Le Souper de Henri IV (Michel-Nicolas Balisson de ROUGEMONT)
Sous-titre : la dinde en pal
Comédie en un acte et en vaudevilles.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 23 avril, 1814.
Personnages
HENRI IV
LE MARÉCHAL DE BIRON
MAURICE, officier de l’armée du Roi
MADAME MAURICE
LAURENCE, sa fille
GUILLAUME, paysan
CHARLES, son fils
PLUSIEURS OFFICIERS de l’armée
La scène est dans un village, près d’Alençon.
Le théâtre représente une des salles basses de l’appartement de Madame Maurice.
Scène première
MADAME MAURICE, LAURENCE
MADAME MAURICE
Allons, ma fille, allons, un peu de courage ; je sais qu’il est difficile d’oublier l’objet qu’on aime.
LAURENCE.
Ah ! maman, c’est impossible.
MADAME MAURICE.
Mais enfin la lettre de ton père est précise, il ne faut plus penser à Charles.
LAURENCE.
Là... parce qu’il n’est pas noble, parce qu’il n’est que le fils d’un laboureur, m’ordonner de renoncer à lui ! en vérité, il y a des, moments où papa n’est guères raisonnable.
MADAME MAURICE.
Ton père est un brave officier, fidèlement attaché au parti de Henri, il peut un jour prétendre aux plus grands honneurs.
LAURENCE.
Oui, mais en attendant, si monsieur Guillaume n’était pas venu à son secours, mon père n’aurait pas pu faire les frais de son équipement.
MADAME MAURICE.
Je conviens que monsieur Guillaume nous a rendu service.
LAURENCE.
Et pour l’en récompenser, papa veut le priver de son fils.
MADAME MAURICE, souriant.
Le priver !... Oui, oui, maman.
LAURENCE.
Air : De Primerose.
Charles m’a dit qu’à son bonheur
Je serai toujours nécessaire,
Que je régnerai sur son cœur,
Qu’il m’aimera sa vie entière ;
Mais si l’on veut nous désunir
Dans le chagrin qui le désole,
Charles m’a promis de mourir,
Et Charles me tiendra parole,
Oui, Charles me tiendra parole. (bis.)
MADAME MAURICE.
Va, mon enfant, on ne meurt pas d’amour.
LAURENCE.
Oh ! que si ! Si Charles n’est pas mon époux, j’en mourrai, c’est bien sûr.
MADAME MAURICE.
Chère enfant !
LAURENCE.
Élevés ensemble, nous avons pris l’habitude de nous aimer dès notre enfance, et tiens, vois-tu maman, cet amour-là ne finira jamais.
MADAME MAURICE.
Il le faut pourtant.
On frappe.
On frappe.
LAURENCE, courant.
C’est Charles !... j’en suis sûre.
Elle ouvre, Charles entre.
Oh ! comme il a chaud !
Scène II
MADAME MAURICE, LAURENCE, CHARLES
CHARLES.
Serviteur, madame Maurice ; bonsoir Laurence.
LAURENCE.
Vous venez bien tard, monsieur.
CHARLES.
J’arrive d’Alençon...
LAURENCE, vivement.
D’Alençon !... vous venez de faire trois lieues comme çà, et pourquoi, s’il vous plaît ?
CHARLES, s’essuyant le front.
J’ai entendu dire qu’on devait donner une grande bataille dans les plaines d’Ivry, j’ai couru jusqu’à la ville pour m’en informer, et savoir s’il n’était pas survenu quelqu’accident à notre bon roi Henri.
MADAME MAURICE.
C’est bien, mon garçon !
LAURENCE, naïvement.
Vous voyez bien, maman, qu’il faut l’aimer malgré soi.
CHARLES.
Air : Vaudeville de l’Avare.
Ma conduite est bien naturelle,
J’aime mon Roi de tout mon cœur,
Je sers ma maîtresse avec zèle,
Et je travaille avec ardeur, (bis.)
Rien n’est égal à mon courage,
À Laurence.
Et pourtant, soit dit entre nous,
J’espère, une fois ton époux,
Travailler encor davantage.
LAURENCE, faisant la mine.
Oh ! oui, mon mari...
MADAME MAURICE, embarrassée.
Mon ami, ce ne sera pas de sitôt.
CHARLES.
Je sais bien qu’il faut attendre M. Maurice ; mais dès qu’il sera revenu !... J’ai cru tout à l’heure l’avoir rencontré.
LAURENCE.
Vraiment ?
CHARLES.
Oui, j’ai trouvé dans ma route deux officiers qui venaient par ici.
LAURENCE, avec chagrin.
Pourvu que ce ne soit pas celui dont parle mon père.
CHARLES.
Ton père !... Vous en avez donc reçu des nouvelles ?
LAURENCE, tristement.
Hélas ! oui, mon ami.
MADAME MAURICE.
Mon pauvre Charles, je vais t’affliger.
CHARLES, vivement.
Qu’est-ce qu’il y a donc ?
MADAME MAURICE.
Mon époux a disposé de la main de Laurence.
CHARLES.
Disposé...
MADAME MAURICE.
Et voilà la lettre qu’il m’a envoyée.
Elle la lui donne.
LAURENCE.
Et par un exprès encore, comme si c’était bien pressé !
Scène III
MADAME MAURICE, LAURENCE, CHARLES, GUILLAUME
GUILLAUME.
Bonsoir, voiseine, bon soir, mes enfants.
MADAME MAURICE, étonnée.
Comment, la porte était donc ouverte ?
GUILLAUME, riant.
Il le faut bien, morguenne, je n’sommes pas d’âge à passer par la f’nêtre.
