Le Roi malgré lui (Jacques-François ANCELOT)

Comédie en deux actes, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 19 septembre 1836.

 

Personnages

 

HENRI DE VALOIS, duc d’Anjou, roi de Pologne

LE MARQUIS RENÉ DE VILLEQUIER

LE COMTE DE CAYLUS

LE COMTE DE NANGIS

ZBOROWSKI, grand chambellan de la couronne

LE COMTE ALAMANNI, chambellan ordinaire

ALBERT LASKI, palatin de Siradie

LUPAUSKI, autre palatin

LIANCOURT

D’ELBEUF

LA COMTESSE ALEXINA LOWINSKI

MINKA, jeune esclave d’Albert Laski

COURTISANS FRANÇAIS et POLONAIS

PALATINS

HUISSIERS

 

La scène se passe à Cracovie, en 1574 ; le premier acte dans une salle du palais ; le deuxième, chez le palatin Albert Laski.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une salle du palais, à Cracovie ; elle s’ouvre au fond sur une galerie. Porte à gauche. Porte à droite. Une table et tout ce qu’il faut pour écrire. Une fenêtre sur l’un des côtés.

 

 

Scène première

 

LIANCOURT, LE MARQUIS RENÉ DE VILLEQUIER, LE COMTE DE CAYLUS, D’ELBOEUF, AUTRES COURTISANS FRANÇAIS

 

CAYLUS.

Pardieu ! c’est miracle, ce matin !... Avec un peu de bonne volonté, ne pourrions-nous pas nous croire dans une des salles du Louvre ?... René de Villequier, Liancourt, d’Elbeuf, de Nevers !... Pas un seul nom en ki parmi nous !

VILLEQUIER.

Comte de Caylus, un peu plus de sagesse... Songez que nous attendons le lever du roi. Si les palatins allaient entrer ?

CAYLUS.

Par la mordieu ! il faudra que leurs mines refrognées s’éclaircissent : et puisqu’ils ont imaginé d’aller chercher un roi de Pologne en France, et de donner la couronne à Henri de Valois, duc d’Anjou, il est juste qu’ils s’accommodent peu à nos usages.

VILLEQUIER.

Il serait plus naturel et plus sage de vous accommoder aux leurs.

LIANCOURT.

Mais leurs usages sont ennuyeux comme matines.

VILLEQUIER.

Les rois et les courtisans ne s’amusent pas toujours.

CAYLUS.

Il m’est avis qu’Henri de Valois s’en aperçoit déjà.

VILLEQUIER.

Vous a-t-il donc fait ses confidences ?

CAYLUS.

Non ; mais en l’observant, est-il bien difficile de deviner ?

VILLEQUIER.

Je vous engage à garder pour vous le fruit de vos observations. C’est dans deux jours que doit avoir lieu le couronnement de sa majesté : n’oubliez point que Montluc n’a pas obtenu sans peine, en faveur du duc d’Anjou, les suffrages de la nation ; que l’Autriche intrigue toujours, et que l’archiduc Ernest compte de nombreux amis en Pologne.

CAYLUS.

En effet, on parlait hier des nouvelles menées d’Albert Laski.

D’ELBOEUF.

L’ennemi le plus acharné des Français.

CAYLUS.

Vaincu dans la diète, il n’a pas, dit-on, voulu nous voir, et s’est éloigné avant notre arrivée.

VILLEQUIER.

On craint un retour mystérieux ; et, d’ailleurs, il n’est pas demeuré oisif durant l’exil qu’il s’est imposé.

LIANCOURT.

Non, certes.

CAYLUS.

Il allait de ville en ville, recrutant des ennemis contre nous. Avez-vous ouï parler d’une jeune femme, qui, dit-on, est son plus intrépide auxiliaire ?

VILLEQUIER.

La jeune comtesse Alexina Lowinski. On assure qu’elle n’est pas moins remarquable par la petitesse de sa taille que par les ressources de son esprit et l’éclat de son courage.

D’ELBEUF.

Et elle nous déteste ?

CAYLUS.

Voilà qui est bien ridicule.

VILLEQUIER, souriant.

Que voulez-vous, Caylus ?... elle ne vous a pas vu.

CAYLUS.

Riez tant qu’il vous plaira !... c’est à des conspirateurs comme ça que je voudrais avoir affaire.

LIANCOURT.

Qui de nous n’entreprendrait leur conversion !

VILLEQUIER.

Mais je ne vois pas ici le comte de Nangis... où donc est-il ?

CAYLUS.

Je gage cent carolus qu’il est depuis le matin courant par la ville, s’étonnant de chaque objet qu’il rencontre, et regardant tout d’un air hébété !... c’est bien le Parisien le plus Parisien que je connaisse.

VILLEQUIER.

N’est-ce pas lui que j’entends rire dans la galerie ?

CAYLUS.

C’est lui-même.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, LE COMTE DE NANGIS

 

NANGIS, entrant.

C’est incroyable !... c’est inimaginable.

CAYLUS.

Qu’est-ce donc, Nangis ?

D’ELBEUF.

Qu’y a-t-il ?

NANGIS.

Il y a, messieurs, que je n’en reviens pas !... Depuis notre arrivée en ce pays, vous le savez, je ne peux me lasser de regarder ces gens à barbe et en longues robes, qui parlent un baragouin inintelligible ; mais ce qui me surprend toujours,  c’est qu’ils ont l’air de se comprendre.

TOUS, riant.

Bah !

NANGIS.

Sur l’honneur !... on jurerait qu’ils se comprennent, si la chose était possible. Ah ça ! est-ce que le roi ne va pas bientôt rendre une ordonnance pour forcer ces gens-là à parler français ? Que diable ! le duc d’Anjou est roi de Pologne ou il ne l’est pas... et si ses sujets s’obstinent à baragouiner de la sorte, il n’y aura pas moyen de s’entendre.

VILLEQUIER.

C’est juste.

NANGIS.

J’en parlerai à sa majesté.

CAYLUS.

Je te le conseille.

NANGIS.

C’est que c’est très important : sans cela, comment veut-on que nous les formions ? Je vous déclare que ce sont de véritables sauvages... Figurez-vous qu’ils n’ont de notion sur rien. L’autre jour, je regardais couler l’eau... un homme s’approche de moi, et, par le plus grand hasard, il se met à me parler français... ou à peu près : Bon, me dis-je, en voilà donc un avec qui l’on peut causer !... Alors, en lui montrant du doigt la rivière, je lui de mande comment il nomme cela en Pologne. Je vous donne en mille à deviner ce qu’il m’a répondu.

VILLEQUIER.

Pardieu, ce n’est pas difficile.

NANGIS.

Air : Vaudeville du ménage de garçon.

J’ai cru l’avoir mal entendu,
Tant il m’a semblé ridicule !
Croiriez-vous qu’il m’a répondu :
« Cela se nomme la Vistule. »
La Vistule ! à ce mot, je ris ;
Son ignorance m’a fait peine.
Pour l’instruire alors, je lui dis :
« Mon cher, apprenez qu’à Paris,
Ça s’est toujours nommé la Seine. »

CAYLUS.

En vérité ! tu lui as dit cela ?

NANGIS.

Oui... et encore il a eu l’air tout étonné. 

CAYLUS, riant.

Ah ! bravo, Nangis ! bravo !... voilà ton chef-d’œuvre !

Tous rient aux éclats.

NANGIS.

Il faut bien les instruire, ces braves gens !

VILLEQUIER.

Si vous continuez, mon cher comte, à les instruire ainsi...

NANGIS.

Que voulez-vous ? on fait ce qu’on peut.

CAYLUS.

Ah ! écoutez !

NANGIS.

Qu’est-ce que cela ?

CAYLUS, regardant à la fenêtre.

C’est une femme qui chanté sous les fenêtres du palais, en s’accompagnant de la mandoline.

NANGIS.

Une femme qui chante ?... Il y a donc des musiciens dans ce pays-ci ?

LIANCOURT.

On l’entoure, on l’écoute.

CAYLUS.

Vive Dieu ! messieurs, la jolie petite femme !... si nous la faisions monter, ses chants nous divertiraient.

VILLEQUER.

Y pensez-vous, Caylus ? 

CAYLUS.

Pourquoi non ?... jusqu’au moment où nous serons mandés au lever du roi ?... Allons, allons, voilà qui est décidé.

Il va dire quelques mots à l’un des huissiers dans la galerie, au fond.

VILLEQUIER, à Caylus qui revient.

Et que dira le chambellan, comte Alamanni, s’il voit ici cette femme ?

CAYLUS.

Pardieu ! il sera charmé de contempler un joli minois et d’entendre des chansons : un Italien doit se connaître en musique. N’est-ce pas lui, d’ailleurs, qui est chargé d’ordonner et de préparer les fêtes ici ? eh bien ! une chanteuse, ce sera une ressource.

VILLEQUIER.

Toujours extravagant !

CAYLUS.

La sagesse est si triste, et le plaisir est si rare !

D’ELBEUF, au fond.

Voici notre protégée.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, ALEXINA, en bohémienne, une mandoline à la main

 

ALEXINA.

Salut, nobles seigneurs !

NANGIS.

Oh ! elle parle français.

ALEXINA.

On est venu, en votre nom, me chercher là-bas : vous serait-il donc agréable d’entendre mes chansons ?

CAYLUS.

Presqu’autant qu’il nous est agréable de vous voir.

ALEXINA.

Je suis à vos ordres.

CAYLUS.

Regardez, n’est-elle pas charmante ?

Il veut lui prendre la taille.

ALEXINA, le repoussant.

Ah ! doucement ! me voir et m’entendre, voilà ce que vous voulez... Contentez-vous donc de vos yeux et de vos oreilles.

CAYLUS.

Vive Dieu ! les jeunes filles sont sévères dans votre pays !

ALEXINA.

Je n’ai pas de pays, moi.

NANGIS.

Oh ! pardon... mais vous dites là une bêtise !... on a toujours un pays quelconque.

ALEXINA.

À mon costume, ne voyez-vous pas qui je suis ?

CAYLUS.

Nous voyons que vous êtes adorable.

ALEXINA.

Enfants de la grande famille, les Tsingares ont le monde entier pour patrie.

NANGIS.

Ils peuvent se promener longtemps sans sortir de chez eux... c’est commode.

ALEXINA.

Tous les hommes sont nos frères.

NANGIS.

Tous ?... Vous avez là une nombreuse famille.

ALEXINA.

Nous possédons des secrets pour calmer leurs douleurs, et des chants pour les égayer : à ceux que le présent ne satisfait pas, nous pouvons raconter l’avenir.

NANGIS.

Comment ?. vous dites la bonne aventure ?... c’est charmant !

VILLEQUIER.

Voyez votre imprudence, Caylus : ouvrir à cette femme le palais des rois de Pologne !

ALEXINA, vivement.

Pourquoi cette femme n’y entrerait-elle pas comme tant d’autres ?

VILLEQUIER.

Que voulez-vous dire ?

ALEXINA, se reprenant.

Je veux dire, nobles seigneurs, qu’un de nos privilèges est d’entrer partout.

CAYLUS.

Oui, car l’esprit et la beauté ne sont déplacés nulle part.

VILLEQUIER.

N’avez-vous pas compris qu’elle appartient à cette race de vagabonds nommés Bohémiens ?

NANGIS.

Des Bohémiens ?... oh ! je sais ce que c’est... Ma nourrice m’en a beaucoup parlé. Ce sont des hommes qui ont vendu leur âme au diable, qui volent des enfants et qui les mangent... comme les huguenots.

ALEXINA, à part.

L’imbécile !

CAYLUS.

Moi qui n’ai pas peur d’être mangé, je veux profiter de sa présence pour connaître mon sort à venir. Voyons, ma belle enfant, voici ma main, regardez.

ALEXINA.

Volontiers.

Elle examine sa main.

Ah ! vous avez eu tort de quitter la France ! l’air de ce pays ne vous convient pas.

CAYLUS.

Je crains en effet d’y périr d’ennui.

ALEXINA.

On y peut mourir d’autre chose.

CAYLUS.

D’amour pour vos jolis yeux, peut-être ?

ALEXINA.

Les Français ne meurent guère de cela.

CAYLUS.

Je voudrais près de vous être de ceux qui en vivent.

ALEXINA.

Gardez ces doux propos pour les dames de France, si vous les revoyez jamais.

CAYLUS.

Je l’espère pardieu bien.

ALEXINA, jetant un dernier regard sur sa main et la laissant retomber.

Et moi, j’en doute !

NANGIS.

Il me semble, mon pauvre Caylus, qu’on ne te prédit pas des choses trop rassurantes ?... Par la mordieu ! je veux me risquer à mon tour... Allons, Bohémienne, dites-moi vite ce que votre compère Satan vous fait lire dans le creux de ma main.

ALEXINA, regardant sa main.

Vous, mon gentilhomme ?... Vous ne vivrez pas, vous avez trop d’esprit.

TOUS, riant.

Ah, ah, ah !...

NANGIS.

Vous riez, messieurs ?... Eh bien ! je vous déclare qu’on m’a dit cela dès ma plus tendre enfance. C’est pourtant bien désagréable.

ALEXINA, à Villequier.

Et vous, noble seigneur, qui me regardez d’un œil si sévère, ne m’interrogerez-vous point ?

VILLEQUIER.

Je ne suis pas curieux.

CAYLUS.

Et d’ailleurs vos prédictions ne sont guère encourageantes ! vous ne parlez que de mort !... Voyons, après nous avoir montré un si triste avenir, ne ramènerez-vous par un peu de gaieté dans le présent ?... Dites-nous un de ces chants qui tout à l’heure charmaient nos oreilles.

