Le Tapissier (Jacques-François ANCELOT - Alexis DECOMBEROUSSE)

Comédie en trois actes, mêlée de chants.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 5 janvier 1835.

 

Personnages

 

LE BARON DE VILLIERS, conseiller d’état

LA BARONNE DE VILLIERS, sa femme

LE COMTE DE VALERY, chambellan de l’empereur

MADAME DE ROSTANGES

MADAME DE COURCELLES

JULIE, femme de chambre de madame de Villiers

AUVRAY, tapissier, mari de Julie

MINARD, valet de M. de Villiers

ANTOINE, valet de M. de Villiers

DEUX AUTRES VALETS

 

La scène se passe vers 1810, au château du baron de Villiers, près de Soissons.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un jardin. À droite de l’acteur, pavillon avec treillage et une vigne. Grande porte vitrée au rez-de-chaussée ; petit étage au-dessus avec fenêtre. À gauche, allée couverte. Au lever du rideau, une échelle double de tapissier est auprès du pavillon.

 

 

Scène première

 

MINARD, puis AUVRAY

 

MINARD, arrivant arec mystère.

Pendant que M. Auvray, le tapissier, est au château, voyons si je ne pourrais pas dire deux mots à Julie. Tiens ! le mari qui laisse son échelle sous les fenêtres de sa femme, c’est une attention dont il faut que je profite...

Il monte.

c’est fort commode !

Il frappe aux carreaux.

Julie !... ouvrez !

AUVRAY, arrivant.

Eh bien ! où va-t-il donc celui-là ? Voilà qui est un peu fort, M. Minard.

MINARD, à part.

Le mari !... Oh ! oh ! je suis pris.

AUVRAY.

Pourriez-vous me dire ce que vous faites là, s’il vous plaît ?

MINARD.

Moi, M. Auvray ? Oh ! mon Dieu voilà ! Mon maître, M. le baron de Villiers, avait cru apercevoir une lézarde dans la muraille, une crevasse ; et en examinant, s’il faut tout dire, moi j’ai aperçu un raisin qui m’a fait envie... Oui...

AUVRAY.

Un raisin qui lui a fait envie... voyez-vous ça... Et vous vous disposiez à mordre à la grappe ? Se servir de mon échelle, encore... Ne vous gênez pas, c’est pour cela que je l’ai apportée. Allons, descendons.

JULIE, ouvrant la fenêtre.

Auvray, est-ce toi qui as frappé ?

AUVRAY.

Oui, oui, c’est moi.

JULIE, à sa fenêtre.

Attends... je te rejoins.

Elle se retire.

AUVRAY.

Et moi, je ne laisserai plus là mon échelle, comme un jobard...

MINARD.

Air : Je loge au quatrième étage.

Ne croyez pas, j’ vous en conjure,
Que j’eusse un coupable dessein.
Il ne s’agissait, je vous jure,
Que d’une grappe de raisin !

AUVRAY.

Que d’une grappe de raisin !

MINARD.

Pardonnez-moi si, pour la prendre,
De votre échelle je me sers...

AUVRAY.

Moi, je vous conseille d’attendre,
Car ces raisins-là sont trop verts.

Il emporte l’échelle dans le pavillon.

MINARD, à lui-même.

Après tout, s’il est jaloux, je m’en moque ; il fera une querelle à sa femme, et ça ne peut pas mé nuire.

AUVRAY, revenant en scène, à lui-même.

C’est singulier ! depuis qu’un autre amour, un amour qui n’a pas le sens commun, est venu me troubler la cervelle, je ne pensais plus à ma femme : je trouve ce grand laidron sur mon échelle, et voilà la jalousie qui me galope !... Le cœur d’un tapissier est une chose bien ridicule.

 

 

Scène II

 

MINARD, AUVRAY, JULIE

 

JULIE, arrivant.

Bonjour, mon petit Jacques.

Elle l’embrasse.

AUVRAY.

Bonjour, Julie !...

À part.

Cet animal s’imagine, parce qu’il porte un habit galonné, qu’il va tout de suite donner dans l’ail à ma femme... Attends ! attends !... je vais t’apprendre la modestie.

Il s’assied devant le pavillon, après avoir mis son tablier vert, prend un fauteuil entre ses jambes, et y attache l’étoffe avec de petites pointes, qu’il enfonce à coups de marteau. Julie est debout près de lui, d’un côté ; Minard est de l’autre. Après avoir regardé alternativement.

M. Minard, savez-vous comment s’est fait notre mariage ?

AUVRAY.

C’te drôle de question ; mais apparemment, comme tous les mariages. Vous avez mis un jabot, madame un bouquet de fleurs d’oranges...

MINARD.

Non, non, ce n’est pas cela que je veux dire... Savez vous qu’élevée en province, chez les parents de madame la baronne de Villiers, Julie a été pour ainsi dire la compagne de son enfance, et quand sa jeune maîtresse s’est mariée, que sa première pensée a été d’emmener Julie avec elle à Paris...

JULIE.

Mais, mon ami, M. Minard ne te demande pas tout cela.

AUVRAY.

Oh ! je sais bien, c’est seulement pour lui en faire part... Comblée des bontés de madame, Julie aurait pu aisément choisir un riche parti ; il s’en est présenté, et beaucoup... Eh bien, elle a sacrifié la fortune à l’amour d’un pauvre garçon tapissier comme moi.

Avec intention.

Elle m’a donné la préférence, M. Minard ; et si c’était à recommencer, je crois qu’elle me la donnerait encore, M. Minard !

JULIE.

Oh ! toujours ! il y a bien des maris, dit-on, qui perdent à l’usage, mais ce n’est pas toi.

AUVRAY.

Je m’en flatte ! il faut être juste aussi : on n’est pas trop mal bâti... la figure n’a rien de désagréable... la taille...

JULIE.

Eh bien ! ne te gêne pas... continue...

AUVRAY.

Non ! c’est qu’il y a des gens, vois-tu, qui vous ont des traits, des nez...

MINARD, à part.

Je crois que c’est pour moi qu’il dit ça.

AUVRAY.

Pauvres gens ! et ça veut faire les séducteurs... allons donc...

JULIE.

Avec une maîtresse comme la mienne, il serait assez difficile de ne pas aimer son mari ; elle en donne si bien l’exemple.

MINARD.

Oui, oui, la voilà bien avancée ! Pauvre petite femme ! sortir du couvent pour épouser un ancien élégant du Directoire, dont la jeunesse et la folie se prolongent indéfiniment, et n’avoir que de la naïveté et de la simplicité pour lutter contre l’éclat et la coquetterie de nos dames de la cour ; aussi assure-t-on que M. de Villiers...

JULIE.

Mauvaise langue... est-ce que c’est possible ?... lui qui pourrait être son père, n’est-il pas trop heureux d’être aimé d’une jeune femme charmante ?

MINARD.

Oui, oui, il est trop heureux ; mais il paraît qu’il ne se trouve pas encore assez heureux... comme ça... et certaine comtesse, arrivée hier soir au château, et qui vient s’établir dans nos environs...

AUVRAY, à part.

Il serait possible ?

JULIE.

Mais c’est affreux cela !

AUVRAY, à part.

Eh bien, c’est étrange ! ça me fait plaisir !

MINARD, regardant Julie avec intention.

Eh ! mon Dieu !

Air du Piège.

Elle devrait s’en souvenir,
Trop d’amour peut nuire en ménage ;
Pour obliger son époux à r’venir,
Qu’elle reçoive un autre hommage.
Les maris sont aussi capricieux
Que le chien de Jean-de-Nivelle ;
Ils accourent, quand on n’ veut pas d’eux,
Et s’en vont quand on les appelle.

Que madame se conforme donc à l’usage du grand monde ; du reste, il y a quelqu’un qui s’est chargé de le lui apprendre.

JULIE.

M. Minard, vous mériteriez... Nommez-le donc ce quelqu’un, je vous en défie...

MINARD.

Qui ? Eh parbleu ! M.de Valery, chambellan ordinaire de sa majesté l’Empereur et Roi, rien que ça.

AUVRAY, à part.

Ah ! mon Dieu !

JULIE.

Lui ? Ses discours amusent madame, il la fait rire, voilà tout.

AUVRAY, à part.

Ah ! je respire !

MINARD.

Raison de plus... En a-t-il conquis celui-là des femmes ! en a-t-il perdu ! déshonoré ! rien ne lui coûte... Oh ! c’est un aimable mauvais sujet...

JULIE.

Oui, il est gentil ; mais ce n’est pas ici qu’il pourra continuer ses hauts faits.

MINARD.

Laissez donc, c’est peut-être pour sa santé qu’il vient tous les matins se promener dans notre parc dont je lui ouvre la petite porte.

JULIE.

Quelle horreur !

MINARD.

Eh bien, après... quand madame aurait un amoureux !... monsieur a bien des amours de son côté ; voyez le grand mal.

AUVRAY.

Dites donc ! dites donc ! vous donnez là de jolis conseils aux femmes, M. Minard... voulez-vous bien vous taire ?

JULIE.

Oh ! sois tranquille, va ! tant que tu ne feras pas comme monsieur, tu n’as rien à craindre...

AUVRAY.

Fort bien... c’est-à-dire, que si vous veniez à penser... que je... voilà de jolies dispositions...

JULIE.

Oh ! je me vengerais, d’abord.

AUVRAY.

Et si tu te trompais ?

JULIE.

Ah ! dam !... Alors, ce serait un malheur.

AUVRAY.

Merci !

 

 

Scène III

 

MINARD, AUVRAY, JULIE, ANTOINE, DEUX VALETS

 

ANTOINE.

Julie ! Julie ! madame vous demande...

JULIE.

Et moi qui oubliais... Fort bien, Antoine.

Elle sort en courant.

AUVRAY, les apercevant.

Tiens, voilà les autres... Ah ça ! est-ce que vous vous mettez trois pour venir chercher ma femme ?

ANTOINE.

La commission est assez agréable pour qu’on se la dispute, M. Auvray ; mais c’est pas ça, nous venons voir comment vous avez décoré le pavillon.

TOUS, mettant la tête à la porte du pavillon.

Oh ! que c’est joli !

ANTOINE.

Peste ! c’est affaire à vous, M. Auvray !... comme on travaille à Paris.

AUVRAY, à part en se levant.

Ils ont l’air de me gouailler.

ANTOINE.

À propos, M. Auvray, vous qui en arrivez, que dit-on ? que fait-on à Paris ? Y a-t-il du nouveau ?

AUVRAY.

Le Palais-Royal est toujours à la même place... les laquais sont toujours paresseux et bavards... et on tond toujours les chiens sur le Pont-Neuf.

ANTOINE.

Voilà de jolies nouvelles que vous nous débitez là.

MINARD.

Oh ! M. Auvray est un malin ; mais, dites-moi, vous avez dû bien vous ennuyer, séparé de votre femme... qui vous a donné la préférence ?

AUVRAY.

Ah, ah ! ça vous tient au cœur ; croyez-vous donc qu’elle soit la seule ?

MINARD.

Comment dites-vous ça ?

AUVRAY.

Je dis qu’elle n’est peut-être pas la seule.

MINARD.

En vérité ?

AUVRAY.

Quelqu’amour qu’on ait pour sa femme, on n’est pas à l’abri des aventures...

MINARD, à mi-voix aux autres.

Est-il avantageux cet animal-là...

Haut.

Vous avez donc eu des aventures ?

AUVRAY.

C’est possible...

MINARD.

Au fait, ça ne m’étonne pas !... avec votre physique, votre air, vos manières...

AUVRAY.

Dam ! quand on a quitté son tablier vert, et qu’on s’est un peu costumé et bichonné... il n’y a femme de sénateur ou de conseiller d’état qui vous refuse un coup d’œil...

MINARD, à part.

Quelle idée !

Haut.

Ah ! c’est dans le grand que vous donnez.

AUVRAY.

Là-dessus, motus... vous n’en saurez pas davantage.

Il va porter dans le pavillon le fauteuil auquel il travaille.

MINARD, aux autres.

Ma parole d’honneur, ce gaillard-là... serait capable de se croire aimé d’une impératrice... Avez-vous jamais vu un gascon pareil ; il faut nous divertir à ses dépens.

TOUS.

Comment ça ?

MINARD, de même.

Je parie que je lui fais croire que notre jeune maîtresse est amoureuse de lui.

TOUS.

Oh ! oh ! ce serait drôle...

MINARD, de même.

Secondez-moi... vous verrez !... il fera quelque bêtise, on le chassera, et ça le corrigera peut-être de sa vanité... Il revient ; laissez-moi faire...

AUVRAY, revenant avec un autre fauteuil.

Ah ça !... c’est donc là toute votre occupation ? vous regardez travailler les autres, c’est moins fatigant.

MINARD.

M. Auvray, ce que vous venez de nous dire de vos bonnes fortunes, et beaucoup d’autres circonstances, ont tout-à-fait changé ma manière de voir.

AUVRAY.

Et sur quoi donc ?

MINARD.

Oh ! il n’est plus question de chambellan. Les autres m’ont ouvert les yeux...

Mystérieusement.

Nous savons maintenant pourquoi on vous a fait venir ici.

AUVRAY.

Parbleu ! moi aussi je le sais... pour tapisser, détapisser et retapisser le château...

MINARD.

Du tout, du tout : s’il ne s’était agi que de cela, on n’aurait pas été vous chercher à plus de trente lieues, quand à deux pas d’ici, à Soissons, on a un tapissier qui a autant de réputation que les haricots de l’endroit...

AUVRAY.

Eh bien ! pourquoi est-ce donc ?

MINARD.

D’abord, votre confrère... n’a pas le bonheur d’avoir un physique.

AUVRAY.

Ah ! il n’est pas beau celui de Soissons ?

MINARD.

Tandis que vous, avec votre prestance, avec ce charme, ce certain charme.

AUVRAY.

Eh bien, après ?

MINARD, avec mystère.

Vous avez donné dans l’œil à certaine jeune dame...

AUVRAY, à part.

Oh ! mon Dieu !... est-ce qu’ils se seraient aperçus de ma bêtise ?

MINARD.

Rien qu’à la manière dont elle vous regarde... ça saute aux yeux d’abord.

AUVRAY.

Ah ça ! avez-vous l’intention de vous moquer de moi ?...

MINARD, montrant les autres.

Ils l’ont tous remarqué...

TOUS.

Oh ! ça... c’est vrai...

AUVRAY.

