Le Triomphe de l’hiver (Jean DE PALAPRAT)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 29 novembre 1694.

 

Personnages

 

L’ORDONNATEUR

LE MARQUIS

L’OPÉRA

LA COMÉDIE

L’HIVER

LE CHŒUR

LA FORTUNE

LE CARNAVAL

L’AMOUR

LE BAL

 

Le Théâtre représente une salle ornée d’une Tapisserie de Damar garnie de frange d’Or, avec quantité de tableaux des Dames de la Cour, éclairés par des Girandoles.

 

 

L’Ordonnateur, devant une table travaillant en Musique.

LE MARQUIS, chantant et dansant.

Palsanbleu Mr. l’Ordonnateur, nous allons voir ce que vous avez dans le ventre, pour peu que vous ayez de dispositions pour la Musique, nous vous aiderons sur ma parole, on parlera pour vous à la Cour ; je vous protègerai ; je puis quelque chose dans ce pays-là au moins.

L’ORDONNATEUR.

C’est bien de la grâce que vous me faites, Mr. le Marquis.

LE MARQUIS.

Quels papiers tenez-vous là ?

L’ORDONNATEUR.

Ce sont des rôles que je vais distribuer aux acteurs.

LE MARQUIS.

J’ai parbleu bonne opinion de votre divertissement, cela sera joli sur mon honneur ; qu’est-ce que c’est ?

L’ORDONNATEUR.

Le triomphe de l’hiver Monsieur.

LE MARQUIS.

Comment, Morbleu, le triomphe de l’hiver ! cela sera charmant : où avez-vous pêché ce titre là, le triomphe de l’hiver : qu’elle heureuse imagination, voilà la plus jolie idée de France, le triomphe de l’hiver. 

L’ORDONNATEUR, chante.

De toutes les faisons le seul hiver m’enchante.

LE MARQUIS.

Le triomphe de l’hiver ! cela plaira aux troupes.

L’ORDONNATEUR.

J’espère Monsieur que... 

LE MARQUIS.

Nos jeunes gens de la Cour ne doivent pas jouer-là les plus mauvais rôles dans votre divertissement, n’est-ce pas.

L’ORDONNATEUR.

Monsieur... le.

LE MARQUIS.

La bourgeoise a-t-elle sur les doigts-là dedans ; elle brille l’été aux Tuilleries, mais quand l’hiver approche on la resserre dans ses bornes ; je me donne au diable tous nos guerriers vous sont bien obligés de travailler ainsi à leur plaisir, et à leur gloire.

L’ORDONNATEUR.

Je souhaiterais que...

LE MARQUIS.

Les coquettes de Paris ne vous sont guères moins redevables ; c’est leur triomphe à elles que cette saison, et le quartier d’hiver les rafraîchit presque autant que les Officiers. Il ne faut pas demander si l’amour à un beau rôle dans la pièce.

L’ORDONNATEUR.

Je crois, Monsieur...

LE MARQUIS.

Oui, oui, oui, on revient de l’armée le cœur plein de tendresse, et les mêmes soins qu’on a pris au printemps pour faire son équipage de campagne, on le prend au retour pour goûter les plaisirs de l’amour ; de jolies grisettes, des coquettes de qualité, des riches, vielles, voilà l’équipage d’hiver d’un Officier de bon sens.

L’ORDONNATEUR.

On ne peut parler...

LE MARQUIS.

Allons Mr. l’Ordonnateur, un petit échantillon de votre divertissement.

L’ORDONNATEUR.

Je crains Monsieur.

LE MARQUIS.

Je suis délicat au moins, et je vous apporte les deux plus fines oreilles qu’il y ait en France, on est connaisseur comme vous savez.

L’ORDONNATEUR.

Tant pis, cela n’ira peut-être pas comme...

LE MARQUIS.

Cela n’ira pas ? Oh je m’en mêlerai, laissez-moi faire, quand je suis quelque part, il faut que la symphonie aille, où qu’elle dise pourquoi je voudrais par bleu bien que la Musique s’avisât de broncher devant moi.

