Le Valet en bonne fortune (Ferdinand LALOUE - Antoine SIMONNIN)

Sous-titre : les amies de pension

Comédie en un acte, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 11 janvier 1825.

 

Personnages

 

LA COMTESSE DE SÉNANGE

FRÉDÉRIC, son domestique

GERVAIS, riche fermier

ADÈLE, sa nièce

LUCAS, amant d’Adèle

FRANÇOIS, ami de Lucas

LE RECEVEUR-GÉNÉRAL

 

La scène se passe dans un village.

 

Le Théâtre représente dans le fond une campagne ; à droite, une ferme d’une apparence très opulente, à laquelle est attenante une jolie maison ; vis-à-vis est un bosquet, dans lequel est une table, sur laquelle il y a des livres et tout ce qu’il faut pour écrire ; sur une chaise est un carton à dessiner ; çà et là des dessins, dont un représente un paysage.

 

 

Scène première

 

LUCAS, FRANÇOIS

 

LUCAS.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! Ouf !

FRANÇOIS.

Il pousse des soupirs à faire tourner les ailes de mon moulin ! Sais-tu pourquoi qu’t’es comme ça ?

LUCAS.

Parc’que j’sommes amoureux.

FRANÇOIS.

Eh ! non, parc’que t’es bête.

LUCAS.

Pourquoi Adèle a-t-elle été à Paris apprendre tant de choses ?... depuis qu’elle est de retour, je n’ai plus assez d’esprit pour elle...

FRANÇOIS.

Ah ! c’est pas Gervais qu’a voulu ça... il n’est pas vaniteux lui... Gervais !...

LUCAS.

Je sais ben que c’est l’père d’Adèle qui, en mourant, a fait promettre à son frère de l’envoyer dans une pension de Paris... J’aurais ben mieux aimé qu’elle continuât à venir à l’école avec nous.

FRANÇOIS.

C’est vrai que l’père Mathurin défunt eu une drôle d’idée. C’est pas l’embarras, ceux qui l’ont connu disent qu’il était vaniteux comme tout !... avec ça, qu’il avait du bien et d’l’argent à ne savoir qu’en faire...

LUCAS.

Queux raison !... V’là ben son frère Gervais qu’est aussi riche que lui : il n’en est pas plus glorieux pour ça... C’t’idée, François, d’envoyer sa fille à Paris chercher d’l’inducation !... comme si gn’y en avait pas ici ; comme si que l’maître d’école de mutuel n’aurait pas pu l’y apprendre ses lettres.

LUCAS.

C’était tout c’qu’il fallait pour une fermière, au lieur d’ces goûts d’lecture et d’écriture qu’elle a rapportés d’là-bas ; témoin c’bosquet, où c’qu’elle a encore passé toute la matinée à copier des vers... Ah ! ça ! quoiqu’c’est que des verses... et des peintures en images ?

FRANÇOIS.

Des peintures, c’est quand elle dessine.

LUCAS.

Et des verses !... qu’est c’que c’est ?

FRANÇOIS.

Tiens, r’garde.

Il lui montre le bosquet où il y a encore sur une table des livres, des plumes, de l’encre et du papier.

LUCAS.

J’voyons ben qu’Adèle a écrit c’matin dans c’bosquet ; mais j’te demande quéqu’c’est qu’des verses ?

FRANÇOIS.

Eh ben ! c’est c’qu’elle a écrit.

LUCAS.

J’entends ben qu’elle a copié des verses... mais quéqu’c’est qu’des verses ?

FRANÇOIS.

C’est ben facile à savoir.

Lui montrant un papier écrit.

Tiens, regarde, tu vas voir tout d’suite ce que c’est.

LUCAS.

J’sais pas lire dans l’écriture.

FRANÇOIS.

J’te dis pas d’les lire, j’te dis d’les regarder... Là... tu les vois...

LUCAS, regardant le papier écrit.

Oui ; mais...

FRANÇOIS.

Eh ben ! à présent que tu en as vu, tu sais c’que c’est ; tu sais c’que c’est qu’des verses, t’en a vus, tu peux aller ton train...

LUCAS.

Aller mon train... et comment ? puisque j’ons un rival... un beau monsieur d’la ville, qu’est depuis queuqu’temps au château.

FRANÇOIS.

Ah ! oui, tu m’l’as montré, un grand long...

LUCAS.

Qu’a des manières et une voix flûtée, et les jambes de même.

FRANÇOIS.

Taillé en cerf... Eh ben ! alors nous l’f’rons courir.

LUCAS.

Ah ! oui !... hem, je t’en prie... si nous pouvions l’faire courir ben loin... surtout quand il l’y apporte des poulets...

Air : Adieu, je vous fuis.

Les fill’s qui n’ont point de talents,
À mes yeux paraiss’nt plus charmantes ;
Faut qu’les pèr’s soient ben imprudents
D’vouloir qu’leux d’moisell’s soient savantes.
Pour les fair’ tomber sous ses coups,
L’Amour commenc’ par leur écrire ;
On craignait moins les billets doux,
Quand les fill’s ne savaient pas lire.

FRANÇOIS.

Tu ne sais pas !... faut aller trouver son oncle Gervais, qu’est au moulin.

LUCAS.

Ah ! oui, c’est çà, allons parler à son oncle.

On entend le roulement d’un carrosse.

FRANÇOIS.

V’là une voiture qui vient sur la route.

LUCAS.

Quéqu’ça nous fait c’te voiture ?

Air : Mon cœur, belle meunière.

Le parti qu’il faut prendre
Est d’s’en aller trouver Gervais.
Il faut sans plus attendre
L’mett dans nos intérêts.

FRANÇOIS.

Que l’courag’ t’accompagne,
Et nous f’rons bâtir subito,
Des châteaux en Espagne,
Au monsieur du château.

ENSEMBLE.

Le parti qu’il faut prendre
Est d’s’en aller trouver Gervais.
Il faut sans plus attendre
L’mett’ dans nos intérêts.

Les personnages qui arrivent paraissent dans le fond ; François et Lucas sortent par le côté opposé.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, LE RECEVEUR-GÉNÉRAL, FRÉDÉRIC les suivant, le chapeau sous le bras, il est en frac noir

 

LE RECEVEUR.

Je suis désolé, madame la comtesse, que vous ayez eu la peine de descendre de voiture ; mais nous sommes obligés de prendre ici un sentier étroit où l’on ne peut aller qu’à pied.

LA COMTESSE.

Je vous assure, M. le receveur-général, que je n’en suis pas fâchée ; quoique je ne sois que depuis hier soir à la campagne, je jouis déjà de toutes les beautés qu’elle présente.

Air : Les cinq codes que je me flatte.

J’aime à voir ces plaines fertiles ;
La nature parle à mon cœur !
Quoiqu’habitante et née au sein des villes,
Je trouve ici le vrai bonheur.
Moi, que le plaisir accompagne,
Je ne suis pas de ces fâcheux esprits,
Qui dans Paris regrettent la campagne,
Et dans les champs ne pensent qu’à Paris.

LE RECEVEUR.

Madame la comtesse, en arrivant à son château, l’a-t-elle trouvé disposé convenablement pour la recevoir ?

LA COMTESSE.

J’avais envoyé Frédéric, mon valet de chambre, pour tout préparer d’avance... Il s’est fort bien acquitté de sa mission.

FRÉDÉRIC, s’inclinant.

J’ai voulu mériter la confiance de madame.

LE RECEVEUR.

Vous allez voir mes propriétés... Elles sont superbes... Si vous voulez vous reposer un instant dans cette ferme, nous pouvons y entrer : c’est la plus riche du pays.

FRÉDÉRIC, à part.

