La Fille bien gardée (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 6 septembre 1850.

 

Personnages

 

SAINT-GERMAIN, chasseur de la baronne

ROCAMBOLE, carabinier

LA BARONNE DE FLASQUEMONT

BERTHE, sa fille (sept ans)

MARIE, femme de chambre

 

À Paris, dans l’hôtel de la baronne.

 

Une chambre richement décorée et meublée ; au fond, au milieu, une alcôve dont les rideaux sont fermés ; au fond, à droite, la porte principale, ouvrant sur une antichambre ; portes latérales, à droite et à gauche, au deuxième plan : celle de droite conduisant à la chambre de la baronne, celle de gauche à la chambre de Marie, à droite, premier plan, une fenêtre, près de laquelle sont un guéridon et un fauteuil ; à gauche, premier plan, une cheminée avec une glace ; près de la cheminée, une toilette et un fauteuil ; à droite et à gauche, troisième plan, un petit meuble, tapis, fleurs, flambeaux allumés.

 

 

Scène première

 

MARIE, puis LA BARONNE, puis SAINT-GERMAIN

 

MARIE, fermant les rideaux de l’alcôve avec humeur.

À la fin des fins, elle dort... c’est pas malheureux !... Quelle scie que les enfants !... celle-là surtout... elle est gâtée !...

S’adressant au lit.

Si t’étais à moi, va !... je t’en flanquerais de la docilité...

LA BARONNE, sortant de sa chambre en toilette de bal.

Marie, vous avez couché la petite ?...

MARIE, gracieuse.

Oui, madame...

Soulevant un coin du rideau de l’alcôve.

Elle dort comme un petit ange... voyez.

LA BARONNE, regardant.

Pauvre chérubin !... est-elle jolie comme ça !...

MARIE.

Ah ! et bonne ! et douce ! je le disais encore tout à l’heure...

LA BARONNE, lui envoyant des baisers.

Dors, chère enfant !... dors bien, ma petite Berthe !...

MARIE, envoyant aussi des baisers.

Oui, dors bien pauvre petit agneau !

LA BARONNE, mettant ses bracelets.

Elle est un peu souffrante aujourd’hui... Ah ! je suis contrariée... Cette soirée à laquelle je ne puis me dispenser d’aller... quel ennui !

SAINT-GERMAIN, en grande livrée de chasseur, paraissant à la porte d’entrée.

Madame la baronne est attelée !...

Il tousse.

LA BARONNE.

Comment, je suis attelée ?

SAINT-GERMAIN.

Pardon, je veux dire : la voiture...

Il tousse.

de madame la baronne est...

Il tousse, à part.

Crénom !

MARIE, à Saint-Germain.

Toussez donc plus bas !... vous allez réveiller Mademoiselle...

LA BARONNE.

En effet, qu’avez-vous donc, Saint-Germain ?...

SAINT-GERMAIN.

Madame la baronne m’honore, c’est les bronches.

LA BARONNE, indiquant la fenêtre ouverte.

Et vous restez là, entre deux airs ?...

Elle va à sa toilette.

SAINT-GERMAIN.

Madame m’honore.

On entend sous la fenêtre la musique bruyante d’un quadrille.

LA BARONNE, se retournant.

Hein ?

MARIE.

C’est encore la musique de ce vilain bal public...

SAINT-GERMAIN, à part.

Ça fait trois airs.

La musique continue, Marie et Saint-Germain marquent machinalement la mesure du quadrille par un mouvement de tête et de hanches.

LA BARONNE.

Ah ! oui... n’appelle-t-on pas ça le bal Mabille ?... charmant établissement, qui est venu se placer juste sous les fenêtres de mon hôtel... et qui me forcera à déménager.

À Saint-Germain, qui s’arrête tout à coup dans sa cadence.

Mais, Saint-Germain, fermez donc cette fenêtre...

Marie court à la fenêtre.

SAINT-GERMAIN.

J’y songeais...

MARIE, apercevant la cage et la prenant.

Ah ! mon Dieu ! Et la perruche que j’ai oublié de rentrer !...

Elle donne la cage à Saint-Germain et ferme la fenêtre.

SAINT-GERMAIN.

Me sera-t-il permis de donner un conseil à madame la baronne, relativement à cet oiseau des salons ?

LA BARONNE.

Qu’est-ce que c’est ?

SAINT-GERMAIN.

Si j’étais madame la baronne, je ne suspendrais plus ma perruche au-dessus de cet établissement public...

LA BARONNE.

Pourquoi ?

SAINT-GERMAIN.

Elle y apprend des locutions... à faire rougir Cambronne... qui pourtant n’était pas chipie !...

LA BARONNE.

Comment !...

SAINT-GERMAIN.

Air : Depuis longtemps j’aimais Adèle.

Hier, poliment je la questionne :

« As-tu déjeuné, mon Jacquot ? »

Elle me répond... mais d’vant m’am’ la baronne,

Je n’os’rai pas redir’ ce vilain mot...

LA BARONNE.

Quel mot ? parlez...

SAINT-GERMAIN.

Oh ! jamais !

LA BARONNE.

Je l’ordonne !

SAINT-GERMAIN.

Madam’ l’exige... Eh bien, à cet oiseau,

J’ demande : « As-tu déjeuné, ma mignonne ? »

Ell’ me répond... : « Oui, oui, oui, vieux chameau ! »

Ell’ m’a traité, madam’, de vieux chameau !

LA BARONNE et MARIE.

Oh ! l’horreur !

LA BARONNE.

Demain, nous lui chercherons une autre place.

Saint-Germain la pose à gauche sur un meuble.

Pauvre petite bête ! j’y tiens ! je ne la donnerais pas pour dix louis... c’est le dernier présent de mon mari, feu M. le baron de Flasquemont,

Saint-Germain soulève son chapeau.

chevalier de Saint-Louis ;

Même jeu.

commandeur de l’ordre de Ferdinand,

Même jeu.

grand cordon de Westphalie.

SAINT-GERMAIN, même jeu et à part.

C’est ça qui use les chapeaux.

LA BARONNE, continuant.

Et marguillier honoraire de Saint-Jean-de-Latran... à Rome !

SAINT-GERMAIN.

Oh... !

Il se découvre tout à fait et s’incline.

LA BARONNE.

Très bien... j’aime ces témoignages de respect...

SAINT-GERMAIN.

Quand il s’agit de rendre hommage...

Il tousse. À part.

Cré nom !...

LA BARONNE.

Ce pauvre Saint-Germain !... Vous avez là une bien mauvaise toux.

SAINT-GERMAIN.

Madame m’honore... ça se passera cette nuit...

LA BARONNE.

Cette nuit ! en restant jusqu’à quatre ou cinq heures du matin dans un vestibule ouvert à tous les vents !... il n’en faudrait pas davantage pour attraper une bonne fluxion de poitrine...

SAINT-GERMAIN.

C’est Madame qui l’est, bonne... de poitrine...

LA BARONNE.

Je me passerai de vous ce soir... Joseph vous remplacera. Quant à vous, Marie... Comment ! vous voilà encore à coudre, à l’heure qu’il est ?

MARIE.

Madame sait bien que je n’aime pas à me croiser les bras...

Saint-Germain décroise vivement ses bras et se jette après un fauteuil qu’il frotte avec acharnement.

LA BARONNE.

Vous aussi, Saint-Germain ? laissez cela...

SAINT-GERMAIN, résistant.

Non, madame ! non, madame !

LA BARONNE.

Assez !... je le veux !... Allez vous reposer tout de suite...

SAINT-GERMAIN.

Ah ! madame, quand on ne travaille pas, le pain qu’on mange est bien amer !...

LA BARONNE, à part.

Pauvre garçon ! quelle noblesse de sentiments !

Haut.

Marie... rentrez aussi... je l’exige.

MARIE.

C’est pour obéir à madame la baronne.

LA BARONNE.

Vous laisserez votre porte ouverte... la petite pourrait se réveiller... Ah ! à minuit, n’oubliez pas de lui donner son loch.

MARIE.

Soyez tranquille, Madame.

LA BARONNE.

Vous êtes une fille sûre et je compte sur vous comme sur moi-même...

SAINT-GERMAIN.

Oh ! nous aimons tant mademoiselle Berthe !...

MARIE.

C’est un ange !

SAINT-GERMAIN.

Un archange !

LA BARONNE, épanouie.

Oh ! oh !... elle est gentille, je ne dis pas...

À part.

Vraiment, j’ai là de biens bons serviteurs !...

Haut.

Allons ! ayez bien soin de ma fille, ne la contrariez en rien, et surtout ne la laissez pas pleurer.

MARIE et SAINT-GERMAIN.

Oh ! madame !

Ensemble.

Air : Adieu donc, et que la nuit... (L’Homme aux souris).

LA BARONNE.

Je puis, jusqu’à mon retour,

Me fier à votre zèle,

Je ne reviendrai près d’elle

Qu’au point du jour.

SAINT-GERMAIN et MARIE.

Oui, jusqu’à votre retour,

Fiez-vous à notre zèle ;

Car nous veillerons sur elle

Avec amour.

Au milieu de l’ensemble, Saint-Germain prend un flambeau et se dispose à éclairer la baronne.

LA BARONNE.

Restez, Saint-Germain, vous pourriez attraper du froid.

SAINT-GERMAIN.

