Il est de la police (Eugène LABICHE - Louis LEROY)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le mardi 7 mai 1872.

 

Personnages

 

CATHERINE

GRAINDOR

OCTAVE

JULIE GRAINDOR

JOSÉPHA

 

 

Scène première

 

[JOSÉPHA, JULIE]

 

[...]

JOSÉPHA.

Madame.

JULIE.

Que voulez-vous ?

JOSEPHA.

C’est une cuisinière qui se présente pour remplacer celle qui est partie.

JULIE.

Ah !... comment est-elle ?

JOSÉPHA.

C’est une fille de la campagne... elle a l’air solide.

JULIE.

Faites-la entrer.

JOSÉPHA.

Venez !... entrez !

 

 

Scène II

 

JOSÉPHA, JULIE, CATHERINE[1]

 

Catherine est en costume de paysanne et porte une malle sous son bras.

JULIE.

À part.

C’est une forte fille.

CATHERINE, se plaçant devant Julie, avec sa malle sous son bras.

Eh ben !

JULIE.

Quoi.

CATHERINE.

Quéque nous disons ?... Je vous conviens t’y comme ça ?

JULIE.

Un instant... déposez d’abord votre malle.

CATHERINE.

Ah ! non, si nous ne nous arrangeons pas... faudra que je la reprenne.

JULIE.

De quelle part venez-vous ?

CATHERINE.

De la part de votre fruitière... elle m’a dit que vous aviez besoin d’une cuisinière... alors me v’là.

JULIE.

Avez-vous déjà servi à Paris ?

CATHERINE.

Une fois, chez un animal de grainetier...

JULIE.

C’est comme cela que vous parlez de vos maîtres... pourquoi l’avez-vous quitté ?

CATHERINE.

C’était un touche-à-tout... il me faisait monter tous les jours à l’échelle, sous prétexte de lui descendre des bottes de foin... et il me prenait les mollets... un vrai touche-à-tout !

JULIE.

C’est bien. Avez-vous des certificats ?

CATHERINE.

Ah ! c’est pas ça qui me gêne !

Elle pose sa malle et tire un papier de son fichu.

V’là un papier qui certifie comme quoi j’ai été couronnée rosière dans mon endroit.

JOSÉPHA la regardant avec étonnement.

Ah ! Bah !

JULIE.

Rosière.

JULIE lisant le papier.

À dix-neuf ans et trois mois...

JOSÉPHA.

Dix-neuf ans !

À Catherine, avec intérêt.

Vous avez du bien souffrir ?

CATHERINE.

Ah ! oui !... Les premières années ça va encore... mais après !...

JULIE.

Vous vous appelez Catherine Leduc ?

CATHERINE.

Catherine-Eudoxie Leduc... chez nous Monsieur le brigadier de gendarmerie, m’appelait Eudoxie... il trouvait cela plus maniable.

Elle reprend sa malle.

JULIE.

Et vous savez faire la cuisine ?

CATHERINE.

Parfaitement... Si vous aimez les soupes à l’oignon... les tourtes à l’oignon et les tartes à l’oignon... Je soigne aussi les chevaux et je répare les toitures... les couvertures.

JULIE.

Comment ?

CATHERINE.

Quand, par hasard, il manque une ardoise... ça peut être commode.

JULIE.

Comment ! vous grimpez sur les toits ?...

CATHERINE.

Papa est couvreur... alors il m’emmenait pour lui tenir compagnie.

JOSÉPHA, à part.

Quelle drôle de rosière !

JULIE.

Je dois vous prévenir qu’ici la cuisinière monte le bois... et l’eau... vous paraissez forte...

CATHERINE.

Moi ? C’est-à-dire que vous seriez dans une baignoire, avec mademoiselle...

Elle indique Josépha.

que je ne serais pas embarrassée pour vous descendre dans la rue... sans en renverser une goutte.

JOSEPHA.

Pas possible ?

CATHERINE.

Par exemple, j’ai bon appétit... je flanque par terre mes trois livres de pain...

JULIE.

Combien voulez-vous gagner ?

CATHERINE.

Dame !... vous savez... le plus possible !...

JULIE.

Je donne trois cent-soixante-cinq francs...

CATHERINE.

Vingt sous par jour.

JULIE.

Nourrie et blanchie...

CATHERINE.

Oh ! ça, blanchie... vous ne pourriez pas économiser un peu sur le blanchissage et donner quelque chose de plus ?

JULIE.

Non... c’est mon prix.

CATHERINE.

Alors, topez ! c’est convenu.

Elle dépose sa malle.

C’est une brave femme.

Elle remonte au fond à gauche.

 

 

Scène III

 

JOSÉPHA, JULIE, CATHERINE, GRAINDOR.

 

Graindor entre effaré ; il a un grand cache-nez ; sa perruque et ses favoris sont noirs.

GRAINDOR, au fond.

Fermez les portes ! Je suis sûr qu’on m’a suivi.

JULIE.

Quoi donc !

GRAINDOR.

Ne laissez entrer personne... et si l’on me demande... dites que ce n’est pas ici.

JULIE.

Mais qu’y a-t-il ?

GRAINDOR.

Plus tard... Je ne peux pas le dire... prévenez le concierge pour qu’il défende ma porte.

Il entre vivement à droite.

CATHERINE, bas à Josépha.

Quel est ce vieux noir ?

JOSÉPHA.

C’est M. Graindor, le mari de Madame.

JULIE.

Ah ! mon Dieu, qu’est-il arrivé ? Josépha, venez... j’ai besoin de vous.

Elle sort par le fond avec Josépha.

 

 

Scène VI

 

CATHERINE, seule

 

Plus personne !

Au public.

Chut !... faut pas le dire, je ne suis pas une fille... je suis un jeune homme... Tout ça c’est la faute de mon oncle Terreux... un vieux troupier qui avait une jambe de bois... Papa était fier de la jambe de mon oncle Terreux... mais pas maman !... elle avait pris en grippe l’état militaire... et répétait toujours : j’ai mon idée !... Aussi quand je vins au monde... papa était absent, maman pocharda le médecin chargé de constater les naissances et me fit inscrire sous le nom de Catherine-Eudoxie Leduc... du sexe féminin. Je grandis sous ces vêtements, j’appris la couture, le savonnage, la cuisine... ma vertu faisait l’admiration du village... je résistais à tous les garçons... même au brigadier de gendarmerie, qui, à table, m’écrasait toujours les pieds avec ses grosses bottes... ça m’ennuyait... mais papa désirait nous marier. C’était un bel homme et pourtant il ne me disait rien. Ma chasteté eut sa récompense : à dix-neuf ans et trois mois je fus couronnée rosière... et quand la femme du maire m’embrassa sur l’estrade, nom d’un nom ! un feu inconnu circula dans mon être... À partir de ce jour-là, je devins rêveuse, languissante, capricieuse... je trouvais la soupe mauvaise... Maman avait beau y mettre de l’oignon... rien n’y faisait... Pauvre mère ! pardonne-moi les inquiétudes que j’ai pu te causer ! Je ne me plaisais qu’avec mes jeunes compagnes... je les aimais toutes... toutes ! Un jour enfin... j’étendais du linge avec la Colarde... une petite rousse... pas timide... le temps était orageux... les éclairs se bousculaient les uns sur les autres... Un violent coup de tonnerre se fit entendre...

Il imite le tonnerre.

