Salvoisy (Eugène SCRIBE - Michel-Nicolas Balisson de ROUGEMONT - Alexis DECOMBEROUSSE)

Sous-titre : l'amoureux de la reine

Comédie-Vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 18 avril 1834.

 

Personnages

 

LA REINE

LA PRINCESSE

GEORGES DE SALVOISY

LAUZUN

DE VASSAN, capitaine des levrettes

LOUISE, orpheline

BOURDILLAT, médecin

FEMMES DE LA REINE

UN HUISSIER

GARDES DU CORPS

 

La scène, au premier acte, est à Trianon, en 1787. Au second acte, l’action se passe en 1791, aux environs d’Épernay, dans un château appartenant M. de Salvoisy.

 

 

ACTE I

 

L’appartement de la reine. Sur le devant, à gauche de l’acteur, une riche toilette.

 

 

Scène première

 

VASSAN, LAUZUN

 

VASSAN.

Pourrai-je avoir l’honneur de dire deux mots à monsieur le duc ?

LAUZUN.

Eh ! c’est le capitaine des levrettes de la chambre du roi ! ce cher monsieur de Vassan ! parlez, mon ami, parlez.

VASSAN.

Ah ! monsieur le duc, vous voyez un homme au désespoir, qui n’a plus une goutte de sang dans les veines ; je viens d’apprendre qu’il a été question do supprimer mes fonctions ; et cela, chez la reine.

LAUZUN.

Eh mais ! ce ne serait peut-être pas une trop mauvaise idée ; nous vous ferons entrer dans la bouche ou dans la garde-robe.

VASSAN.

C’est fort honorable sans doute ; mais tout le monde y entre ; tandis que ne commande pas qui veut aux levrettes de Sa Majesté.

Air : De sommeiller encor, ma chère.

Oui, les piqueurs les plus habiles
Ne pourraient leur donner des lois ;
Tandis que pour moi seul dociles,
Elles accourent à ma voix.
Grâce à mes talents qui les dressent,
Ces quadrupèdes complaisants,
Quand on les frappe, vous caressent.

LAUZUN, souriant.

On croirait voir des courtisans.

VASSAN.

C’est pour cela que leur suppression nous intéresse tous ;  car si on laisse faire notre jeune souveraine, elle aura bientôt tout changé, tout bouleversé.

LAUZUN, à part.

Je l’espère bien.

VASSAN.

C’est une idée fixe, une folie ; elle ne respecte rien. Déjà les paniers, qui avaient pour eux les premières familles du royaume... eh bien ! elle les a renversés.

LAUZUN, riant.

Que vous importe, puisque vos pensions restent debout ?

VASSAN.

Des modes elle passera à l’étiquette : il faut voir déjà le cas qu’elle en fait ; c’est au point qu’une reine pourra bientôt boire, manger, se promener et s’amuser comme une autre femme.

LAUZUN.

Ah ! cela ne serait pas tolérable !

VASSAN.

Enfin, croiriez-vous bien qu’il y a quelques jours elle s’est mise à courir les champs, dès cinq heures du matin, sous prétexte de voir lever le soleil.

LAUZUN.

Il a dû être un peu surpris de la rencontre.

VASSAN.

Qui donc ?

LAUZUN.

Eh parbleu ! le soleil !

VASSAN.

Et sur la terrasse du Grand-Trianon, au milieu de la nuit, ces concerts, dont tous les bons habitants de Versailles peuvent prendre leur part ; où Sa Majesté se montre comme une petite bourgeoise, en simple déshabillé blanc, sans aucune suite.

LAUZUN.

Eh bien ! où est le mal ?

VASSAN.

Le mal ! c’est qu’il lui est arrivé de causer quelquefois avec des gens de rien, des bourgeois qui sont venus, sans respect, s’asseoir auprès d’elle.

LAUZUN.

Tout cela vous étonne ? Mais vous ne voulez donc pas comprendre, vous autres vieux courtisans, qu’élevée dans toute la simplicité des mœurs allemandes, la reine ne peut pas se conformer à vos sots et ennuyeux usages.

Air : Du partage de la richesse.

Et cependant, quoique étrangère,
Par ses attraits et par sou goût exquis,
Par son esprit et sa grâce légère,
Elle appartient à notre beau pays.
Sans nul effort son sourire commande
Le dévouement, l’amour et les respects,
Et si sa tête est allemande,
Moi, je suis sur que son cœur est français.

Aussi fait-elle perdre l’esprit à tout le monde ; et ce matin encore ai-je été obligé de donner un coup d’épée, en son honneur, à un jeune étourdi, un jeune fou...

VASSAN.

Comment ! monsieur le duc, un duel ?

LAUZUN.

Mon Dieu oui ! Je parlais un peu haut à la vérité, puisque ce jeune homme m’a entendu, de l’amitié dont la reine m’honore, de la bonté tout particulière avec laquelle Sa Majesté veut bien m’accueillir depuis mon retour de Russie. Je citais quelques petites circonstances, du reste, assez connues : la plume de héron, et certain ruban ; j’allais même jusqu’à le montrer, lorsque ce jeune homme a eu l’audace de s’élancer sur moi, et de me l’arracher. Évidemment c’est un rival ; mais pour son nom il n’a pas voulu le dire.

UN HUISSIER, entrant par le fond, à droite de l’acteur.

Quelqu’un qui veut visiter le Grand-Trianon, et qui se réclame de M. le marquis de Vassan, m’a chargé de lui remettre ce billet.

VASSAN.

Donnez. Vous permettez, monsieur le duc ?

Lisant.

« Mon cher oncle. »

LAUZUN.

C’est un parent à vous.

VASSAN.

Ah ! parbleu ! des parents ! on n’en manque pas quand on est à la cour ; toutes les semaines il m’en tombe des nues.

Lisant.

« J’arrive du pays et meurs d’envie d’admirer Trianon et d’embrasser un oncle que je n’ai pas vu depuis dix ans. » C’est mon neveu, Silvestre de Varnicour, dont on m’annonçait l’arrivée, un beau blondin.

L’HUISSIER.

Non, Monsieur, il est brun.

VASSAN.

Petit, jeune homme.

L’HUISSIER.

Non, Monsieur, il est grand.

VASSAN.

Que m’écrivait donc sa mère ? Il ne peut pas cependant, depuis quelques heures qu’il est à Versailles...

LAUZUN.

Bah ! on change si vite à la cour !

L’HUISSIER.

Du reste, il a une impatience d’entrer au château...

VASSAN, montrant la lettre.

Je crois bien ! ces provinciaux qui n’ont jamais vu de près des grands seigneurs tels que nous...

LAUZUN, jetant les yeux sur le billet que Vassan tient à la main.

Comment ! c’est là l’écriture de votre neveu ?

VASSAN.

Mais apparemment.

LAUZUN.

C’est aussi celle du gentilhomme avec lequel je me suis battu ce matin.

VASSAN.

Quoi ! monsieur le duc ? il se pourrait ! Ah ! que je suis désolé ! il ne vous a pas blessé ?

LAUZUN.

Au contraire, c’est moi.

VASSAN.

Ah ! que c’est heureux ! Mais c’est donc une mauvaise tête ? S’attaquer à vous ! concevez-vous une pareille chose ? moi qui fais profession du plus entier dévouement. Ah ! mais je vais aller tout à l’heure lui laver la tête : soyez tranquille, monsieur le duc, soyez tranquille, vous obtiendrez toute satisfaction.

LAUZUN, souriant.

Eh ! ne l’ai-je pas déjà obtenue !

L’HUISSIER, à de Vassan.

Que dois-je répondre ?

VASSAN.

Eh ! parbleu ! qu’il attende ! je suis d’une colère !... Voilà la reine, et mon devoir est de prendre ses ordres. Qu’il attende !

L’huissier sort.

 

 

Scène II

 

VASSAN, LAUZUN, LA REINE, LA PRINCESSE, LES FEMMES DE LA REINE

 

LA REINE, entrant par la droite.

Déjà ici. Messieurs ? Est-ce que par hasard vous faisiez la cour à ma toilette ?

Elle s’assied auprès de la toilette, et ses femmes se tiennent derrière son fauteuil.

VASSAN.

Madame, on pourrait s’adresser plus mal ; n’est-elle pas chargée de reproduire les grâces de Votre Majesté ?

LA REINE, souriant.

Je suis sûre, monsieur de Lauzun, que vous n’auriez pas pensé celui-là.

LAUZUN.

Pire encore, Madame ; mais le respect du moins m’empêcherait de le dire.

LA REINE.

Vous êtes des flatteurs.

Elle s’assied à sa toilette, entourée de ses femmes. Les unes arrangent sa coiffure, les autres attachent à une robe blanche une garniture de fleurs naturelles.

LA PRINCESSE.

Votre Majesté ne met pas de rouge ce matin ?

LA REINE.

Non, ce soir seulement : on est si pâle aux bougies !

À Lauzun.

Dites-moi donc, monsieur de Lauzun, ce que vous devenez.

Bas.

Hier soir, chez la princesse, je mourais d’envie de jouer gros jeu. Vous savez que je ne le puis qu’en cachette et par procuration ; car si le roi le savait... et justement vous ne paraissez pas.

LAUZUN, de même.

Désespéré de n’avoir pas pressenti le désir de Votre Majesté. Toutefois, qu’elle se console ; car ailleurs j’ai beaucoup perdu.

LA REINE, de même.

Vous auriez gagné pour moi.

Haut.

Eh bien ! Messieurs, vous avez vu notre comédie ? Mais n’est-ce pas que nous ne sommes pas si détestables, pour des amateurs, quoi qu’en ait dit certain mauvais plaisant, que c’était « royalement mal jouer ! »

LAUZUN, qui est passé entre de Vassan et la princesse.

Oh ! quelle injustice ! il est impossible d’être plus séduisante que Votre Majesté dans Colette.

LA PRINCESSE.

Aurons-nous demain une seconde représentation ?

LA REINE.

Non, nous aurons demain soir un concert sur la terrasse de Trianon.

VASSAN.

Effet magique, enivrant ! Ces instruments à vent placés derrière ces massifs d’arbres, au milieu de la nuit, c’est à vous rendre sylphe !

LAUZUN.

Et puis tout ce qu’on y entend est si délicieux !

LA REINE.

Pas toujours.

À la princesse.

Témoin notre dernière rencontre où nous avons entendu quelques petites vérités assez piquantes.

VASSAN.

L’on aurait osé, pendant le concert délicieux ?

LA REINE.

Eh ! mon Dieu oui ! et je vous réponds que les paroles valaient encore mieux que la musique.

LAUZUN.

Eh ! qui se serait permis ?...

LA REINE.

Un jeune homme qui était venu s’asseoir sur le banc où je m’étais placée avec la princesse.

VASSAN.

Et vous ne lui avez pas ordonné de se retirer ?...

LA REINE.

Pourquoi ? Il nous regardait beaucoup, mais ne nous connaissait pas ; son action n’avait rien d’inconvenant. D’ailleurs le piquant de la situation m’amusait ; on a si peu l’habitude d’attaquer la reine devant moi ! et je ris de la surprise de ce jeune homme, si jamais il me reconnaît.

VASSAN.

Il se croira perdu !

LA REINE.

Je ne le pense pas.

LA PRINCESSE.

Ou plutôt de votre ennemi qu’il était, il deviendra votre partisan, votre admirateur.

LAUZUN.

Eh mais ! peut-être est-ce déjà fait ; car M. le lieutenant de police me parlait hier d’un original qui, depuis quelque temps, se trouve toujours sur le passage de Votre Majesté, et fait tous ses efforts pour pénétrer jusqu’à elle ; efforts jusqu’à présent inutiles.

LA REINE.

À coup sûr, car c’est la première nouvelle. Eh bien ?...

LAUZUN.

Eh bien ! Madame, les singulières démonstrations de ce personnage, le langage passionné avec lequel il exprime son admiration pour Votre Majesté l’ont fait remarquer de tout le monde.

LA REINE.

En vérité ?

LAUZUN.

