Maman Sabouleux (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Comédie en un acte, mêlée de chant.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 13 mars 1852.

 

Personnages

 

SABOULEUX, père nourricier

PÉPINOIS, son voisin

M. DE CLAQUEPONT, 45 ans

GOBERVAL, 55 ans

MADAME DE CLAQUEPONT, 36 ans

SUZANNE, 8 ans, fille de Claquepont

 

La scène se passe dans un petit village à trente lieues de Paris.

 

Intérieur rustique, chez Sabouleux. À droite, premier plan : une grande cheminée, garnie à l’intérieur d’ustensiles de cuisine, cuiller à pot, écumoire, soufflet, etc. Une marmite est accrochée à une crémaillère au-dessus du feu ; une grande bouilloire près du feu. Sur la cheminée, une tasse, un plat à barbe, une serviette. Même côté, deuxième plan, une porte. Au troisième plan, formant pan coupé, est une vieille porte, avec deux marches, sur laquelle est écrit : Porte du Clocher. Au fond, porte principale, et, à gauche de celle-ci, une grande fenêtre, ouvrant sur la place du village. À gauche, aux troisième et deuxième plans, deux portes. Au premier plan, un buffet ; près du buffet, une table et deux chaises. Sous la fenêtre, une autre table, sur laquelle est un tambour, un gros pain, du lard, une bouteille et un gobelet d’étain. Sur le buffet, une bouteille et deux gobelets d’étain ; un balai entre la porte et le buffet.

 

 

Scène première

 

SUZANNE, puis PÉPINOIS, puis la voix de SABOULEUX

 

Suzanne est en costume de petite paysanne, avec des sabots ; elle est assise près de la cheminée et ratisse des carottes sur ses genoux.

SUZANNE, chantant en ratissant les carottes

Si je meurs, que l’on m’enterre

Dans la cave où est le vin...

Parlé.

Cristi ! j’ai manqué de me couper !

PÉPINOIS, entrant avec une enseigne sous le bras.

Ohé ! père Sabouleux ! père Sabouleux !

SUZANNE.

Tiens ! c’est Pépinois, le perruquier... Bonjour, perruquier !

PÉPINOIS.

La nourrissonne ! Bonjour... qu’est-ce que tu fais là ?

SUZANNE.

Je ratisse des carottes pour la soupe de maman Sabouleux.

PÉPINOIS, riant.

Maman Sabouleux !... Un vieux pochard de quarante-deux ans... Tambour du village et gardien du clocher...

SUZANNE.

Puisque c’est ma nourrice.

PÉPINOIS.

Elle y tient !... Je viens lui faire la barbe, à ta nourrice.

Appelant.

Ohé ! père Sabouleux !

Il pose l’enseigne près de la table du premier plan.

Voix de SABOULEUX, dans la coulisse à gauche.

Je suis dans mon lit... Je prends mon café au lait !

PÉPINOIS.

Dans son lit ! à neuf heures !

À part.

Cristi ! quel bon état que d’être nourrice !... et dire que je ne pourrai jamais-t-être nourrice !

SUZANNE, qui a fini de ratisser ses carottes.

Là !... j’vas mettre mes carottes dans la marmite.

Elle va à la marmite, y met les carottes et souffle le feu.

PÉPINOIS, riant.

Et elle paye pour ça !... Ah ! elle est bonne !

Air de l’Ours et le Pacha.

Pendant que l’gaillard dans son lit

Comme un notaire se câline,

C’est sa nourrissonn’ qui l’nourrit.

Et lui fricote sa cuisine !

Prrré Sabouleux ! quel bon métier !

Mais je dis qu’en bonne justice,

Au lieu d’en tirer bénéfice,

À sa nourrissonn’ c’ nourricier.

Doit payer les mois de nourrice.

C’est égal, si le papa savait ça !... Un Parisien qui a quarante mille livres de rente... et des breloques grosses comme ça !... y serait peu flatté.

Haut.

Nourrissonne, qu’est-ce qui t’a réveillée ce matin ?

SUZANNE, venant à lui.

C’est le coq... je ne sais pas ce qu’il avait à brailler comme ça ?...

PÉPINOIS, hésitant.

Dame !... il avait... il avait... mal aux dents.

À part.

Faut pas dire de bêtises aux enfants !

SUZANNE, qui a goûté le bouillon.

J’ai oublié le sel.

PÉPINOIS, s’approchant de la cheminée.

Mâtin !... ça sent bon.

SUZANNE.

C’est du bouillon.

PÉPINOIS.

Avec de la viande ?

SUZANNE.

Qu’il est bête ! Est-ce qu’on fait du bouillon avec des briques ?

PÉPINOIS, riant.

Ah ! ah ! ah !... Elle est gaie, la nourrissonne.

Prenant une tasse sur la cheminée.

Voyons ce bouillon ?

SUZANNE, le repoussant avec la cuiller à pot.

À bas les pattes !

PÉPINOIS.

C’est bon ! c’est bon !

À part.

Cette petite fille est d’un rat !...

Allant à la porte de droite.

Ohé ! père Sabouleux !

Voix de SABOULEUX.

De quoi ?

PÉPINOIS.

J’ai rafistolé votre enseigne.

Voix de SABOULEUX.

Veux-tu prendre la goutte ?

PÉPINOIS.

Toujours.

Voix de SABOULEUX.

Attends-moi... je m’habille.

PÉPINOIS, à Suzanne.

J’ose dire que voilà une œuvre d’art !

Montrant au public l’enseigne sur laquelle on lit ces mots : Allard nommé des hommes lait ; Maman Sabouleux pran les nourrissons an cevraje. English spoken, et lisant.

« À la renommée des omelettes : Maman Sabouleux prend les nourrissons en sevrage. English spoken. »

SUZANNE.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

PÉPINOIS.

English spoken ? Je n’en sais rien... ça se met sur les enseignes.

SUZANNE.

Ça doit être pour faire essuyer les pieds.

PÉPINOIS.

C’est bien possible. English, essuyez... spoken, vos pieds.

SUZANNE.

Alors pourquoi que t’as pas essuyé les tiens ?

PÉPINOIS.

L’enseigne n’étiont pas accrochée.

SUZANNE.

Eh bien, accroche-la.

PÉPINOIS.

C’est juste... Après, j’aurais-t-y du bouillon ?

SUZANNE.

Oui... avec une fourchette.

PÉPINOIS, remontant vers le fond pour accrocher l’enseigne.

Cette petite fille est d’un rat !...

Il disparaît un moment hors de la porte du fond.

SUZANNE, seule.

Mon pot-au-feu mitonne... j’vas donner un coup de balai.

Elle remonte près du buffet et prend un balai.

PÉPINOIS, rentrant.

Ça y est... c’est accroché...

SUZANNE, lui offrant le balai.

Tiens ! prends ça...

PÉPINOIS.

Moi ? pour quoi faire ?

SUZANNE.

Pour balyer...

PÉPINOIS.

Ah ! mais non ! j’ai pas le temps !...

SUZANNE, l’imitant.

« J’ai pas le temps !... » Quand il s’agit de travailler, il a toujours un cheveu dans la main, celui-là !

Elle lui met le balai dans les mains.

PÉPINOIS, éclatant.

Nourrissonne !

SUZANNE, sur le même ton.

Perruquier !

 

 

Scène II

 

SUZANNE, PÉPINOIS, SABOULEUX

 

Sabouleux porte un costume de paysan, un chapeau tromblon et un pantalon trop court en velours orange.

SABOULEUX.

Qu’est-ce que c’est ?... V’là encore que t’asticotes l’enfant ?

PÉPINOIS.

C’est elle... Pourquoi qu’elle me dit que j’ai un cheveu dans la main ?

Il remonte et prépare le plat à barbe.

SUZANNE.

Dame ! un perruquier !

SABOULEUX, éclatant de rire.

Ah ! ah !... Vous a-t-elle un bec pour son âge ! vous a-t-elle un bec ! Viens embrasser maman Sabouleux !

Il la pose droite sur une chaise à gauche.

SUZANNE.

J’veux ben !

SABOULEUX, l’embrassant.

Voyons... qué qu’tas fait ce matin ?

SUZANNE.

En me levant, j’ai cassé mon sabot.

SABOULEUX.

T’as bien fait, ça porte bonheur. Après ?

SUZANNE.

Après... je m’ai amusé à cracher dans le puits.

SABOULEUX.

T’as encore bien fait...

Avec conviction.

On dit que ça guérit les engelures.

PÉPINOIS, à part, faisant mousser le savon dans le plat à barbe.

Il l’imbibe de préjugés !

SUZANNE.

Ensuite, j’ai été faire mon marché pour mettre le pot...

SABOULEUX.

T’a-t-on fait ton poids ?

SUZANNE.

N’as pas peur !... y voulait me flanquer des os... j’y ai fichu des sottises !...

SABOULEUX.

T’as bien fait... faut pas se laisser entortiller par les marchands.

Il la pose à terre.

PÉPINOIS.

Elle est rat, jusqu’avec le boucher...

SABOULEUX, regardant Suzanne avec orgueil.

Mais regarde-la donc... Est-elle fleurie !... A-t-elle des jambes ! a-t-elle des bras ! est-elle solide !... À la renommée des omelettes, voilà ce qu’on fait des enfants !

PÉPINOIS, à Sabouleux en plaçant une chais au milieu du théâtre.

Mettez-vous là !...

SUZANNE, le poussant sur la chaise.

Assiste-toi !

Elle lui noue une serviette autour du cou.

PÉPINOIS, tout en repassant son rasoir.

Ousqu’est donc votre autre nourrisson ?

SABOULEUX.

Toto ?

PÉPINOIS.

Oui.

SABOULEUX.

