Le Prix du silence (Louis DE BOISSY)

Comédie en trois actes et en vers libres.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 26 février 1751.

 

Personnages

 

LA MARQUISE, Veuve

LÉANDRE, Frère de la Marquise

LISIDOR, Amant de la Marquise

ROSIMON, Cousin et Rival de Lisidor

DORANTE, autre Rival

DUBOIS, Valet de Chambre de la Marquise

ARLEQUIN, Valet de Lisidor

 

La Scène est à Paris, chez la Marquise.

 

 

À MADAME LA MARQUISE DE POMPADOUR

 

PROTECTRICE des Arts, j’ose dans cet Ouvrage ;

De ton Sexe charmant, être le défenseur ;

Et je t’en dois le juste hommage :

Son règne aimable est la douceur,

Nous en faisons l’heureuse épreuve ;

Par les dons de l’esprit, il est notre vainqueur ;

Il nous surpasse encor par les vertus du cœur,

Et POMPADOUR en est la preuve.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LÉANDRE, DUBOIS

 

LÉANDRE.

Oui, j’arrive à l’instant, Dubois quelle nouvelle ?

Que fait la Marquise, ma sœur ?

Comment va sa santé ?

DUBOIS.

Monsieur, comme son cœur ;

Tantôt mal, tantôt bien.

LÉANDRE.

De quelle humeur est-elle ?

DUBOIS.

Vous m’embarrassez, son humeur...

À définir, elle est étrange ;

Selon que le vent est tourné,

À tous les instants elle change ;

Le matin il fait sombre et clair l’après dîné,

Le soir l’air s’obscurcit, et le tonnerre gronde.

LÉANDRE.

Ma sœur à mon départ, avait pris dans le monde,

De la Femme du jour, tous les essors brillants.

DUBOIS.

Elle a fixé son vol, et depuis quelque temps,

Elle creuse à tel point la raison qui l’égare ;

Que la réflexion rend son esprit bizarre,

Et qu’elle devient folle à force de bon sens.

LÉANDRE.

Cette folie attaque peu de gens.

DUBOIS.

Dans le nouvel accès, qui de son cœur s’empare,

Elle prend pour tous ses Amants,

Oh ! la plus belle haine, et dont elle se pare.

Son passe-temps le plus piquant,

Est de jouir, en l’augmentant,

De tout leur ridicule : il est vrai qu’il est rare,

Autant que nuancé de diverses couleurs ;

C’est pour ses yeux malins un parterre de fleurs.

LÉANDRE.

Le Président.

DUBOIS.

Est un avare.

Honteux de l’être, il répand d’une main,

Ce que de l’autre il ramasse soudain.

LÉANDRE.

Le Chevalier.

DUBOIS.

L’usurier qui le presse,

Est l’objet de son premier soin.

Tous les deux, dans Madame, adorent la richesse :

Mais l’un prodigue la tendresse,

Par avarice, et l’autre par besoin.

LÉANDRE.

Cléon, qui pour elle compose...

DUBOIS.

Il fait des vers abondamment ;

Et n’a jamais senti la valeur la prose.

LÉANDRE.

Mais le Comte...

DUBOIS.

Oh ! Monsieur, sa noblesse qui ment

Ne vaut pas une franche et parfaite roture ;

Chez lui, jusqu’à son nom, tout est une imposture.

LÉANDRE.

Dorante le léger se croit un papillon.

DUBOIS.

Bon, étourdi bruyant qui n’est qu’un hanneton.

LÉANDRE.

Rosimon son contraire...

DUBOIS.

Important à la glace !

Le sang froid de l’orgueil est empreint sur sa face.

Il croit vous honorer de vous répondre un mot ;

Il faut souvent finir la phrase qu’il commence,

Et ne pouvant jamais construire ce qu’il pense,

Au ton d’un Fat, il joint l’esprit d’un sot,

Voilà la cour en bref de ma Maîtresse.

LÉANDRE.

Pour des originaux d’une pareille espèce ;

Son mépris est fondé ; mais mon meilleur ami,

Mais Lisidor quelle a banni ;

Par un excès de son caprice,

Ne le mérite pas.

DUBOIS.

Paris est réuni,

Pour louer son mérite, et l’on lui rend justice ;

On peut dire qu’il est un Amant accompli :

Ses bonnes qualités s’assortissent aux vôtres.