L’ORDONNATEUR.

Une première répétition ne peut pas...

LE MARQUIS.

Oh ! ne vous mettez pas en peine, c’est aux dépens de Mr. Damis, que se fait le divertissement ?

L’ORDONNATEUR.

On me la fait entendre ainsi, et...

LE MARQUIS.

On vous a fait entendre juste, et si je m’en mêle moi, cela réussira, une tête qu’un partisan paye et qu’ordonne un homme de qualité ne saurait manquer d’être agréable.

L’ORDONNATEUR.

Allons Messieurs du divertissement, avancez s’il vous plaît.

La marche qui donne le temps aux Acteurs de se placer sur le devant du Théâtre.

LE MARQUIS.

La malepeste Monsieur l’Ordonnateur vous avez là de jolies actrices, je veux faire la fortune de celle-là ; oh ! le divertissement plaira sur ma parole.

L’ORDONNATEUR.

Venez Monsieur voilà votre rôle, vous ferez l’hiver s’il vous plaît.

LE MARQUIS.

Ah ! Monsieur de l’hiver j’ai bien de la joie de vous devoir, fera-t-il bien froid cette année ?

L’ORDONNATEUR.

Vous savez qu’ordinairement on peint l’hiver, triste, chagrin, soufflant dans ses doigts, fourré jusques aux oreilles : ce n’et point là le caractère qu’il faut prendre, c’est l’hiver des vieillards que celui-là, pour vous vous êtes l’hiver des jeunes gens, un hiver gai plaisant, enjoué, environné de plaisirs, un hiver libertin, Coquet, joueur, un peu ivrogne même quelques fois, enfin un hiver triomphant, un hiver fait pour plaire aux Dames.

LE MARQUIS.

Oui un hiver à bonnes fortunes, un hiver qui n’a pas toujours des mitaines.

L’ORDONNATEUR.

Pour vous Mademoiselle vous êtes la Comédie, et voilà votre rôle ; songez s’il vous plaît à le jouer avec enjouement, vous n’êtes pas de ses vieilles Comédies du temps passé, vous êtes une de ces pièces à la mode, brillantes, sans beaucoup de solidité, agréables parce qu’elles sont nouvelles, et que tout le monde vient voir en foule, une première fois pour dire je l’ai vue.

LE MARQUIS.

Oh ! palsambleu voilà une jolie pièce de théâtre, elle sera du goût de tout le monde, celle-là ; on n’a hardiment qu’à la mettre au double.

L’ORDONNATEUR.

Songez à plaire sur tout, vous savez que l’hiver est le protecteur de la Comédie.

LE MARQUIS.

Tout franc elle lui a bien de l’obligation. L’été il semble que le théâtre porte le deuil de l’absence des Officiers, on n’y voit que des Abbés ou des Colonels de Robe.

L’ORDONNATEUR.

Pour vous Monsieur voilà votre partie, vous êtes l’Opéra.

LE MARQUIS.

Vertu de ma vie Monsieur de l’Opéra, le délicieux poste qu’on vous donne là ; je voudrais de tout mon cœur être à votre place, que de jolies filles vous allez régenter.

L’ORDONNATEUR.

Et pour vous Mademoiselle vous serez la fortune du jeu, la déesse qui préside au lansquenet.

LE MARQUIS.

Ah ! la maudite déesse ; elle n’est pas toujours du goût des troupes, combien de pauvres Officiers passent tristement la campagne pour avoir trop mis l’hiver à la réjouissance.

L’ORDONNATEUR.

Vous Monsieur vous voulez bien être le bal, vos déguisements et vos intrigues nocturnes, ne sont pas d’un petit agrément ; et vous servez au triompha de l’hiver aussi parfaitement que qui que ce soit.

LE MARQUIS.

Quel choix il fait de ses personnages, et avec quelle justesse il donne les rôles, le bal, y a-t-il quelqu’un dans le monde qui ait une taille plus fine que la danse.

