Les Barbons amoureux et rivaux de leurs fils (CHEVALIER)
Comédie en trois actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1662.
Personnages
BONIFACE, père de Polixène et de Lucidor, et amant d’Aminte
POLICARPE, père d’Aminte et de Clidamant, et amant de Polixène
CLIDAMANT, fils de Boniface, et amant de Polixène
LUCIDOR, fils de Boniface, et amant d’Aminte
POLIXÈNE, fille de Boniface, et amante de Clidamant
AMINTE, fille de Policarpe, et amante de Lucidor
GUILLOT, valet de Clidamant, et amant de Béatrix
RAGOTIN, valet de Lucidor, et amant de Lisette
BÉATRIX, suivante de Polixène
LISETTE, suivante d’Aminte
La Scène est proche des maisons de Boniface et de Policarpe.
À MONSIEUR DE LA MARLIÈRE,
PREMIER CAPITAINE COMMANDANT LE RÉGIMENT DE LORRAINE, ET MARÉCHAL DE BATAILLE ES ARMÉES DU ROI
MONSIEUR,
Après les bontés que vous m’avez témoignées, et les charmantes caresses que vous m’avez faites, il semble qu’il y aurait une espèce d’ingratitude en moi, si je ne vous offrais cet Ouvrage, non pas comme un remerciement des faveurs que j’ai reçues de Vous ; mais seulement pour vous faire voir l’envie que j’ai de le reconnaître, si j’avais quelque chose de proportionné à vos mérites. Quand je songe que j’ose donner des BARBONS, qui n’ont rien que folâtre dans leurs actions, à un Homme qui n’en a jamais fait que d’héroïques ; il faut que j’avoue que c’est une témérité à moi qui n’eut jamais de semblable, et que si je ne vous avais demandé la permission de vous les présenter, et que Vous ne m’eussiez promis avec votre bonté ordinaire, de les agréer je n’aurais jamais osé Vous les offrir, tant je tremble à vous faire un présent si peu digne de Vous. Cependant, MONSIEUR, puisque Vous daignez le recevoir, ayez un peu de complaisance, et pour l’Auteur, et pour la Pièce, si jamais Vous Vous abaissez jusqu’à la lire, parce que comme les perfections et les défauts sont incompatibles, lorsque vous qui n’avez rien que de parfait, viendrez à regardez cet Ouvrage, qui n’a rien de bon que la gloire de Vous être offert, Vous pourriez, peut-être, au lieu de vous y divertir, y rencontrer des causes de chagrin : c’est pourquoi je vous ai préparé à toute indulgence possible, si vous voulez vous obliger vous-même, en obligeant l’Auteur, qui n’a point eu d’autre dessein en vous consacrant ce Poème, que de le rendre immortel sous la faveur de Votre Illustre Nom, qui me facilitera les moyens de laisser d’éternelles marques de la passion le plus sincère dont on puisse être,
MONSIEUR,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
CHEVALIER.
À MONSIEUR DE LA MARLIÈRE
SONNET
Vous voyant posséder des talents merveilleux,
Je brûle de vanter votre Valeur extrême ;
Mais ne sachant pas faire un Vers miraculeux,
Comment exalterai-je un mérite suprême ?
Il faudrait exceller en langage des Dieux,
Pour louer un Guerrier, qu’on révère, qu’on aime,
Dont les fameux exploits font qu’on dit en tous lieux,
Qu’on ne voit rien de semblable à lui-même.
Ma Muse, quoique faible, efforce ici ta voix,
Et fais, si tu le peux, connaître à cette fois,
Que d’une noble ardeur, tu te sens animée ;
Mais comme il a le cœur plus grand que l’Univers,
Le rayon de sa Renommée,
Fait cent plus de bruit qu’un million de Vers.
CHEVALIER.
ACTE I
Scène première
CLIDAMANT, GUILLOT
CLIDAMANT.
Que je serais à plaindre en l’état où je suis,
Si je ne t’avais pas pour dire mes ennuis.
Apprends, mon cher Guillot, que j’aime Polixène,
Que ce charmant objet cause toute ma peine.
Et Lucidor son frère, aimant ma sœur aussi,
Nous pourrons, que je crois, nous rendre heureux ainsi.
GUILLOT.
Courage, nous voilà tous remplis d’amourette,
Lucidor aime Aminte, et son valet Lisette,
Vous aimez Polixène, et j’aime Béatrix,
À ce que je puis voir, nous sommes tous d’un prix.
Mais ce n’est pas là tout ce qu’amour a su prendre.
Vos deux pères, je crois, sont aussi pris du tendre ;
Car je les vois toujours ensemble conférer,
Et tout leur entretien n’est que de soupirer.
Vous les verrez bientôt en ce lieu l’un et l’autre,
Parler de leur amour, daignez songer au vôtre,
Empaumez Lucidor, il doit venir ici,
Pour moi de Béatrix je fais tout mon souci.
CLIDAMANT.
Nos pères amoureux ? cela n’est pas croyable,
Un Amant à leur âge, est toujours méprisable,
Les soupirs des vieillards sont soupirs superflus,
Ils ont beau soupirer, on ne les entend plus ;
Mais pour les jeunes gens il n’en est pas de même :
Enfin, tu sais Guillot, ma passion extrême...
GUILLOT.
Et bien pour la savoir, en suis-je bien plus gras.
CLIDAMANT.
Non, mais j’espère bien que tu m’y serviras.
GUILLOT.
C’est fort bien espérer.
CLIDAMANT.
Ne suis-je pas ton Maître ?
GUILLOT.
Vous ne savez que trop me le faire connaître.
D’abord que quelque avis vous est donné par moi.
Coquin, me dites-vous, c’est bien à faire à toi,
De venir discourir, il vaudrait mieux te taire,
Ce faquin veut ici trancher du nécessaire,
Faire l’Olibrius, cessez petit mignon,
De traiter avec moi de pair à compagnon,
Et gardez le respect d’une telle manière,
Que nous ne vivions plus tant à la familière ;
Voilà le beau régal que me font vos discours ;
Mais alors qu’il vous faut servir dans vos amours,
Peste, que vous savez bientôt changer de note !
Vous vous radoucissez d’une façon bigote,
Cher Guillot, dites-vous, rien n’est égal à toi,
Tu mérites beaucoup, je t’aime plus que moi :
Quoique simple valet, tu ne tiens rien du rustre,
Mille perfections qui te rendent illustre,
Me font avoir pour toi tout à fait du penchant ;
Et puis quand vous avez fait le bon chien couchant,
Que vous croyez de moi n’avoir jamais affaire,
Vous m’envoyez au diable, et sans autre mystère :
Monsieur, je ne suis plus d’humeur à le souffrir,
Rêvez, mourrez d’amour, je vous verrai mourir.
CLIDAMANT.
Tu n’as point de pitié d’un Amant misérable ?
GUILLOT.
N’en ayant point pour moi, je suis impitoyable.
CLIDAMANT.
Quoi, sans être touché tu verrais mon trépas ?
GUILLOT.
Monsieur, je vous connais, que vous n’en mourrez pas.
La mort est un chemin qu’il nous faudra tous suivre ;
Mais pour mourir d’amour, vous aimez trop à vivre :
Vous me direz encor, je me meurs, bien des fois,
Pendant que je vous voie arriver aux abois ;
Vous êtes tous les jours près de quelque Maîtresse,
Faire le transi, l’Amant plein de tendresse,
Et puis tout aussi tôt qu’elle a le dos tourné,
Une autre qui survient vous rend passionné ;
Si bien que l’on vous voit mourir pour la dernière,
Comme vous aviez fait déjà pour la première :
Et vous ne trépassez jamais qu’en vos amours,
Monsieur, je crois ma foi, que vous vivrez toujours.
CLIDAMANT.
C’est bien à vous maraud, à me railler de même.
Savez-vous bien qu’après votre insolence extrême
Je devrais vous casser les jambes et les bras ?