MADAME MAURICE, à Charles qui a lu la lettre.
Tu le vois, Charles, ce n’est pas notre faute.
LAURENCE.
Oh ! mon, ce n’est pas la mienne.
GUILLAUME.
Quoiqu’c’est donc ça, ma voiseine ? vot’ fille pleure, not’ fils soupire, et vous êtes là itou à les regarder d’un air tout je ne sais quoi... Est-ce qu’vous avais du chagrin, pas de çà, morgué ! de la joie, çà engraisse, voyez-vous ; j’venons ous inviter toutes les deux à souper ce soir cheux nous.
MADAME MAURICE.
Mon cher voisin, je vous suis bien obligée.
GUILLAUME.
Oh ! vous viendrais, j’ons fait mettre à la broche une bonne dinde grasse, faut en venir manger vot’ part.
MADAME MAURICE.
Nous ne devions pas souper, car nous n’avions rien.
GUILLAUME.
Tant mieux, ça viant à merveille ; ous serez des nôtres. Et pas de tristesse au moins, ça ne vaut pas le diable.
LAURENCE.
Ah ! oui, pas de tristesse, c’est bien aisé à dire ; mais quand vous saurez, M. Guillaume...
GUILLAUME.
Oh ! je n’ sommes pas si prompt à m’affliger qu’ous autres, j’savons qui gnia du remède à tout, voisine, gnia du remède à tout.
Air : Vaudeville de la Robe et des bottes.
Jamais par une plainte importune,
Du ciel n’accusons la rigueur,
Souvent du sein de l’infortune
L’homme voit r’naître le bonheur,
Sur nous la providence veille,
Elle préside à not’ destin ;
Et quand on s’ croit perdu la veille,
On s’trouve sauvé le lendemain.
LAURENCE.
On ne voit pas tous les jours des miracles !
GUILLAUME.
Ah ! c’est donc ce morceau de papier qui vous chiffonne tous ?
MADAME MAURICE.
C’est une lettre de M. Maurice.
GUILLAUME.
Ous permettez ?... Donne nous çà, fieu... que j’ voyons si c’est aussi sérieux que ta meine...
LAURENCE.
Ah ! monsieur Guillaume, que vous seriez aimable si vous pouviez trouver le moyen d’arranger çà.
GUILLAUME.
Voyons, voyons.
Il lit.
« Ma femme, je me suis lié, depuis quelques jours, avec un gentilhomme de mon régiment, brave officier, fidèle autant que moi au grand Henri.
Il ôte son chapeau.
Au grand Henri ! ça commence bien jusques-là je n’ voyons pas de quoi se désespérer...
LAURENCE.
Ah ! vous n’y êtes pas.
GUILLAUME.
Au grand Henri !... J’ serions bian curieux de le dévisager un brin, car je sommes affamés d’ voir un roi...
Il lit.
« Et j’ai résolu de lui faire épouser ma fille après la guerre terminée... Oh, oh ! v’là le hic.
Il met son chapeau.
« Les services que m’a rendu maître Guillaume, notre voisin, auraient pu m’engager à donner Laurence à son fils ; mais comme il y a de lui à moi une trop grande distance...
Il s’interrompt.
– Qu’est-ce qui dit donc, j’ sommes voisins, nos maisons s’ touchent !... « Une trop grande distance ! Ah ! ah ! j’entends... J’ai cru devoir lui préférer mon ami qui est bien fait de sa personne, nobe.
Il s’arrête.
Nobe ! tant mieux pour lui.
CHARLES, LAURENCE.
Air : Vaudeville de Gilles en deuil.
Cette lettre nous désespère.
Elle rompt nos engagements,
Hélas ! pourquoi faut-il qu’un père
Rende malheureux ses enfants.
GUILLAUME, rendant la lettre à madame Maurice, d’un ton sec.
Morbleu ! je savons ce que j’ sommes,
Mais, voisine, sans contredit,
L’roturier qui nourrit les hommes
Vaut bien le nobe qui les détruit.
ENSEMBLE.
Cette lettre { les désespère,
{ me
Elle rompt { leurs engagements,
{ nos
Hélas ! pourquoi faut-il qu’un père
Rende malheureux ses enfants.
GUILLAUME.
Parguienne M. Maurice nous joue là un vilain tour, avec ses idées de noblesse qui lui sont venues comme des champignons, du soir au matin.
MADAME MAURICE.
Croyez, mon cher voisin, que je n’oublierai jamais les services...
GUILLAUME.
Eh ! qui vous parle de çà, c’est un plaisir que je me sommes donné ; ce qui me fâche, c’est de voir que M. Maurice compte pour rien le bonheur de nos enfants.
LAURENCE.
Comme il parle bien, ton père.
GUILLAUME.
N’est-ce pas li qui a fait naître, qui a encouragé c’ t’amour-là ? qui depuis l’âge de dix ans leux a permis de se r’garder comme devant un jour être mari et femme ?...
MADAME MAURICE.
C’est vrai.
GUILLAUME.
Et aujourd’hui, sans consulter le cœur de sa fille, sans savoir si elle pourra lui obéir ?...
LAURENCE.
Je crois bien que non.
GUILLAUME.
Sans savoir si Charles n’en mourra pas de chagrin...
LAURENCE, vivement.
Il me l’a bien promis.
GUILLAUME.
Le v’là qui défait ce mariage, et pourquoi ? pour satisfaire sa vanité : eh bien ! mordienne, en dépit de sa noblesse, ce qu’il fait là n’est pas bien nobe, entendez-vous, voisine, et dès qu’il s’ra de retour, je compte ben lui chanter sa gamme, je compte ben dire...