L’ORDONNATEUR.

Prenez un air aisé Monsieur-là...faites l’agréable.

LE MARQUIS.

Oui, levez la tête, les bras, désossez cet estomac sortant, effacez-moi cette croupe, voilà un garçon dont on fera quelque chose.

L’ORDONNATEUR.

Approchez-vous Monsieur, s’il vous plaît, on vous à destiné le personnage du Carnaval, c’est vous qui présidez aux plaisirs de la table, à la bonne chère, prenez s’il vous plaît une trogne épanouie, un visage gai, là, des airs qui conviennent au sujet.

LE MARQUIS.

Laissez le faire il jouera son rôle à merveille, je connais mes gens ; écoutez pour représenter le Dieu des festins, il ne vous fallait pas un corps de moindre volume, et voilà peut-être un des plus beaux garde mangers qu’il y ait en France.

L’ORDONNATEUR.

Je l’ai choisi pour cela.

LE MARQUIS.

Que de ragoût, que de Vin de Champagne, il faut pour remplir cette bedaine là, je me donne au Diable si le ventre de Mr. du Carnaval ne rendrait plus de provisions de bouche qu’il n’y en a dans la cave d’un fermier général le lendemain même des étrennes.

L’ORDONNATEUR.

Pour vous petit homme, vous êtes l’amour, faites bien valoir vos talents. Vous êtes après Mars le Dieu le plus respecté des guerriers, ils vous font la Cour et combattent tous pendant l’hiver sous vos drapeaux.

LE MARQUIS.

Ils y sont quelques fois vivement blessés, et ces sortes de blessures d’hiver sont incommodes pendant l’été.

L’ORDONNATEUR.

Allons Monsieur, il est temps de commencer. Jouez s’il vous plaît cette petite ouverture.

LE MARQUIS.

Donnez-moi cela je veux battre la mesure, allons piquez-moi cela comme il faut.

Ouverture.

L’HIVER.

Malgré la neige et les glaçons.
Je tiens le premier rang sur toutes les saisons
Je chasse les frayeurs mortelles,
Que cause l’affreux bruit de Mars,
Je bannis : le bourgeois et l’Abbé des ruelles,
Et rassemble de les lieux mille guerriers épars.
Toute la bande des coquettes,
Marquises, Bourgeoises Grisettes,
Qui jeunent depuis le printemps,
Sans mon retour passeraient mal leur temps.

LE MARQUIS.

Échauffez-vous Mr. l’Hiver, ferme, ferme, du feu dans ce dernier couplet... 

Toute la bande des coquettes, etc.

N’est-ce pas cela Mr. l’Ordonnateur nous y entendons quelque chose, comme vous voyez.

L’ORDONNATEUR.

Assurément on ne peut rien de mieux.

L’HIVER.

Vous qui suivez mes pas aimable passe-temps,
En ma faveur s’il est possible,
Redoublez vos yeux et vos chants ;
Faites voir qu’en ces lieux l’hiver le plus terrible,
Vaut mieux que le plus beau printemps.

LE MARQUIS.

Faisons voir qu’en ces lieux l’hiver le plus terrible,
Vaut mieux que le plus beau printemps.

Le chœur répète faisons voir, etc.

LE MARQUIS.

Cela est fort bien Mr. l’Ordonnateur voilà un chœur composé de voix glapissantes, qui a son mérite. Il ya du nouveau là dedans, j’y trouve une certaine discordance-là, jamais l’Opéra n’arrivera-là, une certaine discordance, qui n’exprime pas mal le désordre des plaisirs de l’hiver.

LA COMÉDIE.

Sans la Comédie.
Et ses traits piquants...

L’OPÉRA.

Sans l’Opéra les ballets et ses champs.

L’ORDONNATEUR.

Mais vous ne devez pas chanter ensemble.

LA COMÉDIE.

Non Monsieur, mais par toutes sortes de raisons, c’est moi qui doit marcher la première à la suite de l’hiver.