GUILLOT.
Vous m’obligerez fort en ne le faisant pas.
CLIDAMANT.
Parlant comme tu fais, je le devrais bien faire.
GUILLOT.
Vous n’auriez puis après qu’à me mettre en galère
N’ayant jambes ni bras, je ramerais fort bien.
CLIDAMANT.
Tais-toi, double coquin, et ne me dis plus rien,
Je suis las d’écouter tes sottes railleries,
Finis donc promptement toutes ces momeries,
Et songe seulement que j’ai besoin de toi.
GUILLOT.
Votre commandement fait ma règle et ma loi,
Je prétends vous servir en valet admirable,
Et suis autant à vous, qu’un Sergent est au Diable.
CLIDAMANT.
Paix-là, j’entends quelqu’un, viens-t-en prendre un billet,
Que tu feras tenir à mon aimable objet.
Scène II
LUCIDOR, RAGOTIN
LUCIDOR.
Ah ! mon cher Ragotin, que l’amour me tourmente.
RAGOTIN.
Monsieur, je crois plutôt que le Diable vous tente,
Depuis que votre Aminte enfin vous a parlé,
Vous êtes plus chagrin qu’un homme ensorcelé :
Vous ne sauriez durer un seul moment en place,
Vous allez devenir plus sec qu’une carcasse,
Et votre Ragotin plus maigre qu’un hareng ;
Monsieur, ne courons plus en Chevalier errant,
Demeurons en repos, j’aime aussi bien qu’un autre ;
Mais courir sans manger, il y va trop du nôtre :
Encor alors qu’on a bien dîné, bien dormi,
On peut faire l’amour lors en diable et demi ;
Faites-le donc ainsi, c’est la belle manière,
Sinon nous nous voyons à notre heure dernière,
Nous allons trépasser, il n’est rien plus certain,
Car vous mourez d’amour, et moi je meurs de faim.
LUCIDOR.
Est-on jamais gourmant... mais j’aperçois mon père,
Entrons, je t’instruirai de ce qu’il faudra faire.
Scène III
BONIFACE, seul
Amour, jeune insolent, petit enfant brutal,
Qui m’embrases le cœur ainsi qu’un arsenal,
Tu ranimes mon corps d’une naissante flamme,
Pourquoi venir encor t’emparer de mon âme ?
À mon âge, amoureux ! c’est sur le tard Jacquet ;
Eh quoi, ne suis-je pas un vieillard guilleret ?
Portrait : de belle humeur ? de bonne compagnie ?
Qui peut donc empêcher que je ne me marie ?
Puis-je pas être encor par l’amour enchaîné,
Beau comme Cupidon ? Mais enfin c’est l’aîné,
Car je ne puis passer, quoi que je puisse faire,
Pour autre que l’aîné, si je ne suis son père ;
De sorte que j’ai beau paraître goguenard,
Je ne passerai plus que pour un vieux pénard ;
Si faut-il toutefois que dans ce jour je harpe,
L’objet qui m’a ravi, mais le vois Policarpe,
Que diable pourrait-il venir chercher ici ?
Scène IV
BONIFACE, POLICARPE
POLICARPE.
Amour, pourquoi viens-tu me donner du souci ?
Qui t’oblige, dis-moi, d’être si téméraire,
De me venir chercher ? mais quel remède y faire ?
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’amour nous apprend
Qu’il n’épargne non plus le petit que le grand,
Puisqu’il est assuré qu’aussi bien il attrape,
Le vieillard que le jeune, et qu’aucun n’en échappe,
Je me console donc de m’en voir accablé ;
Me voilà, Dieu merci, pris comme dans un blé,
Et si je ne sais pas si ce qui m’a su prendre,
Aura bien la bonté de me vouloir entendre,
Boniface, qui peut vous amener ici ?
BONIFACE.
C’est mon amour, et vous.
POLICARPE.
Et c’est le mien aussi.
BONIFACE.
Vous êtes amoureux, ô mon cher Policarpe ?
POLICARPE.
L’amour nage en mon corps, comme dans l’eau la carpe.
BONIFACE.
Et moi, ce même amour dont je suis prisonnier,
Me trotte au corps aussi comme rats au grenier.
POLICARPE.
Vous aimez donc bien fort ?
BONIFACE.
Fort comme tous les diables.
Et vous, comme aimez-vous ?
POLICARPE.
Mes ardeurs sont semblables.
BONIFACE.
Nous voilà donc tous deux amoureux comme il faut.
POLICARPE.
L’amour n’a point encor produit un feu si chaud.
Scène V
BONIFACE, POLICARPE, GUILLOT
GUILLOT, les voyant et les oyant parler.
Voici le mois de Mai que les Ânes hennissent,
Car je crois que je vois deux qui se divertissent.
BONIFACE.
Partons, j’entends quelqu’un qui nous pourrait troubler.
POLICARPE.
Cherchons quelque autre endroit où nous pouvoir parler.
Ils sortent et Guillot demeure seul.
Scène VI
GUILLOT, seul
Comment donc ces vieux fous, cadets à barbe blanche,
Veulent tâter d’amour encore quelque tranche !
C’est bien à vous, ma foi, trop débiles Barbons,
De vous amouracher, froids comme des glaçons.
Ah ! Monsieur Policarpe, et monsieur Boniface,
Pour de l’amour, je crois que l’on vous en fricasse.
Cessez donc vos ardeurs, car il est peu d’objets,
Qui veuillent s’enrôler avec de tels cadets.
Et qui diable seraient les pauvres créatures,
Qui se voudraient charger de vos vieilles fressures,
Celles qui vous auraient feraient tous leurs efforts
À vous faire passer promptement chez les morts.
Messieurs les Roquentins, si vous m’en voulez croire,
Loin de faire l’amour, amusez-vous à boire :
Le bon vin, ce dit-on, est le lait des vieillards
Buvez-en votre saoul, plutôt qu’être cornards,
Car un vieillard qui prend une jeune fillette,
De syndic de cocus une charge il achète.
Le vieillard pourrait-il jamais s’en exempter,
Si le jeune homme même a peine à l’éviter ?
Non, demeurons d’accord dans cette conjoncture,
Que quiconque en échappe, est aimé de Nature.
Scène VII
GUILLOT, RAGOTIN
RAGOTIN.
Serviteur.
GUILLOT.
Dieu te gard, qui t’amène en ce lieu ?
RAGOTIN.
Désires-tu l’apprendre ?
GUILLOT.
Et je t’en prie.
RAGOTIN.
Adieu.
GUILLOT.
D’où vient que tu t’en vas quand je te le demande ?
RAGOTIN.
Ta curiosité paraît un peu trop grande ;
Et pourquoi me viens-tu questionner ainsi ?
GUILLOT.
Pour savoir ton dessein.
RAGOTIN.
Tu prends trop de souci,
De quoi te mêles-tu ?
GUILLOT.
De ce que je désire.
RAGOTIN.
Tu crois donc que je sois un homme à te le dire ?
GUILLOT.
Oui, je le crois sans doute.
RAGOTIN.
Et moi je n’en crois rien.
Tu le veux donc savoir ?
GUILLOT.
Oui, je le voudrais bien.
RAGOTIN.
Apprends-moi donc aussi le sujet qui t’amène.
GUILLOT.
Le dirai-je à deux fois, ou bien tout d’une haleine ?
RAGOTIN.
Comme tu le voudras, je suis prêt d’écouter.
GUILLOT.
Et moi, je ne suis pas prêt à te le conter ;
Car en te le disant, je te ferais trop aise.
RAGOTIN.
Selon, si ce n’est point chose qui me déplaise ;
Mais que peut-ce être encor ?
GUILLOT.
De quoi te mêles-tu ?
Pour apprendre un secret, as-tu cette vertu,
Que l’homme doit avoir pour cacher et pour taire
Ce qui ne doit jamais être su du vulgaire ?
Sais-tu conserver ce qu’on appelle honneur ?