Au point que chacun ne le désigne plus que sous le titre de l’amoureux de la reine.

LA REINE.

L’amoureux de la reine !

LAUZUN.

Oui, Madame, et je ne sais pourquoi, car c’est un titre que nous réclamons tous.

LA REINE.

Et vous dites qu’il me suit partout ?

LAUZUN.

Partout où il peut pénétrer : à l’Opéra, à la messe, dans les galeries...

LA REINE.

C’est étonnant que je ne l’aie pas remarqué !

LAUZUN.

Hier, toujours à ce que ma dit M. le lieutenant de police, il est resté trois heures à la grille, par une pluie affreuse !

LA REINE, avec compassion.

Quelle folie ! Et sait-on qui il est, d’où il vient ?

LAUZUN.

Communicatif sur un seul point, il est muet sur tous les autres.

LA PRINCESSE.

Je suis de l’avis de M. le duc ; je croirais assez que c’est l’homme de la terrasse.

LA REINE.

Quelle idée ! et comment imaginer que des sentiments aussi hostiles que les siens aient été changés par un quart d’heure de conversation ?

LAUZUN.

Un quart d’heure ! mais il vous a souvent suffi d’un coup d’œil ; et d’après tout ce qu’on m’a raconté de son assiduité et de sa persévérance silencieuse, c’est une cour dans toutes les règles.

LA REINE.

Monsieur de Lauzun...

LAUZUN.

Oui, Madame, il faut dire les choses comme elles sont, et Votre Majesté le rencontrera quelque jour errant dans les bosquets de Versailles dont il ne peut s’éloigner.

LA REINE, se levant.

En vérité, Messieurs, il faut bien peu de chose pour donner carrière à votre imagination. Un gentilhomme de province, si toutefois c’est celui que nous croyons, car tout le monde en parle et personne ne l’a vu, pas même moi, ce pauvre jeune homme, qui ne connaissait peut-être rien de plus beau, avant de venir ici, que les tours de son gothique château, ne pourra pas se rassasier tout à son aise des spectacles, des cérémonies et des merveilles de Versailles, sans que son admiration pour la cour ne soit transformée aussitôt en amour pour sa souveraine, et les gens qui m’approchent, qui m’entourent, accueillent et répètent de pareils bruits !

LAUZUN.

Je suis désolé d’avoir blessé Votre Majesté.

LA REINE.

Me blesser ! et en quoi ? Pensez-vous que je fasse attention à de pareilles folies ?

LAUZUN.

C’est justement pour cela que je me suis permis une plaisanterie...

LA REINE.

Dont je ne veux plus entendre parler. C’est bien, qu’il n’en soit plus question.

À la princesse.

Qu’y a-t-il ce matin ? Avez-vous quelque demande, quelque pétition qui me soit adressée ?

LA PRINCESSE.

Non, Madame.

LA REINE.

Tant pis ! j’aurais voulu rendre service à quelqu’un, cela m’aurait rendu ma bonne humeur.

LA PRINCESSE.

N’est-ce que cela ! Que Votre Majesté se rassure, je crois que j’ai ce qu’elle désire...

LA REINE.

Parlez vite !

LA PRINCESSE.

Une pauvre jeune fille, que les concierges du château ont beau congédier et qui revient tous les matins en disant : Je veux parler à la reine. Je l’ai aperçue aujourd’hui dans la cour, assise sur une borne, et pleurant : je lui ai demandé ce qu’elle voulait : Je veux parler à la reine ; je n’ai pu en tirer d’autre réponse, et j’attendais que Votre Majesté fût seule pour lui recommander ma protégée.

LA REINE.

Que je la voie. Qu’on me l’amène sur-le-champ.

Un huissier paraît.

Sur-le-champ !

LAUZUN.

Si Votre Majesté me le permet, je cours la chercher...

LA REINE.

Ah ! je conçois ! dès qu’il s’agit d’une jeune fille... Est-elle jolie ?

LA PRINCESSE.

Charmante !

LA REINE.

M. de Lauzun l’avait deviné ; et son empressement...

LAUZUN.

Prouve le désir de plaire à Votre Majesté.

LA REINE.

Désir intéressé, dont il faudra vous savoir gré ; n’importe, j’y consens.

M. de Lauzun sort, la reine se retourne vers l’huissier.

Eh bien, que voulez-vous encore, et que faites-vous là ?

L’HUISSIER.

Mille pardons, Madame ! je voulais parler à M. le marquis de Vassan.

LA REINE.

Est-ce un secret ?

VASSAN.

Non, vraiment ; dis tout haut.

L’HUISSIER.

C’est monsieur votre neveu qui vous attend, qui s’impatiente, qu’on ne peut pas retenir, et qui menace de parcourir tout le château sans vous, si vous tardez davantage.

VASSAN.

Sans moi...

À part.

Diable ! diable, j’y cours.

Haut, à la reine.

Un provincial qui n’a jamais vu Trianon, et à qui je veux procurer ce plaisir. Sa Majesté n’a pas d’ordre à me donner ?

Signe négatif de la reine. Il sort vivement par la droite, suivi de l’huissier. Au même moment entrent par le fond M. de Lauzun et Louise.

 

 

Scène III

                                               

LA REINE, LA PRINCESSE,  M. DE LAUZUN et LOUISE, LES FEMMES DE LA REINE

 

LAUZUN.

Voici, Madame, la charmante fille que je me suis chargé de vous présenter.

LA REINE.

Approchez, mon enfant ; que voulez-vous ?

LOUISE.

Je veux parler à la reine.

LA PRINCESSE, à Louise.

Vous êtes devant elle.

LOUISE.

C’est impossible ! ah ! je croyais que ce serait bien plus effrayant.

LA REINE.

Je vous semblais donc bien terrible ?

LOUISE.

Dame ! rien qu’à la peine que j’ai eue pour arriver, je me disais ; Qu’est-ce que ça s’ra donc quand j’y serai ; eh bien ! pas du tout, ce que vous m’avez dit m’a déjà rassurée et donné bon espoir.

LA REINE.

Je ne vous ai encore rien dit.

LOUISE.

C’est vrai ; mais vous m’avez regardée d’un air qui voulait dire : Courage, mon enfant ! et je me suis dit : Celle-là, du moins, n’est pas fière et dédaigneuse ; elle est avenante, elle est charitable ; excusez, Madame, si je me suis trompée.

LA PRINCESSE, à demi voix.

Prenez donc garde !

LOUISE.

Mais je serais si heureuse si je pouvais obtenir de votre bonté...

LA PRINCESSE.

Vous voulez dire de Votre Majesté.

LA REINE.

Non, non, laissez-la parler. C’est à ma bonté, n’est-ce pas, que vous vous adressez ? cela vaut beaucoup mieux. Répondez, d’où venez-vous ?

LOUISE.

De par delà Clermont en Argonne, d’où je suis venue à pied à Versailles, pour parler à la reine...

LA REINE.

Nous le savions déjà ; mais que vouliez-vous lui dire à la reine ?

LOUISE.

Ça s’ra un peu long à vous raconter, et je suis bien fatiguée.

Elle prend le fauteuil qui est devant la toilette et s’assied.

LA PRINCESSE.

Que faites-vous ? on ne s’assied pas devant la reine.

LOUISE, restant toujours assise.

C’est-i vrai, Madame ? C’est que depuis deux jours que je ne me suis pas seulement reposée un instant, je me sens des faiblesses dans les jambes.

LA REINE, lui appuyant la main sur l’épaule.

Restez, restez, de grâce !

LOUISE.

Merci, Madame, je l’aime autant.

Se retournant vers la reine qui est debout appuyée sur le dos du fauteuil.

Eh bien ! je vous disais donc qu’on me nomme Louise, Louise tout court ; je n’ai pas d’autre nom, je suis orpheline.

LA REINE.

Et dans le besoin ?

LOUISE.

Oh ! non, vraiment. Il y avait au pays une grande dame, si bonne, si généreuse, qu’on aurait cru que vous y étiez ; je ne manquais de rien ; madame la marquise m’avait prise auprès d’elle.

LA REINE.

Quelle marquise ?

LOUISE.

Eh bien ! la marquise, tout le monde connaît ça ; la dame du château de Clermont en Argonne, madame de Salvoisy, qui n’a qu’un fils, un si beau jeune homme, un sourire si aimable, et de grands yeux noirs. Vous ne l’avez jamais vu ?

LA REINE.

Non, vraiment.

LOUISE.

Tout le monde l’adore au château ; c’est tout naturel, il y fait tant de bien ! et il n’y a pas un de ses vassaux qui ne donnât sa vie pour lui.

LAUZUN, souriant.

À commencer par mademoiselle Louise.

LOUISE.

Oh ! Dieu ! je ne serai pas assez heureuse pour ça. Par exemple, il avait un défaut, à ce que disait sa mère, car moi je ne lui en ai jamais trouvé : c’est que depuis quelque temps il parlait politique, ce qui désolait madame la marquise ; il trouvait que tout allait de travers à la cour.

LAUZUN, sévèrement.

Eh bien ! par exemple...

LOUISE, naïvement.

Oui, Monsieur, il était comme ça : il parlait de gloire, de liberté, d’idées nouvelles ; je n’y entendais rien, mais j’étais de son avis ; il déclamait avec tant de chaleur contre tous les abus, contre les courtisans, contre le roi, contre la reine. Ah ! pour la reine, il avait tort, je le vois maintenant.

LA REINE, avec un peu d’émotion.

En vérité !

LOUISE.

C’est tout simple, il ne vous connaissait pas, il ne vous avait pas vue ; et c’est dans ces dispositions-là qu’il est venu faire un voyage à Paris, où Madame a appris qu’il parlait en tous lieux aussi librement que dans son château ; et puis tout à coup elle n’en a plus reçu de nouvelles ; on n’a plus su ce qu’il était devenu ; son cousin même, M. de Salvoisy, qui est employé à Versailles, a écrit qu’il était disparu, et qu’il craignait que la police, la Bastille, les lettres de cachet... que sais-je ? Depuis ce moment, Madame ne vivait plus, ni moi non plus, et voyant ma bienfaitrice dans les craintes et dans les larmes...

Elle se lève.

Ah ! ça va mieux.

Elle continue.

Il m’est venu une idée dont je n’ai parlé à elle, ni à personne, parce qu’on m’en aurait empêchée. Je suis partie à pied de Clermont en Argonne, sans savoir le chemin ; mais je disais à tous ceux que je rencontrais : Je vais à Versailles pour parler à la reine, et ils m’indiquaient ma route.

LA REINE.

Pauvre enfant !

LOUISE.

Dès le second jour, je n’avais plus d’argent ; je n’y avais pas pensé, et j’étais tombée de besoin au pied d’un arbre, lorsque passa un vieux militaire qui me dit : « Jeune fille, que fais-tu là ? – Je viens de Clermont, et je vais à Versailles, parler à la reine. » Alors, il me donna un louis. Vous le lui rendrez, Madame, n’est-il pas vrai ? Je le lui ai promis. Et voilà comme je suis arrivée à Versailles, comment j’ai parlé à la reine, pour lui demander la grâce et la liberté de mon jeune maître.

Air nouveau de M. Hormille.

Comment sans lui retourner au pays ?

LA REINE.

Quoi ! mon enfant, vous voulez que la reine
Vienne au secours d’un de ses ennemis ?

LOUISE.

Raison de plus.

LA REINE.

Pour augmenter sa haine ?

LOUISE.

N’en croyez rien. Madame... ce sera
Un cœur de plus qui vous appartiendra.

LA REINE.

Il faut se rendre aux accents généreux
De cette voix qui presse et qui supplie ;
Mais dites-moi, si je cède à vos vœux,
Puis-je espérer, mon ancienne ennemie,
Que votre cœur un jour m’appartiendra ?

LOUISE.

Oh ! non, vraiment, car vous l’avez déjà.

LA REINE, souriant.

Voyons, vous dites que votre jeune maître est M. de...

LOUISE.

Salvoisy !

LA REINE, cherchant.