L’OPÉRA.

Vous me primez ? je ne le souffrirai pas...

LE MARQUIS.

Haye, haye, nous allons voir du désordre, Mr. de l’Opéra met sa chanterelle sur le haut ton.

L’ORDONNATEUR.

Selon ma partition, c’est à la Comédie à commencer.

L’OPÉRA.

Vous reformerez votre partition s’il vous plaît, car cela est autrement réglé dans ma tête, et la Comédie ne me primera pas assurément.

LA COMÉDIE.

Vraiment c’est bien à vous Monsieur le nouveau venu, qui ne brille que de mes dépouilles, d’oser me disputer le pas, moi qui ai une noblesse acquise de plus de deux mille ans.

L’OPÉRA.

Il est vrai vous êtes fort ancienne, et vos appas sont de si vieille date qu’ils sont presques tous effacés.

LE MARQUIS.

Je voudrais parbleu qu’ils se pussent battre ; ce n’est pas d’aujourd’hui qu’ils s’en veulent.

LA COMÉDIE.

Tout Musicien que vous êtes je ne crois pas que votre orgueil vous porte à faire comparaison avec moi.

L’OPÉRA.

Oh pour cela non je n’en fais point, et quelque soin que vous preniez pour me contrefaire vous ne pouvez être qu’un mauvais singe de l’Opéra, c’est quelque chose de beau que cet orchestre que vous avez planté dans votre Parterre, avec ces quatre ou cinq mauvais violons qui écorchent les oreilles.

LA COMÉDIE.

Il y a grande presse à vous imiter vraiment, et la Musique dont vous vous servez est une marchandise dont on fait grand cas dans le monde.

L’OPÉRA.

Marchandise qu’est-ce à dire ? appeler de la Musique de la Marchandise, Messieurs...

LE MARQUIS.

Cela est fondé, cela est fondé cette Comédie est une satyrique qui mort bien serré, ne la chagrinez point Monsieur de l’Opéra, n’ayez point de dispute pour vous mettre d’accord, chantez vos airs en forme de Dialogue.

LA COMÉDIE.

Je suis fille d’accommodement, je consens à tout.

L’OPÉRA.

Je suis poli, ce n’est qu’en faveur du sexe que je vous cède.

L’ORDONNATEUR.

Allons donc que la Comédie commence.

LA COMÉDIE.

Sans la Comédie,
Et ses traits piquants,
Le plus beau jour ennuie.

L’OPÉRA.

Sans l’Opéra les Ballets et ses chants. 
Rien ne plaît dans la vie.

LE MARQUIS.

Oh rien ne plaît, rien ne plaît, la thèse est un peu trop générale, il y a bien des choses qu’on ne fait pas en chantant, et qui ne laissent pas de faire bien du plaisir.

LA COMÉDIE.

Tout rit en me voyant je chasse les soucis.
Je fais même oublier les dettes, 
Et je console les maris.
Quand ils ont des femmes Coquettes.

LE MARQUIS.

Oui da, c’est un soulagement à ses chagrins de pouvoir d’un coup d’œil voir quantité de ses confrères.

L’OPÉRA.

Rien ne résiste à mon art enchanteur.
Et la Musique en amour fait merveille.
Des plus fières beautés je fléchis la rigueur,
Et quand on sait charmer l’oreille.
On est bientôt maître du cœur.

LE MARQUIS.

Et quand on est maître du cœur.
On est bientôt maître du reste.

Vous êtes un gaillard Monsieur de l’Opéra on va d’abord au fait chez vous, on ne languit point.

L’OPÉRA.

Je prends l’Opéra par son bel endroit, et je le représente assez bien.

LE MARQUIS.