Et la discrétion règne-telle en ton cœur ?
As-tu l’esprit bien fait ? as-tu l’âme bien faite ?
Ta langue quelquefois n’est-elle point gazette ?
Ne vas-tu pas prôner ce qu’on t’a défendu ?
RAGOTIN.
Je ne dis jamais mot, dussé-je être pendu.
GUILLOT.
Je ne te dirai rien aussi, dussé-je l’être.
RAGOTIN.
Si tu ne me dis point pourquoi tu viens paraître
Je ne dirai point pour quoi je viens aussi.
GUILLOT.
Mais qui commencera le premier en ceci ?
RAGOTIN.
Afin que nul de nous n’ait aucun avantage,
Ensemble nous dirons quel est notre message.
GUILLOT.
Je le veux bien, parlons tous les deux à la fois.
RAGOTIN.
Nous nous étourdirons avecque nos deux voix.
GUILLOT.
Apprends-moi ton secret, cher ami, camarade.
RAGOTIN.
Je le veux bien, je viens pour faire une Ambassade,
Avec un billet doux.
GUILLOT.
Tu n’a pas mal parlé ;
Celui que j’ai, je crois, n’est ni doux ni salé,
Il est assaisonné d’une fort bonne sorte.
RAGOTIN.
Mais ne saurais-je point à qui ta main le porte ?
GUILLOT.
Oui, quand nous aurons fait nouvelles pactions.
RAGOTIN.
Quoi, faut-il faire encore d’autres conditions ?
Dis-le moi, je te prie, et bannis toute crainte.
GUILLOT.
Il est pour Polixène.
RAGOTIN.
Et le mien pour Aminte,
Ton maître a chez le mien le sujet de ses feux,
Et le mien chez le tien la cause de ses vœux !
GUILLOT.
La fille à Policarpe avec sa bonne grâce,
A su gagner le cœur au fils de Boniface.
RAGOTIN.
Celle de Boniface avec son air tentant,
Au fils de Policarpe en a fait tout autant.
GUILLOT.
On s’en va donc bientôt de nos deux maisonnées,
Si je ne suis trompé, faire deux Hyménées.
RAGOTIN.
Sans doute, et nous serons les plus heureux valets...
GUILLOT.
Oui, car nous nous voyons déjà porte-poulets.
N’est-ce point être aussi Postillons de Silvie ?
RAGOTIN.
Qu’y ferions-nous ? ce sont commerces de la vie.
GUILLOT.
Mais, mon cher Compagnon, dis-moi, te plairait-il ?
Que l’on te fît passer pour un poisson d’Avril ?
RAGOTIN.
Souvent sans regarder avril, mai ni décembre,
On nous fait maquignons de haquenée en chambre.
Mais nous sommes ici des messagers d’honneur.
GUILLOT.
Oui bien, quant à présent, mais parfois serviteur,
Nous portons des poulets à certaines Donzelles,
Lesquelles ont bien l’air de n’être pas pucelles :
Mais c’est galanterie, et tout cela n’est rien,
Celles où nous allons ce sont filles de bien,
Qui se gouvernent... Je n’en dis pas davantage,
Suffit, qu’elles n’ont rien en elle que de sage.
RAGOTIN.
Camarade en ce point, je ne dis oui, ni non.
Celle qu’on croit bien sage, est bien souvent guenon.
Et celle que l’on croit de même concubine,
Souvent est brave femme, et nous trompe à la mine.
Mais cher ami Guillot, j’aime un certain objet,
Dont je mettrais au feu le doigt.
GUILLOT.
Il brûlerait.
Toi-même, tu me viens de dire, que ces gueuses
En apparence sont toutes des affronteuses.
RAGOTIN.
Celle que je chéris n’aime au monde que moi,
Je t’en réponds, Guillot.
GUILLOT.
C’est bien répondre à toi.
On se croit bien souvent maître d’une friponne,
Laquelle cependant n’est qu’à qui plus lui donne ;
Mais quoi ? puisqu’il faut se marier une fois,
Faisons-le, c’est à faire à s’en mordre les doigts.
Tu sais que nos objets doivent ici se rendre,
D’une aigrette de bœuf, tâchons à nous défendre.
RAGOTIN.
Tous coups vaillent, Guillot, c’est à faire à cela.
Nous ne serons pas seuls avec ces armes-là.
GUILLOT.
Il est vrai qu’elles sont communes dans ce monde.
Moi qui te parle, j’aime une certaine blonde,
Qui me porte bien l’air de m’en faire tâter,
Quelque précaution que j’y puisse apporter ;
Mais songeons aux objets qui causent nos servages,
Songeons en même temps à faire nos messages.
Bon, voici justement celles que nous cherchons,
Abordons-les, Ragot.
RAGOTIN.
Je le veux, approchons.
Scène VIII
GUILLOT, RAGOTIN, BÉATRIX, LISETTE
GUILLOT.
Serviteur, Béatrix.
RAGOTIN.
Ah ! ton valet, Lisette.
Je tiens certain poulet...
GUILLOT.
Moi, certaine poulette,
Pour donner à l’objet, dont mon Maître est charmé.
RAGOTIN.
Et le mien pour celui dont mon Maître est aimé,
Et tu peux bien penser que c’est pour ta Maîtresse.
GUILLOT.
C’est à la tienne aussi, que ce billet s’adresse,
Enfin, nos Maîtres sont diablement amoureux.
RAGOTIN.
Et tu vois deux valets qui le sont autant qu’eux.
LISETTE.
Qui te charme, Ragot ?
RAGOTIN.
Ah ! petite friande,
Ragot te peut-il voir à moins qu’il ne se rende ?
Je sens mon pectorat tellement enflammé,
Que si tu ne l’éteins, me voilà consommé :
Tes yeux m’ont allumé d’une si forte flamme,
Que dans l’enfer d’amour, je sens brûler mon âme
Oui, c’est l’enfer d’amour, de ne posséder pas,
Celle pour qui je fais tous les jours mille hélas,
Et n’écoute non plus ce que je lui veux dire,
Que si ce n’était rien qu’un homme qui soupire,
Un Ragot peut-il bien près de toi soupirer,
Sans que tous ses soupirs te puissent pénétrer ?
Si tu ne te rends pas à mon sort déplorable,
Je te crois un objet du tout impénétrable.
LISETTE.
Ragotin, je n’ai pas pour toi le cœur si dur,
Pour ne te pas aimer, ton amour est trop pur.
BÉATRIX.
Et toi, quel est l’objet pour qui ton cœur soupire ?
GUILLOT.
C’est toi, ma Béatrix, puisqu’il te le faut dire.
Je suis dans un état à ne te celer pas,
Que j’en tiens rudement pour tes friands appas :
Oui, quand on aperçoit tous les charmes ensemble,
La plus ferme franchise en ce moment-là tremble,
Si bien que dans le temps que je me sens brûler,
Ma franchise aussitôt commence de trembler ;
Le froid et le chaud font une antipéristase,
Qui cause en ma personne une incommode extase,
Par où je sens former un tumulte en mon corps,
Qui tempête, ravage, et fait de tels efforts,
Qu’il rompt et brise tout jusques à mes membranes,
La suffocation offusque mes organes,
Et mon âme et mon corps par transpiration,
Veulent... enfin, je t’aime avecque passion.
BÉATRIX.
Que ton amour te fait dire de belles choses !
GUILLOT.
Ce sont les grands effets que produisent ces causes ;
Je laisse aux esprits bas à parler bassement,
Pour moi, je fais l’amour scientifiquement.
BÉATRIX.
Moi qui n’ai point d’esprit, quelle réponse y faire.
GUILLOT.
Je t’en infuserai de la bonne manière.
BÉATRIX.
Tu n’es qu’un babillard, va, ne me dis plus mot.
RAGOTIN.
Petite dulcinée, aimeras-tu Ragot ?
Tu ne me réponds rien, dis donc ?
LISETTE.
Hélas !
RAGOTIN.