Entrer dans la ferme ! quelle diable d’idée lui prend...

LA COMTESSE.

Non, je vous remercie, je ne suis point fatiguée.

LE RECEVEUR.

En ce cas, nous allons continuer notre route...

FRÉDÉRIC, à part.

C’est bien heureux !...

LA COMTESSE.

Frédéric, vous allez dire à Comtois de reconduire la voiture au château, et vous viendrez me chercher à midi chez M. le receveur-général.

FRÉDÉRIC.

Ça suffit, madame.

À la cantonade.

Comtois, an château... Heim ?... S’il faudra dételer ?

À la comtesse.

Il demande s’il faudra dételer.

LA COMTESSE.

Oui, oui, je reviendrai à pied, cela me promènera. Vous me donnerez le bras ; entendez-vous, Frédéric ?

FRÉDÉRIC.

Oui madame.

Il va parler au cocher et revient de suite.

LA COMTESSE, examinant le costume de Frédéric.

Pourquoi donc cet habit noir ? Je vous ai déjà dit, Frédéric, de mettre, surtout quand vous m’accompagnez, un habit qui pût annoncer que vous n’êtes pas de ma société.

FRÉDÉRIC.

Madame veut parler de...

Il dessine avec le doigt le galon de l’habit de livrée.

J’ai pensé qu’à la campagne...

LA COMTESSE, au receveur-général.

Pardon, mon cher receveur ; maintenant je suis tout à vous.

LE RECEVEUR.

C’est moi, madame, qui suis à vos ordres.

Ils sortent.

 

 

Scène III

 

FRÉDÉRIC, seul

 

Ôter mon habit de conquête !... Je n’attendais madame la comtesse que le mois prochain ; point du tout, elle arrive hier au soir, au moment où l’on y pense le moins, dans ce château, où je suis, depuis quinze jours, seul maître et seigneur, surveillant les ouvriers avec un zèle qui ne s’est point ralenti d’un instant, excepté quand j’allais conter fleurette aux jeunes fermières de la commune... comme celle qui demeure là, par exemple, avec laquelle il est chaudement question de mariage !... Cette pauvre petite est la cause innocente que tout à l’heure j’ai eu une peur... je tremblais qu’elle ne mît le nez à sa porte ou à sa croisée, qui donne sur la route... Qu’est-ce qu’elle aurait dit en me voyant derrière la voiture ?... il aurait fallu lui avouer que je ne suis qu’un domestique, et c’est une surprise que je lui ménage pour après la noce, attendu qu’avant, ça pourrait déranger mes projets ! Au fait, moi je suis las de servir à Paris, je veux me retirer à la campagne, je veux devenir un bon propriétaire, un estimable agriculteur ; vivre de fruits et de lait, et de quelques gigots de ces innocents moutons... les plus tendres du troupeau, par exemple, car un gigot qui est dur... ou des côtelettes... Ce n’est pas mal adroit à moi d’avoir tourné la tête à la nièce du plus riche fermier des environs... et je dis que mon Adèle n’est pas une fermière comme une autre : ce n’est pas de ces grosses paysannes qui n’ont jamais rien vu que la plaine et les moutons, et qui vous disent des j’avions, des j’étions et des itou... Du tout... ce n’est pas ça !... Adèle est une fermière de bonne compagnie... une paysanne éduquée et senti mentale... Mais la voici.

 

 

Scène IV

 

FRÉDÉRIC, ADÈLE

 

ADÈLE, à part.

Je ne me suis pas trompée, c’est lui.

FRÉDÉRIC, à part.

Encore quelques phrases de romans ; tant que j’aurai de la mémoire, j’aurai de l’esprit.

ADÈLE.

Ah ! c’est vous, M. Frédéric.

FRÉDÉRIC.

C’est-à-dire, c’est moi... jusqu’à un certain point.

Air : Comme il m’aimait.

Oui, c’est bien moi. (bis.)
Si de l’amour tendre et sincère
Vous m’avez conservé la foi,
Je suis le même et c’est bien moi !
Mais si, par un destin contraire,
Un autre que moi sait vous plaire,
Ce n’est plus moi.
(bis.)

ADÈLE.

Vous pouvez vous rassurer ; hier soir encore j’ai parlé de vous à mon oncle, à mon...

FRÉDÉRIC.

C’est fort bien, et qu’est-ce qu’ils ont dit, vos sensibles parents ?

ADÈLE.

Que je fasse attention si vous ne vous jouez pas d’une jeune fille bien au-dessous de vous.

FRÉDÉRIC.

Au-dessous de moi ! Ah ! détrompez-vous, charmante Adèle, l’amour doit rapprocher toutes les distances, ne l’oubliez jamais... j’ai mes raisons pour ça.

ADÈLE.

Ainsi vous m’aimerez toujours ?

FRÉDÉRIC.

Toujours ? plus longtemps que ça encore, s’il était possible... Qu’est-ce que c’est que ça, toujours ?... Ce n’est rien en comparaison du temps que je veux vous aimer ! Vous avez lu Florian ? Eh bien ! je vous aime comme Estelle aimait Némorin ; ainsi arrangez-vous là-dessus...

ADÈLE.

Mais c’est charmant !...

FRÉDÉRIC.

Ou, si vous l’aimez mieux, comme le joli page d’Aiguemar aimait la belle Zénaïre... Vous avez lu Ipsiboé ?...

ADÈLE.

Non...

FRÉDÉRIC.

Je l’ai lu, moi, hier soir dans l’antichambre...

Se reprenant vivement à part.

Qu’est-ce que je dis donc là, moi ?...

ADÈLE.

Dans l’antichambre ?

FRÉDÉRIC.

Est-ce que j’ai dit dans l’antichambre ?

ADÈLE.

Mais oui !...

FRÉDÉRIC.

Ah ! mon Dieu ! oui, je m’en souviens, un coquin de domestique ; ces gens-là n’en font jamais d’autres... ils avaient laissé trainer cette pauvre Ipsiboé : c’est pourtant un joli roman ! ce n’est pas l’embarras, nous avons des personnes qui préféreront Estelle et Némorin, si c’est une belle édition.

ADÈLE.

Cela dépend des goûts.

FRÉDÉRIC.

Non, ça dépend des caractères. Ah ! ça nous disions donc, ô vous la plus jolie, la plus aimable de toutes les fermières du département de la Dordogne... nous sommes bien dans le département de la Dordogne, n’est-ce pas ?... Nous disions donc que notre mariage offrira le tableau délicieux de ces amants... des amants de ce monsieur que je viens de nommer... de M. de Florian ; de ces amants de l’âge d’or, dont la naïveté et la douceur charmaient l’existence, de ces amants qui s’unissaient par des nœuds de soie et de fleurs ; nous passerons, comme eux des jours sereins, et c’est si joli. de pouvoir se dire dans son ménage : nous sommes heureux... nous rappelons à nous deux le temps de nos bons aïeux... de ces braves gens dont les mœurs étaient pures et le vin aussi, et qui ne vivaient que pour l’amour, la gloire et le jus de la treille.

ADÈLE, à part avec ingénuité.

Il est d’un caractère fort agréable.

FRÉDÉRIC, à part.

Tâchons de nous rappeler encore quelque chose.

Haut.

Et sur nos vieux jours, ou si vous l’aimez mieux dans l’hiver de nos ans, nous offrirons l’image consolante de Philémon... et... comment donc l’autre... la...la vieille ?...

ADÈLE.

Philémon et Baucis...

FRÉDÉRIC.

Oui, la mère Baucis... le papa Philémon et la maman Baucis...

ADÈLE.

Et comment ne serions-nous pas d’accord ? je ferai tout ? ce que vous voudrez ; le spectacle que vous choisirez, le concert, le bal où vous voudrez me conduire sera toujours celui qui me plaira.

