir.

M. GUILLAUME.

C’est ainsi que j’ai fait, et j’espère, avant qu’il soit peu, ne me mêler que de mes affaires, et devenir absolument mon maître.

PELLERIN.

C’est prudemment avisé ; et si j’étais de vous, je prendrais pour mon gendre quelqu’un qui me pût servir, moi, sur mes vieux jours.

M. GUILLAUME.

C’est bien là mon dessein.

PELLERIN.

Qui eut pour moi de la complaisance.

M. GUILLAUME.

C’est comme je l’entends.

PELLERIN.

Des égards, et des soumissions même.

M. GUILLAUME.

Assurément.

PELLERIN.

Qui m’aimât.

M. GUILLAUME.

Oui.

PELLERIN.

Qui me fît le parrain de son premier enfant.

M. GUILLAUME.

Je le prétends bien ainsi.

PELLERIN.

Vous voyez que je fais ce qu’il vous faut.

M. GUILLAUME.

Cela est vrai.

PELLERIN.

Un homme enfin qui tînt toute sa fortune de moi.

M. GUILLAUME.

Hem ?

PELLERIN.

Quoi ?

M. GUILLAUME.

Que dis-tu ?

PELLERIN.

Je dis que vous ne prendrez, pas garde au bien.

M. GUILLAUME.

Oh ! pardonnez-moi, pardonnez-moi.

PELLERIN.

Je n’en ai pourtant guères.

M. GUILLAUME.

Aussi n’est-ce pas toi que je regarde pour mon gendre.

PELLERIN.

J’ai pourtant, au bien près, toutes les qualités...

M. GUILLAUME.

Cela ne suffit pas.

PELLERIN.

Hé pourquoi ?

M. GUILLAUME.

Hé ! je ne sais. Adieu, Pellerin.

 

 

Scène III

 

PELLERIN, seul

 

Voilà donc toutes mes mesures rompues, et la charmante Babet sera pour un autre que moi. J’enrage. N’importe, pourvu que ce ne soit point Pierrot ou Vincent qui l’épouse, je suis à demi consolé. Les Rivaux connus, et de notre compétence à peu près, sont, ce me semble, plus chagrinants que les autres. Oh parbleu ! je ferai si bien en sorte, que du moins je n’aurai pas honte de la céder à celui qui l’aura. On ne peut juger encore de quel côté ses inclinations penchent ; et la pauvre petite ne fait pas encore qu’elle a un cœur, ou du moins elle ignore à quel usage on doit le mettre. Cette pauvre enfant, qu’elle est jolie ! Mais si je l’enlevais ? Justement. Mais ce vieillard est obstiné comme un diable, et j’aurais peur qu’il ne me fît enlever à mon tour, pour me faire élever un peu plus haut qu’il ne faudrait. Il faut que je fois diablement amoureux ! car il me passe par la tête des entreprises bien dangereuses.

 

 

Scène IV

 

PELLERIN, LE COMTE

 

LE COMTE.

Pellerin, Pellerin ?

PELLERIN.

Monsieur.

LE COMTE.

Vas-t-en vite dans la Cour du Château.

PELLERIN.

Qu’y ferai-je ?

LE COMTE.

Vas vite ; où vas-tu ?

PELLERIN.

Je cours où vous me dites.

LE COMTE.

Apprends donc auparavant ce que je veux de toi.

PELLERIN.

Je croyais qu’il ne fallait que courir.

LE COMTE.

Tu trouveras Léonor qui va descendre de carrosse, conduis-la dans la chambre de ma Mère, et dis, surtout, que je suis allé à la chasse ; car je ne la veux point voir.

PELLERIN.

Hé ! pourquoi, s’il vous plaît, tout prêt l’épouser...

LE COMTE.

Ne perds point de temps, fais ce que je te dis, et viens me trouver, je t’apprendrai bien autres choses.

PELLERIN.

Je reviens tout à l’heure.

 

 

Scène V

 

LE COMTE, seul

 

Ah ! qu’il s’en faut que je ne sois près d’épouser Léonor, comme mon Père se l’imagine ; mes vœux, ma tendresse, mes soins m’entraînent bien ailleurs. Je ne veux point me faire un malheur éternel, je ne l’aime plus, ou plutôt je ne l’ai jamais aimée, puisque je n’ai jamais senti ce que je sens aujourd’hui. Que de mouvements que j’avais ignorés ! que d’inquiétudes ! que d’alarmes ! que de soupirs ! Non, Léonor, je ne vous ai jamais aimée.

 

 

Scène VI

 

PELLERIN, LE COMTE

 

PELLERIN.

Monsieur, je me suis acquitté de la commission que vous m’avez donnée. Si vous aviez vu, Monsieur, quelle tristesse répandu sur le visage de Madame Léonor ! si vous aviez été témoin de ses soupirs, lorsque je lui ai dit...

LE COMTE.

Tais-toi, je ne veux pas t’entendre davantage ;, ce que tu me dirais me donnerait de la peine, et ne me ferait point changer la résolution que j’ai prise.