Achève.
LISETTE.
Je crains bien de t’aimer, adieu.
RAGOTIN.
Le cœur me crève.
GUILLOT.
Et toi m’aimeras-tu, Béatrix mon souci !
BÉATRIX.
Peut-être, adieu Guillot.
GUILLOT.
Le cœur me crève aussi.
ACTE II
Scène première
POLIXÈNE, AMINTE, BÉATRIX, LISETTE, sortant chacune de leur maison
POLIXÈNE.
Pour vous aller trouver, je sortais de chez nous.
AMINTE.
Et pour vous voir aussi je m’en allais chez vous,
Que vouliez-vous de moi ?
POLIXÈNE.
Vous faire confidence.
AMINTE.
Mon dessein était tel, parlez en assurance,
Vous savez que je suis un esprit fort discret.
POLIXÈNE.
Je voudrais bien avoir pu cacher mon secret ;
Mais hélas ! j’aurais beau ne le vouloir pas dire,
On le connaît assez lorsque mon cœur soupire ;
Et quand vous me voyez mettre un soupir au jour,
Vous pouvez bien juger qu’il ne vient que d’amour.
AMINTE.
Quel Amant, Polixène, a l’honneur de vous plaire ?
POLIXÈNE.
Je vous le dirais bien, mais...
AMINTE.
Dites.
POLIXÈNE.
Votre frère.
AMINTE.
Mon frère ! quel bonheur ! incomparable bien,
De voir que votre sort se trouve égal au mien !
Polixène, jugez quelle joie est la nôtre,
Mon frère est votre Amant, et j’aime aussi le vôtre.
POLIXÈNE.
Quoi, vous aimez mon frère ? Aminte, quel plaisir !
AMINTE.
Oui, votre frère, fait mon unique désir.
POLIXÈNE.
Le vôtre fait aussi toute mon espérance.
AMINTE.
Heureuses, si l’on peut faire cette alliance.
Mais je crois, que je vois venir mon frère ici.
POLIXÈNE.
C’est lui-même, et le mien avec lui vient aussi.
Scène II
POLIXÈNE, AMINTE, CLIDAMANT, LUCIDOR, BÉATRIX, LISETTE, RAGOTIN
CLIDAMANT.
Oui, ma sœur est à vous, et sans doute mon père...
LUCIDOR.
Que je vais être heureux s’il ne m’est point contraire.
CLIDAMANT.
Je tiendrai sûrement votre amour à bonheur,
Mais puis-je, Lucidor, espérer votre sœur ?
Ah ! si je possédais cette aimable personne,
Je serais plus content.
LUCIDOR.
De moi, je vous la donne,
Et mon père, je crois...
RAGOTIN.
Ce fait est terminé,
Vous avez bon marché, c’est un marché donné.
POLIXÈNE.
Mon frère, savez-vous si je veux qu’on me donne ?
CLIDAMANT.
Ne vous offensez pas, adorable personne,
Si l’on vous donne à moi, cessez votre courroux ;
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on me donne à vous,
Puisqu’il est assuré que notre destinée,
A déjà dans le Ciel conclu notre Hyménée.
LUCIDOR.
Vous fâchez-vous aussi, que l’on vous donne à moi ?
AMINTE.
Si j’ose devant vous, dire ce que j’en crois,
J’avouerai Lucidor, que je ne saurais taire,
Qu’on ne peut se fâcher contre ce qui sait plaire.
LUCIDOR.
Peut-on voir un bonheur...
RAGOTIN.
À quoi bon tant prêcher,
Depuis qu’elle veut bien rire sans se fâcher ?
LUCIDOR.
Tais-toi, double faquin.
CLIDAMANT, à Polixène.
Que faut-il que j’espère ?
POLIXÈNE.
Clidamant, vous pouvez là-dessus voir mon père,
L’honneur que je reçois me semble être si doux,
Que si j’étais à moi, je serais toute à vous.
CLIDAMANT.
Ô discours obligeant !
LUCIDOR.
Et vous, aimable Aminte,
Approuvez-vous le feu dont mon âme est atteinte.
Puis-je espérer qu’un jour...
AMINTE.
Voyez mon père aussi.
Mais j’entends quelque bruit, retirons-nous d’ici.
Scène III
LUCIDOR, CLIDAMANT, BÉATRIX
LUCIDOR, s’en allant, dit à Clidamant.
Venez-vous ?
CLIDAMANT, à Lucidor.
Je vous suis.
Après à Béatrix en l’arrêtant.
Fais près de ta Maîtresse,
Béatrix, que je puisse obtenir sa tendresse.
BÉATRIX.
On vous aime, Monsieur.
Scène IV
CLIDAMANT, BÉATRIX, GUILLOT
GUILLOT, passant devant eux.
Je le sais bien, bonsoir.
CLIDAMANT.
Que veut dire ce sot ?
GUILLOT, repassant encor.
Adieu jusqu’au revoir.
BÉATRIX.
Et bien, si tu t’en vas, Dieu te veuille conduire.
CLIDAMANT.
Parlez, Monsieur Guillot, dites, est-ce pour rire ?
GUILLOT.
Nenni, pour rire ? nenni ; très humble serviteur.
CLIDAMANT, à Guillot.
Tiens donc.
Il tire sa bourse.
Tiens Béatrix.
GUILLOT.
Elle vend son honneur,
Il n’est rien plus certain.
BÉATRIX, s’en allant.
J’emploierai mon adresse,
À vous rendre service auprès de ma Maîtresse.
GUILLOT, revenant tout effaré.
Au voleur ! arrêtez.
CLIDAMANT.
Qui te rend si surpris,
Dis donc.
GUILLOT.
Rien, avez-vous fait avec Béatrix ?
CLIDAMANT.
Oui, traître, j’ai tout fait ce que j’y voulais faire,
Pourquoi ?
GUILLOT.
Je sortirais de peur de vous distraire.
CLIDAMANT.
Et par quelle raison ?
GUILLOT.
Si chacun se mêlait
De faire sa besogne, ainsi qu’il le devrait,
Les Vaches bien souvent en seraient mieux gardées.
CLIDAMANT.
D’où te viennent maraud, ces fantasques idées ?
Me feras-tu toujours des contes d’animal ?
Je ne te dis rien, mais...
GUILLOT.
Mais chacun sent son mal ;
Monsieur, contentez-vous de voir votre Maîtresse
Et ne muguetez point celle que je caresse :
À ce que je puis voir, vous trouvez tout fort bon
Et Dame, et Demoiselle, et Suivante, et Souillon,
Vous mettez tout en œuvre ; ah ! la peste, quel drôle !
Avecques ses douceurs comme il les affriole.
En leur disant mon cœur, tu n’as rien que de beau,
Il vous les fait venir donner dans le panneau ;
Mais ces beaux mots n’étant que des billevesées
Ces pauvres filles, sont des filles abusées.
Mon Maître, s’il vous plaît, rengainées vos douceurs,
Ne vous en servez plus, si ce n’est pour nos sœurs,
Si l’on m’a fait cocu, pour mon malheur, en herbe,
Il n’est pas de besoin que je le sois en gerbe.
CLIDAMANT.
Pour la voir avec moi, tu te fâches, Guillot ?
GUILLOT.
Je ne trouve pas bon que vous me fassiez sot.
CLIDAMANT.
Crois-tu qu’elle soit fille à faire une sottise ?
GUILLOT.
Je ne sais, vous savez si bien comme on courtise,
Que malheureusement pour me faire enrager
Vous pourriez la réduire à l’heure du Berger ;
Mais je serais gâté, cela n’est rien qui vaille,
Parce qu’en me gâtant, vous gâteriez sa taille.
Et si j’allais après me charger de sa peau,
Ce serait épouser, et la Vache et le Veau.
Pardon, si vous lui parlez, j’ai conclu dans mon âme,
Qu’elle n’aura jamais l’honneur d’être ma femme.
CLIDAMANT.
