Un garçon de chez Véry (Eugène LABICHE)

Comédie en un acte, mêlée de.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Montansier (Palais-Royal), le 10 mai 1850.

 

Personnages

 

ANTONY, garçon de chez Véry

ANATOLE GALIMARD, rentier

ALEXANDRE, officier de spahis

MADAME GALIMARD

 

La scène se passe chez Galimard.

 

Le théâtre représente une salle à manger. Porte au fond. Deux portes latérales au premier plan. Sur le deuxième plan, à la droite du public, une porte conduisant à la cuisine. Deux petits meubles au fond, un de chaque côté de la porte. Une table à droite, premier plan. Un petit guéridon à gauche, premier plan.

 

 

Scène première

 

MADAME GALIMARD, seule, à la cantonade

 

C’est bien !... je vous ai payé vos huit jours... ne revenez jamais !... Hein ?... vous n’êtes qu’une sotte, une péronnelle !

 

 

Scène II

 

MONSIEUR et MADAME GALIMARD

 

GALIMARD, entre en appelant.

Jeannette ! Jeannette !

MADAME GALIMARD.

Je viens de la mettre à la porte, votre Jeannette !

GALIMARD.

Comment ! une si bonne fille ! la renvoyer... un jour où j’attends du bois !

MADAME GALIMARD.

Je l’avais prise pour tout faire, et Mademoiselle refuse de vernir le ceinturon de notre cousin Alexandre, sous prétexte qu’il est militaire.

GALIMARD.

Le ceinturon ! le ceinturon ! que diable ! ce n’est pas l’affaire d’une bonne... c’est l’affaire d’un tambour... Jeannette n’est pas un tambour.

MADAME GALIMARD.

Aussi je compte prendre un domestique mâle.

GALIMARD.

Ah ! bah !

MADAME GALIMARD.

Je l’attends aujourd’hui... ma tante doit me l’envoyer.

GALIMARD.

Allons bon ! une figure nouvelle ! un jour où j’attends du bois !

MADAME GALIMARD.

Justement ! un homme est plus fort... il pourra vous aider.

GALIMARD.

C’est égal !... elle m’allait, moi, cette Jeannette ! j’étais habitué à lui dire : « Jeannette, ma camomille !... Jeannette, ma bourrache !... Jeannette !... » tandis que je vais avoir là un grand gaillard, avec de la barbe... comme moi... qui sera électeur... comme moi... et qui ne votera pas comme moi !... et tout ça pour le ceinturon du cousin Alexandre, que le diable emporte !

MADAME GALIMARD.

Monsieur Galimard, parlez avec plus de respect d’un jeune officier de l’armée d’Afrique qui est mon parent.

GALIMARD.

Je n’attaque pas l’armée d’Afrique ; mais c’est très désagréable pour un mari de rencontrer dans tous les coins de sa maison un spahi... et qui te regarde avec des yeux... de spahi !

MADAME GALIMARD.

Que voulez-vous dire ?

GALIMARD.

Je n’attaque pas l’armée d’Afrique ; mais je trouve que le semestre du cousin se prolonge bien longtemps... voilà huit mois qu’il dure, le semestre du cousin !

MADAME GALIMARD.

Il a obtenu une prolongation.

GALIMARD.

Ça ne serait rien encore, s’il se contentait de prendre ses repas, son absinthe, son café, son petit verre, et caetera, et caetera... Mais il est toujours là, entre nous deux... comme un mur mitoyen.

MADAME GALIMARD.

Eh bien ?

GALIMARD.

Eh bien, c’est ennuyeux de ne pouvoir être seuls... qu’à trois !...

Amoureusement.

Si, au moins, quand la blanche Phoebé...

MADAME GALIMARD.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

GALIMARD.

La lune !

Continuant.

Descend sur l’horizon, vous vous montriez moins cruelle.

MADAME GALIMARD.

Ah ! nous y voilà !

GALIMARD, tendrement.

Caroline ! vous dormez d’un côté, et moi de l’autre !... deux chambres...

MADAME GALIMARD.

C’est de bon ton, c’est l’usage chez les gens comme il faut. Vous avez reconnu vous-même que cet arrangement était nécessaire... à cause de votre rhume... Impossible de fermer l’œil... vous toussez !...

GALIMARD, vivement.

Oui, mais je suis guéri !... je ne tousse plus !...

Tendrement.

Caroline ! je ne tousse plus... au contraire... maintenant, je soupire... si tu savais comme je soupire !

MADAME GALIMARD.

Vous n’êtes pas honteux... à votre âge !

GALIMARD.

L’âge n’y fait rien !... Regarde Ninon de Lenclos !

MADAME GALIMARD.

Monsieur Galimard, vous n’êtes qu’un mauvais sujet !

GALIMARD, la regardant.

Qu’elle est belle, ma femme !... Ah ! je suis bien fâché de m’être enrhumé cet hiver !

MADAME GALIMARD.

Eh bien, qu’attendez-vous là ?

GALIMARD.

Rien ! J’étais venu chercher de l’eau pour ma barbe ; mais, puisque Jeannette n’y est plus...

MADAME GALIMARD, lui prenant la bouillotte des mains.

Donnez, je vais vous en faire chauffer.

Elle remonte vers la cuisine.

GALIMARD.

Caroline ?

MADAME GALIMARD.

Quoi ?

GALIMARD.

Rends-moi le petit passe-partout qui ouvre...

MADAME GALIMARD.

Laissez-moi ! vous êtes fou.

Ensemble.

Air de la Polka d’Auvergne (Lait d’ânesse).

MADAME GALIMARD.

Votre santé m’inquiète,

Ma prudence y pourvoira ;

Et je vous mets à la diète

Pour guérir ce rhume-là.

GALIMARD.

Sur ma santé je regrette

Qu’on veille comme cela ;

C’est une trop longue diète

Pour guérir ce rhume-là.

Madame Galimard entre dans la cuisine, au deuxième plan, à droite.

 

 

Scène III

 

GALIMARD, seul

 

Toujours faire maigre... c’est une position anormale... car enfin... même dans le carême... il y a la mi-carême !... et il me semble que, comme mari, je pourrais... eh bien... non !... je n’ai pas le droit d’exiger... après ce que j’ai fait... Moi qui, le jour de mon mariage, aurais pu disputer à ma femme le bouquet virginal !... j’ai osé faire un voyage à Paphos !... Tiens, Galimard, tu me fais horreur !... C’était le jour des Rois... il y a six mois... j’avais beaucoup toussé dans la nuit ; mon médecin me dit : « Papa Galimard, voilà un mauvais rhume, il faut porter de la flanelle !... » Vous allez voir comme tout s’enchaîne ! Je lui réponds : « Docteur, je suis un homme, je porterai de la flanelle !... » Là-dessus, je prends ma canne, et je cours chez mon ami Guénuchot qui m’avait invité à déjeuner... On sert des truffes... Vous allez voir comme tout s’enchaîne ! Nous rions, nous buvons... Au dessert, Guénuchot veut me parler de l’avenir de la France... je le lâche ! À peine dans la rue, je m’aperçois que ma tête... c’était le vin blanc... J’entreprends le boulevard... Arrivé au passage de l’Opéra, j’aperçois une boutique qui avait l’air d’en vendre... de la flanelle ! je lui dis : « Monsieur !... » et on me répond : « Le magasin est au premier. » Une fois là... c’est horrible !... je me trouve seul, sans armes, en face d’une affreuse jeune fille de dix-huit ans !... une peau éblouissante ! des yeux noirs et des sourcils à vous manger l’âme !... Je ne sais ce qui se passe en moi... le vertige... les truffes... le vin de Guénuchot... je me sens un frisson... je veux me reculer... horreur ! Je venais de perpétrer un baiser sur le front d’albâtre de Malvina... de cette Pompadour en flanelle !... De fil en aiguille, je l’invite à dîner chez Véry !... cabinet numéro 6... Les bougies s’allument, le champagne ruisselle, ma tête s’égare, et alors...