PELLERIN.

Quelle résolution, je vous prie ?

LE COMTE.

Je ne veux plus l’épouser, et je suis amoureux ailleurs.

PELLERIN.

Et de qui, de par tous les Diables ?

LE COMTE.

De Babet.

PELLERIN.

De Babet !

LE COMTE.

D’elle-même.

PELLERIN.

Il ne me fallait plus que cela.

LE COMTE.

Mon cher Pellerin, que faut-il que je fasse ! car enfin, je l’adore.

PELLERIN.

Ma foi, Monsieur, je ne vois rien ici que de très fort embarrassant.

LE COMTE.

Mon cher enfant, je n’ai recours qu’à toi.

PELLERIN.

Mais auparavant que de m’en mêler, il serait bon, ce me semble, de savoir ce que vous voulez faire de Babet ; car enfin, je ne veux rien faire qui blesse ma conscience.

LE COMTE.

Ce que j’en veux faire, Pellerin ? l’aimer, la servir, l’adorer, la respecter comme tout ce que j’aurai de plus cher au monde.

PELLERIN.

Voilà les plus beaux mots du monde ; mais si je ne me trompe, je ne vous ai point entendu proférer les essentiels.

LE COMTE.

Hé ! que veux-tu donc que je te dise ?

PELLERIN.

Hé ! devinez.

LE COMTE.

Ne me fais point languir, que faut-il faire davantage ?

PELLERIN.

Ce qu’il faut faire ?

LE COMTE.

Oui.

PELLERIN.

L’épouser.

LE COMTE.

C’est comme je l’entends.

PELLERIN.

Oh ! en ce cas, ne vous mettez pas en peine, vous n’avez qu’à me laisser faire... Oui... Non... Il ne le fera jamais... Il n’y consentira point, vous dis-je, il ne voudra point se faire un ennemi de Monsieur de la Sozière... De l’autre côté, vous ne courez aucun risque, cela est certain. Êtes-vous fort amoureux ?

LE COMTE.

On ne peut l’être autant que je le suis.

PELLERIN.

Il faut enlever Babet, c’est le plus court. Je vous conseille comme pour moi.

LE COMTE.

C’est déjà à quoi j’avais songé.

PELLERIN.

Vous voyez que les beaux esprits se rencontrent. Oh, ça donc, puisque vous êtes bien résolu à la chose, vous n’avez qu’à vous trouver sur les six heures et demie. La peste, non, il fait encore jour ; sur les sept heures, cela ne fera pas mal ; vous n’avez, dis-je, qu’à vous trouver vers ce grand noyer que vous voyez d’ici dans cette île, à l’heure que je vous marque ; je trouverai quelque moyen pour la faire roder par-là, ou bien en me promenant avec elle, je l’y conduirai moi-même. Cachez-vous bien derrière la haie, et votre cheval aussi ; lorsque vous la tiendrez, vous en ordonnerez ensuite tout comme il vous plaira.

LE COMTE.

Je puis me reposer sur toi ?

PELLERIN.

Cela vaut fait.

LE COMTE.

Tu t’en ressouviendras ?

PELLERIN.

Hé ! Oui, vous dis-je, allez-vous-en. Je vois votre petit frère le Chevalier qui vient ici ; il se douterait peut-être tantôt que ce serait moi qui vous aurait donné ces beaux conseils-là ; mais Dieu m’en garde, je ne suis pas capable de cela.

LE COMTE.

Adieu donc.

 

 

Scène VII

 

PELLERIN, LE CHEVALIER

 

PELLERIN.

Par ma foi, le pauvre Monsieur Guillaume, aussi-bien que moi, comptait tantôt sans son hôte : il ne voulait point de Gentilhomme, il en aura un : je souhaitais d’épouser sa fille, j’en suis bien éloigné, je ne saurais faire un pas qui ne recule mes affaires.

LE CHEVALIER.

Où est-elle ? hé mon Dieu ! ne la rencontrerai-je point ?

PELLERIN.

Qui ?

LE CHEVALIER.

Ce que je cherche.

PELLERIN.

Que cherchez-vous ?

LE CHEVALIER.

Je cherche.

PELLERIN.

Je cherche, je cherche. Il y a deux ou trois ans que vous auriez cherché le fouet ; mais à présent, que vous commencez à être grand, que vous avez la clé de vos chausses, vous vous moquez de tout ? Que n’allez-vous étudier vos Fortifications ? que n’achevez-vous ce Plan, qui court depuis si longtemps sur une table ? que ne lisez-vous quelque histoire ? Au moins, Monsieur le Chevalier, vous savez que c’est votre Père qui m’autorise à vous parler comme je fais. À quoi vous amusez vous ? il ne grondera pas mal tantôt, lorsqu’il ne verra rien de fait.

LE CHEVALIER.

Mon pauvre Pellerin, je me jette à tes genoux.

PELLERIN.