FRÉDÉRIC, à part.

Oui, prends garde de le perdre !

ADÈLE.

Vous pensiez peut-être, parce que je suis née au village, que je voudrais y rester ?

FRÉDÉRIC.

Oui, je croyais qu’étant de la campagne...

ADÈLE

Air : du vaudeville de l’Actrice.

Ce ne sera point un obstacle,
Adèle à vos goûts se
pliera :
J’irai tous les jours au spectacle,
J’aurai ma loge à l’Opéra.
J’aurai de brillantes toilettes,
Des cachemires d’un grand prix...
Car enfin les femmes sont faites
Pour obéir à leurs maris.

FRÉDÉRIC.

D’abord mon intention n’est pas...

ADÈLE.

Oh ! ne vous gênez pas pour moi ; vous qui êtes élevé au milieu des plaisirs de la capitale, vous ne pouvez pas vous en priver... Voyons, quel est le spectacle que vous aimez le plus ?

FRÉDÉRIC.

À vous parler franchement, ça m’est égal.

ADÈLE.

Celui auquel vous alliez le plus cet hiver ?

FRÉDÉRIC.

Cet hiver ?... Attendez donc...

À part.

Où diable al laient-ils donc cet hiver... je sais bien que la voiture prenait par la rue de Richelieu...

Haut.

Les Français... oui, oui, c’étaient les Français, je crois... Je ne vous dirai pas au juste...

À part.

Presque tous les vestibules se ressemblent...

ADÈLE.

Eh bien ! nous irons aux Français une ou deux fois par semaine.

FRÉDÉRIC, à lui-même.

Plus souvent !

ADÈLE.

Comment dites-vous ?

FRÉDÉRIC.

Je dis plus souvent, si vous voulez.

ADÈLE.

Et puis nous verrons de la société, n’est-ce pas ? des personnes comme il faut.

Air : de la Robe et les Bottes.

Lorsqu’à vous je vais être unie,
Tous vos amis me seront amenés ;
Ce sont des gens de bonne compagnie !

FRÉDÉRIC.

Tous gens en habits galonnés.

ADÈLE.

Je veux avoir des atours magnifiques,
Un mobilier brillant et peu commun,
Enfin j’aurai des domestiques.

FRÉDÉRIC.

Vous êtes sûre au moins d’en avoir un.

 

 

Scène V

 

FRÉDÉRIC, ADÈLE, GERVAIS, LUCAS, FRANÇOIS

 

FRANÇOIS, dans le fond.

Là... ils sont ensemble...

LUCAS.

Ah ! mon Dieu ! oui, il est avec elle...

GERVAIS.

Allons, imbécile, veux-tu ben te t’nir ? vas-tu pas leux y faire voir que t’enrages ?

S’approchant.

Dites donc, mon sieur Frédéric ? 

FRÉDÉRIC.

Ah ! c’est ce bon papa Gervais... cet honnête fermier... Approchez, brave homme... j’aime beaucoup les cultivateurs... les laboureurs... Eh bien ! que dirons nous des semailles, cette année ?... La vigne est-elle belle ?

GERVAIS.

Tout ça va bien, monsieur ; mais c’est dans ma maison que je trouve que ça mal : j’n’aimons pas qu’ les jeunes filles soyont comme ça seules avec des messieurs... qu’on ne connaît pas trop !...

ADÈLE.

Mon oncle !

FRÉDÉRIC.

Laissez-moi, je vais répondre...

LUCAS.

Vous n’avez pas besoin d’ l’y souffler des paroles, elle n’en manque pas.

FRANÇOIS.

Et elle peut ben parler elle-même, tout d’ même.

FRÉDÉRIC, à Gervais, après avoir toisé François et Lucas.

Oui, brave homme, dans la conversation que j’avais avec votre aimable nièce, je lui parlais d’abord des vertus de son respectable parent : c’est par le digne oncle que j’ai commencé, n’est-ce pas ?

GERVAIS.

J’vous r’mercions ben, monsieur, mais j’n’ons pas plus d’vertus qu’y n’faut : c’est surtout pas par la patience que j’brillons, j’vous en avertis.

FRÉDÉRIC.

Oh ! oh ! ne nous emportons pas !... Si nous nous emportons... Les paysans de M. de Florian ne s’emportent jamais... Acis et Galatée... toujours Acis...

LUCAS.

Chacun fait comme y veut : M. Acis et M. Galatée font c’qu’ils veulent, et nous aussi...

FRANÇOIS.

Et l’père Florian, avec ses paysans... l’père Florian... ça n’vous regarde pas...

FRÉDÉRIC.

Rassurez-vous, bon Gervais, je n’ai que des intentions honnêtes ; la main de votre charmante nièce est le seul bien où je sache aspirer.

GERVAIS.

Comment dites-vous ça, où je S... ?

FRÉDÉRIC.

Ache aspirer...

GERVAIS.

Tenez, monsieur, je vais vous parler franchement : vous n’pouvez pas entrer dans not’ famille, c’est impossible.

FRÉDÉRIC.

Impossible... et pourquoi donc ça ?

GERVAIS.

Air : Peut-on marcher du même pas.

Des champs pour vous sans agrément,
On vous verrait fuir l’humble asile,
Au sein des plaisirs de la ville,
Il vous faudrait emmener cet enfant !
M’en séparer ferait tout mon tourment.
D’ailleurs vous êt’s un personnage
Trop au-d’sus d’nous pour c’t’union ;
Car moi je veux en homme sage
Qu’mon n’veu, comm’ nous habitant du village,
Soit mon ami dans ma maison,
Et mon compagnon à l’ouvrage.

FRÉDÉRIC, à part.

Il paraît qu’ils ne sont pas d’accord...

ADÈLE.

Je vous assure, mon oncle, que monsieur est très distingué.

FRÉDÉRIC.

Oh ! à cet égard-là...

GERVAIS.

Eh ! mon Dieu ! monsieur, je n’disons pas l’contraire !... Mais, voyez-vous, j’sommes le tuteur de c’t enfant-là, et, j’vous le répète, je préférons pour son époux un homme simple et qui soit honnête ; qui ait, comme nous, queuques vertus domestiques.

FRÉDÉRIC.

Des vertus domestiques !... touchez là ! je suis votre homme !... Des vertus domestiques !... c’est par là que je brille !... ah ! bien ! il serait joli que je n’en eusse pas !...

À part.

On aurait bientôt fait de me donner mon compte.

Haut.

Écoutez, papa Gervais, je ne peux pas m’expliquer devant tout le monde ; tout ce que je peux vous dire, c’est que nous pensons l’un comme l’autre. Donnez-moi un moment d’entretien dans la journée, et vous verrez que je vous conviens sous tous les rapports.

GERVAIS.

Je n’pouvons pas vous r’fuser un quart-d’heure d’entre tien. Voyons quelle heure il est.

Il tire sa montre.

Midi ; eh ! ben, à ce soir... Mais j’vous en avertissons, ça n’ser vira à rien.

FRÉDÉRIC.

Ah ! mon Dieu ! déjà midi !

À part.

Et ma maîtresse, qu’il faut que j’aille chercher.

Haut.

Pardon, c’est que madame la comtesse m’attend...

LUCAS.

Allez-y donc ben vite ; ça vaudra ben mieux que d’rester avec nos jeunes filles...

FRANÇOIS.

C’est vrai ça, j’n’allons pas en conter aux comtesses, nous.

FRÉDÉRIC, à Adèle.

Il faut absolument que je vous quitte, ma belle ; mon devoir m’appelle auprès de madame de Sénange...

ADÈLE.

Votre devoir ?...