On frappe.
Hein. je crois qu’on frappe.
À madame Maurice.
Restez, restez. Charles, va voir.
MADAME MAURICE.
Nous n’attendons personne...
LAURENCE, qui a suivi Charles et regardé à travers la porte.
Maman, ce sont des officiers.
MADAME MAURICE.
Des officiers !
Henri et Biron entrent.
Messieurs, faites-moi l’honneur d’entrer, s’il vous plaît.
Scène IV
MADAME MAURICE, LAURENCE, CHARLES, GUILLAUME, HENRI, BIRON
HENRI.
Voulez-vous bien permettre, mesdames, à des officiers accablés de fatigue, de venir vous importuner et vous demander retraite pour cette nuit ?
MADAME MAURICE.
Vous m’honorez beaucoup, messieurs, mais je suis seule ici avec ma fille, et pendant l’absence de mon mari...
HENRI.
Vous n’avez rien à craindre de notre part, mesdames, tout militaire doit et sait respecter les droits de l’hospitalité.
Air : du Cabaret.
Faire loyalement la guerre,
Pour son pays donner ses jours,
Dans un vaincu ne voir qu’un frère
Et lui prodiguer ses secours ;
Jamais par des moyens infâmes
Ne déshonorer ses succès,
Servir et protéger les dames,
Voilà les devoirs d’un français.
GUILLAUME, à part.
V’là deux gaillards qu’ont de bonnes phisolomies.
BIRON.
Nous avons l’honneur de servir dans l’armée de Sa Majesté.
LAURENCE.
Maman, ces messieurs sont peut-être de la connaissance de papa.
HENRI.
De votre père, ma belle enfant, et comment le nomme-t-on ?
MADAME MAURICE.
Maurice, pour vous servir.
HENRI.
Vive dieu ! c’est un brave, un bon camarade. Oh ! nous sommes amis.
LAURENCE.
Pourvu que ce ne soit pas mon prétendu.
HENRI.
Le compère ! il ne m’avait pas dit qu’il eut une aussi jolie fille !... oh ! je veux lui en faire des reproches.
LAURENCE.
Monsieur est bien honnête.
GUILLAUME, à part.
Ma foi celui-là a l’air bonne personne.
BIRON.
Le hasard nous sert à merveille.
MADAME MAURICE.
J’ai peur que vous n’ayez lieu de vous en plaindre ; mais en faveur de mon mari, messieurs, vous aurez la bonté d’excuser si je ne vous traite pas comme je voudrais et comme vous le méritez.
HENRI.
Point de façons avec nous, je vous prie, madame Maurice, point de façons. C’est déjà bien assez que vous nous donniez le couvert ; ainsi nous mangerons ce que vous aurez.
LAURENCE.
Oui... mais s’ils ne mangent que çà...
BIRON.
Des officiers, en campagne, ne sont pas difficiles.
MADAME MAURICE.
Air : Vaudeville de Figaro.
Ayez un peu d’indulgence.
BIRON.
Vous vous moquez, en honneur.
MADAME MAURICE.
Le peu que j’offre d’avance,
Vous est offert de bon cœur,
Et dans cette circonstance,
Le roi, c’est la vérité,
Ne serait pas mieux traité.
HENRI.
Je ne serai pas plus difficile que le roi.
MADAME MAURICE.
En attendant, messieurs, si vous voulez passer là dedans, vous y trouverez du feu.
HENRI.
Volontiers, la soirée est fraiche, et nous avons beaucoup marché...
MADAME MAURICE, prenant un flambeau.
Mon voisin, vous ne vous en irez pas que je ne vous parle.
GUILLAUME.
Non, ma voisine, allez, ne vous gênez pas.
Il fait des salutations.
Scène V
CHARLES, LAURENCE, GUILLAUME
CHARLES.
Ce sont les mêmes officiers que j’ai trouvés en chemin.
LAURENCE.
Ce sont des gens de mérite ! as-tu vu comme ils m’ont regardée ?
CHARLES.
Je ne sais pourquoi celui qui porte un panache blanc m’inspirait une vénération...
GUILLAUME.
C’est vrai, au moins... il a une meine... un air... il me plait itou à moi... À propos, Charles, va-t-en cheux nous et baille un coup d’œil à notre souper.
CHARLES.
Mon père, je voulais dire à Laurence...
GUILLAUME.
Allons, allons, tu jaseras demain, tourne-moi les talons.
CHARLES.
Air : du Mystère.
Espérance
Et constance
Peuvent nous conduire au bonheur.
Moi j’espère,
Que ton père
Ne fera pas notre malheur.
Nous nous serons fidèles.
LAURENCE.
On devrait bien, dans ce pays,
Permettre aux demoiselles
De choisir leurs maris.
ENSEMBLE.
Espérance
Et prudence
Peuvent { nous conduire au bonheur,
{ vous
Moi j’espère
Que { mon père
{ ton
Ne voudra pas { notre malheur.
{ votre
Charles et Laurence rentrent.
Scène VI
MADAME MAURICE, GUILLAUME
MADAME MAURICE.
Mon voisin, vous me voyez dans un grand embarras, ces messieurs me paraissent avoir bon appétit.
GUILLAUME.
Tant mieux.
MADAME MAURICE.
Et je n’ai rien à leur donner.
GUILLAUME.
Tant pis.
MADAME MAURICE.
Cependant, comme ils sont amis de mon mari, je ne puis me dispenser de les recevoir.
GUILLAUME.