ALEXINA.

Vous le voulez ?

CAYLUS.

Nous vous en prions.

ALEXINA.

J’obéis :

Air nouveau de M. Héquet.

Surpris un jour, l’aigle, roi des montagnes,
Par le chasseur, de pièges entouré,
Cherchait, captif loin des belles campagnes,
Et son soleil et son ciel azuré.

Il languissait là,
Maudissant sa cage ;
Hélas ! l’esclavage
Use le courage.
Qui le sauvera ?
(bis)
Le chasseur est là.

VILLEQUIER, parlé.

Que signifie ce chant-là ?

ALEXINA, chantant.

Tra, la, la, la !

TOUS.

Bravo ! bravo !

ALEXINA.

Oh ! mes gentilshommes, prenez patience ; il y a encore un couplet.

CAYLUS.

Écoutons ! écoutons !

VILLEQUIER, à part.

Cette femme m’est suspecte.

ALEXINA.

Le temps s’envole et son aile rapide
De la vengeance a marqué le réveil ; 
L’aigle obéit à l’instinct qui le guide,
Il veut encor contempler son soleil.
Le moment viendra...

VILLEQUIER.

C’en est assez ! Je ne souffrirai pas plus longtemps que dans le palais du roi...

ALEXINA.

Eh quoi ! mon gentilhomme, une chanson vous irrite ?

VILLEQUIER.

Cette bohémienne est certainement payée par les ennemis de la Pologne.

ALEXINA, vivement.

Payée, monsieur !...

CAYLUS.

Allons donc, Villequier !... Vous voyez partout des conspirateurs !...

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, LE COMTE ALAMANNI

 

ALAMANNI.

Quel est ce bruit, messieurs ?... Les portes de l’appartement du roi vont s’ouvrir ; vous êtes tous attendus à son lever.

VILLEQUIER.

Comte Alamanni, je livre entre vos mains cette Bohémienne que l’imprudence de M. de Caylus a fait pénétrer jusqu’ici.

ALAMANNI.

Une Bohémienne ?...

VILLEQUIER.

Regardez !... la voilà.

ALAMANNI, à part.

Que vois-je ?... C’est elle.

VILLEQUIER.

Sous un sens figuré, ses chansons me paraissent cacher la révolte et la sédition : le devoir de votre charge est de l’interroger et de faire justice.

ALAMANNI.

Et croyez que je n’y manquerai pas.

VILLEQUIER.

Nous y comptons.

CAYLUS.

Allons donc ! Il est impossible qu’on soit coupable avec de si beaux yeux.

ALAMANNI.

Air : Venez, mon père. (Frontière de Savoie.)

Ne craignez rien, je connais mon devoir ;
Mais qu’au sien chacun soit fidèle !
À son lever le prince vous appelle,
Et dans sa chambre il va vous recevoir.

VILLEQUIER, à demi-voix.

Monsieur le comte, il faut de la rigueur ;
Cette femme est notre ennemie.

CAYLUS, à demi-voix de l’autre côté.

Il faut, cher comte, agir avec douceur ;
Regardez comme elle est jolie.

Ensemble.

ALAMANNI.

Ne craignez rien, je connais mon devoir, etc.

CAYLUS, NANGIS, VILLEQUIER et LES AUTRES.

Oui, vous saurez remplir votre devoir ;
Mais qu’au sien chacun soit fidèle :
À son lever le prince nous appelle,
Et dans sa chambre il va nous recevoir.

Tous sortent, hormis Alexina et Alamanni.

 

 

Scène V

 

ALAMANNI, ALEXINA

 

ALEXINA, jetant sa mandoline sur un meuble.

Enfin, ils sont partis !... Je peux respirer à l’aise !

ALAMANNI.

Quelle extravagance !... l’héritière des Lowinski, la comtesse Alexina dans ce palais !... sous ce déguisement !...

ALEXINA.

Oui, dans ce palais !... Dans le palais des Jagellons, où des étrangers parlent en maîtres.

ALAMANNI.

Voulez-vous donc vous perdre ?

ALEXINA.

J’ai voulu voir ces muguets de France qui viennent nous dicter des lois.

ALAMANNI.

Mais si je n’avais été là, vous pouviez mettre au hasard le succès de l’ouvre importante à laquelle vous travaillez depuis si longtemps avec tant d’ardeur.

ALEXINA.

C’est que l’instant est venu, comte Alamanni, de frapper un grand coup. Dans deux jours, la doit être posée sur la tête d’Henri de Valois, et nous avons juré tous d’empêcher cette odieuse cérémonie.

ALAMANNI.

Je ne demande pas mieux, vous le savez.

ALEXINA.

Oui, c’est à un Zborowski que la dignité de grand-chambellan de la couronne a été donnée, malgré vos soins, vos démarches et vos flatteries.

ALAMANNI.

Vous pourriez ajouter malgré mes droits incontestables.

ALEXINA.

À la bonne heure !... En mon tant au trône, l’archiduc d’Autriche vous rendrait ce titre. Votre intérêt est donc le lien qui vous attache à nous.

ALAMANNI.

Tâchez d’en trouver un plus solide.

ALEXINA.

Celui-là nous suffit.

ALAMANNI.

Mais comment nous opposer au couronnement du Français ?

ALEXINA.

Ne devez-vous pas nous en offrir les moyens ?... Dans deux heures couronne nous serons tous rassemblés dans la retraite obscure où se cache le palatin Albert Laski, depuis son retour secret à Cracovie. Nous avons besoin de vous, monsieur le comte ; vous y viendrez ?

ALAMANNI.

N’en doutez pas.

ALEXINA.

Cette journée peut-être décidera de l’avenir de ce royaume.

ALAMANNI.

Mais pourquoi venir jusqu’ici ?

ALEXINA.

Je vous l’ai dit, comte, pour voir de près ces courtisans efféminés de Catherine de Médicis, pour jouir un instant des terreurs que je me plaisais à jeter dans leurs âmes. Le noble Boleslas, mon tuteur, fut proscrit ; il a erré avec moi loin de son pays ; il est mort dans mes bras et il m’a légué sa haine !...

Air : Soldat Français. (Julien.)

Vous, dont Henri trompa l’ambition,
Vous poursuivez des honneurs et des titres !
Par la révolte et la sédition,
Du sort d’un roi vous serez les arbitres !
À vous bientôt ces titres précieux,
Et ces honneurs qui séduisent vos âmes !
Moi, la vengeance est tout ce que je veux !

ALAMANNI.

Et la vengeance est le plaisir des dieux.

ALEXINA.

Mais elle est le bonheur des femmes.

ALAMANNI.

Gardez-vous donc de compromettre ce bonheur par d’aussi graves imprudences. Voici l’heure où le roi sans doute va venir dans cette salle : il faut vous éloigner.

ALEXINA.

J’aurais pourtant bien désiré le voir ce duc d’Anjou, dont on veut faire notre roi.

ALAMANNI.

Y songez-vous ? déjà vos paroles ont excité la défiance du marquis de Villequier : c’est à mes soins qu’il a confié votre châtiment ; que dirai-je si l’on vous retrouve en ce lieu ?

ALEXINA.

Vous avez raison : je pars !... Dans deux heures, comte Alamanni ?

ALAMANNI.

Dans deux heures...

ALEXINA.

Et puissions-nous demain apprendre au fils de Catherine de Médicis qu’il n’y a point pour lui de diadème en Pologne.

ALAMANNI.

Que le ciel vous écoute !...

ALEXINA.

Nous parlerons si haut qu’il sera forcé de nous entendre.

ALAMANNI.

Parlons bas pour que les espions de France ne nous entendent pas avant lui.

ALEXINA.

Soit !... contraignons-nous jus qu’à demain !... au revoir, monsieur le comte.

Elle reprend sa mandoline.

ALAMANNI, aux huissiers au fond.

Laissez passer cette femme, et veillez à ce qu’elle sorte du palais.

 

 

Scène VI

 

ALAMANNI, puis CAYLUS, ZBOROWSKI, HENRI DE VALOIS, VILLEQUIER, NANGIS, COURTISANS FRANÇAIS et POLONAIS

 

ALAMANNI, seul un instant.

Vit-on jamais semblable imprudence ?... ah ! pourquoi Albert Laski s’est-il associé cette femme ?... son nom, ses charmes et son esprit amènent à nous de nombreux partisans ; mais sa témérité peut nous perdre !... C’est le roi qui sort de ses appartements.

HENRI, aux courtisans qui l’accompagnent.

Oui, messieurs, j’en conviens, j’ai dormi tard, aujourd’hui : que voulez-vous ?... je rêvais de la France.

ZBOROWSKI.

L’amour de vos nouveaux sujets, sire, réussira, je l’espère, à vous faire oublier...

HENRI.

Oublier, monsieur ?... c’est difficile !... non pas, certes, que je ne sois fier du choix qu’on a fait de moi pour régner en ce pays ; que je ne sente vivement le prix de pareils suffrages ; mais, voyez-vous, quand on est loin de la France, on se résigne... on n’oublie pas.

VILLEQUIER.

Permettez-moi pourtant, sire, de vous faire observer qu’une situation nouvelle...

HENRI.

Impose de nouveaux devoirs, et commanderait plus de vigilance, n’est-ce pas, monsieur de Villequier ? Oui, me voilà roi, et une couronne empêche de dormir !... mais cette couronne, elle n’a point encore touché mon front, et je me laisse aller au sommeil en attendant !...

Air d’Aristippe.

De ce haut rang où le hasard nous jette,
Lorsque j’abaisse un regard curieux,
Sur cette foule agitée, inquiète,
Il m’est souvent doux de fermer les yeux,
Oui, le sommeil est un bien précieux !
Les yeux ouverts, ne sais-je pas d’avance,
Autour de moi ce que je vais trouver,
En les fermant il me reste une chance,
J’ai du moins l’espoir de rêver.

VILLEQUIER.

Le duc d’Anjou ne dormait pas aux journées de Jarnac et de Moncontour.

HENRI.

Vive Dieu !... je n’avais garde !... il y avait là des périls à braver et de la gloire à conquérir.

ZBOROWSKI.

N’y en a-t-il donc point sur un trône, sire ?... Les retardements que votre majesté a mis à se rendre dans son royaume ont excité quelques murmures ; des gens mal intentionnés ont osé dire que le duc d’Anjou n’acceptait qu’avec répugnance le sceptre que nous lui avons offert.

HENRI, à part.

Pardieu, ces gens-là n’ont jamais dit si vrai.

ZBOROWSKI.

Et il importe de faire cesser de pareils discours.

HENRI.

Laissons parler, monsieur, laissons parler !... Le temps qu’ils passent à dire des sottises, ils ne l’emploient pas à en faire : ces méchants propos sont un hochet qu’il faut se garder de leur enlever ; on donne des jouets aux enfants pour qu’ils ne brisent pas les meubles de la maison... Comte Alamanni, nous avez-vous préparé quelque divertissement pour cette journée ? c’est à vous, qui êtes né en Italie, que nous avons confié le soin d’égayer un peu notre retraite.

ALAMANNI.

J’aurai l’honneur de soumettre à votre majesté le projet de divertissement que j’ai préparé pour aujourd’hui.

HENRI.

Bien, monsieur le comte : vous ferons appeler.

VILLEQUIER.

Dans une heure, le conseil se réunira.

HENRI.

Nous vous y reverrons, messieurs : Dieu vous garde !... Caylus, reste ici.

CAYLUS.

Moi, sire ?

HENRI.

Oui, toi !... je veux te parler.

 

 

Scène VII

 

HENRI, CAYLUS

 

HENRI, s’asseyant.

Eh bien ! mon pauvre Caylus, nous voilà donc à Cracovie, depuis un mois !...

CAYLUS.

Est-ce qu’il n’y a qu’un mois, sire ?

HENRI.

Ah ! tu as raison !... les journées ici me semblent avoir trente-six heures.

CAYLUS.

Vous, du moins, sire, vous possédez un trône...

HENRI.

C’est-à-dire un ennui de plus.

CAYLUS.

Qu’entends-je ?

HENRI.

Ce que je dis là t’étonne ?... toi, mon joyeux compagnon, tu n’as pas lu dans ma pensée... ah ! Villequier et Zborowski ne s’y sont pas trompés, eux !...

CAYLUS.

Mais une couronne que vous devez seulement à vos exploits, à votre renommée, aux brillantes qualités qui vous distinguent... une couronne qu’une brave et généreuse nation est venue de si loin vous offrir !...

HENRI.

En songeant à moi, Caylus, la Pologne m’a fait certes beaucoup d’honneur : elle m’aurait fait grand plaisir en n’y songeant pas.

CAYLUS.

Est-ce possible ?

HENRI.

Voilà, pardieu ! un étrange bonheur et une situation bien digne d’envie !... un ciel triste et sombre, un pouvoir bridé sans cesse par de turbulents et audacieux palatins, des mœurs à demi sauvages, un langage barbare qu’il m’a fallu apprendre, de la boue, de la neige, des séditions, et la perspective d’épouser une vieille princesse !... tel est le sort que m’a fait le roi Charles IX, mon auguste frère !... Il m’a traité en héritier présomptif.

CAYLUS.

Je comprends, en effet, qu’il aime mieux vous savoir dans le palais de Cracovie que vous voir dans les salles du Louvre.

HENRI.

Où se prélasse aujourd’hui monsieur mon frère le duc d’Alençon.

CAYLUS, souriant.

Dont le roi Charles IX n’est point jaloux,

HENRI.

Il n’y a pardieu pas de quoi ! J’espère bien pourtant, quoiqu’on fasse... Dis-moi, Caylus, tu es mon ami ?

CAYLUS.