Au public.

Dame !... mettez-vous à ma place !... À minuit le garçon m’apporte la carte. Cette liquidation me rappelle à tous mes devoirs... je me lève... ! je paye !... et je me sauve... en oubliant ma tabatière décorée de la Charte et du portrait du général Foy... un honnête homme... qui n’a pas trahi ses serments, lui !... J’ai dit à ma femme que je l’avais oubliée chez un ami... une craque !... le crime vous fait marcher de craque en craque !... Hélas ! depuis ce dîner funèbre, je traîne une conscience chargée de remords, je ne mange plus, je ne bois plus, je ne respire plus... la nuit, je me réveille en sursaut... et qu’est-ce que je vois ?... accroupi sur mon chevet, le garçon de chez Véry, qui me présente un buisson d’écrevisses, en me criant : « Baoun ! baoun !... » Ah ! maudit soit le jour où j’ai eu besoin d’un gilet de flanelle !

 

 

Scène IV

 

GALIMARD, ALEXANDRE

 

Alexandre tient un bouquet qu’il cache derrière son dos en apercevant Galimard.

ALEXANDRE, à part.

Oh ! le mari.

GALIMARD, à part.

Le spahi ! il doit être l’heure de déjeuner.

ALEXANDRE.

Bonjour, cousin.

GALIMARD, avec mauvaise humeur.

Bonjour, bonjour !... Pas mal... merci !... J’attends de l’eau chaude.

ALEXANDRE.

Ah ça ! est-ce que nous n’allons pas déjeuner ?

GALIMARD, à part.

Là !... qu’est-ce que je disais ?

Haut.

Un moment ! nous n’avons pas de cuisinière...

ALEXANDRE.

C’est que je viens de fumer un cigare qui m’a ouvert l’appétit.

GALIMARD.

Ah ! vous fumez, vous ?

À part.

On me l’a défendu, à moi !

 

 

Scène V

 

GALIMARD, ALEXANDRE, MADAME GALIMARD

 

MADAME GALIMARD, une petite bouillotte à la main.

Tenez, voici votre eau.

GALIMARD, la prenant.

Merci, ma bonne !

ALEXANDRE, offrant son bouquet à madame Galimard et l’embrassant.

Ma cousine, voulez-vous me permettre de vous souhaiter ?...

GALIMARD, cherchant à l’écarter.

Eh bien, qu’est ce que c’est ?

ALEXANDRE.

C’est la fête de ma cousine.

GALIMARD.

La fête ?... vous l’avez déjà souhaitée hier.

ALEXANDRE.

Hier, c’était la veille.

MADAME GALIMARD, à son mari.

Oui, mon ami, ça se souhaite aussi la veille.

GALIMARD.

Pourquoi pas toute l’année ?

MADAME GALIMARD.

Votre eau va refroidir... allez vous faire la barbe.

GALIMARD.

Mais...

ALEXANDRE.

Allez vous faire la barbe.

GALIMARD, à Alexandre, d’un ton menaçant.

Monsieur...

Avec douceur.

Je vais me faire la barbe !

Galimard sort par la gauche.

 

 

Scène VI

 

MADAME GALIMARD, ALEXANDRE

 

MADAME GALIMARD, examinant son bouquet.

Ah ! les beaux camélias !... Alexandre, ce n’est pas bien : vous avez fait des folies.

ALEXANDRE.

Vous êtes si bonne pour moi !

MADAME GALIMARD, mystérieusement.

De mon côté, je me suis occupée de vous...

ALEXANDRE.

Comment ?

MADAME GALIMARD, tirant de sa poche un porte-cigares.

Tenez !... vilain fumeur !

ALEXANDRE.

Que vois-je ? un porte-cigares... brodé à mon chiffre !

MADAME GALIMARD.

Chut ! Si mon mari savait... moi qui lui ai défendu de fumer !

ALEXANDRE, ouvrant le porte-cigares.

Des panatellas !...

Solennellement.

Caroline, je les fumerai sur la terre étrangère.

MADAME GALIMARD.

Ah ! mon Dieu ! est-ce que vous partez bientôt ?

ALEXANDRE.

Hélas ! dans quelques jours.

MADAME GALIMARD, émue.

Ah !

ALEXANDRE.

Si vous le vouliez un peu, Caroline, mon cœur pourrait emporter d’autres souvenirs !

MADAME GALIMARD.

Que voulez-vous dire ?

ALEXANDRE.

Auriez-vous déjà oublié le jour des Rois... chez Véry... cabinet numéro 7 ?...

MADAME GALIMARD, vivement.

Silence !... et mon mari ?...

ALEXANDRE.

Bah ! il se fait la barbe ! Quelle délicieuse soirée !... Assis tous deux sur un moelleux divan...

MADAME GALIMARD, pudiquement.

Assez !

ALEXANDRE.

Déjà nos mains s’entrelaçaient... nous touchions à ce doux communisme...

MADAME GALIMARD, s’offensant.

Alexandre !...

ALEXANDRE.

Tout à coup vous vous levez en poussant un cri...

MADAME GALIMARD.

Une voix qui venait de se faire entendre dans le cabinet voisin...

ALEXANDRE.

Mais non... c’était ce garçon qui nous servait en criant : « Baoun !... »

MADAME GALIMARD.

Oh ! non ! non !... cette voix m’a terrifiée ! Quelle était-elle ? je ne sais pas... mais, j’en suis sûre... elle ne m’était pas inconnue...

ALEXANDRE.

Alors, impossible de vous retenir... vous prîtes votre châle, votre chapeau... et depuis, tout fut inutile : prières, amour, supplications...

MADAME GALIMARD.

Alexandre !

ALEXANDRE.

Air de Calpigi.

Aussi je ne vous tiens pas quitte !...

MADAME GALIMARD.

Mais.

ALEXANDRE.

À dîner je vous invite !

MADAME GALIMARD.

Monsieur, c’est déjà trop, je crois,

D’avoir une première fois

Accepté... pour le jour des Rois.

ALEXANDRE.

Ce premier dîner, ma cousine,

Ne doit pas compter, j’imagine,

Puisqu’on a levé le couvert

Quand nous arrivions au dessert...

Nous avons manqué le dessert !

 

 

Scène VII

 

MADAME GALIMARD, ALEXANDRE, ANTONY paraissant à la porte du fond, son paquet sous le bras

 

ANTONY.

Peut-on entrer ?

MADAME GALIMARD.

Qu’est-ce que c’est ?

ANTONY.

Est-ce bien ici madame... Attendez, j’ai l’adresse...

Il tire une adresse de sa poche. Lisant.

« Madame Galimard, rue des Moulins, 12 bis... »

MADAME GALIMARD.

J’ai vu cette figure-là !

ALEXANDRE.

Moi aussi !

ANTONY, lisant.

« En son absence, s’adresser à M. Galimard, son époux, même rue, même numéro ! »

Parlé.