Accoutez, voisine, malgré la lettre de vot’ mari, que j’on encore sur le cœur, je n’ vous en voulons point.
Air : N’en demandez pas davantage.
Pour vous tirer de c’ mauvais pas,
Jallons faire un tour dans l’ ménage,
J’ vous apport’rons queuqu’ cervelas,
De la salade, du fromage ;
Des œufs, un jambon
Et puis un dindon ;
Mais n’en d’mandez pas davantage.
MADAME MAURICE.
Ah ! voisin, que vous êtes obligeant.
GUILLAUME.
Et comme çà j’ souperons tretous ensemble.
MADAME MAURICE.
Avec plaisir... Mais...
GUILLAUME.
Quoi ! mais...
MADAME MAURICE.
Ces officiers...
GUILLAUME.
Eh bien ! quoi ce que c’est, ces officiers ?...
MADAME MAURICE.
Je ne connais pas leur caractère, et ils pourraient bien se formaliser...
GUILLAUME.
De me voir manger avec eux, n’est-ce pas ?
MADAME MAURICE.
Mais...
GUILLAUME.
Allons, mordienne, lâchez le mot... dites, franchement, que vous voulez bien de ma dinde et pas de moi... Bien obligé de la parférence toujours... Mais, voisine, l’une n’ira pas sans l’autre.
Air : Les voyages sont encore bons.
Sachez qu’un luron comme moi,
Sans redouter le ridicule,
Jusqu’à la table de son roi,
Irait se camper sans scrupule.
Avec tous vos apprêts,
Avec vos si, vos mais,
Vous me la baillez bonne !
Un honnête homme n’a jamais
Déshonoré personne.
MADAME MAURICE.
Ne vous fâchez pas, M. Guillaume...
GUILLAUME.
Je ne me fâchons pas, mais je gardons ma dinde.
MADAME MAURICE.
Quoi ! vous me refusez...
GUILLAUME.
Oui, je la gardons, et je sommes bien aise de vous prévenir qu’elle est superbe, qu’elle est grasse comme vous et moi, et avec çà farcie de marrons et queux marrons encore ! elle vous a une odeur, un parfum !... une couleur, t’nez rien que d’y penser, l’eau m’en vient à la bouche. Vrai, voisine, vrai, ça s’ra un manger délicieux.
Air : Voulez-vous savoir l’histoire.
Ma dind’ vous a t’un’ fièr’ meine,
C’est un morceau d’ roi,
Mais c’ morceau-là, ma voiseine,
N’ march’ra pas sans moi.
J’ voudrais pas pour un royaume
Céder mon écot,
Pasde dinde sans Guillaume,
C’est mon dernier mot.
Il sort.
Scène VII
MADAME MAURICE, seule
Eh ! mon dieu, j’y consentirais volontiers ; mais je crains que ces officiers ne se trouvent choqués... Un paysan manger avec eux.
Scène VIII
MADAME MAURICE, HENRI
HENRI.
Eh ! quoi, madame, c’est pour rester seule que vous quittez notre compagnie.
MADAME MAURICE.
Je vous prie de m’excuser, monsieur, mais...
HENRI.
Vous me paraissez soucieuse, parlez moi librement, et soyez sûre que mon intention n’est pas de vous gêner.
MADAME MAURICE.
Puisque vous le voulez, monsieur, je vous avouerai franchement que je ne sais comment vous donner à souper.
HENRI, souriant.
Quoi, ce n’est que cela.
MADAME MAURICE.
Vous m’en voyez désespérée ; un de mes voisins m’avait invitée à manger ce soir chez lui une excellente dinde.
HENRI.
Et nous vous retenons... ?
MADAME MAURICE.
Il consent bien à me la céder, mais il en veut manger sa part.
HENRI.
Cela me paraît fort juste.
MADAME MAURICE.
Sans doute... mais je n’oserais l’admettre à votre table.
HENRI.
Pourquoi ?... quel est cet homme ?
MADAME MAURICE.
C’est un laboureur.
HENRI.
Un laboureur, madame !
Air : J’aime ce mot de gentillesse.
Ce sont des gens que je révère ;
Sans ambition, sans éclat,
Au lieu de dépouiller la terre,
Leurs soins enrichissent l’état,
Souriant.
De votre peur je vous délivre...
MADAME MAURICE.
J’ai craint qu’avec des officiers...
HENRI.
Un guerrier s’honore de vivre
Avec ses pères nourriciers.
MADAME MAURICE.
D’ailleurs c’est un brave homme, un bon vivant, un zélé royaliste...
HENRI.
Ah ! qu’il vienne, madame, qu’il vienne, je me sens un grand appétit, et quand il ne serait pas ce que vous dites, il vaudrait encore mieux souper avec lui que de ne pas souper du tout.
MADAME MAURICE.
Je vais donc lui dire de venir.
HENRI.
Je suis fâché de votre peine, mais allez vite le chercher.
Scène IX
HENRI, seul
Moi, refuser de partager le souper d’un honnête laboureur !... Eh ! que ne puis-je admettre tout mon peuple à ma table, que ne puis-je ?... Ah ! je serais trop heureux si le ciel exauçait tous mes souhaits.
Air : Traitant l’amour sans pitié.
Je voudrais que les Français,
Connaissant mon caractère,
Ne livrassent plus la guerre
À qui leur offre la paix ;
Je voudrais que ma présence
Pût ramener dans la France
L’industrie et l’abondance ;
Je voudrais qu’exempt d’impôt
Ce peuple d’humeur si franche,
Grâce à moi, chaque dimanche,
Pût mettre la poule au pot.
Scène X
HENRI, BIRON
BIRON.