Je trahis mon secret... La Colarde fut bien étonnée... et moi aussi. L’année suivante c’est elle qui fui rosière à son tour... et le lundi de Pâques elle épousa le brigadier de gendarmerie... Je dois dire que le mardi il n’avait pas l’air content... il jurait après les braconniers... C’est alors que papa me trouva une place de cuisinière à Paris... et me voilà à vingt ans... à la tête d’un sexe qui n’est pas le mien... mais il n’y a pas à dire, il le faut... Ma classe a dû tirer à la conscription la semaine dernière... je suis réfractaire et si je ne veux pas être fusillé, il parait qu’il faut que je reste fille pendant dix ans... C’est embêtant, mais que voulez-vous, on les fera ses dix ans... À propos, j’ai reçu ce matin une lettre du pays... le facteur m’a dit : très pressée... malheureusement je ne sais pas lire... la petite femme de chambre va me défricher ça... entre camarades...

 

 

Scène V

 

 

CATHERINE, JOSÉPHA[2]

 

JOSÉPHA, entrant.

Tiens, vous-êtes encore-là, vous ?

CATHERINE.

Oui... je vous attendais.

À part.

Elle est très gentille... mieux que la Colarde !

Haut.

Voulez-vous que nous soyons deux bonnes amies ?

JOSÉPHA.

Je ne demande pas mieux... seulement une rosière... ça m’intimide...

CATHERINE.

Ne faites pas attention... Je vous donnerai de bons conseils... mon Dieu que vous avez là une jolie robe !

JOSÉPHA.

C’est de la popeline.

CATHERINE.

Comment que vous dites ?

JOSÉPHA.

Popeline.

CATHERINE, tendrement.

Popeline ! ah ! montrez-moi la doublure.

Il la pince.

JOSÉPHA.

Ah ! mais, vous me chatouillez...

CATHERINE, à part.

Elle est sensible.

Haut.

Craignez-vous le tonnerre ?

JOSÉPHA.

Ah ! je vous en réponds.

CATHERINE, à part.

Comme la Colarde !

Haut.

Souvenez-vous que c’est, pendant l’orage, qu’on apprend à connaître les ceux qui vous aiment !

JOSÉPHA, à part.

Elle a l’air d’une bonne fille...

Haut.

J’ai un petit service à vous demander.

CATHERINE.

Moi aussi.

Toutes deux fouillent à leur poche et en tirent une lettre.

CATHERINE et JOSÉPHA, ensemble.

Lisez-moi ça...

JOSÉPHA.

Hein ? mais je ne sais pas lire...

CATHERINE.

Ni moi non plus.

JOSÉPHA.

Allons, bien ! comment faire pour savoir ce que m’écrit Monsieur Gontran...?

CATHERINE.

Qui ça, Gontran ?

JOSÉPHA.

Ne le dites pas à Madame... c’est un commis, un sous-chef de rayon qui me fait la cour...

CATHERINE.

Un amoureux.

À part.

Ah ! mais non je n’entendons pas ça !

Haut.

Est-il possible ! vous, Mademoiselle Josépha... une personne distinguée qui a reçu de l’éducation, vous ne savez pas lire, mais vous avez reçu de l’éducation...

JOSÉPHA.

Un peu...

CATHERINE.

Et vous allez prendre vos connaissances dans des rayons ! Ah ! vous me faites beaucoup de peine.

JOSÉPHA.

Dame ! tout le monde ne peut pas être rosière.

CATHERINE.

Non... je ne vous demande pas ça ; je suis incapable de vous donner de mauvais conseils... mais voyons, mon enfant, écoutez-moi,

Elle l’embrasse.

je suis votre amie, moi.

JOSÉPHA.

Oui, Mamzelle Catherine.

CATHERINE.

Eh bien ! pourquoi aller chercher amoureux au loin... quand il serait si commode d’en prendre un dans la maison ?

JOSÉPHA.

Dans la maison... j’y ai bien pensé...

CATHERINE.

Oh! chaste nature !

JOSÉPHA.

Mais je ne vois personne... il n’y a que des vieux...

CATHERINE.

Peut-être qu’en regardant bien... nous chercherons ensemble.

JOSÉPHA.

Oh ! vous ! une rosière, vous ne vous y connaissez pas...

CATHERINE, l’embrassant.

Peut-être, peut-être...

JOSÉPHA, se reculant.

Ah ! mais vous me piquez.

CATHERINE, à part.

Je n’ai pas fait ma barbe...

Haut.

J’ai la peau un peu rude... l’air de la campagne... l’hâle.

JOSÉPHA.

Dites donc, qu’est-ce que vous pensez de Madame ?

CATHERINE.

Je pense que c’est une belle femme... Craint-elle le tonnerre ?

JOSÉPHA.

Non, elle ne le craint pas... elle l’aime...

CATHERINE.

Ça revient au même... Et le bourgeois, son mari, qu’est-ce qu’il fait ?

JOSÉPHA.

Oh ! ça... je ne peux pas le dire.

CATHERINE.

Un secret ?

JOSÉPHA.

Oui... promettez-moi de ne pas le répéter.

CATHERINE.

C’est juré.

JOSÉPHA.

Eh bien !... on dit qu’il en est... c’est un cocher de fiacre qui l’a dit au portier...

CATHERINE.

Il en est... de quoi ?

JOSÉPHA.

Vous savez bien...

CATHERINE.

Non.

JOSÉPHA, mystérieusement.

De la police.

CATHERINE, faisant un mouvement.

Ah ! saprelotte !

JOSÉPHA.

Qu’avez- vous donc ?

CATHERINE.

Rien.

À part.

Et moi qui suis réfractaire... je me suis jeté dans la gueule du loup.

JOSÉPHA.

Du silence surtout !

CATHERINE.

Soyez tranquille...

À part.

Il n’y a qu’un moyen, je vais me faire mettre à la porte... et tout de suite ! Je le regrette à cause de la petite qui est gentille.

JOSÉPHA.

J’entends Madame.

CATHERINE, saisissant une potiche.

Très bien !

À part.

en flanquant çà par terre, elle me donnera mon compte...

 

 

Scène VI

 

CATHERINE, JOSÉPHA, JULIE[3]

 

JULIE, entre par le fond.

Catherine !

CATHERINE.

Madame.

JULIE.

Les peintres arrangent votre chambre ; pour cette nuit vous coucherez dans celle de Josépha...

CATHERINE, étonnée.

Moi ! ah ! bah !

À part, replaçant la potiche.

Je ne la casserai que demain.

JULIE.

Josépha, allez aider cette fille à s’installer...

JOSÉPHA.

Oui Madame.

À Catherine, qui a repris sa malle.

Venez-vous ?

CATHERINE.

Avec plaisir... soyez tranquille... je dors comme une pioche !...

À part.

Ah ! s’il pouvait tonner un peu !

Elle sort par le fond avec Josépha.

 

 

Scène VII

 

JULIE, puis GRAINDOR

 

JULIE, seule.

Je ne comprends rien à la frayeur de mon mari... il est entré comme un homme poursuivi... j’ai recommandé au concierge de dire qu’il était absent depuis deux jours ; mais je voudrais savoir...

Apercevant Graindor qui entre.

Ah ! le voici.

GRAINDOR, il porte une perruque très blonde et des favoris de la même couleur.

Nous sommes seuls ?

JULIE.

Oui... Tiens ! tu t’es mis en blond ?

GRAINDOR.

Pour ne pas être reconnu...

JULIE.

Parle... qu’est-il arrivé ?

GRAINDOR.