Madame m’honore.

La baronne sort par le fond.

 

 

Scène II

 

SAINT-GERMAIN, MARIE

 

Saint-Germain et Marie restent un moment à la porte du fond, l’oreille au guet. On entend le bruit de la voiture qui s’éloigne. Aussitôt Marie et Saint-Germain redescendent la scène en dansant et en chantant en sourdine.

TOUS DEUX.

Drinn ! drinn ! drinn !

MARIE.

La v’là partie !...

SAINT-GERMAIN.

Amour de baronne !... elle va gigoter jusqu’à l’aurore... nous avons le temps de faire les quatre cent dix-neuf coups !...

MARIE.

Ah ! si tu n’avais pas mal aux bronches !

SAINT-GERMAIN.

Moi ? cruche naïve ! elle a aussi ingurgité le goujon ?

MARIE.

Mais cette toux ?...

SAINT-GERMAIN.

Chère amie, retiens cette annotation... Règle générale : quand je tousse... c’est que j’ai avalé de travers !

MARIE.

Comment !... tout à l’heure, en entrant ?...

SAINT-GERMAIN.

J’étais en train de me former une opinion sur le nouveau cognac de madame la baronne... C’est de la drogue, je préfère l’ancien. Tout à coup j’entends la voix de Madame... alors, tu comprends... la crainte d’être gobé, j’aurai pris un tuyau pour l’autre et... voilà !... Du reste, l’homme est complet !... n’y a pas de dégâts !...

Lui prenant la taille.

À preuve !... Dis donc, Marie, nous voilà propriétaires de notre nuit...

MARIE, baissant les yeux.

Qu’est-ce que nous allons en faire, monsieur Saint-Germain ?

SAINT-GERMAIN, la regardant tendrement.

Dame... si nous mangions !...

MARIE, le repoussant.

Ah ! tu m’ennuies !... il ne pense qu’à ça !

Musique au-dehors.

SAINT-GERMAIN.

Tiens, une polka !

Marie remonte.

Oh ! ça vous fait fourmiller... Je danserais sur la tête !... et toi ?...

MARIE, pudiquement.

Sur la tête !... Monsieur Saint-Germain, je n’ai pas de sous-pieds...

SAINT-GERMAIN.

Bégueule !... Oh ! une idée !... Marie, es-tu un homme ?

MARIE.

Qu’il est bête ! tu vois bien que non...

SAINT-GERMAIN.

Raison de plus ! descendons chez Mabille !... hein ?

MARIE.

Tiens ! tiens ! Tiens ! ma cousine Ursule doit y venir...

SAINT-GERMAIN.

Ursule ! une boulotte, avec des taches de rousseur ?

À part.

Elle me va !...

MARIE.

Avec son cousin le carabinier...

À part.

V’là un bel homme !

SAINT-GERMAIN.

Carabinier ! il était lancier la semaine dernière, son cousin... il a donc changé de corps ?

MARIE.

Non, c’est elle... qui a changé de cousin...

SAINT-GERMAIN, à part.

Drôle de boulotte !... elle me va !

Haut.

Voyons, ça y est-y ?

MARIE.

Bah ! ça y est !

SAINT-GERMAIN.

Très bien ! va mettre ta robe de soie...

MARIE.

J’y cours.

Elle remonte.

Ah ! mon Dieu !

SAINT-GERMAIN.

Quoi donc ?

MARIE.

Et la petite ?...

SAINT-GERMAIN.

Bah ! les enfants, ça dort dur... nous viendrons entre deux quadrilles lui flanquer son médicament...

MARIE, se décidant.

Ah ! bats ! prout !... Allons-y !

Saint-Germain lui prend les mains et la reconduit en chantant et en dansant.

Air : Fadet ! Fadet !

MARIE et SAINT-GERMAIN.

Eh hop ! eh hop !

Un temps de galop !

Galopons comme

À l’Hippodrome !...

MARIE, parlé.

Plus bas donc !

SAINT-GERMAIN, parlé.

C’est juste !

Reprenant ensemble en sourdine.

Eh hop ! eh hop ! galopons tout bas,

Et macadamisons nos pas.

Il l’accompagne en dansant jusqu’à la porte de gauche ; Marie disparaît.

 

 

Scène III

 

SAINT-GERMAIN, puis BERTHE

 

SAINT-GERMAIN.

Vite, à ma toilette !... quand je dis ma toilette... c’est celle de la baronne... mais je m’en sers...

Il s’approche de la toilette et s’assied.

Où est ma pommade ?

Flairant un pot.

Violette !... c’est bien ça !... hum ! quel fumet !... on en mangerait...

Il emplit sa main de pommade et se beurre les cheveux.

Encore ! il faut que ça reluise... bah ! je vais finir le pot !

Se levant et descendant la scène.

C’est pourtant avec cette chevelure que j’empaume les femmes !... J’ai surtout là... sur la gauche... une petite gredine de mèche qui leur fait oublier toutes les bienséances !

Air du Beau Nicolas.

Quand je parais avec ma mèche,

Au milieu d’un timide essaim,

Soudain le cœur le plus revêche

Mollit à son chic assassin !

De Cupidon elle est la flèche,

Elle est l’hameçon des amours...

Et j’entends redire toujours :

« D’lui résister, il n’y a pas mèche !

Gredin’ de mèche !

Mais voyez donc comme ell’ lui va !

Qu’il est bien, ce scélérat-là !

Ah ! Qu’il est bien, c’scélérat-là !

Fichtre ! qu’il est bien, ce gueux-là ! »

Ursule, méfie-toi !... j’ai idée que nous allons jouer au carabinier détrôné !...

Il retourne à la toilette.

BERTHE, dans l’alcôve, comme un enfant qui se réveille.

Houin !

SAINT-GERMAIN, sans se déranger.

Qu’est-ce que c’est ?... entrez !...

Fouillant dans le tiroir.

Tiens ! un pot de rouge !... Il paraît que la baronne de Flasquemont se...vieille drôlesse !

Il replace le pot.

Où est mon eau de Portugal ?

BERTHE, dans l’alcôve.

Houin !...

SAINT-GERMAIN.

Entrez !

Trouvant un flacon.

Ah ! voilà !... quel parfum !... on en boirait !...

Inondant son mouchoir.

Là !... encore ! bah !... je vais finir la bouteille !... je serai marié cette année !

Il verse le reste de la bouteille dans son estomac.

BERTHE, même jeu, plus fort.

Houin !... maman !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Ah ! bigre !... la moucheronne qui se réveille !...

Il remonte et écoute.

Elle repionce d’achar...

BERTHE, dans l’alcôve, nouveau cri plus prolongé.

Hé... é... é... é !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Ah çà, mais... sacrebleu !... ça ne va pas finir ?

BERTHE, passant sa tête entre les rideaux.

Tiens ! tu prends la pommade à maman !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Prelotte !...

Haut.

Du tout, mademoiselle, je range... je range...

Il referme vivement le tiroir, et passe à droite.

BERTHE.

Viens par ici.

SAINT-GERMAIN, s’avançant décontenancé et respectueux.

Moi ?... voilà !... Mademoiselle la baronne a besoin de mes services ?...

BERTHE.

Plus près... J’ai à te parler.

SAINT-GERMAIN, avançant d’un pas.

Mademoiselle m’honore !

BERTHE.

Quelle heure est-il ?

SAINT-GERMAIN, il regarde la pendule.

Neuf heures sept...

BERTHE.

Où est maman ?...

SAINT-GERMAIN.

Madame est en soirée...

BERTHE.

Et Marie ?

SAINT-GERMAIN.

Elle est couchée... elle fait dodo... et, s’il m’était permis de donner un conseil à mademoiselle la baronne...

BERTHE.

Tais-toi.

SAINT-GERMAIN.

Oui, mademoiselle.

BERTHE.

Apporte-moi ma poupée.

SAINT-GERMAIN.

Mais, cependant...

BERTHE, menaçant.

Hein ?...

SAINT-GERMAIN.

Oui, mademoiselle.

Il prend sur une chaise, à gauche, une énorme poupée,

BERTHE.

Non, c’est inutile, je n’en veux plus... va-t’en...

SAINT-GERMAIN.

Oui, mademoiselle...

BERTHE.

Non, reviens !

SAINT-GERMAIN, revenant.

Oui, mademoiselle !

À part.

Ah ! mais !... voilà une môme qui m’embête !...

BERTHE.

Bah ! je vais me lever !...

Elle disparaît dans l’alcôve.

SAINT-GERMAIN, posant la poupée sur une chaise, à droite, troisième plan.

Par exemple ! vous lever !... il ne manquerait plus que ça...

BERTHE, paraissant, elle est en toilette de nuit, longue chemise-blouse lui tombant jusque sur les pieds.

Me voilà !.

SAINT-GERMAIN, à part.

Fichtre !... et mon bal ! et Ursule ! et Marie qui met sa robe de soie !

BERTHE.

Vois-tu, mon petit Saint-Germain, c’est demain la fête de maman... et je vais l’attendre pour lui réciter le compliment que tu m’as appris.

SAINT-GERMAIN, à part.

Allons, bon !...

Se baissant pour lui parler.

Mais, mademoiselle, recouchez-vous, je vous réveillerai !...

BERTHE, se reculant.

Dieu ! que tu sens mauvais !