LÉANDRE.

L’aime-t-elle au fonds ?

DUBOIS.

Trop : oui, je crois qu’en effet

À force de l’aimer, en dépit qu’elle en ait,

Elle le hait, Monsieur, encor plus que les autres.

Depuis peu cette aversion :

S’étend même sur tous les hommes.

LÉANDRE.

Quoi ? sans nulle exception,

Nous sommes abhorrés ?

DUBOIS.

Oui, tous tant que nous sommes,

Et par un contrecoup, Madame dans ce jour,

Est Misanthrope par amour.

LÉANDRE.

On parle cependant d’un second mariage :

Qui doit être au plutôt conclu.

DUBOIS.

Dans son cœur autant que j’ai lu,

Ses sentiments démentent son langage ;

Vous pourrez d’elle-même en savoir davantage :

Elle vient : dans son âme, il fait beau maintenant,

Je vous laisse, Monsieur, profitez du moment.

 

 

Scène II

 

LÉANDRE, LA MARQUISE

 

LÉANDRE.

Dois-je croire, ma Sœur, ce qu’on vient de me dire ?

Vous vous remariez, sans daigner m’en instruire.

LA MARQUISE.

Ah ! j’en ris : à votre retour,

Mon frère, dites-moi, qui vous a fait ce conte ?

LÉANDRE.

Tout Paris. C’est ma sœur, la nouvelle du jour.

LA MARQUISE.

Comme à la publier, la Renommée est prompte !

Et l’Époux ?

LÉANDRE.

On l’ignore, on en nomme plusieurs ;

Le Chevalier, le Président, le Comte,

Que sais-je, moi ? tous vos Adorateurs.

LA MARQUISE.

Cette nouvelle qu’on raconte,

Léandre, entre nous deux n’est qu’une fiction,

Elle est de mon invention.

LÉANDRE.

Marquise, pourquoi donc l’avez-vous répandue ?

LA MARQUISE.

Pour alarmer cette cohue,

Qui sans cesse, à briguer ma main

Paraît follement empressée :

J’entends déjà d’ici bourdonner leur essaim ;

Et de leur crainte intéressée,

Voluptueusement, d’avance je jouis :

L’alarme sur le front, ils vont bientôt paraître.

Que j’en vais rire !

LÉANDRE.

À vos dépens peut-être.

Plus je vous examine, et plus je suis surpris.

Ma Sœur, depuis votre veuvage

Quel changement s’est fait en vous ?

Pendant le cours de votre mariage,

Tout le monde admirait votre air modeste et doux,

Votre discours sensé ; votre conduite sage ;

L’égalité d’esprit était votre partage :

Présentement vous vous faites honneur

Du caprice ou de la folie,

Et vous portez souvent l’humeur

Jusques à la bizarrerie.

Vous n’êtes point coquette à la rigueur,

Mais vous en avez l’air ; et tout pesé, ma sœur,

La sagesse trop étourdie,

Dont le maintien n’est pas décent,

Nuit plus dans le public, que le vice prudent :

Qui, des traits de la modeste,

Sait se masquer adroitement ;

Des dehors, non du cœur, votre gloire dépend.

LA MARQUISE.

Cet aveu, me fait voir combien je vous suis chère,

Et je dois le payer du mien,

Oui, je vous aime trop, et vous pensez trop bien ;

Pour ne pas obtenir ma confiance entière !

Votre estime est un bien qui m’est trop précieux,

Pour la mériter à bon titre ;

Je dois justifier ma conduite à vos yeux :

Vous jugerez après, et serez mon arbitre.

Pour vous ouvrir mon aine avec sincérité,

Sur le choix d’un époux ma jeunesse imprudente

Ne consulta que mon œil enchanté !

Je me laissai Surprendre à la beauté

D’une figure séduisante ;

Et j’oubliai la qualité

La plus solide et la plus nécessaire ;

C’est la bonté du caractère,

Formé par la douceur et par la probité,

Sur la foi d’un dehors aimable,

J’épousai le Marquis, et je le crus parfait.

L’Hymen me détrompa, je vis que j’avais fait

Une méprise épouvantable,

Et cet Amant charmant qui n’adorait que moi,

Dont l’apparence était si belle,

Dès qu’il eut obtenu ma foi,

Devint un Maître dur qui m’imposa la loi,

Et voulut seul avoir le droit d’être infidèle :

Je dévorai mes pleurs, et sous un front serein,

J’eus la force en public de cacher mon chagrin.