Sire, votre majesté ne doute pas...

HENRI.

Laisse donc là ces deux grands mots qu’un jour peut-être il me sera si doux d’entendre en France, mais qui ne me rappellent ici que des ennuis : pour toi, Caylus, je veux toujours être Henri de Valois. Écoute : l’autre jour, j’ai lu une singulière histoire ; il faut que je te la raconte.

CAYLUS.

Je suis tout oreilles, sire.

HENRI.

Dans je ne sais quel pays, un roi s’ennuyait et bâillait sur son trône : échapper à sa royauté eût été son plus grand bonheur ; c’était son seul rêve, c’était sa plus douce espérance... mais étranger dans son royaume, il n’en connaissait ni les chemins, ni les habitants... il était digne de compassion, Caylus !... eh bien ! il fut assez heureux pour rencontrer un ami qui se dévoua : des renseignements furent pris, un déguisement fut trouvé, des chevaux furent préparés, et, un soir, il s’esquiva sans que personne eût le moindre soupçon.

CAYLUS.

Comment ?... se dérober à de nobles devoirs qu’on a promis de remplir ?... Déserter un trône où l’on peut faire tant de bien !

HENRI.

On fait toujours mal ce qu’on fait à contrecœur.

CAYLUS.

Ne pas songer à ce que dira la postérité !

HENRI.

Bah ! la postérité ; tu sais bien que la postérité admire tout ce qui réussit.

CAYLUS.

Fouler sous ses pieds un avenir de gloire !

HENRI.

La gloire est une courtisane capricieuse qui se fait quelquefois payer cher, et que souvent on a pour rien.

CAYLUS.

Ah ! sire...

HENRI.

Ainsi pensait le roi dont je te parle, et il se sauva, Caylus !... il se sauva !...

CAYLUS.

Mais vous ne me dites pas, sire, ce que devint l’ami qui l’avait aidé dans sa fuite ?

HENRI.

Oh !... un moment arriva où son maître, appelé par sa naissance à porter  une autre couronne, le récompensa noblement... des titres, des trésors, des honneurs...

CAYLUS.

Pardonnez-moi, sire... je crois que votre majesté se trompe.

HENRI.

Qu’est-ce à dire ?

CAYLUS.

Oui... moi aussi, j’ai lu cette histoire, et en voici la fin telle que je la connais : le puissant monarque, qui avait intérêt à tenir loin de lui le prince son successeur, fit tomber toute sa vengeance sur l’imprudent qui avait osé braver ses volontés. Il fut accusé de haute trahison ; le prince, qui le nommait son ami, tenta vainement de le défendre ; force lui fut de l’abandonner, et le pauvre courtisan eut la tête tranchée.

HENRI.

Tu crois, Caylus ?...

CAYLUS.

Je suis certain, sire, que telle fut la fin de l’aventure.

HENRI.

Et tu penses alors qu’un prince aurait tort de compter sur un semblable dévouement ?

CAYLUS.

Se dévouer à un maître malheureux, au risque même de la vie, c’est un devoir... mais régner sur une grande nation, est-ce donc là un malheur ?

HENRI.

Vous avez raison... ce prince devait se résigner... n’en parlons plus... Retirez-vous, monsieur le comte ; laissez-moi seul, et, je vous en prie, pas un mot de cette histoire.

CAYLUS.

Que votre majesté croie à mon inviolable discrétion.

HENRI.

C’est bien le moins que vous ne me refusiez pas cela.

 

 

Scène VIII

 

HENRI, seul

 

Allons !... encore une tentative inutile...

Air du Baiser au porteur.

Voyez pourtant si dans la vie,
Un roi peut croire à l’amitié !
Pauvres princes que l’on envie,
Nous sommes dignes de pitié :
Parmi ces gens, devant mon diadème,
Toujours prêts à se prosterner,
Hélas ! je ne trouve pas même,
Un ami pour me détrôner.

Ce pauvre Caylus... comme il était troublé !... il est vrai que Charles IX est peu plaisant de sa nature ; il ne pardonnerait pas sans doute à celui qui m’aurait aidé à reparaître en France ?... il faudra donc régner en ce pays ?... subir les insolentes conditions de cette noblesse turbulente, quelqu’envie que j’aie de m’y soustraire ?... et pas un moyen d’échapper à cette couronne... pas un !... le roi de France a donné de telles instructions à M. de Villequier... il n’est pas de jaloux tuteur qui veille sur sa pupille comme ces gens-là veillent sur moi... vive Dieu !...je ne vieillirai pourtant pas à Cracovie... je les laisserai loin de moi ces ennuyeux palatins avec leurs diètes, leur ciel gris, leur boue, leur neige et leur vieille princesse... Un cheval !... mon Dieu !... un cheval !... et les frontières de France !

NANGIS, dans la coulisse.

Que diable !

puisque vous parlez le même baragouin, faites-lui donc comprendre qu’on ne peut pas entrer.

HENRI.

Qu’est-ce ?... Pourquoi ce bruit ?

 

 

Scène IX

 

HENRY, NANGIS

 

HENRI.

C’est vous, comte de Nangis ?... Qu’y a-t-il donc ?

NANGIS.

Oh ! peu de chose, sire ! C’est une jeune paysanne qui est arrivée jusqu’ici, je ne sais comment, et qui, malgré vos huissiers, veut absolument aller plus loin.

HENRI.

Une jeune paysanne ?... Est-elle jolie ?

NANGIS.

Charmante, sire.

HENRI.

Et bien ! pourquoi la repousser ?

NANGIS.

D’après ce que n’ont dit ces messieurs, qui prétendent comprendre son langage, elle désire parler à l’un des pages de votre majesté.

HENRI.

À l’un de mes pages ?...

NANGIS.

Je gagerais qu’il y a quelque amourette sous jeu.

HENRI.

Voyez-vous cela !...

À part.

Ces coquins-là n’ont pas de vieille princesse à épouser !...

Haut.

Qu’on la fasse entrer, Nangis ; mais n’oubliez pas que je ne veux point être connu ; je vais l’interroger.

NANGIS.

Vous, sire ? mais son jargon sauvage...

HENRI.

Ce n’est point un jargon, non sieur de Nangis ; c’est une langue que j’ai apprise, moi !...

NANGIS.

Une langue ? je ne m’en serais jamais douté !... mais du moment que votre majesté l’affirme !... Et elle est sûre de comprendre ?...

HENRI, souriant.

Je l’espère.

NANGIS.

Rien n’est impossible à un grand monarque.

 

 

Scène X

 

HENRI, MINKA

 

HENRI, l’apercevant.

Cordieu !... Il dit vrai, elle est bien jolie !...

Il va au-devant d’elle et lui prend la main.

Approchez, ma belle enfant !

MINKA, reculant.

Ah !... Ce n’est pas lui !

HENRI, la faisant avancer.

N’ayez pas peur... La personne que vous cherchez l’est point ici ; mais je peux la remplacer.

MINKA.

Oh non ! ce n’est pas la même chose, car je ne vous connais pas, vous.

HENRI.

Il ne tiendra pas à moi que nous fassions promptement connaissance.

MINKA.

C’est à un page du roi, c’est à monsieur d’Entraigues qu’il faut que je parle !... Tout de suite !

HENRI, à part.

D’Entraigues !... heureux fripon !...

Haut.

Ce que vous avez à lui dire est donc bien important et bien pressé ?

MINKA.

Oh oui !... Sans cela, est-ce que je me serais hasardée à venir jusqu’en ce lieu ?... Si vous saviez ce que je risque !

HENRI.

En vérité ?... Mais qui êtes-vous ?

MINKA.

Hélas, seigneur, je ne suis que la fille d’un pauvre serf, et moi-même j’appartiens à un noble palatin.

HENRI.

Et comment avez-vous connu le jeune homme que vous cherchez ?

MINKA.

Par le service qu’il n’a rendu.

HENRI.

Vraiment ?... Contez-moi cela.

MINKA.

Je le veux bien... j’ai tant de plaisir à parler de ma reconnaissance !... Un soir... il y a un mois de ça, je passais dans une rue de Cracovie, j’étais seule ; deux soldats ivres s’approchent de moi et me saisissent !... malgré mes cris et mes larmes, ils allaient m’emmener !... Un jeune Français se présente ; il s’élance sur eux, m’arrache de leurs mains, reçoit une blessure heureusement légère, et les force à prendre la fuite !... Dites-moi, seigneur, si l’on peut oublier un pareil service ?

HENRI.

Non, sans doute !... aussi je devine que vous n’avez pas été ingrate. 

MINKA.

La pauvre Minka ne le sera jamais.

HENRI.

Ah ! c’est Minka que vous vous nommez ?... Vous l’avez revu souvent depuis cette époque ?

MINKA.

Oh ! presque tous les jours !... mais en secret ; car mon maître n’aime pas les Français.

HENRI, souriant.

Et vous ne les haïssez pas, vous ?

MINKA.

Est-ce que c’est possible ?... Le seul que je connaisse est si bon, si gai, si gracieux !...

HENRI, à part.

Vivent nos pages pour nous faire des partisans en pays étranger.

MINKA.

Jamais je n’avais eu l’idée d’une pareille chose !... Moi, habituée dès l’enfance à des paroles de commandement ou de colère, trouver dans un jeune seigneur tant d’affection et de bonté pour une malheureuse esclave !... Aussi, je n’ai pas hésité à braver tout pour le chercher ; car mon sang, ma vie, tout est à lui !

HENRI, à part.

En voilà encore un plus heureux qu’un roi.

MINKA.

Faites-moi conduire près de lui, je vous en prie.

HENRI.

Impossible, ma belle enfant !... Son service le retient aujourd’hui près de sa majesté.

MINKA.

Mon Dieu !... Comment donc faire ?

HENRI.

Attendre jusqu’à demain pour lui dire ce qu’il lui sera si doux d’écouter.

MINKA.

Attendre ?... Je ne le peux pas !... Demain peut-être il ne sera plus temps.

HENRI.

Ah ! mon Dieu !... Eh mais, à votre air effrayé, on jurerait qu’il s’agit d’une grave révélation.

MINKA.

On ne se tromperait pas.

HENRI.

Vraiment ?... Cela intéresse-t-il donc l’État ?

MINKA.

Peut-être plus que vous ne pensez.

HENRI.

Eh bien ! mon enfant, il ne faut ni balancer, ni attendre !... je suis prêt à vous écouter, moi.

MINKA.

Mais... êtes-vous un ami du nouveau roi de Pologne ?

HENRI.

Je ne pense pas qu’il en ait un meilleur.

MINKA.

C’est que, dans ce palais même, il y a des gens qu’il croit ses amis, et qui ne le sont guère !

HENRI.

Il s’en doute.

MINKI.

Mais à votre costume et à votre accent, je vois que vous êtes Français aussi.

Air : Un page aimait la jeune Adèle.

Vous devez aimer votre maître,
Et vous seriez fâché, je crois,
Si demain, par les soins d’un traitre,
Il arrivait malheur au roi.

HENRI.

Oui, que votre âme se rassure !
Je porte au roi quelque intérêt,
Et je souffrirais, je vous jure,
De tout le mal qu’on lui ferait.

MINKA.

Ah ! tant mieux !

HENRI.

Mais parlez, charmante Minka ; expliquez-vous, je vous en prie.

MINKA.

Oui !... Il faut que je parle, car les moments sont précieux !... et pourtant, c’est à mon sauveur que je voulais prouver la reconnaissance en lui révélant ce grand secret.

HENRI.

Un grand secret ?... vous piquez ma curiosité à un point... achevez donc...

MINKA, mystérieusement.

Eh bien ! apprenez que l’on conspire contre le roi.

HENRI.

Contre le roi ?

MINKA.

Oui, on veut empêcher son couronnement ! on veut le chasser de Pologne, lui et tous les Français.

HENRI.

Le chasser de Pologne ?...

MINKA.

On ne se défiait point de la pauvre Minka ; elle a tout entendu, cachée dans un coin où l’on ne pouvait la soupçonner, et elle s’est bien promis de révéler tout !... car, si l’on chasse les Français, elle ne reverra plus celui qui l’a défendue si généreusement, au péril de sa vie.

HENRI, à part.

À quoi tient pourtant le destin des couronnes !...

Haut.

Et dites moi, quel est votre maître ?

MINKA, hésitant.

Mais, seigneur...

HENRI.

Oh !... il faut me le dire, songez que vous êtes en mon pouvoir, que je peux vous y contraindre.

MINKA.

C’est vrai.

HENRI.

Eh bien, le maître à qui vous appartenez, c’est ?...

MINKA.

Le palatin Albert Laski.

HENRI.

Albert Laski !... Ah !... en effet !... C’était dans la Diète le plus chaud partisan de l’archiduc !... Il est donc revenu à Cracovie ?

MINKA.

Oui, secrètement.

HENRI.

Et ses complices sont nombreux ?

MINKA.

Il en a jusque dans le palais.

HENRI.

Oui dà !... Savez-vous les noms de quelques-uns d’entre eux ?

MINKA.

Je n’en connais qu’un.

HENRI.

Qui est ?...

MINKA.

Le comte Alamanni.

HENRI.

Alamanni ?... Le chambellan ?...

MINKA.

Il paraît qu’il sera mieux que cela, si l’on donne la couronne à un autre.

HENRI.

Vil serpent de cour !... Et vous êtes sûre que leur but est de nous chasser tous ?

MINKA.

Aujourd’hui même ils doivent encore se réunir pour cela.

HENRI, à part.

Oui dà ! refrognés palatins, vous ne voulez pas voir mon couronnement ?... Par la messe ! vous ne le verrez pas... car je vous ferai tous pendre la veille, et je commencerai par M. le comte Alamanni.

