Le Volontaire (Georges FEYDEAU)
Monologue comique en vers dit par Félix Galipaux du Vaudeville.
À Léon Landau.
Excusez ! C’est moi... L’on prétend
Que le ministre de la guerre
Est ici ? – C’est vrai ? – Justement
J’ai plus d’une plainte à lui faire...
Depuis trois jours, de mon état,
Monsieur, si parmi nous vous êtes,
Apprenez que je suis soldat...
Quel métier ! Mille baïonnettes !
Vous dire à quel point j’en suis las !
...Comme ministre de la guerre,
Vous ne savez peut-être pas
Bien ce que c’est qu’un militaire ?
Affreux ! – J’ai pincé dans trois jours
Vingt jours de salle de police ;
Si cela doit durer toujours,
J’en aurai dix fois mon service.
...Lundi j’arrive ; un vieux sergent
Me dit : « Holà ! cré mill’tonnerre,
C’qu’on salu’donc plus maintenant ?
– Pardon, monsieur le militaire
Fais-je alors, mais je ne crois pas
Avoir l’honneur de vous connaître ;
Et je vous vois du haut en bas
Sans parvenir à vous remettre.
– F’rez deux jours sall’polic’ crebleu !
C’est qu’ça donc ? Vot’nom un peu vite ? »
Tout abasourdi, voyant bleu,
Je tends ma carte de visite :
« C’qui m’a donné pareil crétin ?
F’rez deux jours ! m’entendez ? tonnerre !
...Crétin ! Oui... t-a-i-n tin ! »
Et j’ai mes quatre jours à faire.
Non, c’est révoltant, quoi qu’on dise,
De s’entendre à tous les moments
Punir à la moindre bêtise
Par de vulgaires ignorants ;
Par de gens qui, soir et matin,
Dans un style de télégraphe
Viennent vous traiter de « crétin ! »
Sans même y mettre l’orthographe.
...Enfin avant-hier, c’est plus fort !
L’on nous commande à l’exercice :
– Vous allez voir si j’avais tort. –
« Portez arme ! » Belle malice !
Moi qui ne suis pas un gogo,
Tout seul je reste l’arme à terre.
« Eh bien ! hurle-t-on, grand nigaud
Pour quand ? – Oui, bernick ! petit père !
Je n’aurai pas porté plus tôt
L’arme, que, la chose est certaine,
Il me faudra tout aussitôt
La reposer ! C’est pas la peine. »
Bien v’lan ! Autre punition.
Oui ! – Tenez, on nous crie en face
Plus tard : « droite conversion ! »
Et chacun de tourner sur place.
Quant à moi, je ne bronche pas.
Honte ! est-ce ainsi que l’on débauche,
Que l’on débauche des soldats !
Mon père est député de gauche,
Honneur à son opinion !
À son parti je me rallie.
« Qui ? moi ! faire conversion
À droite ? Jamais de la vie ! »
Ça m’a valu ni plus ni moins,
Deux jours de salle de police !
Je les ferai ! Mais néanmoins,
Je crierai haut à l’injustice...
Avant d’entrer au régiment
Je m’étais fait, plein de prudence,
Au colonel sournoisement
Recommander avec instance.
Sitôt l’exercice fini,
Couvant dans mon cœur, ma colère,
Je demande à monter chez lui
Pour lui détailler mon affaire.
Il me reçoit d’un air grognon :
– D’ailleurs c’est toujours de la sorte, –
« C’est vous qu’on nomme Potiron ?
– Pruneau ! mon colonel. – N’importe !
Pruneau, Potiron, c’est tout un.
C’est toujours chose qui se mange,
Et faut pas faire le malin
Savez, cré nom ! ou je vous range !
Vous m’êtes recommandé, vous !...
Par chose !... Que je me rappelle !
Un de vos parents ?... Vertuchoux !
Ce crétin !... comment qu’on l’appelle ?
Un nom en « off » ? Ah ! oui : « Trucard » –
– Non, mon colonel : « La Rusée ».
– Là-dessus le voilà qui part,
Qui monte comme une fusée :
Cré nom ! « La Rusée » ou « Trucard »
C’est peut-être pas même chose ?
Me prenez donc pour un jobard ?
Faut pas nous la faire à la pose !
Quand vous m’aurez bien regardé ?
Coucherez ce soir à la caisse !
Allez !... m’êtes recommandé,
Vous... soignerai ! Faut que ça cesse !
Moi j’écumais : « Ah ! c’est cela ?
J’irai me plaindre ! » Il devient bistre :
Cré nom !... prison ! ce crétin-là !...
Et pouvez vous plaindre au ministre !...
– Mais certainement que j’irai !
Ah ! bien, si vous croyez me faire
Peur ! » et sans plus hésiter, j’ai
Couru bien vite au ministère
Et me voilà ! – Vous savez tout
Monsieur, et voyez mes supplices,
Comprenez-vous qu’on soit à bout
Devant toutes ces injustices.
Bien non ! c’est trop d’obsession !
Assez du métier militaire,
Acceptez ma démission...
Et ramenez-moi chez ma mère.