Salvoisy !

Souriant.

Non seulement je ne l’ai pas fait arrêter, mais je n’ai pas même entendu ce nom-là parmi ceux... Je vais faire parler à M. Lenoir.

LOUISE.

C’est celui qui met au cachot ? Ah ! que vous êtes bonne !

LAUZUN.

Puisque ce M. de Salvoisy a un cousin à Versailles, on pourrait d’abord savoir par lui...

À Louise.

Lui avez-vous parlé ?

LOUISE.

Non, Monsieur, je ne sais pas même où il demeure, et puis je ne voulais parler qu’à la reine.

LA REINE, à la princesse.

Princesse, vous vous informerez, vous ferez écrire à ce cousin, je le verrai, je veux le voir dès aujourd’hui.

À Louise.

Soyez tranquille, mon enfant ; nous saurons ce qu’est devenue la personne qui vous intéresse si vivement. On n’inspire pas un dévouement comme le vôtre sans le mériter. Tenez, vous voyez bien ce monsieur en habit brun, au fond de cette galerie ? c’est M. de Vassan. Priez-le de ma part de vous conduire dans le salon de musique ; dans deux heures vous aurez une réponse.

Se retournant vers ses femmes.

Maintenant, Mesdames, chez le roi.

À Lauzun.

Monsieur de Lauzun !...

Lauzun, qui regardait Louise, s’approche vivement de la reine qui adresse à Louise un geste de protection.

Adieu, mon enfant.

En souriant.

Adieu, ma nouvelle alliée !

À la princesse.

Ah ! je vous remercie, princesse, voilà une bonne matinée.

Elle sort par le fond, entourée de toutes ses femmes, et causant avec Lauzun.

 

 

Scène IV

 

LOUISE, seule

 

Ah ! que je suis contente ! et que diront maintenant tous ceux qui se moquaient de moi : Toi ! parler à la reine, une petite fille de rien ! une paysanne ! Oui, oui, je lui parlerai. Et je lui ai parlé, et pas trop mal encore, puisqu’on m’accorde ce que je demande, puisque je vais rendre la liberté à notre jeune maître et la vie à sa mère ! et c’est sûr ; la reine me l’a promis, la reine me l’a dit. Il faut qu’elle soit bonne pour écouter tout le monde, car elle doit avoir bien des embarras avec un aussi grand ménage que le sien !...

 

 

Scène V

 

VASSAN, LOUISE

 

VASSAN, entrant par la droite et regardant autour de lui.

Pas ici non plus ! où diable peut-il être fourré ? je suis d’une inquiétude...

Apercevant Louise.

Ah ! une jeune personne. Ne l’auriez-vous pas vu, par hasard ?

LOUISE, étonnée.

Qui donc, Monsieur ?

VASSAN.

Mon neveu.

LOUISE.

Je ne le connais pas.

VASSAN.

C’est juste... Et m’échapper ainsi ! À peine ai-je eu le temps de lui demander des nouvelles de la famille, sur laquelle il m’a répondu tout de travers. Au diable les gens de province ! on devrait les supprimer.

LOUISE.

Eh bien ! par exemple ! moi qui suis de la province de Champagne !

VASSAN.

Je dis ça pour mon neveu, qu’en oncle complaisant je m’étais chargé de promener dans le château. C’étaient, à chaque pas, des admirations, des extases ! j’avais toutes les peines du monde à le faire avancer.

LOUISE.

Dame ! ça a l’air si beau !

VASSAN.

Plus il voyait, plus il voulait voir ; j’avais beau lui dire : Si tu t’y prends comme ça, nous en aurons bien pour six semaines ; je lui avais montré de loin les appartements de la reine, et j’allais ouvrir la salle des gardes, lorsqu’on me retournant, plus personne ! mon gentilhomme avait disparu, évanoui, évaporé !

LOUISE.

Ah ! que c’est drôle ! et où peut-il donc être allé ?

VASSAN.

Est-ce que je sais, moi ? c’est justement ce qui m’effraie ; ignorant des usages et de l’étiquette, il est capable de pénétrer jusque dans le conseil du roi ! et jugez un peu ce qui m’en arriverait ; car enfin c’est par moi qu’il est ici, c’est sur moi que pèse la responsabilité, et s’il commettait quelque inconvenance...

En ce moment Salvoisy entre avec précaution par la droite, et, à la vue de Vassan, disparait par le fond à gauche.

VASSAN, continuant.

Quelle tache pour le nom des Vassan !

LOUISE, étonnée.

Comment ! l’on vous nomme...

VASSAN.

Jean-Claude, marquis de Vassan, pour vous servir.

LOUISE.

C’est justement à vous que la reine m’a dit de m’adresser pour me faire conduire dans le salon de musique.

VASSAN, se frappant la tête.

Dans le salon de musique ? Ah ! j’y pense, nous avons passé devant, il y sera peut-être entré.

LOUISE.

Sous ce riche portique
Où s’étendent mes yeux,
Que tout est magnifique !
Qu’on y doit être heureux !

Ensemble.

VASSAN.

L’aventure est unique !
Courons vite, morbleu !
Au salon de musique
Pour trouver mon neveu.

LOUISE.

Sous ce riche portique, etc.

Ils sortent ensemble par le fond, du côté droit.

 

 

Scène VI

 

SALVOISY, seul

 

Il rentre avec précaution en les voyant s’éloigner.

Il n’est plus là ; il s’est éloigné ! Me voilà seul, seul, dans l’appartement de la reine ! Je sais à quoi je m’expose si l’on m’y surprend ; que m’importe ? pourvu que je la revoie une fois encore, non pas confondu dans la foule, non plus posté pendant des heures entières près du portique ou du perron où elle doit monter en voiture, et où mes yeux, pendant qu’elle s’élance, la voient passer comme une apparition ; mais seule, là ! devant moi ! ses regards s’arrêteront sur les miens, je l’entendrai, j’entendrai le son de cette voix qui m’a perdu, qui a changé ma vie, bouleverse toutes mes idées, qui m’a entraîné jusqu’ici... Moi dont le cœur battait d’indignation au seul nom de la cour, qui aurais rougi de détourner la tête pour voir passer une reine ; maintenant ma vie entière, comme celle de ces vils courtisans, se passera peut-être à épier un regard. Ah ! je les hais de toute la haine que je ne puis plus avoir pour elle.

Écoutant.

Ne vient-on pas ? Serait-ce encore ce M. de Vassan ? Non, je suis débarrassé de lui, et je peux rendre à son neveu le nom que je lui ai emprunté. Ce matin, devant moi, à mon hôtel, il se vantait de son oncle le marquis, dont la protection devait l’introduire dans le château ; je l’ai devancé, je suis venu chercher à sa place... quoi ? un indigne affront, un juste châtiment ! la Bastille peut-être ! car à ma vue, à la vue d’un homme au milieu de son appartement, elle aura peur ; ses paroles n’exprimeront que la colère et l’indignation ; elle ne daignera plus, bonne et indulgente, comme sur le banc de la terrasse, écouter mes discours, y répondre comme mon égale ; non elle sera reine, reine irritée... Eh bien ! j’aurai vécu un jour.

S’arrêtant.

Et ma mère ! ma pauvre vieille mère ! d’autres encore qui m’aimaient tant, et que je ne reverrai plus. Ah ! sans cette fièvre qui me dévore, sans ce délire, oui, oui, c’est du délire, je suis fou, je ne me reconnais plus, et quand je reviens à moi, je me dis : Retournons près de ma mère, fuyons ces lieux...

Regardant autour de lui avec exaltation.

Mais ces lieux, ce sont ceux qu’elle habite.

Allant à la fenêtre.

Oui, je ne me trompais pas, c’est sur cette croisée que mes yeux sont attachés chaque jour... Oui, d’après la description exacte que je m’en suis fait donner, ce doit être ici, en sortant de ses petits appartements, qu’elle reçoit à sa toilette les hommages de la foule indifférente des courtisans. Un duc de Lauzun, pour la remercier de quelque faveur nouvelle, pourra tomber à ses genoux et lui baiser la main, tandis que moi qui ne demande rien, qui ne veux rien, que m’enivrer de sa vue...

Regardant vers la droite du théâtre et poussant un cri.

Ah ! son portrait ! Ah ! oui, le seul, le seul encore qui l’ait reproduite à mes yeux comme je l’ai vue, comme elle est en réalité.

Avec transport.

Ma fortune ! ma fortune tout entière pour cette image !...

 

 

Scène VII

 

SALVOISY, LA PRINCESSE

 

LA PRINCESSE, à l’huissier qui entre avec elle par le fond à gauche.

C’est bien, c’est bien.

SALVOISY, se retournant.

Quelqu’un, et ce n’est pas elle ! Ah ! je suis perdu !

LA PRINCESSE, à l’huissier.

Je mettrai ces demandes sous les yeux de Sa Majesté. On laissera entrer M. de Salvoisy sitôt qu’il se présentera.

SALVOISY.

Que dit-elle ?

LA PRINCESSE.

C’est l’ordre de la reine.

SALVOISY.

De la reine !

S’avançant vivement vers la princesse.

Salvoisy ! c’est moi, Madame.

LA PRINCESSE, l’examinant.

Vous, Monsieur ?

SALVOISY.

Oui, Madame, moi-même.

LA PRINCESSE.

Je venais d’envoyer chez vous : la reine veut vous voir.

SALVOISY.

Me voir ! Elle sait donc qui je suis ? elle a donc voulu le savoir ?

LA PRINCESSE.

Mais apparemment.

À part.

Quel singulier homme.

Haut.

Elle veut vous parler d’une chose qui vous intéresse.

SALVOISY.

Me parler : à moi ! Salvoisy ?

LA PRINCESSE, continuant.

N’avez-vous pas des parents à Clermont en Argonne ?

SALVOISY, de même.

Oui, Madame.

À part.

Ah ! ma tête se perd !

LA PRINCESSE.

C’est donc bien à vous. Encore quelques instants ; Sa Majesté ne tardera pas à paraître.

Elle sort en lui faisant une révérence et en lui faisant signe d’attendre.

 

 

Scène VIII

 

SALVOISY, puis LAUZUN

 

SALVOISY.

Ce n’est pas vrai ! c’est impossible ! Ah ! si je pouvais le croire ! Elle sait donc par combien de repentir et d’adoration j’ai expié mes discours de la terrasse ; les lâches calomnies auxquelles j’avais pu croire ! Une reine ne peut-elle pas tout savoir ? Oh ! oui, elle sait tout, elle a eu pitié de moi, elle veut me consoler, me dire qu’elle me pardonne. Je vais donc la voir ! et de son consentement ! et par son ordre ! Oh ! mon Dieu !...

Il se laisse tomber dans un fauteuil sur le devant à droite, et reste plongé dans ses réflexions.

LAUZUN, entrant par la gauche.

L’occasion est favorable, et avant que la reine ne rentre chez elle...

Montrant un papier.

Là, sur sa toilette, cette allusion à notre dernier entretien ; ces deux lignes, dont elle seule pourra comprendre le sens. Voilà trop longtemps que j’hésite ; la manière dont elle m’accueille, les distinctions dont elle m’accable, tout me dit qu’il faut me déclarer, que c’est le moment. Elle s’y attend, j’en suis sûr, et l’on ne doit pas faire attendre une reine de France.

Il place le billet sur la toilette. Salvoisy se lève à ce bruit. Lauzun se retourne brusquement.

Qui est là ? que vois-je ? encore cet homme !

SALVOISY.

Encore ce duc !

LAUZUN.

Que voulez-vous ? que demandez-vous ?

SALVOISY.

La reine.

LAUZUN.

Et croyez-vous qu’il suffise d’un désir de pénétrer jusqu’à elle ? Qui vous a conduit ici ?

SALVOISY.

Que vous importe ?

LAUZUN.

Vous me direz au moins à quel titre ?

SALVOISY.

Pas davantage.

LAUZUN.

Un ordre écrit peut seul vous donner le droit...

SALVOISY.

Montrez-moi le vôtre.