Eh bien, Sire, vous voilà chez un des meilleurs officiers de votre armée.
HENRI.
Ventre saint gris, je le récompenserai comme il faut de la bonne réception que son épouse nous a faite... Monsieur le maréchal, si je l’oubliais, je vous prie de m’en faire souvenir.
BIRON.
Sire, lorsqu’il s’agit de faire le bien, on n’a pas besoin de vous le rappeler.
Air : Il se croira dans un parterre.
Qui mérite une récompense
Est sûr de voir combler ses vœux,
Et votre active bienveillance
Court au-devant des malheureux ;
Partout où Sa Majesté passe
Elle a le bienfait à la main.
HENRI.
Ce sont des jalons que je place
Pour me souvenir du chemin.
HENRI, lui prenant le bras.
Mon ami, nous avons bien examiné le camp de monsieur de Mayenne, j’ai un pressentiment qu’il sera battu.
BIRON.
Sire, ce sont de nouveaux lauriers que vous allez cueillir.
HENRI.
Ah ! mon cher Biron, la plus belle victoire ne vaut pas ce qu’elle coute.
BIRON.
Il faut pourtant bien que Votre Majesté rentre dans son royaume.
HENRI.
Français, Français, si vous pouviez lire dans mon âme.
BIRON.
Ils seraient à vos genoux.
HENRI.
Air De Colalto.
Je ne viens point frapper vos yeux
Du vain éclat de la victoire,
Sur le trône de mes aïeux
Votre unique bonheur fera toute ma gloire.
Ma main vient essuyer vos pleurs
Et conquérir mon héritage.
Vous m’aimerez, Français, j’en ai pour gage
Mon nom, mes droits et mes malheurs.
Scène XI
HENRI, BIRON, GUILLAUME, MADAME MAURICE
MADAME MAURICE.
Monsieur, voilà mon voisin qui a l’honneur de vous saluer.
HENRI, à Guillaume.
Monsieur, madame Maurice m’a dit que vous vouliez bien partager votre souper avec nous. Je vous en remercie sincèrement... Mettez votre chapeau, monsieur, nous sommes de bonnes gens tout unis.
GUILLAUME, saluant.
J’nous flattions, monsieur, en invitant ces dames, d’avoir ce soir une gentille compagnie, mais, morguenne, à présent j’pourrons nous vanter que j’l’aurons belle et bonne.
HENRI.
Vous êtes un gaillard, à ce que l’on m’a dit. Comment vous nomme-t-on ?
GUILLAUME.
Je ne savons pas queu nom porteront mes descendants, mais quant à moi, y m’avons toujours appelé Guillaume le Menu, laboureux de père en fils, honnête homme, bon vivant, bon français, et voilà tous mes titres...
HENRI, riant.
Eh bien, monsieur Guillaume le Menu, je veux que nous causions ensemble.
GUILLAUME.
Volontiers, monsieur, je n’sommes pas homme à reculer dans une partie d’honneur.
MADAME MAURICE.
Oui, causez un peu, cela nous donnera le temps de mettre la table.
GUILLAUME.
Ma voisine, j’ons laissé Charles à la broche, il ne tardera à venir avec tout le bataclan, et un petit régiment de bouteilles.
MADAME MAURICE.
C’est pour cela qu’il faut se dépêcher.
Elle appelle.
Laurence ! Laurence !
LAURENCE, arrivant.
Maman ?
MADAME MAURICE.
Viens m’aider à mettre le couvert.
BIRON.
Permettez-moi de vous prêter la main.
MADAME MAURICE.
Non, monsieur, je vous en prie, restez.
BIRON.
Parbleu, je vous aiderai, il n’est pas juste que vous ayez toute la peine.
Il sort avec elles.
Scène XII
HENRI, GUILLAUME
HENRI.
Nous aurons donc du vin, monsieur Guillaume ?
GUILLAUME.
Et du bon, je vous en réponds.
HENRI.
Tant mieux, tant mieux... Asseyons-nous, monsieur Guillaume... point de façons, prenez une chaise.
Ils s’asseyent, Guillaume un peu loin de Henri.
GUILLAUME.
Vous aimez donc le bon vin, monsieur ? vous avez ben raison, parguenne, c’est une bonne drogue, çà fait plaisir et profit.
Air : De Julie, ou le pot de fleurs.
Le sacristain de not’ village
Après l’sermon nous dit toujours,
Que l’bon vin est l’ami du sage
Et le protecteur des amours.
Qu’il double l’ardeur de combattre,
Qu’il rend humain, sensible et franc,
On n’en dout’ plus, quand on apprend
Que l’vin fut le lait d’Henri quatre.
HENRI.
En effet, à peine venu au monde son père lui en fit boire.
GUILLAUME.
Ma foi, les rois devraient prendre cette habitude-là envers ceux qui les approchont, çà les forcerait quelquefois à dire la vérité malgré eux... car m’est avis que ça ne leur arriv’ pas souvent.
HENRI.
Le moyen serait gai, mais il n’est guères praticable... Je voudrais bien savoir, monsieur Guillaume, si vous étiez Roi, comment vous vous y prendriez pour n’être pas la dupe de ceux qui vous entoureraient.
GUILLAUME.
Comment j’nous y prendrions, parguenne, monsieur : j’ferions comme j’ons toujours fait avec nos garçons de charrue, je boutrions à la porte ceux qui nous font toujours des compliments et j’garderions ceux qui nous reprocherions nos sottises.
HENRI.
Fort bien, monsieur Guillaume, fort bien. Mais... si vous étiez un de ceux destinés à dire la vérité aux Rois, vous sentiriez-vous réellement le courage de la leur dire.