C’est vrai... c’est vrai... c’est un mensonge gros comme une montagne, supposer que... car je comprends bien de qui vous voulez parler...

MINARD.

Voyez-vous, il comprend... c’est un aveu.

AUVRAY.

Ah ! finissons !... Est-ce que vous voudriez me mettre en colère par hasard... Dam !... je ne me fais pas trop le nombre n’y fait rien, je tape comme un sourd, d’abord.

Ensemble.

MINARD, LES LAQUAIS.

Air : Chut ! chut !

Chut ! chut ! retirons-nous !
Comme il s’enflamme,
Il a l’ trouble dans l’âme.
Chut ! chut ! retirons-nous !
Il est frappé, le pauvre homme est à nous.

AUVRAY.

Allons, retirez-vous !...
Ah ! c’est infâme !...

À part.

Ils ont troublé mon âme !

Haut.

Allons, retirez-vous...
Ou, par ma foi, redoutez mon courroux.

Minard, Antoine et les autres laquais sortent.

 

 

Scène IV

 

AUVRAY, seul

 

Quelle idée leur est venue là... j’en ai encore un tremblement dans tous les membres !... Moi, j’aurais été remarqué, distingué, par... Oh ! mon Dieu !... il devrait être défendu de dire des bêtises comme ça !... ça fait trop de joie... ou plutôt trop de mal !... C’est bien moi qui croirai à une semblable chose !... et de la part d’une pareille dame encore !... je peux bien l’aimer, l’adorer... oh ! à en devenir... Si ça dure, je ne sais pas ce que je deviendrai... mais supposer... allons donc... s’il en a une de sage, je mettrais presque ma main au feu que c’est elle... pourtant Minard a dit vrai... elle m’a regardé souvent, et si j’étais avantageux... Oui, mais ce monsieur le chambellan dont Minard a parlé aussi... c’est un peu plus vraisemblable...

Se retournant et apercevant Valery qui passe dans le fond d’un air mystérieux.

Oh !... mon Dieu !... justement le voilà... Que vient-il faire dans le parc ?... madame s’y trouve quelquefois à cette heure-ci... s’entendraient-ils ?... Il me semble à présent que j’ai souvent remarqué entr’eux des signes d’intelligence... Elle l’aimerait !... déjà ! Eh bien, après... qu’est-ce que ça me fait à moi ?... pour quoi m’inquiéter de ça... Ah ! pourquoi... pourquoi ?... parce que j’en serais vexé !... furieux... désespéré... Je suis un fameux imbécile, moi... Oh ! voilà madame... elle vient au rendez-vous, c’est sûr !...

Madame de Villiers accourt suivie de Julie.

 

 

Scène V

 

JULIE, MADAME DE VILLIERS, AUVRAY

 

MADAME DE VILLIERS.

Air : Fragment du final du 2e acte de Joseph Trubert.

Ah ! quel plaisir
Je puis ici courir...
Plus de chagrin,
Je veux chaque matin
Visiter ce jardin...
Loin des riches salons
Fuyons ;
Sur ces gazons
Sautons,
Et puis chantons :
Ah ! quel plaisir, etc.

JULIE et AUVRAY.

De sa gaité,
De sa naïveté,
Comment ne pas être enchanté ?...
Que de grâce et d’appas !
Le plaisir vole sur ses pas.

AUVRAY, à part.

Comme elle est jolie... et dire... Eh ! bien... est-ce que ça me regarde... Allons à notre fauteuil, et ne pensons plus à toutes ces sottises...

MADAME DE VILLIERS.

Ah ! bonjour, Auvray, bonjour, mon ami...

AUVRAY, à lui-même.

Son ami !...

MADAME DE VILLIERS.

Déjà au travail...

AUVRAY.

Madame est bien bonne de s’en apercevoir...

JULIE, bas à Auvray.

Réjouis-toi, nous avons une excellente prospectrice... madame t’aime beaucoup... elle me l’a dit...

AUVRAY, stupéfait.

Ah !

Il reste debout à la regarder.

Eh bien ! qu’est ce que je fais donc là, moi... Imbécile, veux-tu bien vite enfoncer tes clous ?...

Il va travailler à son fauteuil.

MADAME DE VILLIERS, à Julie.

Qu’on est bien ici... quel bonheur d’avoir pu quitter mesdames de Courcelles et de Rostanges, sans être aperçue !... elles avaient bien besoin de venir troubler notre solitude... Ah ! c’est que vraiment je ne suis pas à mon aise avec elles...

JULIE.

Je le crois bien... elles vous ressemblent si peu.

MADAME DE VILLIERS.

Je les trouve encore plus insupportables qu’à Paris... heureusement elles doivent aujourd’hui même retourner dans leur château.

JULIE.

C’est dommage qu’il soit si près du vôtre.

MADAME DE VILLIERS.

Oh ! je compte bien leur ôter l’envie de me voir souvent ; je suis si contente d’avoir quitté la ville, les compliments et l’étiquette...

JULIE.

Oh ! vous n’y avez pas échappé tout-à-fait : M. de Valery, que nous avons retrouvé à la campagne et qui profite de sa qualité de voisin, pour nous accabler de visites... Il y a des gens qui prétendent qu’il vous fait la cour...

AUVRAY, à part.

J’en suis sûr, moi...

MADAME DE VILLIERS.

Lui ? Oh ! je crois que tu te trompes... il n’y songe seulement pas.

AUVRAY, à part.

C’est ça, qu’il en est incapable.

MADAME DE VILLIERS.

Il me débite sans prétention une foule de riens et de folies qui me font rire, mais c’est tout ! il n’y a pas d’amour là-dedans.

AUVRAY, à part.

Le serpent ! comme il cache son jeu !...

MADAME DE VILLIERS.

D’ailleurs, n’ai-je pas mon mari pour me protéger ? Ici, je suis heureuse de me trouver seule avec M. de Villiers... dont j’avais tant peur quand je me suis mariée...

JULIE.

Peur ?...

MADAME DE VILLIERS.

Écoutez donc !... je ne le connaissais pas... mais à présent... oh ! je l’aime.

JULIE, interrompant.

Comme un père.

MADAME DE VILLIERS.

Comme ce qu’il y a de meilleur au monde... Lui, si riche ! qui aurait pu trouver un si brillant parti... épouser une pauvre orpheline, bien gauche, bien étourdie, sans fortune, Julie ! et cela simplement parce qu’il a su qu’elle pleurait à l’idée de passer sa vie dans un couvent. Aussi, j’ai pour lui une amitié, une reconnaissance... Oh ! je n’en ai plus peur, va !...

Air : Une robe légère.

Depuis qu’il m’a choisie,
J’ignore les chagrins ;
Tous les jours de ma vie
Coulent purs et sereins ;
Je ne suis plus peureuse,
Car je connais son cœur.
Et ce qui rend heureuse
Ne doit pas faire peur.

AUVRAY, travaillant et à part.

Oh ! mais il est impossible quelle aime le chambellan... je n’en reviens pas de ce que ce Minard a osé imaginer !...

MADAME DE VILLIERS, à Julie.

Tu n’es pas fâchée non plus d’être ici, toi, n’est-ce pas ?... surtout depuis que ton mari est venu t’y rejoindre.

JULIE.

Près de vous, madame, je n’avais pas besoin de ça.

MADAME DE VILLIERS.

Tais-toi donc, menteuse...

Elle s’approche d’Auvray.

Eh bien ! mon pavillon avance-t-il ?

AUVRAY.

Oui, madame ; après ce fauteuil, il n’y a plus que le baldaquin du lit de repos à poser.

MADAME DE VILLIERS.

Julie, place des chaises ici... de là je pourrai inspecter les travaux de ton mari.

Bas.

Et toi, tu le ver ras tout à ton aise.

JULIE.

J’y vais, madame.

AUVRAY, apercevant Valery qui rentre en scène. Avec désespoir.

Ah ! voilà le chambellan qui reparaît ! Décidément, il y a quelque chose entr’eux.

JULIE, passant auprès de son mari et lui frappant sur l’épaule.

À quoi pensez-vous donc, monsieur ?

Julie va prendre des chaises dans le pavillon.

 

 

Scène VI

 

JULIE, MADAME DE VILLIERS, AUVRAY, MONSIEUR DE VALERY

 

VALERY, sans voir Auvray.

Ah !... enfin, je trouve la belle Valentine seule ; il faut brusquer la déclaration... Julie vient de s’éloigner ; c’est le moment.

En ce moment Julie reparaît avec des chaises. Valentine et elle s’asseyent.

Allons ! encore la femme de chambre.

Il disparaît.

MADAME DE VILLIERS, regardant du côté opposé à Valery.

Ah ! j’aperçois ces dames...

JULIE.

Où donc ?

MADAME DE VILLIERS, se levant.

Ne les vois-tu pas au bout de la grande avenue ? moi qui me suis sauvée du château pour les éviter... oh ! je n’en aurai pas le démenti. Viens avec moi, Julie.

Elles sortent du côté opposé à Valery.

AUVRAY, à lui-même.

Ah ! cette fois, il ne la trouvera pas ? je peux rentrer dans mon pavillon maintenant : me voilà du cour à l’ouvrage, la journée sera bonne.

Il entre dans le pavillon.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR DE VALERY, puis MADAME DE COURCELLES et MADAME DE ROSTANGES

 

VALERY.

Bon ! encore une occasion manquée ! En vérité je n’y connais plus rien, et cette femme-là dérouterait le plus habile en amour ! ce qui m’a toujours réussi auprès des autres ne produit aucun effet sur celle-ci... Ma présence ne lui déplaît point, mes discours l’égayent et la font rire, je me crois sur la voie... pas du tout, elle ne m’a pas compris !... Que faire ? j’ai accepté le défi de mesdames de Courcelles et de Rostanges... elles arrivent tout exprès de Paris pour être témoins... Ah ! bien oui, témoins, de quoi ? je ne suis pas plus avancé que le premier jour ! jusqu’à présent je me suis sous trait à leurs questions malignes ; mais quand il faudra m’expliquer... Oh ! il est temps que ça finisse... tâchons de rejoindre la petite baronne...

Il va pour sortir et se trouve nez à nez avec mesdames de Courcelles et de Rostanges.

MADAME DE COURCELLES.

Halte-là ! s’il vous plaît... un mot. M. de Valery, vous avez des comptes à nous rendre.

VALERY, à part.

Allons, impossible d’éviter l’interrogatoire.

MADAME DE ROSTANGES.

À quoi avez-vous donc employé le temps que vous vous étiez fixé à vous-même ? Quinze jours suffisaient, disiez-vous, pour adoucir cette petite pensionnaire, pour faire cesser cette guerre à mort qu’elle nous avait déclarée, et nous la retrouvons pire que jamais ?

MADAME DE COURCELLES.

Chacune de ses paroles est une épigramme contre nous.

MADAME DE ROSTANGES.

Elle nous jette sans cesse nos maris à la tête...

MADAME DE COURCELLES.

Elle n’a que des choses désagréables à nous dire.

VALERY.

Et son apparition dans les salons de Paris vous a enlevé une foule d’hommages que vous regrettez.

MADAME DE ROSTANGES.

Vous êtes un impertinent.

VALERY.

C’est-à-dire que je suis véridique.

MADAME DE ROSTANGES.

Eh bien ! quand cela serait ?

VALERY.

Votre dépit serait expliqué, et votre vengeance toute naturelle.

MADAME DE COURCELLES.

Vous vous étiez engagé à la seconder.

MADAME DE ROSTANGES.

Selon vous, c’était un cœur qui devait se rendre à la première attaque.

VALERY.

Eh ! que voulez-vous qu’on fasse avec une femme qui répond blanc quand vous dites noir, qui entend si peu de chose aux usages de ce monde, qu’elle s’étonne presque quand on lui baise les mains, et qui enfin a borné jusqu’à présent l’amour de son prochain à son attachement pour son oiseau, son chat... et son mari.

MADAME DE ROSTANGES.

Oh ! vous ne vous en tirerez pas avec des plaisante ries ; et si vous échouez, c’est sur vous qu’elles tomberont, je vous en avertis.

VALERY.

Un peu de patience, mesdames.

MADAME DE ROSTANGES.

Le brillant M. de Valery, qui demande du temps pour triompher d’un enfant sans expérience, et qui recule devant un rival de l’âge et de la tournure de ce pauvre de Villiers.

VALERY.

Ah ! la belle Valentine me paiera une semblable idée de votre part.

MADAME DE ROSTANGES.

Que dites-vous donc ? elle ne peut qu’y gagner. Que voulons-nous ? qu’elle apprenne à connaître le monde où elle doit vivre.

MADAME DE COURCELLES.

Eh ! mon Dieu oui, qu’elle cesse d’être ridicule.

MADAME DE ROSTANGES.

Qu’elle s’amuse enfin, et ne nous ennuie plus.

VALERY.

Est-il rien de plus charitable ?

MADAME DE ROSTANGES.

C’est à votre éloquence que cette mission est réservée.

VALERY.

Je n’y renoncé pas ; mais ce mari qui est toujours là, qu’on voit sans cesse.

MADAME DE COURCELLES, riant.

Il vous gêne ?

VALERY.

Si l’on pouvait m’en débarrasser !

MADAME DE ROSTANGES.

Cela vous regarde...

VALERY.

Non, mesdames...

MADAME DE COURCELLES.

Comment ?

VALERY.

Écoutez... le moment est venu d’assurer le triomphe de nos projets...

MADAME DE ROSTANGES.

Que pouvons-nous faire à cela ?

VALERY.

Tout, si vous daignez agir en bonnes et franches auxiliaires.

MADAME DE ROSTANGES.

Que voulez-vous dire ?

VALERY.

De Villiers, fatigué des cajoleries conjugales, n’a-t il pas été frappé, ébloui de vos charmes ? ne paraît-il pas enchanté de votre séjour ici ? n’est-il pas tout prêt à vous offrir ses hommages ?

MADAME DE COURCELLES.

Vous croyez ?

VALERY.

J’en suis sûr.

MADAME DE ROSTANGES.

Où prétendez-vous en venir ?

VALERY.

Des regards plus tendres, des agaceries sans résultats, des espérances qu’on ne réalisera pas, de la coquetterie enfin, et il serait à vos pieds...

MADAME DE ROSTANGES.

Ah ! ah ! je comprends...

VALERY.

Le dépit, la colère se glissent dans le cœur de la jolie pensionnaire.

MADAME DE ROSTANGES.

M. de Valery en profite.

VALERY.

Et elle ne vous poursuit plus de ses épigrammes.