LAUZUN.

Mon nom, mon rang, les charges que j’occupe...

SALVOISY.

Ah ! j’entends ! vous êtes de la cour, vous ; on vous y admet, on vous y accueille, pour que vous alliez ensuite répandre au dehors le venin de vos calomnies.

LAUZUN.

Monsieur !

SALVOISY.

Ne vous ai-je pas entendu ? Les malheureux ! ils approchent d’une jeune femme sans expérience, prompte à céder à tous les mouvements de son âme, légère dans ses goûts peut-être, mais jeune, mais indulgente. Ils la provoquent, ils l’encouragent, et puis après ils l’injurient.

Air de Renaud de Montauban.

Trompé par eux, le peuple la maudit,
Persuadé d’un crime imaginaire ;
Ils n’ont pas craint, par un infime bruit,
De soulever contre elle sa colère.
Puis, à la cour, les mots qu’ils ont dictés
Sont répétés par leur bouche coupable...
Pour rendre ainsi le peuple responsable
Des crimes qu’ils ont inventés.

LAUZUN.

D’aussi graves injures seraient déjà punies, si je ne pardonnais à l’exaltation d’un homme que le sort des armes a déjà rendu malheureux contre moi.

SALVOISY.

Oh ! qu’à cela ne tienne, je suis prêt encore.

LAUZUN.

Eh ! Monsieur, attendez donc que vous soyez remis de votre première blessure ! Pensez-vous, d’ailleurs, que je n’aie rien autre chose à faire qu’à mettre l’épée à la main contre vous, que je ne connais pas ?

SALVOISY.

La reine non plus ne vous connaît pas, et je viens lui dire...

LAUZUN.

Monsieur !...

 

 

Scène IX

 

SALVOISY, LAUZUN, VASSAN

 

VASSAN, apercevant Salvoisy, et courant à lui sans voir Lauzun.

Ah ! le voilà...

Se retournant et apercevant Lauzun.

Dieu ! M. le duc !

LAUZUN.

Lui-même ! qui, sans votre arrivée, allait donner une nouvelle leçon à votre neveu.

VASSAN.

Mon neveu ! encore lui ! Ah çà ! c’est donc un diable ! il est partout ; on vient de me dire qu’il me demandait en bas à la grille, un petit blond ; et à moins qu’il ne soit double...

LAUZUN.

Ou que l’un des deux ne soit un imposteur.

VASSAN.

C’est possible ; en tous cas, ce ne peut être que celui-ci. Se glisser dans cet appartement sans ma permission ! oser tirer l’épée contre M. le duc ! je le renie pour mon neveu.

LAUZUN.

Comme il vous plaira, mais qu’il s’éloigne.

SALVOISY.

M’éloigner !

LAUZUN.

Dans son intérêt, et dans le vôtre.

VASSAN, bas, à Salvoisy.

Vous l’entendez ; sortez, de grâce !

SALVOISY, s’asseyant sur le fauteuil à droite.

Je reste, car je suis ici par l’ordre d’une personne plus puissante que vous tous.

LAUZUN.

Vraiment ! et qui donc ?

 

 

Scène X

 

SALVOISY, LAUZUN, VASSAN, LA PRINCESSE

 

LA PRINCESSE, entrant par le côté à gauche.

La reine, Messieurs.

Apercevant Salvoisy.

Sa Majesté, que je précède, sera charmée de vous voir.

VASSAN et LAUZUN.

Que dites-vous ?

LA PRINCESSE.

Que la reine désire parler à Monsieur.

Elle montre Salvoisy.

VASSAN, avec orgueil.

À mon neveu ! une audience particulière à mon neveu ! à mon vrai et véritable neveu ; car l’autre est un intrigant et un chevalier d’industrie que je vais faire arrêter... Dieu ! la reine.

 

 

Scène XI

 

SALVOISY, LAUZUN, VASSAN, LA PRINCESSE, LA REINE

 

LA PRINCESSE, allant au-devant de la reine, lui dit à demi voix.

Voici la personne à qui Votre Majesté désirait parler.

LA REINE.

Je vous remercie.

S’avançant et le regardant, à part.

Ô ciel !

À demi voix.

Comment, princesse, vous ne le reconnaissez pas ?

LA PRINCESSE, de même.

Non, vraiment !

LA REINE, de même.

C’est le jeune homme qui, au concert de la terrasse...

LA PRINCESSE, de même.

Vous croyez ? je n’en répondrais pas.

LA REINE, de même.

Et moi j’en suis sûre. Pas un mot devant M. de Lauzun, et avertissez cette jeune fille, mademoiselle Louise, qu’elle vienne.

LA PRINCESSE, sortant.

Oui, Madame.

LA REINE, s’avançant vers Salvoisy.

On vous a fait beaucoup attendre. Monsieur, j’en suis désolée.

SALVOISY, à part, avec émotion.

C’est sa voix ! et c’est à moi, c’est à moi qu’elle parle !

LA REINE, toujours à Salvoisy.

Approchez-vous ; j’aurais quelques renseignements à vous demander sur un de vos parents.

Regardant sa main qui est enveloppée d’un taffetas noir.

Ô ciel ! vous êtes blessé ?

SALVOISY.

Oui, Madame.

LA REINE.

Et comment cela ?

VASSAN.

Par M. le duc, qui lui a fait cet honneur.

LA REINE.

M. de Lauzun ? et pour quelle cause ?

LAUZUN.

Je ne puis le dire, même à Votre Majesté, et j’espère que Monsieur aura la même discrétion.

SALVOISY, avec fierté.

Je ne promets rien, Monsieur.

Geste de colère de Lauzun.

LA REINE.

Il suffit. Monsieur de Lauzun, Monsieur de Vassan...

Sur un signe de la reine, Lauzun et de Vassan s’inclinent et sortent du même côté.

VASSAN, à part.

Seul avec la reine ! quel honneur pour la famille !

 

 

Scène XII

 

LA REINE, SALVOISY

 

LA REINE, s’asseyant près de la toilette, et après un moment de silence.

Un duel avec M. de Lauzun ! voilà qui est grave ; car il est puissant, il a un grand crédit ; le savez-vous ?

SALVOISY.

Oui, Madame.

LA REINE.

Il fallait donc des motifs bien forts ?

SALVOISY.

Jugez-en vous-même, Madame ; il outrageait devant moi, par une indigne calomnie, la vertu la plus noble et la plus pure.

LA REINE.

Je comprends : une grande dame dont vous étiez le chevalier ?

SALVOISY.

Non, Madame ; tant d’honneur ne m’appartient pas, et cependant je donnerais ma vie pour elle : car cette personne-là c’est Votre Majesté.

LA REINE.

Moi ! que dites-vous ? calomniée par M. de Lauzun. Oh ! non, non, vous vous êtes trompé, vous avez mal entendu : ce n’est pas possible.

Étendant la main vers la toilette, et prenant le papier qu’elle y voit.

Son dévouement pour moi, son respect, me sont trop bien connus...

Jetant les yeux sur le papier.

Dieu ! qu’ai-je vu ?

Froissant le papier avec indignation et se levant.

L’insolent ! oser m’adresser de pareils vœux ! à moi !

SALVOISY, timidement.

Votre Majesté refuse de me croire ?

LA REINE, vivement.

Non, Monsieur, non, je crois tout maintenant. Des outrages, des calomnies, voilà ce que je dois attendre de mes amis. Quel sort me réservent donc les autres ?

SALVOISY.

Ah ! si vos ennemis vous connaissaient tous, ils seraient comme moi.

S’inclinant.

Ils se prosterneraient devant vous, ils vous demanderaient grâce, comme je le fais en ce moment, pour ces paroles indiscrètes, injurieuses, que sur des bruits mensongers je n’ai pas craint de vous adresser, sans vous connaître.

LA REINE, souriant.

Oui, le soir, sur la terrasse de Trianon. Ah ! vous vous rappelez notre conversation ? vous ayez meilleure mémoire que moi ; je l’ai tout à fait oubliée.

SALVOISY, fléchissant le genou.

Ah ! Madame, c’est trop de générosité.

LA REINE.

Relevez-vous, Monsieur ; quoique je ne pense pas mériter tous les reproches que l’on m’adresse, je ne me crois pas une divinité.

SALVOISY, se relevant.

Daignez me dire, au moins, que vous ne me croyez plus au nombre de vos ennemis.

LA REINE, avec bonté.

J’en suis persuadée.

SALVOISY.

Ah ! que je suis heureux ! car mes torts pesaient là, sur mon cœur, comme un crime ! Et pour les racheter, les expier tout à fait, que ne puis-je répandre jusqu’à la dernière goutte de mon sang !

LA REINE, à part.

Pauvre jeune homme !

Regardant sa main.

Il a déjà commencé.

Haut.

Je vous ordonne, Monsieur, de ne plus vous exposer ainsi ; nos défenseurs sont trop rares pour que nous ne devions pas les ménager, et nous attendons de vous, en ce moment, un service qui vous coûtera moins cher.

SALVOISY.

Que Votre Majesté daigne commander.

LA REINE.

Une de vos parentes, la marquise de Salvoisy, qui demeure à Clermont en Argonne, a un fils qui a disparu.

SALVOISY, à part et troublé.

Ô ciel !

LA REINE.

Savez-vous ce qu’il est devenu, et quel est son sort ?

SALVOISY, hésitant.

Oui, Madame.

LA REINE.

Dites-le-moi donc, car je m’y intéresse beaucoup, et j’ai promis de le rendre à sa mère.

SALVOISY.

Votre Majesté ne le pourra pas, car il est impossible qu’il s’éloigne maintenant de Versailles.

LA REINE, vivement.

Il y est donc ?

SALVOISY.

Oui, Madame ; le jour, errant dans ces jardins, sous ces portiques ; la nuit, couché sous le marbre de vos balcons, ou les yeux fixés sur vos fenêtres.

LA REINE.

Que me dites-vous ? Serait-ce ce jeune homme dont on me parlait ce matin, qui suit partout mes pas, et qu’on ne désigne ici que sous le nom d’Amoureux de la reine ?

SALVOISY.

Oui, Madame.

LA REINE.

C’est là votre parent, et vous n’avez pas essayé de le rendre à la raison ; de lui représenter qu’il exposait ainsi, à la poursuite d’une vaine chimère, son repos, son bonheur et ses jours peut-être ?

SALVOISY.

Il le sait, Madame ; mais il aime mieux mourir que de ne plus voir Votre Majesté ; c’est sa vie, c’est son être ; il n’existe que de votre présence.

LA REINE.

En vérité, c’est de la folie, et je m’étonne que, faisant profession d’un pareil dévouement, il n’ait pas été arrêté un instant par la crainte de me compromettre ou de me déplaire.

SALVOISY.

Vous déplaire, vous compromettre ! Ô ciel ! et comment ? est-ce votre faute si l’on vous aime ? est-ce la sienne s’il n’a pu se défendre d’un pareil amour ? et jugez vous-même. Madame, s’il est coupable. Dans ces jardins de Versailles, dans ce parc magnifique ouvert à tout le monde, une femme se trouve assise près de vous ; vous êtes frappé du charme de sa personne ; vous lui parlez, elle répond ; le son de sa voix vibre jusqu’au fond de votre âme, vous vous laissez aller sans méfiance à l’entraînement de ses discours ; et quand une passion vous est bien entrée jusqu’au fond du cœur, il se trouve que cette femme est une reine ! une reine ! Ah ! que n’est-elle votre égale ! on l’adorerait sans crime, on pourrait l’avouer, le lui dire à elle-même, et pâle, tremblant, les yeux baissés vers la terre, on ne rougirait pas devant elle de honte et de crainte, comme je le fais en ce moment.

LA REINE.

Ô ciel ! que dites-vous ?

SALVOISY.

Que je suis cet insensé, ou plutôt ce coupable.

LA REINE, avec dignité et faisant un pas pour sortir.

Monsieur !..

SALVOISY.