Je l’ai prêté au cousin Sabouleux... pour faire les foins... Il m’avait prêté son âne, alors je lui ai prêté Toto.

PÉPINOIS.

Pristi ! quel bon état que d’être nourrice !

S’apprêtant à lui mettre du savon.

Fermez les yeux !

SUZANNE, vivement.

Moi ! moi ! laisse-moi mettre le savon ?

PÉPINOIS.

Ne touchez pas, mademoiselle ! ne touchez pas !

SABOULEUX.

Puisque ça l’amuse !

PÉPINOIS.

Ah ! je veux bien, moi ! qué que ça me fait ? je vais me reposer.

Lui donnant le pinceau.

Tiens ! barbouille ! barbouille !

Il s’assied à gauche.

SUZANNE.

C’est pas si difficile...

Barbouillant d’abord à droite, puis à gauche.

Là... comme ça...

PÉPINOIS, à part.

Si elle pouvait lui en flanquer dans les yeux, je rirais-t-y, mon Dieu !

Il se baisse pour mieux voir.

SUZANNE, barbouillant aussi Pépinois.

À ton tour !

PÉPINOIS, se levant.

Aie ! cristi ! dans l’oeil !

SABOULEUX.

Puisque ça l’amuse !

PÉPINOIS.

Il est charmant ! mais ça me picote !... cré nom !

SABOULEUX, riant.

Petite mère La Joie, va !...

L’attirant à lui.

Embrassez maman Sabouleux.

SUZANNE.

Non, tu me mettrais de la mousse.

SABOULEUX, se levant.

Allons, tiens !... v’là un sou... Va m’acheter une pipe neuve... j’ai cassé la mienne...

SUZANNE.

Une belge ?

SABOULEUX.

Oui.

SUZANNE.

De chez la mère Marcassin ?

SABOULEUX.

Oui !

Air : Bien ! bien ! par ce moyen.

Va ! va ! mon p’tit chat,

Pour maman nourrice

Fair’ cet achat

Mais, mais, mon p’tit chat,

Faut qu’on m’choisisse

Un’ pipe de pacha.

PÉPINOIS, à Suzanne.

En v’nant d’chez la Marcassin,

Veux-tu m’rapporter mon pain ?

SUZANNE.

Quoi qu’tu payes ?

PÉPINOIS.

J’ons pas d’sou.

SUZANNE, lui faisant un pied de nez.

Alors, nisco... vieux grigou !

PÉPINOIS.

Est-elle regardante !...

Reprise Ensemble.

SABOULEUX.

Va, va, mon p’tit chat,

Etc.

SUZANNE.

Va ! va ! ton p’tit chat

Va pour sa nourrice

Faire cet achat

À Pépinois.

Mais... mais... le p’tit chat

Ne rend pas service

Quand on est si rat !

PÉPINOIS.

Va ! va ! va ! p’tit chat,

Pour maman nourrice

Faire ton achat !

Mais, mais, ce p’tit chat

Pour rendre un service

Est beaucoup trop rat !

Suzanne sort en faisant des gestes de gamin à Pépinois.

 

 

Scène III

 

PÉPINOIS, SABOULEUX

 

SABOULEUX, redescendant.

Quelle aimable enfant !... ses parents ne la reconnaîtront pas !...

PÉPINOIS, prenant ses rasoirs.

Et ça n’a que huit ans !

SABOULEUX.

Je compte bien la garder jusqu’à douze... Je rends jamais mes nourrissons avant douze ans...

PÉPINOIS.

Faut qu’y soient propres !

SABOULEUX, s’asseyant.

Allons, dépêche-toi de m’accommoder... j’ai affaire... J’ai oublié de tambouriner la vendange...

PÉPINOIS.

Et c’est pour demain !... M. le maire vous fichera un savon.

SABOULEUX.

Bah ! le savon, ça ne tache pas.

PÉPINOIS, le rasant.

Ah ! ah ! je ris comme quarante mille bossus !... un tambour qu’est nourrice !... Dire que je tiens une nourrice par le bout du nez !

SABOULEUX.

Ah ! c’est une histoire bien drôle ! Un beau matin, il y a huit ans, M. le maire dit à mon épouse : « Nastasie, veux-tu prendre un nourrisson ? Nous en prendrions trente-six pour être agréables à M. le maire », que je lui réponds...

PÉPINOIS.

Mazarin, va !...

SABOULEUX.

Alors, y me donne une adresse pour Paris... M. de Claquepont...

PÉPINOIS, rasant.

Le père de Suzanne... Quarante mille livres de rente... et des breloques...

SABOULEUX.

Grosses comme ça... J’arrive chez un monsieur très bien... qui avait les pieds à l’eau... dans la moutarde.

PÉPINOIS.

Avec sa fortune, il le peut !

SABOULEUX.

Je lui dis : « C’est moi que je suis l’époux de Nastasie... » Là-dessus, il plante là sa moutarde et y me fait manger du veau, du gigot et des z’haricots... que je ne pouvais plus tenir dans mon gilet.

PÉPINOIS.

Cristi ! quel bon état que d’être nourrice !

SABOULEUX.

Après ça, la maman... une femme superbe !... m’entortille la mioche dans des tas de couvertures et elle m’embrasse...

PÉPINOIS, transporté.

Cristi !

SABOULEUX, sursautant.

Fais donc attention, toi ! tu vas me couper !...

Continuant son récit.

En me disant : « Père Sabouleux, soignez-la comme votre prunelle. – Oh ! madame !... » Et me v’là en chemin de fer avec la môme... le reste de mon gigot... et une bouteille de cassis.

PÉPINOIS, lui ôtant sa serviette.

C’est fait... en v’là pour deux sous... j’vas les marquer...

Il prend un morceau de craie et fait une raie contre la cheminée à côté de plusieurs autres.

Ça fait dix-neuf barbes.

SABOULEUX, allant prendre le plat à barbe sur la table à gauche.

C’était bien la peine de m’interrompre... Nous v’là donc en chemin de fer. Au premier tour de roue... houin ! houin !... v’là Suzanne qui commence à chanter.

Il revient à Pépinois.

PÉPINOIS, versant de l’eau chaude dans le plat à barbe.

Elle avait faim.

SABOULEUX, tout en se lavant le menton.

Je lui offre du gigot... elle n’y mord pas. Alors, je lui fais avaler du cassis... Plus elle pleurait, plus je lui faisais avaler de cassis...

PÉPINOIS.

Ça les soutient.

SABOULEUX.

Le cassis ? c’est le lait des enfants !

PÉPINOIS.

C’est connu !

Il va replacer le plat à barbe sur la cheminée et revient écouter.

SABOULEUX.

Y avait dans la même wagon un monsieur avec une chaîne d’or et un poupon sur les genoux... y se met à me causer... parce qu’entre nourrices... on se cause... Je lui dis mon nom, mon adresse... À la première estation, nous prenons un verre de vin ; à la seconde, y me dit : « Voulez-vous garder Toto un moment ?... je vais causer avec mon banquier qui est dans les premières. – Volontiers... entre nourrices ça se fait. »

PÉPINOIS.

Et puis il vous avait payé du vin...

SABOULEUX.

J’attends une minute... deux minutes... derling ! derling ! on sonne !... l’employé ferme la portière. Je lui dis « Pardon... il y a un monsieur qui cause avec son banquier. – Ah bien, il y a longtemps qu’il est parti ! – Comment ! » Futh ! futh ! v’là le convoi qui repart !... et je me trouve avec deux nourrissons.

PÉPINOIS.

Un par station ! c’est une fameuse ligne !... À votre place, j’aurais baptisé le moutard : « Toto ou l’enfant du chemin de fer... »

SABOULEUX.

J’étais pas en train de rire. J’arrive ici avec mes deux colis... un sur chaque bras... J’entre, j’appelle... Nastasie ! Nastasie !... personne !

PÉPINOIS.

Air : Un matelot.

Pauvre voisin ! quel souvenir pénible.

SABOULEUX.

Sèche ton œil ! Rien n’est plus familier !

On voit chaqu’jour la femme la plus sensible

Filer sans bruit avec un cuirassier.

PÉPINOIS.

C’est déchirant !

SABOULEUX.

Éponge ta prunelle !

Et r’tiens, enfant, ce dicton très sensé :

« Chaqu’soir le sage, en soufflant sa chandelle,

Doit s’dir : Demain, j’puis être... cuirassé ! »

Et ça l’cuirass’ quand il s’voit... cuirassé !

Prout !... L’embêtant, c’était mes deux nourrissons... je ne pouvais pas passer ma vie à leur entonner du cassis.

PÉPINOIS.

Ça les aurait grisés.

SABOULEUX.

Alors, je cherche une nourrice par tout le village... Mais il n’y en avait pas de prête pour le moment...

PÉPINOIS.

Pourquoi que vous n’avez pas reporté la petite à ses parents ?

SABOULEUX.

Tiens ! qu’il est bête ! cent francs par mois... Est-ce qu’on rapporte ça aux parents ?

PÉPINOIS, avec conviction.

Il a raison ! il a raison !

SABOULEUX.

Tout à coup je me rappelle que ma chèvre a un chevreau...

PÉPINOIS.

Tiens ! un frère de lait !

SABOULEUX.

Juste !... Je vends le frère de lait... pour faire des gants ; j’achète un biberon, et j’offre à mes enfants leur premier déjeuner.

PÉPINOIS.

De c’t’affaire-là, Toto a été biberonné à l’oeil !

SABOULEUX, mystérieusement.

Peut-être.

PÉPINOIS.

Comment ?

SABOULEUX.

Chut !... Au bout d’un an, je reçus une lettre ainsi conçute : « Batavia... » Connais-tu ça ?

PÉPINOIS.