Allez, levez-vous, je ne-lui dirai rien de toutes vos fredaines.

LE CHEVALIER.

Ce n’est pas là ce qui cause mon désespoir.

PELLERIN.

Vous voulez peut-être aller voir quelqu’un de vos camarades ? Allez, allez, je ne le dirai pas.

LE CHEVALIER.

Mon pauvre Pellerin, ce n’est pas cela.

PELLERIN.

Avez-vous besoin de quelque argent ? Je n’en ai guères ; mais enfin...

LE CHEVALIER.

Tu n’entres point dans le fend de mon cœur.

PELLERIN.

Ouais ? avez-vous reçu quelque déplaisir ?

LE CHEVALIER.

Je suis au désespoir.

PELLERIN.

Madame votre Mère vous a-t-elle querellé ?

LE CHEVALIER.

Tu ne dis rien de tout ce qui cause ma douleur.

PELLERIN.

Oh ! dites-le donc vous-même, car par ma foi je suis à bout.

LE CHEVALIER.

Ah Pellerin !

PELLERIN.

Qu’y a-t-il ?

LE CHEVALIER.

Je vois...

PELLERIN.

Hé bien ?

LE CHEVALIER.

Je vois...

PELLERIN.

Que voyez-vous ?

LE CHEVALIER.

Je vois, te dis-je...

 

 

Scène VIII

 

PELLERIN, LE CHEVALIER, BABET

 

PELLERIN.

Ah par ma foi, je vois, je vois : je vois que je ne vois que trop aussi.

LE CHEVALIER.

Mon pauvre Pellerin, ne m’abandonne pas.

PELLERIN.

Qu’est-ce donc à dire ?

LE CHEVALIER.

Babet... Pellerin encore une fois... Babet.

BABET.

Monsieur.

LE CHEVALIER.

Ne vous en allez pas, Pellerin.

PELLERIN.

Hé bien, Pellerin, Pellerin, qu’est-ce ?

LE CHEVALIER.

Je suis perdu.

PELLERIN.

Ces pauvres enfants, ils ne savent comment s’y prendre, par ma foi ils me font pitié tous deux : voyons-un peu la fin de tout ceci.

BABET.

Que me voulez-vous donc, Monsieur le Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Je voudrais bien que vous demeurassiez un peu là.

BABET.

Je ne saurais ; je vais trouver Madame pour la divertir un peu.

LE CHEVALIER.

Demeurez ici un moment, je vous prie.

BABET.

Monsieur le Chevalier, ne m’approchez pas.

LE CHEVALIER.

Laissez-moi vous parler.

BABET.

J’appellerai mon Père. Mon Père !

LE CHEVALIER.

Hé bien, non, je ne vous approcherai pas ; mais, laissez-moi vous voir.

BABET.

Dépêchez-vous donc.

LE CHEVALIER.

Hélas ! Babet ; que vous me haïssez ?

BABET.

Moi ! point, je ne vous hais pas.

LE CHEVALIER.

Laissez-moi baiser votre main.

BABET.

Mon Père !

LE CHEVALIER.

Hé bien ! non, non, non. Babet, voulez-vous que je vous donne des confitures ?

BABET.

Non.

LE CHEVALIER.

J’ai là de petits abricots verts ; en voulez-vous ?

BABET.

Non.

LE CHEVALIER.

Voulez-vous une orange ?

BABET.

Non.

LE CHEVALIER.

Que voulez-vous donc que je vous donne ?

BABET.

Rien.

LE CHEVALIER.

Babet, le brocard de votre corps n’est pas joli, et j’ai de quoi, si vous le voulez, vous en faire un bien plus beau.

BABET.

Mon Père ne veut pas que je prenne rien.

LE CHEVALIER.

Il ne saura pas qu’il vient de moi. Babet, je vous le ferai donner par ma Mère. Le voulez-vous ? hem ? dites.

BABET.

Oui.

LE CHEVALIER.

M’aimerez-vous, après cela, Babet ?

BABET.

Oui.

LE CHEVALIER.

De tout votre cœur ?

BABET.

Oui.

LE CHEVALIER.

Viendrez-vous vous promener dans l’île avec moi ?

BABET.

Non.

LE CHEVALIER.

Ah ! Babet, vous voulez me désespérer ?

BABET.

Non.

LE CHEVALIER.

Je vous assure pourtant, que si vous ne souffrez que je baise votre main, je vais mourir.

BABET.

Non.

LE CHEVALIER.

Enfin, Babet, vous ne voulez donc pas que je la baise ?

BABET.

Je ne veux pas que vous mouriez.

LE CHEVALIER.

Ah ma chère Babet !

BABET.

Je n’ai jamais voulu la laisser baiser à Monsieur le Comte, et si, il m’en disait autant que vous.

PELLERIN.

Courage, cela ne va pas mal, vous n’avez qu’à continuer. Peste, mon petit Monsieur, que vous avez l’air tendre !

LE CHEVALIER.

Quel temps prends-tu ?