Une chose... sinistre ! je suis compromis !... moi qui ne me mêle jamais de politique, c’est vrai, je n’ai jamais voulu avoir d’opinion... pour ne pas en changer... Eh ! bien me voilà fourré dans un complot !...

JULIE.

Toi ? allons donc !

GRAINDOR.

Ne ris pas. J’étais sorti bien tranquillement après mon déjeuner pour assister à une conférence sur les compteurs électriques... je suis inspecteur de la compagnie des petites voitures, ça m’intéressait. J’entre... et je me trouve au milieu d’une société de gens mal mis, je me dis : ce sont des cochers... et je me place au pied de l’estrade pour mieux entendre. On désigne plusieurs personnes pour présider... tout le monde refuse... alors, comme la conférence menaçait de ne pas s’ouvrir... je me propose.

JULIE.

Tu as toujours la rage de te mettre en avant.

GRAINDOR.

Je monte au bureau... on m’acclame, et j’entends dire, de tous côtés, bravo ! c’est un bon zigue !... Cette qualification m’étonne... mais j’ouvre la séance. Le conférencier paraît à la tribune... c’était un jeune homme pâle... à la tenue négligée... Je vis tout de suite que je n’avais pas à faire à un poseur... pas de pince-nez... pas de gants, pas de mouchoir de batiste, ni autre, les cheveux incultes... et les mains sans prétentions. Je me dis, c’est un savant ; nous allons voir ce qu’il pense du compteur électrique... Il commence ! Citoyens !... nous avons à choisir un candidat... n’en faut pas ! Je l’invite poliment à rentrer dans la question ; il me répond : Toi, tu m’embêtes ! Je lui inflige un rappel à l’ordre ; l’assemblée me siffle. Je m’aperçois que je présidais une réunion électorale foncée !

JULIE.

Allons, bien ! te voilà président de club !

GRAINDOR.

Le tumulte grandit avec les propositions les plus insensées... le commissaire se lève et dissout la réunion... je me dis : très bien ! Allons nous-en ! Ah! bien, oui ! l’assemblée protesta et se déclare en permanence... nous voilà en permanence...

JULIE.

Toi aussi ?

GRAINDOR.

Comme les autres... puisque je présidais. On rédige une protestation qu’on me donne à signer le premier... Je veux refuser... lorsqu’un grand olibrius au regard jaune me dit : pas de manières ! alors je signe...

JULIE.

Imprudent !

GRAINDOR.

Je signe Manlius !... un faux nom ; mais cela ne me sauvera pas... le commissaire a pris des notes. Je suis revenu ici par des rues détournées... mais je sens que j’ai été filé... tu sais, ça se sent... on ne voit personne derrière soi... on sent qu’on est filé.

JULIE.

Ah ! mon pauvre ami ! dans quel guêpier t’es-tu fourré ?

GRAINDOR.

Il est certain que la police va faire une descente chez moi... fouiller mes papiers... Si on me demande, tu diras que je suis à Maubeuge, depuis quinze jours... Ça me fera un alibi.

JULIE.

Sois tranquille... nous te cacherons.

GRAINDOR.

Ah ! ma pauvre Julie ! il est dur à mon âge de devenir un homme politique... quand on n’a jamais rien fait pour ça !... Dire qu’il va falloir peut-être te quitter.

Il l’embrasse avec effusion.

 

 

Scène VIII

 

JULIE, GRAINDOR, CATHERINE

 

CATHERINE, entrant et regardant Graindor qui embrasse sa femme. À part.

Tiens, un blond qui embrasse madame !

Il se retourne la face contre le mur en toussant.

Hum ! hum !

GRAINDOR, tressaillant.

Ce sont eux !... déjà !...

JULIE.

Mais non, c’est Catherine.

CATHERINE.

Soyez tranquille, madame, je ne dirai rien, je suis discrète...

JULIE.

Quoi ? que pourriez-vous dire ?

CATHERINE.

Dame ! que vous vous embrassez avec un gros monsieur... cendré.

JULIE.

Mais c’est mon mari.

CATHERINE étonnée.

Lui !...ah ! bah !...

GRAINDOR, à Catherine.

Silence ! je suis à Maubeuge !

CATHERINE, à part.

Il veut pincer quelqu’un... Comme ils sont malins ces gens-là... Je ne l’aurais pas reconnu.

JULIE, à Catherine.

Voyons, que voulez-vous ?

CATHERINE.

Il y a là un jeune homme qui demande à entrer...

GRAINDOR, à part.

Déjà ! voilà, ça y est !

JULIE, à part.

Le comte de Poulenval, sans doute... Quelle imprudence !

GRAINDOR.

Son nom ?

CATHERINE.

Il n’a pas voulu le dire.

GRAINDOR, à Catherine.

A-t-il l’air d’en être ?

CATHERINE.

De quoi ?

GRAINDOR.

Eh bien, de...

Il lui parle à l’oreille.

CATHERINE.

Monsieur verra ça mieux que moi...

GRAINDOR.

Il faut le recevoir !

À Catherine.

Introduisez-le.

Catherine sort. À Julie.

Du calme... du sang-froid... de l’énergie... moi je me cache !...

De la porte.

N’oublie pas de dire que je suis à Maubeuge depuis quinze jours.

Il entre à droite.

 

 

Scène IX

 

JULIE, puis OCTAVE[4]

 

JULIE, seule.

Enfin, il est parti !... Comprend-on ce comte... ? venir comme ça en plein midi... au risque de me compromettre... Ah ! je vais le recevoir comme il le mérite !...

OCTAVE, entrant et restant à la porte. Il porte un sac de voyage en bandoulière.

Madame...

JULIE, sans le regarder.

Je m’étonne, monsieur le comte, que vous vous soyez permis une pareille démarche...

OCTAVE, étonné.

Hein ? quel comte ?

JULIE, le reconnaissant.

Octave !

Se reprenant.

Monsieur Octave.

OCTAVE.

Moi-même, ma chère Julie.

JULIE.

Osez-vous bien vous présenter devant moi, après votre conduite... votre indigne procédé ?...

OCTAVE.

Non... ne vous fâchez pas... écoutez-moi.

JULIE.

Moi, qui vous avais tout sacrifié...

OCTAVE.

Ça, c’est vrai, vous avez été bien bonne pour moi, je le reconnais.

JULIE.

Et comment m’avez-vous récompensée ?... Un jour, je vous accorde la faveur de me conduire au Concert-Basdeloup... mon pauvre mari était malade.

OCTAVE.

Comment va-t-il ?

JULIE.

Mieux, je vous remercie.

OCTAVE.

Je ne le connais pas... mais ça ne fait rien...

JULIE.

Vous deviez me prendre à deux heures, je m’habille... je fais une toilette charmante... pour vous plaire...

OCTAVE.

Ah ! Julie !

JULIE.

Deux heures sonnent... trois heures... quatre heures... cinq heures... personne !... Je me dis, il lui sera arrivé quelque accident. Le lendemain, pas de nouvelles... le surlendemain non plus.

OCTAVE.

J’ai une excuse.

JULIE.

Les jours, les semaines se passent... rien !... et c’est au bout de dix-huit mois que vous revenez...

OCTAVE, d’un ton pénétré.

Julie, écoutez-moi, je relève d’une longue maladie... j’ai eu la grippe !...

JULIE.

Pendant dix-huit mois ?

OCTAVE, d’un ton solennel.

Cette grippe a dégénéré en coqueluche, et comme la coqueluche se gagne... je me devais à moi-même de me tenir à l’écart de l’objet aimé. C’est un sentiment de délicatesse...