Vous représentez bien l’Opéra ? vous êtes bon tout au plus à lâcher les contrepoids, c’est un homme comme moi qui représenterais seul une Académie de Musique, Symphonie, Chanteurs, Décorations, habits, je suis le premier homme du monde. Faut-il dans une Coulisse Minauder quelques femmes dans les Loges, je porte le ravage et la flamme en tous lieux. Faut il donner la main à la descente d’une machine à quelque actrice qui n’a point encore mis le taux à les charmes, je vole, je vole. Faut-il accompagner une voix, Théorbe, plin plin plan plan. Aimez-vous mieux une basse de viole ta ta ta... Faut-il ordonner d’un pas de ballet ah ah ce pas de sissons l’entrechat, la pirouette, la Cabriole à droit à gauche, eh eh garnisons-nous le Théâtre à votre avis ?

L’ORDONNATEUR.

Cela est Merveilleux.

LE MARQUIS.

Pour la petite Déesse de Lansquenet elle est ma foi jolie, et il me semble que je l’aime plus qu’un autre.

LA FORTUNE.

C’est peut-être parce que je suis un plaisir défendu.

LE MARQUIS.

Oui da, oui da, cela, a son ragoût, mais cela ne vous fait pas aimer de tout le monde, et bien des gens se plaignent de vous.

LA FORTUNE.

On a tord de se plaindre de moi, et je fais pour le moins autant de bien que de mal. Je divertis les gens de qualités, j’occupe les Dames, je sers de patrimoine à ceux qui n’en ont jamais eu ; je fais vivre dans l’abondance et dans le plaisir ceux qui s’attachent à moi ; il est vrai que cela ne dure pas toujours, je suis sujette à de violents caprices, et ne paye pas toujours argent content.

LE MARQUIS.

Oui da, oui da ; pour être, payé des Dames, il faut prendre quelques fois certaine monnaie, qui n’a pas autrement de Cours dans le commerce.

LA FORTUNE.

Je ne me mêle pas de cela ; toute mon occupation n’est que de ranger mes affaires, rien ne me divertit tant que de mettre les bijoux d’une coquette dans le commerce, de faire porter les bronzes et les porcelaines d’un demi curieux chez d’Hôtel, ou chez Malafer, et d’envoyer les chevaux et le carrosse d’un petit Maître, au bureau des saisies mobilières, c’est là que de triomphe.

LE MARQUIS.

Voilà ce qui fait que tout le monde peste contre vous.

LA FORTUNE.

Ceux que je favorise sont des ingrats de ne pas prendre mon parti. Combien de maisons, combien d’équipages ne subsistent que par mes faveurs ; combien de soupers fondez sous mes auspices pour des garçons qui ne souperaient pas sans la fondation.

LE MARQUIS.

D’accord il n’y a guerre que des soupirs gratis qui leur fassent rompre leurs vœux d’abstinence.

LA FORTUNE.

Combien de femmes ne sont brodées que du Lansquenet des rondes.

LE MARQUIS.

Il y en a bien qui sans le valet de pique et le valet de carreau n’auraient point de Laquais pour porter leur queue.

LA FORTUNE.

Une table au tapis vert, une douzaine de chaises et une livre de bougies ; il n’en faut pas davantage pour rouler pendant toute l’année. 

LE MARQUIS.

Pourvu que la Maîtresse de Logis soit jeune et jolie ; car aux vieilles et aux laides on ne paye la ronde qu’en rechignant.

LA FORTUNE.

Et ne comptez-vous pour rien la commodité qu’ont les amants de se donner dans mes réduits des rendez-vous surs et sans conséquence.

LE MARQUIS.

Oh diantre on ne joue pas toujours chez vous aux jeux de hasard, cependant qu’un pauvre malheureux se donne le coupe gorge, une Coquette dans un coin prend quelques fois des mesures pour donner la vie à de pauvres petits innocents qui ne sont jamais les héritiers de leur vrai père, mais allons Mademoiselle la fortune ne nous donnez-vous pas aussi un petit air ?

LA FORTUNE.

J’ai peu de voix, je vous en avertis.

LE MARQUIS.

Empruntez celle de quelque premier pris au Lansquenet, on vous entendra de reste ; allons Messieurs de la balle continue ferme, réveillez-vous.