FRÉDÉRIC.

Devoir de pure galanterie. Je vais lui offrir mon bras ; voilà tout.

Air : J’en guette un petit à mon âge.

Adieu donc, bergère sensible,
Qu’à regret je vous quitte, hélas !
Je crois qu’une main invisible
Près de vous enchaîne mes pas,
Rassurez-vous, ô la belle des belles,
Si je ne puis, me sentant défaillir,
Trouver des jambes pour partir ;
Pour revenir j’aurai des ailes.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

ADÈLE, GERVAIS, LUCAS, FRANÇOIS

 

FRANÇOIS.

Dites donc, cousine, y s’en va.

ADÈLE.

Que vous importe ?

FRANÇOIS.

Au lieur que Lucas, y n’s’en va pas lui, y reste là !...

LUCAS, à Adèle.

Il paraît que c’monsieur est plus pressé de voir madame la comtesse que d’rester avec vous.

GERVAIS.

Tiens ! mais il a raison, lui tout d’même.

ADÈLE.

Vous cherchez à me piquer, mais vous n’y parviendrez pas.

LUCAS.

Oh ! pas moi, mam’selle, pas moi, vrai ; j’voulions seulement vous rappeler que jamais Lucas n’vous acquitté pour personne, parc’que Lucas n’croit pas qu’il y ait une comtesse, une duchesse, une reine dans l’monde qui vous valions...

GERVAIS.

Toutes ces chicaneries-là viennent de ce M. Frédéric.

FRANÇOIS, bas.

Je n’dis rien, mais j’ai certain projet... que j’ruminons.

GERVAIS.

Il avait ben besoin d’arriver au château, et de venir causer avec Adèle.

ADÈLE.

C’est tout simple, il n’a trouvé que moi dans le village qui pusse l’entendre et parler avec lui.

GERVAIS.

Encore tes idées de biau langage de Paris ! Est-c’que j’parlons ostrogoth, nous autres ?

ADÈLE.

Je vous en prie, ne me contrariez pas... j’ai besoin d’être seule, de me livrer en paix à une foule de réflexions.

Elle va sous le bosquet, où il y a des livres, et se met à lire.

FRANÇOIS, prenant Lucas et Gervais à l’écart.

J’vous dis que j’ons des soupçons sur c’t’homme-là, et qu’pas plus tard qu’aujourd’hui, j’saurons à quoi nous en tenir.

GERVAIS.

Eh ben ! à la bonne heure !

FRANÇOIS.

Air : S’en revenant du village.

V’nez chez moi boire un’ bouteille,
J’vous dirai mon dessein
Le verre en main.
Ce biau monsieur que j’surveille,
Est vraiment un malin !...
De d’viner j’ons l’habitude.

GERVAIS.

Surtout n’fais point d’erreur !

FRANÇOIS.

N’ayez pas peur.

ADÈLE.

Mon Dieu ! quelle inquiétude !
S’empare de mon cœur !...

Ensemble.

LUCAS et GERVAIS.

Allons chez lui boir’ bouteille,
Il dir
a son dessein
Le verre en main,
Ce biau monsieur qu’il surveille
Est vraiment un malin.

FRANÇOIS.

V’nez chez moi boire un’ bouteille,
J’vous dirai mon dessein
Le verre en main,
Ce beau monsieur que j’surveille
Est vraiment un malin.

Ils sortent.

 

 

Scène VII

 

ADÈLE, seule

 

Ils me quittent, ils me laissent seule. D’où vient que leurs discours ont jeté dans mon cœur un trouble que je ne saurais définir ? ai-je donc mal agi en traitant Lucas avec autant de froideur... Ce pauvre Lucas, il m’aimait tant dans mon enfance !...

Air : Pourquoi pleurer.

J’y pense encore, (bis.) 
Est-ce regret ? est-ce folie ?
Lucas ne peut fixer mon sort,

 

Mais lorsqu’il faut que je l’oublie
J’y pense encor,
(bis.)
Hélas ! j’y pense encor.

 

 

Scène VIII

 

ADÈLE, LA COMTESSE, FRÉDÉRIC

 

LA COMTESSE.

Voilà une maison d’une apparence fort agréable ; est-ce que cette ferme qui est à côté en dépend ?

FRÉDÉRIC.

Oui, madame, oui... c’est cette ferme où le receveur voulait faire entrer madame ce matin pour se reposer.

LA COMTESSE.

À qui appartient-elle ?

FRÉDÉRIC, à part.

Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’elle voudrait y entrer à présent ?

Haut.

À un gros fermier fort riche...

LA COMTESSE.

Je serais bien aise...

FRÉDÉRIC.

Mais fort grossier... Je ne conseille pas à madame la comtesse de s’arrêter là...

LA COMTESSE.

Quelle est cette jeune personne ?

FRÉDÉRIC, à part, apercevant Adèle.

Allons, voilà la situation qui se complique !

ADÈLE.

C’est elle, c’est Sophie... Sophie de Mirval...

LA COMTESSE.

Eh ! mais... c’est Adèle.

ADÈLE.

Comment c’est toi, ma bonne amie ?

LA COMTESSE.

Cette chère Adèle !... Et par quel hasard ?

ADÈLE, embarrassée.

Je demeure ici...

À part.

Une amie de la pension !... si elle allait...

LA COMTESSE.

Mais c’est charmant... moi qui cherchais un endroit pour ne reposer.

Elle ôte son châle et le donne à Frédéric.

Tenez, Frédéric !

FRÉDÉRIC, faisant l’aimable.

Comment donc, madame, mais très volontiers !

À part.

Tâchons de n’avoir pas l’air d’être payé pour ça...

Embarras de Frédéric, étonnement d’Adèle.

ADÈLE, à part.

Quelle intimité !...

LA COMTESSE.

Je suis ta voisine, je demeure au château de Sénange, que mon mari vient d’acheter.

ADÈLE.

Ah ! tu es mariée ?

LA COMTESSE.

Oui, au comte de Sénange ; je croyais que tu le savais.

Elle ôte son chapeau, et le donne à tenir à Frédéric, qui tient déjà le châle de sa maîtresse.

Tenez...

FRÉDÉRIC, faisant l’aimable.

Avec plaisir, madame, si madame la comtesse a autre chose qui la gène... je la prie de ne pas se gêner...

LA COMTESSE, un peu surprise.

Qu’est-ce qu’il a donc, cet imbécile ? comme il fait l’aimable !...

À Adèle.

Et toi, ma bonne amie, tu es aussi mariée sans doute ?

ADÈLE, embarrassée.

Non... pas encore.

À part.

Oh ! quelle fâcheuse rencontre !

FRÉDÉRIC, à part.

Je crois que ça ne tardera pas.

LA COMTESSE.

Voilà un joli bosquet... j’ai passé ce matin par ici, je n’y avais pas fait attention.

ADÈLE.

Oui... c’est là que je m’amuse à lire, à faire de la musique.

LA COMTESSE.

Il est charmant !... Sais-tu bien qu’il y a près de six mois que nous ne nous sommes vues... Ah ! tout ceci est d’un goût !...

Elle laisse tomber son mouchoir.

Frédéric, ramassez mon mouchoir.

Elle va dans le bosquet, Frédéric ramasse le mouchoir, et va le lui porter.

FRÉDÉRIC.

Très volontiers... je suis tout à votre service, madame ; voici votre mouchoir.

Bas à Adèle, revenant au près d’elle.

Elle est un peu exigeante... Elle est parfois originale, la petite comtesse !...

LA COMTESSE, dans le bosquet.

Vraiment, Adèle, ton bosquet d’étude me plaît beaucoup.

Elle y reste et l’examine.

FRÉDÉRIC, s’approchant d’Adèle.