Batavia ?... C’est une localité au-dessus de Tonnerre.

SABOULEUX.

Je le savais... « Monsieur... Vous pouvez sevrer mon fils... Soyez tranquille... vous ne perdrez rien pour attendre. »

PÉPINOIS.

Signé ?

SABOULEUX.

« Bon lait et mystère !... »

PÉPINOIS.

C’est quelque prince étranger.

SABOULEUX.

Aussi j’ai fait la note... et elle sera salée !

 

 

Scène IV

 

SABOULEUX, SUZANNE, PÉPINOIS

 

SUZANNE, paraissant à la porte du fond, et criant à la cantonade.

Viens-y donc, mauvais moucheron !...

Gesticulant.

T’as pas le coeur !... t’as pas le cœur !...

SABOULEUX.

Qu’est-ce que c’est ?

SUZANNE, entrant.

C’est rien ! Je viens de me battre avec le garçon à la Gosset.

SABOULEUX.

Comment !

SUZANNE.

Y m’appelait Parisienne... je l’ai rossé... vlan !

SABOULEUX.

Très bien !...

SUZANNE, tirant de sa poche et lui donnant sa pipe en deux morceaux.

Et v’là ta pipe !

SABOULEUX.

Moins bien !... mais faut qu’une jeune fille apprenne à se défendre contre les garçons... Étonnante gamine !...

Se baissant.

Cueillez l’étrenne de la barbe à maman Sabouleux, tout de suite.

Elle l’embrasse.

PÉPINOIS, à lui-même.

Il en fait une duelliste !

SABOULEUX.

A-t-elle chaud !

SUZANNE.

Donne-moi un verre de vin.

SABOULEUX.

Tu l’as conquis !

Allant prendre la bouteille et un verre sur le buffet.

Veux-tu de la bouteille que ton papa de Paris a envoyée ?

SUZANNE.

Ah ! pouah !... ça ne gratte pas. J’vas quérir une bouteille de notre cru.

Elle va à la table du fond.

PÉPINOIS.

Elle veut du vin qui gratte !...

SABOULEUX.

Cette enfant-là fera mon orgueil !...

Il se verse à boire et donne la bouteille à Pépinois.

PÉPINOIS, regardant l’étiquette de la bouteille.

La bouteille de Paris...

Lisant.

« Sirop anti... scor... butique !... » Qu’est-ce que c’est que ça ?... Oh ! le nom du fabricant...

Il verse dans son verre.

SUZANNE, revenant, une bouteille et un verre à la main.

V’là la bouteille !

Elle emplit son verre et pose la bouteille à ses pieds.

TOUS TROIS.

À nos santés !

SUZANNE.

Et buvons ça militairement !

SABOULEUX.

Ensemble !

Ils se mettent tous trois en position.

Attention... Portez armes !

Tous trois lèvent leurs verres à la hauteur du front.

Présentez armes !

Tous trois placent leurs verres devant la bouche.

En joue !... Feu !...

Ils boivent. Glorieux.

À la renommée des omelettes, voilà comme on les dresse.

Suzanne s’essuie la bouche avec sa manche et remonte poser sa bouteille et son verre.

PÉPINOIS, faisant la grimace.

Ça n’est pas mauvais... mais je préfère le malaga.

SABOULEUX.

Moi, je n’y vois pas de différence.

Il tend son verre. Pépinois va pour verser.

Tiens ! il n’y en a plus !...

PÉPINOIS.

Il faut écrire aux parents... il n’est que temps.

SABOULEUX, tirant de sa poche une lettre.

C’est fait... V’là la lettre.

PÉPINOIS.

Donnez... j’vas la mettre à la poste.

Il pose la bouteille, le verre et la lettre sur la table.

SABOULEUX, à Suzanne.

Maintenant, chérie, tu vas aller au pré garder les oies.

SUZANNE.

Les oies ?... Tiens ! merci !... et mon déjeuner ?...

SABOULEUX.

Elle est dans son droit... Qué qu’tu veux de bon ?...

Il remonte à la table du fond.

SUZANNE.

Je veux du lard !

Elle va prendre près de la cheminée une petite gibecière et se la passe en sautoir.

SABOULEUX, coupant un énorme morceau de pain.

Comme c’est élevé ! Les parents me béniront !

PÉPINOIS.

Le fait est qu’elle n’est pas chipoteuse !

SABOULEUX, ouvrant le pain et y enterrant une tranche de lard.

V’là ton goûter !...

SUZANNE, tenant le gros morceau de pain.

Que ça !...

SABOULEUX.

Il est dix heures, tu reviendras manger la soupe à midi.

SUZANNE, qui vient de prendre une longue gaule.

Salut, la compagnie !... Adieu, perruquier.

Elle sort en chantant et en sautant.

Quand les canes vont aux champs,

La première va devant...

Elle disparaît par le fond.

 

 

Scène V

 

SABOULEUX, PÉPINOIS, puis M. et MADAME DE CLAQUEPONT

 

SABOULEUX.

Petit sansonnet !... elle me pince mes airs !...

PÉPINOIS.

Y a plus rien à consommer ?... Je vas faire la barbe au notaire...

SABOULEUX, prenant le morceau de craie et faisant à gauche une raie sur le buffet.

Nous disons un verre de vin à Pépinois.

PÉPINOIS.

Qu’est-ce que vous faites donc ?

SABOULEUX.

Dame ! tu marques mes barbes... je marque ta consommation... V’là ton compte.

PÉPINOIS, à part.

Ça m’est égal... je l’effacerai...

SABOULEUX.

Là... Maintenant, dépêchons-nous d’aller tambouriner la vendange... je suis en retard.

Il va pour prendre son tambour.

CLAQUEPONT, en dehors, à la porte du fond, lorgnant l’enseigne.

Par ici, chère amie, par ici... Voilà l’enseigne.

SABOULEUX.

Hein ?

PÉPINOIS.

Des bourgeois !

Monsieur et Madame de Claquepont entrent avec des paquets. Claquepont porte à sa montre un énorme paquet de breloques, accroché à son gilet.

CLAQUEPONT, saluant.

Messieurs, ma femme et moi...

Reconnaissant Sabouleux.

Eh ! le voilà, ce père Sabouleux !...

SABOULEUX.

Monsieur vient peut-être pour un nourrisson ?

MADAME DE CLAQUEPONT.

Vous ne nous remettez pas ?

SABOULEUX.

Non !

CLAQUEPONT.

Claquepont... les époux Claquepont...

Il remonte poser ses paquets sur la table du fond.

SABOULEUX, à part.

Les parents de la petite ! Pristi !

PÉPINOIS, à part.

Cristi !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Nous avons voulu vous surprendre.

Elle remonte aussi.

SABOULEUX.

Ah !

CLAQUEPONT.

J’ai obtenu un congé de deux jours... C’est le premier depuis huit ans...

MADAME DE CLAQUEPONT, redescendant avec son mari.

Et nous venons passer ces deux jours avec vous.

SABOULEUX, ahuri.

Ah ! madame !... c’était pas la peine... de vous déranger...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Comment !

SABOULEUX.

Asseyez-vous donc !

Ils s’asseyent près de la table de gauche.

PÉPINOIS, à part.

A-t-y de belles breloques !

CLAQUEPONT.

Mais je ne vois pas notre petite Suzanne ?

SABOULEUX, à part.

Elle est aux oies... Pristi !

PÉPINOIS, à part.

Cristi !

CLAQUEPONT.

Où est-elle ?

SABOULEUX.

Pas loin... elle étudie son piano.

Bas à Pépinois.

Va la chercher... Débarbouille-la, et mets-lui son tablier neuf.

PÉPINOIS.

Tout de suite.

Passant devant Claquepont et regardant ses breloques.

Monsieur, voulez-vous me permettre ?... Ah ! elles sont superbes ! elles sont superbes !

CLAQUEPONT, étonné.

Monsieur...

PÉPINOIS, à part.

A-t-y de belles breloques, mon Dieu !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SABOULEUX

 

MADAME DE CLAQUEPONT.

Cette chère enfant !... elle se porte bien ?...

SABOULEUX.

Oh ! madame !... comme un tambour-major !

CLAQUEPONT.

Est-elle jolie ?

SABOULEUX.

Oh ! monsieur !... comme un tambour...

Se reprenant.

Non ! comme un amour... major !...

Il s’agite, très troublé.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Qu’est-ce que vous avez donc ?

Ils se lèvent.

SABOULEUX.

Rien... C’est la joie... le plaisir de votre visite... Madame, j’ai bien l’honneur de vous saluer.

Il remonte.

CLAQUEPONT, le retenant.

Ah çà, et la nourrice ! Je ne vois pas cette bonne nourrice ?

SABOULEUX, à part.

Heing !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Maman Sabouleux... elle va bien ?

SABOULEUX.

Comme un tamb... elle étudie son piano...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Plaît-il ?

SABOULEUX.

Non !... elle fait sa lessive.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Elle fera sa lessive plus tard, je veux la voir, la remercier...

CLAQUEPONT.

L’embrasser !...

SABOULEUX.

Oui... oui... oui !

CLAQUEPONT.

Allez la chercher...

SABOULEUX.

Oui, oui, oui !...

À part.

Pristi !

Haut, pour détourner la conversation.

Avez-vous vu la cascade ?...

CLAQUEPONT.

Quelle cascade ?

SABOULEUX.

Vous n’avez pas vu la cascade !... Ils n’ont pas vu la cascade !... toujours tout droit, vous montez...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Plus tard... d’abord la nourrice !

SABOULEUX, à part.

Il n’y a pas à dire... il en faut une !

Frappé d’une idée.

Oh !

CLAQUEPONT.

Quoi ?

SABOULEUX.

Je vais vous la ramener.