À la fleur de ses ans il finit sa carrière :

Dans cet instant fatal, il reconnut son tort,

Et pour le réparer me fit son héritière ;

J’en fus reconnaissante et j’honorai sa mort

Sincèrement des pleurs qu’elle mérite.

LÉANDRE.

Chacun a jusques-là loué votre conduite,

Pourquoi donc en changer ?

LA MARQUISE.

En voici la raison,

L’éclat de ma fortune a rempli ma maison,

D’une foule d’Amants, que l’intérêt attire ;

De ces avares soins, mon cœur n’est point flatté.

Je n’en fais point d’honneur à ma beauté.

C’est pour mes biens qu’elle soupire :

Voilà l’objet dont ils sont tous épris ;

Leur avantage les occupe.

Dans ma position il n’est que deux partis,

Ou de m’en divertir, ou d’en être la dupe,

Le premier est plus sage, et ma raison l’a pris :

Soit pour les éprouver, ou soit pour m’en défaire

Je joue exprès, forçant mon caractère,

La petite Maîtresse, et ses airs étourdis :

Je porte les écarts jusqu’à l’extravagance,

Tous mes propos n’ont pas le sens commun,

Mes procédés sont pleins d’impertinence ;

Mais par malheur je n’en dégoute aucun :

Plus je suis folle, et plus leur sottise m’encense.

Plus j’accrois leur nombre importun,

Le don d’extravaguer attire l’affluence.

Auprès des hommes d’a présent,

C’en un droit pour leur plaire, et si l’on n’est frivole ;

Si mon sexe, comme eux, n’est léger, inconstant,

Railleur, faux, singulier, bizarre, inconséquent ;

Il est d’un mauvais ton, et leur troupe s’envole ;

Il faut le ressembler pour être leur idole.

LÉANDRE.

Ma sœur, tels qu’ils sont cependant,

Vous voulez avoir leur hommage.

LA MARQUISE.

Non, j’ai, mon frère, un but plus sage :

C’est, pour les démasquer, que je les flatte tous.

Votre sexe orgueilleux usurpe un avantage

Qu’il ne mérite pas, dont mon cœur est jaloux.

Je veux venger le mien de cet outrage,

Et faire voir qu’ils sont plus imparfaits que nous.

Ils veulent marcher sur nos traces,

Mais leurs efforts sont superflus,

Car ils défigurent nos grâces ;

Ils outrent nos défauts, et n’ont pas nos vertus.

LÉANDRE.

À ce sujet vous vous plaignez sans cause ;

Nous vous donnons le pas en toute chose.

Nous louons votre esprit, nous...

LA MARQUISE.

Éloge insultant !

Votre mépris pour nous fait votre politesse ;

Vous nous traitez comme un enfant,

Qui vous dit une gentillesse ;

Si votre orgueil le flatte en ce moment,

C’est par égard pour sa faiblesse,

Et par compassion, vous lui faites caresse.

LÉANDRE.

Je vois que l’homme est mal dans votre esprit :

Et vous le méprisez.

LA MARQUISE.

Oui, de toute mon âme.

LÉANDRE.

Vous suivez trop votre dépit.

LA MARQUISE.

Mais je lui rends, justice, il vaut moins que la femme :

Avant la fin du jour je veux le démontrer ;

Tout ce qu’il nous reproche, il l’a pour apanage,

Il est plus sot, plus fat, plus long à se parer,

Plus curieux, plus faible, plus volage ;

Et plus causeur.

LÉANDRE.

Ma sœur !

LA MARQUISE.

C’est sans exagérer.

La fureur de parler est le vice des hommes ;

Ils sont tous indiscrets plus que nous le sommes,

Ils ne peuvent rien taire, un seul point excepté,

C’est l’argent qu’on leur a prêté.

Rien n’arrête d’ailleurs leurs langues infidèles,

Qui divulguent dans tout Paris,

Les plaisirs qu’ils font aux amis,

Et les bontés que pour eux ont les belles ;

Et même les bienfaits qu’ils n’ont pas reçus d’elles.

LÉANDRE.

Vous peignez là les malhonnêtes gens.

LA MARQUISE.