JULIE.

Allons donc ! la coqueluche ne dure pas dix-huit mois.

OCTAVE, solennel.

Non, mais elle a dégénéré à son tour en bronchite capillaire... l’affreuse bronchite capillaire !... Ah ! j’ai bien souffert ! mais Dieu m’est témoin que, sur mon lit de douleur, je n’avais qu’une pensée : Julie ! toujours Julie !

JULIE.

Ah ! ça me prenez-vous pour une bête ?... Voyons, soyez franc, vous avez quelque chose à me demander ?

OCTAVE.

Julie, je vous aime toujours... je vous aime plus que jamais.

JULIE, faiblissant.

Bien vrai ?

OCTAVE, pleurnichant.

Julie, ma famille veut me marier !...

JULIE.

Ah !... Alors, c’est un billet de faire part ?

OCTAVE.

Oui... c’est-à-dire...

JULIE.

C’est bien... et... est-elle jolie ?

OCTAVE, oubliant.

Oh ! des yeux bleus, une peau éblouissante, et des dents !

Voyant Julie faire la grimace.

Elle est atroce !

JULIE, dépitée.

Voyons, parlez... que me voulez-vous ?

OCTAVE.

Voilà ce que c’est. Mon beau-père, un original, exige que je procède à la liquidation complète de mon passé.

JULIE.

Comment ?

OCTAVE.

Excusez-le... c’est une vieille bête... Je ne dois laisser derrière moi, ni portraits, ni mèches de cheveux, ni correspondances...

S’attendrissant.

ni rien enfin qui puisse assombrir l’horizon de la mère de mes enfants !

JULIE.

Comment !... vous en avez déjà ?

OCTAVE.

Oh ! non ! plus tard... Alors j’ai pris un coupé à l’heure et je fais ma petite tournée !...

Il ramène par devant son sac de voyage.

JULIE.

Quelle tournée ?

OCTAVE.

Celle des dames qui ont bien voulu m’honorer de leur considération.

Consultant une liste qu’il prend dans son sac.

J’ai encore sept... huit... neuf visites à faire.

JULIE.

Neuf !... et monsieur me parlait de sa fidélité...

OCTAVE.

Oh !... c’était avant de vous connaître... car après, je me suis arrêté... Quand on a rencontré la terre promise, on ne va pas plus loin.

JULIE, à part.

Il est aimable au moins.

OCTAVE, tirant de son sac plusieurs petits paquets cachetés et en remettant un à Julie.

Voici votre petit lot : lettres, billets, photographies, mèches de cheveux... tout y est. Maintenant, veuillez avoir l’obligeance de me rendre mon petit colis...

JULIE.

Je ne l’ai pas sur moi... il est caché...

OCTAVE.

Où ça ?

JULIE.

Dans le violon de mon mari...

OCTAVE.

Quelle imprudence !

JULIE.

Oh ! il y a longtemps qu’il ne s’en sert plus... les cordes sont cassées... Attendez-moi là... je reviens.

Elle entre à gauche.

 

 

Scène X

 

OCTAVE, puis GRAINDOR

 

OCTAVE, seul.

Elle est très gentille... elle a engraissé... et ma foi, si je n’avais pas une voiture à l’heure.

Regardant à sa montre.

Non... moins vingt !... Je craignais de rencontrer le mari... mais comme il ne me connaît pas, j’avais préparé mon petit prétexte... je me serais présenté comme un agent de la Compagnie d’assurances, la Sécurité, qui vient pour renouveler la police... Elle est très gentille... elle a engraissé.

Il remonte.

GRAINDOR, sortant de sa chambre avec précaution.

Je n’entends plus rien... il doit être parti.

Apercevant Octave.

Hein ? lui !

OCTAVE.[5]

Le mari sans doute !

Saluant.

Monsieur...

GRAINDOR, saluant.

Monsieur...

OCTAVE.

Monsieur, je suis un agent de la Sécurité, je viens pour la police.

GRAINDOR, à part.

J’étais bien sûr qu’on me filait ! De l’aplomb.

Haut.

Enchanté, monsieur...

OCTAVE.

Je suis chargé de me présenter chez les personnes qui me sont signalées par l’administration.

GRAINDOR.

Comment donc, monsieur... mais je trouve ça tout naturel... je ne suis pas l’ennemi de votre institution... au contraire...

OCTAVE, remerciant.

Ah ! Monsieur...

GRAINDOR.

Il y a des gens qui sont contre, moi, je suis pour... J’aime l’ordre, la famille... la propriété...

OCTAVE.

Moi aussi ; je l’assure, la propriété, monsieur Graindor.

GRAINDOR.

Mais pardon, vous croyez parler à M. Graindor ?

OCTAVE.

Oui...

GRAINDOR.

Ce n’est pas moi, il est brun et il est à Maubeuge depuis quinze jours... Je ne suis que son meilleur ami, et en son absence...

OCTAVE.

Vous tenez compagnie à sa femme ?

GRAINDOR.

Juste.

À part.

Je le roule !

OCTAVE, à part.

Mon successeur !... Elle aurait pu mieux choisir.

Haut.

Mon compliment, Monsieur ; je suis fâché de vous avoir dérangé.

GRAINDOR.

Oh ! nous ne disions rien de bien important... dans le moment.

OCTAVE.

C’est une charmante femme...

GRAINDOR.

C’est vrai !

OCTAVE.

Nature aimante... un peu jalousé... Ce n’est pas un esprit supérieur... mais bonne musicienne...

GRAINDOR.

Tiens, vous savez ?

OCTAVE.

Et puis elle à des qualités... sérieuses, une main adorable... des bras étourdissants... et des épaules !

GRAINDOR.

C’est vrai... les épaules...

OCTAVE.

Et la jambe ! d’une finesse ! une jambe de race ! Seulement la cheville est un peu proéminente...

GRAINDOR.

C’est vrai ! c’est vrai !

À part.

Ils savent tout ! ils savent tout !

JULIE, rentrant.[6]

Je l’ai trouvé... Ah ! c’est toi, mon ami !...

OCTAVE, à part

Hum ! Elle me tutoie devant un tiers !

GRAINDOR, à part.

L’imprudente ! Elle va me compromettre !

Haut, faisant des signes d’intelligence à sa femme.

Chère madame, permettez-moi d’abréger ma visite... Mes compliments à Théodule, votre mari, quand vous écrirez à Maubeuge...

Saluant Octave.

Monsieur !...

À part, sortant.

Comme je le roule !

 

 

Scène XI

 

OCTAVE, JULIE, puis CATHERINE

 

OCTAVE.

Ma foi ! je ne vous en fais pas mon compliment...

JULIE.

Sur quoi ?

OCTAVE.

Sur le gros bonhomme qui sort d’ici.

JULIE.

C’est mon mari !...

OCTAVE.

Ah ! bigre ! Mais pourquoi se cache-t-il ?

JULIE.

Oh ! une affaire fâcheuse qui l’oblige à prendre certaines précautions.

Prenant un ton pénétré.

Octave... voici vos lettres !

OCTAVE, pleurant.

Ah ! Julie !... c’est un moment bien cruel...

Changeant de ton.

Elles y sont toutes ?

JULIE, pleurant.

Toutes, avec les cheveux et la photographie... Je n’aurais jamais cru que ça finirait comme çà...

OCTAVE.

Moi non plus, voyons... Julie... du courage ! Nous nous reverrons... je viendrai vous revoir... souvent.