PELLERIN.

Je suis en droit de vous reprendre ; votre Père (vous le savez) m’a donné ce soin ; et ce ne sont pas les exemples que ce Philosophe, qui vous a enseigné, et moi, nous vous avons donnés. Et vous, la gentille Mignonne, qui donnez ainsi votre main à baiser, qui vous a montré à le faire ?

LE CHEVALIER.

Oh je te prie, querelle-moi tant que tu voudras ; mais que ta colère la respecte.

PELLERIN.

Je veux lui parler, moi. Toutes ces intrigues-là...

LE CHEVALIER.

Je ne le souffrirai point, te dis-je ; et malgré les ordres de mon Père, je t’en ferai repentir, si tu lui dis un seul mot.

BABET.

Monsieur, Monsieur ? Pellerin, ne vous fâchez pas, je vais trouver Madame.

 

 

Scène IX

 

LE CHEVALIER, PELLERIN

 

LE CHEVALIER.

Tu triomphes enfin, la voilà partie, mais tu n’avances rien, je veux bien t’en informer ; et malgré tes soins, ta vigilance, et les menaces de mon Père, je l’aimerai, je la servirai, je l’adorerai le reste de ma vie.

PELLERIN.

Comment donc ? qu’est-ce à dire ceci ? Est-ce là de la façon dont on doit parler ?

LE CHEVALIER.

Hé bien, j’ai tort, je le confesse, je change de discours ; et je te prie, au nom de ce qui te peut toucher davantage, premièrement, de ne point parler de ceci à mon Père ; et je te conjure, toi qui a pris tant de peine pour moi dans ma jeunesse, de ne perdre pas en un moment tout le fruit de tes soins, et de me servir dans mon amour.

PELLERIN.

Il me fait entrer dans ses douleurs. Hé bien, qui l’aurait jamais cru de ce petit traître-là ? il n’y a pas deux ans que je lui donnais le fouet. Quels discours ! quels transports ! je suis tout stupéfait, et je sens qu’il me débauche aussi.

LE CHEVALIER.

Tiens, vois-tu, si tu ne me sers, mon pauvre Pellerin, je me tuerai.

PELLERIN.

Je n’y puis plus tenir, il m’arrache des larmes.

LE CHEVALIER.

Si tu as dans ton cœur quelque amitié pour moi...

PELLERIN.

Levez-vous.

LE CHEVALIER.

Seras-tu sensible à mes soupirs ?

PELLERIN.

Oui.

LE CHEVALIER.

J’obtiendrai de toi le secours que j’implore ?

PELLERIN.

Oui.

LE CHEVALIER.

Enfin, tu feras en sorte que je serai heureux ?

PELLERIN.

Oui, levez-vous, vous dis-je.

LE CHEVALIER.

Oh, mon cher Pellerin, que je te serai obligé !

PELLERIN.

Tenez, quand il serait sorti de moi, je ne sentirais pas plus de tendresse. Je l’ai porté longtemps dans mes bras.

LE CHEVALIER.

Souviens-toi bien, au moins, de ce que tu me promets.

PELLERIN.

Oui, je m’en souviendrai. Mais il n’y a point de temps à perdre : votre Frère est amoureux de Babet, aussi bien que vous ; j’ai promis de le servir ; comment faire ? il faut le prévenir. J’entrevois quelqu’un... À heures au moins... vous la mènerez...

LE CHEVALIER.

Ne viendras-tu pas avec moi ?

PELLERIN.

Non, je resterai ici pour raccommoder toutes les affaires. Allez, vous dis-je, retirez-vous. Je ne me trompais point, et c’est justement l’épouse prétendue de Monsieur le Comte.

 

 

Scène X

 

PELLERIN, LÉONOR, LE CHEVALIER

 

LÉONOR.

Monsieur le Chevalier, n’avez-point vu Monsieur le Comte.

LE CHEVALIER.

Madame, il me semble que je l’ai vu tout à l’heure qui se promenait vers le bois.

PELLERIN.

Vous vous êtes trompé, car il est parti ce matin pour aller à la chasse.

LE CHEVALIER.

Je ne me trompais point, c’était lui-même.

PELLERIN.

Il m’avait pourtant dit qu’il irait à la chasse.

LÉONOR.

Il t’avait dit de dire qu’il y était allé.

PELLERIN.

Il faut que ce soit quelque chose comme cela.

LÉONOR.

Oh ! assurément. Pellerin, écoute. Monsieur le Chevalier, vous voulez bien que je lui dise un mot ?

LE CHEVALIER.

Volontiers, Madame, je me retire. Pellerin, au moins, je ferai tout ce que tu m’as dit.

PELLERIN.

Je le veux bien, faites, j’aurai soin du reste.

LE CHEVALIER.

Madame, je vous donne le bonjour.

 

 

Scène XI

 

PELLERIN, LÉONOR

 

LÉONOR.