Ah ! combien je préfère...

ADÈLE.

À la bonne heure, mais pourquoi donc vos prévenances, vos attentions pour madame la comtesse ?

FRÉDÉRIC.

Eh ! mon Dieu ! l’habitude de la bonne compagnie... c’est que, voyez-vous, dans le monde il y a une foule de devoirs... commandés par la politesse et par... moi d’abord, je suis l’esclave de la société.

Jouant avec le châle et le chapeau de la comtesse, qu’il tient toujours.

Et puis j’aime toutes ces petites choses-là !... ces petits pompons !... ces petites... C’est gentil !... çà m’amuse !...

LA COMTESSE, dans le bosquet.

Cette habitation est délicieuse.

Air : De Délia et Verdican.

ADÈLE, bas à Frédéric.

Je ne crois pas vos promesses frivoles.

FRÉDÉRIC.

Un mot d’amour ?

ADÈLE.

Je dois le refuser.

FRÉDÉRIC.

Ah ! vos regards démentent vos paroles,
Sur cette main je veux prendre un baiser.

Il lui baise la main.

N’en doutons plus, elle va s’apaiser...

LA COMTESSE, dans le bosquet.

Allez au château, Frédéric ; vous viendrez dans une heure avec la voiture...

FRÉDÉRIC.

Oui, Madame.

Il va pour sortir.

Suite du couplet.

ADÈLE.

Vous commander, quelle audace !
Et vous le souffrez, je crois !

FRÉDÉRIC.

Si vous étiez à ma place,
Vous feriez tout comme moi.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

LA COMTESSE, ADÈLE

 

LA COMTESSE.

Es-tu pour longtemps ici ?

ADÈLE.

Pour une partie de la belle saison.

LA COMTESSE.

Moi, je compte rester à la campagne jusqu’à la fin de l’automne !... On dit qu’il y aura cet hiver à Paris des bals charmants !... je me promets bien de n’en pas manquer un seul : et toi ?

ADÈLE.

Je ne sais pas.

À part.

Ah ! mon Dieu ! pourvu qu’elle ne veuille pas s’arrêter ici !...

LA COMTESSE.

Cependant tu aimes la danse ! à la pension tu dansais beaucoup !... Maintenant que je t’ai retrouvée, tu me donneras ton adresse à Paris, et nous nous verrons.

ADÈLE, hésitante.

Mon adresse ?...

À part.

Je suis au supplice.

LA COMTESSE.

Je ne me trompe pas, je crois bien me rappeler que tu nous a dit, au pensionnat, que ton oncle vivait de ses revenus à Paris.

ADÈLE, embarrassée.

Oui, oui... sans doute... mon oncle a une fort belle fortune... Et moi-même je suis une assez riche héritière...

À part.

Elle ne s’en ira pas...

 

 

Scène X

 

LA COMTESSE, ADÈLE, GERVAIS

 

GERVAIS.

Ah ! ah ! ma nièce avec une dame !

ADÈLE, surprise.

Ah !

À part avec dépit.

C’est mon oncle, il est en veste !...

LA COMTESSE.

Qu’as-tu donc ?

ADÈLE.

Rien...

À Gervais.

Je suis avec madame de Sénange, mon amie de pension, et je...

GERVAIS, saluant la comtesse.

Madame ! j’sommes ben flatté d’vous voir... et j’avons ben l’honneur d’vous saluer...

ADÈLE, bas à Gervais.

Je sommes !... j’avons !... comme vous parlez !...

GERVAIS.

Eh ! ben mais... est-c’que je n’parlons pas français !...

LA COMTESSE.

Quel est cet homme ?...

ADÈLE, embarrassée.

C’est... C’est un habitant... c’est un bon fermier qui demeure là...

Mouvement de Gervais.

LA COMTESSE.

Tes parents sont-ils aussi à la campagne ?

ADÈLE.

Mes parents... Ah ! tu veux dire si j’ai des frères, des sœurs... Non, je suis seule, avec...

Elle désigne Gervais.

GERVAIS, à part.

Ah ! ça mais est-ce qu’elle a peur de dire que j’sommes de la famille ?...

Haut à Adèle.

Ah ! ça, mon enfant...

LA COMTESSE.

Il t’appelle son enfant... Il paraît qu’il t’aime beaucoup, ce bon fermier.

ADÈLE.

Oui... Il m’a vu naître...

GERVAIS, à part.

Je n’sais pas, mais ma nièce à un air...

Il l’observe.

LA COMTESSE.

J’aime assez les manières de ces braves gens de la campagne, ils parlent avec une bonhomie !...

Air : Amis, voilà la riante semaine.

J’aime beaucoup cette amitié naïve,
J’aime surtout ce langage touchant,
D’un villageois qui, sitôt que j’arrive,
Avec bonté m’appelle son enfant !...

GERVAIS.

Oui, l’honnête homm’ qui cultive la terre,
Peut vous donner ce titre familier ;
Car s’il n’est pas tout-à-fait votre père,
Il est du moins votr’ père nourricier.

LA COMTESSE.

Vous avez raison, mon brave homme ; sans les gens de la campagne, ceux de la ville seraient bien à plaindre.

À Adèle.

J’espère que tu viendras me voir au château...

ADÈLE.

Oui, ma bonne amie, oui...

LA COMTESSE.

Je veux aller te voir aussi.

GERVAIS.

Si vous voulez entrer, madame ?

LA COMTESSE, à Adèle.

Ah ! tu demeures à la ferme même ?

ADÈLE, embarrassée.

Oui... On m’a ordonné de prendre du lait... pour ma santé...

LA COMTESSE.

Je puis entrer me reposer !...

GERVAIS.

C’est beaucoup d’honneur pour nous, madame la comtesse... Entrez donc, Adèle vous accompagnera.

ADÈLE, embarrassée.

C’est que l’intérieur d’une ferme...

LA COMTESSE.

Pour moi qui n’en ai jamais vu, ce sera délicieux !

Air : La loterie est la chance.

Ma chère, sois sans alarmes,
L’humble retraite des champs
Aura pour moi plus de charmes
Que mes beaux appartements.
C’est un spectacle agréable.

ADÈLE.

Dieu ! que je souffre en ce jour !

GERVAIS.

On vous fera voir l’étable,
Les pigeons, la basse cour...

Ensemble.

ADÈLE, à part.

Je ne suis pas sans alarmes !
Quoi ! l’humble maison des champs
À pour elle quelques charmes !
Ciel ! pour moi quel contretemps !

LA COMTESSE.

Ma chère, sois sans alarmes, etc.

GERVAIS, à part.

D’ma nièce j’vois les alarmes ;
De riches appartements
Pour elle auraient plus de charmes,
Que l’humble maison des champs.

La comtesse entre dans la ferme avec Adèle.

 

 

Scène XI

 

GERVAIS, seul

 

Je ne sais pas, mais ma petite nièce... Oh ! oh ! oh !... décidément elle a besoin d’une leçon... J’croyais encore tantôt qu’avec l’âge elle s’corrigerait de sa petite vanité, qui n’est pas mince... C’est encore ben jeune... et pis ça s’est vu à Paris avec des demoiselles ben au-dessus d’elle ; mais où diable son père avait-y l’idée ?... C’est lui qu’est la cause de tout, car c’te pauv’ petite, qui n’a encore rien vu qu’sa pension et son village... et c’est qu’ça n’se r’ssemble pas du tout !... Allons, allons, gn’ya pas encore grand mal, mais il est temps de s’y prendre, et d’faire rev’nir dans l’bon chemin ce p’tit cœur-là, qui dans l’fond n’est pas mauvais... Gn’ya que c’t’orgueil qui lui tourne la tête... 