C’est tout. Ah ! non, il y a encore quelque chose...

Lisant.

« Sonner très fort. »

Parlé.

J’ai trouvé la porte ouverte... c’est tout !... Non, il y a encore quelque chose !...

Lisant.

« Dans le cas où on n’ouvrirait pas, c’est que tout le monde serait sorti... »

Repliant le papier.

Voilà !... Madame Galimard... connaissez-vous ça ?...

MADAME GALIMARD.

C’est moi !

ANTONY, à part.

La bourgeoise !

Ôtant vivement son chapeau.

De la courtoisie !

MADAME GALIMARD.

Que demandez-vous ?

ANTONY.

Madame votre tante, après m’avoir examiné, m’a dit que je pouvais me présenter comme domestique mâle...

MADAME GALIMARD.

Ah ! je vous attendais...

ANTONY.

Pour ce qui est de la probité et de la propreté, on peut s’adresser à M. Véry.

ALEXANDRE et MADAME GALIMARD.

Hein ?

ANTONY.

Je desservais le 6 et le 7 !...

MADAME GALIMARD, à part.

Ah ! mon Dieu !

ALEXANDRE, à part.

C’est lui !

Alexandre et madame Galimard tournent vivement le dos à Antony et se cachent la figure avec leur mouchoir.

ANTONY, à madame Galimard.

Pour ce qui est de cuisiner... je cuisine... Pour ce qui est de frotter... je frotte... et la pâtisserie aussi !...

À part.

Tiens ! elle a mal aux dents, la bourgeoise !

Avec sentiment.

Pauvre femme !

Se retournant vers Alexandre.

Pour ce qui est de cuisiner... je cuisine... Pour ce qui est de frotter... et la pâtisserie...

À part.

Lui aussi !... il paraît que la maison est humide !

Haut à Alexandre.

Monsieur, je peux vous indiquer un remède... c’est très simple... Vous prenez une taupe...

ALEXANDRE, gagnant la porte du fond en se cachant le visage.

Merci ! merci ! merci !

Il sort.

ANTONY, se retournant à la place où était madame Galimard.

Vous prenez une taupe...

MADAME GALIMARD, à la porte de droite, prête à entrer, et se cachant la figure.

C’est bien ! je vais vous envoyer mon mari... Mettez le couvert... les assiettes sont dans l’armoire...

ANTONY.

Et la cuisine ?

MADAME GALIMARD.

Par là !

ANTONY.

Très bien !

MADAME GALIMARD, à part.

Je vais dire à Galimard de le mettre à la porte... et tout de suite.

ANTONY, à part.

Je suis agréé !

Madame Galimard sort vivement par la gauche.

 

 

Scène VIII

 

ANTONY, seul, déposant son paquet sur un meuble

 

C’est une affaire arrangée... Du moment que je plais à la femme, le mari... le mari... c’est de la gnognote !

Pendant ce qui suit, il ouvre son paquet, y prend une veste qu’il passe.

Je crois que je serai très bien ici... la maison paraît calée... En entrant, j’ai vu quatorze paires de bottes sur une planche... Règle générale : toutes les fois qu’on voit quatorze paires de bottes sur une planche, on peut dire : « Voilà une maison calée !... » Moi, j’aime les gens riches !... d’abord, parce qu’ils sont riches... ensuite... parce qu’ils ont de l’argent !... Allons, c’est décidé... je me fixe ici, j’y fais mon trou... Ah ! la bourgeoise m’a dit de mettre le couvert... Où sont les assiettes ? ah ! dans l’armoire...

Il prend une assiette, et tout en l’essuyant.

Qu’est-ce que je demande, moi ? qu’on me nourrisse bien... qu’on me paye bien... qu’on me laisse prendre du ventre tranquillement... voilà pour le temporel... Quant au spirituel, je suis exempt de passions... je n’aime ni le jeu, ni le vin, ni... ah ! il y a les femmes !... hé ! hé !... Eh bien, non ! je n’ai jamais été bien cavalcadour sur cet article-là !... Et pourtant, chez M. Véry, j’étais aux premières loges pour me brûler le sang !... Quand on a servi le 6 et le 7 !... bigre de bigre ! il y faisait chaud, dans le 6 et le 7 !... Après ça, moi, je ne regardais personne... je m’occupais de ma petite affaire... mes assiettes, mes couteaux, mes fourchettes... c’est au point que j’aurais pu servir ma propre femme sans la reconnaître... si toutefois j’avais eu une femme propre... qui me soit propre !... Mais, pour le quart d’heure, ce n’est pas là ce que je cherche...

Mélancoliquement.

Oh ! non, ma vie a un autre but !... je cherche mon père... Pauvre Antony !

Air de la romance de Joseph.

Si dans ce monde j’ai ma place,

Je ne sais par qui ne comment...

J’y vins comme à travers l’espace

Vient la flèche du Mohican.

J’ai beau chercher, je perds courage,

Mon auteur me reste caché !...

Et j’ignore, hélas ! quel sauvage

Dans le monde m’a décoché.

Enfin, je suis ce qu’on appelle un... jeu de l’amour et du hasard !... À force de démarches, je me suis procuré deux renseignements précieux... Il y a vingt-six ans, à l’époque de ma naissance, mon père s’appelait Anatole, et sa taille était d’un mètre soixante-dix... Aussi, dès qu’un Anatole paraît...

Il tire de sa poche un mètre en ruban de fil rouge, semblable à ceux dont se servent les tailleurs.

Crac ! je le mesure !... Hier, j’en ai auné un sur le boulevard... Le misérable !... il s’en est fallu de cinq centimètres qu’il ne fût mon père. Malédiction !

Il fait un geste et laisse tomber son assiette qui se casse.

Ah ! sapristi ! qu’est-ce qu’on va dire ?

Il ramasse les morceaux et les met dans sa poche.

Comme ça, ça ne se verra pas... morceaux cachés... sont à moitié raccommodés ! Chez M. Véry, on me faisait payer la casse... Au bout de six mois de service... nous avons fait nos comptes... je lui redevais quatre-vingts francs... c’est l’exploitation de l’homme par la porcelaine ! Alors, je lui ai dit : « Monsieur, je vois bien que je n’ai pas les moyens d’être votre domestique, je suis bien votre serviteur. »

Achevant de mettre le couvert.

Là !... mon couvert est mis...

Se tâtant l’estomac.

Il doit être l’heure du déjeuner... Nous disons que la cuisine est par là...

Il entre dans la cuisine, à droite ; on entend un bruit de vaisselle cassée. Au-dehors.

Ah ! sapristi ! qu’est-ce qu’on va dire ?

 

 

Scène IX

 

GALIMARD, puis ANTONY

 

GALIMARD, rentrant par la gauche.

C’est bien ! j’en fais mon affaire ; je vais lui donner son compte, au domestique mâle... et ce ne sera pas long !

Avec satisfaction.

Enfin, ma femme reconnaît mon autorité... je me suis montré... j’ai dit : « Je le veux ! » et nous allons reprendre Jeannette ! Ah çà ! où est-il, cet animal-là, que je le flanque à la porte...

Appelant.

Garçon ! Garçon !

ANTONY, qui entre vivement, un plat d’écrevisses à la main.

Baoun !

GALIMARD, se retournant, jette un cri et tombe sur un fauteuil, à gauche. À part.

Ah ! mon Dieu ! cette voix !... ces écrevisses !... le garçon de chez Véry !

Il tire vivement son mouchoir et s’en couvre le visage.