SAINT-GERMAIN.

Par exemple !... la violette !...

BERTHE.

Ah ! tu vois bien que tu prends la pommade à maman !

SAINT-GERMAIN, à part.

Prelotte !... elle me colle !...

BERTHE.

Voyons, fais-moi jouer... amuse-moi...

Elle remonte.

SAINT-GERMAIN.

Je ferai remarquer à mademoiselle la baronne que l’heure avancée...

BERTHE, frappant du pied.

Amuse-moi, ou je vais pleurer !...

SAINT-GERMAIN, vivement.

Voilà ! voilà !

La prenant par la main, chantant et marchant.

Promenons-nous dans les bois,

Pendant que le loup...

BERTHE, lui donnant une tape.

Pas ça !

SAINT-GERMAIN.

Ah !

Criant.

Zut ! au berger !

BERTHE.

Pas ça !

SAINT-GERMAIN.

Ah !...

Se courbant comme pour jouer au cheval fendu.

Allez ! sautez !

BERTHE, s’impatientant et le poussant.

Mais non, pas ça.

SAINT-GERMAIN, à part.

V’là un insecte qu’est difficile à amuser !

BERTHE.

J’ai trouvé !... nous allons jouer à la marchande !

Elle remonte et va prendre au fond une ombrelle, un éventail, un sac.

SAINT-GERMAIN.

Qu’est-ce que c’est que ça !

BERTHE.

Assieds-toi là... tu vas voir...

SAINT-GERMAIN, s’asseyant dans le fauteuil, à droite, à part.

Elle m’embête !... Faut pourtant que je la replaque dans son lit...

BERTHE, descendant la scène, en tenant l’ombrelle ouverte et jouant de l’éventail.

Ah ! vraiment, la chaleur est accablante... je succombe !...

SAINT-GERMAIN, à part.

As-tu fini tes manières... Petit singe, va !...

BERTHE, faisant une révérence à Saint-Germain.

Bonjour, madame !

SAINT-GERMAIN.

Qui ça ?... moi ?...

BERTHE.

Mais oui ! puisque tu es la marchande !

SAINT-GERMAIN.

Ah !... allez !...

BERTHE.

Je recommence.

Saluant.

Bonjour, madame !

SAINT-GERMAIN, lui rendant sa révérence.

Votre servante, madame !...

À part, en se rasseyant.

Si tu savais comme tu m’embêtes !...

BERTHE.

Je voudrais voir des chapeaux...

SAINT-GERMAIN, d’une grosse voix.

La boutique est fermée...

BERTHE, menaçant.

Rouvre-la, ou je vais pleurer...

SAINT-GERMAIN.

Voilà ! voilà !... elle est ouverte !... Cric ! crac !

À part.

Cré môme !...

BERTHE.

Il me faudrait un chapeau très élégant, oh ! mais très élégant !... avec des roses pompon... c’est pour sortir avec mon mari...

SAINT-GERMAIN, à part.

Son mari !... Mouche-toi donc, gamine...

BERTHE.

Avez-vous cela, madame ?...

SAINT-GERMAIN.

Certainement, madame.

Il se lève.

BERTHE.

Voulez-vous me l’essayer, madame ?

Elle lui donne son ombrelle qu’il ferme et qu’il garde à la main.

SAINT-GERMAIN.

Avec plaisir, madame.

Il feint de lui essayer le chapeau.

BERTHE.

Ah ! délicieux ! charmant ! ravissant !

Air : De grâce, regardez-moi ! (Secrets du diable).

Voyez comme il est coquet.

Ah ! que ce chapeau me plaît !

Cette ravissante coiffure

À Longchamps va faire un effet !

Et tous les dandys, en secret,

Diront, admirant ma figure :

« Voyez comme il est coquet !

Ah ! que ce chapeau me plaît !

Ah ! grand Dieu ! qu’il est coquet !

Il est parfait ! »

SAINT-GERMAIN.

Si ça ne fait pas transpirer !

BERTHE.

À présent, à ton tour !

Elle lui donne le sac et l’éventail.

SAINT-GERMAIN.

À mon tour... quoi ?...

BERTHE.

Je suis la marchande, tu vas faire la dame.

Elle va s’asseoir dans le fauteuil de droite.

SAINT-GERMAIN.

Ah çà ! est-ce que nous allons jouer à ça toute la nuit ?... J’ai affaire, moi...

BERTHE, assise.

Vite, vite ! je t’attends !

SAINT-GERMAIN.

Voilà ! Voilà !

À part.

Si ça continue, Mabille sera fermé...

Il passe le sac autour de son bras, ouvre l’ombrelle et s’avance vers Berthe en marchant d’une façon grotesque.

En voilà un métier !

Haut.

Bonjour, madame.

BERTHE.

Que vois-je ? Madame la marquise !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Me v’là marquise à présent !...

Gaiement.

Drôle de petit crapaud !...

BERTHE.

Mon Dieu ! que vous êtes donc fraîche et jolie ce matin !

SAINT-GERMAIN, minaudant.

Ah ! flatteuse !

À part.

Cré nom ! je fumerais bien une pipe !

BERTHE.

Que vous vendrai-je aujourd’hui, madame la marquise ?

SAINT-GERMAIN, d’une grosse voix.

Quatre sous de caporal, et un verre de vieille !

BERTHE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

SAINT-GERMAIN.

Vous n’en tenez pas ?... très bien !... je vais voir... à la Ville de Paris !...

À part.

Crac ! je la lâche...

Il remonte.

BERTHE, sautant vivement à bas de son fauteuil.

Où allez-vous donc, madame ?

SAINT-GERMAIN.

Rejoindre mon mari... qui m’attend sur le carré...

BERTHE.

Qu’est-ce qu’il fait, votre mari ?

SAINT-GERMAIN.

Il est médecin... Bonsoir !

BERTHE.

Vite ! faites-le entrer, car je souffre... je souffre horriblement !

Elle s’assied dans un fauteuil à gauche.

SAINT-GERMAIN, revenant effrayé.

Ah ! mon Dieu !

BERTHE.

C’est pour rire, bêta ! nous allons jouer à la malade.

SAINT-GERMAIN.

Encore !

À part.

Ah çà ! elle ne me lâchera pas de la nuit ! en v’là un puceron !

Haut.

Mademoiselle, permettez-moi de vous faire observer...

BERTHE, d’une voix languissante.

Enfin, vous voilà, docteur ; bonjour, docteur !...

SAINT-GERMAIN.

Non... permettez...

BERTHE, de même.

Ah ! je suis bien patraque aujourd’hui ! j’ai les nerfs dans un état... et mon pauvre coeur...

SAINT-GERMAIN, à part.

Utilisons sa débauche d’esprit.

Haut.

Voyons la langue...

Berthe tire la langue.

Oh ! oh ! voilà une mauvaise langue... Voyons le pouls...

Il lui prend la main.

Oh ! oh ! voilà un mauvais pouls...

BERTHE.

Qu’ordonnez-vous, docteur ?

SAINT-GERMAIN.

Il faut se flanquer au lit...

BERTHE.

J’y pensais...

SAINT-GERMAIN, à part.

Bravo ! elle donne dedans.

BERTHE, se renversant dans le fauteuil.

Ah ! docteur !

SAINT-GERMAIN.

Plaît-il ?

BERTHE, d’une voix mourante.

Je crois que je vais me trouver mal !

SAINT-GERMAIN.

Ça m’arrange... Oh ! la pauvre enfant !... oh ! la pauvre enfant !...

Il la prend dans ses bras et la porte avec précaution sur le devant de la scène, en la berçant et en chantant à demi-voix.

Air : Dodo, l’enfant do.

L’ordonnance du médecin,

Est que l’on couche la malade ;

Demain il faut qu’ell’ prenne un bain

Et deux verres de limonade ;

Mais qu’elle dorm’ jusqu’au matin,

Ou... j’luis fais boir’ du chicotin !

Oh ! du chicotin... qui est si amer ! Non, non, docteur... elle dormira...

Très doucement.

Elle dort !

Achevant l’air.

Dodo, l’enfant do !

L’enfant dormira tantôt !

Il la porte doucement vers l’alcôve et la dépose dans son lit.

 

 

Scène IV

 

SAINT-GERMAIN, MARIE, puis BERTHE

 

MARIE, entrant ; elle est en robe de soie.

Eh bien, es-tu prêt pour aller à Mabille ?

SAINT-GERMAIN.

Chû-û-ût !

MARIE.

Qu’est-ce que tu fais ?

SAINT-GERMAIN.

La petite s’est réveillée... elle vient de faire une vie de polichinelle... j’en sue...

MARIE.

Ah ! mon Dieu !

SAINT-GERMAIN.

Mais la v’là rendormie.

MARIE.

Alors, dépêche-toi !

SAINT-GERMAIN.

Au fait, Ursule doit être arrivée... Un coup de brosse... et je suis reluisant comme le louis d’or que me donnera demain la baronne...

Il met le pied sur le fauteuil de gauche et se brosse.

MARIE.

À toi ?...

Elle met le pied sur le fauteuil de droite pour rattacher le cordon de sa bottine.

SAINT-GERMAIN.

Quelque peu.

MARIE.

Et pourquoi ?

SAINT-GERMAIN.

Pour mes verses.

MARIE.

Tiens ! tu fais des vers, toi ?