MINKA.

Maintenant, pour prix de ce que j’ai fait, je vous demande une grâce.

HENRI.

Parlez.

MINKA.

Promettez-moi qu’on ne fera pas de mal à mon maître.

HENRI.

Est-il donc si indulgent pour vous qu’il soit digne de tant d’intérêt ?

MINKA.

Oh ! il est bien sévère et bien dur !... Pour une faute légère, il a fait périr mon pauvre père sous le bâton ; mais c’était son droit : nous sommes nés sur sa terre, nous lui appartenons.

HENRI.

Le barbare !... Je me charge de vous venger, moi !

MINKA.

Je ne désire pas qu’on me venge : sauvez les Français, qu’ils restent ici, et je suis contente.

HENRI.

Aimable et naïve enfant ! recevez mes remerciements, et, en attendant la récompense qu’Henri de Valois doit à un pareil service, prenez cette bourse.

MINKA.

Je n’en veux pas.

HENRI.

Vous ne refusez ?

MINKA.

Vous croiriez que j’ai trahi mon maître pour de l’argent.

UN HUISSIER, annonçant.

Monsieur le comte Alamanni.

HENRI.

Pardieu ! il arrive à propos.

À Minka.

Retirez-vous, mon enfant ; si l’on avait besoin de vous ici, je vous enverrais M. d’Entraigues... il sait où vous trouver lui ?

MINKA.

Oh ! certainement.

Il fait sortir Minka par la gauche.

HENRI, à l’huissier.

Faites entrer.

À part.

À nous deux, maintenant.

 

 

Scène XI

 

ALAMANNI, HENRI

 

ALAMANNI.

Je viens auprès de votre majesté pour avoir l’honneur de lui soumettre le plan de la fête qui doit égayer cette journée ?

HENRI.

Nous verrons votre projet de fête dans un moment : j’en imagine une, moi, qui me sourit beaucoup, et dont je veux vous faire part.

ALAMANNI.

Quels que soient mes efforts pour plaire à votre majesté, mes inventions ne peuvent que perdre beaucoup à côté des siennes.

HENRI.

C’est ce dont vous jugerez tout à l’heure... Asseyez-vous là, monsieur le comte, et veuillez écrire.

ALAMANNI, s’asseyant.

Sa majesté daignera donc dicter elle-même ?

HENRI.

Oui... vous êtes prêt ?

ALAMANNI.

J’attends vos ordres, sire.

HENRI.

Écrivez : « Nous, Henri de Va lois, duc d’Anjou et roi de Pologne, ordonnons à notre capitaine des gardes de se saisir de la personne de monsieur le comte Alamanni, et de lui faire trancher la tête. »

ALAMANNI.

Ah ! mon Dieu !

HENRI.

Avez-vous écrit ?

ALAMANNI.

Trancher la tête, sire ?

HENRI.

Aimez-vous mieux qu’il soit pendu ?... Vraiment, cela m’est égal... je vous laisse le choix.

ALAMANNI.

Sire, c’est sans doute une plaisanterie fort agréable... je ne dis pas le contraire... Pourtant, j’oserai faire observer à votre majesté...

HENRI.

Patience donc, monsieur le comte ! vous ferez vos observations plus tard, si vous en avez à faire. Reprenez la plume.

ALAMANNI, à part.

Que signifie cela ?... malgré moi, je tremble.

HENRI.

Vous у êtes ?... « Le comte Alamanni sera décapité, ou pendu mettez ce qui vous plaira le mieux, comme coupable de haute trahison envers le roi de Pologne. »

ALAMANNI.

Moi !... sire... coupable ?

HENRI.

Replacez-vous donc !... que diable ! vous avez la rage de m’interrompre.

Il dicte.

« Et comme complice de la conspiration ourdie par le palatin Albert Laski. »

ALAMANNI, à part.

Juste ciel !... Il sait tout.

HENRI.

Maintenant, donnez que je signe.

Il s’approche de la table.

ALAMANNI.

Ah ! sire, je me jette à vos pieds.

HENRI.

Que faites-vous ? Est-ce que c’est là la place d’un fier conspirateur ?... Debout, monsieur !

ALAMANNI.

Hélas, sire, que vous dirai je ? Il paraît que votre majesté sait...

HENRI.

Qu’aujourd’hui même vous devez vous rendre dans le lieu où se cachent mes ennemis, afin de convenir avec eux des moyens d’empêcher mon couronnement, et de me chasser de mon royaume.

ALAMANNI.

Se peut-il ?... Quoi ! l’on vous a dit...

HENRI.

Tout, monsieur... Ne niez pas, car j’ai les moyens de vous confondre, et le mensonge ne serait qu’un crime de plus.

ALAMANNI.

Ne me reste-t-il donc qu’à implorer ma grâce ?

HENRI.

Votre grâce ?... Vous croyez que je vous l’accorderai, à vous, monsieur, qui, chaque jour, n’approchez de ma personne que pour méditer sans péril la plus noire des trahisons ? À vous, qui avez la haine dans le cour et la flatterie sur les lèvres ?

ALAMANNI.

Je suis perdu !

HENRI.

C’est probable.

ALAMANNI.

Nulle espérance d’apaiser la juste colère de votre majesté ?

HENRI.

Vous convenez qu’elle est juste, et vous vous y soumettez ?

ALAMANNI.

Ai-je un moyen de m’y soustraire ?

HENRI.

Il y en a peu, en effet... mais si je vous en donnais un, moi !

ALAMANNI.

Ah ! sire, que dites-vous ?

HENRI.

Écoutez, monsieur le comte : je suis irrité, c’est vrai, et vous avouerez que ce n’est pas sans cause... mais je ne suis point cruel... et quand votre tête ne sera plus sur vos épaules, je n’en serai pas plus heureux.

ALAMANNI.

Ni moi non plus.

HENRI, riant.

Que ferais-je d’ailleurs de cette tête-là ?

ALAMANNI.

C’est juste !... Qu’est-ce que vous en feriez ?... tandis que moi...

HENRI.

La fantaisie me prend de commencer mon règne par la clémence.

ALAMANNI.

Ah ! sire, quelle bonne idée !

HENRI.

Attendez... je mets à votre grâce une condition.

ALAMANNI.

Commandez, sire.

HENRI.

Je suis curieux de voir de près mes ennemis : ce fut toujours mon habitude sur les champs de bataille, et il paraît qu’ici régner c’est encore combattre. J’ai donc résolu de me rendre au milieu des conspirateurs, et c’est vous qui m’y conduirez.

ALAMANNI.

Qu’entends-je !

HENRI.

Ils ne me connaissent pas, car nul d’entre eux, hormis vous, n’eût osé se montrer dans ce palais d’où je suis à peine sorti depuis mon arrivée ; je veux apprendre d’eux-mêmes quels sont leurs projets sur le roi de Pologne, quels peuvent être leurs moyens d’exécution ; et pour cela, monsieur, vous allez faire de moi un de vos complices.

ALAMANNI.

Un de mes complices !... mes oreilles me trompent sans doute, et votre majesté...

HENRI.

Ma majesté a tout calculé, comte Alamanni, et c’est à ce prix seulement qu’elle daignera pardonner votre crime. Il faut que je puisse sortir d’ici sans que personne s’en doute, et c’est sur vous que je compte.

ALAMANNI.

Sur moi ?

HENRI.

Avant une heure, un large feutre, un vaste manteau dans cette pièce.

Il indique une des portes latérales.

Vous préparerez ma route pour que j’arrive, sans obstacle et sans être découvert, jus qu’à la porte extérieure : alors, vous me conduirez au lieu de vos coupables rassemblements, vous me présenterez aux conjurés comme un Français, victime de la capricieuse tyrannie du duc d’Anjou, qui brûle de se venger, et qui vient joindre sa haine à la vôtre. Puis, le reste me regarde.

ALAMANNI.

Quoi ! sire, vous voulez...

HENRI.

J’y tiens, monsieur, autant que vous tenez vous-même à ne pas être pendu.

ALAMANNI.

J’obéirai... Et sous quel nom votre majesté ordonne-t-elle que je la présente ?

HENRI.

Ah ! c’est juste !... Attendez... Je me nommerai le comte de Nangis.

ALAMANNI.

Le comte de Nangis... Mais bien qu’il soit inconnu des conjurés, on n’ignore pas, sire, que c’est un de vos plus dévoués serviteurs : on ne croira point à une disgrâce.

HENRI.

Je vais m’arranger pour qu’on y croie.

ALAMANNI.

Quels sont donc les desseins de votre majesté ?

HENRI.

Vous êtes bien curieux.

ALAMANNI.

Mais si, malgré tous mes soins, il y avait des dangers ?

HENRI.

Vous serez là pour m’en garantir.

ALAMANNI, à part.

Mon Dieu ! mon Dieu ! quelle situation !

HENRI.

Eh bien ! monsieur, hésitez vous ?... mon capitaine des gardes n’est pas loin.

ALAMANNI.

Non, sire, je n’hésite pas.

HENRI.

À la bonne heure !

ALAMANNI.

Faut-il que je me retire pour exécuter vos ordres ?

HENRI.

Pas encore, monsieur... Vive Dieu ! il faut auparavant que je m’assure de votre obéissance et de votre discrétion... Il est bon de prendre ses précautions avec vous.

ALAMANNI.

Ah ! pour mériter votre clémence, sire, je jure...

HENRI.

Plus de serments... et écoutez-moi : vous êtes père, monsieur le comte ? vous avez un fils, un fils unique ?

ALAMANNI.

Oui, sire.

HENRI.

Et vous l’aimez ?

ALAMANNI.

Comme on aime sa dernière espérance.

HENRI.

C’est bien : Placez-vous ici, et écrivez.

ALAMANNI.

Encore, sire ?

HENRI.

Ah ! vos hésitations me fatiguent... Écrivez, vous dis-je. « Au reçu du présent ordre, on se rendra chez le comte Alamanni, on s’emparera de son fils, on l’amènera secrètement au palais, où il sera retenu sous bonne et sûre garde, jusqu’à ce qu’un commandement signé de notre main royale vienne lui rendre la liberté. »

ALAMANNI.

Oh ! sire !

HENRI.

Qu’avez-vous à craindre ?... Soyez fidèle et discret, et votre fils ne court aucun danger.

ALAMANNI.

Votre majesté me le garantit ?

HENRI.

J’en donne ma parole, monsieur... Bien...

Il va signer, et sonne, un huissier paraît.

Que cet ordre soit remis sur-le-champ au capitaine des gardes, et

qu’on l’exécute sans retard.

Il remet l’ordre à l’huissier qui sort.

Maintenant, monsieur, je peux me fier à vous ; j’ai un otage ; les jours de votre fils répondent des miens.

ALAMANNI.

Ah ! cette précaution cruelle était superflue.

HENRI.

Peut-être ; mais vous conviendrez que c’est plus sûr... Ah ! voici mes geôliers qui arrivent, Nangis est avec eux sans doute, n’oublions pas que je dois être furieux contre lui, et qu’il faut que sa disgrâce soit éclatante... Allez, monsieur, et que dans une demi-heure je sois hors du palais.

Alamanni sort par la droite.

 

 

Scène XII

 

CAYLUS, ZBOROWSKI, VILLEQUIER, HENRI, NANGIS, COURTISANS FRANÇAIS et POLONAIS

 

CHŒUR.

Air : Guerriers, défendez votre cœur. (Wallace.)

Au roi soumettons nos projets...
Vers lui le devoir nous appelle...
Il a compté sur notre zèle
Pour le bonheur de ses sujets.

VILLEQUIER.

Sire, le conseil est réuni dans la salle ordinaire de ses séances.

HENRI.

Très bien, messieurs, très bien !

NANGIS, à demi-voix au roi.

Vous allez jouir d’un spectacle curieux, sire !... figurez-vous que, par flatterie, quelques palatins ont adopté notre costume : ils ont là dessous les tournures les plus grotesques...

HENRI, très haut.

Je m’étonne, monsieur de Nangis, que vous osiez encore vous approcher de moi, et m’adresser la parole.

NANGIS.

Moi, sire ?

HENRI.

Oui, vous, monsieur !... après votre conduite, ne devinez-vous pas ce qui vous attend ?

NANGIS.

Ma conduite ?

HENRI.

Elle est digne des plus grands châtiments. 

NANGIS.

Ah ! bah !... 

VILLEQUIER.

Qu’est-ce donc, sire ?

HENRI, à Nangis.

Je vous bannis de ma présence, monsieur ; et, jusqu’à ce que j’aie décidé de votre sort avec mon conseil, je vous donne votre appartement pour prison.

NANGIS.

Est-il possible ?... Quelle est donc ma faute ?

HENRI.

Vous feignez de l’ignorer ?...

NANGIS.

Je jure devant votre majesté que je n’en sais rien.

HENRI, à part.

Pardieu, ni moi non plus !

Haut.

On vous la fera connaître bientôt, monsieur de Nangis.

NANGIS.

Ah ! mon Dieu !... est-ce parce que je n’entends pas le baragouin de ces messieurs ?... je l’apprendrai, sire, je l’apprendrai...

HENRI, à part en souriant.

Ce pauvre Nangis !...

Haut.

Pas un mot de plus, et que mes ordres soient exécutés !... Sortez, monsieur le comte, et rendez-vous dans votre appartement.

NANGIS.

J’obéis, sire.

HENRI.

Qu’on veille sur lui !...

 

 

Scène XIII

 

LES MÊMES, moins NANGIS

 

HENRI.