À part.

J’empoigne la mère Grivoine... elle est sourde, ça fera l’affaire.

Ensemble.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Air : Mais allez donc.

Allez, brave homme, on vous attend ;

Courez sans perdre un seul moment,

Et ramenez-nous à l’instant

Et la nourrice et notre enfant.

SABOULEUX.

Reposez-vous en m’attendant,

Je cours sans perdre un seul moment,

Vous allez voir dans un instant

Et la nourrice et votre enfant.

Sabouleux sort par le fond.

 

 

Scène VII

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, puis GOBERVAL

 

CLAQUEPONT.

Comme la figure de ce brave paysan respire un air de simplicité et de candeur.

MADAME DE CLAQUEPONT.

C’est vrai.

CLAQUEPONT.

Bérénice... Au moment de revoir ma fille... j’éprouve un trouble involontaire...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et moi, j’ai comme un remords... rester huit ans sans la voir !

CLAQUEPONT.

Quant à moi, je m’applaudis de ma fermeté... L’air de Paris ne vaut rien pour les enfants : il manque d’oxygène... Or, l’oxygène... sais-tu ce que c’est que l’oxygène ?...

Goberval paraît au fond et éternue bruyamment.

Hein ?

GOBERVAL, entrant avec précaution.

Pardon !... Madame Sabouleux, s’il vous plaît ?

CLAQUEPONT, à sa femme.

Tiens ! c’est ce monsieur myope qui marchait sur les pieds de tout le monde dans le chemin de fer.

GOBERVAL, essuyant ses lunettes qu’il tient à la main, à Claquepont.

Est-ce à madame Sabouleux... nourrice... que j’ai l’honneur de parler ?

CLAQUEPONT.

Non, monsieur !...

GOBERVAL.

Je viens pour réparer la faute d’un neveu...

CLAQUEPONT.

Claquepont, sous-chef à l’administration du gaz.

GOBERVAL, qui a remis ses lunettes.

Ah !... pardon... c’est que j’ai la vue un peu basse...

Apercevant madame de Claquepont.

J’aperçois...

Allant à elle.

Bonne et excellente femme...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Monsieur !...

GOBERVAL, écartant Claquepont, qui vient écouter.

Vous n’êtes pas sans avoir entendu parler d’Alexandre Goberval... homme de lettres... à Mâcon...

MADAME DE CLAQUEPONT, l’interrompant.

Pardon...

GOBERVAL, mystérieusement.

Chut !... « Toto !... bon lait !... et mystère !... »

MADAME DE CLAQUEPONT.

Plaît-il ?...

GOBERVAL.

Voltaire l’a dit : « Les fautes des pères ne doivent pas... »

MADAME DE CLAQUEPONT, en passant à gauche.

Mais je ne suis pas madame Sabouleux...

GOBERVAL.

Ah bah !...

Il ôte ses lunettes.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Elle est sortie.

GOBERVAL, à Claquepont.

Pardon, madame... Je reviendrai dans une heure... Je vais parcourir ce village qui m’a paru fleuri.

CLAQUEPONT, à sa femme, riant.

C’est plein de fumier...

Goberval, croyant aller à la porte, se cogne à la cheminée, à travers laquelle il cherche à passer.

Non !... pas par là vous vous trompez... par ici...

GOBERVAL.

Je prenais une porte pour l’autre... étourdi que je suis !

À madame de Claquepont.

Monsieur...

À Claquepont.

Madame...

Reculant.

Mes compliments les plus empressés.

Il se heurte en sortant contre la porte.

Oh ! pardon ! pardon !

Il disparaît.

 

 

Scène VIII

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT

 

CLAQUEPONT.

À la place de ce monsieur, j’achèterais un caniche !... Ah çà... cette enfant n’arrive pas...

Il s’assied à gauche.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Ils la font jouer trop longtemps du piano... ils la fatigueront...

CLAQUEPONT, posant son chapeau sur la table et trouvant la lettre de Sabouleux.

Ah ! mon Dieu !... Bérénice !...

Avec joie.

Une lettre de Suzanne !... je reconnais l’écriture.

Il se lève et baise la lettre à plusieurs reprises.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Cette pauvre chérie !... Voyons ce qu’elle nous dit ?...

CLAQUEPONT, lisant.

« Mon cher papa et ma chère maman Claquepont, je vous écris pour vous dire que j’ai encore engraissé de six livres. »

S’arrêtant.

C’est bien extraordinaire !... depuis un an, elle nous écrit tous les mois... et, chaque mois, elle engraisse de six livres. Six fois douze...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Font soixante-douze...

CLAQUEPONT.

Soixante-douze livres par an... ça me paraît fort.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Cette enfant ne sait pas. Après ?

CLAQUEPONT, lisant.

« Madame Sabouleux continue à être la plus tendre des mères... »

MADAME DE CLAQUEPONT.

Excellente femme !... je lui ai apporté un châle.

CLAQUEPONT.

Tiens ! moi aussi... ça lui en fera deux.

Lisant.

« Je ne veux m’en aller d’ici qu’à douze ans... Le médecin a dit que je périrais, si je respirais l’air empoisonné des villes. »

Parlé.

Elle a raison... le manque d’oxygène !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Mais cependant... douze ans !...

CLAQUEPONT.

Nous examinerons l’enfant, et nous verrons par nous-mêmes...

Lisant.

« Je tape toujours de dessur mon piano. »

MADAME DE CLAQUEPONT.

De dessur !...

CLAQUEPONT.

Une incorrection ! enfin !

Lisant.

« J’apprends la grammaire. »

Parlé.

Ça ne fera pas de mal...

Lisant.

« La géographie, la cosmographie, l’hydrographie et la lithographie. »

MADAME DE CLAQUEPONT.

C’est trop ! c’est trop !

CLAQUEPONT, lisant.

« Sans compter la danse, la musique, le dessin et l’équitation... quand vous m’aurez envoyé un âne... qui servira en même temps à porter les provisions de maman Sabouleux... la plus tendre des mères ! »

MADAME DE CLAQUEPONT.

Un âne !...

CLAQUEPONT, lisant.

« Premier nota... »

 

 

Scène IX

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, PÉPINOIS, puis SUZANNE

 

PÉPINOIS, entrant vivement par la porte de droite, deuxième plan, et courant vers la chambre de Sabouleux.

Sabouleux ! La clef, pour le tablier neuf ?

CLAQUEPONT.

Qu’est-ce qu’il y a ?...

PÉPINOIS.

Rien !

À part.

La gamine qu’est là... et pas habillée !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Eh bien, ramenez-vous Suzanne ?

PÉPINOIS, troublé.

Oui... en grande partie.

À part.

Où diable est Sabouleux ?

CLAQUEPONT.

Voilà une heure que nous attendons...

PÉPINOIS.

Une heure... Je ne sais pas... j’ai cassé ma montre...

À part et remontant.

Je vas toujours lui ôter ses sabots.

SUZANNE, en dehors, fredonnant.

Tra la la la !

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Ah !... la voilà !...

Ils courent au-devant d’elle.

PÉPINOIS, à part.

Pristi !...

CLAQUEPONT, reculant, désappointé, en la voyant entrer par la droite deuxième plan.

Ah !... c’est la fille de basse-cour.

Suzanne porte une botte d’herbes dans son tablier.

PÉPINOIS, à part.

Ils ne la reconnaissent pas !

Les parents remontent.

SUZANNE, sur le devant.

Air : En revenant de Pontoise.

Me v’là, j’ons fait ma provision ;

J’ons d’la belle herbe

Fraîche et superbe,

Pour ma chèvre et pour mon dindon,

À l’estomac ça leur s’ra bon !

Bon !...

SUZANNE, à Claquepont.

Tiens ! un bourgeois !... C’est-y toi qui payes bouteille ?

Elle lui donne une tape sur le ventre.

CLAQUEPONT.

Hein ?

PÉPINOIS.

Des mots d’enfant ! des mots d’enfant !

À part.

Où diable est Sabouleux ?

Suzanne est remontée, a posé sa botte d’herbes et est redescendue contre la cheminée.

 

 

Scène X

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SUZANNE, PÉPINOIS, SABOULEUX

 

SABOULEUX, entrant essoufflé, et à part.

Va te promener !

CLAQUEPONT.

Ah ! vous voilà !... c’est bien heureux !...

PÉPINOIS, bas à Sabouleux.

Eh bien ?

SABOULEUX, bas.

Impossible d’arracher la mère Grivoine... Elle se pose les sangsues... c’est une égoïste !

CLAQUEPONT, à Sabouleux.

Et la nourrice ?

SABOULEUX.

Elle vient ! elle vient ! Elle continue à faire sa lessive.

PÉPINOIS, bas.

La clef, pour le tablier ?

SABOULEUX, bas.

Dépêche-toi.

Apercevant Suzanne, à part.

Oh ! la gamine !... et elle n’est pas débarbouillée !...

Pépinois disparaît un moment ; Sabouleux prend une serviette et frotte les joues de Suzanne, qu’il a assise sur ses genoux.

MADAME DE CLAQUEPONT, s’asseyant à gauche.

Ah çà ! voyons !... Faut-il l’attendre jusqu’à ce que sa lessive soit coulée ?...

CLAQUEPONT, assis à gauche.

Calme-toi, bobonne !... Elle va venir !... elle va venir !

MADAME DE CLAQUEPONT, à Sabouleux.

Ah ! vous ne risquez rien de la débarbouiller... car cette enfant est bien mal tenue...

SABOULEUX.

Oh ! Madame !... vous la verrez avec son tabellier !

CLAQUEPONT.

C’est votre fille ?

SABOULEUX.

Qui ?

CLAQUEPONT, montrant Suzanne.

Ça...

SABOULEUX.