Ah ! ne me punissez pas, ne prononcez pas mon arrêt ; je ne crains pas la prison, je ne crains pas la mort ; mais je crains de ne plus vous voir. Grâce, Madame ! grâce et pitié...

LA REINE, à part.

Mon Dieu ! si j’appelle, il est perdu !

SALVOISY, avec chaleur.

Je ne veux rien, je ne demande rien, que vous voir, vous voir encore, les jours où tout le monde est admis à ce bonheur ; et si, dans la foule indifférente qui souvent se presse autour de vous, il est un homme qui vous aime, pourquoi sa vue vous irriterait-elle ? son silence et ses tourments seraient-ils une offense ?

La reine fait encore quelques pas pour sortir.

Oh ! non, non, cela n’est pas possible ! et peut-être émue d’un attachement si pur et si vrai, vous direz : Pauvre homme ! il m’aime tant ! et vous me souffrirez...

LA REINE.

Monsieur !...

À part.

Que lui répondre ? le malheureux me fait de la peine ; et cependant, souffrir de pareilles choses est impossible. Allons, allons, qu’il s’éloigne, du moins...

Haut.

Monsieur, je vous prie...

À part.

Là, ne le voilà-t-il pas immobile devant moi !

Haut.

Monsieur, retirez-vous, la reine ne saura rien de tout ce qui s’est passé. Allez, allez ; mais surtout plus d’éclat, plus de querelles, ce serait encore une manière de me calomnier... Eh bien ! ne m’entendez-vous pas ?

SALVOISY.

Si, Madame, vous venez de me répondre sans colère, avec bonté ; je vous reconnais ; oui, oui, vous voilà bien, telle que je vous ai vue la première fois. Un mot, un mot encore, de cette voix que peut-être je n’entendrai plus ; qu’avant de mourir vous ayez eu pitié de moi ; et quel que soit le châtiment qui m’est réservé.

Se jetant à ses pieds.

que je puisse toucher cette main qui me pardonne.

LA REINE, avec dignité, et dégageant sa main que Salvoisy vient de saisir.

Malheureux ! je vous ordonne de sortir.

En ce moment, le duc de Lauzun, M. de Vassan et quelques personnes de la cour paraissent au fond.

 

 

Scène XIII

 

LA REINE, SALVOISY, M. DE LAUZUN, VASSAN

 

LA REINE, aux personnes qui entrent, et montrant Salvoisy.

Messieurs, faites sortir cet homme !

LAUZUN.

Le misérable ! aux pieds de Votre Majesté !

VASSAN.

Quelle insolence ! il n’est plus mon neveu, et sa ruse est découverte.

Aux gardes du corps qui sont près de la porte.

Qu’on le saisisse ! qu’on l’entraîne !

Au moment où les gardes font un mouvement pour arrêter Salvoisy, paraît Louise.

 

 

Scène XIV

 

LA REINE, SALVOISY, M. DE LAUZUN, VASSAN, LA PRINCESSE, LOUISE

 

LOUISE, entrant vivement, et poussant un cri en apercevant Salvoisy.

Ah ! le voilà ! Grâce, Madame, grâce pour lui, vous me l’avez promis !

LA REINE.

Oui... Qu’on ne lui fasse aucun mal, qu’il s’éloigne seulement ; cet homme n’a point de mauvais desseins ; il est privé de sa raison, ce n’est qu’un pauvre insensé.

LOUISE.

Lui !

SALVOISY, poussant un cri déchirant.

Ah ! ce n’était que du mépris, pas même de la pitié !

LAUZUN, à la reine.

Quoi ! Madame, vous laisseriez impunis de pareils outrages ?

LA REINE.

Ne vous en plaignez pas, Monsieur, et remerciez le ciel de mon indulgence.

Bas, lui remettant son billet.

Tenez ; et désormais ne reparaissez jamais devant moi.

Elle va s’asseoir près de la toilette.

LOUISE, qui pendant ce temps s’est approchée de Salvoisy.

Eh ! mais, qu’a-t-il donc ? comme il me regarde d’un air effrayant ! Mon maître ! mon maître ! est-ce que vous ne me reconnaissez pas ?

Musique qui dure jusqu’à la fin de l’acte.

SALVOISY, avec égarement.

Sortez ! a-t-elle dit ; qu’on le chasse ! Chassé comme un valet !

LOUISE, se jetant aux pieds de la reine.

Madame, il a perdu la raison.

SALVOISY, à Louise, qu’il relève.

Que faites-vous donc ? à genoux devant elle ! prenez garde, vous allez vous faire chasser : ceux qui l’aiment sont renvoyés de ce palais ; elle ne souffre auprès d’elle que ses ennemis ; vous voyez bien que je ne peux pas y rester. Venez, venez.

Il veut entraîner Louise, et traverse avec elle le théâtre de gauche à droite ; mais il chancelle et tombe sans connaissance dans un fauteuil que la reine vient de quitter.

LA REINE, gagnant le fond à droite.

Princesse, monsieur de Vassan, voyez, ordonnez qu’on lui prodigue tous les soins. Privé de la raison !...

Le regardant.

Ah ! le malheureux, que lui reste-t-il ?

LOUISE, auprès de Salvoisy.

Moi, Madame ; moi qui ne le quitterai jamais.

Elle se jette dans les bras de Salvoisy. La reine s’éloigne en jetant sur lui un dernier regard. La toile tombe.

 

 

ACTE II

 

Un salon du château de Salvoisy, sur la route d’Épernay. Porte au fond et portes latérales. Sur le devant, à gauche de l’acteur, une table avec tout ce qui est nécessaire pour écrire, et de plus une guitare.

 

 

Scène première

 

BOURDILLAT, seul, assis près de la table, lisant le journal

 

Comme ça marche ! comme ça marche ! Chaque jour un nouvel événement ! et les notables, et l’Assemblée nationale, et le Jeu de Paume, et les titres qui s’en vont, et les assignats qui arrivent. L’abolition de la noblesse ; il n’y aura plus de nobles : l’abolition des noirs ; il n’y aura plus de noirs : tout cela va d’un train... Et aujourd’hui,

Il prend un autre journal.

qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans le journal de M. Salvoisy ?

Il lit.

Chronique de Paris, 19 juin 1791. « Décret qui enjoint aux princes de revenir en France, sous peine de confiscation  de leurs biens, etc. » Dame, qu’ils y prennent garde ! s’ils s’en vont tous comme ça, cela fait de la place aux autres ! et nous finirons par être les premiers. Moi, par exemple ! moi, Bourdillat, simple chirurgien, pour ne pas dire frater, à Épernay, me voilà déjà administrateur du district. Tous mes collègues s’amusent à faire du désintéressement, moi je ne demande qu’à monter ; il ne faut pour cela que saisir au passage une bonne occasion, et il en passe tous les jours. Ah ! c’est mademoiselle Louise !

Il se lève.

 

 

Scène II

 

LOUISE, BOURDILLAT

 

LOUISE.

Vous voilà, monsieur Bourdillat ?

BOURDILLAT.

Oui, Mam’selle, fidèle à mon devoir, tous les matins je viens au château de M. Salvoisy déjeuner et lire les journaux, et voir notre jeune et intéressant malade. Comment va-t-il ce matin ?

LOUISE.

Je ne trouve pas de changement.

BOURDILLAT.

C’est étonnant ! ça n’est pas faute de visites ! trois cent soixante-cinq par an. Je reviendrai demain, car c’est mon meilleur malade.

LOUISE.

Je crois bien, toujours si bon, si aimable, ne se plaignant jamais !

BOURDILLAT.

Il n’en a pas le temps. Vous êtes toujours là, à veiller sur lui, à prévenir tous ses désirs, et cela depuis cinq ans, sans vous décourager ni vous ralentir un moment : savez-vous que c’est très beau ?

LOUISE.

Et en quoi donc ? Est-ce qu’il me serait possible de le quitter, de l’abandonner ? Depuis que sa mère est morte, il n’a plus que moi pour l’aimer !

BOURDILLAT.

Et vous l’aimez tant !

LOUISE.

Dame ! madame la marquise me l’avait ordonné, et je ne lui ai jamais désobéi. « Louise, qu’elle me dit, je lègue mon fils à tes soins, à ton zèle ! Tous ses parents ont fui sur une terre étrangère, et moi aussi, je vais le quitter pour jamais. »

Air : Elle a trahi ses serments et sa foi.

D’une mourante entends le dernier vœu :
Sois de mon fils la compagne assidue ;
Que l’amitié puisse lui tenir lieu
De la raison, qu’hélas ! il a perdue.
Veille ici-bas sur lui, ma fille, et moi,
Du haut des cieux je veillerai sur toi !

BOURDILLAT.

Ah ! elle vous a dit cela ?

LOUISE.

Oui, Monsieur ; et si elle me regarde quelquefois, comme elle me l’a promis, elle doit être contente.

BOURDILLAT.

Vous avez raison ; elle doit être contente de nous. Vous, d’abord, vous faites tout ce qu’il veut, et moi, je ne le contrarie jamais, je ne lui ordonne jamais rien, je le laisse bien tranquille : c’est le moyen de le guérir tout à fait.

LOUISE.

Vous croyez ?

BOURDILLAT.

Foi de docteur, je n’en connais pas d’autre, et je vous réponds qu’il y a du mieux. Le mois dernier, ce jour où il refusait de me recevoir, il avait toute sa raison.

LOUISE.

Oh ! oui, je sais bien ces jours-là.

BOURDILLAT.

Toute la semaine dernière, il a parlé presque aussi raisonnablement que moi, et hier et avant-hier, en apercevant M. le duc, je ne sais lequel, qui se rendait à la frontière, il l’a très bien reconnu, et en général, tout ce qu’il a vu à Versailles, tout ce qui vient de ce pays-là produit sur lui une émotion, une commotion qui pourrait amener sa guérison.

LOUISE.

Vous croyez ? ça serait bien heureux. Au fait, il y a des moments où il raisonne ; il reconnaît ceux qui lui parlent, il leur répond avec justesse. Mais moi, je suis bien malheureuse, c’est comme un sort qu’on m’aurait jeté ; j’ai beau être toute la journée à côté de lui, il ne me reconnaît jamais, il me prend toujours pour la reine ; il me parle de son amour, et cela a l’air de le rendre si heureux que je le laisse dire, quoique ce soit là le plus pénible, voyez-vous.

BOURDILLAT.

Et en quoi ?

LOUISE.

Je ne sais ; mais il me semble que de recevoir des amitiés qui ne sont pas pour vous, il y a là-dedans quelque chose de... enfin, ça n’est pas à moi, ça ne m’appartient pas, et quand on est honnête fille, on ne veut rien dérober à personne.

BOURDILLAT.

Vous êtes folle !

LOUISE.

C’est possible, l’habitude de vivre avec lui.

BOURDILLAT.

Si cela arrivait, nous vous soignerions aussi ; car moi, j’ai une affection pour tout ce qui tient à ce château... pour le château lui-même. Tout à l’heure, le commandant militaire, M. Byron, qui vient inspecter en passant le département de la Marne, nous demandait un logement pour lui et son état-major. Eh bien ! moi, je lui ai désigné ce château comme le lieu le plus digne de le recevoir.

LOUISE.

On les logera dans l’aile droite du château, mais ce n’est pas trop amusant, parce que des militaires...

BOURDILLAT.

N’ayez pas peur : quoique fort jeune encore, le commandant Byron est un de ces anciens seigneurs si éminemment aimables... Je vous présenterai à lui, et grâce à ma protection... Tenez, tenez, le voici déjà qui vient s’établir et prendre possession de son quartier général.

 

 

Scène III

 

LOUISE, BOURDILLAT, BYRON

 

BYRON, au fond, à des cavaliers.

Surtout, Messieurs, beaucoup d’égards et de politesse pour les habitants de ce château ; des militaires français doivent l’exemple de l’ordre et de la discipline.

Voyant Bourdillat.

Eh ! c’est maître Bourdillat, ce magistrat irréprochable et ce docteur qui ne l’est peut-être pas autant...

BOURDILLAT.