Monsieur de Villequier, on proclamera, à son de trompe, par la ville ce que je viens d’ordonner de M. de Nangis : je veux qu’on sache bien que les Français qui m’ont accompagné ne sont pas, plus que mes autres sujets, à l’abri du châtiment, et que ma justice est égale pour tous.

VILLEQUIER.

Mais, sire...

HENRI.

Ah !... je suis roi de Pologne monsieur... ne l’oubliez pas.

À part.

Maintenant les conspirateurs ne pourront douter de la disgrâce de M. de Nangis.

CAYLUS, à part.

Que diable a-t-il fait pour exciter une semblable colère ?

VILLEQUIER.

Votre majesté est-elle disposée à se rendre au conseil ?

HENRI.

Le conseil ? oui, c’est juste !...

 

 

Scène XIV

 

LES MÊMES, ALAMANNI

 

HENRI.

Ah ! c’est vous, monsieur le comte ?... eh bien, tout est prêt ?

ALAMANNI.

Oui, sire.

VILLEQUIER.

Nous avons eu déjà l’honneur d’en instruire sa majesté.

HENRI.

Vous avez raison, messieurs, vous avez raison !... mais j’étais bien aise que la chose me fût confirmée par mon chambellan.

À part.

Ils ne me quitteront pas !... comment faire à présent pour me délivrer d’eux ?... oh !... j’y suis !... la bonne folie !...

ZBOROWSKI.

Nous attendons, sire, que vous nous ouvriez la route.

HENRI.

Très volontiers ; mais je dois vous dire que j’avais résolu de soumettre aujourd’hui à mon conseil un projet de la plus haute importance, dont j’ai tracé les bases ici même, il n’y a qu’un instant, et, avant de le livrer à la discussion, je désire, messieurs, qu’il soit examiné par vous.

VILLEQUIER.

Nous sommes à vos ordres, sire.

HENRI.

Ce n’est point devant moi que cet examen doit avoir lieu, car je ne veux pas que ma présence puisse exercer la moindre influence sur vos opinions.

Il va prendre du papier blanc sur la table, en fait un rouleau et l’attache.

Messieurs de Caylus, de Villequier et Zborowski, vous allez entrer là,

Il indique la porte latérale opposée à celle qu’il avait désignée à Alamanni.

et vous discuterez mûrement sur ce projet que je viens de vous confier.

VILLEQUIER, en passant.

Je ne doute pas que nous ne soyons tous promptement rangés à votre avis.

HENRI.

Oh !... pas de complaisance !... j’entends qu’on examine et qu’on discute avec maturité et réflexion.

Aux autres.

Vous, messieurs, laissez-nous.

Ils sortent par le fond. Henri donne le rouleau de papier à Villequier, qui entre avec Caylus et Zborowski dans la pièce à droite dès qu’ils sont entrés, Henri donne un tour de clef et les enferme.

 

 

Scène XV

 

HENRI, ALAMANNI

 

HENRI, riant.

En cage, mes geôliers !... À nous deux à présent... Le déguisement que j’ai demandé ?

ALAMANNI.

Il est là, sire !...

Il indique la porte de droite.

HENRI.

Et les chemins jusqu’à la porte extérieure ?

ALAMANNI.

Sont libres.

HENRI, à part.

En route donc !... Bizarre situation !... un roi qui se sauve devant un sceptre comme un écolier devant une férule...

On entend du bruit derrière la porte à gauche.

Ah ! déjà du bruit derrière cette porte ?... ils se sont aperçus que je leur ai donné du papier blanc à examiner.

VILLEQUIER, derrière la porte.

Comment ! nous sommes enfermés ?... sire !... sire !...

HENRI.

Quel tapage ils font !... c’est délicieux !...

CAYLUS, VILLEQUIER, ZBOROWSKI, derrière la porte.

Sire !... Sire !...

HENRI, riant.

Criez, criez !... appelez bien haut le roi de Pologne !... moi je vais conspirer contre lui.

Le bruit continue derrière la porte de gauche, Henri et Alamanni sortent par la porte de droite.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une salle de la maison habitée par Albert Laski. Portes latérales. Une fenêtre.

 

 

Scène première

 

MINKA, seule et regardant à une fenêtre

 

Non ! j’ai beau attendre ! personne !... il ne viendra pas... tout un jour passé sans le voir, lui, dont la présence me donne les seuls moments de bonheur que j’aie eus dans cette vie ! pauvre Minka, il faut te résigner... Je suis si inquiète pourtant... sait il ce que j’ai fait pour lui ?... oh ! oui, sans doute : ce seigneur, à qui j’ai tout révélé, est un ami du roi ; il empêchera le mal qu’on veut lui faire... ces palatins si méchants, ils sont là, déjà réunis ; la jeune comtesse Alexina est avec eux : pourquoi donc en veut-elle tant aux Français ?... ah si elle les connaissait comme moi ?... ils attendent l’arrivée de ce vilain comte Alamanni. Oh ! que je le déteste, et que j’ai eu de plaisir à dévoiler son odieuse conduite... servir deux maîtres à la fois... fi ! c’est comme une femme qui aurait deux amoureux... ce serait abominable !... oh ! mais, ça ne s’est jamais vu...

 

 

Scène II

 

ALEXINA, ALBERT LASKI, MINKA, CONJURÉS

 

ALBERT LASKI, à Minka.

Que faites-vous ici ?

MINKA.

Seigneur... j’étais venue...

ALBERT LASKI.

Est-ce là votre place ? qui vous a fait appeler ?

MINKA.

Mais, seigneur...

ALBERT LASKI.

Pas un mot !... sortez, et songez que le palatin Albert Laski ne par donne ni une offense, ni une faute : que le châtiment de votre père vous serve d’exemple.

MINKA, vivement.

Oh !... je ne l’oublie pas.

À part.

C’est lui qui me rappelle cela, et tantôt j’intercédais pour lui !... ah ! il ne mérite aucune pitié.

ALBERT LASKI.

Partez donc.

Minka sort.

 

 

Scène III

 

ALEXINA, ALBERT LASKI, CONJURÉS

 

ALBERT LASKI.

Alamanni n’arrive pas !... comtesse Alexina, êtes-vous sûre qu’il viendra au rendez-vous ?

ALEXINA.

J’ai reçu sa parole, ce matin même au palais.

ALBERT LASKI.

Oui !... vous n’avez pas craint de vous y présenter...

ALEXINA.

Déguisée en bohémienne, chantant pour amuser les loisirs de ces efféminés courtisans... ah ! au lieu d’une mandoline, que n’y pouvais-je porter le sabre de mes pères...

ALBERT LASKI.

Vous l’entendez, messieurs... jamais cœur plus intrépide ne battit sous la cuirasse d’un soldat.

ALEXINA.

Et jamais cœur de femme ne fut plus dévoué à son pays.

ALBERT LASKI.

L’amour de votre patrie est votre premier amour.

ALEXINA.

C’est le seul que je puisse connaître !... orpheline dès mon enfance, livrée à la tutelle d’un vieux guerrier, je n’entendis autour de mon berceau que des cris de guerre et des paroles de haine ; j’ignorai toujours ces douces émotions qui, dit-on, remplissent la vie des femmes.

ALBERT LASKI.

Et vous les regrettez peut être ?

ALEXINA.

Regrette-t-on ce qu’on ne connaît pas ?

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Et cependant un mystérieux rêve,
À ces périls, à ces sanglants projets,
De temps en temps me dispute et m’enlève,
Pour m’emporter vers de plus doux objets !
Je ne puis dire alors ce que j’éprouve,
Car une voix crie au fond de mon cœur :
Gloire et combats ne font point le bonheur,
C’est en le donnant qu’on le trouve.

ALBERT LASKI.

En vérité ?

ALEXINA.

Mais non ; chassons ces souvenirs... l’éducation que j’ai reçue, les périls qu’il m’a fallu braver, les fatigués que j’ai subies, tout m’a rendue digne de me joindre à vos hardis projets, et c’est à cela seulement que je veux penser ; punir ceux qui ont condamné à l’exil et à la mort le vieillard qui me servit de père, tel est mon vœu, telle est mon espérance... que Boleslas soit vengé !... puis après, que m’importe ?

ALBERT LASKI.

Il le sera !... la couronne des Jagellons ne touchera point le front d’Henri de Valois ; nous l’avons juré tous, mes amis !... il partira !... ou nous mourrons.

TOUS.

Oui !... oui !...

ALEXINA.

Son départ suffit-il donc à votre haine ?

ALBERT LASKI.

Il suffit à nos desseins.

ALEXINA.

Ah ! si l’on m’en croit ? mais l’instant n’est point venu de prendre une décision : songeons à nous emparer de Valois.

ALBERT LASKI.

Quelqu’un vient... ah ! c’est Lupauski, chargé de veiller à notre sûreté... que nous veut-il ?...

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, LUPAUSKI

 

LUPAUSKI.

Le comte Alamanni.

ALBERT LASKI.

Ah ! qu’il vienne !... nous l’attendions avec impatience.

LUPAUSKI.

Mais il n’est point seul.

ALBERT LASKI.

Comment ?

LUPAUSKI.

Un homme, enveloppé d’un vaste manteau, l’accompagne.

ALBERT LASKI.

Que signifie cela ?

LUPAUSKI.

C’est dit-il, un conjuré de plus, un ami dévoué à nos secrets desseins.

ALBERT LASKI.

Eh bien, qu’ils entrent, Lupauski, et redoublez de vigilance.

Lupauski sort.

Quel peut être cet homme ?

ALEXINA.

Quelque palatin sans doute, armé comme nous pour la vengeance et par l’amour de son pays.

ALBERT LASKI.

Les voici !...

Mouvement parmi tous les conjurés.

 

 

Scène V

 

LES MÊMES, ALAMANNI, HENRI

 

HENRI, bas, en entrant, à Alamanni.

Or çà, du sang-froid ! quoi que je dise ou que je fasse, rappelez-vous votre leçon, et songez à votre fils.

ALAMANNI, bas.

Je n’ai garde de l’oublier !...

Haut en s’avançant.

Nobles amis, à l’aspect de cet inconnu que j’amène aujourd’hui parmi vous, je lis dans vos regards le doute et l’inquiétude ; rassurez vous, et daignez, à ma prière, l’accueillir comme un homme qui se dévoue à vos espérances, et qui vient demander sa part de vos dangers, les mêmes intérêts et la même pensée nous unissent.

HENRI, se dépouillant de son manteau.

Il dit vrai, messieurs, et j’espère que nous nous entendrons.

ALBERT LASKI.

Que vois-je ?... un Français ?...

TOUS.

Un Français !

HENRI.

Eh ! mon Dieu ! oui, un Français qui vient avec vous conspirer contre le roi de Pologne !... cela vous étonne ?... et moi aussi, je vous assure.

ALBERT LASKI.

Alamanni, est-ce une trahison ?...

TOUS LES CONJURÉS.

Ah !... mort au traître !...

Ils mettent la main à leurs poignard.

HENRI, les arrêtant.

Un moment, s’il vous plaît !... Vive Dieu, comme vous êtes lestes à tirer vos poignards !... expliquons-nous.

ALBERT LASKI.

Qu’il parle donc, et se justifie !

HENRI.

C’est moi qui m’en charge et rien n’est plus facile !... Songez que, si le comte Alamanni vous trahissait, nous ne paraîtrions pas seuls ici ; déjà vous seriez entourés de dagues françaises, et vous savez qu’elles ne sont pas moins promptes que vos poignards à sortir du fourreau.

ALBERT LASKI.

Mais qui nous garantit que derrière vous ?...

HENRI.

Oh ! derrière nous, il n’y a per sonne, je vous en réponds ; j’ai pris assez de précautions pour cela ; non nous venons à vous sans défiance et sans crainte, comme de braves et honnêtes conjurés que nous sommes, pour concerter ensemble l’exécution d’une pensée qui nous est commune ; mais je n’espérais pas, je l’avouerai, conspirer en aussi aimable compagnie. Vive Dieu ! si les jolies femmes sont contre lui, Henri de Valois est bien à plaindre.

ALEXINA.

Ne voyez ici, monsieur, que des enfants de la Pologne, et des ennemis du duc d’Anjou.

HENRI.

Quand on a de si beaux yeux pour ennemis, n’est-on pas digne de compassion ?

ALBERT LASKI.

Vous voudrez bien sans doute nous apprendre qui vous êtes ?

HENRI.

C’est juste !... Le nom et la dis grâce du comte de Nangis ne sont-ils pas arrivés jusqu’à vous ?

ALBERT LASKI.

Oui, monsieur.

HENRI.

Alors vous comprendrez sans peine que frappé par un de ces caprices tyranniques auxquels s’abandonne si souvent l’ingratitude des rois, il ait au cœur un vif désir de vengeance.

ALBERT LASKI.

Peut-être ?

HENRI.

Eh bien ! messieurs, sa colère vient se joindre à la vôtre.

ALBERT LASKI, ALEXINA et LES AUTRES.

Le comte de Nangis ?...

HENRI.

À qui le duc d’Anjou enleva ses honneurs, ses charges, ses dignités, et qui veut s’acquitter en lui enlevant un trône : Vous voyez que le comte de Nangis est un débiteur scrupuleux.

ALBERT LASKI.

Alamanni ?...

HENRI.

Vous attendez qu’il confirme mes paroles ? Vive Dieu, messieurs, je n’ai pas coutume qu’on en doute.

ALBERT LASKI.

Eh bien ! s’il est vrai que l’ingratitude d’Henri de Valois vous ait armé contre lui, quelque étonnement que nous cause la présence parmi nous d’un courtisan français, nous vous associerons à notre périlleuse entreprise ; mais vous allez vous lier par le serment que nous avons prononcé tous, et vous n’oublierez pas que, du moment où vous avez franchi le seuil de cette maison, vous nous appartenez ?