Mais je peins le grand nombre, et sur notre chapitre,

Ils le sont presque tous : oui, vos Héros brillants

Font même gloire de ce titre.

Un triomphe éclatant pour leur fatuité,

Est de ternir l’honneur d’un sexe sans défense,

Dont le plus grand défaut est son trop de bonté

Pour des ingrats, prompts à lui faire offense,

Parce qu’ils sont toujours surs de l’impunité,

Les Perfides entre eux ont plus de probité.

Par la crainte qu’ils ont d’une juste vengeance,

Ils font le mal par volupté,

Et suivent l’honneur par prudence.

LÉANDRE.

Je vois par ce discours où règne le courroux,

Que vous ne choisirez jamais un autre Époux.

LA MARQUISE.

Il faudrait pour cela que le ciel eût fait naître

Un personnage exprès qui fût digne de l’être ;

Vrai, désintéressé, franc, discret comme vous.

LÉANDRE.

Ah ! de tels éloges...

LA MARQUISE.

Mon frère,

De tels éloges vous sont dus ;

Je vous connais surtout et secret et sincère :

Si je garde ma main, c’est à ces deux vertus.

Je veux dans un Amant trouver un bien si rare ;

Qu’il soit mon conseiller, et jamais mon flatteur.

En lui je cherche un conducteur,

Qui guide ma raison, et non pas qui l’égare,

Pour profiter après de mon erreur.

Surtout la chose dont je tremble ;

Est le débit usé de cent fausses douceurs ;

Je veux des vérités, et non pas des fadeurs ;

Si l’on fait mon portrait je veux qu’il me ressemble ;

Qu’on se taise plutôt sur mes faibles appas,

Que de venir louer avec fracas,

Tous les défauts que je rassemble ;

Et les vertus que je n’ai pas.

Il faut, pour être, enfin, digne de mes tendresses,

Que par des procédés, on prouve ses transports ;

Il faut en même temps m’éclairer sur mes torts,

Me montrer mes travers et taire mes faiblesses.

LÉANDRE.

Votre système est sage à tous égards.

Il mérite qu’on l’applaudisse,

Et le motif excuse vos écarts,

Vous cachez la raison, sous les traits du caprice.

LA MARQUISE.

Comme je l’attendais, vous me rendez justice.

LÉANDRE.

Si la franchise jointe à la discrétion

Doit décider votre inclination :

Je sais quelqu’un qui les allie,

Ma sœur, dans la perfection.

LA MARQUISE.

Nommez cet honnête homme et je me remarie.

LÉANDRE.

C est Lisidor, c’est mon ami.

LA MARQUISE.

Qui proposez-vous là ?

LÉANDRE.

Le seul qui vous mérite.

LA MARQUISE.

Ah ! ne m’en paries point, ce n’est qu’un hypocrite.

LÉANDRE.

Non, vous l’avez injustement banni.

LA MARQUISE.

Je l’ai banni pour le connaître,

Et je l’ai dévoilé, mon art a réussi,

C’est l’Inconstant honteux de l’être.

LÉANDRE.

Il vous est attaché, ma Sœur, uniquement :

Il a rempli votre ordre aveuglément.

LA MARQUISE.

Pour suivre  Hortense à la campagne,

Vous riez à ce nom ! qu’a-t-il donc de plaisant ?

LÉANDRE.

Rien. Loin de vous, la tristesse en tous lieux l’accompagne.

LA MARQUISE.

C’est là son caractère, il aime tristement,

Il soupire, il adore avec mélancolie ;

Moi, je hais, il est vrai, mais avec enjouement ;

Ma haine saisit tout par le côté plaisant :

Et pour la rendre plus jolie,

Je lui donne toujours l’habit de la folie.

LÉANDRE.

Son amour serait gai, s’il était plus content,

Changez son sort.

LA MARQUISE.

Non, restons comme nous sommes ;

Et laissons-là ce chapitre importun.

Je veux rire de tous les hommes,

Et n’en favoriser aucun.

LÉANDRE.

Ses soins prouveront sa constance ;

À son retour prochain... mais on vient. C’est lui, non ;

C’est votre homme de confiance.

 

 

Scène III

 

LÉANDRE, LA MARQUISE, DUBOIS

 

DUBOIS.