MADAME DE ROSTANGES.

Voilà de la stratégie.

VALERY.

Qu’en pensez-vous ?

MADAME DE COURCELLES.

Que vous êtes un profond scélérat.

VALERY.

Mais non, tout cela ne sera qu’un badinage sans conséquence. Eh bien ! est-ce convenu ?

MADAME DE ROSTANGES.

L’idée est bizarre...

MADAME DE COURCELLES.

Quoi !... vous consentiriez ?

MADAME DE ROSTANGES.

À mystifier un peu ce pauvre baron, pour nous venger de sa femme ; où est le mal ?

MADAME DE COURCELLES.

Alors vous vous dévouerez.

MADAME DE ROSTANGES.

Non pas !

MADAME DE COURCELLES.

Ni moi, certes.

VALERY.

Il faut pourtant bien que ce soit l’une de vous deux.

MADAME DE ROSTANGES.

Il a raison.

VALERY.

Eh bien !... que le sort le décide...

MADAME DE COURCELLES.

Comment ?

VALERY.

Parbleu !... une idée... tirez à la courte-paille...

MADAME DE COURCELLES.

Ah ! ah ! par exemple...

MADAME DE ROSTANGES.

Un amoureux à la courte-paille ? la bonne folie !

MADAME DE COURCELLES.

Cela s’est-il jamais vu ?

VALERY.

Est-ce une raison pour que cela ne se voie pas ?

MADAME DE ROSTANGES.

Qu’en dites-vous, ma chère amie ?

MADAME DE COURCELLES, riant.

Pour la rareté du fait, ma foi, je le veux bien...

VALERY.

Voilà qui est dit... permettez que ce soit moi qui vous les présente...

Il ramasse un brin de paille, en fait deux morceaux qu’il arrange dans sa main.

Il est bien entendu que c’est la plus longue qui gagnera.

MADAME DE ROSTANGES.

Un moment... qu’appelez-vous gagner, s’il vous plaît ?

VALERY.

N’est-ce pas un esclave tendre et soumis que vous allez tirer au sort... un cœur à désespérer ! celle de vous qui l’obtiendra n’aura pas perdu, je pense ?

MADAME DE ROSTANGES, riant.

Le cœur du baron de Villiers, je crois que nous jouons à qui perd gagne...

VALERY.

Nous y voici. Ah ça ! vous n’avez pas regardé ? pas de supercherie.

MADAME DE ROSTANGES.

Est-ce que cela en vaut la peine ?

VALERY, à madame de Rostanges.

Allons, madame, à vous...

MADAME DE ROSTANGES.

Non, non ; à madame de Courcelles l’honneur de commencer.

MADAME DE COURCELLES.

Je n’en ferai rien.

MADAME DE ROSTANGES.

Avez-vous peur ? Eh ! mon Dieu ! ma chère, il en restera une...

MADAME DE COURCELLES.

Je ne me risquerai qu’après vous...

MADAME DE ROSTANGES.

Voyons ! donnez.

Trio.

VALERY.

Air Du voyage de la mariée.

L’avenir est là,
Nous y voilà ;
Qui vous arrête ?
De votre destin
Ici ma main
Tient l’interprète.

MADAME DE ROSTANGES.

Avancez la main :
Que destin
Me favorise ;
Vraiment, j’ai grand’ peur.

Elle tire une très longue paille.

Ah ! quel malheur !
Me voilà prise.

MADAME DE COURCELLES.

Voyons maintenant :
L’autre à présent
M’est réservée.

Elle tire la paille très courte.

Le sort l’a voulu,
Oui, j’ai perdu ;
Je suis sauvée.

Ensemble.

MADAME DE ROSTANGES.

Roi des bons maris,
Tu seras pris :
Tout me l’atteste,
L’arrêt est dicté ;
Ta vanité
Fera le reste.

MADAME DE COURCELLES et VALERY.

Roi des bons maris,
Tu seras pris :
Tout nous l’atteste,
L’arrêt est dicté ;
Votre beauté
Fera le reste.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR DE VALERY, MADAME DE COURCELLES, MADAME DE ROSTANGES, MONSIEUR et MADAME DE VILLIERS

 

DE VILLIERS, arrivant avec sa femme sans être vu.

Eh bien ! que faites-vous donc là ?

MADAME DE ROSTANGES.

Ciel ! serions-nous surpris ?

VALERY.

Oh ! ce n’est rien... une plaisanterie ! madame de Villiers veut-elle bien me permettre de lui présenter mes hommages...

Valentine fait la révérence.

DE VILLIERS, naïvement.

Vous auriez dû nous attendre, nous aurions pris part à votre jeu.

VALERY.

Vous y participerez, soyez tranquille.

DE VILLIERS, aux dames.

Ma femme croyait vous trouver au château, mesdames ; je lui ai appris que vous étiez ici, et elle vient vous faire renoncer à vos projets de départ pour aujourd’hui.

MADAME DE VILLIERS.

Ces dames peuvent douter de tout le plaisir que me fait éprouver leur visite, et...

MADAME DE ROSTANGES.

Oh ! mignonne... pas de phrases.

À part.

Elle voudrait nous voir bien loin.

Haut.

Nous sommes aux champs ; traitez-nous sans cérémonies, si vous voulez que nous revenions.

DE VILLIERS.

Comment ! si elle le veut... ce sera un bonheur pour elle...

MADAME DE VILLIERS.

Sans doute, la présence de ces dames, de temps en en temps, ne pourra qu’ajouter...

MADAME DE COURCELLES, bas à son amie.

Avez-vous remarqué le... de temps en temps ? j’espère qu’elle est franche.

MADAME DE ROSTANGES, bas.

J’aimerais autant qu’elle fût polie.

À M. de Villiers.

Votre habitation est délicieuse, M. de Villiers... en entrant ici, je me croyais chez moi ; un pavillon... une terrasse disposée absolument de la même manière.

DE VILLIERS.

Mon château et celui de votre mari, madame, ont été construits par le même architecte et sur le même plan.

MADAME DE ROSTANGES, à madame de Villiers.

Et vous vous plaisez ici, ma chère ?

MADAME DE VILLIERS.

Comment ne m’y plairais-je pas ? je suis auprès de M. de Villiers, si bon, si indulgent pour moi.

DE VILLIERS.

Doucement, doucement, ma chère amie ! vous par donnerez, mesdames, à l’expression de sentiments tant soit peu romanesques.

MADAME DE VILLIERS.

Ces dames n’ont rien à me pardonner, monsieur ; car je suis sûre qu’elles méritent souvent le même reproche...

VALERY, à part.

Elle les croit donc bien hypocrites !...

MADAME DE VILLIERS.

N’est-ce pas son mari que madame de Rostanges vient rejoindre et lorsque, dans quelques heures, elle sera réunie à lui, formera-t-elle encore d’autres vœux ?

VALERY, à madame de Rostanges.

On dirait qu’elle se moque de vous.

MADAME DE ROSTANGES, bas.

Je me vengerai...

VALERY, bas.

Exécutez notre traité... emmenez le mari...

MADAME DE ROSTANGES.

Comment ?

VALERY.

Laissez-moi faire.

Haut à de Villiers.

Je suis sûr que tu n’as pas encore fait voir à ces dames ton lac de Constance...

DE VILLIERS.

Tiens... c’est vrai, j’oubliais... c’est une chose à voir... Il est d’une exactitude ; et si ces dames...

MADAME DE ROSTANGES.

Bien volontiers !... j’aime beaucoup les lacs...

VALERY, bas à madame de Rostanges.

Toute votre coquetterie...

À M. de Villiers.

Tu vois que je sers mes amis... heureux coquin, que le beau sexe vient relancer jusque dans son château...

DE VILLIERS.

Tu crois que c’est pour moi ?...

VALERY.

Fais donc le discret...

DE VILLIERS.

Oui, mais ma femme ?...

VALERY.

Fais la rester...

DE VILLIERS, offrant son bras.

Allons, mesdames...

Se retournant à sa femme.

Ma bonne amie, tu es peut-être un peu fatiguée de notre course d’hier ?...

MADAME DE VILLIERS, vivement.

C’est vrai ; et si ces dames voulaient m’excuser ?

MADAME DE COURCELLES et MADAME DE ROSTANGES.

Comment donc ?...

DE VILLIERS.

Valery, d’ailleurs, te tiendra compagnie...

MADAME DE VILLIERS, naïvement, faisant quelques pas pour suivre son mari.

Oh ! je ne voudrais pas priver monsieur...

DE VILLIERS.

Du tout, du tout ; il connait mon lac... Veuillez, mesdames, accepter main.

 

 

Scène IX

 

VALERY, MADAME DE VILLIERS, puis AUVRAY

 

VALERY, à part.

Enfin !...

MADAME DE VILLIERS, à part.

Bon !... m’en voilà encore une fois délivrée !...

VALERY, à part.

Ou je ne m’y connais pas du tout, ou elle est charmée de rester seule avec moi ! C’est le moment de m’expliquer ; et, quand le diable y serait, il faudra bien qu’elle me comprenne.

Haut.

Combien je me félicite, madame, d’une circonstance qui me procure un bonheur que j’enviais depuis longtemps...

MADAME DE VILLIERS.

Mais ces dames vous en voudront...

VALERY.

Elles sont plus indulgentes, et conviendraient facilement, quelles que soient les merveilles en miniature du parc de Villiers, qu’il peut y avoir d’autres perspectives, d’autres beautés, pour moi mille fois préférables.

MADAME DE VILLIERS, avec naïveté.

Monsieur a voyagé en Suisse ?...

VALERY, à part.

Bon !... la Suisse à présent... voilà encore qu’elle ne comprend pas !...

Haut.

On n’a pas besoin de faire un si long voyage, pour que les yeux soient enchantés, ravis... et tout près de moi...

MADAME DE VILLIERS, naïvement.

De votre château ?... je ne l’avais pas entendu dire... Oh ! il faudra absolument que M. de Villiers m’y conduise.

VALERY.

Dans mon château.

MADAME DE VILLIERS, idem.

Vers les sites dont vous parlez.

VALERY, à part.

Toujours le même défaut d’intelligence !

AUVRAY, paraissant sur la porte du pavillon.

Ah ! ah ! monsieur le chambellan avec madame.

VALERY, à part.

Essayons encore !...

Haut.

Quand me permettrez-vous donc de vous recevoir dans ma demeure ?...

MADAME DE VILLIERS.

Quand vous serez marié.

VALERY.

Marié ! mais je n’y songe pas !

MADAME DE VILLIERS.

Il me semble que vous ne feriez pas mal d’y songer, à votre âge !

VALERY.

Je songe à obtenir un bonheur que j’achèterais volontiers de ma vie.

MADAME DE VILLIERS.

Air d’Aristippe.

Ce serait un peu cher peut-être,
Acheter un pareil bonheur...

VALERY.

Oh non !... si vous pouviez connaître
Ce qui se passe dans mon cœur. (bis.)
La félicité que j’envie...
Oui, de mes jours je la paierais...

MADAME DE VILLIERS.

Mais qu’en feriez-vous sans la vie ?

VALERY.

Je ne voudrais mourir qu’après.

AUVRAY, à part.

Comme il lui parle avec chaleur !...

VALERY

Un mot... un seul, belle Valentine...

MADAME DE VILLIERS, à part.

Qu’est-ce qu’il veut donc que je lui dise ?... je ne sais pas ; mais M. de Valery n’est pas aujourd’hui aussi amusant qu’à l’ordinaire.

Apercevant Auvray qui est sur la porte du pavillon.

Ah ! Auvray !...

À Valery.

Pardon, monsieur !... j’aperçois là mon décorateur, qui a l’air d’attendre mes ordres...

À Auvray.

Avez-vous besoin de moi, Auvray ?

VALERY, à part.

Décidément il manque un sens à cette femme-là !

AUVRAY.

Je voudrais demander quelque chose à madame.

À part.

Pendant ce temps-là, du moins, il ne causera point avec elle.

VALERY, à madame de Villiers.

Encore un mot, de grâce.

MADAME DE VILLIERS, à Valery.

Ah !... à propos... vous m’avez parlé une fois du charme magique, délicieux qu’un demi-jour répand sur un appartement... vous allez expliquer à Auvray ce qu’il faut faire, n’est-ce pas ?

Elle court à Auvray.

VALERY, à part.

Si elle croit que je suis resté pour causer avec le tapissier...

MADAME DE VILLIERS, se retournant.

Venez, monsieur...

VALERY.

Veuillez me permettre de vous dire...

MADAME DE VILLIERS.

Mon demi-jour...

VALERY, à part.

Ah ! quelle idée ! si j’éloignais le tapissier...

MADAME DE VILLIERS.

Venez donc, monsieur...

VALERY.

À vos ordres, madame...

MADAME DE VILLIERS, entrant dans le pavillon.

Vous pouvez venir aussi, Auvray.

VALERY, arrêtant Auvray et lui mettant une bourse dans la main.

Je te défends de nous suivre ! Reste là.

Il entre dans le pavillon avec la baronne.

 

 

Scène X

 

AUVRAY, puis JULIE

 

AUVRAY, seul et stupéfait.

Une bourse, à moi... pour ne pas les suivre... Par exemple... est-ce qu’il s’imagine... madame m’a dit : vous aussi, Auvray...

Avec résolution.

et rien ne m’empêchera d’entrer là-dedans... d’exécuter ses ordres.

Il va franchir le seuil de la porte. Julie arrive.

Ah ! ma femme !... ceci vaut encore mieux... Julie ! madame te demande...

JULIE.

Madame, où est-elle donc ?

AUVRAY.

Là, dans le pavillon... dépêche-toi...

JULIE.

Oh !... ce n’est peut-être pas si pressé...

AUVRAY, vivement.

Au contraire... il n’y a pas un moment à perdre...

JULIE.

Et causer avec votre petite femme.

AUVRAY.

Oh ! nous avons le temps...

JULIE.

Eh bien !... vous êtes gentil !

AUVRAY, à part, regardant dans le pavillon.

Je crois qu’ils se sont assis...

À Julie.

Mais vas donc... vas donc...

JULIE.

Je m’en vais, monsieur, je m’en vais... Oh ! je n’ai pas envie de rester... allez...

Elle entre dans le pavillon.

AUVRAY.

Ah ! je respire... justement voilà le mari qui revient avec ces dames ; il aurait un peu mieux fait de rester avec la sienne, car sans moi...

Se retournant.