GUILLAUME.
Pourquoi pas ?
HENRI.
Si vous étiez auprès de Henri...
GUILLAUME.
Si j’étais auprès de li... mais, bah ! je n’y serons jamais.
HENRI.
Qui sait... enfin si par un hasard assez singulier Henri vous demandait un conseil, un avis ?
GUILLAUME.
Ma foi, s’il me le demandait avec c’te grâce qu’ous avez à à parler, j’li dirais... supposez qu’ous êtes le Roi... çà ne peut pas vous faire de tort, j’vous dirais donc, Sire, vous allez reprendre vot’ royaume, c’est sûr, parce que tous les honnêtes gens le désiront, et que çà doit être, c’est dans l’ordre, c’est vout’ héritage, c’est vout’ bien, faut qu’on vous le rende... mais, morguenne, vous allez entrer dans un pays où il gnia eu ben du grabuge, ben du boulvari, les uns ont dit ci... les autres ont dit çà... fermez-moi les yeux sur tout çà, faites comme moi.
HENRI.
Comme vous ?
GUILLAUME.
Je sommes père de quatorze enfants.
HENRI.
Quatorze enfants !
GUILLAUME.
Vous sentez ben que dans le nombre il y en a eu qui ont donné dans le travers, qui ont déserté la maison paternelle, qui nous ont quitté pour courir la prétentaine. Eh ben, morguenne, au lieu de faire la meine, de m’emporter, de les menacer quand je les ons vu revenir à nous, je les ons reçus à bras ouverts, je les ons choyés ni pus ni moins que mes autres enfants, et maintenant, voyez-vous, ils disputont de tendresse avec ceux qui ne m’ont jamais quitté.
HENRI, à part.
Quelle noblesse de sentiments.
GUILLAUME.
Air : Des filles à marier.
J’ajouterais, c’est assez d’guerre,
Baillez-nous une bonne paix,
Songez-bien qu’un roi n’est qu’un père
Qui doit vivre pour ses sujets ;
Remettez chaqu’ chose à sa place,
Nos champs réclament vos guerriers,
Sire, entr’ nous la terre est lasse
De ne produir’ que des lauriers.
HENRI, se levant.
Monsieur Guillaume, vous êtes un bien brave homme.
GUILLAUME, se levant.
Un moment, ce n’est pas tout.
HENRI.
Ah ! ah !
GUILLAUME.
Je vous dirais encore, puisque vous faites le roi et moi le courtisan... à ma manière.
HENRI.
Et vous le faites fort bien.
GUILLAUME.
Je vous dirais donc, sire, vous êtes brave, vous êtes bon, vous êtes généreux !... mais vous êtes un tantinet trop galant... vous aimez trop les femmes.
HENRI.
Et qui ne les aimerait pas ?
Air : de Lantara.
Dans leur sein nous puisons la vie,
Dans leur commerce la bonté,
Leur amitié douce et chérie
Survit à la prospérité.
On les rencontre à son aurore,
Dans le sentier qui conduit au bonheur,
Et malheureux on les retrouve encore
Sur le chemin de la douleur.
GUILLAUME.
Ma foi, si m’ disait çà, je ne saurions plus que li répondre.
Laurence, Biron et madame Maurice apportent la table.
LAURENCE.
Là, tout est prêt, voyez, un peu, si Charles arrivera.
GUILLAUME.
Ma fin’ le v’là tout fin droit.
À Henri.
Motus ! voyez-vous, je n’ voudrions pas que le roi sachisse que je m’avisons de lui donner des conseils.
Scène XIII
HENRI, GUILLAUME, CHARLES, GARÇONS, etc.
CHARLES.
Mon père, v’là le souper.
À l’oreille.
J’ai pris quatre bouteilles du petit coin.
GUILLAUME.
À droite, c’est bon, c’est du meilleur ; morgué, il est plus vieux que moi.
À Henri.
Allons, monsieur, boutez-vous au milieu, la place du père de famille, vous la remplirais ben.
HENRI.
Vous croyez ?
GUILLAUME.
Vous avez une si bonne figure... M’est avis que si vous avez des enfants, vous les aim’rez bian.
HENRI, à madame Maurice.
Mais vous, ma chère dame.
MADAME MAURICE.
Je me placerai près de vous, si vous, le permettez ; toi, Laurence, mets-toi là, et Charles...
GUILLAUME.
À côté de moi.
BIRON.
Pourquoi séparer ces deux aimables enfants ? ils ont l’air de si bien s’entendre.
GUILLAUME.
Faut que not’ fieu s’y accoutume...
HENRI.
Pourquoi donc ?
GUILLAUME.
Parce que M. Maurice est un vaniteux, qu’a des lubies et. qui veut bailler sa fille à un nobe.
HENRI, aux enfants.
Et cela vous désole ?
CHARLES.
Oh ! oui, monsieur, beaucoup.
LAURENCE, montrant Charles.
Çà le fera mourir.
HENRI.
Charles, placez-vous auprès de Laurence. M. Maurice a quelqu’amitié pour moi, je lui ferai entendre raison.
GUILLAUME.
J’ crais qu’ ous y perdrez vot’ latin, il est entêté comme une... C’est une comparaison villageoise.
HENRI.
Vous ne nous aviez parlé que d’une dinde, et voilà je ne sais combien de mets !... c’est du superflu, M. Guillaume.
GUILLAUME.
Quoi qu’ vous chantez donc, il y en a plus qui n’en rest’ra, et puis y gnia jamais rien de trop quand on le baille de bon cœur, avec ça qu’ous d’vez avoir faim... Eh bien ! Charles, varse donc à boire à ces messieurs, faut tout te dire.