ANTONY, se retournant.

Le bourgeois !

Voyant Galimard se tenir la mâchoire.

Lui aussi !... Il paraît que c’est une famille qui est en train de faire ses dents.

GALIMARD, à part.

Je suis perdu ! cet homme chez moi !... Et ma femme !... quelle position !... un jour où j’attends du bois.

ANTONY, à part.

C’est le moment de lui présenter mes hommages.

GALIMARD, à part.

Si je pouvais le renvoyer sans qu’il me reconnût.

ANTONY, saluant.

Monsieur Galimard...

GALIMARD, à part.

Mon nom !... je suis reconnu.

Il ôte son mouchoir.

ANTONY, souriant d’un air aimable.

Je vous prie d’agréer l’assurance...

GALIMARD, à part.

A-t-il l’air sûr de son fait !

ANTONY, le poursuivant.

De la parfaite considération...

GALIMARD, à part.

Il rit sardoniquement, le gueux !

ANTONY.

Avec laquelle j’ai l’honneur...

GALIMARD, à part.

C’est égal, j’aurai du courage !

ANTONY.

D’être votre très humble...

GALIMARD, à part.

Je nierai effrontément... il n’a pas de preuves...

ANTONY.

Très respectueux et très obéissant...

GALIMARD, à part.

Et je le flanquerai...

ANTONY.

Serviteur.

GALIMARD, à part.

À la porte.

ANTONY, à part.

Il a des fourmis dans les jambes !... c’est le mal de dents !

Avec douleur.

Pauvre homme !

GALIMARD, allant résolument vers lui.

Mon ami, je suis désolé, mais nous ne pouvons pas nous entendre ensemble.

ANTONY.

Comment ça ?

GALIMARD.

Tu comprends... à mon âge... on a besoin d’être dorloté...

ANTONY.

Pour ce qui est de dorloter... je dorlote.

GALIMARD.

Je le pense bien... mais rien ne vaut les soins d’une femme... En conséquence, tu vas me faire le plaisir de...

ANTONY.

Comment ! vous me renvoyez ?

GALIMARD.

Non ! oh ! non... mais je te donne ton compte.

À part.

Puisqu’il n’a pas de preuves...

ANTONY, piqué.

C’est bien, bourgeois... vous êtes le maître... mais je vous avoue que je ne m’attendais pas à ça... je me croyais à peu près sûr de mon affaire...

GALIMARD, à part.

Voyez-vous, le gueux !

ANTONY, jouant avec une tabatière.

Prendre des domestiques à l’heure !... ce n’est pas bien... et, si on était méchant...

GALIMARD, apercevant la tabatière aux mains d’Antony, et à part.

Ciel !... ma tabatière !... le général Foy !... il a des preuves !

ANTONY.

Vous me permettrez bien de faire mes adieux à Madame ?... Je vais lui parler, et, quand elle saura...

Il remonte.

GALIMARD, à part.

Ma femme !... il va tout lui dire ! je suis dans ses griffes !

Haut, ramenant Antony.

Non ! c’est inutile ! reste !... tu me conviens, tu me conviens beaucoup... je t’arrête !

ANTONY, étonné.

Hein ?

GALIMARD.

Tu sais bien que je ne peux pas faire autrement.

ANTONY.

Ah ! à la bonne heure !... Eh bien, franchement, vous ne trouveriez pas mieux... quand on a desservi le 6 et le 7...

GALIMARD, effrayé.

Mais tais-toi donc !... il n’est pas nécessaire de rappeler... surtout devant ma femme !

ANTONY.

C’est juste, je comprends vos scrupules.

À part.

C’est un homme chaste.

Haut.

Je m’abstiendrai de toute gaudriole.

GALIMARD, à part.

Que dire à ma femme, à présent ? et comment acheter son silence, à lui ?...

ANTONY.

Ah ! monsieur... je voulais vous demander... paye-t-on la casse dans cette maison ?

GALIMARD.

Oui...

ANTONY, avec chagrin.

Ah !...

GALIMARD.

C’est-à-dire non... comme tu voudras...

ANTONY.

Comme je voudrai... alors, on ne la paye pas... et je m’empresse de vous prévenir...

Il tire de sa poche les morceaux d’assiettes, et les met les uns après les autres dans les mains de Galimard.

GALIMARD.

Comment !... mes assiettes ?...

ANTONY.

Oh !... ça fait de l’effet comme ça... mais il n’y en a que deux jusqu’à présent !

GALIMARD, à part.

Ça promet...

Haut.

Casse !... brise !... ne te gêne pas !

À part.

Gredin, va !...

ANTONY, à part.

Quelle différence avec M. Véry !... je l’aime, ce vieillard...

Haut.

Quand Monsieur voudra déjeuner...

GALIMARD.

Moi ? je suis bien en train de déjeuner... je n’ai pas faim...

ANTONY.

Et Madame ?...

GALIMARD.

Elle a le temps !...

ANTONY.

Ah ! je vais vous dire : si je m’inquiète de votre appétit et de celui de la bourgeoise, c’est que je songe au mien, bourgeois.

GALIMARD.

Au tien ?

ANTONY.

Oui, j’ai l’estomac d’un creux !... Et, comme il ne serait peut-être pas convenable que je déjeune avant vous...

Il a repris sa tabatière et joue encore avec elle sans s’en apercevoir.

GALIMARD, à part.

Hein ! il veut déjeuner avant moi.

ANTONY.

Du moins, ça ne se faisait pas comme ça chez M. Véry...

GALIMARD.

Silence !...

ANTONY.

Quand je desservais le 6 et le...

GALIMARD.

Encore ! te tairas-tu ?... Tiens ! assieds-toi là et mange !

ANTONY.

Plaît-il ?

GALIMARD, le jetant brusquement sur une chaise.

Avale et tais-toi !

ANTONY, à part.

Il paraît qu’on mange à la table des maîtres... je m’habillerai pour dîner.

Morceau d’Ensemble.

Air de Romagnési (Malheurs d’un amant heureux).

ANTONY, seul.

C’est vraiment charmant !

Me servir lui-même !

Complaisance extrême !

Est-il bon enfant !

Je suis, c’est unique !

À mon tour servi

Comme une pratique

De M. Véry !...

GALIMARD, parlé.

Mais, tais-toi donc !... et avale !

Pendant le chœur, Galimard sert Antony la serviette sous le bras, comme un domestique.

Ensemble.

GALIMARD.

Ah ! c’est effrayant !

Dans mon trouble extrême...

Quoi ! je sers moi-même

Un tel garnement !

Puisqu’il peut connaître

Mon fatal secret,

Le voilà mon maître,

Je suis son valet.

ANTONY.

C’est vraiment charmant !

Me servir lui-même !

Complaisance extrême !

Est-il bon enfant !

Voilà bien le maître

Qui me convenait !

Aussi, je veux être

Toujours son valet !

 

 

Scène X

 

GALIMARD, ANTONY, MADAME GALIMARD

 

MADAME GALIMARD, entrant par la gauche sans voir Antony.

Eh bien, est-il parti ?

GALIMARD, effrayé.

Ma femme !

ANTONY, tendant son verre.

Patron... donnez-moi à boire.

MADAME GALIMARD, poussant un cri.

Ah !...

ANTONY, se servant, et criant aussi.

Ah !...

MADAME GALIMARD, à part.

Il m’a reconnue !... et devant mon mari !

GALIMARD, à part.

Que lui dire ?...

S’efforçant de rire.