Bien loin que mon amour fasse du tort au tien,
Quand je lui parlerai, ce sera pour ton bien,
Et rien que pour toi seul...
GUILLOT.
Et qu’il ne vous déplaise,
Vous vous embraseriez ainsi qu’une fournaise,
Dès que vous la verriez ; fi de votre entretien,
Celle qui vous verra, ne vaudra jamais rien.
Vous savez tellement comme on les attrape,
Qu’il est bien malaisé qu’aucune vous échappe :
Dès lors que vous prenez votre ton doucereux,
Vous les amadouez, vous emballez des mieux,
Et comme l’ennemi juré du mariage,
Vous n’avez d’autre but qu’au seul concubinage,
Vous savez si bien l’art de les persuader
Que vous leur en donnez bien souvent à garder.
D’abord qu’il se rencontre auprès d’une mignonne,
Il la couve des yeux, le drôle la mitonne,
Quand il voit à peu près qu’il a trouvé son fait,
Le galant sans façon plante là son piquet,
Et ne démord jamais d’auprès de la donzelle,
Que de son cher honneur il n’ait la cuisse ou l’aile.
Aussitôt qu’il a fait de l’honneur de Cloris,
Aux autres, me dit-il, Guillot, ceux-là sont pris.
CLIDAMANT.
Je ne sais pas pourquoi tu me donnes ce blâme.
GUILLOT.
Si Polixène n’est dans fort peu votre femme,
Qu’elle ne fasse pas trêve à tous vos discours,
Pour peu qu’elle se plaise à souffrir vos amours,
Ne se mariant pas avecque vous en hâte,
Je suis très assuré qu’il faudra qu’elle en tâte ;
De sorte qu’une fille avec un peu d’honneur,
Vous devrait épouser à votre abord, Monsieur :
Car dès qu’elle vous parle, elle est d’amour émue.
Ville qui parlemente est à demi rendue ;
Et pour peu que la belle entende le jargon,
On voit son pauvre honneur faire bientôt faux bond.
Monsieur, cela ma foi, n’est point du tout honnête.
Mais quoi ? vous n’en ferez jamais qu’à votre tête.
J’ai beau sur ce sujet vous donner des leçons,
Tout ce que je vous dis, ce vous sont des chansons.
Vous vous moquez de tout.
CLIDAMANT.
Ce faquin me fait rire
Mais il faut demander l’objet de mon martyre,
Je vais revenir ; vois si son père est ici.
GUILLOT.
Ne parlez plus au mien, au moins.
CLIDAMANT.
Non.
GUILLOT, il heurte à la porte de Boniface.
Grand-merci.
Boniface est-il là ?
Scène V
GUILLOT, BÉATRIX
BÉATRIX.
Non.
GUILLOT.
Bonne mijaurée !
Avez-vous été bien muguetée et fleurée ?
Mon Maître vous a-t-il débité le fleuron ?
Est-il dans votre cœur cet Amant fanfaron ?
Ce charmant Damoiseau ? ce Dameret superbe ?
Qui prétend sous le pied me couper bientôt l’herbe ?
Coquine, vous savez fort bien l’art d’écouter,
Quand le Godelureau vient pour vous en conter ;
Mais alors que Guillot vous dit qu’il vous adore,
Vous le dédaignez Caigne, et faites la Pécore ;
Il voit paraître en vous un certain air honteux,
Vous faites la fâchée, et vous baissez les yeux,
Comme si je n’étais pas de votre calibre ;
Courtisez vos Coquets, cela vous est fort libre :
Je vous dirai pourtant sans me mettre en courroux,
Qu’un homme comme moi, vaut un peu mieux que vous,
Madame la friponne, ou pour mieux dire gueuse ;
Vous me portez bien l’air d’une franche coureuse,
Pour aller bien souvent en Carrosse à cinq sous,
Et tâcher d’attirer quelques Muguets à vous :
Pour peu que vous alliez en ces lieux en voyage,
Qui sait si mon honneur fera bientôt naufrage.
BÉATRIX.
Ah, ah, monsieur Guillot, vous êtes donc jaloux ?
Vraiment j’en suis fâchée, et pour l’amour de vous.
Et je ne croyais pas que votre humeur jalouse,
M’osât traiter ainsi sans être votre épouse.
Si j’étais mariée avec vous, le beau fils,
Ayant pouvoir sur moi vous feriez donc bien pis.
Certes le beau garçon, vous êtes admirable !
Vous vous fâchez Amant ; mari, vous seriez diable.
Vous deviez mieux cacher votre méchante humeur ;
Un Amant ne plaît pas quand il fait le Censeur ;
Lorsqu’il se voit entrer la jalousie en l’âme,
Il ne se doit jamais charger d’aucune femme ;
Gardez donc bien d’en prendre, afin d’être content,
Car vous pourriez porter ce que vous craignez tant.
Quand vous pensez tenir une femme captive,
Tout ce que vous craignez bien souvent vous arrive.
Vous avez beau veiller dessus ses actions,
On appelle cela, vaines précautions.
Vous savez que je suis de manière Coquette ?
Que je prends grand plaisir alors que je caquette
Que j’aime le Galant quand il cajole bien ;
Vous savez bien aussi que je ne permets rien,
Et que si je voulais écouter leur fredaine,
Je crois sans vanité, que j’en vaux bien la peine.
Mais puisque sans sujet vous êtes si jaloux,
Vous ne me servirez ni d’Amant ni d’Époux.
GUILLOT.
Non, mon petit tendron, ma Pouponne, ma Belle,
Tu dois peu te fâcher lorsque je te querelle ;
Si j’ai paru jaloux, c’est par trop d’amitié ;
Mon Fanfan, vois Guillot, il te fera pitié.
Va raccommodons-nous, ne soyons plus en grogne,
Ne suis-je pas bien fait, considère ma trogne ?
Aime-moi, me voyant pour toi bouffi d’amour.
Tandis que je suis jeune, et beau comme un bonjour,
Comme je suis gaillard, que tu parais gaillarde,
Nous ferons des enfants d’une humeur égrillarde ;
Tu me diras mon cœur, je te dirai m’amour ;
Nous nous en conterons et la nuit et le jour ;
Nous chercherons aux champs quelque place déserte,
Où nous nous donnerons tous deux la cotte-verte ;
Que nous prendrons souvent d’agréables ébats !
Que de Guillots viendront qui ne s’en doutent pas !
Ma petite Dondon, que je te crois féconde !
Que je te crois savante à bien peupler le monde !
Et que je me sens homme à m’en acquitter bien,
Pour peu que ton amour veuille répondre au mien !
Tu ne me réponds rien, dis-moi donc que t’en semble,
N’est-ce pas le secret d’être fort bien ensemble ?
BÉATRIX.
Tu n’es qu’un discoureur, adieu je vais chez nous.
GUILLOT.
Voilà mon pauvre esprit tout sans dessus dessous,
Au diable soit l’amour, et la chienne de Fille,
Mais je vois Ragotin, que cherche ici ce drille ?
Scène VI
GUILLOT, RAGOTIN
RAGOTIN.
Ah ! ton valet, Guillot.
GUILLOT.
Serviteur, Ragotin.
Pourrai-je savoir où te mène ton destin ?
RAGOTIN.
Je vais chercher chez toi le Père de ton Maître.
GUILLOT, apercevant les vieillards.
Ou je me trompe fort, ou je le vois paraître,
Et Monsieur Boniface, oyons ce qu’ils diront,
Cachons-nous, et voyons ce qu’après ils feront.
Ils se cachent.
Scène VII
POLICARPE, BONIFACE, GUILLOT et RAGOTIN, cachés
POLICARPE.
Ah ! que j’aurai de joie épousant votre Fille,
Et que nos deux maisons ne soient qu’une Famille.
BONIFACE.
J’en aurai Policarpe, autant et plus que vous,
En me voyant aussi de votre Fille Époux !
GUILLOT, de l’endroit où il est caché.