CHARLES.
Pardon, mon père, je n’y songeais pas.
GUILLAUME.
Ah ! quand il est une fois à côté de mademoiselle Laurence, yn’ voit plus qu’elle.
HENRI, souriant.
C’est bien naturel.
GUILLAUME.
Oui, ça fait un joli brin de fille.
HENRI.
Messieurs, je vous porte la santé de madame Maurice.
GUILLAUME.
Un moment, s’il vous plait, messieurs, un moment ; j’ons toujours coutume, quand j’ nous boutons à table, de commencer par boire à la santé du bon Henri.
BIRON.
Ah ! volontiers.
GUILLAUME, à Henri.
Vous ne dites rien, ah ! vous faites encore le roi... trinquez avec nous à la santé du bon Henri.
TOUS.
À la santé du roi.
GUILLAUME.
Puisse-t-il se porter toujours comme vous et moi.
On choque.
HENRI.
Vous l’aimez donc bien ?
GUILLAUME.
Si j’ laimons ! morguienne, j’ n’avons jamais fait que çà.
Air : Pégase est un cheval qui porte.
C’est en vain que l’ duc de Mayenne
A poursuivi ce bon Henri,
De not’ mémoir jamais sa haine,
Un seul instant ne l’a banni ;
Malgré cet ennemi farouche,
Malgré les perfides ligueurs
Son éloge est dans chaque bouche
Et son trône est dans tous les cœurs.
Répétez tous.
CHŒUR.
Son éloge, etc.
HENRI, à part.
J’éprouve une émotion...
GUILLAUME, à Henri.
Buvais donc, buvais donc.
Après qu’il a bu.
Que dites-vous de ce petit vin-là ?
HENRI.
Il est fort bon.
GUILLAUME.
C’est du bon coin... défrichons çà à c’t’ heure.
HENRI.
Voilà une dinde qui fait plaisir à voir.
GUILLAUME.
Et à manger donc ? Tenez, monsieur, croquez-moi ct’ aile ci et vous, monsieur, ct’ aile-là.
HENRI.
Servez donc ces dames.
GUILLAUME.
Patience, alles auront leur tour... T’nez, voisine.
MADAME MAURICE.
Et vous.
GUILLAUME.
Je n’ous oublierons pas, vous le savez ben.
HENRI.
J’ai aujourd’hui un appétit... mais un appétit !...
BIRON.
Il serait dommage de n’en pas avoir.
HENRI.
Je n’ai jamais mangé de si bon cœur.
GUILLAUME.
Tant mieux. Charles, t’as donc envie que j’étouffissions ? varse donc, mon garçon, varse donc !... plein... plein.
HENRI.
Monsieur Charles, n’oubliez pas votre voisine.
GUILLAUME.
Il ferait beau voir qu’il oubliit sa maîtresse... Si c’était sa femme encore passe, ah ! ah ! ah !
HENRI.
Toujours le petit mot pour rire, M. Guillaume.
GUILLAUME.
Il faut çà, monsieur, çà garantit des indigestions... À présent qu’ ous avons porté la santé du roi, morguié, si j’ buvions à son retour parmi nous.
BIRON.
À son entrée à Paris !
GUILLAUME.
V’là ce que je voudrions voir.
BIRON.
Vous le verrez, vous le verrez.
CHARLES.
Au jour qui le rendra au vœu de tous les Français.
GUILLAUME.
Air : Charmante Gabrielle.
Dieu protèg’ l’existence
De ce prince chéri,
Pour la gloir’ de la France
Conserve nous Henri.
Fais qu’nos lys de c’te guerre }
Sort’ nt triomphants, } (bis en chœur.)
Et daigne rendre un père }
À ses enfants... }
HENRI.
Moi je bois à tous les bons serviteurs de ce prince.
GUILLAUME.
Eh bien, morgué, buvons à notre santé.
À l’instant où ils vont choquer leurs verres, on frappe.
LAURENCE.
Eh ! bon dieu, qui frappe si fort à cette heure ?
MADAME MAURICE.
Si c’était quelqu’un de la ligue !...
HENRI, se levant.
De la ligue !... Madame, permettez-moi de les recevoir.
GUILLAUME, fermement.
Restez, monsieur... Charles, accompagne madame Maurice, mon garçon, et si gnia du danger, je sommes là.
Madame Maurice prend une lumière, Charles et Laurence l’accompagnent, Henri et Biron remontent le théâtre, ils ont la main sur la garde de leurs épées, Guillaume est armé d’une chaise.
CHARLES, accourant.
Mon père, mon père, c’est monsieur Maurice qui arrive avec tout plein de messieurs de l’armée.
HENRI.
Maurice,
Bas à Biron.
me voilà découvert, j’en suis fâché, cela va gêner ces bonnes gens.
Scène XIV
LES MÊMES, MAURICE, OFFICIERS
MAURICE.
Oui, ma femme, nous attendions Sa Majesté ce soir, et toute l’armée est dans la plus grande inquiétude.
MADAME MAURICE, montrant Henri.
Ces messieurs vous en donneront peut-être des nouvelles.
HENRI, se retournant.
Monsieur Maurice !
MAURICE, vivement.
Que vois-je... le Roi.
GUILLAUME, monte sur une chaise et pose un pied sur la table.
Le Roi ! ah ! ventregué. Vive le Roi ! vive le Roi.
Il jette son chapeau en l’air.
TOUS.
Vive le Roi, vive le Roi.