Tu vois, Caroline, c’est... ce pauvre garçon qui déjeune... il mourait de faim... et il déjeune.

ANTONY.

Oui... je déjeune... je mourais de faim, et... je déjeune.

MADAME GALIMARD.

Eh bien, mais il n’y a pas de mal à ça.

À Antony.

Continuez, mon ami.

GALIMARD, à part, avec étonnement.

Hein ?

ANTONY, de même.

Son ami !

MADAME GALIMARD.

Mais il n’a rien à manger, ce garçon... Voyez donc, Galimard, dans le buffet, des biscuits, des confitures...

GALIMARD, courant au buffet.

Voilà ! voilà !

MADAME GALIMARD, bas et vivement à Antony.

Silence ! devant mon mari !

ANTONY.

Hein ?

GALIMARD.

Voici.

Bas.

Motus devant ma femme !

ANTONY.

Qui ?

MADAME GALIMARD, apportant une bouteille.

Il reste du madère !

GALIMARD, à part.

Du madère ! Faut-il qu’elle aime les domestiques mâles !

ANTONY, avec grâce.

Je vous demanderai une petite cuiller.

MADAME GALIMARD.

Vite, une cuiller !

GALIMARD, courant.

Vite, une cuiller !

MADAME GALIMARD, courant à gauche.

Où avez-vous mis les petites cuillers ?...

GALIMARD, courant à droite.

Qu’avez-vous fait des petites cuillers ?...

MADAME GALIMARD, courant à droite.

Vous brouillez tout ici !...

GALIMARD, courant à gauche.

Et vous !... Ah ! c’est à n’y pas tenir !

Ils se heurtent l’un l’autre, toujours affairés ; Galimard sort par la droite, et sa femme par la gauche.

 

 

Scène XI

 

ANTONY, puis ALEXANDRE

 

ANTONY.

On est vraiment très bien ici... le service y est doux... et le madère... sec ! Seulement, il y a une chose que je ne comprends pas... La femme me dit : « Silence !... » Et le mari : « Motus !... motus !... » Ça ne m’étonne pas... c’est du latin !...

ALEXANDRE, entrant vivement par le fond, sans voir Antony, et une clef à la main.

Enlevé ! Je suis donc enfin parvenu à le dérober, ce charmant petit passe-partout !

Apercevant Antony.

Ah ! c’est toi, je te cherchais !

ANTONY.

Moi ?

ALEXANDRE.

Je viens t’offrir deux choses : de l’or, ou des coups de cravache !...

ANTONY.

Je demande à réfléchir.

ALEXANDRE.

Des coups de cravache si tu parles... de l’or si tu veux me servir.

ANTONY.

Vous servir... c’est impossible ! Je suis engagé avec madame Galimard, et pour rien au monde...

Se ravisant.

Qu’est-ce que vous donnez ?

ALEXANDRE.

Imbécile !... tu ne m’entends pas !... Toi mon domestique ?...

ANTONY.

Pourquoi pas ? en payant très cher.

ALEXANDRE.

Air de l’Anonyme.

Qui, moi ? j’irais te prendre à mon service !

J’ai su toujours me passer de valets.

Mais tu peux bien me rendre un bon office,

Et d’un ami servir les intérêts.

ANTONY.

Mon officier, j’ai de l’intelligence !...

J’entends fort bien, même en parlant fort mal ;

Mais, pour servir les intérêts, je pense,

Il faut avoir reçu le capital...

Voyons un peu quel est le capital.

Il tend la main.

ALEXANDRE.

Tiens, tu n’es pas si bête que je croyais...

ANTONY.

C’est le madère !

ALEXANDRE.

Je vais te donner tes instructions, je me suis procuré le passe-partout.

ANTONY.

Ah !

ALEXANDRE.

Le voici.

ANTONY.

Ah !...

Alexandre, en tirant le passe-partout de sa poche, a laissé tomber le porte-cigares.

Vous perdez quelque chose.

Il le ramasse.

ALEXANDRE.

Mon porte-cigares...

Il le reprend et l’embrasse.

Elle l’a brodé pour moi... à mon chiffre... un A... Ange !

ANTONY.

Vous vous appelez Ange ?

ALEXANDRE.

Mais non... À dix heures, quand tout le monde sera couché, tu laisseras la porte du carré entrouverte.

ANTONY.

Pour quoi faire ?

ALEXANDRE.

Pour achever ce que j’ai commencé...

ANTONY.

Quand ?

ALEXANDRE.

Le jour des Rois.

ANTONY.

Ah ! où ?

ALEXANDRE.

Tu le sais bien !

ANTONY.

Je le sais bien ?

ALEXANDRE.

Silence ! on vient... Plus tard, nous reprendrons cette conversation !

ANTONY.

Je le veux bien !

ALEXANDRE.

Et jusque-là... tais-toi ! tu comprends l’importance...

Il sort par le fond.

ANTONY.

Je comprends... c’est-à-dire je ne comprends rien du tout.

Madame Galimard rentre par la droite.

Ah ! la bourgeoise !

 

 

Scène XII

 

ANTONY, MADAME GALIMARD

 

MADAME GALIMARD, très embarrassée.

Les moments sont précieux... j’ai à vous parler.

ANTONY.

C’est pour quelque chose de pressé ?

MADAME GALIMARD.

Vous savez tout... Que pourrais-je vous apprendre ? D’ailleurs, mon trouble, mon émotion quand vous êtes entré...

ANTONY, à part.

Comment ! j’ai troublé la bourgeoise ? Ah çà ! mais... est-ce que... ?

MADAME GALIMARD, à part.

Oh ! mon Dieu !... quelle humiliation !... un domestique !

ANTONY, à part.

Elles est jolie femme !... et, sans sortir de la maison...

MADAME GALIMARD.

Je sais que les apparences sont contre moi... mais au moins n’allez pas me juger sur un moment d’oubli dont je n’ai pas à rougir, croyez-le bien.

ANTONY, remerciant.

Ah ! madame !...

MADAME GALIMARD.

Qui sait ? c’est peut-être la Providence qui vous a jeté sur mon chemin pour me rendre le calme, le repos, le bonheur...

ANTONY, remerciant.

Le bonheur !... ah ! madame !...

À part.

Je suis exactement dans la position de Ruy Blas, faisant l’œil à la reine d’Espagne... Je suis fâché d’être en cuisinier !

Il jette au loin son tablier.

MADAME GALIMARD.

Surtout le silence le plus absolu... devant mon mari !

ANTONY.

Tiens, parbleu ! je ne suis pas assez bête pour aller...

À part.

On ne conte jamais ces choses-là au roi d’Espagne.

MADAME GALIMARD.

Ainsi je puis compter sur vous ?

ANTONY, à part.

Il faut pourtant que je lui dise quelque chose d’aimable...

Haut.

Comme Napoléon sur sa vieille garde !... et, en échange...

MADAME GALIMARD.

Je vous donnerai...

ANTONY, avançant la joue.

Quoi ?

MADAME GALIMARD.

Les clefs de la cave...

ANTONY, amoureusement.

Et encore ?

MADAME GALIMARD.

Je vous mettrai à même le sucre, les liqueurs...

ANTONY, amoureusement.

Et encore ?

MADAME GALIMARD.

Dame ! je ne sais plus, moi !

ANTONY, avec passion.

Oh ! cherchez ! oh ! cherchez !

MADAME GALIMARD, à part.

Subir de pareilles exigences !

Haut.