SAINT-GERMAIN.

Quelque peu.

MARIE.

Français ?

SAINT-GERMAIN.

Autant que possible... Veux-tu que je t’en déclame ?

MARIE.

C’est-y long ?

SAINT-GERMAIN.

Huit pieds... les uns dans les autres.

MARIE.

Non ! ça durera-t-il longtemps, je te demande ?

SAINT-GERMAIN.

Tu le verras... c’est un compliment pour la fête à Madame... et que j’ai seriné sournoisement à la moucheronne...

MARIE.

Dépêche-toi...

À part, se tournant vers la fenêtre.

Je sens comme un parfum de carabinier.

SAINT-GERMAIN.

Voici... c’est la gamine qui parle...

Imitant la voix d’un enfant. Présentant sa brosse.

Daigne agréer, maman baronne,

Ce bouquet si frais, si mignon :

Il est fait de roses pomponnes...

MARIE.

Est-ce qu’on dit roses pomponnes ?

SAINT-GERMAIN.

En vers, pour la rime.

Galamment.

Et puis les roses, ne sont-elles pas du beau sexe ?...

MARIE, flattée.

Ah !

SAINT-GERMAIN, à part.

Elle croit que c’est pour elle... Bécasse !

Reprenant.

Il est fait de roses pomponnes ;

Mais va ! du cœur qui te le donne

Non, non, l’amour n’est pas pompon !

Parlé.

C’est-il tapé, ça ?...

MARIE.

Ah ! oui... Mais qu’est-ce que c’est qu’un amour pas pompon ?

SAINT-GERMAIN.

Comment ! tu ne comprends pas ?... Roses pomponnes... petites roses !... amour pas pompon... grand amour !

MARIE.

Oh ! mais a-t-il de l’esprit !

À part.

C’est égal, il est trop roquet...

SAINT-GERMAIN, à part.

Tromper une si bonne fille !... J’ai des remords... mais je polke dessus.

Il fait un pas de polka. On entend un signal sous la fenêtre :

Broû-oû-oûp !... Quel est ce gargouillement ?

MARIE.

C’est Rocambole.

SAINT-GERMAIN.

Rocambole ?

MARIE.

Le carabinier.

SAINT-GERMAIN, soupçonneux.

Et tu le reconnais a son broû-oû-oûp ?

MARIE, embarrassée.

Dame !...

                Vivement.

Puisqu’il est de mon pays !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Je polke de plus en plus sur mes remords...

Haut.

Filons !

MARIE.

Je t’attends !

Ensemble.

Air de la polka des Cascades de Saint-Cloud.

SAINT-GERMAIN et MARIE.

La mioche fait dodo,

Nous avons campo ;

Allons piano,

Mais presto,

Pincer gracioso

Un galop

Nouveau

Mêlé d’ fandango

Chocno !

BERTHE, sortant de l’alcôve tout habillée.

Un instant !... j’en suis !

SAINT-GERMAIN et MARIE, pétrifiés.

Oh !

 

 

Scène V

 

SAINT-GERMAIN, MARIE, BERTHE

 

MARIE.

Mademoiselle, qu’est-ce qui vous a habillée ?... qu’est-ce que ça veut dire ?

BERTHE.

Tiens ! c’est moi toute seule...

MARIE.

Venez un peu ici, que je vous déshabille... et tout de suite...

BERTHE.

Turlututu !... moi, je veux aller avec vous.

SAINT-GERMAIN.

Mais où ça, déplorable enfant ?

BERTHE.

À Mabille, donc !

SAINT-GERMAIN, jouant l’étonnement.

Mabille ! qu’est-ce que c’est que ça ?...

À Marie.

Est-ce que tu as parlé d’aller à Mabille, toi ?

MARIE.

Moi ?... pas du tout !

BERTHE.

Oh ! sont-ils menteurs ! sont-ils menteurs !...

À Marie.

Et pourquoi as-tu mis ta robe de soie ?

MARIE, embarrassée.

Pourquoi ?...

SAINT-GERMAIN.

Pour aller se coucher, parbleu !

On entend au-dehors la voix du carabinier : Broû-oû-oûp !...

BERTHE.

Là !... entendez-vous ?...

SAINT-GERMAIN, à part.

Animal ! brute !

Haut.

Ça ? c’est Croquemitaine !

Prenant une grosse voix.

Qui croque les petits enfants qui veulent aller à Mabille !

MARIE, parlant à la fenêtre.

Elle va se coucher, monsieur Croquemitaine, allez-vous-en ! elle va se coucher !...

BERTHE.

Qu’elle est bête !... c’est le carabinier !

SAINT-GERMAIN et MARIE.

Hein ?...

BERTHE, finement.

Parce que je ferme les yeux, on croit que je dors...

SAINT-GERMAIN, à part.

Oh ! si c’était à moi, quelle frétillante pâtée... mâtin !...

BERTHE.

Voyons, m’emmenez-vous, oui ou non ?...

SAINT-GERMAIN.

Une Flasquemont chez Mabille ?... jamais !

BERTHE.

Moi, je vais pleurer.

SAINT-GERMAIN.

On vous fournira des mouchoirs.

BERTHE.

Ah ! c’est comme ça ?... bien, très bien ! Adieu, Marie ; bonsoir, mon petit Saint-Germain.

SAINT-GERMAIN, saluant.

Mademoiselle...

BERTHE.

Amusez-vous bien... moi je vais me coucher...

SAINT-GERMAIN et MARIE, joyeux.

Ah !...

BERTHE.

Seulement, si je ne m’endors pas tout de suite, je vais tâcher de composer un petit compliment pour la fête à maman.

MARIE, riant.

Un compliment !

SAINT-GERMAIN, riant.

J’en pouffe !

À part.

Et le mien ?...

BERTHE.

J’y mettrai d’abord l’histoire d’un certain chasseur qui se permet de boire ses liqueurs et son vin muscat.

SAINT-GERMAIN, à part.

Bigre !

BERTHE.

Et celle d’une demoiselle qui ne se gêne pas pour mettre les bas de soie de sa maîtresse...

Elle soulève le bas de la robe de Marie.

MARIE.

Oh ! Mademoiselle !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Petite moucharde !

BERTHE.

Ah dame ! dans ce compliment-là, il n’y aura pas de roses pomponnes, mais aussi ça ne coûtera pas un louis à maman !...

MARIE, bas.

Elle nous tient !

SAINT-GERMAIN, à part.

Petite gredine !

BERTHE, comme prenant son parti.

Bonne nuit, Saint-Germain...

SAINT-GERMAIN, ahuri.

Mademoiselle m’honore.

BERTHE.

Bonsoir, ma petite Marie... je vais me coucher.

SAINT-GERMAIN, à Marie, qui s’est rapprochée de lui.

Dis donc... je fais une réflexion.

MARIE.

Laquelle ?...

Berthe redescend un peu et écoute.

SAINT-GERMAIN.

Pourquoi que nous ne l’emmènerions pas, c’te mioche ?

MARIE.

Au fait... j’y pensais...

SAINT-GERMAIN.

Mabille est un endroit très sain pour les enfants.

MARIE.

L’air y est pur...

SAINT-GERMAIN.

Elle regardera les danses...

MARIE.

Ça la formera.

SAINT-GERMAIN.

Il faut que les jeunes personnes aillent dans le monde.

MARIE.

Et si elle a soif...

SAINT-GERMAIN.

Nous lui paierons des échaudés... Est-ce convenu ?

MARIE.

C’est Convenu !...

Au montent où Saint-Germain et Marie se retournent, Berthe remonte vivement près de l’alcôve.

SAINT-GERMAIN, allant vers Berthe.

Mademoiselle, nous sommes à vos ordres...

BERTHE.

À mes ordres... Pour quoi faire ?

MARIE.

Eh bien, pour aller...

BERTHE, à part, avec malice.

Je savais bien...

Haut, jouant l’indifférence.

Oh ! c’est qu’il est bien tard... je ne sais pas si je dois...

MARIE, à part.

Elle va se faire prier, maintenant !

SAINT-GERMAIN.

Entendez-vous la musique ?

BERTHE.

Allons !... mais c’est uniquement pour vous faire plaisir...

SAINT-GERMAIN, à part, faisant le geste de fouetter.

Oh ! Dieu ! quel malheur qu’elle ne soie pas à moi !

MARIE.

Partons !...

Bas à Saint-Germain.

Pourvu que nous rentrions de bonne heure, Madame ne se doutera de rien.

SAINT-GERMAIN.

En route !

Marie et Saint-Germain prennent chacun Berthe par une main.

Ensemble.

Air final de la Dame de trèfle.

SAINT-GERMAIN et MARIE.

Quel plaisir ! ah ! c’est charmant !

De veiller sur cet enfant ;

En n’ pas la quittant des yeux,

Nous n’en veillerons que mieux.

BERTHE.

Quel plaisir ! ah ! c’est charmant !

J’vais au bal comme maman.

J’verrai danser et je veux

Sauter et danser comme eux !

Après l’ensemble, ils courent tous trois vers le fond pour sortir.

MARIE, s’arrêtant.

Ah diable ! et le passe-partout pour rentrer ?

SAINT-GERMAIN.

Où est-il ?

MARIE.

Sur la cheminée.

SAINT-GERMAIN.

Va toujours... je vous suis...