Je vais vous rejoindre bientôt. Oh çà, Pellerin, il faut ici de la bonne foi, mon enfant. Je vois ici bien des choses que tu n’ignores pas, et c’est peut-être toi qui mené l’intrigue ; j’ai lieu de le croire, du moins par le mystère que tu viens toi-même de me faire. Le Comte, disais-tu, était allé à la chasse ; et je l’ai vu qui se promenait de la fenêtre où j’étais : voici déjà un mensonge. Une personne qui se défie, n’est pas longtemps sans découvrir les choses qu’elle veut savoir.

PELLERIN.

Je me donne au diable, Madame, si je comprends rien à tout ce que vous dites.

LÉONOR.

Voici ce qui me fera mieux entendre, tiens...

PELLERIN.

Effectivement, cela ouvre merveilleusement l’esprit.

LÉONOR.

Veux-tu me servir ?

PELLERIN.

De tout mon cœur.

LÉONOR.

Mais sincèrement ?

PELLERIN.

Vous n’avez qu’à parler : Êtes-vous amoureuse de Babet ?

LÉONOR.

Il n’est point ici question de Babet.

PELLERIN.

C’est que Babet est la maladie de ce Pays-ci.

LÉONOR.

C’est-à-dire que le Comte en est amoureux ?

PELLERIN.

Vous l’avez dit.

LÉONOR.

Tu vois bien que je n’ai pas été longtemps sans m’apercevoir de son changement. Tu connais, aussi-bien que moi, que ma gloire est trop intéressée dans tout ceci, pour souffrir qu’une affaire, qui traîne depuis si longtemps, se rompe sans la moindre cause apparente. Quand je n’aurais pour le Comte que de l’indifférence, et même du mépris, car il ne mérite pas que j’aie d’autres sentiments pour lui ; quand j’aurais, dis-je, de la haine, j’aurais les mêmes empressements que je te marque ; et l’éclat que notre mariage a fait dans toute la Province, ne me permet plus de prendre un autre parti désormais.

PELLERIN.

C’est-à-dire que vous voulez l’épouser, à quelque prix que ce soit ?

LÉONOR.

Où me jeter dans un Couvent, le reste de ma vie.

PELLERIN.

Oh ! par ma foi, gardez-vous-en bien, ce serait dommage.

LÉONOR.

Imagine donc ce que nous pouvons faire, avant que ce refroidissement, où le Comte est pour moi, s’augmente.

PELLERIN.

Et si je faisais en sorte que votre mariage fût conclu dès ce soir, que me donneriez-vous ?

LÉONOR.

Je te donnerais plus que tu n’oses espérer.

PELLERIN.

Écoutez, il faut, sans perdre de temps, que vous... Hé que diantre, il est impossible d’être seul un moment. Madame, avec votre permission. Pierrot, demeure ici, je vais te rejoindre ;

À part.

et je t’enseignerai comment il faut faire pour avoir une centaine de coups de bâton. Tenez, vous voyez bien ce Paysan-là, c’est un des rivaux de Monsieur le Comte.

LÉONOR.

Juste Dieu !

PELLERIN.

Retirons-nous un peu à l’écart, de crainte que ce maraud-là ne nous entende.

 

 

Scène XII

 

PELLERIN, PIERROT

 

PIERROT.

Parguié, nous verrons ce qu’aura fait Monsieur Pellerin ; il m’avait promis qu’il dirait à Babet que je l’aime bien, nous verrons c’en que son éloquence aura produit. J’aurais possible bien mieux fait de lui parler moi-même : on fait toujours bien de n’employer personne que soi dans ses affaires, et je crains bien de m’avoir confié au renard ; mais tout coup vaille, il n’y a rien de perdu, ce que je n’avons pas fait, je le ferons.

PELLERIN.

Au moins, ne manquez pas de faire avertir votre Père. Hé bien, qu’est-ce Pierrot ? que me donneras-tu pour une si bonne nouvelle ?

PIERROT.

Palsanguié, il faut que tu me disais c’en que c’est premier.

PELLERIN.

Non, je veux savoir auparavant ce que tu me donneras.

PIERROT.

Oh ! jarniguene, ne fais point comme cela le bouffon ; dis-le-moi vite.

PELLERIN.

Prie m’en donc bien fort.

PIERROT.

Oh parguié voire, je ne saurais tant faire de cérimonie, dis-le si tu veux.

PELLERIN.

Tu ne le sauras donc point.

PIERROT.

Morguié, je ne saurais tant faire de façons ; et je m’en vais, sans tant de préambule, la demander à son Père.

PELLERIN.

Tu gâteras tout.

PIERROT.

N’importe, je saurai à quoi m’en tenir.

PELLERIN.

Viens, viens, Pierrot, j’ai pitié de toi.

PIERROT.

Oh bien, dis-donc de prime-abord ce que tu as à me dire.

PELLERIN.