Ah ! mon chambellan qui sort du pavillon... comme il a l’air de mauvaise humeur... Bien fâché, M. de Valery... ce sera pour une autre fois.

 

 

Scène XI

 

AUVRAY, MADAME DE COURCELLES, MADAME DE ROSTANGES, VALERY, M. et MADAME DE VILLIERS, JULIE, puis MINARD

 

VALERY, à lui-même.

Maudite femme de chambre... elle m’a interrompu à l’endroit le plus intéressant.

MADAME DE VILLIERS.

Pourquoi donc, Auvray, ne nous avez-vous pas suivis ?...

AUVRAY.

Madame, c’est que...

DE VILLIERS.

Ces dames sont ravies, mon cher Valery.

VALERY, bas à madame de Rostanges.

Demain, vous aurez de mes nouvelles...

MINARD, arrivant.

La voiture de ces dames est prête...

Air : Final du premier acte de la Modiste et le Lord.

Ensemble.

VALERY, MESDAMES DE COURCELLES et DE ROSTANGES.

Partons tous, partons tous,
Oui, retirons-nous ;
Le plaisir (bis) reste près de vous.

AUVRAY, MADAME DE VILLIERS, JULIE, à part.

Partons tous, partons tous,
Oui, retirez-vous ;
Le plaisir (bis) reviendra chez nous.

VILLIERS.

Partons tous, partons tous,
Oui, retirons-nous ;
À madame de Rostanges.
Le plaisir (bis) m’attendra chez vous.

MINARD.

Partez tous, partez tous,
Oui, retirez-vous ;
L’ chambellan (bis) reviendra chez nous.

VILLIERS, bas à Valery.

La belle dame de Rostanges
M’accorde un rendez-vous ce soir,
Entends-tu ? oui, ce petit ange
M’accorde un rendez-vous ce soir.

VALERY, bas.

Coquin, tu devais le prévoir !
Quand c’est elle qui vient te voir.

À part.

Charmé, vraiment, de le savoir,
J’en ferai mon profit ce soir.

TOUS.

Partons tous, etc.

AUVRAY, part.

Ciel ! qu’entends-je ?
Que prétend-il faire ce soir ?

MESDAMES DE COURCELLES, DE ROSTANGES, VALERY, à Madame de Rostanges.

Beaucoup de plaisir, au revoir !
Soyez bien heureuse ce soir !

TOUS.

Allons, allons !

AUVRAY, à part.

Quelque complot est préparé,
Mais c’est moi qui le déjouerai.

VILLIERS, à madame de Rostanges.

Au doux moment de vous revoir.

TOUS, à madame de Villiers.

Beaucoup de plaisir pour ce soir.

MADAME DE VILLIERS, ironiquement aux dames.

Agréez ma reconnaissance :
Être avec vous
M’était bien doux !
En gémissant de votre absence,
Penser à vous
Me sera doux !
Mais je vous cède à vos époux ;
Pour eux votre amour est si tendre !
De vous, sans doute, ils sont épris !
Il ne faut pas faire attendre
De tels maris.

Ensemble.

MESDAMES DE COURCELLES et DE ROSTANGES, à part.

Quelle colère ! (bis.)
L’impertinence est claire ;
Mais taisons-nous,
Taisons-nous.

MADAME DE VILLIERS, AUVRAY, JULIE et MINARD, à part.

Quelle colère ! (bis.)
Et quel regard sévère !
Mais taisons-nous,
Taisons-nous.

VILLIERS, bas à sa femme.

Vois donc, ma chère, (bis.)
Quel regard de colère !
Mais taisons-nous
Taisons-nous.

VALERY, à part.

Quelle colère !
L’impertinence est claire ;
Mais taisons-nous,
Taisons-nous.

TOUS.

Partons tous, etc.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente, à gauche, la façade du château de M. de Villiers ; une terrasse élevée de cinq pieds fait face au public ; sur cette terrasse s’ouvre une porte vitrée dont les carreaux sont couverts, en dedans, par des rideaux blancs : du même côté, au troisième plan, est le perron du château. Dans le fond, les arbres du parc ; un taillis à droite. La terrasse est garnie de pots de fleurs : il y a un siège.

 

 

Scène première

 

MADAME DE VILLIERS et M. DE VILLIERS sur la terrasse, puis AUVRAY en bas

 

MADAME DE VILLIERS.

Ah ! mon ami, quel parfum mes fleurs répandent sur cette terrasse ! L’air en est embaumé !...

Elle va examiner ses fleurs.

Je vous promets pour demain une multitude de roses.

DE VILLIERS, à part.

Je ne sais comment m’y prendre pour dire à Valentine que je ne souperai pas avec elle ici, ce soir.

MADAME DE VILLIERS.

Eh bien ! monsieur, vous ne me répondez pas ?

DE VILLIERS, bâillant.

Oui, ma chère, oui, la soirée est fort belle.

MADAME DE VILLIERS.

Mais je vous parle de mes fleurs.

DE VILLIERS.

Oh ! elles sont charmantes, vos fleurs.

À part.

Et madame de Rostanges qui sera seule ce soir ; dans son château, il y a une terrasse absolument comme ici...

Il regarde par-dessus la balustrade.

Bon ! c’est facile à escalader.

MADAME DE VILLIERS.

Qu’est-ce donc que vous regardez par-dessus cette balustrade ? Je suis si contente de me trouver seule avec vous... c’est que vous ne savez pas combien votre présence me rend heureuse...

Air : Isabelle.

Il est si doux d’être ensemble !
Votre amour est mon appui !
Quand vous partez, il me semble
Que tout mon bonheur a fui :
Et je tremble
Oui, je tremble
Aujourd’hui ;
Car dans vos yeux je vois l’ennui !
Oui, je tremble ;
Oui, je tremble :
Votre amour a-t-il déjà fui ?

DE VILLIERS.

Non, bien certainement.

MADAME DE VILLIERS.

Même air.

Le jour où j’ai su vous plaire
À mes yeux l’espoir à lui ;
De mon époux je suis fière,
Et ma joie est près de lui !
Ah ! j’espère,
Oui, j’espère
Aujourd’hui
Que sa tendresse n’a pas fui !...
Oui, j’espère,
Oui, j’espère
Aujourd’hui
Qu’il sera toujours mon appui...

Elle s’appuie gracieusement sur l’épaule de M. de Villiers.

DE VILLIERS, à part.

Bonne Valentine !... décidément c’est la dernière fois que je la tromperai...

MADAME DE VILLIERS, s’asseyant.

Eh bien ! à quoi pensez-vous, mon ami ?...

DE VILLIERS.

Hélas !... ma bonne Valentine, je pense que je suis forcé de vous quitter...

MADAME DE VILLIERS.

Me quitter !... et pourquoi, s’il vous plaît, à cette heure ?... Je ne le veux pas...

DE VILLIERS.

Écoutez... je suis conseiller d’état ; mon concours a été réclamé par le préfet de ce département... J’ai un rendez-vous avec lui : des mesures importantes à prendre, des autorités à visiter...

MADAME DE VILLIERS.

Non, monsieur, non... il ne s’agit ni de mesures importantes, ni d’autorité à visiter... Je sais où vous allez.

DE VILLIERS.

Bah !...

MADAME DE VILLIERS.

Vous allez souper avec M. de Valery.

DE VILLIERS.

Qui vous a dit cela ?

MADAME DE VILLIERS.

C’est lui-même.

DE VILLIERS, à part.

Le bavard !...

Haut.

Vous êtes dans l’erreur ; il est bien vrai qu’il m’avait engagé, mais j’ai refusé.

MADAME DE VILLIERS.

Moi qui comptais que nous souperions là, en tête à tête dans notre petit salon ! j’avais pensé à tout ce que vous aimez le mieux... sans oublier le vin de Champagne...

DE VILLIERS.

Ah ! j’en conviens, c’est un aimable convive... mais, je vous le répète, il est indispensable que je n’absente quelques heures ; j’ai promis, et un conseiller d’état n’a que sa parole.

MADAME DE VILLIERS.

Il paraît qu’un mari en a plusieurs.

DE VILLIERS.

Oh ! je ne renonce point au plaisir de souper avec vous : faites toujours servir ; quand je reviendrai, je pourrai faire honneur au repas.

MADAME DE VILLIERS.

Comme c’est désagréable ! allons, il faut bien se résigner.

AUVRAY, arrivant par le fond en bas, à part.

Ah ! monsieur le baron et sa femme sur la terrasse...

DE VILLIERS, la baisant au front.

Adieu, mon ange gardien !

MADAME DE VILLIERS.

Ah ! si je pouvais vous accompagner comme lui ?

DE VILLIERS, à part.

Ça ne ferait pas du tout mon compte...

Haut à sa femme qui le suit.

Eh bien ! que faites-vous donc ?

MADAME DE VILLIERS.

N’avez-vous pas encore votre chapeau à prendre ? Je profite de tous les instants que vous ne pouvez pas m’enlever...

Ils rentrent tous deux dans l’appartement par la porte vitrée.

 

 

Scène II

 

AUVRAY en bas, puis MINARD

 

AUVRAY.

Son chapeau ?... Ah ça ! il paraît que le mari s’en va, et que madame reste seule cette nuit au château... c’est-à-dire seule... Si le départ du mari était un tour de ce damné comte de Valery, pour mettre plus facilement à exécution le complot dont j’ai à peine surpris quelques mots ce matin ; madame serait-elle d’accord avec lui ?... oh ! non, ça n’est pas possible... elle avait l’air si tendre avec M. le baron... et lui, comme il recevait ça... oh ! ces maris, ces maris !... Tiens, à propos, et moi qui tout à l’heure viens de traiter Julie, absolument de la même façon... qui l’ai laissée à l’office avec ce grand escogriffe de Minard, qui lui fait la cour, je le parierais !... ça a-t-il le sens commun ?... Non, ça n’a pas le sens commun.

Sur le devant.

Ah ! pas de bêtises... Je vais rejoindre ma femme.

MINARD, descendant le perron.

Allons ouvrir la petite porte du parc à M. de Valery...

Auvray court vers le perron et se heurte avec Minard qui prend sa course.

MINARD.

Ah ! pardon, M. Auvray... je ne vous voyais pas...

AUVRAY.

Parbleu ! ni moi non plus... mais en revanche, je vous ai senti...

MINARD, à part.

Que diable faisait-il dehors ?... Ah !... je comprends... une faction sous les fenêtres de madame... le pauvre homme... la tête n’y est plus.

AUVRAY, à part.

C’est singulier qu’il ait quitté ma femme...

Haut.

Et où courez-vous donc comme ça ?

MINARD.

Où je cours ?... mais je ne cours pas... je vais seule ment.

AUVRAY.

Un peu vite... je m’en suis aperçu.

MINARD.

Mais, vous-même, M. Auvray, dites-donc, il me semble que vous avez quitté le souper avant la fin ?... Je vois ce que c’est... un rendez-vous...

AUVRAY.

Un rendez-vous... et avec qui, je vous prie ?...

MINARD.

Oh !... avec qui ?... je vous en ai assez dit ce matin pour que nous nous entendions.

AUVRAY, le prenant à la gorge.

Ah ! tu recommences à te moquer de moi...

MINARD.

Doucement donc, tapissier !... doucement : vous m’étranglez... et qu’est-ce que je vous ai fait ?

AUVRAY.

Vous avez insulté de nouveau une personne vertueuse...

À part.

du moins je l’espère...

Haut.

et un garçon d’honneur.

À part.

Pour ça, j’en réponds.

MINARD.

Tiens, parce que j’ai parlé d’un rendez-vous ? Eh bien ! je vous dis que vous êtes une bête... tapissier.

AUVRAY.

Encore ?...

MINARD.

Oui... car je vous répète qu’il y en a un de rendez vous ; et si ce n’est pas pour vous, c’est pour un autre.

AUVRAY, stupéfait.

Pour un autre ?

MINARD.

Et, si je ne me retenais par respect pour la maison de mon maître, je vous apprendrais qu’on ne prend pas ainsi les gens à la gorge, et que vos manières commencent à me désobliger.

AUVRAY.

Crois-moi, va-t’en, ou je t’étrangle tout-à-fait.

MINARD, à part, en sortant.

Tu ne porteras pas cela en paradis, va... Allons toujours ouvrir la porte à M. de Valery.

Il sort.

 

 

Scène III

 

AUVRAY, puis MADAME DE VILLIERS, sur la terrasse

 

AUVRAY, seul et avec agitation.

Un rendez-vous, à un autre... il serait possible ?... tout à l’heure pourtant elle était si affectueuse avec M. le baron... je l’ai entendue... et ça ne m’amusait guère ; mais enfin, il n’y avait rien à dire... tandis qu’avec l’autre...

Air : Vaudeville de Voltaire chez Ninon.

À mon cœur je ne comprends rien ;
Pourquoi tout l’ mal que je me donne ?
Est-ce à moi de défendre un bien
Que l’ propriétaire abandonne ?
Ici je fais un sot métier ;
Ma conduite est vraiment étrange !
Semblable au chien du jardinier,
Je n’ mange pas et n’ veux pas qu’on mange.

Mais non, j’ai tort de la soupçonner, elle aime son mari... pourtant il y a des femmes qui font semblant.il y en a même beaucoup... Oh ! quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de rendez-vous ; je saurai bien l’empêcher.

MADAME DE VILLIERS, dans la coulisse.

Julie ! Julie !...

AUVRAY.

Ah ! elle appelle ma femme !... pourquoi donc sa voix me fait-elle sauter à cette heure ? c’est comme la voix du maître sur un apprenti...

MADAME DE VILLIERS, dans la coulisse.

Julie ! éclaire M. de Villiers, puisqu’il faut absolument qu’il s’en aille ; et tu reviendras près de moi.

AUVRAY.

Comment ! elle le laisse partir : c’est ce que je disais tout à l’heure ; elle faisait semblant de vouloir le retenir, tout juste autant qu’il le fallait pour lui donner encore plus d’envie de s’en aller. Fiez-vous donc aux belles apparences.

 

 

Scène IV

 

AUVRAY, JULIE portant un flambeau et précédant MONSIEUR DE VILLIERS qui descend le perron

 

AUVRAY.

Ma femme et le baron.

DE VILLIERS.

C’est bien, ma petite ; éclaire-moi toujours.

Il lui prend la main et l’entraîne.

JULIE.

Qu’est-ce que vous faites donc, monsieur le baron ?...

DE VILLIERS, soufflant la lumière.

Tu le vois bien...

AUVRAY, à part.