Vous êtes trop bon, commandant ; du reste, c’est moi-même qui prends la liberté de recommander à votre protection cette jeune fille.

Bas, à Louise.

Avancez donc.

LOUISE, levant les yeux.

Ô ciel ! M. de Lauzun !

BYRON, la regardant.

Eh ! mais, autant que je me rappelle, cette jolie fille...

BOURDILLAT.

Vous la connaissez ?

BYRON, allant à elle.

Toutes les jolies filles sont de ma connaissance.

LOUISE.

Il y a cinq ans, à Trianon, vous m’avez présentée à la reine.

BYRON, avec embarras.

La reine ! il y a cinq ans... oui, oui, je me rappelle parfaitement... depuis, les temps ont changé.

BOURDILLAT.

Et nous avons fait comme eux.

BYRON.

Moi, du moins ; car vous, ma belle enfant, toujours aussi jolie, si toutefois cela n’a pas augmenté. Et votre jeune maître, ce cerveau brûlé, simple gentilhomme à qui il fallait de royales amours ?

LOUISE.

Vous êtes ici chez lui.

BYRON.

Pardon ! pardon mille fois ; et sa tête ?

LOUISE.

Elle n’est jamais bien revenue.

BOURDILLAT.

C’est moi qui le traite.

BYRON, lui frappant sur l’épaule.

Ça ne m’étonne pas, vous en êtes bien capable !

BOURDILLAT, s’inclinant.

Trop de bontés. Ces ex-grands seigneurs sont d’une politesse... On reconnaît tout de suite les manières de l’ancienne cour.

BYRON.

La cour ! je n’en suis plus, Monsieur ; je suis de la nation.

BOURDILLAT, avec satisfaction.

Oh ! nous savons bien que M. le duc de Lauzun...

BYRON.

Il n’y a plus de duc de Lauzun. Un des premiers j’ai abdiqué toutes ces distinctions et privilèges, dont une seule nuit a suffi pour renverser l’échafaudage. Je suis le commandant Byron ; ce titre vaut bien l’autre. Je ne devais le premier qu’au hasard ; c’est à la confiance de mes concitoyens que je dois celui-ci, et quoique jeune, je tâcherai d’y faire honneur.

BOURDILLAT.

Vous n’aurez pas de peine.

BYRON.

Que chacun fasse son devoir et tienne ses engagements comme moi, avec une foi ferme et sincère, et les temps s’amélioreront.

BOURDILLAT.

Ils sont déjà améliorés ! Autrefois je n’étais rien, aujourd’hui je suis quelque chose ; et encore la plupart de mes collègues prétendent que je n’entends rien à ce qui se passe, que je suis un brouillon, un imbécile ; expression de l’ancien régime.

BYRON.

Style de tous les temps.

BOURDILLAT.

Que j’aie un jour l’occasion de déployer mes talents, ils verront si j’en ai... À propos de ça, monsieur le commandant, on disait ce matin au district que la cour et toute la noblesse veulent abandonner le royaume ?

BYRON, sans l’écouter.

Oui, oui...

Rompant la conversation, et s’adressant à Louise.

Eh bien ! ma chère enfant...

LOUISE.

Si monsieur le commandant veut prendre possession de ses appartements, il y trouvera tout ce qui peut lui être utile ; et plus tard, si vous désirez quelque chose...

BYRON.

L’avantage de vous offrir mes services, le plaisir d’être admis à vous présenter mes hommages.

BOURDILLAT.

Galanterie de l’ancienne cour.

BYRON, s’éloignant de Louise.

C’est vrai, ce n’est plus de mode ; mais quand on y a été élevé...

LOUISE.

Taisez-vous, taisez-vous, je crois entendre mon maître.

BYRON.

Pauvre jeune homme !

À Bourdillat.

Ah ! sa vue me ferait mal. Venez, venez, Bourdillat ; conduisez-moi à l’appartement que mademoiselle Louise veut bien me destiner.

Lauzun et Bourdillat sortent par le fond. Louise sort après eux.

 

 

Scène IV

 

SALVOISY, puis LOUISE

 

Il entre par la porte latérale, à droite ; il marche lentement, s’arrête, et a l’air de regarder d’un air étonné ; il salue à droite, à gauche, comme, s’il y avait beaucoup de monde, donnant une poignée de main à droite, à gauche.

SALVOISY.

Air de la Folle. (Musique de M. Grisard.)

Que de monde aujourd’hui ! quels courtisans nombreux !
Pour contempler la reine ils viennent en ces lieux...
Ils l’admirent tout haut... moi je l’aime tout bas ;
Mon âme est tout entière attachée à ses pas !
Mais je la cherche en vain, et je ne la vois pas !
Pour moi plus du bonheur quand je ne la vois pas !

Apercevant Louise qui rentre par la porte du fond.

La voilà, c’est la reine, elle sort de son appartement.

Il la salue et se tient dans une attitude respectueuse.

LOUISE, à part.

Je n’ose l’approcher.

Haut.

Monsieur...

SALVOISY.

Votre Majesté daigne donc accorder un instant d’entretien à son serviteur ?

LOUISE.

Toujours elle ! et jamais moi.

SALVOISY.

Quelle différence ! depuis ce jour où vous avez dit : « Sortez, qu’on le chasse ! » Ah ! je me le rappelle, vous l’avez dit ; et alors je ne sais ce qui s’est passé en moi, l’humiliation, la rage, la haine ! Oh ! oui, je vous haïssais plus que jamais...

LOUISE, avec joie.

Serait-il vrai ?

SALVOISY.

Puis, tout à coup, un changement... ah ! un changement bien grand ; de dédaigneuse et hautaine, vous êtes devenue si bonne, si aimable, vos yeux me regardaient avec une expression si douce... tenez, comme en de moment.

LOUISE.

Vous croyez ?

SALVOISY.

Oh ! que je vous trouve ainsi et plus touchante et plus belle ! Et ces riches habits de soie, ces perles dans vos cheveux, vous les avez ôtés ; vous avez bien fait, vous n’en avez pas besoin ; je vous aime bien mieux comme cela.

LOUISE, avec joie.

Vraiment !

SALVOISY.

Sans comparaison ! Ah ! si vous pouviez rester toujours comme vous êtes, ne plus être veine...

LOUISE.

Je ne demande pas mieux.

SALVOISY.

Vous n’y tenez donc pas ?

LOUISE.

Du tout, du tout ; Versailles, la cour et les majestés, si vous pouviez comme moi oublier tout cela !...

SALVOISY, avec force.

Vous oublier... Oh ! non, je ne le peux pas ! vous êtes tout pour moi !

LOUISE, cherchant à le calmer.

On m’avait parlé d’une amie de votre enfance...

SALVOISY.

Attendez !... Ah ! oui ; la reine...

LOUISE.

Eh ! non. Une jeune fille qui vous était si attachée.

SALVOISY.

Attendez... oui, Louise...

LOUISE.

Il sait encore mon nom.

SALVOISY, tristement.

Pauvre enfant ! elle est morte.

LOUISE.

Eh bien ! par exemple, qui vous a dit cela ?

SALVOISY.

Ah ! elle est morte ; elle ne vient plus, plus du tout ; et si elle vivait.

Il la prend par la main et la conduit dans un coin du théâtre, à droite... À demi-voix.

Vous ne savez pas ? ce fût mon premier amour. Oui, je l’aimais avant d’aller à la cour.

LOUISE.

Là ! ce que c’est que de venir à la cour ! Voyez comme tout s’y perd !

SALVOISY.

Mais ma mère n’aurait jamais voulu.

Il va s’asseoir auprès de la table.

Ah ! elle était bien jolie.

Louise s’approche. La regardant.

Moins que vous cependant, bien moins que Votre Majesté.

LOUISE.

C’est fini, il est dit qu’il n’y a que moi qu’il ne reconnaîtra jamais.

SALVOISY, prenant la guitare qui est sur la table, et jouant pendant la ritournelle.

Air du Castillan à Paris (d’Édouard Brugnières).

Sans vous, hélas ! ma vie était si triste !
Votre aspect seul la charme et l’embellit ;
Par votre aspect je respire et j’existe...

LOUISE, à part, avec joie.

Ah ! pour le coup, c’est de moi qu’il s’agit !

SALVOISY.

Oui, sans l’éclat du diadème,
Tout céderait à votre loi...

LOUISE.

Ah ! qu’ c’est cruel !... mêm’ quand il m’aime,
Cet amour-là...

Pleurant.

Ah ! ah ! n’est pas pour moi !

SALVOISY, se levant et allant à Louise.

En vous voyant, se glisse dans mes veines
Un feu brûlant, et lapide et soudain...
Et cette main que je presse eu les miennes...

LOUISE, à part, avec joie.

Oh ! cette fois, c’est bien moi ! c’est ma main !

SALVOISY, avec passion.

Reine chérie !... ah ! tant de grâce
Fait oublier qu’on n’est pas roi !

Il l’embrasse.

LOUISE, à part et pleurant.

Et même, hélas ! quand il m’embrasse,
Ces baisers-là, ah ! ah ! n’ sont pas pour moi !

Elle le repousse.

SALVOISY.

Ah ! vous êtes fâchée !

LOUISE.

Il n’y a peut-être pas de quoi ?

SALVOISY.

Je vous ai offensée !

LOUISE.

Ce n’est pas tant la chose, mais les idées qu’on y attache.

Salvoisy salue respectueusement.

Allons, des respects maintenant.

Il fait un second salut respectueux, la regarde, puis il sort brusquement par la porte latérale à droite.

LOUISE, le regardant.

Air : Pour le trouver, je cours en Allemagne (d’Yelva).

Toujours la reine ! hélas ! quelle est ma peine.
Et que notr’ sort est étrange aujourd’hui !
Il est trop loin de moi quand je suis reine.
Et paysann’ je suis trop loin de lui !
Il guérirait du délir’ qui l’égaré.
Que tous mes vœux seraient encor déçus !
La folie, hélas ! nous sépare,
Et la raison nous sépare encor plus.

 

 

Scène V

 

LOUISE, BOURDILLAT

 

BOURDILLAT.

C’est encore moi, mademoiselle Louise. Voici ce que c’est : un  monsieur, une dame et un enfant demandent l’hospitalité ; une indisposition du petit bonhomme les oblige de s’arrêter : il leur fallait un asile et un médecin pour une demi-heure. Je me suis trouvé là, votre château aussi ; je les ai assurés de mes bons soins, de votre bon accueil, et je vous les amène.

LOUISE.

Vous avez bien fait.

BOURDILLAT.

J’ai déjà examiné l’enfant, ce ne sera rien du tout.

Il se met à la table et écrit.

Une légère prescription.

LOUISE.

Je cours à la pharmacie du château.

BOURDILLAT.

C’est cela ; ils pourront après se remettre en route.

Louise sort par la porte latérale à gauche.

 

 

Scène VI

 

LA REINE, BOURDILLAT

 

LA REINE, à Vassan qui l’accompagne et qui est resté en dehors.

Surtout ne le quittez pas.

Entrant vivement et s’adressant à Bourdillat.

Eh bien ! Monsieur, mon fils ?

BOURDILLAT.

Soyez sans inquiétude, Madame, on prépare ce qui est nécessaire pour lui ; dans quelques instants, il sera tout à fait bien.

LA REINE.

Ah ! Monsieur, que de reconnaissance ! Ainsi dans une demi-heure nous pourrons nous remettre en chemin ?

BOURDILLAT.

Oui, Madame.

LA REINE, à part.

Quel voyage ! il me semble que nous n’aurons jamais atteint la frontière.

BOURDILLAT.

Vous venez de Paris, à ce que je présume ?

LA REINE.

De Paris ?... Non, Monsieur.

BOURDILLAT.

Tant pis ! vous auriez pu me donner des détails...

LA REINE.

Sur quoi donc, Monsieur ?

BOURDILLAT.

Il circule depuis hier une foule de bruits plus alarmants les uns que les autres.

LA REINE.

Vous m’effrayez !

BOURDILLAT.