Marie sort en entraînant Berthe.

 

 

Scène VI

 

SAINT-GERMAIN, seul

 

Il court à la cheminée et cherche en chantonnant sur l’air précédent.

Nous disons... sur la ch’minée...

Sur la che... sur la minée...

Che... mi... née... – Ah çà ! mais...

Je n’y vois pas la moindre clé !

Cherchant à terre.

Ni dessus ni dessous...

Il gambade de-çà de-là, cherchant la clé de tous côtés.

Où diantre l’a-t-elle fourrée ?

Courant à la fenêtre et appelant.

Marie ! eh ! Marie !...

Regardant au-dehors.

Ah ouat ! la voilà qui entre à Mabille, accrochée au bras du carabinier !... Ma foi, au diable le passe !... on s’en passera !...

Prêt à quitter la chambre, il entend un bruit de voiture ; il regarde.

Hein !... quoi ! qu’est-ce ? Une voiture... à cette heure !

Il se penche sur la fenêtre et se retire aussitôt en la fermant.

Ah bigre !... ah fichtre !... ah ! savoyard de sort !... c’est Madame !... Et la petite qui...

Il parcourt de nouveau la scène dans le plus grand trouble.

Et ce lit veuf de son contenu !

Frappé d’une idée.

Si je m’y mettais !... Non, elle m’embrasserait !...

Voyant la poupée.

Ah !... ce cartonnage !... c’est plus nature !

Il la fourre dans le lit.

Hup là !

Il prend une serviette, et en frotte vivement le même fauteuil qu’on l’a vu frotter précédemment.

 

 

Scène VII

 

SAINT-GERMAIN, LA BARONNE

 

LA BARONNE, à la cantonade.

Joseph, rentrez les chevaux tout de suite...

Entrant et apercevant Saint-Germain.

Comment ! Saint-Germain ?

SAINT-GERMAIN, frottant toujours.

Oui... vous voyez... c’est moi... Bonsoir, madame.

LA BARONNE.

Encore après ce meuble ?

SAINT-GERMAIN.

Il faut que ça reluise, madame !...

LA BARONNE.

C’est de la folie ! à onze heures passées !... vous vous tuerez...

SAINT-GERMAIN.

Madame n’a donc pas été en soirée ?

LA BARONNE.

Si... je n’ai fait qu’une apparition... il y avait un monde fou... grâce au ciel ! car j’ai pu m’échapper... Et puis je n’étais pas tranquille en partant.

SAINT-GERMAIN.

Quoi donc ?

LA BARONNE.

La petite ?...

SAINT-GERMAIN, vivement et troublé.

Elle y est, madame, elle y est !...

LA BARONNE, souriant.

Je sais bien qu’elle y est... mais...

SAINT-GERMAIN, troublé.

Oui, oui, madame...

LA BARONNE, prêtant l’oreille.

Elle s’éveille... elle a remué.

SAINT-GERMAIN, pétrifié.

Vous croyez ?

LA BARONNE, allant à sa toilette.

Je vais profiter de cela pour lui faire prendre son loch...

Elle prend la bouteille.

SAINT-GERMAIN, vivement.

Elle n’a pas soif... Je lui ai déjà offert... elle n’a pas soif...

LA BARONNE.

N’importe... le médecin l’a ordonné.

Elle va vers le lit.

SAINT-GERMAIN.

Pas vous... ne prenez pas la peine... moi !... moi !...

LA BARONNE, faisant un pas vers l’alcôve.

Laissez !...

SAINT-GERMAIN, feignant d’entendre parler la petite.

Hein ? vous voulez que ce soit votre bon Saint-Germain ?

À la baronne.

Vous voyez, madame, Mam’zelle désire que ce soit moi.

LA BARONNE, souriant.

Petite Capricieuse !...

SAINT-GERMAIN, souriant.

Les enfants sont fantastiques.

La baronne lui donne la fiole, va à sa toilette et ôte des épingles, ses gants, etc. À l’alcôve.

Allons, ma petite demoiselle, buvez...

Il boit.

C’est du bon lolo...

Il boit.

Bien doux, bien sucré !

Il boit le reste.

Là !...

À part.

Ah ! j’avais besoin de ça !

LA BARONNE, de sa place.

Comment trouves-tu cela, ma fille ?

SAINT-GERMAIN.

Oh !...

Imitant la voix de Berthe.

C’est bien bon, maman ! c’est bien bon !

LA BARONNE.

Oh ! comme elle est enrouée ! pauvre enfant !...

Elle fait un mouvement pour aller à l’alcôve.

SAINT-GERMAIN.

C’est le sommeil...

Il ferme les rideaux avec soin.

Faut la laisser dormir !...

LA BARONNE, avec bonté.

Vous avez raison, Saint-Germain... vous êtes un garçon précieux.

SAINT-GERMAIN.

Pour ce qui est de l’attachement aux maîtres, madame, je rends des points à un caniche !

À part.

Va te coucher... mais va donc te coucher...

LA BARONNE.

Allez vous coucher, Saint-Germain.

SAINT-GERMAIN, vivement.

Moi ? non !

LA BARONNE, étonnée.

Hein ?

SAINT-GERMAIN, se reprenant.

C’est-à-dire oui !

LA BARONNE, à part.

Qu’est-ce qu’il a donc ?

Haut.

Faites-moi le plaisir d’appeler Marie...

SAINT-GERMAIN, effaré.

Marie, madame ?

LA BARONNE.

Sans doute... pour qu’elle vienne me déshabiller.

SAINT-GERMAIN, s’offrant.

Si Madame voulait... je...

LA BARONNE, étonnée.

Plaît-il ?

SAINT-GERMAIN.

Je vais l’appeler.

LA BARONNE.

Sonnez...

À elle-même.

Ce garçon-là a quelque chose...

Elle s’assied près de la toilette.

SAINT-GERMAIN, se pendant à tous les cordons de sonnette, à part.

De Mabille ici, ça ne correspondra jamais !

 

 

Scène VIII

 

LA BARONNE, MARIE, SAINT-GERMAIN

 

MARIE, paraissant au fond, sans voir la baronne.

Eh bien ?

SAINT-GERMAIN, stupéfait, à part.

Ça correspond !...

MARIE, sans voir la baronne.

Qu’est-ce que tu fais ? viens donc !...

SAINT-GERMAIN, avec une pantomime des plus expressives.

Chut ! Madame !

MARIE, effrayée.

Oh !

LA BARONNE.

Hein ?... Ah ! c’est vous, Marie, je vous attendais... Voyons... dépêchez-vous... coiffez-moi...

MARIE, qui a jeté son châle et son bonnet dans sa chambre.

Oui, oui... madame...

Elle la coiffe.

SAINT-GERMAIN, bas, très vite.

Et l’enfant ?...

MARIE, de même.

Chez Mabille.

SAINT-GERMAIN, de même.

Où ?

MARIE, de même.

Près de l’orchestre, à gauche.

SAINT-GERMAIN, de même.

Bon !

MARIE, de même.

Sur les genoux d’Ursule... va !

SAINT-GERMAIN, de même.

Je vole...

Il sort précipitamment.

 

 

Scène IX

 

LA BARONNE, MARIE

 

LA BARONNE, sans se retourner.

Mais, Saint-Germain... retirez-vous donc !

MARIE, la coiffant.

Madame... il est parti.

À part.

Je tremble comme la feuille.

Elle prend une épingle sur la toilette, la baronne aperçoit la manche de sa robe.

LA BARONNE.

Comment ! Marie, vous avez mis votre robe neuve ?... que signifie ?...

MARIE, troublée.

Oui, madame... j’étais en train de l’essayer... il faut que la couturière m’y fasse une pince.

LA BARONNE, qui fouille dans sa toilette.

Ah çà... mais... quelqu’un a donc touché à ma toilette !... tout est sens dessus dessous !

MARIE.

Madame... c’est la petite, en jouant... cette après-midi...

LA BARONNE.

Petite espiègle ! Elle a été sage, ce soir ?

MARIE.

Oh ! madame... comme une image !

LA BARONNE.

Elle n’a pas toussé ?

MARIE.

Pas du tout.

LA BARONNE.

Pauvre chérie ! elle est si délicate ! Heureusement, Marie, je puis me fier à vous...

MARIE.

Oh ! ça, madame !...

Elle défait les cheveux de la baronne.

LA BARONNE.

Allons ! dépêchez-vous, que j’aille l’embrasser avant de me coucher.

Elle prend une brochure sur sa toilette.

MARIE, à part.

Ah ! mon Dieu !... et il ne revient pas !

Le voyant entrer.

Ah !

 

 

Scène X

 

LA BARONNE, MARIE, SAINT-GERMAIN

 

Saint-Germain arrive tout effaré.

MARIE, bas.

Eh bien ?

SAINT-GERMAIN, de même.

Ursule avait filé.

MARIE, de même.

Et la petite ?

SAINT-GERMAIN, de même.

Je l’ai trouvée attablée avec quatre carabiniers... ils lui font boire du kirsch !

MARIE, de même.

Ô ciel... tu ne la ramènes pas ?

SAINT-GERMAIN, de même.

Ils ne veulent pas me la rendre... ils ne me connaissent pas... faut que tu y ailles...

MARIE, montrant les cheveux de la baronne, qu’elle tient.

Et la queue de Madame ?