Il l’embrasse.

JULIE.

Oh ! finissez... maintenant que vous allez vous marier...

OCTAVE.

Mais, je ne le suis pas encore, je vous trouve charmante, et si vous vouliez m’écouter...

JULIE, baissant les yeux.

Quoi ?

OCTAVE, à part, allant prendre son chapeau.

Ah ! diable ! non ! J’ai encore neuf visites à faire, n’entrons pas dans cette voie-là.

Haut.

Adieu, Julie !... Adieu, femme que j’ai tant aimée.

Il l’embrasse.

CATHERINE, entre par le fond et voit sa maîtresse dans les bras d’Octave. À part.

Encore ! Elle ne fait donc que ça !... Et ce n’est pas son mari c’te fois.

Elle sort.

OCTAVE, la quittant.

Julie, laissez-moi croire que j’emporte votre estime.

JULIE.

Oui, mon ami... et je compte vous en donner une preuve.

OCTAVE.

Comment ?

JULIE.

En assistant à votre mariage !... Cachée derrière un pilier...

OCTAVE.

Ne vous dérangez pas !... Vous êtes trop nerveuse.

JULIE.

Si, j’en aurai le courage !

OCTAVE.

Oh ! merci !

À part.

Je ne lui dirai pas le jour...

JULIE, à part.

Je verrai comment est sa femme...

OCTAVE, lui tendant la main.

Adieu, Julie !

JULIE.

Adieu, Octave !

OCTAVE.

Oh ! la société est bien cruelle !

À part.

Sapristi ! si je n’avais pas une voiture à l’heure...

Haut.

Elle est bien cruelle, la société !

Il sort.

 

 

Scène XII

 

JULIE, puis CATHERINE, puis GRAINDOR

 

JULIE, seule et rêveuse.

C’est un bon petit jeune homme, et malgré moi, tout à l’heure... j’étais émue... je me rappelais le jour où je le vis pour la première fois... C’était à Versailles... rue des Réservoirs... Mais bah ! puisqu’il va se marier !

Tirant de sa poche le paquet de lettres qui lui a été remis par Octave.

Les voici, ces lettres !... Comment ! j’en ai écrit tant que ça ?... Non, je ne veux pas les lire... ça me ferait trop de peine... et puis, on pourrait me surprendre... oublions !

Elle jette le paquet dans la cheminée.

Bientôt la flamme aura dévoré... Tiens ! deux heures ! et je ne suis pas encore coiffée.

Elle sonne.

CATHERINE, entrant par le fond.

Madame a tinté ?

JULIE.[7]

Oui... priez Josépha devenir me coiffer...

CATHERINE.

Elle vient de sortir pour acheter du cordonnet.

JULIE.

Ah ! quel ennui ! Je ne peux pourtant pas...

À Catherine.

Savez-vous coiffer ?

CATHERINE.

Un petit peu...

À part.

J’ai coiffé la Colarde !

JULIE, passant près de la table.

Eh bien ! voyons... essayez...

Elle défait ses cheveux et ôte le fichu qui couvrait ses épaules. Elle s’asseoit.

CATHERINE, regardant les épaules de Julie, avec admiration. À part.

Ah ! mais !... Ah ! mais... J’aime mieux ça que de ratisser des carottes.

JULIE.

Eh bien ! Qu’est-ce que vous faites ?

CATHERINE.

Je regarde, Madame, c’est si beau ! C’est blanc, c’est poli... on ne trouve pas ça dans nos campagnes...

Il pose un doigt sur son épaule.

JULIE.

Ah ! vous me chatouillez !... On dit pourtant qu’il y a des petites paysannes...

CATHERINE.

Ah ! ouiche ! C’est pas cette peau-là... Avec les peaux de chez vous on râperait du sucre...

JULIE.

Allons ! Vous êtes une flatteuse... Coiffez-moi.

CATHERINE.

Voilà, madame !

Jouant avec les cheveux.

Sont-ils vrai, ceux-là ?

JULIE.

Vous le voyez bien !

CATHERINE.

C’est qu’on en a plein la main, et doux, et fins... et y sentent bon...

Il embrasse les cheveux qu’il tient à la main.

JULIE.

Aïe ! Vous me tirez les cheveux !

CATHERINE.

Pas de ma faute, allez !... J’en remettrais plutôt que d’en arracher !

JULIE.

Dépêchez-vous !

CATHERINE, tout en la coiffant.

Et comme madame est potelée... une vraie caille... avec des petites fossettes... jolies !... jolies !...

À part.

Ah ! mais !... ça me tient chaud !

GRAINDOR, entrant par le fond.

Il est parti...

JULIE.

Qui est-là ?

GRAINDOR.

C’est moi.

CATHERINE.

Le mari !... il a bien fait de venir.

Il coiffe Julie, tout en faisant des gestes d’admiration.

GRAINDOR, à part.

J’ai guetté la sortie du policeman, dans le petit café en face... et là, il m’est venu une idée étonnante pour établir mon alibi.

CATHERINE, à part, admirant les épaules de Julie.

Oh ! c’est uni comme un tapis de billard... sauf la couleur.

GRAINDOR, à part, tirant une lettre de sa poche.

Une lettre adressée à ma femme, que je vais expédier sous enveloppe, à mon ami Bataille, dé Maubeuge, en le priant de nous la retourner par la poste... Comme ça, on verra bien que je n’ai pas présidé la réunion.

À part.

Comme je les roule !... Voyons, un timbre... Ah ! dans le secrétaire...

Il passe derrière Catherine et va fouiller dans le secrétaire.

CATHERINE, à part.

Tant pis ! Je n’y tiens plus.

Il embrasse l’épaule de Julie.

JULIE, à son mari, sans se détourner.

Finissez-donc, Théodule... c’est ridicule ce que vous faites-là.

GRAINDOR, étonné.[8]

Hein ! quoi ? Je cherche un timbre.

JULIE, regardant alternativement son mari et Catherine, qui s’est éloignée et frotte le peigne avec une petite brosse. À part.

Ça ne peut pas être Catherine... J’ai cru sentir une barbe me piquer...

Haut, à Catherine.

Allez ! Je n’ai plus besoin de vous...

CATHERINE.

Une autrefois, faudra pas que madame se gêne... je serai bien heureuse de la coiffer, ainsi que monsieur.

À part.

Je vais faire ma barbe !

Il sort par le fond.

 

 

Scène XIII

 

JULIE, GRAINDOR[9], puis JOSÉPHA

 

JULIE, se levant

Mon ami, est-ce que tu n’as pas fait la barbe ce matin ?

GRAINDOR.

Si... et de très près... en veux-tu l’étrenne ?

JULIE.

Volontiers.

Graindor l’embrasse sur une joue.

Et l’autre ?

Graindor l’embrasse sur l’autre joue. À part.

Ça ne pique pas !

JOSÉPHA, entrant très affairée.[10]

Monsieur !... Madame !

GRAINDOR et JULIE.

Quoi ?

JOSÉPHA.

Voilà ce que j’ai trouvé dans la malle de Catherine... des rasoirs !

GRAINDOR, les prenant.

Des rasoirs !

JULIE.

Catherine est un homme, j’en suis sûre !

GRAINDOR.

Comment l’as-tu reconnu ?

JULIE.

Mais... à ses pieds qui sont énormes.

GRAINDOR.

Je comprends tout ! il en est !... il me file, il me file !

JULIE, à part.

Plus de doute ! c’est le comte de Poulenval !

GRAINDOR.