On prétend que le roi a l’intention d’abandonner la partie. On va même jusqu’à indiquer, mais cela se dit à l’oreille, jusqu’à indiquer le jour de son départ.

LA REINE, à part.

Grand Dieu ! on aurait su à l’avance...

BOURDILLAT.

En tous cas, je ne lui conseillerais pas de prendre par cette route-ci.

LA REINE, à part.

Quel supplice !

BOURDILLAT.

Le pays est prononcé, excessivement prononcé.

LA REINE, inquiète et voulant cacher son inquiétude.

Mon Dieu ! Monsieur, cette potion que l’on prépare pour mon fils...

BOURDILLAT.

Je l’attends, Madame, je l’attends.

LA REINE, avec impatience.

Ayez, je vous prie, la bonté de voir si vos ordres ont été ponctuellement exécutés.

BOURDILLAT.

Des ordres... je n’en ai point à donner à la personne qui a bien voulu se charger... mais ne vous impatientez pas, Madame, je l’entends.

 

 

Scène VII

 

LA REINE, BOURDILLAT, LOUISE

 

LOUISE, remettant une petite bouteille à Bourdillat.

Tenez, regardez ; est-ce bien cela que vous m’avez demandé ?

Pendant que Bourdillat examine, elle aperçoit la reine.

Grand Dieu !

Elle fait un mouvement pour aller à la reine, qui lui fait signe de garder le silence.

BOURDILLAT, à Louise, après avoir examiné la potion.

Le meilleur pharmacien n’aurait pas mieux préparé cette potion ; et quoiqu’on ait besoin de moi au district, je cours près de l’enfant ; l’État peut bien attendre, tandis qu’un malade...

LA REINE.

Que je vous remercie !

BOURDILLAT.

Je suis comme ça, je suis médecin avant d’être fonctionnaire, d’autant plus que les fonctions publiques sont gratuites, tandis que les autres...

LA REINE.

Croyez que je saurai reconnaître...

BOURDILLAT.

Ce n’est pas pour cela que je le dis.

À Louise, lui montrant la reine.

C’est la dame que vous voulez bien accueillir, et que je vous recommande.

Il sort par la gauche.

 

 

Scène VIII

 

LA REINE, LOUISE

 

LOUISE, regardant sortir Bourdillat et venant se jeter aux pieds de la reine.

Ah ! Madame, il est donc vrai, et Votre Majesté...

LA REINE.

Imprudente ! que faites-vous ?

LOUISE.

Me voilà, comme autrefois, à vos pieds, dans ce palais où j’implorais vos bontés, où vous daigniez me protéger.

LA REINE.

Nous avons changé de rôle, mon enfant, car c’est moi, aujourd’hui, qui ai besoin de protection.

LOUISE.

La reine de France !...

LA REINE.

Je ne le suis plus ; errante et fugitive, je suis forcée de chercher un asile sur la terre étrangère.

LOUISE.

Grand Dieu !

LA REINE, avec douleur.

Il le faut.

Avec résignation.

Mais, épouse et mère, je sais quels devoirs ces titres m’imposent, et je les remplirai.

LOUISE.

Ah ! parlez, disposez de moi !

LA REINE.

Partie de Paris secrètement hier au soir avec le roi, j’ai été obligée de le quitter sur la route pour faire soigner mon enfant malade. Si je ne m’arrête qu’un instant, je puis, j’espère, encore le rejoindre avant la ville prochaine.

 

 

Scène IX

 

VASSAN, LA REINE, LOUISE

 

VASSAN, accourant.

Ah ! Madame ! ah ! reine.

Il s’arrête en voyant Louise.

LA REINE.

Oh ! vous pouvez parler, monsieur de Vassan ; c’est une amie. Eh bien ! mon fils ?

VASSAN.

Va beaucoup mieux, infiniment mieux. Nous pourrons repartir dans un quart d’heure, ce qui est essentiel ; car il est perdu, et vous aussi, Madame, si nous tardons à nous remettre en route.

LA REINE.

Expliquez-vous.

VASSAN.

Le médecin qui nous a introduits dans ce château, qui nous y a installés avec tant de grâce, est une des autorités du pays.

LA REINE.

Il serait vrai !

LOUISE.

Hélas ! oui, Madame.

VASSAN.

Il a sans doute des ordres, des instructions secrètes ; c’est peut-être un piège qu’il nous a tendu en nous conduisant ici, chez un de vos anciens ennemis.

LOUISE.

Ah ! Madame, ne le croyez pas.

LA REINE.

Et chez qui suis-je donc ?

VASSAN.

Chez M. de Salvoisy, ce jeune homme qui, jadis, osa pénétrer dans les appartements de Trianon, et dont l’audace fut punie par la perte de sa raison.

LA REINE, avec un peu de douleur.

Ah ! oui, je me rappelle.

À Louise.

Est-ce que le malheureux ?...

LOUISE.

Ah ! mon Dieu ! Madame, toujours ; il ne pense qu’à la reine.

LA REINE.

Pauvre jeune homme !

VASSAN.

Jugez alors du danger que court Votre Majesté. Aussi, quand tout à l’heure je l’ai rencontré face à face, et que je l’ai vu fixer sur moi ses yeux avec une expression tout à fait extraordinaire, je ne me suis pas amusé à lui demander de ses nouvelles, j’ai doublé le pas pour lui échapper.

LA REINE.

L’infortuné ! malgré lui, peut-être, s’il me voit, il me nommera, me trahira.

LOUISE.

Il vous aime tant !

VASSAN.

Et une amitié comme celle-là vous dénoncerait pour vous sauver.

LA REINE.

Il faut donc se hâter. Monsieur de Vassan, voyez à presser notre départ.

VASSAN.

Oui, madame.

Il sort par le fond.

LA REINE.

Et vous, ma chère enfant, tâchez d’ici là que M. de Salvoisy ne m’aperçoive pas.

LOUISE.

Il doit être rentré dans son appartement, je vais l’y enfermer. Vous, Madame, restez dans ce salon. On n’y viendra pas, vous n’y courez aucun danger, et dans quelques instants j’espère vous apporter de bonnes nouvelles.

Elle sort par la porte latérale à droite, après avoir baisé la main de la reine, et on l’entend en dehors fermer la porte à droite.

 

 

Scène X

 

LA REINE, seule

 

Elle s’assied à droite du théâtre.

Oh ! quel voyage ! quel voyage ! à chaque instant de nouvelles craintes, de nouveaux périls ; un cocher qui, à peine sur son siège, s’égare dans les rues de Paris et perd une heure avant d’arriver à la barrière ! une heure, dans une fuite comme la nôtre ! et la fatalité, quand nous avons besoin de l’obscurité la plus profonde, qui nous force à choisir la nuit la plus courte de l’année. Ce n’est rien encore ; tout devait tendre à ne point éveiller la curiosité, les soupçons. Eh bien ! deux voitures, des chevaux sans nombre, des gardes, des coureurs ; tout l’attirail d’un souverain qui visite son empire. Ah ! je n’accuse pas mes amis ; mais que souvent leur zèle est maladroit ! et mon fils qui tombe malade ! et le hasard qui me fait entrer dans ce château, où m’attend un danger, le moins prévu de tous.

Elle écoute.

Du bruit !... qui peut venir ?

Elle se lève.

Ah ! courons vers mon fils... Ciel ! M. de Salvoisy !

 

 

Scène XI

 

SALVOISY, LA REINE

 

Salvoisy entre par la porte du fond qu’il referme précipitamment à double tour, et retire la clé qu’il met dans sa poche.

SALVOISY.

Vassan ! Vassan ! le marquis de Vassan ! Oh ! je l’ai reconnu, je les reconnais tous ; c’est devant lui, c’est devant eux qu’elle m’a dit : « Sortez, sortez ! c’est un fou ! c’est un fou ! »

LA REINE.

Et aucun moyen de lui échapper !

Elle cherche à se sauver ; mais à chaque instant elle s’arrête dans la peur d’être vue.

SALVOISY, riant.

Ah ! je suis fou !

LA REINE, voyant toutes les portes fermées.

Impossible de sortir !

SALVOISY, l’apercevant.

Une femme ! une femme ici !

Il s’approche.

Qui est-elle ?

Il va à elle brusquement ; la reine cherche à l’éviter, mais il l’arrête.

Que voulez-vous, Madame ?

La reine le regarde avec dignité.

SALVOISY.

Ah !

Il jette un cri affreux et reste la bouche béante.

LA REINE.

Monsieur de Salvoisy...

SALVOISY, après un instant de silence.

Cette voix ! la reine...

Il la regarde avec admiration, puis fait un mouvement pour  s’avancer vers elle. La reine, d’un geste imposant, lui fait signe de s’arrêter. Il reste immobile.

Et cependant ces traits si fiers, si imposants... ce ne sont plus ces regards de bonté et de tendresse qui me consolaient : ce n’est pas la reine que j’aimais ; c’en est une autre dont la vue m’impose et me rend tremblant.

LA REINE, s’approchant.

Oh ! je n’ai plus peur... pauvre insensé !

SALVOISY.

Insensé ! non ; il y avait un poids affreux

Montrant son cœur.

là !

Portant la main à son front.

Là surtout... C’était la nuit, et voici le jour.

LA REINE.

Monsieur de Salvoisy !...

SALVOISY.

Oui, c’est moi ; c’est mon nom. Vous êtes la reine, rien que la reine, voilà tout ; mais il y a quelque chose qui me manque, et que je ne puis comprendre ; quelque chose que je ne puis dire, et que je cherche...

Apercevant Louise qui entre par la porte latérale à droite.

Ah ! la voilà !

 

 

Scène XII

 

SALVOISY, LA REINE, LOUISE

 

LOUISE.

Madame, Madame, il n’était pas dans la chambre ; il s’était échappé.

LA REINE.

C’est lui ! tais-toi.

SALVOISY.

Non, non, parlez encore, voilà la voix que j’attendais ; c’est elle ; elles étaient deux.

LA REINE, à Louise.

Mais il m’a reconnue ; il dit qu’il n’est pas fou.

LOUISE.

Mon pauvre maître !

LA REINE.

Il prétend que ma vue lui a rendu toute sa raison.

LOUISE.

Elle la lui ferait perdre au contraire ; et je vais l’emmener.

SALVOISY, qui, pendant ce temps, a cherché son nom.

Louise !

LOUISE, se jetant dans ses bras.

Il me reconnaît ! pas pour longtemps peut-être ! mais c’est égal, je n’ai jamais été plus heureuse ! et si ce n’étaient les dangers de Votre Majesté...

SALVOISY, vivement.

Des dangers ! la reine est en danger ?

LOUISE, effrayée.

Ah ! mon Dieu ! ça le reprend déjà...

Apercevant quelqu’un qui entre.

Bourdillat !

LA REINE.

C’est fait de nous !

SALVOISY.

Bourdillat !

LOUISE, restant auprès de lui.

Un ennemi de la reine ! du silence !

 

 

Scène XIII

 

SALVOISY, LA REINE, LOUISE, BOURDILLAT, puis VASSAN

 

BOURDILLAT.

Madame, j’ai l’honneur de vous annoncer que le petit jeune homme, monsieur votre fils, est tout à fait rétabli. Cette fois, la maladie a eu peur du médecin ; ordinairement c’est le malade.

LA REINE.

Nous pouvons donc partir ?

VASSAN.

Oui, Madame, je venais vous l’annoncer.

BOURDILLAT.

Et moi, je ne vous conseille pas de vous mettre en route dans ce moment, car je viens d’apprendre au district que les circonstances sont graves.

TOUS LES AUTRES.

Ô ciel !

BOURDILLAT.

J’ajouterai même de mon chef, excessivement graves.

LA REINE.

Quoi ! Monsieur, vous avez des nouvelles de Paris ?

BOURDILLAT.

Des nouvelles extraordinaires ; toute la famille royale est décidément partie.

SALVOISY, brusquement et s’avançant auprès de Bourdillat.

Partie ! et la reine ?

BOURDILLAT.

La reine ! nous y voilà ; à ce mot seul, la tête déménage.