Enfin tout ce qui est ici sera à vous.

ANTONY, lui prenant vivement la main.

Tout !... oh ! merci !

Il se dispose à lui embrasser la main.

MADAME GALIMARD, sans prendre garde à son mouvement.

Chut ! M. Galimard !

ANTONY.

Le roi d’Espagne ! mazette !

Il abandonne brusquement sa main, et saute sur une poignée de fourchettes qu’il se met à essuyer avec acharnement, en fredonnant un pont-neuf. Madame Galimard s’échappe par la droite.

 

 

Scène XIII

 

ANTONY, GALIMARD

 

GALIMARD, reparaissant à gauche, sans voir Antony.

Décidément, j’aime mieux le renvoyer... Je ne peux pas vivre comme ça !

ANTONY, à part.

Pauvre homme !... quand je pense que je suis à la veille de lui... conditionner ça !...

GALIMARD, à part.

En lui offrant un billet de cinq... l’affaire doit s’arranger !

Apercevant Antony.

Ah ! ah ! te voilà !

ANTONY.

Comme vous voyez !

GALIMARD.

Tu n’a pas vu ma femme ?

ANTONY, résolument.

Non !

GALIMARD.

Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

ANTONY.

Elle m’a dit de mettre le gigot en mayonnaise, et le poulet aux haricots...

GALIMARD.

Voilà tout ?

ANTONY.

Exactement !

À part.

Tromper un vieillard ! oh !

Changement de ton.

Après ça, il est bien cassé !

GALIMARD.

Avec toi, je n’irai pas par quatre chemins ! Voyons, veux-tu cent francs ?

ANTONY.

Pour quoi faire ?

GALIMARD.

Pour t’en aller... Tiens... j’irai jusqu’à deux cents...

ANTONY.

C’est-à-dire que vous me chassez ?

GALIMARD.

Te chasser ? tu sais bien que je n’en ai pas le droit.

ANTONY.

Ah !... Alors, je reste.

GALIMARD.

Ne sommes-nous pas unis par des liens trop étroits ?

ANTONY.

Nous deux !

À part.

Sa femme... je ne dis pas.

GALIMARD.

Voilà les suites d’une faute... la seule dans une vie pure !

ANTONY, à part.

Ah çà ! qu’est-ce qu’il chante ?

GALIMARD.

Faute déjà ancienne.

ANTONY.

J’y suis... une vieille faute !

GALIMARD.

Que je cherchais à oublier... mais que ta présence est venue réveiller.

ANTONY, à part, avec émotion.

Ah ! mon Dieu ! quel soupçon...je ne sais ce que j’éprouve !

GALIMARD.

Que te dirai-je ? le vin de Guénuchot...

ANTONY.

Qui ça... Guénuchot ?

GALIMARD.

Mon ami intime... Et puis... les gilets de flanelle... et puis elle avait des yeux si noirs !...

ANTONY.

Noirs ? c’est bien ça !... attendez donc ! attendez donc !

Il tire son mètre de sa poche.

GALIMARD.

Sa voix était si câline, quand elle me disait : « Anatole ! »

ANTONY.

Anatole ?... Permettez...

Il court vivement à lui et le mesure :

GALIMARD.

Qu’est-ce que tu fais ?

ANTONY.

Juste ! un mètre soixante-dix !... ah !

Il lui saute au cou et l’embrasse avec transport.

GALIMARD.

Mais finis donc ! mais tu m’étrangles, imbécile !

ANTONY, avec exaltation.

Ah ! que cela fait de bien ! ah ! que cela fait de bien !

À part.

C’est drôle ! je ne croyais pas avoir cette bosse aussi développée.

Serrant les mains de Galimard avec tendresse.

Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !

GALIMARD, à part.

Qu’est-ce qui lui prend ?

ANTONY.

Dites donc, je trouve que vous me ressemblez !

GALIMARD.

Moi ?... allons donc !

ANTONY, avec attendrissement.

Enfin, je vous retrouve !

Lui prenant les mains.

Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !

GALIMARD, à part.

Quel drôle de cuisinier !

Haut, le repoussant.

Mais ne me tapote donc pas comme ça !

ANTONY.

Pardonnez-moi, mais la joie...le bonheur... il y a si longtemps que je vous cherche... Mais maintenant je ne vous quitte plus, je m’attache à vos pas... je me cramponne à votre existence !

GALIMARD.

Tiens, j’irai jusqu’à cinq cents francs !

ANTONY.

Non ! je ne demande rien... je ne veux rien... que vous voir, vous aimer... vous serrer... vous enlacer !... Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !

Il l’embrasse.

GALIMARD, le repoussant.

Mais j’ai une chemise blanche, tu me chiffonnes...

À part.

Quel drôle de cuisinier !

ANTONY, avec mélancolie.

Et puis nous parlerons d’elle, la malheureuse !

GALIMARD, à part.

Malvina !

ANTONY.

Nous en parlerons quelquefois... souvent... toujours !

GALIMARD.

Mais je n’y tiens pas !... Et ma femme ?

ANTONY.

Comment ?

GALIMARD.

D’abord, si madame Galimard venait à savoir... j’en mourrais... net !

ANTONY, avec horreur.

Ah ! assez ! je comprends, la société vous impose des devoirs... énormes !

GALIMARD.

Énormes ! c’est ça !

ANTONY.

Il suffit ! je saurai comprimer des élans ! qui... je tâcherai de museler mes sentiments... Enfin, je me tairai !

GALIMARD.

Voilà, je ne t’en demande pas davantage.

ANTONY.

Mais vous permettrez quelquefois à ma main de rencontrer votre main dans l’ombre...

GALIMARD.

Bah ! à quoi ça sert ?

ANTONY.

À quoi ?

À part.

Ô Saturne ! Dieu du temps ! comme tu racornis le cœur des hommes !

UNE VOIX, sous la fenêtre.

Monsieur Galimard ! c’est votre bois !

GALIMARD, remontant vivement la scène.

Ah ! sapristi ! mon bois !

ANTONY.

Eh quoi ! vous partez ? vous me quittez comme un étranger ?... sans me serrer la main ?...

GALIMARD, lui prenant la main.

Voyons, dépêchons-nous ! j’ai là du bois.

À part.

Il est insupportable !

ANTONY, courant après Galimard.

Un instant, vous ne sortirez pas comme ça !

GALIMARD.

Comment ?

ANTONY.

Le temps est pluvieux... vous n’êtes pas couvert !

GALIMARD.

Bah ! bah !

ANTONY.

Ah ! c’est que vos jours ne vous appartiennent plus, maintenant !

Lui donnant un vieux carrick qu’il prend dans son paquet.

Tenez, enveloppez-vous, bon vieillard ! là ! comme ça !

Il l’arrange.

Croisez sur la poitrine !... tous les boutons ! tous les boutons !

GALIMARD, à part.

S’il veut se taire et ne pas m’embrasser, ça ne sera pas un mauvais domestique !

ANTONY, lui mettant un mouchoir sur la figure.

Ah ! un cache-nez... Au moins, comme ça, vous aurez chaud... Portez-vous des bas de laine ?

GALIMARD.

Non, ça me picote !

ANTONY.

Ta ta ta ! « ça me picote !... » ça m’est égal... ça vous picotera, mais je veux que vous en portiez... des bas de laine, avec des galoches !

GALIMARD.

Cependant...

ANTONY, gentiment.

Ah ! je le veux ! je le veux !...

Il lui donne des petites tapes sur la joue.