Tu allais mettre les affaires dans un état à ne pouvoir plus se raccommoder ; j’ai fondé le Père de Babet sur ton chapitre, il m’a d’abord fait voir beaucoup de difficultés ; mais enfin j’ai si bien fait, que je l’ai fait parler ; et après plusieurs épithètes, de franc butor, de grand cheval, de gros paysan, et de quelques autres encore, dont je veux bien faire grâce à ta modestie, il m’a déclaré tout net, qu’il étranglerait plutôt sa Fille que de te la donner.

PIERROT.

Est-ce donc là cette belle nouvelle que tu avais à me donner ? palsanguenne, qu’il s’aille promener : on fait toujours bien de l’honneur aux gens de rechercher leurs filles. S’il est il riche, qu’il dîne deux fois. Vienne qui plante, sont des choux ; si je n’ons celle-là, j’en aurons une autre. Adieu Pellerin, jusqu’au revoir, je ne serons pas toujours si malheureux ; palsanguenne, je m’en gausse.

PELLERIN.

Oh ! oh ! Pierrot, tu es bien prompt : tu t’en vas ?

PIERROT.

Oui, parguié.

PELLERIN.

Tu ne veux donc point savoir le reste ?

PIERROT.

Et quelque n’y a encore ?

PELLERIN.

Tu n’es pas il malheureux que tu crois ?

PIERROT.

Hé ! comment ?

PELLERIN.

Je t’ai gardé le meilleur pour la bonne bouche.

PIERROT.

Dis-donc vite.

PELLERIN.

Babet, malgré la résolution de son Père, n’en veut point avoir d’autre que toi.

PIERROT.

Tout de bon ?

PELLERIN.

Cela est si vrai, qu’à sept heures, si tu te veux trouver sous le gros orme là-bas, Babet s’y trouvera, pour te déclarer ses sentiments.

PIERROT.

Oui parguienne, je m’y trouverai.

PELLERIN.

Mais, écoute un peu, qu’elle ne te voie pas habillé comme te voilà ?

PIERROT.

Je mettrai mon habit des Dimanches.

PELLERIN.

Ce n’est pas là ce qu’elle souhaite. Quoiqu’il fasse nuit à sept heures, il n’importe, elle appréhende d’être surprise avec toi ; elle veut que tu te déguises en fille ; du moins par ce moyen, si quelqu’un survenait, on ne la soupçonnera pas de se trouver vec un homme.

PIERROT.

Parguié, elle n’a pas tort ; je m’en vais un peu songer à tout çà.

PELLERIN.

À sept heures au moins ?

PIERROT.

Allez, allez, ne vous boutez en peine de rien.

 

 

Scène XIII

 

PELLERIN

 

Parbleu, je vais faire aujourd’hui le bonheur ou le malheur de bien des gens ; mais il me reste encore un de mes rivaux à punir, il faut qu’il se sente un peu de tout ceci. Où le trouverai-je à présent ? il me cherche, je gage. Oh ! parbleu, Monsieur Vincent, il ne vous servira de rien d’être le neveu de notre Curé ; vous apprendrez ce que c’est que d’oser s’attaquer à moi : Je pense que je ferai mieux de l’aller trouver moi-même. Mais le voici tout à propos.

 

 

Scène XIV

 

PELLERIN, VINCENT

 

PELLERIN.

Oh çà ! Vincent, mon ami, il est près de sept heures, dépêchez-vous, il est presque nuit ; trouvez-vous fous cet orme, Babet y sera tout incontinent.

VINCENT.

Ah ! Monsieur Pellerin, que je vous ai d’obligation !

PELLERIN.

Allez, vous dis-je, ne perdez point de temps ; elle veut vous parler, elle vous en apprendra plus que je ne puis vous en dire.

VINCENT.

Palsanguenne, Monsieur Pellerin, si je l’épouse ; allez, nous ne boirons pas mal ensemble.

PELLERIN.

Allez, allez, alors comme alors.

VINCENT.

Je n’ai donc qu’à m’y rendre tout maintenant ?

PELLERIN.

Attendez qu’il fasse un peu plus nuit.

VINCENT.

J’aurai donc bien le temps d’aller raccommoder un banc dans le jardin de mon oncle ?

PELLERIN.

Oui, oui, allez : j’irai cependant avertir Babet.

VINCENT.

Adieu, Monsieur Pellerin.

PELLERIN.

Adieu, Vincent.

 

 

Scène XV

 

PELLERIN, M. GUILLAUME

 

PELLERIN.

Voilà Dieu merci les affaires dans le meilleur état du monde ; et je vois, je pense, Monsieur Guillaume à sa porte, je n’aurai pas la peine de l’aller chercher. Holà, Monsieur Guillaume, un mot, de grâce. Il faut l’écarter de chez lui, pour donner le temps au Chevalier de résoudre Babet à venir avec...

M. GUILLAUME.

Que voulez-vous ?

PELLERIN.

Vous parler un moment.

M. GUILLAUME.

Hé bien, je vous écoute.

PELLERIN.

Écartons-nous un peu de chez vous, et pour cause.

M. GUILLAUME.

Et la raison ?

PELLERIN.