Comment ça ?

PÉPINOIS, rentrant de la droite, deuxième plan.

V’là le tabellier...

SABOULEUX, bas.

Ils ne savent donc pas ?...

PÉPINOIS, bas.

Rien !

MADAME DE CLAQUEPONT, se levant.

Oh ! c’est insupportable !...

Ici Sabouleux troublé, croyant mettre le tablier à Suzanne, le présente brusquement à madame de Claquepont qui pousse un cri ; il se retourne, même jeu avec Pépinois.

Où est Suzanne ?

SABOULEUX.

Vous désirez voir... Suzanne ?...

CLAQUEPONT.

Mais oui ! depuis une heure !

SABOULEUX.

C’est que...

Pépinois, qui a pris le tablier, le met à Suzanne.

SUZANNE.

Tu me mets mon tablier flambant !... ousque nous allons ?...

SABOULEUX, bas.

Chut !...

Haut.

Vous allez peut-être la trouver un peu...

CLAQUEPONT.

Quoi ?

SABOULEUX.

Brunie !...

SUZANNE, répétant.

Ousque nous allons ?...

SABOULEUX, bas.

Mouche-toi !

Haut.

Mais à la campagne !

PÉPINOIS, à part.

Quel fichu état que d’être nourrice !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Nous verrons bien... Où est-elle ?

SABOULEUX, toujours troublé, à Suzanne.

Mouche-toi !...

Prenant sa résolution.

Ah ! ma foi, tant pis !

Poussant Suzanne.

La voilà !...

MADAME DE CLAQUEPONT, reculant.

Ça, ma fille ?

CLAQUEPONT.

Ah ! l’horreur !

Chœur.  

Air : Je rougis d’un pareil scandale.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Ah ! quel coup pour le cœur d’un père !

Ah ! quel coup pour un cœur de mère !

Ça, notre enfant ? comment peut-on,

Sous ce costume de vachère,

Reconnaître une Claquepont ?

SABOULEUX et PÉPINOIS.

Cristi ! pristi ! quelle colère !

Comment parer un tel guignon ?

Pour calmer le père et la mère,

Faut ici redoubler d’aplomb.

SUZANNE.

Pourquoi donc qu’ils sont en colère ?

Quoi qu’ils ont ? mais quoi qu’ils ont donc,

Pour se fâcher de c’te manière

Contre la petite Suzon !

CLAQUEPONT.

Une Claquepont ! avec des sabots !

SABOULEUX, à part.

Je les ai oubliés...

Haut.

C’est le médecin...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et une robe de laine !...

SABOULEUX.

C’est le médecin !...

CLAQUEPONT.

C’est affreux !

SABOULEUX.

Mais aussi quelle santé !... regardez ses jambes... Montre tes jambes à la dame !

SUZANNE, retroussant le bas de sa robe.

Voilà !

PÉPINOIS.

Oh ! c’est magnifique ! c’est magnifique !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Il ne s’agit pas de ses jambes... Où est sa robe de velours ?...

SABOULEUX.

Quelle robe ?

MADAME DE CLAQUEPONT.

Un coupon de velours orange que j’ai envoyé pour lui faire une robe.

SABOULEUX, à part, bondissant.

Ah ! bigre !... je suis dedans ! j’en ai fait faire une culotte !

Il noue vivement sa serviette en guise de tablier.

PÉPINOIS.

Pristi !

SABOULEUX.

Cristi !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Eh bien ?

SABOULEUX.

Certainement !... Avez-vous vu la cascade ?...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Je vous parle de la robe !

SABOULEUX.

Elle la mettra, madame, elle la mettra !

CLAQUEPONT.

Mais ça ne le regarde pas, lui !

Suzanne remonte.

C’est sa femme qui est coupable !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Allez me chercher la nourrice !...

CLAQUEPONT.

Nous voulons voir la nourrice !

SABOULEUX.

La... nourrice ?...

PÉPINOIS.

La... nourrice ?...

SABOULEUX.

Elle étudie son piano... Toute de suite...

Bas à Pépinois.

J’ai une idée !

PÉPINOIS.

Moi aussi !

SABOULEUX.

Viens, Suzanne...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Du tout !... laissez-nous l’enfant.

SABOULEUX.

Tout de suite.

À part.

Elle va jacasser !

PÉPINOIS.

Pristi !

SABOULEUX.

Cristi !

Chœur.  

Air : Pour les innocents.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Allons ! hâtez-vous

Car nous voulons faire justice

Que cette nourrice

Comparaisse enfin devant nous !

SABOULEUX et PÉPINOIS, à part.

Loin des r’gards jaloux

J’vas fabriquer une nourrice,

Qui de c’précipice,

Grâce au ciel nous tirera tous !

SUZANNE, à part.

L’bourgeois n’est pas doux

Il est roug’ comme une écrevisse !

À maman nourrice

Est-c’ qu’il voudrait fiche des coups !

Sabouleux entre à gauche et Pépinois à droite.

 

 

Scène XI

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SUZANNE

 

CLAQUEPONT, s’asseyant à gauche.

Comment ! c’est là notre fille ?

MADAME DE CLAQUEPONT, s’asseyant à droite.

C’est votre faute ! laisser un enfant en nourrice pendant huit ans !

CLAQUEPONT.

Ma bonne amie... l’oxygène...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Ah ! vous n’avez pas le sens commun !...

SUZANNE, jouant avec les breloques.

Dis donc, mon ancien...

CLAQUEPONT.

Mon ancien !...

SUZANNE.

Pour quoi donc faire toutes ces machines-là ?

CLAQUEPONT.

Ma fille, ce sont des breloques.

SUZANNE.

Des berloques !

CLAQUEPONT.

Ma fille, on ne dit pas des berloques... on dit des breloques...

La prenant dans ses bras et allant vers sa femme.

Après tout, en la regardant de près, elle est gentille, cette enfant.

MADAME DE CLAQUEPONT, se levant et embrassant Suzanne.

Certainement ! Et, quand elle aura sa robe de velours...

SUZANNE, s’échappant brusquement des bras de Claquepont.

Ah !... nom d’une pipe !... Mon pot qui s’en va.

Elle court à la cheminée.

CLAQUEPONT.

Nom d’une pipe !

MADAME DE CLAQUEPONT, la voyant accroupie devant le feu.

Où va-t-elle ?

CLAQUEPONT.

Qu’est-ce que tu fais là, mon enfant ?

SUZANNE.

J’écume le pot, mon bourgeois !

CLAQUEPONT.

Son bourgeois !...

MADAME DE CLAQUEPONT, avec éclat.

Ils la font écumer !

CLAQUEPONT.

C’est une cuisinière bourgeoise !...

SUZANNE, secouant un panier à salade.

Gare l’eau... Oh !

CLAQUEPONT, recevant de l’eau au visage.

Allons bon !... la salade à présent !...

SUZANNE, chantant en secouant sa salade.

Si je meurs que l’on m’enterre

Dans la cave où est le vin !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

SUZANNE.

Les pieds contre la muraille,

La tête sous le robin !...

CLAQUEPONT, indigné, lui prenant le panier à salade.

Une chanson d’ivrogne !

À sa fille.

Tu ne me parlais pas de ces poésies dans ta lettre du 16...

SUZANNE.

Quelle lettre ?

CLAQUEPONT.

Ton honorée du 16...

SUZANNE, riant.

Ah ! ah ! ah ! que c’est bête ! j’sais pas écrire !...

CLAQUEPONT.

Hein !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Vous ne voyez donc pas qu’on s’est moqué de vous.

CLAQUEPONT, allant poser le panier et revenant.

Peut-être ! peut-être !

À Suzanne.

Voyons !... Qu’est-ce qu’on t’apprend à l’école ?

SUZANNE.

L’école ?... Ça m’embête !...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Oh !

CLAQUEPONT.

Chut ! il ne faut pas dire ça... On dit : « Papa, j’y trouve peu de plaisir. »

SUZANNE.

Ça me scie, quoi ! j’y vas pas, là !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Quel langage !

CLAQUEPONT.

Voyons, mon bijou... Qu’est-ce que tu fais donc ici ?

SUZANNE.

Moi ?... J’gardons les oies.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Les oies !!!

CLAQUEPONT.

Pour quoi faire ?

SUZANNE.

Pour qu’y s’en aillent pas, donc !... Après, je monte aux arbres pour dénicher des nids...

CLAQUEPONT.

Aux arbres ?... une demoiselle ?

MADAME DE CLAQUEPONT.

Ma fille !!! une Claquepont !!!

SUZANNE.

Et le dimanche...

MADAME DE CLAQUEPONT, à Suzanne.

Le dimanche ?

SUZANNE.

Air : Le Beau Lycas.

Quand j’suis ben sage tout’la semaine,

Que dans l’pot j’ai pas mis trop d’sel,

M’man Sabouleux l’dimanch’me mène

Dîner au Pompier éternel.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, parlé.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

SUZANNE, continuant.

C’est l’cabaret d’la mèr’Philippe...

Là, maman fum’sa vieille pipe...

Moi, j’joue aux boul’s et j’mange du flan

Et nous pompons du bon p’tit blanc.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, parlé.

Grand Dieu !

SUZANNE, continuant.

Puis l’soir, l’perruquier Pépinois

Racl’son violon sous l’grand treillard,

Et j’dansons l’rigodon des oies

Avec le petit Rampaillard. (bis)

Elle fait quelques pas d’une danse rustique.

CLAQUEPONT.

Le petit Rampaillard !!!

SUZANNE.

Oui, mon prétendu.

MADAME DE CLAQUEPONT, avec éclat.

Elle a fiancé ma fille !

CLAQUEPONT.

Mais cette femme est une effrontée coquine !... Où est-elle ? où est-elle ?