Et moi je n’y vois plus goutte...

Le baron donne un baiser à Julie et s’en va.

JULIE, laissant tomber le flambeau.

Ah !...

AUVRAY.

Eh bien ! ne vous gênez pas.

Il arrête Julie par le bras.

Je vous y prends, madame Auvray ! pendant que je fais de la besogne pour le baron, c’est comme ça qu’il travaille pour moi...

JULIE.

C’est toi !... je te jure que ça ne lui était pas encore arrivé.

AUVRAY.

Ça promet.

JULIE.

J’ai été surprise... sans cela, je me serais défendue.

AUVRAY.

Oui, oui, nous connaissons cela : on se défend toujours la première fois, c’est bien le moins ; mais la seconde...

JULIE, avec joie.

Est-ce que tu serais jaloux, par hasard ?

AUVRAY.

Dam ! il vaut mieux être jaloux que...

JULIE.

Ah ! mon Dieu ! l’un n’empêche pas l’autre.

AUVRAY.

Vous croyez ? Eh bien ! en attendant je ne vous quitte plus... vous ne ferez plus un pas sans moi ; je vous es pionnerai, je vous tourmenterai, je serai un tyran, quoi...

JULIE.

En vérité ?...

AUVRAY.

Air : Comme il m’aimait.

Je serai là ! (bis.)
Lorsque, dans sa coupable audace,
Un galant vous approchera,
Je serai là. (bis.)
Ne riez pas de ma menace ;
Car au moins, si l’on vous embrasse,
Je serais là.

JULIE, riant.

C’est juste : comme ça du moins, tu seras sûr de ton fait.

AUVRAY.

Dieu me pardonne, je crois qu’elle rit encore !

JULIE.

Eh ! ne vois-tu pas que tu m’enchantes avec tes accès de jalousie ?... ils prouvent que tu m’aimes toujours je reconnais mon petit Auvray... que je suis contente ! Vrai, tu ne me quitteras plus, tu ne me renverras plus.

AUVRAY.

Oh ! que non ! c’est trop dangereux !...

JULIE.

Eh bien ! tu auras raison ; car je commençais à être joliment en colère... et si ça avait duré...

AUVRAY, s’approchant d’elle.

Une petite femme si gentille ! il faudrait n’avoir pas d’yeux à la tête, de sang dans les veines pour s’aviser encore... Non, non ; c’est fini, me voilà corrigé, ça ne m’arrivera plus.

Madame de Villiers paraît sur la terrasse.

Ah !

À part.

La baronne sur la terrasse ! Y a-t-il réellement un rendez-vous ? il faut que je le sache.

JULIE.

Ainsi, bien sûr, ça ne t’arrivera plus ?

AUVRAY, vivement.

Julie, laisse-moi... va-t’en !

JULIE.

Comment ! que je m’en aille ?

AUVRAY.

Oui, oui, tout de suite.

JULIE.

Est-ce que tes lubies te reprennent ? Tu me diras au moins...

AUVRAY, la conduisant par la main jusqu’au perron.

Je ne te dirai rien, sinon qu’il faut que tu t’en ailles.

JULIE.

Si c’est comme ça que vous êtes corrigé, tant pis pour vous d’abord.

Julie rentre par le perron.

 

 

Scène V

 

MADAME DE VILLIERS, sur la terrasse, AUVRAY, en bas

 

AUVRAY, à lui-même.

Oui, certainement, il faut que je sache, que je découvre...

MADAME DEVILLIERS, se penchant sur la balustrade.

Qui est là ?

AUVRAY, à part.

Ah ! j’ai parlé trop haut.

Haut.

C’est moi, madame...

MADAME DE VILLIERS.

Vous, Auvray ! il paraît que vous aimez le grand air, car je vous ai aperçu toute la soirée vous promenant dans le parc.

AUVRAY.

Ah ! madame m’a remarqué...

MADAME DE VILLIERS.

Votre femme vous cherchait tout à l’heure ; l’avez-vous vue ?

AUVRAY.

Oui, madame... et monsieur le baron aussi...

MADAME DE VILLIERS.

Ah ! lorsqu’elle l’éclairait ?

AUVRAY.

C’est cela... continuerai-je demain le pavillon, madame ?

MADAME DE VILLIERS.

Non, vous viendrez poser les draperies de mon petit salon. Mais c’est trop fatigant de causer ainsi : montez, vous m’y trouverez ; mais, dépêchez-vous, car je me retirerai bientôt.

Elle rentre.

AUVRAY, seul en bas.

C’est-à-dire que l’heure du rendez-vous approche... Minard ne m’a donc pas trompé ! il y en a un ! et elle veut profiter de l’absence du mari, c’est clair... Allons toujours la retrouver, et nous verrons après.

Il se dirige vers le perron ; au même moment Valery et Minard entrent par la droite.

 

 

Scène VI

 

AUVRAY, MINARD, VALERY

 

MINARD.

Vous voilà au pied de la terrasse, comme vous le désiriez.

VALERY

C’est bien, mon ami.

AUVRAY, s’arrêtant.

Deux hommes dans le parc, à cette heure ! que prétendent-ils ? Écoutons...

VALERY, à lui-même.

Avec une femme qui n’est point au fait de nos usages, et qui par conséquent n’y met aucune complaisance, on n’en finirait pas, si l’on ne brusquait un peu les choses... De Villiers a donné dans le piège, et toute la nuit m’appartient ; madame de Rostanges sera fidèle à nos engagements. Allons, il n’y a plus à reculer.

AUVRAY, à part.

Ils restent plantés devant la terrasse. Quel est leur projet ?

Il examine le comte de Valery et Minard, puis se cache derrière le taillis.

VALERY, à Minard.

Ah ! dis-moi, ton maître est-il parti ?

MINARD.

Oui, monsieur le comte.

AUVRAY, à part.

C’est la voix de Minard.

VALERY.

C’est bien ; maintenant tu peux me laisser.

MINARD, hésitant et avec embarras.

Il paraît que monsieur le comte n’avait besoin de moi que pour s’éviter la peine de franchir le mur du parc ? il est vrai qu’on peut déchirer... son vêtement... et que ça ne serait pas agréable ; quant au moyen de pénétrer plus avant, c’est sans doute une autre personne qui doit rendre ce service à monsieur le comte ?

VALERY.

Qu’est-ce à dire, M. Minard ? Est-il écrit, par hasard, dans notre marché que je répondrai à vos questions ?

MINARD.

Ah ! pardon ! moi, vous interroger, j’en suis incapable ; mais si monsieur le comte avait la bonté de me faire entendre par le moindre mot...

VALERY.

Ce que tu désires savoir ?

MINARD.

Tout simplement, par exemple, que ce n’est pas pour la femme de chambre de madame.

VALERY.

Imbécile ! Eh bien, non... ce n’est pas pour elle.

AUVRAY, à part.

C’est M. de Valery.

MINARD.

Ah ! monsieur ! que je vous remercie, je ne veux plus rien savoir... commandez... ordonnez...

VALERY.

Se couche-t-on de bonne heure au château ?

MINARD.

Je crois que vous n’attendrez pas longtemps le bon moment.

AUVRAY, à part.

Ah ! ils attendent le bon moment.

VALERY.

Dieu t’entende, car je ne trouve rien de laid comme la belle étoile.

MINARD.

C’est sans doute par la terrasse ? rien de plus facile à escalader.

AUVRAY, à part.

Une escalade !

MINARD.

Mais il faudra détacher un carreau de la porte vitrée.

VALERY.

Oh ! j’en ai les moyens : cela m’est arrivé plus d’une fois.

MINARD.

Très bien !

VALERY.

Qu’on se couche seulement ; le reste ira tout seul.

AUVRAY, à part.

Ira tout seul... c’est le rendez-vous.

MINARD.

Dès que vous ne verrez plus de lumière à la fenêtre de la terrasse, c’est que madame sera rentrée dans sa chambre, et que nous en aurons fait tous autant.

VALERY.

Ça suffit.

MINARD.

Bonne chance, monsieur le comte ; d’abord à vous, ensuite à moi.

VALERY.

Ah ! tu déranges le proverbe, tu nous porteras malheur. Bonne nuit, Minard ! l’heure du berger sonne bientôt pour moi.

Air : Premier chœur de la Fiancée.

Attendons l’instant propice
Pour arriver à mon but ;
Dans ce taillis je me glisse,
Comme un chasseur à l’affût.

MINARD.

Il attend l’instant propice
Pour arriver à son but,
Et dans le taillis se glisse,
Comme un chasseur à l’affût.

Valery et Minard regagnent la droite.

AUVRAY, vivement, sur le devant.

Qu’ai-je entendu ? pauvre baron ! ça me fend le cœur !... je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas avoir assommé ce Minard tout à l’heure ! Ah ! par la terrasse ? nous verrons si vous y arriverez.

Valery a disparu.

 

 

Scène VII

 

AUVRAY, MINARD, JULIE, puis VALERY

 

Minard, pendant les paroles d’Auvray, a regagné le perron en tâtonnant. Il va monter ; Julie en descend et le rencontre, mais elle ne le reconnait pas d’abord et croit parler à son mari.

JULIE.

Es-tu là, Auvray ? Viens donc ; madame t’attend et s’impatiente.

MINARD, l’embrassant.

J’y vais, mes amours.

JULIE, s’enfuyant.

Ah ! ce n’est pas Auvray !

Elle rentre ainsi que Minard qui la suit.

AUVRAY, élevant la voix.

Et non, de par tous les diables ! ce n’est pas lui... Ah ! ça... ils se sont donc tous donné le mot pour embrasser ma femme.

VALERY, reparaissant et prenant Auvray par le bras.

Hein ? qu’est-ce qu’il y a ?

AUVRAY, à part.

À l’autre maintenant.

VALERY.

C’est toi, Minard ? N’as-tu pas crié ?

AUVRAY, à part.

Il me prend pour Minard !

VALERY.

J’ai cru que tu m’appelais.

AUVRAY, bas.

Non, le bon moment n’est pas venu.

À part.

Et je m’arrangerai bien pour qu’il ne vienne pas.

VALERY.

C’est à la femme du tapissier que tu en veux, n’est-ce pas ?

AUVRAY, se contraignant.

Oui, oui !

À part.

Scélérat de Minard... et il faut que je dise oui encore.

VALERY.

Celle qui est venue nous rejoindre ce matin dans le pavillon ?

AUVRAY, à part.

Oh ! mon Dieu ! que va-t-il m’apprendre ?

VALERY.

Elle est entrée là bien mal à propos ; mais, ma foi, je l’ai embrassée.

AUVRAY, à part.

Encore un... je ne pouvais pas l’échapper...

VALERY.

Ça ne te fâche pas.

AUVRAY, à part.

Vous verrez que ça doit me faire plaisir.

VALERY.

Ce n’est pas ta femme...

AUVRAY, à part.

Plût à Dieu !

VALERY.

Mais elle est gentille.

AUVRAY, à part.

Merci du compliment.

VALERY.

Et j’ai profité de l’occasion.

AUVRAY.

Adieu, monsieur le comte.

VALERY.

Ou vas-tu donc ?

AUVRAY, en s’éloignant, à part.

Préparer des obstacles à vos entreprises... et mettre ma femme en sûreté.

Il rentre par le perron.

 

 

Scène VIII

 

VALERY, seul

 

Eh bien ! il ne répond pas, il est parti... il aura craint quelque surprise ; mais non, personne. Réussirai-je ? mon plan est assez bien concerté, toutes les chances sont pour moi ; prenons donc patience ! D’abord, le mari soupe en ce moment avec de bons amis qui prendront soin de sa raison ; quand il aura bien perdu la tête, on le mettra à pied sur le chemin du château de madame de Rostanges ; il arrivera, ou il n’arrivera pas : la nuit est noire en diable ; il est capable de se perdre, et dans tous les cas, je serai, moi, fort paisible ici ; je me sens pourtant accablé de fatigue ; depuis trois jours, pas un moment de repos ! Ah ! qu’importe ? le plaisir délasse.

En ce moment la porte sur la terrasse s’ouvre.

Oh ! oh ! encore quelqu’un.

Il regagne la droite.

 

 

Scène IX

 

AUVRAY, puis MADAME DE VILLIERS et JULIE, puis VALERY

 

AUVRAY, arrivant avec précaution sur la terrasse.

Eh ! vite sur cette terrasse.

Il regarde en dedans.

Bon ! l’on ne m’a pas vu ! madame n’était pas en train de causer... prétexte pour se débarrasser de moi peut être... Eh bien ! je me suis glissé ici, sans être aperçu... et si elle attend quelqu’un, c’est moi qui le recevrai...

MADAME DE VILLIERS, en dehors.

Julie ! ferme la porte de la terrasse.

AUVRAY.

Oh ! mon Dieu ! je vas être découvert.

Il se blottit derrière une caisse.

MADAME DE VILLIERS, en dehors.

Je vais me déshabiller ; tout le monde pourra aller prendre du repos.

JULIE, paraissant à la porte de la terrasse.

Minard veillera pour attendre monsieur le baron, s’il revient cette nuit.

Elle passe la tête en dehors de la porte vitrée.

Je vous promets du beau temps pour demain, madame...

Elle tire la porte et la ferme.

AUVRAY, sur la terrasse.

Oui, et pour cette nuit ! Enfin, on ne m’a pas vu ! Attendu ou non, M. de Valery ira chercher fortune ailleurs ; ce que j’en fais, ce n’est pas pour ce M. de Villiers, qui embrasse ma femme, non, mais pour madame, si bonne, si belle ! et que son imbécile de mari laisse à la gueule du loup.

VALERY.

Voici la lumière ; l’ombre de la femme de chambre se dessine sur les rideaux.

En ce moment, par la dis position de la lumière à l’intérieur, tous les mouvements des deux femmes se reproduisent en silhouette sur les rideaux blancs de la croisée.

Ah ! voici madame de Villiers. Eh ! Dieu me pardonne, je crois qu’elle commence sa toilette de nuit.

Ici Julie, après avoir enlevé la robe de sa maitresse, se met à la délacer ; pendant ce temps, Auvray a le dos tourné à la fenêtre.

AUVRAY.

Je fais là une drôle de faction ; on aurait bien dû faire venir le tapissier de Soissons.

VALERY.

Quel dommage de n’y assister qu’à travers ces rideaux !...

Moment de silence et d’attention accompagné par une musique en sourdine. Tout coup, à l’incident de la toilette qu’on jugera convenable, tout rentre dans l’obscurité.