GALIMARD.

Eh bien, j’en porterai, despote !

À part.

Mais qu’est-ce que ça lui fait ?

ANTONY.

Maintenant, allez ! et pas d’imprudence !

L’embrassant.

Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !

GALIMARD, se débarrassant de lui, à part.

Quelle sensibilité !... il doit être de l’Association fraternelle des cuisiniers !

Sortie de Galimard par le fond. Antony le reconduit, et lui envoie des baisers quand il a disparu.

 

 

Scène XIV

 

ANTONY, puis MADAME GALIMARD

 

ANTONY.

Enfin, je l’ai trouvé !... je le tiens, celui que je cherche depuis si longtemps !... le Mohican qui m’a décoché !... Ah ! j’ai oublié de lui donner de mes cheveux !...

Il s’en coupe, avec un couteau, une mèche qu’il plie dans un papier.

Quelle journée !... d’un côté, un père... de l’autre, une femme charmante qui...

Tout à coup.

Ah ! mon Dieu !... la femme de mon père !... ma mère !... c’est-à-dire ma marâtre !... Phèdre et Hippolyte !... j’allais commettre une tragédie en vers... envers mon père !...

MADAME GALIMARD, dans la coulisse.

Monsieur Galimard ! monsieur Galimard !

ANTONY, avec terreur.

C’est elle ! la femme de Thésée... j’ai le frisson !

À madame Galimard qui entre.

N’approchez pas, madame ! c’est impossible !... ne comptez plus sur moi !

MADAME GALIMARD.

Qu’avez-vous donc ?

ANTONY.

Si vous saviez !...

MADAME GALIMARD.

Quoi ?

ANTONY.

Rien ! je ne peux pas le dire !

MADAME GALIMARD, marchant vers lui.

Ah çà ! êtes-vous fou ?

ANTONY, se retranchant derrière une chaise.

Ne m’approchez pas !... jamais ! jamais !... Horreur !...

MADAME GALIMARD.

Ah ! vous m’ennuyez, à la fin !... et c’est aussi payer trop cher une imprudence ! Parce que je suis allée dîner chez Véry, sans faire de mal... avec mon cousin Alexandre...

ANTONY.

Vous ?...

À part.

Phèdre avec un spahi !

MADAME GALIMARD.

Puisque c’est vous qui nous serviez !

ANTONY.

Moi ?

MADAME GALIMARD.

Ah çà ! vous ne savez donc rien ?

ANTONY.

Rien du tout !

MADAME GALIMARD, éclatant.

Comment !... il serait possible ?... tu ne sais rien ?... Mais alors, je te chasse !

Elle va chercher le paquet d’Antony, au fond.

ANTONY.

Pourquoi ça ?

MADAME GALIMARD.

Qu’est-ce que tu fais ici ?... Et moi qui tremblais...

ANTONY.

Cependant...

MADAME GALIMARD.

Vite ! ton paquet... Ah ! tu ne sais rien !

ANTONY.

Mais...

MADAME GALIMARD, lui remettant le paquet, qu’elle a renoué.

Tiens, va-t’en ! je ne veux plus te voir.

Elle pousse Antony, qui est tout étourdi, jusqu’à la porte du fond. Antony disparaît. Seule.

Enfin, m’en voilà débarrassée et pour toujours...

Antony reparaît son chapeau sur la tête et son paquet sous le bras.

ANTONY.

Peut-on entrer ?

MADAME GALIMARD.

Encore toi ?

ANTONY.

Oui, j’ai fait une réflexion... sur le carré !... Je me suis dit : « La bourgeoise m’a chassé parce que je ne savais rien !... »

MADAME GALIMARD.

Eh bien ?

ANTONY.

Eh bien, je sais tout maintenant !

MADAME GALIMARD.

Comment ?

ANTONY.

Puisque vous me l’avez dit !

MADAME GALIMARD, à part.

Ah ! mon Dieu ! c’est vrai !

ANTONY, posant son paquet.

Baoun !

MADAME GALIMARD.

Parle !... que veux-tu ?

ANTONY, d’un ton sentencieux.

Je comprends mes devoirs, je saurai les remplir... je saurai protéger papa... Galimard !

MADAME GALIMARD.

Que prétendez-vous ?

ANTONY.

M’attacher à vos pas... me placer entre vous et votre complice !...

Il marche sur madame Galimard, qui recule.

MADAME GALIMARD, se retranchant derrière les chaises et la table.

Mais, monsieur...

ANTONY, de même.

Si vous sortez, je sortirai... si vous rentrez, je rentrerai... si vous prenez l’omnibus, je le prendrai... si vous entrez au bain, j’y... Non ! ça n’est pas permis... je vous attendrai à la porte !... Voilà, madame, voilà ce que je prétends faire...

MADAME GALIMARD.

Mais c’est affreux ! c’est épouvantable !

ANTONY.

Oh ! vous avez beau faire !... à partir d’aujourd’hui, je déclare la guerre à l’armée d’Afrique, à cet Alexandre, qui... Je serai son Abd el Kader !

 

 

Scène XV

 

ANTONY, MADAME GALIMARD, ALEXANDRE

 

ALEXANDRE, qui a entendu les derniers mots d’Antony.

Qu’est-ce que cela signifie ?

MADAME GALIMARD.

Cela signifie que Monsieur s’est arrogé le droit de nous épier, de nous surveiller, comme un...

ANTONY.

Très bien ! très parfaitement bien !

ALEXANDRE, à part.

C’est ce que nous allons voir !

Haut.

Je t’ai offert de l’or ou des coups de cravache.

ANTONY.

Oui, mais j’ai demandé à réfléchir, et, réflexion faite, je choisis les coups de cravache...

ALEXANDRE, faisant un mouvement pour remonter.

Oui ?... très bien !... je vais chercher la chose !

ANTONY.

Non, vous n’irez pas !

ALEXANDRE.

Pourquoi ?

ANTONY.

Parce que... quand on me frappe, je suis comme les cloches, je bavarde... Baoun !... et comme j’ai desservi le 6 et le 7...

ALEXANDRE, le menaçant.

Misérable !

MADAME GALIMARD.

Alexandre !

ANTONY, à madame Galimard.

N’ayez donc pas peur !

ALEXANDRE.

Au fait... je suis bien bon de m’emporter... je n’ai rien à craindre, quand même tu voudrais parler... Qu’est-ce que tu pourrais dire ?

ANTONY.

Ce que je pourrais dire !

D’une voix sombre.

Et si vous aviez oublié sur la table, entre la poire et le fromage, une pièce à conviction ?

ALEXANDRE, tâtant ses poches.

Est-il possible ?

MADAME GALIMARD, même jeu.

Que dit-il ?

ANTONY, à part.

Je vais les foudroyer !...

Il place la tabatière de Galimard sous le nez d’Alexandre.

Tremblez !

ALEXANDRE, tranquillement.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Je n’en use pas !

ANTONY.

Ah !

Se retournant vers madame Galimard et lui présentant tragiquement la tabatière.

Tremblez !...

MADAME GALIMARD, arrachant la boîte des mains d’Antony.

Ciel ! la tabatière de mon mari !

 

 

Scène XVI

 

ANTONY, MADAME GALIMARD, ALEXANDRE, GALIMARD

 

GALIMARD, entrant, au fond.

Hein ?

ANTONY.

Comment !

À part.

Sapristi ! qu’est-ce que j’ai fait ?

GALIMARD, à part.