LA FORTUNE.

Pour avoir mes faveurs tout le monde s’empresse.
Chacun m’adresse.
Son encens et ses vœux.
En amour même on me caresse.
Et quand au jeu on est heureux.
Est-on malheureux en maîtresse.

LE MARQUIS.

Elle a ma foi raison, il y a bien des femmes qui ne s’attendrissent qu’à la vue de ces grandes bourses à raiseau bien pleines ; elles savent que ce qu’on gagne à un jeu on le perd souvent à un autre : voyons le reste Monsieur l’Ordonnateur.

L’ORDONNATEUR.

C’est au Carnaval et à l’Amour à paraître.

LE MARQUIS.

Ah ! que l’amour et le Dieu de la bonne chère sont bien ensemble, écoutez les plaisirs de la table mènent loin quelques fois.

Un peu de vin dans la tête.
Porte l’amour dans le cœur.
Un tendre amant est sûr de sa conquête
Quand la maîtresse à par bonheur.
Un peu de vin dans la tête

L’amour et le Carnaval voilà parbleu un couple qui vaut son pesant d’or.

L’AMOUR.

Je vous demande excuse ; je ne trouve pas cela si bien assorti que vous le dites, et je ne veux point figurer un gros vilain débauché comme celui-là ; voyez la belle Symétrie.

LE CARNAVAL.

Taisez-vous Petit Mirmidon, je vous fais trop d’honneur quand je veux bien me trouver avec vous.

L’AMOUR.

Je vous prie Monsieur que nous ne paraissons point ensemble ; je le hais à la mort, et c’est lui qui m’enlève toutes mes pratiques.

LE CARNAVAL.

Hélas mon pauvre enfant sans moi vous en auriez encore bien moins que vous n’en avez ; et la jeunesse d’aujourd’hui ne vous fait la Cour que quand elle est ivre.

L’AMOUR.

Parce que vous la débauchez : les jeunes gens autrefois s’enrôlaient sous mes drapeaux, aujourd’hui tout cela est changé, et ils ne connaissent plus d’autres Étendards qu’une Lanterne de Café, ou un bouchon de Cabaret.

LE MARQUIS.

Hé morbleu pour faire fermer les Cabarets que donnez-vous de l’argent aux Commissaires ; il y a déjà tant de filles de votre connaissance qui achètent leur protection !

LE CARNAVAL.

Je m’y opposerais ; les Cabarets sont nécessaires à la vie ; mais l’amour est un Dieu inutile présentement, et dont on se passerait fort bien dans le monde.

L’AMOUR.

On se passerait de moi ? l’univers ne subsiste pourtant que par mes soins ; tout ce qui respire est mon ouvrage, et bien vous en prend que votre mère n’ait pas toujours été rebelle à mes Lois, vous ne seriez pas si gras que vous êtes.

LE CARNAVAL.

Ne semble-t-il pas å l’entendre parler que soit lui qui soit l’ouvrier de tous les enfants qui viennent au monde ? allez petit vilain il n’y a tout au plus que ceux du côté gauche qui vous appartiennent, et il y en a bien peu de légitimes qui soient de votre façon.

L’AMOUR.

J’ai présidé à votre naissance, je vous en avertis.

LE CARNAVAL.

Taisez-vous petit fils de... Vous me donnez fort mal à propos vos qualités.

L’AMOUR.

Ah ! ah ! vous vous fâchez.

LE CARNAVAL.

Si les duels n’étaient pas défendus...

L’ORDONNATEUR.

Oh sans emportement de grâce, cela n’est point dans votre rôle, et les dieux de bon sens aussi bien que les hommes ne doivent jamais approfondir leur origine.

LE MARQUIS.

Vous êtes prudent Monsieur l’Ordonnateur, vous êtes prudent, si chacun voulait dégauchir la naissance, il serait plus difficile aux Généalogistes de faire des légitimes que des Nobles.

L’AMOUR.