SAINT-GERMAIN, prenant la queue.

Donne... et cours !

Marie sort vivement sans bruit.

 

 

Scène XI

 

LA BARONNE, SAINT-GERMAIN

 

Saint-Germain peigne la queue de la baronne, qui est assise et lui tourne le dos ; il suit tous ses mouvements afin d’éviter d’être vu.

SAINT-GERMAIN, à part.

Quelle venette !... mon linge est transpercé !

Il peigne.

LA BARONNE, qui commençait à s’assoupir, en lisant.

Ah !... prenez donc garde ! vous me faites mal !...

SAINT-GERMAIN, effrayé, à part.

Oh !

Il peigne très légèrement.

LA BARONNE.

Aïe !

SAINT-GERMAIN, furieux, à part.

Encore !

LA BARONNE.

J’ai une épingle dans le dos... voyez donc, Marie !

SAINT-GERMAIN, à part, hésitant.

Sapristi !

LA BARONNE.

Mais voyez donc !... Oh ! ça me pique !

SAINT-GERMAIN, se décidant.

Il le faut !

Il plonge sa main dans le dos de la baronne et en retire une plaque de coton. À part.

Tiens ! Madame qui se cotonne !

Il la met dans sa poche.

LA BARONNE.

Que vous êtes maladroite ! qu’est-ce que vous faites ?

Elle se retourne ; Marie est rentrée et a repris les cheveux de la baronne. Saint-Germain s’est baissé et se cache derrière Marie.

MARIE.

Rien, madame !

 

 

Scène XII

 

LA BARONNE, MARIE, SAINT-GERMAIN

 

SAINT-GERMAIN, baissé, à voix basse.

Pas de moutarde ? Marie, bas, très vite. Plus personne ! Mabille est fermé ! Saint-Germain, de même. Et les carabiniers ?

MARIE, de même.

Partis... disparus !...

SAINT-GERMAIN, de même.

Crédit ! je vais fouiller les cabarets... les casernes... Prrristi !

Il se glisse jusqu’à la porte et sort.

 

 

Scène XIII

 

LA BARONNE, MARIE

 

MARIE, à part.

Je n’ai plus de jambes

Elle achève de coiffer la baronne.

LA BARONNE.

Mon épaule ?... qu’avez-vous fait de mon épaule ?

MARIE, ahurie.

Moi... madame ?

LA BARONNE.

Oui !

MARIE, cherchant.

Mais... je ne sais...

À part.

Le malheureux ! il a l’épaule de Madame dans sa poche !

LA BARONNE.

Vous savez que je n’aime pas laisser traîner ce détail de toilette.

Elle se lève.

MARIE.

Je le retrouverai, madame... je le serrerai.

Elle lui donne un bougeoir allumé.

Madame n’a plus besoin de moi ?

LA BARONNE.

Non... vous pouvez vous retirer.

Allant vers sa chambre.

Mes yeux se ferment... je tombe de sommeil...

MARIE, qui la suit des yeux, à part.

Ah ! je respire.

La baronne se retourne.

Ah ! mon Dieu !

LA BARONNE.

Ah !... ma petite Berthe... que j’oubliais d’embrasser.

Elle pose le bougeoir et va à l’alcôve.

MARIE, à part, s’appuyant contre un meuble.

Tout est perdu !...

LA BARONNE, elle soulève le rideau et pose la main sur le lit.

Oh ! pauvre petite ! elle a froid !

MARIE, étonnée.

Hein ?

LA BARONNE.

Il faut la couvrir... mon châle !...

Elle prend un châle sur une chaise et l’étale sur le lit.

Dors, petite chérie ! dors bien !

MARIE, pétrifiée, à part.

Comment !... elle est revenue ?...

LA BARONNE, reprenant le bougeoir.

Bonsoir, Marie.

Voyant son trouble.

Qu’avez-vous donc ?

MARIE, s’efforçant de sourire.

Rien... madame... je... vous souhaite le bonsoir.

LA BARONNE, souriant à part.

Ils ont tous deux des airs singuliers, ce soir...

Elle entre dans sa chambre.

 

 

Scène XIV

 

MARIE, SAINT-GERMAIN

 

MARIE, allant vers l’alcôve.

Si je comprends...

SAINT-GERMAIN, entrant, pâle, effaré, essoufflé.

Impossible de la retrouver ?... Plus de cabarets ouverts... on éteint le gaz.

MARIE, joyeuse.

Mais elle est rentrée !

SAINT-GERMAIN, stupéfait.

Ah bah !

MARIE.

Madame vient de l’embrasser...

SAINT-GERMAIN, au comble de l’étonnement.

Ah bah... Où est-elle ?

MARIE.

Dans son lit !...

SAINT-GERMAIN.

Dans son lit !...

Il court au lit, et en arrache la poupée avec un cri sauvage.

Ça !!!

MARIE.

Quoi donc ?

SAINT-GERMAIN, furieux, jetant la poupée sur le parquet.

Ça !!!

MARIE, effrayée.

Malheureux !

 

 

Scène XV

 

MARIE, SAINT-GERMAIN, LA BARONNE

 

LA BARONNE, alarmée.

Pourquoi ces cris ?... Qu’y a-t-il ?...

SAINT-GERMAIN, cachant vivement la poupée derrière son dos.

Rien, madame... j’éternue.

LA BARONNE.

Mais C’est à réveiller un régiment... Que venez-vous encore chercher ici ?

SAINT-GERMAIN.

Je venais régler ma montre sur la pendule.

LA BARONNE.

Allez-vous-en donc !

À part.

Décidément ils ont quelque chose d’extraordinaire.

Elle rentre dans sa chambre.

 

 

Scène XVI

 

SAINT-GERMAIN, MARIE

 

MARIE, mourante de peur.

Qu’as-tu fait, malheureux ?

SAINT-GERMAIN.

J’ai cassé le nez à ce vain simulacre !

Il lui jette la poupée dans les bras.

MARIE.

La poupée !... Et c’est ça que Madame vient d’embrasser !

SAINT-GERMAIN.

Oui !... mais demain, au jour !... Quand je pense que l’héritière des Flasquemont est en ce moment peut-être dans une caserne de cavalerie !

MARIE, vivement.

Mais non ! le régiment des carabiniers part à minuit pour Fontainebleau !

SAINT-GERMAIN, foudroyé.

Ah !... Qu’est-ce qu’ils auront fait de la mioche ?

Il tombe assis dans le fauteuil, à gauche.

MARIE, de même à droite.

L’enfant est perdue... Pauvre petite Berthe ! Dieu de Dieu !... que faire ?

SAINT-GERMAIN.

Il n’y a qu’un moyen de nous tirer de là.

MARIE.

Lequel ?

SAINT-GERMAIN, se levant.

C’est de filer.

MARIE.

J’en suis !

Elle court prendre à l’entrée de sa chambre son châle et son bonnet.

SAINT-GERMAIN.

Et vite ! et raide ! et d’emblée ! sans demander notre reste !

MARIE, lui prenant le bras.

Oui, oui !... allons.

SAINT-GERMAIN, s’arrêtant au fond.

Faudrait pourtant lui laisser un mot d’écrit à cette femme, c’est bien le moins !

MARIE.

C’est juste !... pour la préparer !... Tiens ! dépêche-toi... v’là l’encrier... du papier...

Elle lui montre le tout sur le guéridon.

SAINT-GERMAIN, écrivant.

« Madame la baronne.... »

MARIE, attendrie.

Cette pauvre Madame !

SAINT-GERMAIN, écrivant.

« Nous trempons notre plume dans nos larmes... »

Il prend de l’encre.

MARIE, attendrie.

Oh ! oui !

SAINT-GERMAIN, écrivant.

« Pour vous informer que nous filons de chez vous... »

MARIE.

Je voudrais être déjà loin !

SAINT-GERMAIN, écrivant.

« De chez vous... chassés par le remords d’avoir égaré, par mégarde, l’objet le plus précieux à votre tendre cœur... »

MARIE, pleurant.

Chère petite ! moi qui l’aimais tant !

SAINT-GERMAIN, pleurant.

Et moi donc !... Je disais toujours : « Quel malheur qu’elle ne soie pas à moi ! » Je continue.

Écrivant.

« Coupables, mais délicats, nous vous abandonnons le redû de nos gages pour les frais d’affiches et la récompense honnête... »

MARIE.

Oh oui, que je les lui abandonne !... mais elle nous a payés avant-hier.

SAINT-GERMAIN.

Malheureusement !

Il écrit.

« Et la récompense honnête... avec laquelle nous sommes, madame...

Se reprenant.

C’est-à-dire nous ne sommes plus vos très humbles, très obéissants et très désolés serviteurs. » Signé : « Saint-Germain. »

Il fait de grands traits de plume. À Marie.

À toi ! mets là ta pataraphe.

MARIE, signant.

Voilà... « Marie. »

SAINT-GERMAIN.

C’est ça !

Il plie vivement la lettre et met l’adresse.

« À madame... madame... madame... la baronne de Flasquemont. »

Il se lève et laisse la lettre sur le guéridon, en pleurant.

Là ! sur ce guéridon ! Elle la verra en se levant.

Ils pleurent tous deux.

MARIE.

Une si bonne maîtresse !

SAINT-GERMAIN.

Bonne... comme du biscuit !