SUZANNE.

Qui ça ?

CLAQUEPONT.

L’affreuse créature qui t’a nourrie de son lait !...

SUZANNE.

Elle broute.

CLAQUEPONT.

Comment ! elle broute !

SUZANNE.

Elle mange de l’herbe, quoi !...

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

De l’herbe ?

SUZANNE.

Oui !

Prenant sa botte d’herbes.

J’vas y porter son déjeuner.

Elle sort par la porte du fond, en dansant et chantant.

Et j’dansons l’rigodon des oies,

Etc.

 

 

Scène XII

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, puis PÉPINOIS et SABOULEUX

 

CLAQUEPONT.

De l’herbe !... une nourrice qui mange de l’herbe !...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Il nous faut une explication !...

Criant ensemble, l’un à droite, l’autre à gauche.

Nourrice ! nourrice !...

PÉPINOIS et SABOULEUX, entrant chacun d’un côté opposé, et tous deux vêtus en nourrices.

Vélà !... vélà !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Hein ?

CLAQUEPONT.

Comment ?

SABOULEUX, à part.

Pristi !

PÉPINOIS, à part.

Cristi !

CLAQUEPONT.

Deux nourrices !... Et tout à l’heure on ne pouvait pas en trouver une !

Pépinois et Sabouleux veulent sortir.

MADAME DE CLAQUEPONT, retenant Pépinois.

Un instant !

CLAQUEPONT, ramenant Sabouleux.

Où allez-vous donc ?

SABOULEUX, troublé.

Voulez-vous voir la cascade ?

MADAME DE CLAQUEPONT.

Laquelle de vous est madame Sabouleux ?

PÉPINOIS et SABOULEUX, s’avançant ensemble.

C’est...

Ils s’arrêtent.

CLAQUEPONT.

Eh bien ?

SABOULEUX.

C’est moi, monsieur, madame, pour vous servir.

Il fait la révérence.

CLAQUEPONT, à part.

C’est une belle femme !... où diable l’ai-je vue ?

PÉPINOIS, embarrassé, à part.

Eh ben, et moi ?... et moi ?...

SABOULEUX, à Pépinois.

Qu’est-ce qui vous amène, mère Grivoine ? c’est la mère Grivoine...

PÉPINOIS.

Oui... je me pose les sangsues... je suis un égoïste... c’est-à-dire...

À part.

J’ai envie de m’en aller !

MADAME DE CLAQUEPONT, regardant Pépinois.

Oh ! c’est étonnant !...

CLAQUEPONT, regardant Sabouleux.

C’est prodigieux !

PÉPINOIS, à part.

Elle me reconnaît...

SABOULEUX, à part.

Pincé !

Tous deux se tiennent droits et immobiles, en tournant la bouche pour se défigurer.

CLAQUEPONT, à sa femme.

Regarde donc comme la nourrice ressemble à son mari...

SABOULEUX.

C’est mon cousin... mon homme est un Sabouleux, nous sommes deux Sabouleux... voilà.

À part.

Je transpire dans mes atours...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et la mère Grivoine... On jurerait le portrait de ce paysan qui était là...

PÉPINOIS.

C’est mon frère... un Sabouleux...

SABOULEUX.

Nous sommes tous Sabouleux ici.

SABOULEUX et PÉPINOIS, ensemble.

Tous Sabouleux ici !... tous Sabouleux !

CLAQUEPONT, à sa femme.

Ça s’explique...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Cependant...

PÉPINOIS, vivement pour détourner la conversation.

Voisine... je vous demanderai un peu de braise pour allumer mon feu.

Il prend du feu sur une pelle.

SABOULEUX.

Avec plaisir, mère Grivoine... mais n’ébréchez pas mes tisons.

À Claquepont.

Cette femme-là, c’est la mort aux tisons.

PÉPINOIS.

Parbleu ! vos tisons !... on ne les mange pas, vos tisons !

SABOULEUX.

Pourquoi que vous êtes toujours à carotter de la braise ?

PÉPINOIS.

Mame Sabouleux !...

SABOULEUX.

Mame Grivoine...

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Allons, voyons !...

PÉPINOIS, sortant.

Ses tisons !... fait-elle une poussière avec ses tisons !...

 

 

Scène XIII

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SABOULEUX

 

CLAQUEPONT.

À nous trois maintenant !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Oui, nous avons à causer !

SABOULEUX, à part.

Je sens le grabuge.

Haut.

Voulez-vous prendre quelque chose... un doigt de cassis ?

CLAQUEPONT.

Non, madame !... Vous avez fait de ma fille une ivrognesse !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Elle jure comme un charretier !...

CLAQUEPONT.

Elle danse comme un janissaire !

SABOULEUX, vivement.

Avez-vous vu ses mollets ? Des mollets de Turc, môssieu !

CLAQUEPONT.

Je ne tiens pas à ce que ma fille ait des mollets de Turc !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et cette brillante éducation dont elle nous parlait dans ses lettres !

CLAQUEPONT.

Ah ! oui ! ses lettres !... c’est comme son piano...

SABOULEUX.

Eh ben ?

CLAQUEPONT.

Comme la grammaire, le dessin, la géographie...

SABOULEUX, à part.

La mioche a jacassé...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Enfin, vous l’avez élevée comme une vachère !

CLAQUEPONT.

Comme une cuisinière !

SABOULEUX.

Ah ! Seigneur Dieu ! s’il est possible ! Une enfant qu’on soigne comme une demoiselle et qu’on instruit comme un notaire !

Pleurant.

Heue !!!

MADAME DE CLAQUEPONT.

Vous l’employez aux travaux les plus grossiers...

SABOULEUX.

Jamais ! jamais !

Pleurant.

Heue !!!

 

 

Scène XIV

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SABOULEUX, SUZANNE

 

SUZANNE, entrant par le fond, en vannant de l’avoine, elle chante.

Car votre enfant vient de tomber

Dans la rivière

CLAQUEPONT, l’apercevant.

Là !... qu’est-ce que je disais !

SABOULEUX, à part.

Cré chien !

MADAME DE CLAQUEPONT.

C’est un garçon d’écurie !...

SUZANNE, faisant sauter son avoine.

Hup là !

CLAQUEPONT.

Et voilà son piano !

SABOULEUX, arrachant le van à Suzanne.

Lâchez ça, mam’zelle, lâchez ça ! c’est moi... Je lui avais dit de me l’apporter...

Dans son trouble, il se met à vanner.

SUZANNE, apercevant Sabouleux en femme.

Ah !... ah ! maman Sabouleux en madame...

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Quoi ?

SABOULEUX, à part.

Fichtre !

SUZANNE, riant.

Pourquoi que t’as mis c’te robe ?

SABOULEUX, ahuri.

Veux-tu voir la cascade ?

Bas.

Tais-toi, tu auras du lard !

Suzanne remonte.

CLAQUEPONT.

Qu’est-ce qu’elle a ?

SABOULEUX.

Elle rit de me voir dans mon trente-six...

CLAQUEPONT, caressant le menton de Sabouleux.

Coquette !

Suzanne disparaît à gauche.

SABOULEUX, vannant.

Dame ! on tient à ne pas faire peur...

MADAME DE CLAQUEPONT, à son mari avec jalousie.

En voilà assez ! Je suis honteuse de voir ma fille en cet état-là !... Où est votre mari ?

SABOULEUX, bondissant.

Plaît-il ?

CLAQUEPONT.

Nous voulons le voir, lui parler... Tout de suite.

SABOULEUX, à part.

Cristi ! faut que je reparaisse en culotte !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Bien certainement je ne laisserai pas ma fille plus longtemps ici !... Eh bien, vous avez l’air d’une ahurie...

CLAQUEPONT.

On vous demande le père Sabouleux...

SABOULEUX.

Oui... mon homme !... Il est à la cascade. Je vas aller vous le chercher.

Il remonte.

CLAQUEPONT, le retenant.

Non, c’est inutile !... Nous allons le trouver nous-mêmes !...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Nous serons de retour dans un quart d’heure... Surtout que ma fille ait sa robe de velours... vous entendez... je le veux !

SABOULEUX.

Elle l’aura, madame, elle l’aura !

Chœur.

Air : Oui, dès aujourd’hui (Folleville).

CLAQUEPONT.

Venez, chère amie, et prenez mon bras,

À cette cascade allons de ce pas.

Et que notre enfant, sans plus de discours,

Ait sa robe de velours.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Venez, mon ami, donnez-moi le bras,

Etc.

SABOULEUX.

Vite, à la cascade allez de ce pas,

Vous rencontrerez mon mari là-bas,

Suzanne va mettr’ ses plus beaux atours

Et sa robe de velours !

M. et Madame de Claquepont sortent par le fond.

 

 

Scène XV

 

SABOULEUX, puis GOBERVAL, puis PÉPINOIS

 

SABOULEUX, seul.

Sont-ils embêtants avec leur robe ! Je n’ai, ici, en velours, qu’un vieux fauteuil... Je ne peux pourtant pas lui mettre le fauteuil ! Que le diable emporte les Claquepont !... J’aime bien mieux les parents de Toto, mon autre nourrisson ; ils me laissent tranquille, au moins, ceux-là... Voyons... si je pouvais ôter ma culotte, et en faire une robe...

Il est à droite et fait le mouvement de relever sa robe.

GOBERVAL, entrant par le fond et s’adressant à gauche.

Madame Sabouleux, s’il vous plaît ?

SABOULEUX.

Oh !

Il baisse vivement le bas de sa robe.

Vélà ! vélà !

Il passe à gauche.

GOBERVAL, essuyant ses lunettes et s’adressant à droite.

Est-ce à madame Sabouleux, nourrice, que j’ai l’honneur de présenter mes hommages... les plus empressés ?