Bon ! la lumière est éteinte ; voici l’instant.

Il s’approche de la terrasse.

AUVRAY, prêtant l’oreille.

On vient, c’est sans doute ce scélérat de chambellan. Oh ! quoi qu’il puisse arriver, j’y suis bien décidé, d’a bord, il aura perdu sa peine.

VALERY, s’arrêtant au moment où il lève déjà la jambe pour l’escalade.

Je crois avoir entendu remuer dans le feuillage. M’épierait-on ?

AUVRAY, à part.

Il paraît qu’il se consulte.

 

 

Scène X

 

AUVRAY, blotti sur la terrasse, VALERY, en bas, MONSIEUR DE VILLIERS, arrivant par le fond, sa démarche est celle d’un homme ivre

 

DE VILLIERS, ivre.

Toujours tout droit... toujours tout droit ! m’ont-ils dit, ces bons amis, et vous trouverez le château de madame de Rostanges ; voilà une heure que je tourne et retourne, et je ne trouve rien.

VALERY, écoutant.

N’est-ce point la voix de de Villiers ? que diable vient-il faire ici ? voyons un peu.

Il se place dans le taillis, l’oreille au guet.

AUVRAY, sur la terrasse.

Il ne se décide pas à grimper...

DE VILLIERS.

Eh ! mais... en voici un château !... oui, une terrasse comme chez moi... c’est cela, c’est cela !... Madame de Rostanges ne m’a pas trompé !... En vérité, je n’ai jamais vu une route plus tortueuse !... j’ai fait plus de cent détours, et pas de voiture, mes chevaux sur la litière. Enfin j’arrive, adorable de Rostanges, guidé par l’amour ; je vais escalader cette terrasse.

VALERY, à part.

Qu’entends-je ?... il se croit au château de Rostanges ; il paraît que les libations ont été copieuses !... mais s’il rentre chez lui, plus d’espoir pour moi.

DE VILLIERS.

Il faut avouer que je suis un heureux coquin.

VALERY.

Chercher une maîtresse, et revenir chez sa femme... il appelle cela du bonheur...

DE VILLIERS.

Voyons ! ne nous faisons pas attendre... Ce brave de Rostanges est bien loin, et il ne se doute pas que je suis ici : l’autre jour encore, il me raillait sur mon avenir conjugal !... Pauvre niais !...

Air : De par la loi. (Un de plus.)

Il est vaincu. (bis.)
Il m’osa plaisanter naguère.
Bientôt il sera convaincu,
Qu’en faisant avec moi la guerre
On est vaincu. (bis.)
Par moi toujours on est vaincu !

L’accompagnement fait coucou ! coucou !

Tiens... voilà un oiseau qui chante à propos... Allons, tâchons de grimper !... elle avait pardieu raison !... c’est une terrasse tout-à-fait dans le genre de la mienne ; il y a pourtant une différence...

Il se met en devoir d’escalader, mais il retombe.

AUVRAY, sur la terrasse.

Ah ! ah !... l’infâme séducteur se décide ; voici le moment critique...

VALERY, à part.

Vit-on jamais pareille chose ?... C’est le mari qui prend le chemin que j’avais choisi ; il ne me reste plus qu’à lui faire la courte échelle.

DE VILLIERS, commençant à grimper.

Ça va bien... ça va bien !...

VALERY, sur le devant.

Même air.

Je suis vaincu ! (bis.)
Par un mari ! quel tour infâme !
Je vais donc fuir, tout morfondu...
Pendant qu’il va trouver sa femme !
Je suis vaincu ! (bis.)
C’est l’amant qui sera vaincu.

L’accompagnement fait coucou ! coucou !

DE VILLIERS, grimpant.

Toujours l’oiseau ! l’accompagnement est, ma foi, très drôle.

AUVRAY, sur la terrasse.

Le scélérat avance !... Quel parti prendre ? Ah ! j’y suis ! faisons le mari !... ça le chassera...

Haut.

N’entends-je pas quelqu’un qui tâche d’escalader la terrasse de ma femme ?

DE VILLIERS, s’arrêtant.

De ma femme ! est-ce que de Rostanges est revenu chez lui ?

AUVRAY, sur la terrasse.

Qui va là ?

VALERY, à part.

Tiens ! il y a un argus sur la terrasse.

DE VILLIERS, en l’air.

Diable ! diable !... Je suis venu trop tard !...

AUVRAY, sur la terrasse.

Je suis armé... et si l’on ne s’en va pas, je tire.

DE VILLIERS commence à redescendre.

Oh ! oh ! c’est différent, du moment que le mari est là... que le ciel la confonde.

AUVRAY, sur la terrasse.

Il redescend... J’ai réussi.

VALERY, à part.

Quel est le cerbère qui chasse ce pauvre de Villiers de chez lui ?... Il croit sans doute s’adresser à moi.

DE VILLIERS, en bas.

Allons, il n’y a pas de milieu, il faut bien que je reprenne le chemin de mon château : en tournant le dos à celui-ci et en marchant toujours tout droit, je dois arriver ; peste soit de ce butor de Rostanges.

Il s’éloigne en trébuchant.

VALERY.

Bon !... il s’éloigne et va se mettre en quête de son château ; s’il le trouve de ce côté là, il sera bien heureux.

AUVRAY, sur la terrasse.

Je n’entends plus rien... ma faction est terminée... Ah ! M. de Valery, je vous ai joliment fait déguerpir...

Il descend de la terrasse avec précaution.

VALERY.

N’aperçois-je pas le maudit gardien qui descend ?

AUVRAY, en bas.

Maintenant, je peux dormir en repos ; j’ai fait là une bonne action !... le séducteur est vexé ; et moi, me voilà tranquille.

Il se dirige vers le château par l’escalier du perron.

VALERY, qui l’a écouté.

Oui, je te conseille de te vanter, tu as fait là une jolie campagne, tu empêches le mari de rentrer près de sa femme, et tu me laisses la place libre... Il est un Dieu pour les amants.

En disant cela, il a escaladé la terrasse.

AUVRAY, sur le perron.

Il doit être loin.

VALERY, sur la terrasse.

À moi la victoire !

AUVRAY.

Je vais me coucher.

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente le petit salon ; porte au fond ; à droite du spectateur, la porte vitrée donnant sur la terrasse ; à gauche, vis-à-vis une fenêtre, du même côté, au deuxième plan, une porte ; une autre porte à droite, vis-à-vis. Devant la fenêtre une table ; près de la porte à gauche, un grand tapis roulé.

 

 

Scène première

 

JULIE, venant d’achever la toilette de madame de Villiers, MADAME DE VILLIERS, puis VALERY

 

MADAME DE VILIERS.

Bien, Julie, c’est bien ainsi.

JULIE.

Comment !... est-ce que madame ne se couche pas ?

MADAME DE VILLIERS.

Non...

JULIE.

Il est pourtant bien tard.

MADAME DE VILLIERS.

Je n’ai pas sommeil.

JULIE.

Ah ! je devine ! madame veut attendre le retour de monsieur le baron.

MADAME DE VILLIERS.

C’est vrai ! il va rentrer, il me l’a bien promis, et je ne serais pas tranquille si je ne l’avais pas revu.

JULIE.

Madame désire-t-elle que je lui tienne compagnie ?

MADAME DE VILLIERS.

Non, en vérité, ton mari à toi n’est pas absent.

JULIE.

Oh ! mon mari est très patient.

MADAME DE VILLIERS.

Vraiment !

JULIE.

Au bout d’un certain temps, ils sont tous comme cela...

MADAME DE VILLIERS.

Tu crois ?

JULIE.

Vous verrez !... Mais madame s’ennuiera toute seule.

MADAME DE VILLIERS.

Non : j’ai un moyen d’employer mon temps ; écoute, Julie : Quand j’ai quitté couvent pour épouser M. de Villiers, j’ai promis à mes bonnes amies, qui n’étaient pas aussi heureuses que moi, de leur faire savoir dans le plus grand détail ce que c’est que le mariage ; il faut que je tienne ma promesse.

JULIE.

Comment, madame, vous allez leur écrire ?

MADAME DE VILLIERS.

Sans doute ! pour qu’elles sachent à quoi s’en tenir quand leur tour viendra.

JULIE.

Voilà des demoiselles bien prévoyantes.

MADAME DE VILLIERS.

Leur curiosité n’est-elle pas naturelle ?

Air nouveau de mademoiselle Jenny Colon.

Vers la pauvre ignorante
Qui s’ennuie au parloir,
Ma plume complaisante
Fera glisser l’espoir ;
Je me rappelle encore
Nos songes séduisants,
Et le feu qui dévore
Jeune cœur de seize ans.

Mon récit plein de charmes,
Égayant son ennui,
Viendra sécher les larmes
Qui coulent aujourd’hui ;
D’un trop long esclavage
Je veux les consoler ;
Un plaisir qu’on partage
Me semble se doubler.
Je ferai tout connaître ;
Cet heureux souvenir
Au couvent fera naître
Doux rêves d’avenir.

Vers la pauvre ignorante, etc.

JULIE.

C’est tout-à-fait charitable.

MADAME DE VILLIERS.

Je suis sûre qu’elles m’accusent déjà de négligence.

JULIE.

C’est bien le moins que vous ayez pris le temps d’apprendre quelque chose.

MADAME DE VILLIERS.

Dis-moi, Julie, qu’en penses-tu, toi, du mariage ?

JULIE.

Oh ! madame, le mariage ressemble à beaucoup de choses ; c’est quelquefois plus joli de loin que de près... mais vous ?

MADAME DE VILLIERS.

Moi ? je suis enchantée ; j’aime M.de Villiers de tout mon cœur ; je ne connais pas d’homme plus aimable que lui.

JULIE.

Eh bien, madame, tâchez que cela dure...

MADAME DE VILLIERS.

Oh ! cela durera !

JULIE.

Ainsi soit-il !

MADAME DE VILLIERS.

Il n’y a qu’une chose qui me fâché...

JULIE.

Laquelle ?

MADAME DE VILLIERS.

Il ne devrait pas me quitter si souvent ; et quand il y a d’autres femmes, je ne voudrais pas qu’il’ fît tant d’attention à elles... et qu’il s’occupât si peu de moi.

JULIE.

C’est qu’apparemment il veut comparer.

MADAME DE VILLIERS.

Et si je perdais à la comparaison ?

JULIE, souriant.

Il n’y a pas encore de danger.

MADAME DE VILLIERS.

Est-ce que tous les maris sont de même, Julie ?

JULIE.

À peu près, madame.

MADAME DE VILLIERS.

Il voit bien que je ne songe qu’à lui plaire, que je cherche tous les moyens de faire ce qui lui peut être agréable.

JULIE.

Ah ! c’est peut être là le mal !

MADAME DE VILLIERS.

Comment ? que veux-tu dire ?

JULIE.

À présent, vous ne comprendriez pas ; je vous expliquerai cela dans six mois.

MADAME DE VILLIERS.

Six mois ! c’est bien long !

JULIE.

Une illusion se perd toujours assez tôt.

MADAME DE VILLIERS.

Tais-toi ; songeons plutôt que mon mari reviendra peut-être souper avec moi en tête-à-tête ; il faut dresser la table ici, dans ce petit salon...

JULIE.

Voulez-vous que j’appelle quelqu’un ?

MADAME DE VILLIERS.

Non, non : nous ferons bien tout cela nous-mêmes ; tu vas m’aider ; quand il rentrera, je serai charmée de lui dire : c’est moi qui ai tout préparé ; il trouvera le souper meilleur. Viens par ici, Julie ; éclaire-moi. Tiens, Auvray qui n’a pas encore emporté ce tapis.

JULIE, prenant la bougie suivant madame de Villiers dans sa chambre. À part.

Bonne petite femme ! et penser que déjà peut-être... Oh ! ça crie vengeance...

MADAME DE VILLIERS.

Allons !

Elles entrent toutes deux dans la pièce à gauche du spectateur.

VALERY détache un carreau de la porte vitrée à droite, passe le bras, lève l’espagnolette et entre.

Bon ! plus de lumière ! un carreau détaché, presque sans bruit... Minard m’a bien dit : Quand la lumière disparaîtra ; et elle a disparu enfin !... Oh ! oh ! que vois-je ? la lumière qui revient ! je me suis trop pressé... Allons, la brèche est toujours faite... attendons encore...

Il sort par la porte vitrée ; madame de Villiers et Julie rentrent ; cette dernière porte un plateau sur lequel il y a deux couverts.

MADAME DE VILLIERS.

À merveille, Julie, pose cela ici : je veux que mon mari soit content à son retour ; qu’il ne se trouve nulle par aussi bien qu’ici...

JULIE.

Il faudrait qu’il fût bien difficile.

MADAME DE VILLIERS.

Maintenant que tout est prêt, je vais l’attendre : Adieu, Julie, je n’ai plus besoin de toi...

JULIE.

Madame souhaite donc que je m’en aille...

MADAME DE VILLIERS.

Certainement ; je ne veux pas être égoïste ; tu vas retrouver ton mari, toi, tu es bien heureuse ! Bonne nuit, Julie...

JULIE.

Bon courage, madame.

MADAME DE VILLIERS.

J’en ai besoin... c’est un peu ennuyeux d’être seule ! Adieu ; je vais écrire à mes chères compagnes, ce que c’est que le mariage.

JULIE.

Je crains que votre lettre ne soit pas encourageante.

MADAME DE VILLIERS.

Oh ! tous les jours ne se ressemblent pas.

Madame de Villiers sort par la porte à gauche du spectateur, en emportant la bougie ; Julie sort par le fond. À peine sont-elles sorties que Valery passe son bras par le carreau à droite, lève l’espagnolette et entre.

 

 

Scène II

 

VALERY, seul

 

Cette fois, le moment favorable est arrivé. Après un siège en règle, me voici dans l’intérieur de la forteresse... Il fait un froid cruel sur cette terrasse. Hum ! je suis transi ; mais on n’y voit goutte dans cette pièce, et je ne connais pas les êtres ! c’est égal, ne perdons pas de temps ! elle est ici à côté ; il faudrait trouver un moyen adroit... Si je frappais á sa porte ? oh ! non !... Si je chantais une romance bien sentimentale, bien langoureuse ? encore moins ; cependant, en y réfléchissant, la romance n’est peut-être pas à dédaigner... des sons doux... harmonieux...

En disant ces dernières phrases, il marche dans le salon, heurte un fauteuil qui tombe avec grand bruit.