Il m’a trahi !... Gredin, va !

MADAME GALIMARD, examinant la tabatière.

Oui... c’est bien cela... je la reconnais... et il l’a oubliée chez Véry !... Ah ! monsieur Galimard, nous allons avoir une explication.

ALEXANDRE, à part.

Ça se gâte... bravo !

Il remonte.

ANTONY, à part.

Papa était dans le 6 !

MADAME GALIMARD, à son mari.

Ah ! vous voilà, monsieur ?

GALIMARD, au comble de l’embarras.

Oui, ma bonne... c’est moi... je viens de faire rentrer mon bois...

MADAME GALIMARD.

Il ne s’agit pas de cela.

GALIMARD.

Tu seras contente... c’est de l’orme... ça tient la chaleur...

MADAME GALIMARD, lui présentant la boîte.

Connaissez-vous ceci ?

GALIMARD.

Je crois que oui... le général Foy... la Charte !...

ANTONY, à part.

Il l’a un peu violée, la Charte !... Gaillard !

MADAME GALIMARD, se contenant à peine.

La voilà donc retrouvée, cette boîte... oubliée chez un ami !

GALIMARD, barbotant.

Oui... oui... il paraît...

ANTONY, à part.

Pauvre père ! il me fait l’effet d’une mouche tombée dans du miel.

MADAME GALIMARD, à son mari.

Et chez quel ami, s’il vous plaît ?

GALIMARD.

Dame !... chez... chez...

À part.

Je ne sais que lui dire !...

ANTONY, à part.

Ah !...

Bas, soufflant à Galimard.

Guénuchot !

GALIMARD, vivement.

Chez Guénuchot !

Bas à Antony.

Merci !... gredin !

ANTONY, soufflant.

Qui est allé dîner... chez Véry...

GALIMARD, répétant.

Qui est allé dîner... chez Véry... le jour des Rois... avec une petite... avec Malvina !

MADAME GALIMARD.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

GALIMARD.

Une affreuse jeune fille de dix-huit ans... qui est dans la flanelle... Il aura oublié ma tabatière... et... voilà !

ANTONY.

Et voilà !... tout s’explique !

GALIMARD.

Tout s’explique !...

À part.

Je m’en suis bien tiré !

À Antony.

Merci, gredin !

MADAME GALIMARD, à part.

M. Guénuchot !... cette voix... que j’ai entendue.

ALEXANDRE, à Galimard.

Ah çà, cousin, tout est éclairci, n’est-ce pas ?... Nous dînons en famille ?

ANTONY, à part.

C’est ce que nous allons voir !

GALIMARD.

Comment ?...

ANTONY, à Alexandre.

C’est impossible ! Vous oubliez donc que vous partez ce soir pour l’Afrique ?

ALEXANDRE, MADAME GALIMARD, GALIMARD.

Hein ?...

ALEXANDRE.

Mais non... mais pas du tout !

ANTONY, lui jetant le mot dans l’oreille.

Baoun !

Il remonte.

ALEXANDRE, vivement.

Oui, en effet... je pars... un ordre du ministre...

Bas et vivement à madame Galimard.

Il faut que je vous parle !...

ANTONY, se plaçant entre eux.

Vous dites ?

ALEXANDRE.

Rien !... je vais fumer un cigare !

Il remonte en tirant de sa poche le porte-cigares brodé par madame Galimard.

GALIMARD.

Ah ! vous êtes bien heureux de fumer !... moi, ma femme me le défend...

ANTONY.

Allons donc ! elle vient de vous broder un charmant porte-cigares !

ALEXANDRE, à part.

Le mien !

ANTONY, à madame Galimard.

Faites donc voir !

GALIMARD.

Est-il possible ?

MADAME GALIMARD.

C’est une erreur... ce garçon rêve... et je n’ai jamais...

ANTONY, qui s’est approché d’Alexandre, lui jetant le mot dans l’oreille.

Baoun !

Alexandre passe vivement le porte-cigares à madame Galimard.

MADAME GALIMARD, à son mari.

Le voici !

GALIMARD.

Et brodé à mon chiffre encore !

ALEXANDRE, à madame Galimard, lui montrant le passe-partout.

Ce soir, à dix heures, avant mon départ !...

GALIMARD, à sa femme.

Ah çà ! c’est donc un raccommodement ?

MADAME GALIMARD.

Mais nous ne sommes pas brouillés, que je sache !

GALIMARD, avec tendresse.

Eh bien, alors... Caroline ! je ne tousse plus... rends-moi le petit passe-partout qui ouvre...

ANTONY, à part.

Ah ! bigre ! je l’oubliais !

MADAME GALIMARD.

Non ! j’ignore ce qu’il est devenu...

Elle se rapproche vivement d’Alexandre et lui arrache le passe-partout.

ANTONY, bas à Galimard.

Vous ne savez pas lui demander ça... dites-lui seulement : « Baoun ! »

GALIMARD.

Comment ?

ANTONY.

Allez ! et très fort !

GALIMARD.

Caroline !

MADAME GALIMARD.

Encore ?

GALIMARD.

Je t’en prie... je t’en supplie !

À part.

Elle ne m’écoute pas !

ANTONY, bas.

Allez donc !

GALIMARD.

Si tu pouvais lire dans mon cœur tout ce que...

Voyant que sa femme détourne la tête, il perd patience et crie tout à coup.

Baoun !

MADAME GALIMARD, remet le passe-partout à son mari en baissant les yeux.

Le voici !

ANTONY, à part.

En voilà une razzia !

GALIMARD, tenant le passe-partout, et au comble de l’étonnement.

Ah ! c’est prodigieux !

À Antony, en fouillant à sa poche comme pour lui donner de l’argent.

Qu’est-ce que je te dois pour ça ?

ANTONY.

Je vais vous le dire...

Il le conduit mystérieusement à l’autre extrémité de la scène, et après s’être assuré que les autres personnages ne le regardent pas, lui remettant avec mystère un petit paquet enveloppé de papier.

Chut ! cachez ceci.

GALIMARD.

Qu’est-ce que c’est ?

ANTONY.

Ce sont de mes cheveux.

Il prend un couteau sur la table et coupe par surprise une mèche à Galimard.

GALIMARD, étonné.

Hein ?

ANTONY, au comble de l’attendrissement, se jette dans ses bras et le dévore de baisers.

Ah ! bon vieillard ! bon vieillard !

GALIMARD, se dégageant.

Quel drôle de cuisinier !

CHŒUR.

Air final de la Perle des servantes.

Ensemble.

ALEXANDRE et MADAME GALIMARD.

Ah ! quelle misère !

Cet affreux serviteur

Veut, sa vie entière,

Le presser sur son cœur !

GALIMARD.

Quoi ! ma vie entière,

Le presser sur mon cœur

Ah ! quelle misère !

Quel fichu serviteur !

ANTONY.

Un dieu tutélaire

M’a fait son serviteur ;

J’veux ma vie entière,

Le presser sur mon cœur !

Au public.

Air de l’Écu de six francs.

Chez M. Véry, je l’ confesse,

Je vivais un peu ric-à-ric,

Mais l’ public me donnait la pièce...

À mon tour, et voilà le hic,

Je donne la pièce au public.

De plus j’en réponds, quelle audace !

Ah ! messieurs, que personne ici

N’aille imiter M. Véry...

Et me faire payer la casse.

N’imitez pas M. Véry,

Ne m’ faites pas payer la casse.

Reprise du Chœur.

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