Qu’on ne me fasse pas parler là dessus, je sais bien des choses, et si vous me fâchez Messieurs...

LE MARQUIS.

Ne fâchons point l’amour Monsieur du Carnaval, nous avons besoin de lui, et les femmes d’aujourd’hui sont si difficiles.

L’ORDONNATEUR.

Allons gai, du mouvement.

L’AMOUR.

Sans l’amour et sans sa flamme
Tout est sans plaisir et sans âme,
Amants désespérés que l’amour fait souffrir,
Ne soyez pas si fous que de vouloir mourir
La peine que je fais est à la fin suivie
D’un heureux sort,
Je donne toujours la vie.
Et jamais la mort.

LE MARQUIS.

Le petit amour fait merveille, voyons si ce gros coquin de Carnaval se tirera aussi bien d’affaire

LE CARNAVAL.

Il serait beau que ce morveux là l’emportât sur moi.
Nargue de l’amour.
Et de ceux qui lui font la Cour.
Si tu prétends que sur la terre
Amour on suive encor tes Lois
Change ton arc et ton carquois
Contre la bouteille et le verre.
Nargue de l’amour.
Et de ceux qui lui font la Cour.

LE MARQUIS.

Voilà par bleu un Carnaval qui chante comme une miniature ; allons Mr. du Bal, c’est à vous à entrer en danse, mais voyez quelle disposition, Mr. de l’Opéra, je le veux placer chez vous.

L’ORDONNATEUR.

On le viendra voir par curiosité.

LE BAL.

Écoutez, quoi que je fois un animal nocturne je n’en fais pas plus mal mes affaires au moins.

LE MARQUIS.

Eh ! non, non, comme tout le monde est masqué dans vos assemblées, rien n’est si aisé que de prendre la femme de son voisin pour la sienne, qu’est-ce que c’est que votre rôle, voyons.

LE BAL.

Mon rôle sera bientôt fait ; je ne chante pas ordinairement, mais je mène toujours avec moi une bande de violons qui vous feront danser jusqu’au jour s’y vous voulez.

LE MARQUIS.

Cela n’est pas de refus, je trouve la chose bien imaginée, mais la place me paraît bien étroite pour danser, allons Suisse faites faire place,

Le Suisse vient qui danse son entrée et fait faire place avec la Hallebarde.

LE MARQUIS.

Vive l’Hiver, profitons des bienfaits,
Que cette saison nous dispense.

LE CHŒUR.

Vive l’Hiver, profitons des bienfaits,
Que cette saison nous dispense.

LA COMÉDIE.

Mon théâtre par lui reprend tous ses attraits,
Et mes acteurs rentrent dans l’opulence,
Pendant l’été s’ils n’ont pas grand succès,
Un bon hiver les récompense.

L’OPÉRA.

Sans lui je ne ferais jamais,
D’un Opéra nouveau la superbe dépense.

LA FORTUNE.

Des bassettes des Lansquenets,
Il fait revivre l’espérance.

LE CHŒUR.

Vive l’Hiver, profitons des bienfaits,
Que cette saison nous dispense.

L’AMOUR.

S’il ne ramenait les plumets
Sous mon obéissance,
Je ne pourrais lancer mes traits,
Que sur les héros de finance,
Ou sur les guerriers du palais.

LE CARNAVAL.

De truffes, de jambons, de gibier, de fin Mets,
C’est l’hiver seul qui me remplit la pence

LE BAL.

C’est lui qui des ballets,
Des Menuets, des Triolets,
Des Tricolets, des Birolets,
Ramène la cadence.

LE CHŒUR.

Vive l’Hiver, profitons des bienfaits,
Que cette saison nous dispense.

LE MARQUIS.

C’est lui Messieurs qui désormais,
Attirera votre présence,
Si vous aimez nos intérêts,
Venez nous voir en abondance,
Et ne prenez pas garde aux frais.

LE CHŒUR.

Vive l’Hiver, profitons des bienfaits,
Que cette saison nous dispense.

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