Aie ! ce que c’est que de n’y voir pas clair ; ce bruit est capable de réveiller toute la maison...

La porte de madame de Villiers s’ouvre ; elle paraît sans lumière.

 

 

Scène III

 

VALERY, MADAME DE VILLIERS

 

MADAME DE VILLIERS, entrant.

Quel bruit ! c’est vous mon ami ? Ah ! mon Dieu !... sans lumière... ne vous êtes-vous pas blessé ? Attendez.

Elle rentre dans sa chambre.

VALERY.

Eh bien ! moi qui cherchais un moyen adroit d’amener un tête-à-tête ; le voilà tout trouvé.

MADAME DE VILLIERS, revenant et posant un flambeau sur la table.

Pauvre ami !que je vous demande pardon ! Ah ! ce n’est pas M. de Villiers...

VALERY.

Non, mais rassurez-vous.

MADAME DE VILLIERS.

Que je me rassure ? et pourquoi donc êtes-vous ici à cette heure ? expliquez-vous, monsieur.

VALERY, à part.

C’est là le difficile.

MADAME DE VILLIERS.

Vous ne répondez pas ? vous semblez embarrassé ? ah ! il est arrivé quelque accident à mon mari.

VALERY.

Pas encore.

MADAME DE VILLIERS.

Je suis toute tremblante, vous le voyez, monsieur ; parlez, parlez donc ! prenez pitié de moi.

VALERY.

Encore une fois, madame, veuillez ne pas vous alarmer.

MADAME DE VILLIERS.

Mais, pour que je ne m’alarme pas, dites-moi pour quoi il n’est pas encore venu... et pourquoi vous venez ?

VALERY.

Et s’il ne devait pas revenir ?

MADAME DE VILLIERS.

Comment ?

VALERY.

Oh ! ne craignez rien pour lui... il ne court aucun danger...

MADAME DE VILLIERS.

Je ne comprends pas...

VALERY.

En effet, comment comprendre qu’auprès de tant de charmes et de grâces on puisse songer à chercher ail leurs des plaisirs ?

MADAME DE VILLIERS.

Monsieur, je ne sais ce que vous voulez dire ; des devoirs importants ont appelé M. de Villiers hors de chez lui.

VALERY.

Des devoirs ? il vous l’a dit, et vous l’avez cru... Ah ! croyez-le toujours, ce n’est pas moi qui voudrais vous causer un chagrin, qui voudrais vous arracher une illusion dont la perte vous affligerait peut-être...

MADAME DE VILLIERS.

Qu’entends-je ?

VALERY.

Et pourtant... s’il existait un homme qui n’a pu vous voir sans vous adorer, sans éprouver, à votre aspect, ces émotions profondes qui décident de tout un avenir, soupçonnez-vous quelle douleur serait la sienne, en voyant trahir, abandonner celle pour qui il donnerait sa vie ?

MADAME DE VILLIERS.

Trahir... abandonner !

VALERY.

Être là, près de la femme qui seule lui fit connaître une véritable passion ; se dire au fond du cour : ah ! si elle savait combien il est coupable, ce mari à qui elle avait confié tout son avenir... si elle savait quel amour sincère, dévoué, inaltérable veille dans une autre âme ?

MADAME DE VILLIERS.

Ah ! je crois comprendre...

VALERY, à part.

Enfin, c’est bien heureux.

Haut.

Et se voir contraint de se taire !... ne pas oser dire tout cela.

MADAME DE VILLIERS.

Il me semble, monsieur, qu’il est difficile d’en dire davantage...

VALERY

Eh bien ! puisqu’à mon insu tout mon cœur s’est dévoilé devant vous, il n’est plus temps de déguiser la vérité ! certes, mon intention n’était pas de vous les révéler, les torts de cet époux infidèle, qui sacrifie, en ce moment, à de faux plaisirs ce qui devrait faire son bonheur, et qui n’a même plus pour excuse l’entrainement de la jeunesse... du moins, vos chagrins ont un écho dans une âme sincère et dévouée ; vous savez que toute une vie vous appartient... qu’il n’est rien que je ne fasse pour embellir la vôtre, pour lui donner toute la félicité qu’un autre vous avait promise.

MADAME DE VILLIERS.

Je vous ai patiemment écouté, monsieur, et je me suis contrainte pour ne pas vous interrompre ; car j’étais curieuse de voir jusqu’où vous pousseriez l’audace !

VALERY.

Ah ! madame, ne repoussez pas un cœur qui se donne à vous !... Je vous savais trahie, et je me taisais ; j’étais malheureux, et je souffrais en silence !... je n’osais parler, car je craignais votre colère ! aujourd’hui...

MADAME DE VILLIERS.

Aujourd’hui, vous parlez et vous n’obtiendrez que mon mépris...

VALERY.

Quoi ! madame...

MADAME DE VILLIERS.

Le comte de Valery m’a donc supposée bien crédule et bien niaise !... C’est une jeune fille qui sort du cou vent, s’est-il dit ! avec de l’audace et de belles paroles, en appelant à mon aide le dépit et la colère, j’entrainerai cette âme simple... Eh bien ! M. de Valery s’est trompé... cette jeune fille est maintenant une femme qui connaît ses devoirs et qui ne les trahira point ; dont le cœur ne saurait être compris du sien, car elle croit encore que le bonheur, c’est la vertu !...

VALERY.

Ah ! de grâce, madame, écoutez-moi ! je vous en conjure !

MADAME DE VILLIERS.

Vous écouter ?... j’en ai déjà trop entendu ! vous allez sortir à l’instant de chez moi, monsieur ; et si quelques sentiments honnêtes peuvent encore se faire jour dans votre cœur, ils suffiront pour que je ne sois pas forcée de vous répéter l’ordre de vous éloigner...

VALERY.

Pouvez-vous repousser ainsi un amour ?

MADAME DE VILLIERS.

Je ne crois pas à votre amour et je m’en occupe peu !... celui de mon mari me suffit, et je penserais l’avoir perdu que je ne voudrais pas du vôtre !

VALERY.

Je ne souffrirai pas que vous me quittiez ainsi, et c’est à vos genoux !...

MADAME DE VILLIERS, riant.

Un noble et brillant séducteur, aux genoux d’une petite pensionnaire de couvent, relevez-vous donc !... il y a de quoi vous déshonorer à tout jamais.

Air : T’en souviens-tu.

À vos dépens, n’apprêtez pas à rire !
Qu’obtiendrez-vous en restant à mes pieds ?

Valery se relève.

Je vous promets, monsieur, de n’en rien dire ;
Sortez d’ici comme vous y veniez.
Moi, je vous laisse, et mon âme est tranquille ;
Portez ailleurs un insolent aveu !...
N’oubliez pas, en quittant cet asile,
Que le mépris fut mon dernier aveu !

Elle rentre dans sa chambre et on l’entend se renfermer en dedans.

 

 

Scène IV

 

VALERY, seul et se relevant

 

Elle s’enferme. Peste soit de la bégueule ! Qui jamais aurait pensé qu’une échappée de couvent me recevrait ainsi ? Pardieu !... me voilà bien avancé... certes, je ne sortirai pas bêtement par où je suis venu... que diraient ces dames ? Oh ! je serais déshonoré !... non, non ! Ah ! jolie baronne, vous m’outragez, vous me repoussez ? Eh bien ! je me vengerai... je veux sortir par la grande porte, moi ! en plein jour ; vous apprendrez ce qu’on risque à mépriser le comte de Valery !

Il étend les bras.

Eh ! mais, je n’avais pas remarqué... une table servie ? c’est la manne dans le désert ; ici du moins j’occuperai la place du bonhomme de mari.

Il s’assied table.

Goûtons d’abord son vin... il est pardieu excellent !... encore un verre ! Ce champagne a un montant...

Il regarde à sa montre.

Près de quatre heures du matin, et madame de Rostanges doit venir au point du jour... son billet me l’annonce...

Il tire un billet de sa poche et le parcourt.

À la bonne heure !... quand elle arrivera avec madame de Courcelles, on m’aura va sortir ; et que madame de Villiers dise après ce qu’elle voudra... j’aurai du moins le plaisir de la vengeance.

Air de l’Angélus.

On a vu bien des généraux
Comme moi dérober leur gloire ;
Doit-on chicaner les héros ?
C’est presque obtenir la victoire,
Que forcer le monde d’y croire ;
Mon triomphe sera vanté
La prude sera confondue ;
Plus d’un Te Deum fut chanté
Pour une bataille perdue.

Il s’endort tout doucement ; le jour commence à poindre.

 

 

Scène V

 

VALERY, endormi, AUVRAY, entrant par le fond, avec une échelle

 

AUVRAY, sans voir Valery.

Allons, voici le jour : mettons-nous à l’ouvrage... j’ai promis d’arranger ces draperies ce matin ; hâtons nous pendant qu’on dort, et surtout ne faisons pas de bruit... J’ai eu beau faire, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit...

Il monte sur son échelle en tournant le dos à Valery, et arrange les draperies de la porte de la terrasse.

Cette charmante baronne était là devant moi... je l’ai tout de même joliment chassé cet infâme chambellan !... abominable séducteur ! il voulait escalader la terrasse !... j’y ai mis bon ordre...mais l’attendait-elle ? ne l’attendait-elle pas ? Eh ! qu’est-ce que ça me fait à moi ; pourquoi donc que j’y songe sans cesse à cette baronne ? Certainement, tout ce qu’ils disent à l’office est absurde ; ça n’a pas le sens commun, et je suis loin de penser... Eh bien ! c’est égal ; l’idée qu’un autre pourrait... ça me bouleverse !... oui, oui, très bien... va toujours, grosse bête ; et pendant ce temps-là, tout le monde embrasse ta femme ; Dieu sait ce qui t’arrivera... Allons, ne nous mêlons plus de ce qui ne nous regarde point. D’ailleurs, M. de Valery en est pour ses frais... Voilà qui est fini.

Il sort son échelle par la porte de la terrasse.

Tiens ! une bougie qui brûle encore... on l’aura oubliée : éteignons-la.

Il souffle la bougie, et ses yeux tombent d’aplomb sur Valery endormi.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que j’ai vu là ?... C’est lui !... il dort... il est revenu quand j’ai été couché, il a soupé ici... il y a deux couverts !... ils étaient d’accord !... c’est une horreur... une abomination... Ah ! madame la baronne, avec votre petite air... fiez-vous y donc... et moi qui m’étais imaginé... pas du tout, c’était pour lui... mais ça ne se passera pas ainsi ; le baron est un honnête homme... il ne mérite pas... c’est-à-dire, si fait... il le mérite bien... mais c’est égal... je n’entends pas... je ne veux pas... je ne sais plus ce que je dis... la colère m’étouffe...

 

 

Scène VI

 

VALERY endormi, MADAME DE VILLIERS, AUVRAY

 

MADAME DE VILLIERS, sortant de sa chambre.

Il m’a semblé entendre quelqu’un... Ah !... c’est vous, Auvray ? si matin à l’ouvrage, mon ami ?

AUVRAY, à part.

Son ami !...

MADAME DE VILLIERS.

Je vous remercie, mais c’est trop de zèle... il n’était pas nécessaire de vous lever si tôt.

AUVRAY, à part.

Je crains bien de m’être levé trop tard...

MADAME DE VILLIERS.

Vous vous fatiguerez, et je ne le veux pas.

AUVRAY.

Oh ! je suis accoutumé à cela ; mais vous, madame, vous êtes bien matinale ! vous vous êtes levée sans appeler Julie ?

MADAME DE VILLIERS.

Je n’avais pas besoin d’elle.

AUVRAY, à part.

Je le crois bien.

MADAME DE VILLIERS.

Je ne me suis pas couchée.

AUVRAY, à part.

Elle en convient.

MADAME DE VILLIERS.

J’attendais M. de Villiers.

AUVRAY.

Ah ! vous attendiez M. de Villiers.

MADAME DE VILLIERS.

Sans doute... et il n’est pas venu...

Elle soupire.

AUVRAY, à part.

Il me semble qu’il a aussi bien fait.

MADAME DE VILLIERS.

Son absence m’étonne presque autant qu’elle m’afflige...

AUVRAY, à part.

Il faut avouer qu’elle a un fier à-plomb.

MADAME DE VILLIERS.

Auvray, vous êtes marié, vous aimez votre femme ; eh bien ! croyez-moi, ne la quittez pas ainsi...

AUVRAY.

Oui, madame, il paraît que c’est dangereux.

MADAME DE VILLIERS, à elle-même.

Ah ! monsieur de Villiers, combien vous êtes coupable !...

AUVRAY.

Vous aimez votre mari ?...

MADAME DE VILLIERS.

Que signifie cet étonnement ?

AUVRAY, montrant Valery toujours endormi.

Ah ça ! et celui-là ?...

MADAME DE VILLIERS.

Ciel !...

AUVRAY.

Dam !... vous voyez...

MADAME DE VILLIERS.

Encore ici !... et il dort !... dans mon appartement.

AUVRAY.

Comme s’il était chez lui.

MADAME DE VILLIERS.

Quel est le projet de cet homme ?... il veut donc me perdre ? il veut se venger du mépris qu’il m’inspire, du dédain avec lequel je l’ai traité...

AUVRAY.

Il paraît que ça ne lui a ôté ni l’appétit ni le sommeil...

MADAME DE VILLIERS.

Auvray, cet homme a osé s’introduire chez moi la nuit...

AUVRAY.

Pardine, je le vois bien.

MADAME DE VILLIERS.

Il n’a pas craint de me déclarer son amour.

AUVRAY.

Je m’en doute...

MADAME DE VILLIERS.

Je l’ai honteusement chassé de ma présence, je me suis retirée dans ma chambre, convaincue qu’il s’en irait par où il était venu.

AUVRAY, souriant.

Et il est resté... voilà qui est étrange...

MADAME DE VILLIERS.

Auvray !...

AUVRAY.

Madame...

MADAME DE VILLIERS.

Pourquoi ce sourire ?... oseriez-vous douter de mes paroles ?...

AUVRAY.

Madame... certainement...

MADAME DE VILLIERS.

Savez-vous bien que ce sourire est une injure ?... Je suis bien malheureuse !... et lui aussi, il a pu me soupçonner...

AUVRAY, à part.

Si elle disait vrai, pourtant ?...

MADAME DE VILLIERS.

Vous, Auvray ! que j’ai comblé de bienfaits !... que j’avais distingué entre tous mes serviteurs...

AUVRAY.

Il serait possible...