Il a été placé ici par l’autre... son chef... Laissez-moi !... je vais tirer ça au clair...

Les deux femmes remontent.

Josépha, priez mademoiselle Catherine de venir me parler.

JOSÉPHA.

Tout de suite, monsieur.

À Julie.

Est-ce que madame exige toujours que je partage ma chambre avec Catherine ?

JULIE.

Mais non, par exemple, je vous le défends !

Elle sort par la gauche et Josépha par le fond.

 

 

Scène XIV

 

GRAINDOR, puis CATHERINE[11], puis JULIE

 

GRAINDOR, seul.

Je vais lui tendre un piège...

Il arrache un bouton de son habit.

Si c’est un homme, il ne doit pas savoir coudre... à moins qu’il n’ait été tailleur...

CATHERINE, entrant par le fond.

C’est-y que monsieur me demande ?

GRAINDOR.

Oui... approche, ma petite Catherine, approche.

À part.

Elle a des pieds gigantesques... et des mains de casseur de pierres...

CATHERINE, à part.

Comme il me reluque... Est-ce qu’il se douterait de quelque chose ?

GRAINDOR.

Sais-tu coudre, mon enfant ?

CATHERINE.

Un petit peu.

GRAINDOR.

Une femme...

Appuyant.

Une véritable femme doit sa voir coudre...

CATHERINE, à part.

Il se méfie.

GRAINDOR.

Un bouton vient de se détacher... par hasard... de ma redingote...

CATHERINE.

Oh ! ça n’est pas difficile...

Elle prend, sur son fichu, une aiguille toute enfilée et se met à recoudre le bouton.

Ne bougez pas...

GRAINDOR, à part, en la regardant faire.

La main est lourde... mais l’habitude y est... elle lance bien son aiguille.

CATHERINE.

V’là ce que c’est... je n’ai pas de ciseaux... attendez...

Elle coupé le fil avec ses dents.

GRAINDOR, flairant la tête de Catherine.

Elle sent l’oignon !... ce n’est pas une preuve.

Catherine, en se relevant, cogne le nez de Graindor.

Aïe ! prends-donc garde !

CATHERINE.

Je ne me suis pas fait de mal... Monsieur n’a plus rien à me commander ?

Elle remonte.

GRAINDOR.[12]

Si... attends.

À part. Passant à droite.

Je vais lui tendre un autre piège... infaillible !

Avec explosion.

Catherine ! tu es belle !

CATHERINE, étonnée.

Hein ! s’il vous plait ?

GRAINDOR, à part.

Nous allons bien voir si c’est un homme !

Haut.

Horriblement belle ! tes pieds, tes mains, ton front d’albâtre exhalent un parfum qui fait aimer !

CATHERINE, à part.

Encore un bourgeois qui se toque pour moi. Je n’en rate pas un.

GRAINDOR.

La première fois que je te vis, Catherine... je sentis pénétrer, dans mon âme, un charme inconnu... des rougeurs subites me montèrent au front... c’était l’amour ! Sais-tu ce que c’est que l’amour ?

CATHERINE.

Bédame !

Elle baisse les yeux et fait mouvoir son sein comme une femme très émue.

GRAINDOR, la regardant et après un temps.

Elle palpite... C’est peut-être une femme, je le saurai, quand je devrais tenter l’aventure. Elle est belle fille après tout...

Haut.

Catherine, pour un de tes regards, je suis prêt à faire les plus grands sacrifices... je te meublerai un entresol... en soie rose... Dans un beau quartier.

CATHERINE.

Près de la Halle.

GRAINDOR.

Tu auras ta loge aux Italiens...

CATHERINE.

Oh ! ça...

GRAINDOR.

Une voiture avec deux chevaux...

CATHERINE.

Deux chevaux... à moi ? sapristi ! quel dommage !

GRAINDOR.

Et deux domestiques... mâles.

CATHERINE.

Non... j’aime mieux des femmes.

GRAINDOR.

Ah !

À part.

Voyez-vous le bout de l’oreille ?...

Haut.

Voyons, réponds moi...

Il lui prend la taille.

CATHERINE, lui donne une forte tape.

Chatouillez pas !

GRAINDOR.

Acceptes-tu ?

CATHERINE.

Dame !... ça dépend de ce que vous me demanderez.

GRAINDOR.

Un regard tendre.

CATHERINE.

Ça, ça peut aller.

GRAINDOR.

Ta main dans la mienne.

CATHERINE.

Ça peut encore aller...

GRAINDOR.

Et après, je ne te demanderai plus qu’une chose.

CATHERINE.

Laquelle ?

GRAINDOR.

C’est de couronner ma flamme !

CATHERINE.

Ah ! voilà !... Comme ça vous tenez absolument à ce que je sois votre bonne amie... votre courtisane ?

GRAINDOR, protestant.

Oh !

CATHERINE.

Mon Dieu, moi, je ne demanderais pas mieux... bien nourrie... rien à faire... une position... honorable... mais vrai... ça ne se peut pas ! il y a un obstacle !

GRAINDOR, éclatant.

Je le connais, ton obstacle... tu es un homme !

CATHERINE, vivement.

Non, j’ai un certificat !

GRAINDOR.

Connais-tu ces rasoirs ?

CATHERINE, à part.

Pincé ! il va me dénoncer.

GRAINDOR.

Maintenant, mademoiselle, jouons carte sur table... Je sais pour quel motif vous avez pris ce déguisement...

CATHERINE.

C’est pour ne pas être reconnu.

GRAINDOR.

Naturellement, c’est votre état... Je ne chercherai pas à dissimuler plus longtemps, je m’appelle Graindor... et je suis pas à Maubeuge !

CATHERINE.

Je m’en doutais.

GRAINDOR.

Quant à cette réunion... je croyais assister à une conférence sur les compteurs électriques.

CATHERINE.

Ah ! voyez-vous ça.

GRAINDOR.

Sur l’honneur ! je suis un homme d’ordre, j’aime le gouvernement, j’aime tous les gouvernements !...

CATHERINE.

Moi aussi.

GRAINDOR.

Vous, c’est votre état... mais moi... je les salue tous quand ils viennent... et quand ils partent ; et si j’ai signé Manlius... c’est une preuve que je ne frayais pas avec ces gens-là.

CATHERINE.

Moi non plus, voyez-vous... tout ça c’est la faute de la jambe de bois à mon oncle Terreux... J’aime le gouvernement... j’ai été rosière... le brigadier m’écrasait les pieds avec ses bottes... et je ne disais rien... Mais maman n’a pas voulu que je sois militaire.

GRAINDOR.

Et c’est pour cela que vous avez embrassé votre belle profession ?

CATHERINE.

Voilà.

GRAINDOR.

Voyons, nous pouvons-nous entendre ?... Vous n’êtes pas un méchant homme, que diable !

CATHERINE.

Moi ? je respecte même les z’hannetons.

GRAINDOR.

Combien gagnez-vous par jour ?

CATHERINE.

20 sous.

GRAINDOR, à part.

Ah ! comme ils sont peu payés !

Haut.

Tenez, voilà 200 francs...

CATHERINE, les prenant.

Pour moi ?

GRAINDOR.

Je n’ai pas l’intention de vous corrompre... nous causons... remarquez que ce n’est qu’une simple causerie...

CATHERINE.

Allez ! j’aime à causer comme ça.

GRAINDOR.

Eh bien ! je vous en promets le double... si je ne suis pas inquiété...

CATHERINE.