SABOULEUX, à part.

V’là un vieux poli avec le sexe.

Haut.

C’est moi-même, monsieur.

GOBERVAL, se retournant du côté gauche.

Sommes-nous seuls ?

SABOULEUX.

Entièrement.

GOBERVAL.

Deux mots vous diront qui je suis et l’objet qui m’amène...

SABOULEUX, à part, reculant.

Ah çà, est-ce qu’il voudrait m’en conter ?... Je tape d’abord !

Haut.

Continuez.

GOBERVAL, mystérieusement.

Voici ces deux mots : « Bon lait et mystère ! »

SABOULEUX, s’oubliant.

Ah ! sacrédié ! la devise à Toto !...

GOBERVAL.

Oui, le fruit blâmable d’un neveu... que j’aurais dû maudire...

SABOULEUX, avec indulgence.

Oh ! pourquoi ça ?... pourquoi ça ?...

GOBERVAL.

Il y quinze jours, je reçus une lettre de Batavia...

SABOULEUX.

Au-dessus de Tonnerre.

GOBERVAL.

Cette missive contenait l’aveu de sa faute dans des termes si... si bien écrits, que mes entrailles s’émurent... Je viens tout réparer et payer les frais de nourrice...

SABOULEUX.

Payer les frais !

Vivement, et fouillant dans le tiroir de la table.

Voici la note !...

À part.

J’ai bien fait de la saler.

Il offre un papier à Goberval.

GOBERVAL.

Tout à l’heure... voyons d’abord l’enfant...

SABOULEUX, à part.

Allons, bon ! il est aux foins !

Haut.

Commençons toujours par la note...

GOBERVAL, prenant la note.

Je la vérifierai... Non !... commençons par l’enfant... Où est-il ?

SABOULEUX.

Il étudie son piano...

GOBERVAL.

Ah !... c’est très bien !

SABOULEUX, à part.

À trois lieues d’ici.

GOBERVAL.

Eh bien, allez le chercher !... allez !...

Il s’assied à droite.

SABOULEUX.

Oui. Il va venir... je l’attends...

À part.

Où diable en pêcher un ?...

PÉPINOIS, en dehors.

Père Sabouleux !...

SABOULEUX.

Voilà !

GOBERVAL.

Ah ! le voilà donc, ce cher enfant !...

Tout en essuyant ses lunettes.

Approchez, jeune homme...

En se levant, il fait tomber sa chaise et la relève.

SABOULEUX, à part.

Jeune homme !... Il le prend pour Toto...

Vivement à Pépinois, qui entre par le fond en habits d’homme.

Baisse-toi !

Il le fait baisser.

GOBERVAL, sans voir Pépinois.

Voltaire l’a dit : « Les fautes des pères ne doivent pas retomber sur la tête des enfants... »

PÉPINOIS, interloqué.

Monsieur ?

SABOULEUX.

Il l’a dit !

GOBERVAL.

Je viens à toi sans amertume... cher enfant !...

Il se baisse et embrasse Pépinois sur le front.

PÉPINOIS, toujours baissé.

Monsieur... est bien bon !

À Sabouleux.

Qu’est-ce qu’y me veut ?

SABOULEUX, bas.

Baisse-toi !

GOBERVAL.

C’est le pardon sur les lèvres... que mon coeur te crie : Pauvre innocente créature !...

Il pose la main sur la tête de Pépinois, qui se relève de toute sa hauteur.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... Cet enfant a plus de huit ans !...

SABOULEUX.

Baisse-toi !

PÉPINOIS.

Vingt-sept aux betteraves !

GOBERVAL, outré.

Femme Sabouleux !... Je conçois les plus étranges soupçons... Je vous somme péremptoirement de me livrer ce jeune adulte...

SABOULEUX.

Voilà la chose... Le cousin Sabouleux m’ayant prêté son âne...

GOBERVAL.

Si dans cinq minutes vous ne m’avez pas satisfait, j’irai déposer ma plainte aux pieds des autorités compétentes.

Il entre à droite.

 

 

Scène XVI

 

SABOULEUX, PÉPINOIS

 

PÉPINOIS.

Compétentes !

SABOULEUX, se promenant.

Fichtre ! fichtre ! fichtre !... Comment avoir dans cinq minutes un moutard qui fait les foins à trois lieues d’ici ?

PÉPINOIS.

Si on lui livrait un autre gamin... plus petit que moi ?...

SABOULEUX.

Avec quoi, animal ?... Je n’ai ici qu’une fille... et encore elle est prise...

Frappé d’une idée.

Oh !

PÉPINOIS.

Quoi ?

SABOULEUX.

Ça peut s’arranger... J’ai les culottes du petit... Les Claquepont sont à la cascade... L’autre aura vu, embrassé et payé avant leur retour Dépêchons-nous !

PÉPINOIS.

Tu crois que le vieux se contentera d’une culotte ?

SABOULEUX.

Avec la petite dedans, crétin !

PÉPINOIS.

Je comprends.

Riant.

Ah ! ah ! ah !... prrré Sabouleux !

SABOULEUX.

Vite !... à l’armoire...

Fausse sortie.

PÉPINOIS, l’arrêtant.

Ah !... je savais bien que j’étais venu pour quelque chose ?

SABOULEUX.

Quoi ?

PÉPINOIS.

La vendange ? que tu n’as pas tambourinée.

SABOULEUX.

Crebleu !

PÉPINOIS.

Tout le village attend... M. le maire est furieux...

SABOULEUX.

J’y vais...

Faisant passer Pépinois à gauche.

Occupe-toi de la mioche... prends la plus belle culotte

PÉPINOIS.

Oui...

Près de la porte.

Prrré Sabouleux !

Il sort vivement à gauche.

 

 

Scène XVII

 

SABOULEUX, puis M. et MADAME DE CLAQUEPONT

 

SABOULEUX, passant par habitude son tambour par-dessus ses habits de nourrice.

Fichue vendange !... je l’avais oubliée... Je perds la tête... je me ferai destituer.

Il remonte pour sortir.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, entrant.

Nourrice ?...

Apercevant le tambour.

Dieu !

SABOULEUX, à part.

Pristi !

Il fait tourner le tambour derrière son dos.

CLAQUEPONT.

Non ! non ! on n’a jamais vu une nourrice aussi excentrique !... Pourquoi ce tambour ?

SABOULEUX.

C’est pour amuser la petite... Je vais revenir...

Fausse sortie.

CLAQUEPONT, le retenant.

C’est comme votre cascade...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Qui devait nous amuser...

SABOULEUX.

Monsieur n’est pas content de la cascade ?

CLAQUEPONT.

Il n’y en a pas !

SABOULEUX.

On l’a emportée ?...

CLAQUEPONT.

C’est un moulin... à eau.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Qu’un âne fait tourner.

SABOULEUX.

Eh bien ?

CLAQUEPONT.

Alors, c’est l’âne qui est la cascade !... Quel renversement de toute logique !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et votre mari, nous ne l’avons pas rencontré...

CLAQUEPONT.

Il est revenu ?

SABOULEUX.

Non... il vient de retourner... il vous cherche... Si vous voulez le rattraper ?...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Nous le verrons plus tard... Suzanne doit être habillée ?

SABOULEUX, à part.

Cristi !

Haut.

Voulez-vous monter dans le clocher ?

Il l’indique.

CLAQUEPONT.

Pour quoi faire ?

SABOULEUX.

Y remonte à Pépin le Bref !

CLAQUEPONT.

Allez au diable !

 

 

Scène XVIII

 

SABOULEUX, M. et MADAME DE CLAQUEPONT, PÉPINOIS, SUZANNE, en costume de petit paysan, avec un pantalon de velours noir, et un bonnet de coton rayé

 

PÉPINOIS, amenant la petite, et sans voir les Claquepont.

C’est fait... la voilà !

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Notre fille... en homme !

SABOULEUX.

Pristi !

PÉPINOIS.

Cristi !

Sabouleux, perdant la tête, fait un roulement de tambour.

CLAQUEPONT.

Aïe ! assez !... Cette nourrice me fera mourir !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Voyons pourquoi ce costume ? pourquoi ?

CLAQUEPONT, à Suzanne.

Qui est-ce qui t’a fourrée là-dedans ?

SUZANNE.

On m’a défendu de parler...

CLAQUEPONT.

Quel est ce mystère ?... Nourrice... répondez !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et cette robe de velours ?

PÉPINOIS, montrant le costume de Suzanne.

La v’là !

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Comment ?

PÉPINOIS, balbutiant.

La couturière a mal aux dents... alors, comme son mari est tailleur... il a fait ça... il s’est trompé, c’t homme !

SABOULEUX.

Mais le velours y est !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Celui que j’ai envoyé était orange, et celui-ci est noir !

PÉPINOIS, à part.

Aïe !

SABOULEUX, s’embrouillant.

C’est l’air, madame... c’est l’air... qui avec le soleil... de même dans la maladie du raisin... y pousse de dessur un petit champignon...

PÉPINOIS.

Tu patauges...

Sabouleux, très troublé, fait des roulements plus forts.

CLAQUEPONT.

Taisez-vous donc ! taisez-vous donc !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Assez !... Cette nourrice est folle. Faisons les paquets de la petite... et emmenons l’enfant.

Ils entrent vivement à gauche. Sabouleux les accompagne en battant la caisse plus fort que jamais.

 

 

Scène XIX

 

SABOULEUX, PÉPINOIS, SUZANNE, puis GOBERVAL

 

Sabouleux ôte son tambour.

PÉPINOIS.

Emmener l’enfant !

SABOULEUX, descendant.

Not’petite Suzanne ? Ah ! j’en ferai une maladie !

SUZANNE, entrant.