MARIE.

Qui me faisait toujours des cadeaux !

SAINT-GERMAIN.

Et pas regardante sur les liqueurs !

Il sanglote et, croyant tirer de sa poche son mouchoir, il en tire la plaque de coton.

Tiens ! son épaule ! mettons-la avec la lettre... au moins elle ne perdra pas tout !

MARIE.

Viens, Saint-Germain !...

SAINT-GERMAIN.

Allons !... ah ! ça me fend ! ça me fend !

Ils remontent tous deux vers le fond.

 

 

Scène XVII

 

SAINT-GERMAIN, MARIE, BERTHE, le Carabinier ROCAMBOLE

 

Berthe est à califourchon sur le dos du carabinier.

BERTHE, au-dehors.

En avant !... marche !

SAINT-GERMAIN et MARIE.

Ah ! mon Dieu ! c’est elle !

Ensemble.

Air : Marchons au pas...

ROCAMBOLE.

N’as donc pas peur,

N’as pas peur,

P’tit cavalier farceur !

Tiens-toi bien sur le dos d’ Rocambole,

Drôl’ de p’tit’ moutard’ ! je la port’, ma parole,

Autant sur mon dos qu’ dans mon cœur !

SAINT-GERMAIN et MARIE.

Ah ! quel bonheur !

Quel bonheur,

Voici notre sauveur !

C’est le brav’ cavalier Rocambole,

Il nous ramèn’ l’enfant ! oui, j’te port’, ma parole,

Beau cavalier dans mon cœur !

BERTHE.

Escadron !... halte !... front !...

MARIE, à Rocambole.

Ah ! pays ! vous nous sauvez la vie !

SAINT-GERMAIN.

Vous nous sauvez l’honneur, pays !

Il prend Berthe et la pose à terre.

BERTHE, à Rocambole.

Merci, vieux !

Elle va prendre le plumeau, se met à cheval dessus, et galope à travers la chambre.

ROCAMBOLE, riant.

Cré gamine ! nous a-t-elle amusés au quartier !... Les camarades voulaient l’emmener à Fontainebleau... et, sans moi...

SAINT-GERMAIN, effrayé.

Crédié !...

MARIE.

Ce cher Rocambole !... faut que je l’embrasse pour sa peine !

ROCAMBOLE, l’embrassant.

Enlevé !

SAINT-GERMAIN, avec transport.

Mille carabines !... faut que je vous embrasse aussi, camarade !...

ROCAMBOLE, le tenant à distance.

Comment, comment, camarade ?

SAINT-GERMAIN, riant.

Eh ben, oui... Nous servons tous deux ! Vous, dans les carabiniers !... moi, dans les chasseurs !...

Il veut lui sauter au cou.

ROCAMBOLE.

Allons donc ! dans les serins verts, tu veux dire !

Il lui porte une botte.

SAINT-GERMAIN.

Oh !...

À lui-même.

Aimable cavalier !

BERTHE, criant.

Garçon, du kirsch !

SAINT-GERMAIN.

Du kirsch !

MARIE.

Qu’est-ce qu’elle a donc ?

SAINT-GERMAIN, à Rocambole.

Vous l’avez pochardée !

ROCAMBOLE.

Allons donc ! ça fait grandir les enfants !

MARIE, poursuivant Berthe.

Mademoiselle !...

SAINT-GERMAIN.

Vite ! fichons-la au lit.

MARIE.

Mademoiselle, il faut vous coucher !

BERTHE, lui échappant.

Du flan !

MARIE.

Du flan ?

SAINT-GERMAIN.

Elle jaspine !... une Flasquemont !

ROCAMBOLE.

Nous y avons appris le beau langage.

BERTHE, courant.

Ta ra ta ta ta ta !

SAINT-GERMAIN.

Fais-la donc taire... elle va réveiller Madame.

MARIE, saisit Berthe, qui est montée sur un fauteuil.

Ah ! mon Dieu ! elle empoisonne le tabac !

BERTHE.

Oui, j’ai fumé avec Rocambole !

SAINT-GERMAIN.

Sapristi ! vous l’avez fait fumer ?

ROCAMBOLE.

Eh ben, quoi ?... ça leur fait pousser les dents !

Il lui porte une botte.

SAINT-GERMAIN.

Oh !

À part.

Cornichon !

À Marie.

Tiens-la bien !... une douche d’eau de Cologne, il n’y paraîtra plus !...

Il l’inonde d’eau de Cologne.

BERTHE, trépignant.

C’est pas du kirsch, ça !

MARIE.

Ne bougez pas !

BERTHE, leur échappe

et parcourt la chambre, poursuivie par Marie et par Saint-Germain.

Ta ra ta ta ta ta !...

ROCAMBOLE, l’excitant en riant.

Au glaop !... Ta ra ta ta ta ta !

Il chante bruyamment avec elle l’air d’entrée, pendant que Saint-Germain et Marie la poursuivent sans pouvoir la saisir.

MARIE, pendant ce vacarme.

Voulez-vous vous taire !...

SAINT-GERMAIN.

Rattrape-la donc !

Berthe renverse un fauteuil.

LA BARONNE, de sa chambre.

Marie ! Marie !...

SAINT-GERMAIN, effrayé.

Ah ! bon Dieu !... Madame !... Pristi ! cachons la mômaque !

Il la porte dans la chambre de Marie.

MARIE, vivement.

Partez, Rocambole ?

ROCAMBOLE.

Je m’éclipse !

Il l’embrasse et sort.

 

 

Scène XVIII

 

MARIE, SAINT-GERMAIN, LA BARONNE

 

SAINT-GERMAIN, voyant paraître la baronne, à part.

Il était temps !

Il s’est armé d’une serviette et frotte le même fauteuil que ci-dessus avec acharnement. Marie s’est armée d’un plumeau.

LA BARONNE, en peignoir.

Quel tapage !... Est-ce que le feu est à la maison ?

MARIE, balbutiant.

Non... madame...

En agitant machinalement son plumeau, elle époussette Saint-Germain.

LA BARONNE, apercevant Saint-Germain qui frotte.

Saint-Germain !... encore après ce fauteuil !...

SAINT-GERMAIN, ahuri.

Madame m’honore... faut que ça reluise.

LA BARONNE, regardant autour d’elle.

Mes meubles renversés !... Quel est ce désordre ?...

SAINT-GERMAIN.

Nous rangeons, madame !...

Ici on entend Berthe donner des coups de pied dans la porte. À part.

Cristi !

Il tousse pour couvrir le bruit.

LA BARONNE.

Quel est ce bruit ?

SAINT-GERMAIN.

C’est moi... c’est mes bronches, madame.

Nouveaux coups de pied, plus fort.

LA BARONNE.

Il y a quelqu’un là !

MARIE.

C’est... c’est le frotteur !

SAINT-GERMAIN, à part.

Bien tapé !

LA BARONNE.

À cette heure !... se moque-t-on de moi ?

Elle passe, ouvre la chambre, Berthe paraît.

Ma fille !

Elle la prend par la main.

 

 

Scène XIX

 

MARIE, SAINT-GERMAIN, LA BARONNE, BERTHE

 

BERTHE, sautillant.

Tiens ! c’est maman !

LA BARONNE, au comble de la surprise.

Cette enfant habillée ! à une heure du matin !

SAINT-GERMAIN, à part.

Mâtin !

MARIE, balbutiant.

Madame...

LA BARONNE.

Et cette toilette ?...

À Marie.

Mademoiselle, que signifie ?...

MARIE, très troublée.

Madame... je ne sais... elle a mis sa robe rose...

BERTHE.

Moi, toute seule, maman.

LA BARONNE, à Marie.

Je le vois bien... mais cela ne m’explique pas...

SAINT-GERMAIN, inspiré.

Oh !

Il prend le bouquet de bal de la baronne et le cache derrière lui, en disant.

Madame ne devine pas ?

LA BARONNE.

Mais non !... je ne devine pas.

SAINT-GERMAIN, souriant, d’un air bête.

La fête !

LA BARONNE.

Hein ?

SAINT-GERMAIN, il agite le bouquet derrière lui. Marie comprend, saisit le bouquet et le met dans les mains de Berthe, pendant ce qui suit.

La fête à Madame... demain !... une surprise... Mademoiselle a voulu être la première... charmante enfant ! Pas vrai, Marie ?

MARIE, vivement.

Oui, oui, madame !

À part.

Est-il futé !

LA BARONNE, souriant.

Ah ! c’est donc cela ! je vous trouvais aussi un air si extraordinaire !

SAINT-GERMAIN.

C’était la fête !

Ils conduisent tous deux la petite Berthe vers sa mère, en lui disant tout bas.

Bonne fête, allons ! chaud ! bonne fête !

BERTHE, présentant le bouquet.

Bonne fête, maman.

LA BARONNE.

Merci, ma pauvre enfant !

Elle l’embrasse et va s’asseoir en tenant Berthe auprès d’elle.

SAINT-GERMAIN, bas à Marie.

Repêchés !

LA BARONNE, à Berthe.

Oh ! quelle drôle d’odeur tu as !

SAINT-GERMAIN, à part, effrayé.

Le caporal !

MARIE, troublée.

C’est...

SAINT-GERMAIN.

C’est de l’eau de Cologne, madame.

LA BARONNE.

De l’eau de Cologne ?