Je vous interromps, mais pardon,

Je viens pour un cas d’importance ;

Votre antichambre est pleine d’envoyés,

Madame, impatients d’être congédiés ;

Frontin, Pasquin, Jasmin, la Tulipe, la France,

Champagne, Bourguignon, demandent audience ;

Leurs Maîtres empressés les députent vers vous :

Chacun vient de leur part chargé d’un billet doux.

LA MARQUISE, à Léandre.

Mon artifice prend le tour que je souhaite ;

Et de mon faux Hymen le bruit les inquiète :

Ils ne savent à qui je dois donner ma main.

DUBOIS.

Pour rendre leur Troupe complète,

Il ne manque plus qu’Arlequin ;

Justement je le vois paraître.

LÉANDRE.

Il vous vient annoncer le retour de son Maître.

DUBOIS.

Les autres viendront-ils présenter leurs placets ?

LA MARQUISE.

Non, allez vous-même les prendre,

Et j’y ferai réponse : ils n’auront qu’à l’attendre ;

Vous la leur remettrez.

DUBOIS.

Oui, Madame, j’y vais.

Il rentre.

 

 

Scène IV

 

LÉANDRE, LA MARQUISE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Les vertus de mon Maître, et mon propre mérite

Doivent me faire écouter le premier.

Il arrive, Madame, et vous ose prier

Humblement, par ma voix d’agréer sa visite.

Son état va vous effrayer ;

Il est si fort maigri, qu’il est méconnaissable.

LA MARQUISE.

Il sort d’une campagne, où règnent les plaisirs,

Il a du s’amuser.

ARLEQUIN.

Non, je me donne au diable,

Il ne vivait que de soupirs.

Son chagrin l’emportait, j’avais beau le combattre :

Si pour le soutenir, et par compassion

Je n’eusse au moins mangé pour quatre,

Il serait mort d’inanition.

Je vais vous dire un trait...

LA MARQUISE.

Point de digression.

Abrégez.

ARLEQUIN.

Soit, en trois mots je m’énonce,

Madame, Monsieur vous écrit.

Tenez, lisez, faites réponse.

Elle presse, j’attends, j’ai dit.

LA MARQUISE.

Passez dans l’antichambre, allez.

ARLEQUIN.

Cela suffit.

Il sort.

 

 

Scène V

 

LA MARQUISE, LÉANDRE

 

LA MARQUISE lit.

Qu’apprends-je ! à mon retour, votre hymen se publie !

Ciel ! à qui devez-vous engager votre foi ?

Ma tendresse en frémit, quelle en soit éclaircie.

Un mot va me donner le trépas ou la vie.

Non, pour ce choix fatal, qui m’agite d’effroi,

Mon cœur doit craindre tout du vôtre.

J’expire de douleur, s’il rend heureux un autre,

Et je meurs de plaisir, s’il est tombé sur moi.

LÉANDRE.

Voilà, de sa constance, un trop sûr témoignage,

Et votre cœur en doit être content.

LA MARQUISE.

Non, c’est l’esprit qui parle, et non le sentiment ;

Le véritable Amour est simple en son langage :

Sans hyperbole, il se plaint de ses maux.

Les plus exagérés sont toujours les plus faux ;

Et s’il en disait moins, j’en croirais davantage.

LÉANDRE.

Faut-il vous parler franchement ?

Vous le chicanez trop, Marquise,

Pour qu’il vous soit indifférent.

LA MARQUISE.

Non, il ne me l’est pas vraiment,

Et l’aversion que j’ai prise

Pour toute votre espèce universellement,

Se ramasse sur lui particulièrement.

LÉANDRE.

On vous apporte ici, pour vous rendre contente,

De quoi faire briller cette haine charmante,

Aux dépens de mon sexe entier.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, LÉANDRE, DUBOIS, chargé de plusieurs billets

 

LA MARQUISE.

Jetons les yeux, pour m’égayer,

Sur le premier billet que le sort me présente.

Elle lit un Billet que Dubois lui présente.

« Qui de nous est l’époux dont vous cachez le nom ?

« Pour réponse un seul mot, écrivez, Rosimon.

Après avoir lu.

On ne peut pas être plus laconique,

Son Cousin Lisidor ne lui ressemble point.

Il est diffus au dernier point.

LÉANDRE.

Il est vrai qu’il n’a pas sa morgue flegmatique,

Rosimon est le fat le plus froid de Paris.