Je comprends... vous ne voulez pas être inquiété... Eh bien ! ce n’est pas moi qui vous inquiéterai...

GRAINDOR.

Touchez-là.

CATHERINE.

Ah çà ! vous ne me dénoncerez pas ?

GRAINDOR.

Mais en vous trahissant, je me trahis moi-même... Mon intérêt vous répond de mon silence !

CATHERINE.

Très bien !.. Alors, je peux me confier à vous...

Tirant une lettre de sa poche.

C’est une lettre du pays, très pressée...

GRAINDOR, apercevant Julie qui entre.

Chut !... ma femme...

JULIE, à Graindor.[13]

Eh bien ?

GRAINDOR, bas.

Je ne m’étais pas trompé... C’est un homme.

JULIE.

Ah !

À part.

Poulenval !

GRAINDOR.

Pas un mot... il nous observe... Seulement ménageons-le... ménageons-le beaucoup.

À part.

Je vais toujours faire partir ma lettre...

Il sort par le fond.

 

 

Scène XV

 

JULIE, CATHERINE

 

JULIE, à part, regardant Catherine.

Il est affreux !

Haut.

Ah ! quelle imprudence, monsieur le comte !...

CATHERINE.

Plaît-il ?

JULIE.

Vous oublier au point de m’embrasser devant mon mari !...

CATHERINE.

Je n’ai pas pu me retenir... ça m’a échappé.

Lui présentant sa lettre.

Tenez ! Voici une lettre...

JULIE.

Une déclaration ?... jamais !

CATHERINE.

C’est très pressé !

JULIE, lui indiquant la porte.

Sortez, monsieur le comte, sortez !

CATHERINE.

On s’en va, madame, on s’en va !

À part.

Pourquoi donc qu’elle m’appelle Lecomte... j’y ai pourtant dit Leduc.

JULIE.

Sortez, monsieur, sortez ! ou je me retire.

Catherine sort.

 

 

Scène XVI

 

JULIE, puis OCTAVE[14]

 

JULIE, seule.

Mais il est laid et bête, et compromettant ! porteur d’un beau nom, j’en conviens, de Poulenval ! mais porteur aussi d’une de ces têtes qui rappellent une femme au sentiment de ses devoirs.

OCTAVE, entrant vivement.

Ah ! Dieu soit loué ! Vous êtes seule.

JULIE.

Octave ! Qu’avez- vous ?

OCTAVE.

Ah ! une histoire !... tout à l’heure, je me suis trompé de paquet... je vous ai remis celui d’Ernestine Beaubeuf... une ancienne, et je lui ai donné le vôtre !

JULIE.

Ah ! mon Dieu !... Il faut le lui reprendre.

OCTAVE.

C’est ce que j’ai voulu faire, mais bah ! elle est plus forte que moi !... C’est une écuyère... Elle m’a déclaré qu’elle ne rendrait votre dossier que contre le sien... Vite ! vite ! ses petits papiers !

JULIE.

Ah ! mon Dieu ! je les ai brûlés !

OCTAVE.

Sac à poudre ! nous voilà propres !... Elle est furieuse parce qu’elle a vu, aux dates de votre correspondance, que je vous aimais en même temps qu’elle.

JULIE.

Comment, monsieur !

OCTAVE.

Je pourrais me justifier... Mais nous n’avons pas le temps ! « Si dans une demi-heure, s’est-elle écriée, je n’ai pas reçu mon petit colis, au complet, j’envoie les lettres, les photographies et les mèches de madame Graindor à son mari. »

JULIE.

Quelle horreur !

OCTAVE.

C’est canaille, mais tout à fait dans ses cordes.

JULIE.

Vous souvenez-vous si je vous tutoie dans ces malheureuses lettres ?

OCTAVE.

Tout le temps... et mon coco, et mon bébé, ma petite chicorée frisée, en veux-tu, en voilà !

JULIE.

Je suis perdue ! que faire ?

On entend la voix de Graindor.

Ciel ! mon mari !

OCTAVE.

Bigre !

JULIE.

Sauvez-vous !

Octave se dirige vers la porte du fond.

Pas de ce côté ! c’est par là qu’il vient ! Cachez-vous... vite !... vite !

OCTAVE, montrant une porte sous tenture à gauche.

Où ! là ?...

JULIE.

Oui, dans ce cabinet noir... C’est là qu’il serre sa contrebasse... Prenez garde de vous cogner...

OCTAVE.

Soyez tranquille... j’y vois comme les chats.

Il entre dans le cabinet, à gauche.

 

 

Scène XVII

 

JULIE, GRAINDOR, puis OCTAVE, puis JOSÉPHA

 

GRAINDOR, entre par le fond, le carnet de bal de sa femme à la main, à lui-même.

Ce n’est pas assez de mes inquiétudes politiques, il faut encore que des préoccupations conjugales...

Apercevant Julie.

Ah ! madame, je suis bien aise de vous rencontrer.

JULIE.[15]

Quoi donc, mon ami ?

GRAINDOR, lui montrant le carnet.

Connaissez- vous ceci ?

JULIE, à part.

Mon carnet de bal !

GRAINDOR.

Et pouvez-vous m’expliquer ces lignes ?... « Cher ange, je vous aime comme un fou... je cherche un moyen pour m’introduire chez vous... Je le trouverai... Ne vous étonnez de rien et attendez-vous à tout. – Signé : le comte de Poulenval. »

JULIE, troublée.

Mais, je ne sais... je n’y comprends rien... et s’il s’est introduit ici, c’est à coup sûr sans mon assentiment...

À part.

Il m’ennuie, ce monsieur !

GRAINDOR.

Ainsi, vous ne le connaissez pas ?

JULIE.

Du tout ! Je ne l’ai jamais vu.

On entend résonner une contrebasse dans le cabinet.

Maladroit !

GRAINDOR.

Hein ! qu’est-ce qui touche à ma contrebasse ?

JULIE.

Je n’ai rien entendu.

GRAINDOR.

Il y a quelqu’un dans ce cabinet. .. C’est lui ! Poulenval !

Ouvrant la porte du cabinet.

Sortez, monsieur le comte, sortez !

OCTAVE, sortant d’un air piteux, il tient à la main l’archet de la contrebasse.[16]

Je vous demande bien pardon.

GRAINDOR, le reconnaissant et d’un air très aimable.

Comment ! c’était vous !

À part.

Le chef ! Il m’épiait !

OCTAVE.

Mais... j’étais là... par mégarde...

GRAINDOR.

Oui, je sais... je suis désolé de vous avoir dérangé...

Appuyant.

Vos fonctions vous autorisent à vous trouver partout et ailleurs...

Il le débarrasse de l’archer.

OCTAVE.

Quelles fonctions ?

GRAINDOR.

Je vous ai deviné... Vous êtes...

Il lui parle à l’oreille.

OCTAVE, voulant protester.

Moi ? oh ! mais, permettez !...

JULIE, bas à Octave.

Silence ! vous me sauvez !

OCTAVE, à Graindor, après une longue hésitation.

Eh bien ! c’est vrai... j’en conviens !

GRAINDOR.

Parbleu !

OCTAVE, à part.

Sapristi ! c’est désagréable !... Quand il me rencontrera dans le monde...

JOSÉPHA, entrant, à Graindor.[17]

Monsieur, monsieur, un petit paquet ! pour monsieur... avec un billet.

Elle lui remet le paquet et sort.

OCTAVE, bas à Julie.

L’envoi d’Ernestine ! votre dossier !

JULIE, bas.