Lorsqu’on est si près de chez soi, les affaires domestiques nous occupent ; on n’est jamais à ce que l’on nous dit, tout nous distrait. Si une femme querelle, on veut entendre ce qu’elle dit ; si quelqu’un entre ou sort, on en cherche la cause ; le cri d’un chien même donne de l’inquiétude, et comme ce que j’ai à vous dire, demande une application toute entière, je serai bien aise que rien ne nous détourne. Nous voici à-peu-près maintenant dans une distance raisonnable.

M. GUILLAUME.

Voici une montagne qui va enfanter une souris.

PELLERIN.

Je ne sais et ne dis jamais rien sans raison.

M. GUILLAUME.

Voyons-donc.

PELLERIN.

Je commence. Malgré la manière désobligeante dont vous avez reçu mes propositions pour votre fille Babet, je ne laisse pas d’avoir toujours pour tout ce qui vous regarde une dévotion sans pareille.

M. GUILLAUME.

Où diantre nous mènera ceci ?

PELLERIN.

Et sur certaines petites galanteries entre Vincent et Babet, dont je me suis aperçu depuis quelques jours, j’ai voulu approfondir la chose, et j’ai tant fait, que j’ai découvert entr’eux un rendez-vous aujourd’hui à sept heures.

M. GUILLAUME.

Un rendez-vous aujourd’hui, à sept heures ?

PELLERIN.

Oui, Monsieur ; mais je crois qu’il n’y a point de crime.

M. GUILLAUME.

Comment donc, il n’y a point de crime ?

PELLERIN.

Non, Monsieur, elle ne se trouvera peut-être là que pour la conversation.

M. GUILLAUME.

La conversation de Vincent ? Allons, allons vite, ne perdons point de temps : dis-moi au plutôt l’endroit : un bâton, un bâton : parle, enseigne-moi le lieu.

PELLERIN.

Monsieur, je ne vous le dirai pas, que premièrement vous ne m’ayez promis de ne vous servir de ce bâton que pour Vincent.

M. GUILLAUME.

Oui, oui, je te promets tout ce que tu voudras.

PELLERIN.

Pour votre Fille, quelques petits soufflets ne lui siéront point mal.

M. GUILLAUME.

Laisse-moi faire, ou faut-il que j’aille ?

PELLERIN.

Sous le gros orme qui est là-bas, je ne saurai vous le montrer à l’heure qu’il est, la nuit est trop obscure ; mais ils doivent passer par ici, nous les entendrons venir. Écoutez, j’entends quelqu’un, demeurez : Est-ce toi, Vincent ?

 

 

Scène XVI

 

PELLERIN, M. GUILLAUME, VINCENT.

 

VINCENT.

Oui.

PELLERIN.

Marche, il est temps.

Vincent sort.

C’est Vincent : tout cela, comme vous voyez, est dans l’ordre, le galant se trouve le premier au rendez-vous.

M. GUILLAUME.

Mais ma Fille ne vient point ?

 

 

Scène XVII

 

M. GUILLAUME, PELLERIN, PIERROT déguisé en fille

 

PELLERIN.

J’entends quelqu’un, c’est elle, sans doute. Oui, allez, suivez-là ; ne faites point de bruit, sur la pointe des pieds marchez doucement, frappez bien fort, et ne manquez pas de faire passer la chasse par ici.

M. GUILLAUME.

Je le ferai.

 

 

Scène XVIII

 

PELLERIN, seul

 

Allons, apprêtons-nous, et qu’ils ne passent point par ici sans s’en apercevoir. Bon pied, bon œil ! ah parbleu, je les vais étriller en gens de bonne maison. Je crois déjà que la Tragédie commence, j’entends crier, j’entends courir.

 

 

Scène XIX

 

PELLERIN, VINCENT

 

VINCENT.

Ah, ah, ah !

PELLERIN.

Ah ! c’est ici mon tour.

VINCENT.

Au meurtre, on m’assomme.

PELLERIN.

Ce maraud, comme diable il crie ?

VINCENT.

Ah ! j’ai les bras cassés.

PELLERIN.

Le voici.

VINCENT.

Ah, ah, ah ! que de frappeurs, je suis mort.

PELLERIN.

Ah ! j’enrage de n’avoir pas mieux vu à ce que je faisais, il n’en aurait pas été quitte à si bon marché.

 

 

Scène XX

 

PELLERIN, M. GUILLAUME, PIERROT déguisé en fille

 

M. GUILLAUME.

Ah, ah petite vilaine ! vous donnez donc des rendez-vous ?

PELLERIN.

Voici Monsieur Guillaume qui revient.

M. GUILLAUME.

Ah ! je vous apprendrai...

PIERROT.

Mon Père, je vous demande pardon ?

M. GUILLAUME.

Ah, ah, coquine.

PIERROT.

Mon Père, ah, ah, ah !

M. GUILLAUME.

Ah ! que vois-je ? voici une pièce de Pellerin : mais il me le paiera, sur ma parole.