HENRI, à part.

Pardieu ! j’ai là de vilains maîtres.

ALBERT LASKI.

Jurez-vous, sur les sain tes Écritures et sur le salut de votre âme, que votre seul désir, votre seule espérance, est d’empêcher Henri de Valois de régner sur la Pologne ?

HENRI.

Par Notre-Dame !... je jurerai cela sur tout ce que vous voudrez.

ALBERT LASKI.

Jurez-vous de vous unir à tous nos efforts, pour que son front ne puisse ceindre la couronne des Jagellons, et pour qu’il s’éloigne à jamais de ce pays ?

HENRI.

Si je le jure !... Du fond de mon âme !... Et j’ajoute que ni jeune coquette, ni vieux courtisan, n’ont eu autant de plaisir à fausser leur vingtième serment, que j’éprouverai de joie à tenir celui-là.

ALAMANNI, à part.

En l’écoutant, qui s’imaginerait qu’il est de bonne foi ?

ALBERT LASKI.

Maintenant, je dois vous déclarer qu’au moindre geste, à la moindre parole suspecte, vingt poignards sont prêts à châtier votre félonie.

HENRI.

Je vous remercie de l’avertissement, et j’en profiterai.

ALBERT LASKI.

En attendant la venue de quelques amis qui tardent encore à se rendre au milieu de nous, vous allez demeurer dans cette salle.

HENRI.

À la bonne heure !...

ALBERT LASKI.

Vous, comtesse Alexina ; daignez m’accompagner avec ces messieurs.

HENRI, à part.

Oh !... ils m’enlèvent ma jolie ennemie.

ALBERT LASKI.

Comte Alamanni, suivez-nous.

 

 

Scène VI

 

HENRI, seul

 

Allons ! me voilà en pleine voie de conspiration, et jusqu’à présent, ça marche à merveille ! J’ai juré d’empêcher de tous mes efforts le couronnement d’Henri de Valois, de ne rien négliger pour le renvoyer en France : ils ne m’en ont pas demande davantage ! Vive Dieu ! ces palatins sont de bien braves gens ! Ils sont laids à faire peur, c’est vrai, et l’on refuserait une couronne, rien que pour ne pas avoir de pareils sujets !... Mais ils ne sont pas trop exigeants, et je me souviendrai d’eux ! Qu’ils aient maintenant des moyens sûrs de me faire arriver sans obstacles jusqu’à la frontière, et ils peuvent compter sur ma reconnaissance... Ah ! ah ! la porte qui s’ouvre mystérieusement ?... Qu’est cela ? Attention ! Diable !... c’est ma gentille esclave de ce matin !

 

 

Scène VII

 

HENRI, MINKA, entrant mystérieusement par la porte latérale

 

MINKA.

Sa voix ne m’avait pas trompé ! C’est bien lui !...

HENRI.

Lui-même, mon enfant ! enchanté de vous retrouver.

MINKA, reculant.

Ne m’approchez pas ! fi !... c’est une horreur !

HENRI.

Qu’avez-vous donc ?

MINKA.

Ce que j’ai ? Il me le demande ! Ne comprenez-vous pas que j’ai tout entendu ?

HENRI, souriant.

En vérité ?...

MINKA.

Oui, cachée là, sans que personne s’en doute, j’ai prêté l’oreille : le comte Alamanni amenait un nouveau conspirateur ; et c’est vous !... c’est vous !...

HENRI.

Vous avez été bien surprise, n’est-ce pas ?

MINKA.

Je suis indignée !... Lui !... lui que j’ai pris ce matin pour confident !... Oh ! quelle infamie !...

HENRI.

Allons, allons ! calmez-vous !...

MINKA.

Que je me calme ?... ah ça ! vous avez donc perdu toute honte ? vous, conspirer contre le roi ?... qu’est-ce qu’il vous a fait, je vous prie ?

HENRI, souriant.

Ce qu’il m’a fait ?...

MINKA.

Il ose rire encore, le sans-cœur ! Ah ! c’est comme ça que vous profitez des avis qu’on vous donne, dans l’intérêt de votre souverain ?... Mais vous n’êtes pas où vous croyez... j’empêcherai le succès de vos complots.

HENRI.

J’espère pardieu bien que non.

MINKA.

Je courrai au palais, je verrai cette fois mon jeune défenseur ; il ne vous ressemble pas, lui ; il aime le roi ; il est loyal et fidèle ; je lui conterai votre perfidie, et vous serez pendu comme un abominable traître.

HENRI, riant aux éclats.

Par Notre-Dame !... je voudrais voir cela !

MINKA.

Savez-vous bien que c’est infâme de rire ainsi, après ce que vous avez fait ? et que si j’avais un poignard, je vous tuerais !

HENRI.

Doucement ! doucement !... le roi vous dispense de cette preuve d’amitié.

MINKA.

Oui !... je sais par mon gentil page comme il est gracieux et bon ; et

c’est une horreur de penser à le trahir !...

HENRI, à part, riant.

Ma foi, c’est très amusant de conspirer !

MINKA.

C’est bon ! c’est bon !... nous verrons si vous rirez, quand vous aurez la corde au cou, comme un ennemi du roi.

HENRI, riant plus fort.

Pardieu ! c’est bien là ce qu’il y aurait de plus drôle !

MINKA.

Oui ?... en ce cas, nous allons voir !...

Elle fait un mouvement pour sortir.

HENRI, l’arrêtant.

Halte là, s’il vous plaît !... Entendons-nous, ma chère enfant !... vous prenez au sérieux les choses les plus bouffonnes.

MINKA.

Ah ! ah !... vous commencez à avoir peur ?... vous ne voulez pas que je vous dénonce ?

HENRI.

Non, certes, je ne le veux pas !

MINKA.

Eh bien, repentez-vous !... redevenez l’ami de ce pauvre roi, et je vous promets de me taire.

HENRI.

Allons, allons ! laissez-moi agir.

MINKA.

Vous laisser agir... je cours au palais.

HENRI, l’arrêtant.

Non, par la mordieu ! vous n’irez pas... Voyons !

Air : Certes le mont Ida. (Couturières.)

Demeurez en ce lieu, ma chère,
Et taisez-vous jusqu’à demain.

MINKA.

Non, non, je ne veux pas me taire,
Et vous allez lâcher ma main !
Votre maître pour vous apprendre
À trahir ainsi votre foi,
Vous fera pendre.

HENRI.

J’espère que le roi
Sera plus indulgent pour moi.

MINKA.

Voulez-vous bien me laisser ?

HENRI, à part.

Damné page !... A-t-on vu se faire aimer de la sorte !... Allons, il n’y a que ce moyen !

Haut.

Holà ! quelqu’un !... à moi !

MINKA.

Oh ! l’infâme !... il appelle !... mais je m’échapperai avant qu’on vienne.

Elle veut sortir, Henri la retient.

HENRI.

Vous ne vous échapperez pas.

Criant.

Holà donc... quelqu’un !

MINKA.

Vous êtes un homme abominable !

HENRI.

C’est possible !...

À part.

Je ne crois pas que jamais prince ait pris autant de peine pour gagner une couronne, que j’en prends pour perdre la mienne... Viendra-t-on !

 

 

Scène VIII

 

MINKA, ALAMANNI, HENRI, ALBERT LASKI, ALEXINA, CONJURÉS

 

ALBERT LASKI.

Qu’est-ce donc ? qu’y a t-il ?

HENRI.

Il y a, messieurs, que vous êtes de pauvres conspirateurs, et que sans moi tout était perdu.

ALBERT LASKI.

Comment ?

HENRI.

Vous formez de beaux projets, vous voulez faire disparaître un royaume, et vous ne savez pas même empêcher qu’une esclave vous épie et vous entende.

ALBERT LASKI.

Une esclave !

MINKA, à part.

Plus d’espérance !

HENRI.

Pardieu, la voilà ! elle n’ignore rien, je vous assure, et si je ne m’y étais opposé, Henri de Valois saurait tout à l’heure où je vous parle.

ALBERT LASKI.

Qu’entends-je ?

ALAMANNI, à part.

Qu’est-ce qu’il dit là ?

HENRI.

Sans moi, elle courait au palais ; elle dénonçait la conspiration et les conspirateurs ; elle voulait même me faire pendre... car elle aime beaucoup le roi.

ALBERT LASKI.

Elle ?

HENRI, souriant.

Oh ! ce n’est qu’une tendresse par ricochet... je vous expliquerai cela... mais enfin, si je ne me fusse trouvé ici, la conspiration allait à tous les diables... et vous voyez par le gage que je vous donne combien je tiens à ce qu’elle réussisse.

ALAMANNI, à part.

En vérité, c’est à n’y rien comprendre !

HENRI.

Seul, j’ai prévenu le danger qui vous menaçait tous : me soupçonnera-t-on encore à présent ?... et ne viens-je pas de gagner mes éperons ?

ALBERT LASKI.

Vous venez d’acquérir notre confiance.

CONJURÉS.

Oui, oui !

UN CONJURÉ.

Il est digne de se joindre à nous.

HENRI, saluant.

Vous êtes bien honnêtes !

ALAMANNI, à part.

Je ne sais plus que faire et que dire ?

ALBERT LASKI.

Ainsi, cette malheureuse voulait nous vendre ?... Ah ! du moins, elle n’attendra pas son châtiment, et le plus prompt supplice...

HENRI.

Non pas, s’il vous plaît... Pour prix du service que je viens de vous rendre, j’exige qu’aucun châtiment ne lui soit infligé.

ALBERT LASKI.

Quoi ! vous voulez...

HENRI.

Je le veux absolument... Qu’elle soit étroitement renfermée... cela n’est-il point suffisant ?... Vous veillerez à ce qu’on ne la perde pas de vue.

ALAMANNI, à part.

C’est inconcevable !... quelle comédie joue-t-il donc ici ?

HENRI, à Minka.

Vous voyez, ma belle enfant, que je ne suis pas aussi méchant que j’en ai l’air.

MINKA.

Vous êtes le plus perfide des hommes !

Alamanni livre Minka à deux hommes qui l’emmènent.

 

 

Scène IX

 

ALAMANNI, HENRI, ALBERT LASKI, ALEXINA, CONJURÉS

 

ALBERT LASKI.

Prenons place, messieurs, et que le sort d’Henri de Valois se décide ? c’est à lui de trembler désormais au milieu de ses courtisans.

HENRI, à part.

Il aime mieux rire au milieu de ses ennemis.

ALAMANNI, à part.

Ils vont tout lui révéler !... Quelle est donc sa pensée ?... et comment me conduire ?

HENRI.

Or ça, messieurs, il s’agit d’empêcher le couronnement du duc d’Anjou, de le débarrasser des ennuis de la royauté, n’est-ce pas ? c’est tout-à-fait charitable... Mais quels moyens avez-vous d’arriver à ce but ?

ALBERT LASKI.

Ils sont prêts, et la route est tracée ; les soins de l’archiduc ont secondé les nôtres ; des hommes sûrs et dévoués veilleront de distance en distance, et emmèneront Henri jusqu’à la frontière ; partout des chevaux l’attendent ; il ne s’arrêtera pas un seul instant, et on le cherchera encore dans les environs de Cracovie, que déjà il ne foulera plus le sol de la Pologne.

HENRI, souriant.

Diable ! vous vous préparez à lui faire prendre de l’exercice, et il recevra là une terrible leçon d’équitation.

ALBERT LASKI.

S’il le faut, on l’attachera sur son cheval.

HENRI.

À merveille ! Je vois que vous pensez à tout... Mais pour l’emmener, il faut le tenir... et comment l’approcher ? cela n’est pas facile.

ALBERT LASKI.

Non !... Sans cesse renfermé dans son palais, où il est retenu par la peur...

HENRI, se levant.

Par la peur ! vive Dieu ! ceux qui vous ont dit cela en ont menti.

ALBERT LASKI, se levant.

Monsieur !...

HENRI.

Par la peur ?... En quel lieu, dans quel temps Henri de Valois a-t-il montré qu’il avait peur ?... Est-ce à Jarnac, est-ce à Montcontour ; est-ce au siège de la Rochelle ?

ALAMANNI, à part.

Il va se trahir.

Air : T’en souviens-tu.

Dans vingt combats, de sa fidèle épée
Le roi de France emprunta le secours,
Quand son attente a-t-elle été trompée ?
Quand donc Henri trembla-t-il pour ses jours ?
Ah ! cette épée à son côté captive,
Songez qu’un mot pourrait la réveiller !
Dans le fourreau si la lame est oisive,
Elle n’eut pas le temps de s’y rouiller.

ALBERT LASKI, à Henri.

Êtes-vous donc ici pour le défendre ?

ALEXINA.

Est-ce un ami du Valois qui est au milieu de nous ?

Tout le monde s’est levé en tumulte.

ALAMANNI.

Messieurs, messieurs, la paix, je vous en conjure !... Vous, noble palatin, la haine vous rend peut-être in juste envers le duc d’Anjou ?... Vous, comte de Nangis, vous croyez à son courage, et vous avez vos raisons pour cela ; mais ce n’est point de son courage qu’il doit être question ici.

HENRI, changeant de ton.

Cela est juste, messieurs, il est plus sage que nous... je me suis emporté là comme un enfant. Que voulez-vous ? je conspire contre Henri de Valois, c’est vrai !... mais il est Français comme moi ; je fus son ami ; il n’a pas donné un coup de sabre, il n’a pas assisté à une arquebusade, que je n’en aie été témoin, et j’ai dû repousser un injurieux soupçon !... n’en parlons plus.

ALBERT LASKI.