LA MARQUISE.

Avec précision, j’aime que l’on s’explique.

LÉANDRE.

Eh ! le peut-on quand on est bien épris ?

Non, l’amour est prolixe, et l’orgueil est précis,

DUBOIS.

J’en tiens un tout musqué.

LA MARQUISE.

Ce premier doit suffire,

Je sais par cœur leurs sentiments,

L’intérêt les anime, ou l’orgueil les inspire :

C’est le même billet en termes différents.

LÉANDRE.

Pour expédier tout cela,

Marquise, vous auriez besoin d’un Secrétaire.

DUBOIS.

J’en fais les fondions.

LA MARQUISE.

Oui, Dubois m’aidera.

LÉANDRE.

Son secours vous est nécessaire,

Et si vous répondez à tous ces billets-là,

Vous aurez tout au moins dix réponses à faire.

DUBOIS.

Il me vient une idée heureuse, singulière.

À la Marquise.

Ne faites qu’une...

LA MARQUISE.

Eh bien ?

DUBOIS.

J’en ris,

Qu’une réponse circulaire,

Qui servira pour tous les dix,

Abréger est toujours la meilleure manière,

Vous l’écrirez, je mettrai le dessus.

LA MARQUISE.

Oui, je l’approuve d’autant plus

Qu’elle m’offre un moyen de tendre un heureux piège

À leur amour propre indiscret.

C’est où je les attends, mon frère, l’avouerai-je,

Mon triomphe serait parfait,

Si j’avais le bonheur, de rendre d’un seul trait,

Ridicule à jamais leur troupe qui m’assiège.

Si ma juste haine pouvait

En elle humilier tous les hommes ensemble,

Dans chacun d’eux punir avec éclat,

Tous les vices divers que leur sexe rassemble,

Jouer le fourbe et châtier l’ingrat,

Tromper l’avare, et confondre le fat ;

Si je pouvais enfin rendre guerre pour guerre,

Au médisant qui nous noircit,

Et sans pitié livrer au sifflet du Parterre

Tous ceux qui contre nous abusent de l’esprit.

LÉANDRE.

Oh ! vous en dites trop.

LA MARQUISE.

Mais je prends ma revanche,

Mon frère, et j’use de mes droits.

Je suis vindicative autant que je suis franche,

Et vous soyez discret. Adieu, venez, Dubois.

Elle rentre avec Dubois.

 

 

Scène VII

 

LÉANDRE, seul

 

Ne nous rebutons point : pour la rendre propice,

Aux feux de Lisidor, redoublons notre ardeur.

Forçons la haine à lui rendre justice,

Et que l’amour constant subjugue le caprice,

Ou l’excès de raison qui domine ma sœur.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LISIDOR, LÉANDRE

 

LISIDOR.

Rentre, que je te parle ; ici je viens moi-même,

Dans mon impatience interroger ta sœur,

Son cœur, Léandre, est l’oracle suprême

Qui peut lui seul prononcer mon bonheur.

Je sais qu’elle t’écoute, et je sais qu’elle t’aime,

Dis, l’as tu vu ? As-tu parlé pour moi ?

A-t-on remis ? A-t-elle lu ma Lettre ?

Parle, romps ce silence, il me glace d’effroi.

LÉANDRE.

Je le romprai, si tu veux le permettre.

Calme tes sens, modère ce grand feu :

De ton Billet, que ma sœur vient de lire,

Tu recevras la réponse dans peu.

Elle est dans le moment occupée à récrire.

LISIDOR.

Cette réponse, ami, que je désire,

Accroît mon trouble au lieu de l’apaiser,

Penses-tu qu’elle soit favorable à ma flamme ?

LÉANDRE.

La Marquise, s’il faut ne te rien déguiser,

Croit qu’Hortense, en secret, assujettit ton âme.

LISIDOR.

Il fallait la désabuser,

Et lui dire qu’elle est ta femme.

LÉANDRE.

Peux-tu bien me tenir un langage pareil,

Toi, le seul confident, le témoin, le conseil,

Du secret hymen qui nous lie ?

D’un silence profond, sa fortune dépend.

D’un oncle rigoureux, tu sais qu’elle l’attend.