 

 

Scène XII

 

GERVAIS, ADÈLE

 

Adèle a été prendre un paysage dans le bosquet, et elle est prête à rentrer dans la ferme.

GERVAIS.

D’où viens-tu donc, comme ça ?

ADÈLE.

De prendre ce paysage, que mon amie a remarqué, et comme elle vient de reconnaître le point de vue qui m’a servi de modèle...

GERVAIS.

Écoute donc un peu ici... elle attendra ben un moment... Dis-moi, Adèle, qu’est c’que t’avais donc pendant que cette dame était là ?

ADÈLE.

Moi, je n’avais rien du tout.

GERVAIS.

Si fait, pardine, t’avais queuqu’chose ; t’avais l’air contrarié, décontenancé !...

ADÈLE.

Quelle idée !...

GERVAIS.

Est-c’que ma présence ?...

ADÈLE.

Ah !...

GERVAIS

Queuq’fois... d’vant c’te dame, qu’est ton amie de pension, j’crois, heim ?

ADÈLE.

Oui, c’est une amie de pension... Elle est bien heureuse...

GERVAIS.

Quoi qu’tu dis donc ?

ADÈLE.

Je dis qu’elle est bien heureuse... Elle est comtesse...

GERVAIS.

Ah ! nous y v’là, parce qu’elle est comtesse... Eh ben ! moi j’te dis qu’si tu m’aimais ben, tu te trouverais heureuse avec moi, et tu n’envierais pas l’sort des autres.

ADÈLE.

Ah ! que me dites-vous ! Quoi ! vous m’accusez de ne point vous aimer, quand tous les jours je gémis sur vos destins... sur l’état où le sort...

GERVAIS.

Bah ! Eh ben ! quoi donc ? j’faisons l’état qu’faisait mon frère, j’sommes fermier, comme était Mathurin, quoi !...

ADÈLE.

Mon Dieu ! je sais bien que mon père était fermier ; aussi est-ce en souvenir de sa mémoire que je voudrais que vous fussiez...

GERVAIS, l’interrompant par un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah !... En souvenir de sa mémoire... Ah ! ah ! ah !... Est c’que tu te gausses de nous, toi !... Voudrais-tu pas que j’fussions un marquis, un comte ?

Il rit.

Ah ! ah !...

Air : Tout comme ont fait nos pères.

Quoi tu d’sir’s pour moi d’la grandeur !
Pour moi, non, j’te l’confesse
C’n’est pas là d’ la tendresse :
Et si, dans le fond de ton cœur,
Tu souhait’s, morguenne,
Que je devienne
Aujourd’hui comte,
C’est qu’t’y trouv’rais ton compte ;
Car tu s’rais p’t’êtr’ comtesse aussi,
Mais, ça ne s’ peut pas, Dieu merci,
J’gard’ mon métier,
Et comm’ je rest’ fermier
Tu resteras fermière
En mémoir’ de ton père,
Oui, tu restr’as
(bis) fermière

ADÈLE, avec humeur.

Fermière ! fermière !... On dirait que vous prenez à tâche de me mortifier.

GERVAIS.

Te mortifier !... Quoi ! ma nièce, la profession de ton père, la mienne, te mortifie ! Je n’m’étais donc pas trompé, tu as rougi d’moi !...

ADÈLE.

Vous pourriez croire...

GERVAIS.

Oui, tout à l’heure, devant madame de Sénange, ton amie, tu as évité de m’appeler ton oncle...

ADÈLE, très émue.

Je vous assure que vous êtes dans l’erreur...

GERVAIS.

Eh ben ! prouve-le-moi en répondant franchement à la question que je vais te faire... Pourquoi Lucas, dont la famille estimable est connue de nous d’puis longtemps, dont la fortune est égale à la nôtre ; pourquoi Lucas, à qui j’ai promis ta main de ton propre consentement, est-il maintenant rejeté, par toi, pour un inconnu ?

ADÈLE.

Parce que M. Frédéric me plaît, et que Lucas...

GERVAIS.

A cessé de t’plaire... Mais si j’te faisions apercevoir le danger où tu t’exposes en voulant épouser un homme que tu n’connais pas ? si j’te d’mandions en grâce de r’venir à c’premier amant, qui t’a aimée dans ton enfance, et dont l’père est mon ami, et si enfin j’pouvions parvenir à t’prouver qu’il y va d’ton bonheur et du mien... Que m’répondrais-tu ?

ADÈLE.

Je vous répondrais que j’aime beaucoup Lucas, parce que c’est un honnête garçon ; mais que je ne peux pas l’épouser... Mon éducation me donne des droits...

GERVAIS.

Corbleu ! mademoiselle... savez-vous que si je n’me r’tenais !... C’était ben la peine d’vous envoyer à Paris, pour vous en voir rev’nir avec tant d’suffisance et d’vanité.

Air : Il me faudra quitter l’empire.

Oui, j’en conviens, je mérite le blâme,
Car je croyais qu’un’ belle éducation
En f’sant germer la vertu dans ton âme,
Viendrait orner ton cœur et ta raison ;
Et ť f’rait trouver l’ bonheur dans ma maison.
En toi pourtant un sot orgueil murmure ;
De la scienc’ v’là donc le résultat !...
Ça s’voit ainsi queuqu’fois dans notre état ;
Des fruits amers sont, malgré la culture,
Tout c’que produit un sol ingrat.

ADÈLE.

Mais je vous assure...

GERVAIS.

C’en est assez, mad’moiselle ! Aujourd’hui même j’vous donn’rons mon consentement à vot’ mariage avec M. Frédéric.

ADÈLE.

Mon oncle !

GERVAIS.

C’en est assez, vous dis-je, retirez-vous !

ADÈLE.

J’obéis...

Elle rentre dans la ferme.

 

 

Scène XIII

 

GERVAIS, un peu après LUCAS et FRANÇOIS

 

GERVAIS.

Le v’là c’consentement que j’donnons à c’qu’elle épouse son M. Frédéric ; mais c’est que j’y mets une condition, qu’si elle l’accepte... mais non, je n’pouvons pas la croire capable d’ça.

LUCAS et FRANÇOIS, accourant.

Ah ! père Gervais ! père Gervais !...

GERVAIS.

Eh ben ! quoi donc qu’c’est ?... qu’est c’qu’ils ont donc eux autres ?

LUCAS.

J’avons une fière nouvelle à vous apprendre, allez !

FRANÇOIS.

Oh ! oui, allez ! et une fameuse !...

LUCAS.

Vous allez voir !...

FRANÇOIS, à Gervais.

Air : du Solitaire.

Vous qu’avez d’ la finesse,
D’vinez quel est c’monsieux...

LUCAS.

Qui chaqu’ jour à vot’ nièce
Vient faire les doux yeux ?

FRANÇOIS.

C’ monsieux plein d’éloquence
Dont l’état est si haut.

LUCAS.

Qu’Adèle a l’innocence
D’ croire un homm’ comme il faut.

GERVAIS.

Eh ben ! qui qu’c’est donc ?

FRANÇOIS.

Eh ben !

Cet homme d’importance
Eh ben ! c’n’est
Qu’un valet !

GERVAIS.

Un valet ! 

TOUS.

Un valet ! (ter.)

LUCAS.

Ah ! mon Dieu ! oui !... l’domestique de madame la comtesse, ni pus, ni moins !

FRANÇOIS.

Ah ! mon Dieu ! oui ! un domestique ! un pur domestique ?

GERVAIS.

Comment !... il s’pourrait !...

FRANÇOIS.

J’venons d’apprendre ça au château.

LUCAS.

Et j’allons ben vite dire ça à mams’elle Adèle.

GERVAIS.