SALVOISY, lui secouant rudement la main.

Eh ! non, morbleu, non ; je vous répète que je vous entends, que je vous reconnais ; je vous reconnais tous ; j’ai ma raison.

BOURDILLAT.

C’est ce qu’ils disent toujours.

SALVOISY.

Ils ne voudront pas me croire à présent.

LOUISE.

Eh ! si vraiment ; on vous croit, on eu est persuadé...

À Bourdillat.

Pourquoi, aussi, allez-vous le contrarier ?

BOURDILLAT.

Cela ne m’arrivera plus.

SALVOISY.

Eh bien ! donc, répondez ; pourquoi la reine a-t-elle quitté Versailles, et sa cour, et le trône ?

BOURDILLAT.

Parce qu’il n’y a plus de Versailles, plus de trône ; tout est bouleversé, renversé...

SALVOISY.

Bourdillat est fou.

BOURDILLAT.

Moi ! par exemple, cela lui va bien.

SALVOISY.

Et je vous demande...

LA REINE, regardant Salvoisy, et avec intention.

Non ! M. Bourdillat a raison ; la reine cherche en ce moment à gagner la frontière, et elle serait perdue si on la reconnaissait.

Moment de silence et signe d’intelligence entre la reine, Vassan, Salvoisy et Louise.

BOURDILLAT, qui pendant ce temps a pris une prise de tabac.

Ce qui ne manquera pas d’arriver si elle passe par ici.

LOUISE.

Comment cela ?

BOURDILLAT.

Je me charge de l’arrêter, ce qui ne sera pas difficile ; car voilà son signalement qui vient d’arriver, et je m’en vais vous lire...

Il décachette la lettre.

LA REINE et VASSAN, à part.

Ô ciel !

LOUISE, à part.

Tout est perdu.

SALVOISY, arrachant le papier des mains de Bourdillat.

Une lettre de la reine !

BOURDILLAT.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il fait ce maudit fou ?

SALVOISY, allant au bout du théâtre, à gauche.

Elle restera là, sur mon cœur.

BOURDILLAT, allant à lui.

Mais, monsieur le vicomte...

À Louise.

Mademoiselle Louise, aidez moi donc à le lui reprendre.

SALVOISY.

Non, non, je ne souffrirai pas qu’on la lise, que personne la voie, et pour en être plus sûr...

Il la déchire en morceaux.

LA REINE.

Ah ! je respire !

VASSAN.

Et moi aussi...

BOURDILLAT.

Mais c’est le signalement que vous avez mis en morceaux ! Impossible maintenant d’arrêter la reine !

SALVOISY, avec chaleur.

L’arrêter !

Courant à Bourdillat.

Savez-vous que je m’y oppose, que je la défends, que je lui suis dévoué, et qu’à tout prix je la sauverai ?

BOURDILLAT.

Eh bien ! oui, oui, mon ami ! oui, vous la sauverez.

Bas, à Vassan.

Il faut dire comme lui pour empêcher un accès.

À Salvoisy.

Nous la sauverons, nous la sauverons tous, n’est-il pas vrai ?

Entre ses dents, à la reine et à Vassan.

En attendant, l’ordre est donné sur toute la route ; et si elle n’a pas un passeport signé par les autorités...

LA REINE, avec effroi.

Un passeport ?

LOUISE, remarquant le trouble de la reine.

Elle n’en a pas !

SALVOISY, à Bourdillat, après un silence.

Un passeport ; qu’est-ce que c’est que cela ?

BOURDILLAT.

Je vais vous en montrer.

En tirant un de sa poche.

Tenez, tenez, mon bon ami ; ce sont des papiers imprimés, sans lesquels on ne peut, grâce au ciel, ni voyager dans le pays ni passer la frontière. Tout le monde en a.

SALVOISY.

Pourquoi, alors, n’en ai-je pas ?

BOURDILLAT.

Puisque vous restez ici...

SALVOISY.

Et si je veux sortir, si je veux voyager.

BOURDILLAT.

Une autre idée à présent.

SALVOISY.

Et je veux voyager, à l’instant même, ou seul, ou avec vous ; non, avec Louise, je l’aime mieux.

BOURDILLAT.

Et moi aussi.

SALVOISY, le prenant par la main et le faisant asseoir sur le fauteuil devant la table.

Là, là, mettez-vous là, et faites-moi un passeport

Montrant Louise qui est devant la table.

pour elle et pour moi.

BOURDILLAT.

Mais, mon cher, ci-devant monsieur le vicomte...

SALVOISY, avec fureur.

Je vous l’ordonne, morbleu ! ou sinon...

LOUISE.

Ah ! mon Dieu ! c’est plus fort que jamais ; le voilà furieux à présent.

BOURDILLAT.

Ne vous fâchez pas, je vais vous l’écrire.

À Louise.

Et si, grâce à ce passeport, il veut passer dans sa chambre, un bon tour de clef, et qu’il ne sorte pas de la journée...

Pendant ce temps, Salvoisy va ouvrir la porte du fond. Bourdillat écrit et répète en écrivant.

Laisser librement circuler, etc., etc., monsieur de Salvoisy, etc., etc., et mademoiselle Louise Durand, native de cette commune, etc., etc.

À Salvoisy.

Quant au signalement, vous n’y tenez pas ?...

SALVOISY.

J’y tiens.

BOURDILLAT.

À la bonne heure ! ce ne sera pas long. Louise Durand.

Regardant Louise qui est devant lui.

Yeux bleus...

SALVOISY.

Non, noirs.

BOURDILLAT.

Bleus.

SALVOISY.

Noirs.

BOURDILLAT.

Comment ! noirs ? la voilà, regardez plutôt.

SALVOISY.

Je veux qu’elle ait les yeux noirs.

BOURDILLAT.

Je veux, je veux... Mon cher ami, vous ne pouvez pas faire que ce qui est bleu soit noir.

SALVOISY.

Quand je vous dis que je le veux...

Regardant la reine.

C’est comme cela que je la vois.

LOUISE.

Ah ! mon Dieu ! ne le contrariez pas, la couleur n’y fait rien.

BOURDILLAT.

Au fait, ça m’est bien égal.

Écrivant.

Yeux noirs.

Regardant Louise.

sourcils châtains.

SALVOISY.

Noirs.

BOURDILLAT.

C’est juste, noirs : quant à vous...

Regardant Salvoisy.

Visage long, cheveux bruns.

SALVOISY.

Du tout, je n’en veux pas.

Regardant Vassan.

Nez court, visage rond, cheveux blancs.

BOURDILLAT, impatienté.

Cheveux blancs, c’est trop fort.

SALVOISY.

Est-ce que je ne suis pas le maître d’être comme je veux ; je suis le seigneur du pays.

BOURDILLAT, se levant.

C’est-à-dire vous l’étiez.

Salvoisy furieux le saisit à la gorge.

Non, non, vous l’êtes encore... tout ce qu’il vous plaira... Si celui-là n’est pas fou... il a aujourd’hui dix degrés de plus.

Il finit d’écrire le passeport.

Voilà qui est bien en ordre.

Le remettant à Salvoisy.

Vous pouvez partir.

À Louise.

Hâtez-vous de l’enfermer ; moi, je cours au district prévenir mes collègues du signalement qu’il a déchiré.

En sortant.

et réparer, s’il se peut, la sottise que je lui ai laissé faire.

Il sort par le fond ; Louise sort avec lui.

 

 

Scène XIV

 

VASSAN, LA REINE, SALVOISY, puis LOUISE

 

Salvoisy va jusqu’à la porte pour s’assurer que Bourdillat est parti, puis il revient auprès de la reine, et lui présente respectueusement le passeport.

SALVOISY.

Air de Colalto.

Que cet écrit rachète mon pardon,
Fuyez.

LA REINE.

Je reste confondue.
Est-il possible ?... eh quoi ! votre raison...

SALVOISY.

Qui me l’avait ôtée ici me l’a rendue.
Mais les tourments qu’on m’a fait éprouver
Ont à mon cœur fourni ce stratagème ;
Et j’ai voulu qu’hélas ! mon malheur même
Servît encore à vous sauver.

LA REINE, hésitant à prendre le passeport.

Mais je ne sais si je dois... car enfin, c’est vous exposer.

LOUISE, qui est rentrée à la fin du couplet.

Oui, Madame, partez vite...

Elle prend le passeport que tenait encore Salvoisy. Au même instant paraît Byron.

Dieu ! M. de Lauzun !

LA REINE.

Je suis perdue.

 

 

Scène XV

 

VASSAN, LA REINE, SALVOISY, LOUISE, BYRON

 

BYRON, à Louise.

Eh bien ! où allez-vous donc ainsi, ma belle enfant ? et quel est ce papier que vous tenez ?

LOUISE.

Un passeport que M. Bourdillat a délivré à moi et à M. de Salvoisy, qui vont visiter son château de Clermont en Argonne.

BYRON.

Mais ce passeport n’est pas valable, s’il n’est pas visé par l’autorité militaire du pays, par moi.

LA REINE et VASSAN.

Ô ciel !

LOUISE.

Eh bien ! si vous vouliez, Monsieur, tout de suite, tout de suite, car je suis bien pressée.

BYRON, s’approchant de la table et lisant le passeport.

Me préserve le ciel de jamais faire attendre une jolie femme.

Lisant.

Yeux noirs, cheveux blancs.

Il la regarde, et regarde en même temps Salvoisy.

Eh ! mais... ce signalement n’est ni le vôtre ni celui de votre maître !

LOUISE.

Qu’importe ?

BYRON.

Ce qu’il importe ? mais c’est très nécessaire, dans ce moment surtout où quelque événement sans doute se prépare : car j’ai rencontré un collègue de Bourdillat qui courait au poste voisin requérir la force armée.

LOUISE.

Et pourquoi donc ?

BYRON.

Pour une arrestation à faire, disait-il, ici, en ce château.

LA REINE.

Fuyons.

Elle fait quelques pas vers la porte du fond.

BYRON, qui est remonté aussi, la voit et la reconnaît.

Que vois-je ? la reine !

LA REINE.

Oui, monsieur le duc, la reine que vous avez calomniée, trahie, et qui n’a plus qu’à être livrée par vous à ses ennemis.

BYRON, après un moment de silence, signant le passeport et le remettant à Louise.

Tenez, Louise, Byron n’a rien vu.

Louise prend le passeport. Vassan sort par la porte à gauche.

Air du vaudeville des Frères de lait.

À la reine.

Parlez, Madame, et que la Providence
À votre fuite accorde son secours ;
Pour le salut de la reine de France,
Lauzun encor sacrifierait ses jours.

SALVOISY.

D’un honnête homme, ah ! voilà le discours.
Sous des couleurs anciennes ou nouvelles,
L’opinion nous a tous désunis ;
Mais à l’honneur restons toujours fidèles :
L’honneur est de tous les partis.

Musique jusqu’à la fin. Finale du troisième acte de Gustave.

VASSAN, rentrant.

Partons, Madame, la voiture est en bas.

Il donne la main à la reine, Louise les accompagne ; au moment de sortir, la reine s’arrête un instant : Salvoisy se met à genoux devant elle et lui baise la main. La reine sort en témoignant sa reconnaissance à Louise et à Salvoisy ; Byron passe à droite du théâtre.

LOUISE.

On monte par cet escalier.

Montrant la droite, elle va regarder.

C’est Bourdillat et son collègue.

SALVOISY, à la reine et à Vassan.

Hâtez-vous.

À part.

Je saurai bien l’arrêter le temps nécessaire pour protéger sa fuite, quand pour cela je devrais encore redevenir fou.

Courant à Bourdillat, qui paraît sur la première porte à droite, et le saisissant au collet.

Halte-là, on n’entre pas.

BOURDILLAT, effrayé, à ceux qui le suivent.

Encore ce fou ! N’avancez pas, vous autres.

Salvoisy tient de la main gauche au collet Bourdillat qui n’ose avancer, et de la droite il fait signe à Louise de ne pas avoir peur.

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