Que diable disent-ils ? ah ! Messeigneurs nos Maîtres.
Ma foi vous en tenez.
RAGOTIN, de l’endroit où il est caché.
Voyez donc les vieux traîtres.
BONIFACE.
Policarpe mon cher, que je suis amoureux !
POLICARPE.
Faisons venir ici les objets de nos vœux.
BONIFACE.
C’est bien dit, voyons-les, j’en meurs d’impatience.
POLICARPE.
Je suis pour Polixène en égale souffrance.
BONIFACE.
Je la vais appeler, Polixène, venez.
Je vous veux marier.
Scène VIII
POLIXÈNE, POLICARPE, BONIFACE, GUILLOT et RAGOTIN, cachés
POLIXÈNE.
Ô moments fortunés,
Quoi vous me marieriez ! mais avec qui mon Père ?
BONIFACE.
Avec un homme enfin capable de te plaire,
De conduite, de cœur, d’esprit fort enjoué,
Aimable, libéral, digne d’être loué.
POLIXÈNE.
Si c’était Clidamant que je serais heureuse !
BONIFACE.
Enfin, je n’ai point vu d’Âme si généreuse.
POLIXÈNE, à part, apercevant le Père de Clidamant.
Sans doute que c’est lui, que mes sens sont ravis !
Le Père vient exprès me parler pour son Fils.
POLICARPE.
Avec permission de Monsieur votre Père,
Cet Amant pourrait-il avoir l’heure de vous plaire,
Ayant de jugement et d’esprit bien muni,
Le gousset d’argent passablement garni,
Pour faire comme il faut aller votre cuisine ?
Bien fait de sa personne, homme de bonne mine,
Il vous fera passer d’agréables moments,
Il sait fort bien jouer de tous les instruments ;
D’entretien merveilleux, qui danse comme un drôle.
Et qui sait à ravir passer la cabriole ?
Homme digne, en un mot, d’être sous votre loi.
POLIXÈNE, impatiente de savoir qui c’est.
Mais Monsieur, quel est-il ?
POLICARPE.
Vous saurez que c’est moi.
POLIXÈNE, surprise.
Justes Dieux !
BONIFACE.
Ah ! ma Fille, es-tu pas trop heureuse ?
POLIXÈNE, s’en allant froidement.
Mon Père, j’ai fait Vœu d’être Religieuse.
BONIFACE.
Quoi friponne ! est-ce ainsi qu’on reçoit un Amant,
Et que l’on obéit à mon commandement ?
Est-ce là profiter ainsi que tu dois faire,
De tous les bons conseils qui te viennent d’un Père.
Mais m’ayant su déplaire, et l’ayant bien voulu
Tu t’en repentiras, après m’avoir déplu.
Je sais bien les moyens dont il te faut réduire.
POLICARPE.
Ne vous emportez pas, cela pourrait vous nuire,
Vous la prenez peut-être en de mauvais moments,
Qui font qu’elle ne peut suivre vos sentiments ;
Mais appelons Aminte, elle est obéissante,
Humble, souple, et ne fait que ce qui me contente,
Et n’a point tant de joie et de félicités,
Qu’au moment qu’elle peut suivre mes volontés.
Et vous l’allez bien voir ; Aminte ! holà ! ma Fille !
Scène IX
AMINTE, POLICARPE, BONIFACE, GUILLOT et RAGOTIN, cachés
AMINTE.
Plaît-il, mon Père ?
POLICARPE.
Il faut croître notre Famille,
Je te donne un mari qui vaut son pesant d’or.
Vois-tu cet homme-là ?
AMINTE.
Ce sera Lucidor,
Il n’est plus rien certain, car j’aperçois son Père.
BONIFACE.
Beauté dont le mérite est extraordinaire,
Je viens pour vous offrir un homme merveilleux,
Un homme digne enfin de paraître à vos yeux ;
Un homme qui sait bien comme il faut que l’on aime,
Et de qui la richesse est tout à fait extrême ;
Un homme qui n’est point un batteur de pavé ;
Un Homme qu’on peut dire, être un homme achevé ;
Adroit, gaillard, dispos ; enfin c’est un tel homme,
Qu’il n’a point son pareil d’ici jusques à Rome.
AMINTE, impatiente de savoir qui c’est.
Quel peut-être, Monsieur, cet homme si parfait ?
BONIFACE.
C’est moi-même, voyez, ne suis-je pas bien fait ?
AMINTE, surprise.
Dieux !
POLICARPE, à Aminte.
Que vous allez faire ensemble un bon ménage !
AMINTE, s’en allant froidement.
Mon père, excusez-moi, je ne suis pas en âge.
POLICARPE.
Est-ce là m’obéir ? ô cerveau démonté !
BONIFACE, en dérision.
Elle n’est pas encore en sa maturité.
POLICARPE.
Ah Ciel ! quelle insensée !
BONIFACE, en dérision.
Elle est obéissante,
Humble, souple, et ne fait que ce qui vous contente,
Et n’a point tant de joie et de félicités,
Qu’au moment qu’elle peut suivre vos volontés ;
Ne nous reprochons rien, s’il vous plaît l’un à l’autre,
Car ma Fille obéit aussi bien que la vôtre :
Mais cependant ami, nous sommes amoureux,
Que diable ferons ?nous pour contenter nos feux ?
POLICARPE.
Ce qu’il faut faire, il faut, sans nul autre mystère
Aller chez les Contrats pour passer le Notaire ;
Ces moyens nous mettront bientôt hors d’embarras.
BONIFACE.
Dites chez le Notaire, et non chez les Contrats.
Je crois que vous avez la cervelle en écharpe.
POLICARPE.
Il est vrai, j’extravague, ô pauvre Policarpe !
L’amour a tellement mes esprits étourdis,
Que la raison n’est plus en tout ce que je dis.
Enfin, c’est le plus court d’aller chez le Notaire.
BONIFACE.
Allons donc promptement terminer cette affaire,
Mais avant que partir enfermons-les si bien,
Qu’elles ne sortent point que par notre moyen.
Ils s’en vont.
Scène X
GUILLOT, RAGOTIN, sortant d’où ils étaient cachés
GUILLOT.
Pouvait-il arriver un plus fâcheux désastre ?
RAGOTIN.
Nos deux Maîtres sont nés sous un malheureux Astre ?
GUILLOT.
Qui l’aurait jamais cru ! voyez les vieux Sorciers.
RAGOTIN.
Les traîtres sont brûlants ainsi que des brasiers.
GUILLOT.
Mais sans nous amuser à blâmer ces vieux Reîtres,
Allons tout de ce pas en avertir nos Maîtres.
ACTE III
Scène première
CLIDAMANT et GUILLOT, sortent chacun d’un côté du Théâtre
GUILLOT, rencontrant Clidamant.
Je vous ai tant cherché que je vous vois paraître.
CLIDAMANT.
Et bien, que me veux-tu ?
GUILLOT.
Tout est perdu, mon Maître.
CLIDAMANT.
Tout est perdu ! d’où vient ? mon amour va-t-il mal ?
GUILLOT.
Que trop, Monsieur.
CLIDAMANT.
Comment ?
GUILLOT.
Vous avez un Rival.
CLIDAMANT.
Un Rival !
GUILLOT.
Un Rival ; et qui ne vous craint guère,
Et si vous m’en croyez, loin d’en être en colère
Vous chercherez ailleurs à pousser votre amour,
Car ce Rival vous va jouer d’un mauvais tour.
CLIDAMANT.
Il n’est point de Rival dans mon amour extrême,
Qui puisse m’arracher le digne Objet que j’aime.
Je m’en vais le chercher ce Rival dangereux,
Et nous verrons après qui l’aura de nous deux :
Il saura ce que c’est qu’irriter ma colère.
GUILLOT.
Ô le joli Garçon qui veut tuer son Père !
CLIDAMANT.
Mon Père ! que dis-tu ? quel malheur est le mien !
GUILLOT.