Et si nous ne le connaissons, nous, que comme un prince sans énergie et sans vertu, adonné à de frivoles plaisirs, traînant au fond de son palais une vie efféminée, qui donc nous l’a montré sous cet aspect, si ce n’est l’homme qui l’approche tous les jours ? si ce n’est vous, comte Alamanni ?

HENRI.

Ah ! oui dà !

ALAMANNI, tremblant.

Moi ?... Je n’ai jamais dit un mot de cela ! Je le tiens pour brave, pour très brave, pour le modèle des braves !

ALBERT LASKI.

Vous osez démentir vos paroles ?

ALAMANNI.

Eh bien ! oui, je les démens.

ALBERT LASKI.

Qu’est-ce à dire ?

ALAMANNI.

Ou du moins je les rétracte.

HENRI, à part, souriant.

Le pauvre homme en perdra l’esprit.

ALBERT LASKI.

Nous expliquerez-vous, comte Alamanni, ce que signifie un pareil changement ?

ALAMANNI.

Il signifie, messieurs, que j’ai beaucoup réfléchi depuis notre dernière entrevue, et que nous marchons à côté d’un abîme.

ALEXINA.

Comment ?

HENRI, à part.

Que va-t-il dire ?

ALAMANNI.

Vous conspirez contre le roi de Pologne !... Vous voulez vous emparer de lui ? l’entraîner hors de son royaume ? mais quel moyen avez-vous d’approcher de sa personne ?

ALEXINA.

Quel moyen ?... Oubliez-vous donc que nous en avons un infaillible, et que c’est vous qui nous l’avez offert ?

ALAMANNI.

Moi ?...

HENRI.

Ah, ah !...

ALEXINA.

Oubliez-vous que grâce à la fête préparée par vos soins pour cette soirée, douze de nos plus intrépides palatins doivent s’introduire dans le palais sous différents déguisements ? que vous les conduirez près du Valois ? et que vous avez tout disposé pour qu’ils l’emmènent sans bruit et sans obstacle ?

HENRI.

Vive Dieu ! comte Alamanni... mais voilà qui est merveilleusement imagine !

ALAMANNI.

Je n’ai jamais promis cela !... Jamais !

ALBERT LASKI.

Hier encore, vous vous y êtes engagé par serment.

HENRI.

Ah ! ça, monsieur le comte, vous perdez donc tout-à-fait la mémoire ?

ALAMANNI.

Eh bien ! si, dans un instant d’égarement et de colère, j’ai pu faire une semblable promesse, je m’en repens et je la retire.

ALEXINA.

Est-il possible ?

ALAMANNI.

Oui !... Et je vais plus loin !... Je veux aujourd’hui vous amener à renoncer à vos dangereux projets ; je veux vous arrêter au bord du précipice.

ALBERT LASKI.

Vous ?

ALAMANNI.

Moi, que la réflexion est venue éclairer à temps ! que voulez-vous ? pourquoi vous livrer à ces coupables projets, à ces périlleuses espérances pour obtenir d’un autre souverain des charges, des dignités ? mais qui vous dit qu’Henri de Valois ne vous les donnera pas, si vous revenez sincèrement à lui, si vous abjurez vos desseins funestes... Oui, je le connais, moi ; j’ai appris à juger son âme ; il est bon, il est généreux... Je vous conduirai à ses pieds, je lui demanderai votre pardon et le mien... Il l’accordera, j’en suis sûr !...

HENRI, à part.

Oh ! l’imbécile !...

ALBERT LASKI.

Avez-vous perdu la raison ?

ALAMANNI.

Je l’avais perdue, le jour où j’ai pu conspirer avec vous, où j’ai pu trahir le prince, l’excellent prince, à qui j’avais juré fidélité !... mais je me repens, entendez-vous, je me repens !

ALBERT LASKI, avec colère.

Alamanni !...

ALAMANNI.

Et savez-vous si au moment où nous parlons Henri de Valois n’a pas les yeux ouverts sur toutes nos démarches ? s’il n’a pas des oreilles qui entendent nos discours ?

LUPAUSKI.

Que dites-vous ?

ALAMANNI.

Je dis... la vérité peut-être. Songez-y bien, mes amis... il est possible que cet instant seul nous reste pour expier nos erreurs. Ne le laissons pas échapper, je vous en conjure.

LUPAUSKI, à quelques conjures.

S’il disait vrai pourtant ?

ALBERT LASKI, bas à Alexina.

Ils semblent hésiter !

HENRI, à part.

Que Satan le confonde !

ALAMANNI, à part.

J’espère que le roi sera content.

ALBERT LASKI.

J’ai peine, je l’avoue, à revenir de ma surprise... Quoi ! vous, comte Alamanni !... vous, sur qui reposait notre confiance... mais déjà nos poignards auraient dû vous punir !

ALAMANNI.

De quoi ?... Des efforts que je fais pour vous sauver ?... Non !... Mes paroles ont, je le vois, rencontré un écho dans plus d’un cœur ! L’image des malheurs qui menacent la patrie, si nous persistons dans un projet coupable, est parvenue à les émouvoir !... Ils ne me résisteront pas.

HENRI, à part.

Ah ça ! mais si je le laisse faire, il va les convertir tous.

ALAMANNI.

Et vous-même, noble Albert Laski...

HENRI, vivement.

Vive Dieu ! vous êtes fou, monsieur le chambellan,.

ALAMANNI, stupéfait.

Hein ?

HENRI.

D’où diable vous vient ce beau zèle pour la royauté d’Henri de Valois ?

ALAMANNI, dont la surprise redouble.

D’où il me vient ?

HENRI.

Oui... A-t-on jamais vu pareille chose ?... Chercher à détruire une conspiration si bien ourdie !... Reculer au moment du succès !

ALAMANNI, de plus en plus étonné.

Au moment du succès ?

HENRI.

Eh ! sans doute : toutes les mesures ne sont-elles pas prises ?... Le roi de Pologne ne doit-il pas disparaître comme par enchantement ?... Sa route jusqu’à la frontière n’est-elle pas merveilleusement tracée ?... Et quant aux craintes que vous voulez jeter dans l’âme de nos braves complices, elles n’ont pas le sens commun.

ALAMANNI.

Vous croyez ?

ALEXINA, à part.

Ah ! il ne nous trahissait point.

HENRI.

Non, messieurs ; la peur a troublé le cerveau du comte Alamanni... Il est devenu insensé.

ALAMANNI, à part.

Ma foi, il y a de quoi !

HENRI.

Il a cherché à vous faire entendre que le roi de Pologne pouvait connaître vos projets, et se disposer à les punir ? Je vous garantis, moi, que le duc d’Anjou est bien loin de concevoir une semblable pensée... Rassurez-vous donc !... et sans écouter plus longtemps de timides discours, mettez la dernière main à l’œuvre de sa délivrance...je veux dire à la délivrance de votre patrie.

ALAMANNI, à part.

Lequel de nous deux est fou ?

HENRI.

Au moment d’agir, M. le comte Alamanni s’est effrayé. Que nous importe à nous qui n’avons qu’une espérance et qu’un vœu : empêcher Henri de Valois de régner à Cracovie.

ALAMANNI, à part.

En vérité, c’est à croire que je rêve.

ALBERT LASKI.

Ainsi, vous êtes étranger à ses terreurs honteuses comme à son lâche repentir ?

HENRI.

Je les repousse et les maudis !... Oubliez ses paroles, braves conspirateurs... et si le comte Alamanni, en proie à des craintes misérables, refuse maintenant de vous ouvrir la route jusqu’au duc d’Anjou, c’est moi qui me charge de vous le livrer.

ALAMANNI.

Vous ?

HENRI.

Moi-même !... Oserez-vous dire que je n’en ai pas les moyens ?

ALAMANNI.

Moi ? je ne dis plus rien du tout.

ALBERT LASKI, à Henri.

Votre enthousiasme a triomphé d’un moment d’hésitation.

ALEXINA, à Henri.

Oui, la généreuse indignation qui règne dans vos discours, l’air de franchise qui brille dans tous vos traits, nos amis. Nous acceptons votre offre : que ce soir le Valois soit au milieu de nous, et la Pologne sera délivrée de lui pour toujours... car avant que le soleil se soit levé sur son palais, il aura vécu.

HENRI, étonné.

Hein ?... Comment ?

ALAMANNI, à part.

Al ! ah !

ALEXINA.

Voici l’instant, nobles palatins de vous révéler la pensée secrète qui seule a fait de moi votre complice. Pour quoi mettre au hasard un succès assuré ?... Vous voulez l’emmener hors de ce royaume ?... mais il y reviendra...

HENRI.

Non, pardieu ! il n’y reviendra pas !

ALEXINA.

Qu’en savez-vous ? Soutenu par les soldats de la France, il reparaîtra dans nos provinces... Tout le fruit de vos efforts sera perdu... Ah ! Catherine de Médicis, sa mère, nous enseigna comment on se délivre de ses ennemis... La nuit de la Saint-Barthélemy est là pour nous servir de leçon et d’exemple... Qu’il meure !

HENRI, à part.

Vive Dieu !... quelle femme !

ALEXINA.

Ce brave Français qui, comme nous, a des injures à venger, vient de pro mettre que ce soir même il nous livrera le roi de Pologne... eh bien ! nous jurons tous qu’il mourra !

TOUS, moins Alamanni et Henri.

Oui ! oui !

ALAMANNI, à part.

Il ne me paraît plus si enchanté.

ALEXINA.

C’est moi qui reçois votre serment, car c’est moi maintenant qui me place à la tête de la conspiration.

CHŒUR.

Air.

Il est brave et fidèle,
Il répond du succès ;
Demain, grâce à son zèle,
Nous chassons les Français.

HENRI, à part.

Mais c’est un démon que cette femme-là !

ALEXINA, aux conjurés.

Veuillez vous éloigner, messieurs, et surveiller tous les mouvements du comte Alamanni. Je désire rester ici quelques moments avec M. de Nangis : il va m’apprendre par quels moyens il compte nous livrer le Valois.

HENRI, à part, sur le devant.

Très volontiers. Je me suis jeté là dans un guêpier... Comment en sortirai-je ?... Cet imbécile d’Alamanni n’a plus les moyens de m’en tirer. J’ai fait enfermer la gentille esclave qui aurait donné l’éveil au palais !... Allons, il faut tâcher d’adoucir ma charmante ennemie. C’est la seule ressource qui me reste.

 

 

Scène X

 

HENRI, ALEXINA

 

ALEXINA, qui regardait sortir les conjurés.

Sans nous pourtant, ils cédaient aux timides conseils d’Alamanni... N’est-il pas honteux qu’une femme les surpasse tous en courage ?

HENRI.

Vous voulez dire en haine ?... et si j’osais parler avec franchise...

ALEXINA.

Vous avoueriez peut-être que cela vous étonne ?

HENRI.

J’en conviens.

ALEXINA, d’un air de triomphe.

Ainsi, vos femmes françaises ?...

HENRI.

Ne m’avaient point habitué à de pareilles idées.

ALEXINA.

Et cependant, on les vantait ici ?

HENRI.

Que voulez-vous ?... C’est par leurs grâces et par leur esprit qu’elles plaisent et séduisent ; nous aimons en elles ces charmes naïfs qui éveillent de tendres sentiments... Mais c’est un tort, un grand tort. Il faut bien mieux manier un poignard qu’un éventail, rêver de combats que de fêtes... et il est plus doux de donner la mort à celui qu’on hait, que le bonheur à celui qu’on aime... n’est-il pas vrai ?

ALEXINA.

Le sais-je, monsieur ? Ai-je jamais aimé ? A-t-elle eu du bonheur à donner, la femme qui n’en eut pas pour elle-même ?

HENRI.

Est-il possible ! Quoi ! jamais de bonheur ?

ALEXINA.

Où l’aurais-je pu rencontrer, moi qui, orpheline dès le berceau, n’ai pas même reçu les caresses d’une mère ?

HENRI.

Ah !... j’aurais dû le deviner !... Pour qu’une femme soit si cruelle, il faut qu’elle ait été bien malheureuse !... Et je vous plains !

ALEXINA.

Vous me plaignez ?

HENRI.

Sans doute ! comme il faut que votre cour ait été trompé... comme on a dû prendre de la peine pour fausser ainsi votre nature, pour vous amener à vous plaire au milieu des dangers, des discordes et du meurtre !... pour que vous deveniez enfin, vous, naïve et timide jeune fille, l’effroi de votre sexe et l’étonnement du nôtre !...

ALEXINA.

Mais, monsieur...

HENRI.

Oui !... c’est une profanation, de vous avoir arrachée ainsi à la douce et belle destinée que le ciel vous avait faite, pour vous jeter dans les voies sanglantes où va se perdre toute la part de bonheur qui vous était réservée en ce monde !... Qui donc a pu commettre une pareille action ?... à qui fut confiée votre enfance ?

ALEXINA.

Au noble Boleslas, mon tuteur, qui fut exilé par la Diète.

HENRI.

Je comprends !... Et il vous força de le suivre dans son exil ?... bien jeune encore ?...

ALEXINA.

J’avais à peine seize ans.

HENRI.

Seize ans... ah ! si j’avais été roi de Pologne, et qu’il vous eût ainsi éloignée de ma cour, qu’il m’eût ôté le bonheur de prévenir vos désirs, de faire briller la joie dans ces yeux où il faisait couler des larmes... oh ! j’eusse été sévère pour lui !... Et, je vous le dis en confidence, Henri, ce roi que vous proscrivez, en eût fait autant.

ALEXINA.

Que dites-vous ?...

HENRI.