N’vous avisez pas d’ça... je vous l’ défendons ben ! ça dérangerait tous mes projets. J’voulons, au contraire, qu’tu r’mettes toi-même c’te lettre à ma nièce.

LUCAS.

Et quoi qu’y a dans c’te lettre ?

GERVAIS.

Mon consentement à c’qu’elle épouse ton rival.

LUCAS.

En c’cas, je n’voulons pas.

FRANÇOIS.

Prends donc toujours... Mon oncle a plus d’esprit qu’toi et qu’moi, et s’il t’charge d’ça, c’est qu’il y a queuqu’chose là-dessous.

LUCAS.

À la bonne heure.

Il prend la lettre, et regarde dessous.

GERVAIS.

Et j’exigeons d’vous deux qu’vous m’donniez vot’ parole d’honneur de n’lui rien dire de c’que vous v’nez d’apprendre sur Frédéric.

LUCAS.

Comment ! faut pas l’y dire que c’est un domestique ?

GERVAIS.

J’vous l’défendons, et, j’vous l’répète, j’exige de vous deux un serment.

LUCAS et FRANÇOIS.

Ah ! j’vous jurons sur not’ honneur de n’lui rien dire.

GERVAIS.

Ça suffit. J’allons vous envoyer Adèle...

Il entre dans la ferme.

 

 

Scène XIV

 

LUCAS, FRANÇOIS

 

LUCAS.

Ah ça ! pourquoi qu’Gervais agit comme il agit ? à quoi ça aboutit-t’y ?

FRANÇOIS.

Dam ! c’est qu’il a ses raisons, c’t’homme ! t’entends ben, un tuteur... c’est pas comme toi et moi !...

LUCAS.

Eh ben ! comm’quoi qu’ c’est un tuteur ?

FRANÇOIS.

Un tuteur ?

LUCAS.

Oui.

FRANÇOIS.

Tu n’ sais pas c’ que c’est qu’un tuteur ?...

LUCAS.

Non.

FRANÇOIS.

Tiens ! est-y drôle ?... у n’ sait pas c’ que c’est qu’un tuteur !... Un tuteur, un tuteur, vois-tu, c’est un homme, qu’est comme un père, mais qui n’est pas père, vois-tu ; c’est un homme qu’a des enfants, mais ces enfants-là, c’est pas à lui ; et ils sont en bas âge : alors quand leux père est mort, la famille s’amasse, et alors on nomme un tuteur qui soigne leux bien tant qu’ils sont en bas âge, et jusqu’à c’ qu’ils soient majors ; quand ils sont majors, on appelle le tuteur ; on lui dit comme ça : Dites donc, tuteur, qu’on lui dit ; v’là vos enfants majors, faut leux y rendre des comptes ; alors le tuteur rend des comptes ; gn’y en a qui n’veulent pas ; mais c’est égal, faut toujours qu’ils rendent... sinon, on les appelle à la municipalité...

LUCAS.

Silence !... la v’là ! Oh ! là là...

FRANÇOIS.

Tiens-toi donc, voyons.

Ils se tiennent un peu à l’écart.

 

 

Scène XV

 

LUCAS, FRANÇOIS, ADÈLE

 

ADÈLE, se croyant seule.

Mon oncle est en colère !... que dis-je ? il est blessé... blessé au cœur... et c’est moi qui en suis cause... Tout-à l’heure, en me disant que Lucas avait quelque chose à me remettre, il ne m’a point regardée ; il m’a parlé avec un air de froideur ! Ah ! que cela me fait de mal !...

FRANÇOIS, bas à Lucas.

Vois-tu, ça lui fait mal, à c’te jeunesse...

LUCAS.

Ah ! ça, dis donc, il faut toujours que j’ l’y remettions c’papier.

FRANÇOIS.

Attends !... faut préparer ça adroitement et douc’ment, pour pas que ça lui fasse d’effet...

S’approchant brusquement d’Adèle.

Cousine, Lucas va vous r’mettre l’consent’ment de vot’oncle, pour que vous épousiez M. Frédéric !...

LUCAS, le lui donnant.

Le v’là, mams’elle.

ADÈLE, ouvrant la lettre.

Ah ! mon Dieu ! quel trouble s’empare de moi !...

FRANÇOIS, bas à Lucas.

Vois-tu... comme ça, ça n’a pas l’air...

ADÈLE, lisant.

Que vois-je !... Le consentement à mon mariage avec M. Frédéric, à condition que je quitterai ce village... Mon oncle me déclare qu’il ne me reverra jamais. Ah ! grand Dieu ! qu’ai-je lu ?... Qui, moi... le quitter !...

LUCAS.

Eh ben ! mam’selle, quoiqu’j’allons dire au père Gervais ?

ADÈLE.

Vous allez le savoir.

Elle va sous le bosquet, et écrit.

FRANÇOIS, à Lucas.

Laisse-la donc ; tu vois ben qu’elle va copier des verses.

ADÈLE, écrivant.

Air : Ni jamais, ni toujours.

Il est temps, je le vois,
Que mon âme s’éclaire !...

Elle écrit.

Gervais sera, de moi,
Plus content, je
l’espère !

Elle écrit.

À peine à mes torts j’ai songé,
Déjà mon cœur est soulagé !

Tenez, François, faites-moi le plaisir d’aller au château, et de remettre ce billet à M. Frédéric.

Elle donne à François le billet qu’elle vient d’écrire.

FRANÇOIS.

Ben volontiers, ma cousine.

LUCAS.

Et peut-on savoir, sans êtr’trop curieux...

ADÈLE.

Ce qu’il contient ? Oui, je vais vous le dire : je lui déclare qu’il doit renoncer à ma main ; c’est ma réponse à la lettre de mon oncle !

LUCAS, joyeux.

Comment ? c’est possible ! ah ! jarnigoi !

FRANÇOIS.

C’est très ben ça, cousine !... J’allons donner un coup de pied jusqu’au château, et j’s’rons bientôt r’venu, allez ! Ah ! c’est que j’veux voir comment le père Gervais va être joyeux... C’est pis qu’une fête un événement comme ça... j’voulons être témoin d’tout ça, moi d’abord. Ah ! queux déboire pour le grand long ! J’vas lui porter des verses

Montrant le billet d’Adèle.

au grand long ! au grand jockey ?

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

ADÈLE, LUCAS

 

LUCAS.

C’est-y-vrai, mam’selle, c’ qu’il vient d’ dire là, vot’ cousin ?

ADÈLE.

Je veux bien rompre avec votre rival, pour me réconcilier avec mon oncle... sans doute un pareil sacrifice sera suffisant...

LUCAS.

J’entends c’ que vous voulez dire, mam’selle ; mais comme vous m’avez aimé aut’ fois...je pensais qu’ vous pour riez p’t’êt’ ben n’ pas m’trouver haïssable à présent : je n’sommes ni plus bête, ni plus laid qu’dans c’temps-là...

ADÈLE.

Qui vous parle de cela ?

LUCAS.

Au fait, pourquoi je vous déplais ? Parc’que j’ n’avons pas étudié, que j’ parlons mal...Si vous aviez voulu... vous m’auriez appris... Ah ! comme j’aurions été docile à vos leçons ! et comme ç’aurait été agréable pour vous d’ pouvoir vous dire en vous-même... Il n’a pas pu s’instruire ! Eh ben ! puisque j’ai de l’éducation, j’veux qu’il me doive la sienne ; il en s’ra r’connaissant... Oh ! oui, j’en aurions été r’connaissant toute ma vie ! Entre un joli p’tit magister comme vous, et un écolier comme moi, les progrès vont grand train, et du moins vous auriez fini par trouver dans c’pauv’ Lucas, qui vous aime tant, une société digne de vous et de ce bon Gervais, dont vous auriez fait l’ bonheur et l’mien !...