Ce que je dis ? je dis que cela ne vaut rien.
CLIDAMANT.
Mon Père mon Rival ! ah ! quel coup de tonnerre !
GUILLOT.
À la paternité livrerez-vous la guerre ?
CLIDAMANT.
Que le Ciel ne m’a t-il plutôt privé du jour.
GUILLOT.
Sans souhaiter la mort, renvoyez votre amour,
Et sans faire en ces lieux, tant de cris lamentables,
Renvoyez la Maîtresse à tous les mille diables.
CLIDAMANT.
Peut-on voir dans le monde un plus fâcheux succès ?
GUILLOT.
On permet de crier à qui perd son procès.
Mais êtes-vous le seul où le malheur abonde,
Et votre affliction est-elle sans seconde ?
Sachez que Lucidor votre meilleur ami,
N’est pas non plus que vous malheureux à demi ;
Son sort étant pour lui devenu si contraire,
Que comme vous il est le Rival de son Père.
CLIDAMANT.
Son Père, me dis-tu, recherche aussi ma sœur ?
GUILLOT.
Monsieur, ce vieux Barbon lui conte aussi douceur.
À tous ces embarras, que prétendez-vous faire ?
CLIDAMANT.
Mourir, si je n’ai pas l’objet qui m’a su plaire.
GUILLOT.
Si c’est là votre but, tenez-vous donc pour mort :
Mais la mort, est, Monsieur, un chétif réconfort,
Et quand tous les malheurs s’entendraient pour nous suivre,
Il est beaucoup moins doux de mourir que de vivre.
CLIDAMANT.
Il est vrai, mais est-il un remède en ceci ?
GUILLOT.
Vous auriez grand besoin qu’un diable en prit souci.
Que ne suis-je Sorcier ? mais las, je suis bien traître
De faire un tel souhait pour obliger mon Maître.
CLIDAMANT.
Ah ! je ne voudrais pas ton service à ce prix,
Mais ton esprit passant tous les autres esprits,
Tu peux bien empêcher avecque ton adresse,
Que mon Père aujourd’hui n’épouse ma Maîtresse.
GUILLOT.
Et s’il sait qu’avec vous je me sois concerté,
Et qu’il tombe sur moi quelque incommodité,
Pour salaire, j’aurai, Je plains ton infortune,
Il t’en devait de deux, il t’en a donné d’une ;
Mais de cela Guillot, il te faut consoler,
Serai-je bien guéri de ces contes en l’air ?
CLIDAMANT.
Ne crains point ce malheur, j’en répons sur ma vie.
GUILLOT.
En ce cas je vous sers, et j’en brûle d’envie ;
Mais, à condition que Messieurs vos esprits,
Ne s’ébaudiront plus auprès de Béatrix,
Que vous me laisserez ma femme toute entière
Sans lui parler jamais en aucune manière ;
Vous allez en amour plus vite qu’au galop ;
Chacun le sien, dit-on, Monsieur, ce n’est pas trop :
Aimez votre moitié d’une ardeur violente ;
Mais laissez, s’il vous plaît, en repos sa suivante,
Car vous êtes un homme à me faire un affront,
Qui me serait sensible aussi bien qu’à mon front.
CLIDAMANT.
Cher Guillot, ne crains rien.
GUILLOT.
Il faut que je vous serve,
Et je suis tout à vous, sans aucune réserve ;
Mais il faut se hâter, car nos grisons hideux,
Sont allés s’assurer des objets de leurs feux,
Et sont présentement tous deux chez un Notaire,
À passer deux Contrats qui ne vous plairont guère.
CLIDAMANT.
Ô malheur ! mais dis-moi, comment t’y prendras-tu ?
GUILLOT.
Alors qu’il faut fourber j’ai bien de la vertu,
Ne soyez plus chagrin, je sais bien les manières,
Au bonhomme dans peu de tailler des croupières ;
S’il croit de votre objet faire bientôt son bien,
Qu’il ferme bien la main, disant qu’il ne tient rien.
Monsieur, je veux ma foi, devenir bas d’estame,
Si devant qu’il soit nuit, vous n’avez votre femme.
Mais j’aperçois venir notre autre langoureux,
Et bien, ne voilà pas deux hommes bien chanceux ?
Scène II
CLIDAMANT, LUCIDOR, GUILLOT, RAGOTIN
LUCIDOR.
Ah ! trop parfait ami, sais-tu quelle est ma peine ?
CLIDAMANT.
Guillot m’a tout appris, et j’en suis à la gêne ;
Mais as-tu su la mienne ?
LUCIDOR.
Oui, mon cher Clidamant,
Ragotin m’a tout dit, et c’est tout mon tourment.
Ah ! que j’ai de douleurs.
CLIDAMANT.
Ah que j’ai de tristesses !
LUCIDOR.
Ah ! mon cher Clidamant, perdrons-nous nos Maîtresses ?
GUILLOT.
Ah ! Messieurs les crieurs, vous criez là du ton,
D’un aveugle qui vient de perdre son bâton !
Ah que je suis à plaindre ! ah malheur incroyable
S’il ne tient qu’à crier, je crierai comme un diable.
Mais quand nous pousserions des cris jusques aux Cieux
Dites-moi, votre affaire en irait-elle mieux ?
CLIDAMANT.
Non.
GUILLOT.
Ne criez donc plus ; songez au nécessaire ;
Et puisque vos deux sœurs pour vous veulent tout faire,
Que vous êtes certains qu’elles aimeront mieux
Vous avoir, que d’avoir vos Rivaux chassieux,
Malgré ce qu’ils feront pour vous ôter vos Belles,
Je prétends aujourd’hui vous livrer vos Femelles
Faisant ce que je dis, vous voyez par mon stec,
Que nos Barbons n’auront qu’à s’en torcher le bec.
Je veux être pendu si je ne les enlève.
RAGOTIN.
Voilà tout justement le chemin de la Grève.
Mais dis-moi donc, comment pouvoir faire ce tour,
Leur porte étant fermée et la nuit et le jour ?
Tu sais que chacun d’eux sa fille cadenasse,
En étant plus jaloux qu’un gueux de sa besace ?
Joint qu’ils ne donnent pas seulement à leurs fils,
La liberté d’entrer sans eux dans leurs logis.
Qu’ils sont même jaloux d’y voir entrer les ombres ;
Que prétends-tu donc faire en tous ces malencombres ?
GUILLOT.
J’en saurai bien venir, te dis-je, à mon honneur,
Au métier de fourber je suis un grand Acteur :
Mais c’est trop raisonner, finissons ce langage,
Car je crois que j’entends nos vieux trouble-ménage.
CLIDAMANT, à Guillot.
Cher Guillot, je n’ai plus d’espérance qu’en toi.
GUILLOT.
Monsieur, ne dites mot, et laissez faire à moi.
LUCIDOR.
Ragot, à me servir, il y va de ta gloire.
RAGOTIN.
Ah ! nous nous entendons comme larrons en foire,
Vous aurez dans ce soir vos Maîtresses en mains,
Laissez-nous seulement écouter leurs desseins.
Ils se retirent en un coin du Théâtre.
Scène III
CLIDAMANT, LUCIDOR, GUILLOT, RAGOTIN, cachés, POLICARPE, BONIFACE
POLICARPE.
Enfin nos deux Contrats sont en fort bonne forme,
Allons nous marier.
GUILLOT, du coin du Théâtre où il est.
Attendez-moi sous l’orme,
Si c’est votre dessein de les prendre d’assaut,
Vous ne soufflerez point, rien ne sera trop chaud.
BONIFACE.
Tâchons donc, cher ami, pour contenter nos flammes,
De métamorphoser nos filles en nos femmes,
Il sera malaisé, car dans leur action,
Je n’ai rien vu pour nous tantôt qu’aversion,
Et je crois au discours que nous ont fait nos filles
Qu’elles nous ont donné notre sac et nos quilles ;
Mais quand elles devraient encor nous mépriser,
Il faut bon gré mal gré nous en faire épouser.