SAINT-GERMAIN.

Pour la fête !... toujours pour la fête !

LA BARONNE.

Mais elle a une odeur détestable !

SAINT-GERMAIN.

Les parfumeurs sont si voleurs aujourd’hui ! ils fabriquent ça avec des têtes de mouton !

À Marie.

Faudra en changer !

À part.

V’lan sur le parfumeur !

Bas à Marie.

Encore repêchés !

LA BARONNE.

Comment, ma pauvre Berthe ! c’est pour me souhaiter ma fête que tu t’es relevée ?

BERTHE.

Oh ! non, maman !... c’est pour aller chez Mabille.

LA BARONNE, étonnée et regardant ses deux domestiques.

Comment ?

SAINT-GERMAIN, à part.

Bigre !

Riant très fort.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! chez Mabille !

Bas, poussant Marie.

Ris donc, chaud !

MARIE, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! chez Mabille !

BERTHE.

Oui !

SAINT-GERMAIN, riant aux éclats.

Figurez-vous, madame... elle a rêvé qu’elle avait été chez Mabille !... Impossible de lui ôter ça de l’idée !... Ah ! drôle d’enfant ! drôle d’enfant !

LA BARONNE, riant.

Le fait est que voilà un singulier rêve !

À sa fille.

Et qu’as-tu fait chez Mabille ?

BERTHE.

J’ai bu du kirsch !

SAINT-GERMAIN, riant et se tordant.

Ah ! ah ! ah !

Donnant un coup de coude à Marie, qui est toute troublée, bas.

Ris donc ! chaud !

Haut.

Ah ! ah ! ah !... bu du kirsch !... drôle d’enfant ! elle est pétrie de reparties !

BERTHE, s’approchant de Saint-Germain.

Oui, j’en ai bu !...

À la baronne.

Avec des carabiniers... et puis j’ai dansé avec eux... ils m’ont menée à la caserne... et puis Cocambole m’a ramenée ici, à cheval sur son cou...

SAINT-GERMAIN, se tordant de rire.

Oh ! oh ! oh ! Cocambole !

MARIE, de même.

Cocambole ! ah ! ah ! ah !

LA BARONNE.

C’est prodigieux !

SAINT-GERMAIN, riant toujours, à la baronne.

Ah ! ah ! ah ! ah ! drôle de rêve !... drôle de rêve ! ah ! ah ! ah !

À part.

Cristi !... changeons la conversation.

À Berthe.

Allons, mademoiselle... en avant le compliment que je vous ai appris.

La soufflant, bas.

Daigne agréer, maman baronne...

LA BARONNE.

Qu’est-ce que c’est ?

SAINT-GERMAIN.

Une surprise !... le petit compliment d’usage.

LA BARONNE, à Berthe.

Comment, tu as appris quelque chose ?

BERTHE.

Oui, maman !

SAINT-GERMAIN, à la baronne.

Comme qui dirait une fable...

LA BARONNE.

De La Fontaine ?

SAINT-GERMAIN, avec mépris.

Allons donc !... de moi !

LA BARONNE.

Ah !... j’écoute.

SAINT-GERMAIN, à Berthe.

Partez !... chaud !... chaud !...

Pendant la ritournelle, Berthe fait le geste de retrousser ses moustaches.

BERTHE, chantant.

Air de M. Hervé.

Le cavalier, l’ coq du village...

SAINT-GERMAIN, à part.

Qu’est-ce qu’elle chante là ?

MARIE, à part.

Une chanson de carabiniers...

SAINT-GERMAIN, bas à Berthe, pendant qu’elle chante.

C’est pas ça !

BERTHE, lui donnant une tape.

Mais tais-toi donc ! tu m’embrouilles.

LA BARONNE.

Oui... ne la troublez pas.

BERTHE.

Je recommence !

Reprenant.

Le cavalier, l’ coq du village,

Où ce qu’il est en garnison,

Dedans l’ canton,

S’en va danser dessous l’ombrage,

S’en va danser dessus l’ gazon

Avec Suzon.

Et zon, zon, zon,

Et zon, zon, zon !

LA BARONNE.

Qu’est-ce que c’est donc que ça ?...

SAINT-GERMAIN.

C’est... sa fable, madame !

BERTHE, parlé.

Second couplet !

Elle chante.

« Venez, qu’il dit, loin du tapage,

Là-bas, derrièr’ c’t’ épais buisson,

Nous jaserons. »

Elle dit « Jasons de mariage...

Quand est-c’ que nous l’ célébrerons ?... »

Mais il répond :

« Et zon, zon, zon !

Et zon, zon, zon ! »

LA BARONNE.

Assez ! assez... !

Ici Berthe danse un petit pas soldatesque.

MARIE, bas.

Ah ! mon Dieu !

SAINT-GERMAIN, bas.

Voilà le bouquet !

LA BARONNE.

Quel est ce pas ?... Ah ! l’horreur !

SAINT-GERMAIN, souriant.

C’est... c’est la scottish, madame.

LA BARONNE, enchantée.

La scottish !... Quoi ! c’est là cette danse à la mode ?...

SAINT-GERMAIN, affirmativement.

Voilà !

LA BARONNE.

Mais qui lui a appris... ?

SAINT-GERMAIN.

C’est Marie.

MARIE, effrayée.

Moi ?...

SAINT-GERMAIN.

Pour la fête à Madame !... moi, la fable... et Marie, la scottish.

LA BARONNE.

C’est très gracieux... très gracieux. J’ai une soirée pour demain, je la lui ferai danser... elle fera l’admiration du salon !

SAINT-GERMAIN, à part.

Cristi !... je loue une stalle !

LA BARONNE.

Je vous remercie, mes amis... je veux reconnaître vos attentions et vos soins...

Elle va chercher de l’argent dans sa toilette.

SAINT-GERMAIN, bas à Marie.

Un louis chacun !...

MARIE, bas.

J’ai des remords.

SAINT-GERMAIN, bas.

Polke dessus !... Si le louis te gêne, tu me le passeras.

LA BARONNE, leur donnant une pièce d’or à chacun.

Tenez... continuez à bien veiller sur cette chère enfant !

BERTHE, qui est allée au guéridon.

Tiens ! une lettre pour maman !

LA BARONNE, faisant un pas.

Pour moi ?

SAINT-GERMAIN, bas.

La mienne !...

BERTHE, s’approchant de la baronne.

Oui !... avec ton épaule.

LA BARONNE, cachant vivement le coton.

Veux-tu te taire !

Ouvrant la lettre.

Une lettre de vous !... vous voulez me quitter ?... vous avez égaré un objet précieux à mon cœur ? Expliquez-vous, Marie...

Saint-Germain, effaré, exprime le plus grand embarras.

MARIE.

Madame... en effet... oui...

LA BARONNE.

Mais cet objet précieux... quel est-il ?... parlez.

SAINT-GERMAIN, qui se trouve près de la cage.

Oh !...

Il prend la perruche et cherche à la fourrer dans sa poche sans y parvenir.

MARIE.

Madame, faut tout vous dire... c’est votre chère petite.

SAINT-GERMAIN, s’avance vivement, met la perruche dans son chapeau, dont il se recoiffe en achevant la phrase.

Perruche !... votre chère petite perruche...

LA BARONNE.

Quoi ! ce n’est que cela ?

SAINT-GERMAIN, à part.

Pristi ! elle me picote là-haut.

LA BARONNE.

Vous m’avez fait peur !...

SAINT-GERMAIN, à part.

Elle m’épile !... Oh !...

Il voit la petite qui a passé à gauche, a allumé une cigarette, s’apprête à fumer.

Allons, bon ! petite gredine !...

Il la lui arrache.

LA BARONNE, se retournant.

Hein ?

SAINT-GERMAIN.

Rien !

Il la fourre tout allumée dans sa poche et se brûle la main.

Mâtin ! ça brûle !...

LA BARONNE, à Saint-Germain.

Voyons, remettez-vous... Vous ferez demain des affiches pour ma perruche... Je promets cinquante francs de récompense.

SAINT-GERMAIN, à part.

On les touchera. Oh ! ça brûle en bas, et ça picote là-haut.

MARIE, bas à Saint-Germain.

C’est égal... j’ai des remords.

SAINT-GERMAIN, bas.

Trépigne dessus !

LA BARONNE.

Ah çà ! j’espère que voilà assez de fatigue pour une nuit ; il est temps d’aller nous reposer ; cette pauvre petite tombe de sommeil... Saint-Germain, portez-la dans ma chambre, elle dormira plus tranquillement près de moi.

SAINT-GERMAIN.

Tout de suite, madame.

Il prend Berthe dans ses bras. À part.

Cré nom ! que ça me picote !

À Berthe, en passant devant le public.

Eh bien !... Est-ce que nous ne disons pas bonsoir à ces messieurs !... Envoyez un baiser tout de suite !

Berthe envoie des baisers.

Air : Troupe jolie.

À cette comédienne en herbe,

Je sais, messieurs, qu’on a promis

Un cornet de bonbons superbe,

Si l’ succès n’est pas compromis (bis) ;

Mais d’la grandeur d’ la réussite,

La grosseur du cornet dépend...

BERTHE, dans les bras de Saint-Germain.

Applaudissez donc la petite

Pour que le cornet soit bien grand.

TOUS.

Applaudissez...

Etc. 

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