ADÈLE, à part.

Il me touche malgré moi.

Haut.

En vérité, Lucas, vous n’avez jamais été si éloquent !...

LUCAS.

C’est que j’n’osais pas.

ADÈLE.

Eh bien ! nous verrons.

LUCAS.

V’là donc tout c’que vous m’dites ?

ADÈLE.

Oui... il faut que j’aille trouver mon oncle, que je me réconcilie avec lui.

LUCAS.

Vous avez raison !... Si vous voulez, j’allons toujours le préparer, sans lui dire que c’est vous qui m’en avez chargé...

ADÈLE.

Oui, allez... je vous en prie...

LUCAS.

Air : Mon cœur à l’espoir s’abandonne.

Ah ! quel bonheur ! j’entre vite à la ferme
Dire à vot’ oncle un si prompt changement.
Tous nos chagrins auront enfin un terme ;
Ce bon Gervais comme il sera content !

ADÈLE.

Je vais prouver à mon oncle, que j’aime,
Que si l’orgueil un moment m’éblouit,
Chez moi le cœur resté le même
N’eut point de part dans les torts de l’esprit.

LUCAS.

Ah ! quel bonheur ! etc.

ADÈLE, en même temps que Lucas.

Allez, Lucas, allez vite à la ferme
Dire à mon oncle un si prompt changement !
Tous nos chagrins auront enfin un terme ;
Ce bon Gervais comme il sera content !

Lucas entre dans la ferme. Frédéric arrive par le fond du théâtre.

 

 

Scène XVII

 

ADÈLE, FRÉDÉRIC

 

FRÉDÉRIC, à part.

Bon ! madame la comtesse n’y est pas...

ADÈLE, allant au bosquet, elle aperçoit Frédéric.

Ah !... quoi ! monsieur, c’est vous...

FRÉDÉRIC, tenant le billet d’Adèle.

Air : Pour noble princesse (de la Lampe.)

De noble fermière,
Las ! on me remit
Trop funeste écrit,
Lettre bien sévère !...
L’amant le plus pur
Reçoit-il, ma mie,
De main si jolie,
Poulet aussi dur ?...

ADÈLE.

Je vous le répète, monsieur, rien n’est plus sérieux que la détermination que j’ai prise de ne plus vous voir.

FRÉDÉRIC.

Au moins vous me direz pourquoi.

ADÈLE.

Je vous prie de m’en éviter la peine.

FRÉDÉRIC.

Oh ! j’y suis !... c’est à cause de madame la comtesse ?... Je ne prendrai pas la peine de me justifier ; oh ! mais rassurez-vous, il est bien vrai que j’ai pour elle les plus grands égards !... je suis aux petits soins pour elle !... ça va même jusqu’au plus profond respect, mais ça ne va pas plus loin...

ADÈLE.

Mon Dieu ! monsieur... Il ne s’agit pas...

FRÉDÉRIC.

Je vous le certifie !... Si je lui ai jamais dit un seul mot d’amour, je veux que le diable m’emporte !... Ah ! pardon... vous me faites jurer !... D’ailleurs c’est que madame la comtesse ne le souffrait pas ! Ah ! bien oui ! vous ne la connaissez guères... Adèle, je vous en prie, si ça vous est égal, ne me donnez pas le coup de la mort.

Il a l’air désespéré.

Ensemble.

FRÉDÉRIC.

Air : De Léonide.

Doucement s’il vous plaît,
Expliquez-moi de grâce
Comment donc il se fait
Que mon cœur vous déplait.

ADÈLE.

Doucement, s’il vous plaît,
Éloignez-vous de grâce.
Vous devez en effet
M’oublier tout-à-fait.

 

 

Scène XVIII

 

ADÈLE, FRÉDÉRIC, LA COMTESSE, GERVAIS, LUCAS

 

Ils sortent de la ferme et restent derrière Frédéric et Adèle.

FRÉDÉRIC.

Pour finir mes cruelles peines
Faut-il tomber à vos genoux ?

ADÈLE.

Toutes vos instances sont vaines
Vous ne serez point mon époux.

FRÉDÉRIC, à genoux.

Comment a-t-il pu vous déplaire
Cet amant fidèle à sa foi ?

ADÈLE.

Un amant n’est plus rien pour moi
Lorsqu’à mon oncle il ne peut plaire.

TOUS, toujours sans être vus d’Adèle.

C’est fort bien !
C’est très bien !
Adèle, ta conduite
Mérite
En ces instants
Tous nos embrassements !...
Doucement,
etc.

 

 

Scène XIX

 

ADÈLE, FRÉDÉRIC, LA COMTESSE, GERVAIS, LUCAS, FRANÇOIS, ayant un paquet sous sa veste, et dans sa main, derrière son dos, le chapeau de livrée de Frédéric, qu’il donne à tenir à Lucas

 

FRANÇOIS, à Frédéric, lui présentant son habit de livrée.

Dites-donc, M. Frédéric, vous d’vez avoir chaud... Si vous vouliez changer d’habit.

LUCAS.

Et d’chapeau.

Il lui met le chapeau galonné sur la tête.

Là... d’crainte de vous enrhumer... Madame la comtesse veut vous parler.

LA COMTESSE.

Eh bien, Frédéric ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment donc ! Mais !... jusqu’à mes amies que vous voulez subjuguer ?...

ADÈLE.

Que veut dire ceci ?

LA COMTESSE.

Que M. Frédéric est mon domestique.

FRÉDÉRIC, à Adèle.

Oui, par circonstance j’ai l’honneur d’appartenir à madame la comtesse.

LA COMTESSE.

C’est assez...

GERVAIS, à Adèle.

Comment, vrai ! tu ne savais pas ?... Eh ben ! tant mieux, mon enfant, ton repentir n’en est qu’plus méritoire !

ADÈLE.

Mon oncle ! mon second père !... vous daignez me pardonner !...

GERVAIS.

Oui, mon enfant ! oui !... N’parlons plus d’ça !...

LUCAS.

Et moi, mam’selle ?...

ADÈLE.

Lucas, vous serez mon époux.

LUCAS.

Oh ! queux bonheur !

LA COMTESSE.

Quant à vous, Frédéric, je vous conseille à l’avenir, de borner vos bonnes fortunes à l’antichambre.

FRÉDÉRIC.

Ça suffit, madame, on retournera à l’antichambre, il n’y a pas de déshonneur à ça... J’ai voulu me lancer au salon, pas moyen : ce qui réussit à l’un ne réussit pas à l’autre. Je serai plus heureux une autre fois ; quand on a de la tenue et du physique, on est toujours sûr de... En attendant je m’en vais reprendre mon petit traintrain comme si de rien n’était, parce que je suis philosophe, moi !... La preuve, c’est que voilà mon habit de livrée : c’est un habit rouge, et je n’en rougis pas, attendu que, dans aucune circonstance, on ne doit jamais rougir de son état.

Chœur final.

Air : des Rendez-vous bourgeois.

TOUS.

C’est à tort qu’on envie
Les honneurs de la vie ;
Bon cœur
Et modestie,
Voilà le vrai bonheur !

ADÈLE, au public.

Air : du vaudeville de Turenne.

L’orgueil faillit m’être funeste,
Oui, j’en conviens, je m’égarais ;
Mais quand je deviens plus modeste,
Puissiez-vous être satisfaits
De mon retour, de mes regrets !
D’un bon parent qui me tient lieu de père,
Quand la leçon dissipe mes erreurs,
Ah ! n’allez pas à nos auteurs
En donner une plus sévère.

TOUS.

C’est à tort qu’on envie, etc.

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