Ils se jettent à genoux.
CHŒUR.
Sur les dernières mesures de l’air : Le Roi passait, du Déserteur.
Vive le Roi, vive le Roi !
Vive à jamais, vive le Roi.
HENRI.
Relevez-vous, mes enfants, relevez-vous.
GUILLAUME, à genoux.
Ah ! Sire, je vous demandons...
HENRI.
Levez-vous, mon ami.
GUILLAUME, avec explosion.
J’ai vu le Roi ! j’ai vu le Roi !
HENRI.
Calmez-vous.
GUILLAUME.
J’ai vu le Roi.
LAURENCE.
Quoi, monsieur, c’est vous qui êtes le Roi !... Ah ! mon dieu, qu’il y a longtemps que je vous aime.
HENRI, à Guillaume.
Monsieur Guillaume, je me souviendrai du souper que vous m’avez donné.
GUILLAUME.
Sire, excusez...
HENRI.
Point d’excuses... C’est moi qui vous dois des remerciements.
GUILLAUME.
Des remarciments, des remarciments... v’là, morgué le meilleur Roi que j’ons vu de not’ vie.
HENRI.
Eh bien, monsieur Maurice, vous dites donc que l’armée est en peine de moi.
MAURICE.
Oui, Sire, monsieur de Rosny nous a donné l’ordre de vous chercher partout... Nous étions en marche, lorsqu’à une lieue d’ici on nous a dit que des officiers s’étaient arrêtés dans ce bourg ; nous accourons, jugez de mon bonheur, puisque je trouve Votre Majesté dans ma propre maison !
HENRI.
Ma foi, mon cher Maurice, épuisés de fatigue et mourants de faim, nous sommes entrés chez vous, madame Maurice nous a offert sa maison et monsieur Guillaume son souper, nous avons accepté l’un et l’autre, lorsque vous êtes entrés... mais puisque mes soldats sont inquiets, nous allons nous mettre en route. Avant de joindre l’armée, mon cher Maurice, nous avons une petite affaire à régler.
MAURICE.
Votre Majesté peut ordonner...
HENRI, avec bonté.
Je n’ordonne pas, mais je vous prie de vouloir bien consentir à l’union de ces deux enfants.
Air : Je fus heureux avec Estelle.
Votre fille à Charles à su plaire
Et Charles a su toucher son cœur,
Les désunir ce serait faire
Votre tourment et leur malheur ;
Maurice, que votre cœur daigne
En ma faveur combler leurs vœux,
Souvenez-vous que sous mon règne
On ne doit voir que des heureux.
MAURICE.
Sire, ma famille...
HENRI.
Je sais que vous voulez donner votre fille à un gentilhomme ; mais, je vous le répète, il faut unir ces deux enfants, et, en faveur de ce mariage, j’accorde des lettres de noblesse à M. Guillaume, et je prends son fils à mon service.
LAURENCE et CHARLES.
Ah ! quel bonheur.
GUILLAUME.
À moi des lettres de noblesse ; ah ! Sire, ah ! monseigneur, ah ! monsieur, je n’en puis plus.
HENRI.
Oui, monsieur Guillaume, des lettres de noblesse... choisissez vos armes.
GUILLAUME.
Sauf vot’ respect, Sire... je choisirai ma dinde... elle m’a fait trop d’honneur aujourd’hui.
HENRI.
Ventre saint gris, vous êtes gentilhomme et vous porterez votre dinde en pal...
GUILLAUME.
En pal... vous m’ direz ce que c’est.
HENRI.
Mais partons, messieurs, partons. Adieu, madame Maurice. Charles, je vous attends demain à Alençon. Belle Laurence, à la fin de la campagne je vous le rendrai digne de vous.
Vaudeville.
Air : Du jaloux sans amour.
HENRI.
Je veux par des destins prospères
Vous faire oublier vos tourments,
Je veux faire chanter les pères
Et voir grandir tous les enfants.
Roi légitime de la France,
Du passé lui prêchant l’oubli,
Je veux régner par la clémence,
Voilà tous les vœux de Henri.
MADAME MAURICE.
Redoutant une fausse gloire,
Il recherche la vérité,
Et sur les pas de la victoire,
Il fait marcher l’humanité.
Payant toujours de sa personne
Sa maîtresse ou son ennemi,
Il combat, triomphe, pardonne,
Voilà le portrait de Henri.
CHARLES.
Ce roi galant, convive aimable,
Aimant le plaisir comme nous,
Fut toujours le dernier à la table
Et le premier au rendez-vous.
Ce modèle de la vaillance
Des belles fut le favori,
Excepté les maris, en France,
Tout le monde chantait Henri.
GUILLAUME.
Il faut souvent pus d’un volume
Pour écrir’ l’histoir’ d’un héros,
Si je pouvions tenir la plume,
J’écririons la sienne en deux mots ;
Il fut grand, il eut l’âme bonne,
De tout son peuple il fut chéri,
Ses lois n’ont fait pleurer personne,
Voilà l’histoire de Henri.
BIRON.
Chaque peuple à son tour, au monde
A brillé par quelques vertus,
La France en héros si féconde.
Eut ses Trajans et ses Titus ;
Un bon prince, un grand capitaine,
Du nord un jour seront l’appui,
L’Allemagne aura son Turenne,
La Russie aura son Henri.
LAURENCE.
Toi dont la main seule dirige
Les empires et les saisons,
Grand dieu fais refleurir la tige
À qui nous devons les Bourbons ;
Que de ta céleste puissance
Ils soient toujours les favoris,
Et, pour le bonheur de la France,
Ne nous donne que des Henris.