Tu sais qu’il est d’autant plus redoutable,

Qu’Hortense a refusé trois partis de sa main ;

Et qu’il a fait, sensible à ce dédain,

De la déshériter, un ferment effroyable,

Si jamais elle osait choisir un autre époux ;

Dans sa parole il est inébranlable,

Et jamais aucun frein n’arrêta son courroux.

LISIDOR.

J’ai tort, pardonne, je te prie.

Un amant alarmé s’oublie,

Et son trouble le rend distrait.

LÉANDRE.

Mais à d’autres dans ta saillie,

Prends garde, en t’oubliant, de dire mon secret,

Et par distraction, ne sois pas indiscret.

LISIDOR.

Ah ! Mille fois plutôt que je perde la vie !

Dans le fond de mon cœur, il est enseveli.

Crois ce cœur.

LÉANDRE.

Je le crois, il a toujours rempli

Tous les devoirs d’une âme tendre,

Par l’amour même, il s’y voit affermi.

C’est ce feu si parfait qui rassure Léandre,

Un véritable amant est un discret ami.

LISIDOR.

Pour mériter ces noms, je dois être fidèle

À l’amitié comme à l’amour ;

Mais la circonstance est cruelle.

Il faut que j’immole en ce jour,

Au secret de tes feux, l’intérêt de ma flamme.

La Marquise soupçonne injustement mon cœur.

Je ne puis détromper son âme

Dans cette opinion fatale à mon bonheur.

Ta cruelle sœur vient d’élire,

Sans doute un autre pour mari.

L’injustice m’avait banni,

L’aveugle erreur va me proscrire.

Dans sa prévention son cœur est sans pitié ;

Il n’est plus rien qui pour moi la fléchisse.

Je serai jouet du caprice,

Et victime de l’amitié.

LÉANDRE.

Non, sa bizarre humeur tourne en Misanthropie.

LISIDOR.

Dis plutôt en coquetterie,

Puisque j’ai vingt rivaux qui sont tous bien reçus.

LÉANDRE.

C’est de sa part une supercherie,

Peut-être ce soir même ils seront tous exclus.

LISIDOR.

Si l’un d’eux est choisi ! Ce doute me déchire.

LÉANDRE.

Tu seras bientôt éclairci ;

C’est tout ce que je puis te dire.

 

 

Scène II

 

LÉANDRE, LISIDOR, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Monsieur, fort à propos je vous rencontre ici.

Que votre amour se réconforte.

Pour ranimer son feu, je tiens, j’apporte

Un élixir, un baume souverain.

Sur vous la simple vue opérera soudain.

LISIDOR.

C’est la réponse à mon Billet.

ARLEQUIN.

Oui.

LISIDOR.

Donne,

Ma main tremble en l’ouvrant, et mon âme frissonne.

Il lit.

C’est Lisidor que je choisis ;

Qu’il fasse son bonheur, ma main est à ce prix.

Après avoir lu.

Ce que je viens de lire, et m’enchante et m’étonne.

Est-il possible ! Ô Ciel ! Je suis le fortuné.

Mon amour aujourd’hui va se voir couronné.

ARLEQUIN.

Qu’ai-je dit ? Elle est courte et bonne ;

J’en étais le porteur, et cela suffisait.

LISIDOR.

Que je relise encore et baise ce Billet.

Mon destin est si doux, et ma joie est si forte,

Que je ne puis la contenir.

ARLEQUIN.

Comme la gaieté vous transporte,

Ah ! C’est l’effet de l’élixir.

Mon Maître, embrassez-moi. Que je dois m’applaudir !

Il sort.

 

 

Scène III

 

LISIDOR, LÉANDRE

 

LISIDOR.

Léandre, eh ! quoi, tu gardes le silence !

Prends-donc part à mon sort ? partage mon plaisir.

LÉANDRE.

Dans la part que j’y prends, j’écoute la prudence,

Pour goûter ce plaisir, attendons qu’il soit pur ;

Songe que ton bonheur n’est pas encore sûr ;

Il dépend du secret ; garde qu’il ne transpire,

Arrête ce transport, étouffe un vain délire :

Rosimon vient vers toi d’un pas majestueux.

Il a l’air satisfait. Une tranquille joie,

Sur son front confiant, gravement se déploie,

Je vais rejoindre Hortense, et vous laisse tous deux.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

LISIDOR, ROSIMON

 

ROSIMON.