 

 

Scène XXI

 

PIERROT, VINCENT, PELLERIN

 

VINCENT.

Jarniguenne, que j’ai manqué là une belle occasion ! morgué, si je pouvais retrouves Babet ?

PIERROT.

J’entends Vincent, divertissons-nous.

VINCENT.

Qui est là ?

PIERROT.

Ami.

VINCENT.

N’est-ce pas là ma chère Babet ?

PIERROT.

Oui, Vincent.

VINCENT.

Oh ! jarniguenne, vous viendrez avec moi ?

PIERROT.

Je n’oserais.

VINCENT.

Oh ! ventriguenne vous viendrez ?

PIERROT.

Ah ! ah, ah !

PELLERIN.

Par ma foi, cela est tout-à-fait drôle, je ne fais ce que le Chevalier aura fait : mais je lui ai donné du temps suffisamment.

 

 

Scène XXII

 

M. DE LA DAVOISIÈRE, M. DE LA SOSIÈRE, PELLERIN

 

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Pellerin, qu’est-ce donc que tout ceci ?

PELLERIN.

Quoi ?

M. DE LA SOSIÈRE.

Il ne fallait point que votre Fils le Comte enlevât ma Fille, puisque je la lui voulais bien donner.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Je n’y comprends rien.

 

 

Scène XXIII

 

M. DE LA DAVOISIÈRE, M. DE LA SOSIÈRE, M. GUILLAUME, PELLERIN

 

M. GUILLAUME.

Ah, ah, ah ! je suis perdu, malheureux père que je suis ; que deviendrai-je ?

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Qu’y a-t-il ?

M. GUILLAUME.

Ah ! Moniteur, ma Fille est enlevée.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Votre Fille est enlevée ?

M. GUILLAUME.

Oui, Monsieur ; et c’est votre Fils le Chevalier qui l’a enlevée.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Mon fils le Chevalier !

 

 

Scène XXIV

 

M. DE LA DAVOISIÈRE, M. DE LA SOSIÈRE, PELLERIN, M. GUILLAUME, VINCENT, PIERROT

 

PIERROT.

Au secours, au secours.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Qu’est-ce encore ?

PIERROT.

C’est Vincent qui me veut enlever.

M. DE LA SOSIÈRE.

Mais ! que vois-je ? ma Fille vêtue en Paysanne ?

 

 

Scène XXV

 

M. DE LA DAVOISIÈRE, M. DE LA SOSIÈRE, PELLERIN, M. GUILLAUME, VINCENT, PIERROT, LE COMTE, LÉONOR

 

LÉONOR.

Oui, mon Père, c’est moi ; et si je ne m’étais servie de cette adresse, je perdais le Comte pour jamais.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Comment donc, Monsieur le Comte ?

LE COMTE.

Mon Père, je vous avoue que je m’étais laissé surprendre aux charmes de Babet ; je devais l’enlever. Pellerin la devait conduire dans l’endroit où je l’attendais, et je ne sais comment cela s’est fait, j’ai enlevé Léonor à sa place.

M. GUILLAUME.

Ah traître ! c’est toi qui a mené toute cette intrigue, mais je te ferai pendre, si tu ne me dis où est ma Fille.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Monsieur Guillaume, ne vous emportez point, je ne vois rien d’effroyable à tout cela ; le Chevalier a enlevé votre Fille, il faut qu’il l’épouse. Vous avez du bien ; faites un effort, et que toutes les choses se passent dans la douceur.

M. GUILLAUME.

Il faut bien y consentir malgré moi.

PELLERIN.

Messieurs, puisque vous êtes tous d’accord, remerciez-moi, je suis celui qui ai conduit toute cette affaire ; je vais faire venir le Chevalier et Babet.

M. DE LA SOSIÈRE.

Je suis ravi que tout ceci se termine de la sorte.

VINCENT.

Je ne vois que Pierrot et moi, qui devons nous plaindre.

 

 

Scène XXVI

 

M. DE LA DAVOISIÈRE, M. DE LA SOSIÈRE, PELLERIN, M. GUILLAUME, VINCENT, PIERROT, LE COMTE, LÉONOR, BABET, LE CHEVALIER

 

PELLERIN.

Allons, entrez : tout est d’accord.

BABET.

Mon Père, je vous demande pardon.

M. GUILLAUME.

Il faut bien que je te pardonne.

LE CHEVALIER.

Mon Père.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Allez, allez, je suis content.

PELLERIN.

Vous faites bien, car j’ai peur que le mariage ne soit bien avancé : voilà par mon adresse bien des unions en un jour ; Monsieur le Comte et Madame Léonor, Monsieur le Chevalier et Madame Babet. Vincent n’a qu’à épouser Pierrot, j’épouserai Monsieur Guillaume.

PIERROT.

Vas, vas, laisse faire, tu me la paieras.

M. DE LA DAVOISIÈRE.

Allons tous dans le Château, nous remettre un peu de ces alarmes. 

PDF