Reperdue !... Tirez-moi de là !

OCTAVE, bas.

Si vous croyiez que c’est facile !

GRAINDOR, qui a ouvert la lettre.

« Lisez ces lettres, dont vous reconnaîtrez sans doute l’écriture... elle vous apprendront bien des choses. »

JULIE, à part.

Je n’ai plus qu’à me trouver mal.

Elle tombe sur une chaise.

GRAINDOR, se disposant à ouvrir le paquet.

Voyons ces lettres...

OCTAVE.

Arrêtez !

À part.

Puisque j’en suis, il faut que ça me serve à quelque chose.

Haut.

Un geste de plus et vous êtes perdu !...

GRAINDOR, étonné.

Quoi ?

OCTAVE.

Il y a des secrets qui brûlent la main de ceux qui les touchent !

GRAINDOR, regarde le paquet avec terreur et le change de main comme un objet qui brûle.

Ah ! mon Dieu !

OCTAVE.

Vous tenez là les fils d’une conspiration... à laquelle vous n’êtes pas tout à fait étranger... quoique vous en disiez.

GRAINDOR.

Moi ? Je vous jure !...

OCTAVE.

Silence !... je sais ce que je dis.

GRAINDOR.

Certainement, monsieur l’inspecteur.

OCTAVE.

Je connais les coupables... tous les coupables... je ne dois pas les nommer. Graindor, remettez-moi ces lettres.

Julie se lève.

car c’est pour les saisir au passage que je me suis caché dans ce cabinet...

GRAINDOR, à part.

Sont- ils malins !

Lui remettant le paquet.

Voilà, monsieur l’inspecteur...

JULIE, à part, souriant.

Tiens !

OCTAVE.

C’est bien... mon rapport constatera votre soumission.

GRAINDOR.

Je vous en prie.

OCTAVE, il va à la cheminée.

Maintenant, voyez ce que je fais pour vous...

Il jette le paquet dans la cheminée.

L’administration sait, quand il le faut, se montrer paternelle.

GRAINDOR, ému et transporté.[18]

Ah ! monsieur, que de reconnaissance !

JULIE, à Octave.

Je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour mon mari.

OCTAVE, avec passion.

Oh ! ni moi, madame !

GRAINDOR, à part.

Il est charmant, ce garçon ! Je vais lui demander un service.

Haut à Octave.

Pouvez-vous me dire quel est ce comte de Poulenval qui s’est permis d’écrire?...

OCTAVE.

Quel comte de Poulenval ?

GRAINDOR.

Vous pouvez m’aider, grâce à... vos nombreuses relations.

OCTAVE.

Ah ! permettez... je suis très occupé...

GRAINDOR.

Oui, je le comprends... vous ne travaillez pas pour les particuliers... mais si vous vouliez seulement me prêter un de vos hommes...

OCTAVE.

Un de mes hommes ?...

GRAINDOR.

Catherine, par exemple.

OCTAVE.

Mais je ne connais pas Catherine, moi...

GRAINDOR.

Comment ! il n’est pas des vôtres ?

OCTAVE.

Mais non !

GRAINDOR, à part.

Et mes deux cents francs !

 

 

Scène XVIII

 

JULIE, GRAINDOR, OCTAVE, CATHERINE, puis JOSÉPHA[19]

 

CATHERINE.

Madame, comment faut-il arranger le lapin ?

GRAINDOR, à part.

Oh ! quel trait de lumière ! Ce déguisement... C’est lui, Poulenval !...

Mettant le carnet sous le nez de Catherine.

Lisez ceci, monsieur le comte !

CATHERINE.

Lecomte ? Leduc !... Attendez !

Il tire sa lettre.

Lisez-moi ça, d’abord... je vous lirai la vôtre après... si je peux.

GRAINDOR, prenant la lettre.

Sa justification, sans doute.

Ouvrant la lettre.

Vous permettez, monsieur l’inspecteur.

Il lit.

« Ma chère fille...

Parlé.

Comment ! c’est une fille à présent.

JULIE, à part.

Ce n’est pas possible.

GRAINDOR, reprenant la lecture.

« Ma chère fille... je sais que tu es un garçon.

Parlé.

Ah ! je disais aussi.

Lisant.

« La Colarde a bavardé.

JULIE.

Qu’est-ce que la Colarde ?

CATHERINE.

C’est mon institutrice.

GRAINDOR, lisant.

« Elle a tout conté à son mari, le brigadier de gendarmerie.

CATHERINE.

Bécasse !

GRAINDOR, lisant.

« Il ne trouve pas ça gentil... mais il te pardonne...

CATHERINE.

C’est un brave homme.

GRAINDOR, lisant.

« Seulement, comme tu es réfractaire, il faut que tu reviennes tout de suite, tout de suite, pour qu’on te fusille !

CATHERINE, épouvantée.

Hein ? fusillé ! Ah !

Il tombe sur une chaise.

TOUS.

Il se trouve mal.

CATHERINE.

J’étouffe.

Aux femmes.

Défaites-moi mon corset.

LES FEMMES, se reculant.

Ah ! mais non !

CATHERINE.

Quand je n’y serai plus, je vous recommande ma malle, à cause de mon linge... J’ai aussi deux paires de bas à la blanchisseuse.

JULIE.

Mais vous ne partirez pas... D’abord vous me devez vos huit jours.

GRAINDOR.

Pauvre garçon... Ah ! il y a un post-scriptum, t.s.v.p.

Lisant.

« Ma chère fille, tout est arrangé. J’ai vu M. le maire dont je suis le couvreur ; comme c’était le jour du tirage au sort, j’ai plongé, pour toi, la main dans le sac... et j’ai amené le numéro 109, qui est le dernier... Tu es libéré. »

CATHERINE.[20]

Libéré ! pas fusillé ! Ah ! cré nom ! Tradérida !

Il danse.

Je vas pouvoir porter des culottes !.. Ah ! Josépha !

Il l’embrasse.

Ah ! madame !

Il veut embrasser Julie.

GRAINDOR, le repoussant.

Prends donc garde, butor !

CATHERINE.

Puisque je suis un homme !

GRAINDOR.

Raison de plus. À propos, et mes 200 fr. ?

CATHERINE.

Parlons pas de ça, parlons pas de ça !

GRAINDOR.

Tu n’en as plus besoin pour t’acheter un homme ?

CATHERINE.

Mais, soyez donc tranquille, si ce n’est pas pour un homme, ça sera pour une femme et ça reviendra au même.

GRAINDOR.

Dire que j’ai été assez naïf pour douter du sexe de cet animal-là !

CATHERINE.

Bédame ! c’est pas étonnant, à votre âge... à force de s’y connaître... on ne s’y connaît plus.

 


[1] Josépha, Catherine, Julie.

[2] Josépha, Catherine.

[3] Catherine, Josépha, Julie.

[4] Octave, Julie.

[5] Octave, Graindor.

[6] Julie, Octave.

[7] Julie, Catherine.

 

[8] Graindor, Catherine, Julie.

[9] Julie, Graindor.

[10] Julie, Josépha, Graindor.

[11] Graindor, Catherine.

[12] Catherine, Graindor.

[13] Julie, Graindor, Catherine.

[14] Octave, Julie.

[15] Julie, Graindor.

[16] Graindor, Octave, Julie.

[17] Graindor, Josépha, Octave, Julie.

[18] Octave, Graindor, Julie.

[19] Octave, Graindor, Catherine, Julie.

[20] Octave, Josépha, Graindor, Catherine, Julie.

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