Jamais ! Moi, je veux rester avec mes oies.

PÉPINOIS, attendri.

Ah ! elle sait aimer, elle !

GOBERVAL, la montre à la main.

Madame...

SABOULEUX, à part.

À l’autre maintenant ! je l’avais oublié !...

GOBERVAL.

Les cinq minutes sont écoulées...

SABOULEUX, lui montrant Suzanne.

Voici votre fille... non, votre garçon !...

GOBERVAL.

Pauvre enfant ! plus je le contemple, plus j’éprouve un sentiment...

SABOULEUX.

Oui... dépêchons-nous ! dépêchons-nous !

GOBERVAL, à Pépinois.

C’est singulier, monsieur. Je trouve qu’il ressemble à mon neveu...

PÉPINOIS.

Oui... dépêchons-nous ! dépêchons-nous !

GOBERVAL.

Pourquoi ça ?

À Suzanne qui lui fait des gestes de gamin sans qu’il s’en aperçoive.

Ah puisses-tu jouir d’un avenir prospère... Surtout dans ses écarts, crains d’imiter ton père !

PÉPINOIS et SABOULEUX.

Ne flânons pas ! ne flânons pas !

Voix de CLAQUEPONT, dans la coulisse.

Nourrice ! nourrice !

SABOULEUX.

Vélà ! vélà !

À Goberval.

Vous avez la note !

GOBERVAL, lui remettant une bourse.

Et voici votre solde...

À Pépinois.

Monsieur, c’est incroyable comme la vue de cet enfant m’a rémué...

PÉPINOIS.

Vous allez manquer le convoi.

GOBERVAL.

Décidément je l’emmène !...

Il prend Suzanne par la main.

SABOULEUX et PÉPINOIS, effrayés.

Bigre !...

SABOULEUX.

Où ça ?

GOBERVAL.

À Mâcon !

SABOULEUX, à Goberval, vivement.

Monsieur, c’est impossible !...

GOBERVAL, l’écartant.

N’êtes-vous pas soldé ?

Il remonte avec Suzanne.

PÉPINOIS, à part.

Nom d’un nom !... et les autres ?...

Frappé d’une idée.

Oh !...

Ouvrant vivement la porte du clocher à Goberval.

Par ici... ça monte au chemin de fer...

GOBERVAL.

Trop bon...

Il entre dans le clocher. Pépinois lui arrache Suzanne et ferme vivement la porte.

PÉPINOIS.

V’lan ! dans le clocher !...

Il tombe assis sur les marches de la porte.

SABOULEUX, tombant sur une chaise à gauche.

Je n’ai plus de jambes !

 

 

Scène XX

 

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SABOULEUX, SUZANNE, PÉPINOIS

 

M. et Madame de Claquepont rentrent avec des paquets.

CLAQUEPONT.

Nous voici prêts.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Allons, ma fille, embrassez votre nourrice... et partons.

SABOULEUX.

Ah ! ma fille !

SUZANNE, se cramponnant à la robe de Sabouleux.

Non ! j’veux pas quitter maman Sabouleux !...

M. et MADAME DE CLAQUEPONT.

Comment ?

SABOULEUX, l’embrassant.

Pauvre trognon !

SUZANNE.

J’veux rester ici jusqu’à douze ans.

CLAQUEPONT, voulant prendre Suzanne, qui tourne autour de Sabouleux pour lui échapper.

Certainement, tout ça est très gentil... Mais nous ne sommes pas ici pour faire du sentiment.

Tout en parlant, il court après elle.

SUZANNE, s’arrêtant près de Pépinois.

J’veux pas quitter mes oies... ni le perruquier !...

PÉPINOIS, attendri.

Ni le perruquier !... Je mouille un cil !...

MADAME DE CLAQUEPONT, à son mari.

Allons, monsieur, finissons-en... Emportez-la !

CLAQUEPONT, courant après Suzanne.

Mademoiselle, ici !... Je vous ordonne.

SUZANNE, fuyant.

Non ! jamais ! jamais ! jamais !

Elle sort par le fond.

CLAQUEPONT, en même temps, la poursuivant.

Ma fille ! ma fille ! ma fille !...

Il sort après elle.

SABOULEUX, attendri.

Aimable enfant !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Voilà comme vous lui avez appris à obéir !

On entend Goberval cogner contre la porte, dans le clocher.

SABOULEUX et PÉPINOIS.

Oh !!!

MADAME DE CLAQUEPONT.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

PÉPINOIS.

C’est les maçons.

CLAQUEPONT, rentrant essoufflé.

Ouf !... je n’en peux plus.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Comment, monsieur, vous ne la ramenez pas ?

CLAQUEPONT, essoufflé.

Elle est... elle est montée.

MADAME DE CLAQUEPONT.

Où ça ?

CLAQUEPONT.

Dans un arbre !!!

TOUS.

Dans un arbre !!!

PÉPINOIS et SABOULEUX, éclatant de rire.

Ah ! ah ! ah ! ah !

MADAME DE CLAQUEPONT, appelant par la fenêtre.

Suzanne !... Suzanne !...

À Claquepont.

Voyons, monsieur, quel parti prenez-vous ?

CLAQUEPONT.

Que voulez-vous que je fasse ?... Je ne peux pas emporter un marronnier !

PÉPINOIS.

Il est à la commune...

Goberval sonne dans le clocher. À part.

L’oncle à Toto !... y se bat avec les cloches.

CLAQUEPONT.

Quel est ce bruit ?

SABOULEUX.

La cloche du chemin de fer.

CLAQUEPONT, désolé.

Quelle situation !... avoir sa fille dans un arbre !... Et le chemin de fer qui va partir !

MADAME DE CLAQUEPONT.

Que faire ?... que devenir ?

CLAQUEPONT.

Allons, madame... puisqu’on ne peut pas séparer cette enfant de sa nourrice... je ne vois qu’un moyen !...

MADAME DE CLAQUEPONT.

Lequel ?

PÉPINOIS, bas à Sabouleux.

Il va nous la laisser !

CLAQUEPONT.

Emmenons la nourrice !

Il remonte.

SABOULEUX, stupéfait.

Hein ? moi ! en femme !... Sacrebleu !...

PÉPINOIS, à part.

Je ris comme quarante-deux mille bossus !

CLAQUEPONT, revenant à Sabouleux et cachant un châle qu’il a pris au fond.

Nous vous ferons un pont d’or... le café au lait le matin...

SABOULEUX.

Permettez...

MADAME DE CLAQUEPONT, de même, à Sabouleux.

Quatre repas...

CLAQUEPONT.

Neuf cents francs... blanchie

MADAME DE CLAQUEPONT.

Et des cadeaux !... voici le mien.

Elle lui met un châle sur les épaules.

SABOULEUX.

Un châle !

CLAQUEPONT, lui mettant l’autre châle sur les épaules.

Et le mien !

SABOULEUX, bas.

Deux châles !...

Se décidant.

Allons ! c’est pour l’enfant !...

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, avec joie.

Ah !

Remontant.

Suzanne, descends... Nous emmenons la nourrice !

Ils disparaissent un moment.

SABOULEUX.

Pépinois, mon paquet... Fourrez-y mes rasoirs...

PÉPINOIS, bas.

Et le vieux du clocher ?

SABOULEUX, bas.

Toto revient demain... Fais-lui voir la cascade...

PÉPINOIS.

Prrré Sabouleux !

Il sort un moment à gauche pour chercher les paquets.

CLAQUEPONT, amenant Suzanne.

Ah ! petite mauvaise tête !... nous te tenons !

SUZANNE, tenant un nid.

J’ai trouvé un nid... je serai sa nourrice !...

SABOULEUX, embrassant la petite.

Oui, mon trésor !

MADAME DE CLAQUEPONT, à son mari.

Cette femme chez nous !... quelle affreuse chose !

CLAQUEPONT, mystérieusement et riant.

Chut ! je lui prends un billet de troisième... embranchement sur Boulogne !... Elle pourra voir le camp !

PÉPINOIS, à part, revenant et posant à terre le paquet de Sabouleux et un grand panier.

Qué bon état que d’être nourrice ! Je prends sa suite...

Pendant le chœur final, M. et Madame de Claquepont remontent à la table du fond, y prennent tous les paquets et les mettent sur la table du premier plan.

Chœur Final.

M. et MADAME DE CLAQUEPONT, SABOULEUX et SUZANNE.

Air final de Michel et Christine.

Adieu don (ter) ce tranquille

Adieu don (ter) mon tranquille

Asile.

Vers la ville

Faut qu’l’on file

Faut que j’file

Adieu bonsoir,

Pas au revoir.

Mais au revoir.

PÉPINOIS.

Adieu donc (bis) ! quitte cet asile

Tranquille,

Vers la ville

Faut qu’tu files.

Adieu, bonsoir,

Mais au revoir !

Un pleur amer mouille ma lèvre !

SUZANNE.

Bon perruquier, pour t’apaiser,

De ma part embrasse ma chèvre.

PÉPINOIS.

Je lui promets un doux baiser !

SABOULEUX, au public, présentant Suzanne.

D’ma nourrisonn’ pour que l’talent grandisse,

Soyez, messieurs, ses nourrices nouveaux

Prodiguez-lui le lait de vos bravos...

SUZANNE.

Et n’en sevrez pas ma nourrice !

Reprise de l’ensemble.

Pendant la reprise de l’ensemble, madame de Claquepont charge son mari de tous les paquets. Pépinois donne à Sabouleux le panier et un paquet enveloppé dans un mouchoir, d’où sort très ostensiblement une paire de bottes ; Sabouleux cherche vivement à la cacher. Suzanne a pris sa gaule. Pépinois embrasse Sabouleux, puis tombe ému sur une chaise.

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