Oui !... Henri de Valois eût forcé Boleslas à rendre au monde le trésor qu’il lui dérobait !... Et, si vous le laissiez régner... si vous le laissiez vivre, dis-je... car, vous voulez le tuer, n’est-ce pas ?...

ALEXINA.

Cette juste vengeance commandée par Boleslas...

HENRI.

Oui, oui, vous voulez le tuer !... C’est tout simple ! S’il vivait, madame, et qu’il vous vît, comme moi, avec ces grâces de jeune fille, ces yeux charmants, oh ! je suis sûr qu’il userait de sa volonté, de ses droits de prince, pour changer votre existence, pour vous contraindre à habiter sa cour !...

ALEXINA.

Me contraindre ?...

HENRI, d’un ton doux et caressant.

Non !... il laisserait son titre de roi pour n’être plus auprès de vous qu’un homme heureux de vous voir et vous obéir ; il vous dirait : Venez, et soyez la plus belle, la plus fêtée, la plus aimée !... commandez aux plaisirs, à la joie !... ne perdez point ces belles années qui sont si courtes, ces beaux jours qui passent si vite !... qu’ils soient remplis de bonheur !... vous aurez le temps de haïr quand l’amour aura disparu !. laissez-vous être heureuse !... mon Dieu, est-ce qu’il peut entrer de la haine dans ce qui fait si bien naître l’amour ?

ALEXINA.

Quel est ce langage, monsieur ?... ah ! jamais...

HENRI, vivement.

Jamais on ne vous parla ainsi !... c’est que jamais la vérité ne s’offrit à vos yeux !... c’est qu’on vous trompait !...

ALEXINA, troublée.

De semblables discours pourraient-ils s’adresser à moi qui n’entendis que des cris de vengeance et des serments de mort ?... à moi qui vis Boleslas mourir de son exil ?...

HENRI.

Lui ?... non !... il mourut de ses soixante ans et de cette haine qu’il portait au cœur !... car vous ne savez pas quels sont les effets de la haine ?... tenez, moi, je n’ai pas connu votre tuteur, eh bien ! je vois d’ici ses regards farouches... n’est-ce pas qu’il vous effrayait quelquefois ?

ALEXINA.

Peut-être.

HENRI.

Que sa voix était dure et vous faisait trembler ?

ALEXINA, souriant.

Un peu.

HENRI.

Et que l’expression cruelle de sa figure le rendait... fort laid ?

ALEXINA.

Monsieur !...

HENRI.

Il était affreux j’en suis sûr !... car voilà ce que produit la haine... elle donne aux traits un aspect repoussant.

ALEXINA.

Vous croyez ?

HENRI.

C’est certain.

ALEXINA.

Ah !...

HENRI.

À la longue, les traits les plus gracieux reçoivent des pensées haineuses une expression telle que tous les regards se détournent avec effroi... et presque avec dégoût.

ALEXINA.

Vraiment ?...

HENRI.

Il n’est point de beauté qui résiste à cette influence... mais revenons au sujet de notre entretien : vous nourrissez une haine profonde, vous désirez tuer Henri de Valois ?... eh bien ! j’ai promis de vous le livrer, il sera là, près de vous, sans défenseur, et vous pourrez l’égorger.

ALEXINA.

L’égorger !...

HENRI.

Peut-être les femmes s’éloigneront-elles de vous ? peut-être les hommes s’effrayeront-ils de votre courage ? mais Henri, j’en suis sûr, ne pourra ni vous accuser, ni vous maudire.

Air : Paris et le village.

Ne croyez pas qu’auprès de vous
La haine en son cœur puisse naître...
Non, même en tombant sous vos coups,
C’est lui qui vous plaindra peut-être :
Maintenant comment échapper
À ce charme qui vous décore ?
Hâtez-vous donc de le frapper
À Quand vous êtes jolie encore.

ALEXINA.

Ah !... s’il avait pu faire le bon heur de la Pologne ?...

HENRI, à part.

Allons donc !...

Haut.

vos mœurs et vos habitudes ne sont pas les siennes ; mais il a droit peut-être à quelque indulgence ? si vous saviez ce que c’est que cette cour de France, où s’écoula sa jeunesse ? cette cour dont il voulait peut être acclimater ici les plaisirs ?... vous ne soupçonnez pas quelle joie anime là tous les cœurs !... comme la gloire transporte !... comme l’amour enivre... comme les femmes sont belles !

ALEXINA.

Ah !... belles !... là... plus qu’ailleurs ?

HENRI.

Je répondrais oui, si je ne vous avais pas vue !... elles exercent un empire si absolu !... on les environne de tant de soins, de respect et d’adoration !... elles en sont dignes !... car je ne sais par quel art, en ce lieu, la beauté médiocre devient charmante, la beauté réelle paraît divine.

ALEXINA.

En vérité ?

HENRI.

Tant de grâces président à leur toilette !

ALEXINA.

Combien nos vêtements ont dû blesser vos regards accoutumés à tant d’élégance !

HENRI, à part.

Je savais bien que je forcerais la femme à se montrer !...

Haut.

Ce bonnet de velours par exemple ?... oh ! que nos femmes de Paris se garderaient d’ensevelir ainsi des cheveux qui doivent être si légers et si beaux !... cette coiffure barbare n’a pu être imaginée que par une femme qui avait de bonnes raisons pour cacher sa chevelure.

ALEXINA.

Mon Dieu !... la chaleur est étouffante ici !

HENRI, à part.

Je commence à croire que j’en réchapperai.

Haut.

Ah ? que vois-je ?... comme cela, vous êtes cent fois plus belle ; et si j’étais Henri de Valois, je vous supplierais à genoux de présider à ces fêtes enivrantes, où l’esprit s’éveille, où le cœur s’agite, où la beauté commande.

ALEXINA, émue.

Monsieur...

HENRI.

Mais j’oublie toujours qu’il n’est point ici question des fêtes et de la galanterie du roi de Pologne, et qu’il s’agit de le tuer.

ALEXINA.

Le tuer !... qui a parlé de le tuer...

HENRI, à part.

Comme les femmes oublient vite ce dont elles ne veulent pas se souvenir !...

ALEXINA, rêveuse.

La politique européenne, les vœux d’une imposante majorité l’ont appelé au trône !...

HENRI.

Mais un vieux palatin sauvage a commandé sa mort, et...

ALEXINA.

Cette mort peut entrainer de grands malheurs.

HENRI.

Qu’importe, si l’on satisfait sa haine ?

ALEXINA.

La haine flétrit et brise le cœur.

HENRI.

Et elle enlève tous ses charmes au plus joli visage. Henri vous dirait sans doute : C’est pour plaire que Dieu vous donna la beauté ; c’est pour aimer qu’il vous donna un cœur !...

ALEXINA.

Plaire !... aimer !... c’est la première fois que ces mots frappent mon oreille !... quel sens renferment-ils donc, que mon cœur bat à les entendre ?

HENRI, à part.

La femme a reparu !... adieu le conspirateur !...

ALEXINA.

Ah !... chassons ces impressions nouvelles !... moi pauvre fille élevée dans les camps, pourrais-je comprendre jamais ?...

HENRI.

Oh !... cela se comprend si vite !

ALEXINA.

Vous croyez ?...

HENRI.

Je l’espère !... pendant vingt années, Boleslas voulut vous apprendre à haïr ?...

ALEXINA, souriant.

Et vous depuis vingt minutes...

HENRI.

Je tâche de vous enseigner le contraire !... lequel de nous deux a le mieux réussi ?...

ALEXINA, soupirant.

Pauvre Boleslas !...

HENRI.

Eh bien !

ALEXINA.

Tenez, monsieur le comte, il n’est plus temps de feindre ; je ne sais quelles émotions inconnues vos paroles ont fait naître dans mon âme ; la douceur de votre langage, sa nouveauté même, tout m’a troublée, je ne chercherai point à le cacher. Peut-être, en façonnant mon cœur à des sentiments haineux et cruels, a-t-on fait violence à ma nature ? peut-être ce que je croyais un devoir n’était-il qu’un crime ? que vous dirai-je enfin ?... je ne suis plus la même ! il me semble que mes yeux viennent de s’ouvrir !... et vous aussi, vous n’êtes plus ce que vous paraissiez !... un moment de dépit et de colère vous a jeté dans cette conspiration ; mais vous n’êtes pas l’ennemi du roi de Pologne.

HENRI.

Moi, qui veux lui enlever un trône ?...

ALEXINA.

Et pourquoi le lui enlever, si, comme vous dites, il ne pense qu’au bonheur de ses sujets ?

HENRI, à part.

Je n’ai pourtant parlé que de ses sujettes.

ALEXINA.

En renonçant à de cruels des seins, nous préviendrions peut-être de longues infortunes ?... vous l’avez dit, nos mœurs s’adouciraient sous son règne.

HENRI.

Son règne ? là !... là !... vous allez beaucoup trop vite et beaucoup trop loin !... ne tuons pas le duc d’Anjou, d’accord... j’en suis tout-à-fait d’avis... mais qu’il parte !... qu’il retourne en France !... et vous-même, venez dans ce pays qu’on n’oublie jamais.

ALEXINA.

On ne pourrait pas vous le faire oublier ?...

HENRI.

Je voudrais vous le faire connaître.

ALEXINA.

Non !... ce qui se passe dans mon âme, je l’ignore !... j’y cherche maintenant la haine et je ne la trouve plus !... je ne songe qu’avec effroi à ces complots, à ces périls où je me précipitais avec tant d’ardeur !... on m’avait trompée sans doute ? je n’étais que l’instrument d’une haine aveugle !... mon Dieu !... qu’allions nous faire ?... Mais il en est temps encore !... et... oserais-je vous l’avouer ?... vous m’avez convertie !

Air : Je sais attacher des rubans.

À la vengeance, à la fureur,
Mon âme entière était livrée,
Je haïssais !... sur mon erreur
C’est vous qui m’avez éclairée !
Ce pauvre roi, qu’on dut frapper demain,
Je l’aime quand je vous écoute !
Lorsqu’avec vous j’ai fait tant de chemin,
Pourriez-vous me laisser en route ?

 

 

Scène XI

 

HENRI, ALEXINA, ALBERT LASKI, CONJURÉS

 

ALBERT LASKI, entrant vivement.

Tout est perdu !

ALEXINA.

Qu’entends-je ?

HENRI.

Qu’est-ce donc ?

ALBERT LASKI.

Nous sommes trahis ! Cette misérable esclave, qu’Alamanni devait faire garder, a trouvé moyen de fuir ; c’est le traître sans doute qui le lui a donné : déjà cette maison est entourée de soldats, et voici les courtisans de Valois qui accourent.

HENRI, à part.

Diable !... mon début en conspiration n’est pas heureux !

ALBERT LASKI.

Il ne nous reste plus qu’à vendre chèrement notre vie.

HENRI.

Point de résistance, braves palatins !... elle serait inutile !... Laissez moi agir, et fiez-vous au comte de Nangis.

 

 

Scène XII

 

LES MÊMES, CAYLUS, NANGIS, ALAMANNI, VILLEQUIER, ALEXINA, ZBOROWSKI, COURTISANS, SOLDATS

 

NANGIS, arrivant.

Le comte de Nangis ? le voilà !... et je suis curieux de savoir quel est l’insolent ?... Ah !... le roi !...

TOUT LE MONDE.

Le roi !...

HENRI, à part.

Allons, je serai couronné ; il faut en prendre son parti.

VILLEQUIER.

Vous, en ce lieu, sire !...

HENRI.

Oui, monsieur de Villequier, Henri de Valois, duc d’Anjou, et roi de Pologne, qui fait sa police lui-même.

ALEXINA.

C’était lui !...

ALBERT LASKI.

Henri, au milieu de nous !...

HENRI.

Ne vous avais-je pas dit que je vous le livrerais ?... vous voyez que cela m’était facile ?

ALBERT LASKI.

Perfide Alamanni !

HENRI.

Pardonnez-lui, le pauvre homme était assez mal à l’aise.

ALAMANNI.

C’est vrai, sire !...

ALBERT LASKI.

Nous sommes en votre pouvoir, vous avez surpris nos desseins, punissez-les !

HENRI.

Oui, sans doute, le roi doit les punir ; mais Henri de Valois est bien embarrassé !... Car enfin, il est votre complice, il a conspiré comme vous et avec vous ; il est pris comme vous en flagrant délit !... Que faire ?... Tenez, mes braves palatins, imitez-moi !... résignons-nous à la royauté du duc d’Anjou, puisque nous pouvons pas faire autrement.

ALBERT LASKI.

Que dit-il ?...

VILLEQUIER.

Quoi, sire... c’est à vos ennemis ?...

HENRI.

Je n’ai point d’ennemis ici, monsieur !... je n’y vois que de braves gens, trompés peut-être, mais dont j’ai reçu les confidences, qui m’ont serré la main en signe d’amitié, et qui resteront fidèles au pacte que nous avons fait en semble !... N’est-il pas vrai, mes chers complices ?...

ALBERT LASKI.

Sire !...

HENRI, à Alexina.

Et vous, ma belle ennemie ?...

ALEXINA.

Le suis-je encore ?

NANGIS.

Tiens !... c’est la bohémienne !

HENRI.

Voudrez-vous bien assister à nos fêtes ?

ALEXINA.

Vous en faites un tableau si séduisant, et il me reste tant de choses à connaître !...

HENRI, à demi-voix.

C’est dans un mois, au Louvre, que j’espère vous les apprendre.

ALEXINA, étonnée et à part.

Au Louvre !

HENRI.

Je vous nomme intendant général des postes du royaume.

ALBERT LASKI.

Moi, sire ?...

HENRI, bas.

Vous me ferez préparer des relais pour retourner en France.

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