MADAME DE VILLIERS.

Vous, le mari de la compagne de mon enfance... et qui voudra croire, lorsque vous m’accusez, que cet homme est là, malgré moi... qu’il me fait horreur !... que jamais par un geste, un regard, je n’ai encouragé son infâme entreprise... qui voudra croire qu’en recevant la main de M. de Villiers, je lui ai consacré toute ma vie, que je l’aime de toutes les forces de mon âme !

AUVRAY, à part.

Attrape, imbécile !... c’est bien fait !

MADAME DE VILLIERS.

Vous avez donc pensé que l’homme, dont l’insolente audace concevrait d’injurieuses espérances, pourrait obtenir autre chose que mon mépris et ma haine ?...

AUVRAY.

Ah ! mon Dieu... votre haine ?

MADAME DE VILLIERS.

Ainsi... parce qu’il a plu à un misérable de me faire le plus sanglant outrage, il faut que je sois soupçon née, que je sois perdue...

AUVRAY.

Perdue ?... Oh non ! madame, non.

MADAME DE VILLIERS.

Et qui me sauvera ?... N’est-il pas ici, chez moi ?... n’y a-t-il point passé la nuit ?... Si personne ne l’a vu entrer, ne le verra-t-on pas sortir ?... ne serai-je pas déshonorée ? Ah ! plutôt mille fois mourir...

AUVRAY.

Madame, pardonnez-moi !... pardonnez-moi !...

MADAME DE VILLIERS.

Vous pardonner ?... Quoi donc ?...

AUVRAY.

Pardonnez-moi mes soupçons coupables, mes folies plus coupables encore.

MADAME DE VILLERS.

Je ne vous comprends pas, Auvray...

AUVRAY.

Eh mon Dieu ! je ne me comprends pas moi-même... de folles idées m’avaient troublé le cerveau ; vous venez de les chasser !... tout mon avenir est sauvé main tenant.

MADAME DE VILLIERS.

Et le mien, grand Dieu !

AUVRAY.

Le vôtre ?... j’y périrai, madame, ou il restera ce qu’il doit être, heureux et honorable !... Je ne suis qu’un ouvrier, voyez-vous... mais j’ai un cœur... j’ai une âme... de ce moment, je vous appartiens, mon sang, ma vie, tous est à vous !...

MADAME DE VILLIERS.

Et que pensez-vous faire ?

AUVRAY.

Je ne sais pas !... mais il faut trouver un moyen de vous sauver... il ne sera pas dit qu’Auvray était là quand vous courriez un danger, et qu’il n’a rien fait pour vous y soustraire...

MADAME DE VILLIERS.

Mais cet homme ?

AUVRAY.

Cet homme ? que ça me réjouit de le voir là !... il a un grand nom, une grande fortune !... moi, je n’ai rien, je ne suis rien, et pourtant...

Air : du Verre.

C’est à lui maint’nant d’êtr’ jaloux,
Car pour vous j’ peux risquer ma vie,
Et chaque fois qu’ vous pens’rez à nous.
Mon sort sera digne d’envie !...
Vous m’estim’rez, je le sens là...
Et vous vous direz, l’âme émue :
Le pauvre ouvrier me sauva ;
Le grand seigneur m’aurait perdue !

MADAME DE VILLIERS.

Bon Auvray !... mais que deviendra-t-il ?

AUVRAY.

Oui !... c’est là le difficile... Ah ! attendez.

Il aperçoit le billet que Valery a laissé tomber.

Et tenez, madame... un billet ouvert...

MADAME DE VILLIERS, après avoir lu.

Oh !... c’était un complot... ces dames doivent, ce matin, venir s’informer de son triomphe et jouir de mon opprobre...

AUVRAY.

C’est juste... une femme comme vous... ça gâte le métier ! je vais joliment l’arranger, son triomphe.

Il lève la table, qu’il porte au fond.

MADAME DE VILLIERS.

Vous allez le réveiller...

AUVRAY, avec réflexion.

Si, avant qu’il ait eu le temps de se remettre, je le jetais par-dessus la terrasse...

MADAME DE VILLIERS.

Y pensez-vous ?

AUVRAY.

Vous avez raison... Il se casserait les reins... on le ramasserait... et on demanderait d’où il est tombé...

MADAME DE VILLIERS.

Le temps passe, Auvray ! que faire, mon Dieu ?... que faire ?...

AUVRAY.

Oh !... j’y suis !... j’y suis !... soyez tranquille, madame, il pourra se réveiller après tant qu’il voudra, les yeux ouverts ou fermés, nous n’aurons plus rien à craindre de lui !...

Il va prendre une serviette sur la table et attache les jambes de M. de Valery.

MADAME DE VILLIERS.

Que faites-vous ?

AUVRAY.

Je me rends maître des mouvements de l’ennemi.

Il prend une autre serviette et lie les mains du comte ; à peine fait-il le dernier nœud, que Valery se réveille. Auvray et madame de Villiers se retirent au fond.

VALERY.

Qui va là ?...Eh bien !... je crois, Dieu me pardonne, qu’on m’a lié les mains.

Il veut se lever et retombe.

Mes jambes aussi !... est-ce que je serais dans une caverne de voleurs... Qui s’est permis ?...

AUVRAY, s’avançant.

C’est moi, monsieur le comte.

VALERY.

Toi, misérable !... et de quel droit ?...

AUVRAY, désignant la baronne.

Par ordre de madame.

VALERY.

Vous, madame !... certes la plaisanterie est fort agréable... mais commandez, je vous prie, à cet homme de me délivrer...

AUVRAY.

Madame la baronne le voudrait, que je n’obéirais pas. Vous parliez de voleurs tout à l’heure ; comment appellerez-vous celui qui s’introduit dans une maison !... la nuit... par escalade... le voleur, monsieur le comte, a été pris au trébuchet ; tant pis pour lui, il subira sa peine...

VALERY.

Sa peine, insolent ! que veux-tu dire ?

AUVRAY.

Ces dames vont venir ce matin, vous le savez, pour être témoins du succès de votre chevaleresque entreprise ; elles vous trouveront dans l’état où vous voilà, ce sera drôle... et pour que rien n’y manque, nous y ajouterons un petit écriteau, avec le récit de l’aventure...

VALERY.

Misérable !... au nom du ciel, madame, ne poussez pas votre vengeance jusque-là... pouvez-vous donc m’en vouloir de n’avoir pas su résister...

MADAME DE VILLIERS, lui présentant la lettre de madame de Rostanges.

Vous ne méritez pas qu’on vous réponde.

VALERY.

Ah !... je suis bien coupable !... mais je suis prêt à souscrire à tout ce que vous voudrez.

AUVRAY.

Une proposition... il faut ou que l’on vous voie dans l’état où vous voilà, ou que vous sortiez sans être aperçu... il n’y a pas de milieu.

VALERY.

Mais comment...

AUVRAY.

Ah ! comment ? ceci est mon affaire... ça ne vous regarde pas... seulement votre parole de gentilhomme que, quel que soit le moyen que je vous propose, vous y consentirez.

MADAME DE VILLIERS, regardant à la porte de la terrasse.

Grand Dieu !... mon mari qui entre dans la cour.

VALERY.

Villiers ! ah ! diable !...

AUVRAY.

Vous le voyez, le temps passe ; à quoi vous décidez vous ? 

VALERY.

Eh ! commence d’abord par me détacher, et nous verrons après...

AUVRAY, le couvrant du rideau de la fenêtre au moment où M. de Villiers paraît.

Silence...

À la baronne.

Du sang-froid, madame...

 

 

Scène VII

 

AUVRAY, MONSIEUR DE VILLIERS, MADAME DE VILLIERS

 

DE VILLIERS, entrant et à part.

Ma femme... diable !...

MADAME DE VILLIERS, allant au-devant de lui fort troublée.

Ah ! c’est vous, mon ami... enfin...

DE VILLIERS, embarrassé.

Oui, ma chère, je rentre bien tard, n’est-ce pas ?...

AUVRAY, à part.

Ou de bien bonne heure.

Il va au tapis et le traîne auprès de Valery.

DE VILLIERS.

Que veux-tu ? les chemins sont și mauvais... ma voiture a versé... Dans mon empressement à te revoir, j’ai voulu revenir à pied, et ma foi, la nuit on est exposé...

AUVRAY, avec intention.

À s’égarer ?... oui.

DE VILLIERS.

Je ne sais comment cela se fait ; je n’ai jamais pu retrouver mon château avant le jour, je marchais... et quand il a fait clair, je me suis aperçu que je lui tour nais le dos.

AUVRAY, qui fait semblant d’arranger le tapis, à part.

Comment faire pour qu’il s’en aille ?...

DE VILLIERS, regardant la table.

Ah ! ah ! tu avais été assez bonne pour faire préparer à souper ? ma foi ça se trouve on ne peut pas mieux car j’ai un appétit du diable !... Auvray, approche-moi un fauteuil...

MADAME DE VILLIERS, à part.

Que devenir ?

AUVRAY, à part.

Ah ! mon Dieu !...

VALERY, à part.

Est-ce qu’il voudrait s’asseoir sur mes genoux ?...

DE VILLIERS, à Auvray.

Eh bien !

AUVRAY.

Mais, monsieur le baron...

DE VILLIERS.

Qu’est-ce donc qui t’arrête ? faut-il que j’aille moi même ?...

Il fait quelques pas.

AUVRAY, l’arrêtant.

Où donc vous êtes-vous fourré ?... regardez votre habit, monsieur, vous l’avez joliment arrangé...

MADAME DE VILLIERS, saisissant l’idée d’Auvray et à part.

Ah ! quel bonheur !...

DE VILLIERS.

Mon habit ?... oui, oui, en effet, je crois que je suis tombé dans une ornière.

MADAME DE VILLIERS.

Vous êtes dans un état pitoyable.

DE VILLIERS.

Tu crois ?...

MADAME DE VILLIERS.

Et ces dames qui vont venir ; vous présenterez-vous à elles dans un pareil costume ?

DE VILLIERS.

Diable !... diable !... non pas...

À part.

Madame de Rostanges qui est sans doute déjà furieuse de ne m’avoir pas vu... impossible de retrouver un château quelconque.

MADAME DE VILLIERS.

Mais allez donc, monsieur, je crois qu’on vient.

DE VILLIERS.

Je m’en vais !... Ce pâté pourtant...

MADAME DE VILLIERS.

Vous le trouverez à votre retour.

AUVRAY, à part.

Et il ne retrouvera plus l’autre.

Bas à madame de Villiers.

Tâchez de le retenir.

MADAME DE VILLIERS, bas à Auvray.

Je ne le quitte plus.

Elle sort avec son mari.

 

 

Scène VIII

 

VALERY, AUVRAY, puis MINARD

 

AUVRAY.

Eh ! vite !... il n’y a plus un moment à perdre...

Découvrant le comte.

Êtes-vous prêt ?

Il lui dénoue les jambes.

VALERY.

Qu’est-ce à dire ? voudrais-tu par hasard me rouler là-dedans...

AUVRAY.

Comme vous dites... vous avez consenti tout à l’heure... il n’y a plus à revenir.

VALERY.

Vit-on jamais plus horrible situation ?

AUVRAY.

Et vite ! et vite ! on pourrait venir.

VALERY.

Mais je vais étouffer là-dedans.

AUVRAY.

Laissez-donc ; c’est comme un lit de plumes.

Après l’avoir enveloppé.

Voilà qui est fait.

MINARD, entrant.

Mesdames de Courcelles et de Rostanges !

VALERY, passant sa tête au-dessus de la tapisserie.

Il était temps !

Auvray lui enfonce la tête dans le tapis.

 

 

Scène IX

 

VALERY, AUVRAY, MINARD, MONSIEUR DE VILLIERS, MADAME DE VILLIERS, MADAME DE COURCELLES et MADAME DE ROS TANGES

 

MADAME DE VILLIERS, sortant de la porte de droite avec son mari.

Ah ! il n’est plus là.

Ensemble.

Air de Doche. Final du premier acte du Duel sous Richelieu.

MADAME DE VILLIERS.

Quoi ! vous voici ! le jour à peine
A loin des cieux chassé la nuit ; (bis.)

À part.

Je sais quel projet les amène,
Mais leur espoir sera détruit.

DE VILLIERS.

Quoi ! vous voici ! le jour à peine
A loin des cieux chassé la nuit ; (bis.)
C’est l’amitié qui vous amène,
Vers nous le plaisir vous conduit.

MADAME DE ROSTANGES et DE COURCELLES.

Oui, nous voici ! le jour à peine
A loin des cieux chassé la nuit ; (bis.)
C’est le plaisir qui nous amène

À part.

Et la vengeance nous conduit !

AUVRAY.

Oui, les voici ! le jour à peine
A loin des cieux chassé la nuit ; (bis.)
La vengeance ici les amène,
Mais leur espoir sera détruit.

MINARD.

Quoi, les voici ! le jour à peine
A loin des cieux chassé la nuit ; (bis.)
Je sais quel projet les amène,
Mais leur espoir sera détruit.

MADAME DE ROSTANGES.

Vous voyez que nous sommes de parole... Comment avez-vous passé la nuit ?

MADAME DE VILLIERS.

Beaucoup mieux que je ne l’espérais, je vous remercie.

MADAME DE ROSTANGES, bas à madame de Courcelles.

Comme elle a l’air tranquille !...

MADAME DE COURCELLES.

Mais M. de Valery est bien paresseux... où est-il donc ?

MADAME DE VILLIERS.

Est-ce que vous espériez le voir chez moi ?

MADAME DE COURCELLES.

Ne devait-il pas être de notre promenade ?

AUVRAY, à part.

Je vais le faire promener, moi... mais je ne pourrai jamais emporter ce gaillard-là tout seul... Ah ! M. Minard un coup de main.

DE VILLIERS, à Auvray.

Et où vas-tu donc porter cette tapisserie.

AUVRAY.

C’est de la mauvaise marchandise que je vais mettre au rebut.

MINARD, tenant la tapisserie.

Est-ce que mon chambellan est fondu ?

Ils enlèvent la tapisserie ; Valery éternue.

DE VILLIERS.

Ah ! qu’est-ce que c’est que ça ?...

AUVRAY.

C’est moi, monsieur le baron, pardon !... je suis enrhumé du cerveau.

À Minard.

En route.

Bas à madame de Villiers en passant.

Vous êtes sauvée...

MADAME DE VILLIERS, à part.

Bon Auvray ! comment le récompenser ?...

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