POLICARPE.
Chez un de nos amis menons-les, Boniface,
Là nous nous marierons sans qu’on nous embarrasse ;
Car dans notre logis nos fils s’y trouveraient,
Qui loin de nous aider nous en détourneraient,
Voyant bien que leurs sœurs n’en seraient pas contentes ;
Évitons donc, mon cher, ces choses mal plaisantes,
Outre que vous savez qu’on blâme les grisons,
Dès qu’ils prennent dessein d’épouser des tendrons :
Et si l’on découvrait avant le pot aux roses,
La honte nous ferait laisser là toutes choses.
Les Poètes du Pont-Neuf en feraient des Chansons,
Où nous serions bernés de toutes les façons ;
Si bien que l’on ferait par cette raillerie,
Une tache éternelle à toute notre vie.
Donc pour nous exempter d’un si funeste bruit,
Emmenons-les d’abord que nous verrons la nuit,
Les tenant en nos mains bien et dument liées,
Jusqu’à ce qu’elles soient avec nous mariées ;
Lors nous serons heureux.
BONIFACE.
Dieu vous en veuille ouïr !
Enfin, cher Policarpe, il nous faut réjouir,
Requinquons-nous tous deux pour danser à la Noce ;
Je ne suis pas si viel, ni vous encore si rosse,
Que nous ne puissions plus nous donner du bon temps ;
Pour se bien divertir, vive les vieilles gens !
POLICARPE.
Nous en ferions encor la nique à la jeunesse,
Je prétends bien danser avec vous la Duchesse,
Les Branles, la Mignonne, et tous les Menuets,
La Courante à la Reine avec les Tricotets.
BONIFACE.
Quand même on nous croirait vieux comme était Hérode,
Je veux que nous dansions les danses à la mode,
Les Cinq-pas, la Guimbarde ont la vogue en ce temps ;
Et tous ces petits sauts qui font danser les Grands.
Mais il nous faut devant terminer nos affaires.
POLICARPE.
Ah ! nos plaisirs s’en vont être extraordinaires.
BONIFACE.
Il faut que nous fassions à présent notre coup,
Car nous voilà tantôt comme entre Chien et Loup ;
La nuit s’approche, allons.
Ils entrent chez eux.
Scène IV
CLIDAMANT, LUCIDOR, GUILLOT, RAGOTIN
CLIDAMANT, à Guillot.
Et bien, que faut-il faire ?
GUILLOT.
Il se faut préparer pour cette grande affaire,
J’ai dans mon Incamo, d’infaillibles secrets,
Qui pour vous obliger s’en vont être tous prêts.
Mais il faut avertir Ragotin de la chose.
Il lui parle à l’oreille.
Va faire promptement cette métamorphose.
RAGOTIN.
Cela vaut fait, va-t’en.
GUILLOT, à son Maître.
Vous, tenez-vous au guet
Et vous verrez bientôt un admirable trait.
Ils vont prendre chacun un habit de femme.
Scène V
CLIDAMANT, LUCIDOR
CLIDAMANT.
Enfin, cher Lucidor, si nous l’en voulons croire,
Nous nous verrons bientôt au faîte de la gloire.
LUCIDOR.
C’est-ce que nous devons à présent souhaiter ;
Ce qu’ils ont dit tantôt nous doit beaucoup flatter,
Que si l’on s’aperçoit que l’amour les enflamme,
Ils laisseront là tout de peur qu’on les en blâme
Et puis étant si vieux... Mais je les ois venir.
CLIDAMANT.
Nos gens viennent aussi.
Scène VI
CLIDAMANT, LUCIDOR, GUILLOT et RAGOTIN, déguisés en femmes, POLICARPE et BONIFACE, tenant chacun leurs filles, POLIXÈNE et AMINTE, avec une corde
GUILLOT, parlant à son Maître.
Vos maux s’en vont finir,
Tenez-vous près de nous.
Guillot et Ragotin ont chacun une corde dont ils prennent les deux bras que les Vieillards ont de libres, et s’approchent près des Maîtresses de leurs Maîtres.
POLIXÈNE.
Mais mon Père à telle heure
Où m’allez-vous mener ?
BONIFACE.
Bien souper, ou je meure
Puis avec Policarpe après vous marier.
POLIXÈNE.
Qu’entends-je !
AMINTE, à son Père.
Je vous prie autant qu’on peut prier
Ne sortons point si tard, mon Père.
POLICARPE.
Enfin ma fille,
Je me suis engagé d’aller souper en Ville,
Où Boniface après doit être votre époux.
AMINTE.
Dieux !
RAGOTIN.
Ne vous fâchez point, Ragot est prêt de vous
Qui vous livre à son Maître, et vous sort d’esclavage.
Il l’ôte de l’endroit où elle est attachée, et se met à sa place, et la donne à son Maître. Guillot, en fait autant.
GUILLOT, à Polixène.
Polixène, Guillot coupe votre cordage
Et mon Maître vous prend ; ne vous éloignez pas
Nous allons vous sortir de tous ces embarras.
BONIFACE.
Policarpe, est-ce vous ?
POLICARPE.
Oui, c’est moi, Boniface,
Tenez-vous votre fille ?
BONIFACE.
Oui.
POLICARPE.
La mienne me lasse,
À force de tirer, je n’ai plus de vigueur.
BONIFACE.
Hélas ! qu’on a de peine à traîner son malheur.
GUILLOT, affectant une grosse voix.
Bon Papa, pourquoi donc me chantez-vous injure ?
BONIFACE.
Hay ! la voix de ma fille a changé de nature.
RAGOTIN.
Où me menez-vous donc, petit Papa mignon ?
POLICARPE.
Morbleu, la mienne aussi vient de changer de ton.
Mais quelque diable aussi n’a-t-il point pris leur forme,
Pour nous faire en ce lieu quelque malice énorme ?
Et ne serait-ce point ce maraud de Ragot ?
C’est lui-même, ah ! Coquin.
RAGOTIN.
Tire tire, Guillot.
POLICARPE.
Ne tire pas, sinon, point de miséricorde,
Je te vais assommer.
GUILLOT.
Ragot, tire la corde.
BONIFACE.
Traîtres, nous voulez-vous ici faire expirer ?
GUILLOT.
Nous allons en ce lieu tous deux vous démembrer
Si vous ne m’accordez ce que je vous demande,
Silence, s’il vous plaît, afin que l’on m’entende
Je souhaite de vous par ces discours préfix,
Que vos filles enfin épousent vos deux fils.
POLICARPE.
Nos filles ! ah ! faquin, qu’oses-tu nous prescrire ?
Tu mourras aujourd’hui.
GUILLOT.
Tire la corde, tire.
BONIFACE.
Ne tirez plus, nos os s’en vont se décharner.
RAGOTIN.
Ce n’est pas tout encor, il nous faut pardonner
Vos filles et vos fils, chacun et sa chacune,
Soyons tous bons amis, et vivons sans rancune.
POLICARPE.
Oui, nous vous pardonnons en présence des Cieux,
Qu’on les fasse venir ; ah ! Qu’on est malheureux
Et que l’on doit avoir de regret, ce me semble
Quand on est amoureux, et Vieillard tout ensemble.
Scène VII
CLIDAMANT, LUCIDOR, POLICARPE, BONIFACE, GUILLOT, RAGOTIN, POLIXÈNE, AMINTE, BÉATRIX, LISETTE
CLIDAMANT, à son Père et à l’autre.
Ah ! Messieurs, se peut-il que vous nous donniez ?
POLIXÈNE.
Vos deux filles en pleurs se jettent à vos pieds.
BONIFACE.
Quoi que vous ayez fait du pis qu’on puisse faire,
Vous trouverez en nous des tendresses de Père.
GUILLOT.
Et nous, n’aurons-nous rien après avoir jeûné ?
CLIDAMANT.
De chacun leur objet leur soit aussi donné.