Ah ! Reçois mon salut.

LISIDOR.

Et toi, ma révérence.

ROSIMON.

Te voilà déjà revenu ?

LISIDOR.

Tu le vois.

ROSIMON.

Que ne restais-tu ?

LISIDOR.

Mais, j’avais mes raisons pour finir mon voyage.

ROSIMON.

Le prolonger eût mieux valu.

Je te l’aurais écrit, si c’était mon usage.

LISIDOR.

Je te suis redevable, il t’en eût trop coûté

Pour faire une pareille avance ;

Tu parles peu par vanité,

Et tu n’écris jamais par indolence.

ROSIMON.

Tu viens savoir...

LISIDOR.

Sur qui tombe la préférence.

ROSIMON.

Fort bien, tu crois la mériter.

LISIDOR.

Je puis, par mon amour, avoir cette espérance.

Plus que moi, Rosimon, tu parais t’en flatter.

ROSIMON.

Mon mérite...

LISIDOR.

Il est vrai, fonde ta confiance,

ROSIMON.

Lisidor !

LISIDOR.

Rosimon !

ROSIMON.

Je pense,

Que par le sang tu m’es uni.

Ce nœud...

LISIDOR.

Me fait un honneur infini.

ROSIMON.

Et j’estime assez ta personne.

LISIDOR.

Assez ! Tant de bonté m’étonne !

ROSIMON.

Je plains ton sort, j’en suis presqu’attendri.

LISIDOR.

Presque !

ROSIMON.

Retourne-t’en, crois-moi, pauvre banni,

Suis le conseil qu’un bon parent te donne.

LISIDOR.

Non, j’ai l’audace de rester.

ROSIMON.

Tu dois ici me redouter,

J’ai la bonté de t’en instruire.

LISIDOR.

Je me borne à vous respecter,

Et j’ai l’honneur de vous le dire.

ROSIMON.

Jusqu’à ce point tu m’oses résister.

J’admire ton orgueil.

LISIDOR.

Moi, votre modestie.

ROSIMON.

Si je pouvais parler.

LISIDOR.

Elle parle pour vous,

Épargnez-vous, Monsieur, cette fatigue horrible.

Sur votre front content, elle fait lire à tous,

En caractère intelligible,

Que vous êtes l’heureux époux.

ROSIMON.

N’achève pas : c’est un mystère.

LISIDOR.

Rassurez-vous.

ROSIMON.

Je dois me taire.

LISIDOR.

Mais quand vous parleriez, je ne vous croirais point.

ROSIMON.

Mon triomphe...

LISIDOR.

Je le conteste.

Je fuis incrédule en ce point

Autant que vous êtes modeste.

ROSIMON.

Mais à la fin je prendrai feu.

LISIDOR.

Toi, prendre feu ! Je t’en défie.

Malgré tout mon respect, trouve bon que j’en rie.

ROSIMON.

C’est trop mettre ma gloire en jeu.

À mon amour, quand il persiste,

Apprend donc que rien résiste,

Et mon ardeur est faite...

LISIDOR.

Pour geler.

ROSIMON.

Un feu si doux remplit mon âme...

LISIDOR.

Si doux que sa chaleur ne doit pas te brûler ;

Et tu dois transir dans ta flamme.

ROSIMON.

Tu forces mon orgueil d’être enfin indiscret ;

Mais tu seras puni d’apprendre mon secret.

LISIDOR.

Comment donc ? Tu finis ta phrase !

Tu gagnes à ce changement,

Et tu dois rendre grâce au dépit qui t’embrase,

Mon cher cousin, il te rend éloquent !

ROSIMON.

Pour me vanger de ce trait insultant,

Lis ton arrêt sans plus attendre.

On t’avait exilé, morbleu ! Tu vas te pendre ;

LISIDOR lit.

« C’est Rosimon que je choisis,

« Qu’il fasse son bonheur, ma main est à ce prix.

À part, après avoir lu.

Juste Ciel que viens-je de lire ?

C’est au nom près qu’elle a changé,

C’est le même billet qu’elle vient de m’écrire.

ROSIMON.

Ce coup te pétrifie. Adieu, je suis vengé.

Rends-moi ce garant de ma gloire.

Tu raillais, à mon tour je me moque de toi,

Et par ce trait, qui comble ma victoire,

Je te laisse, en partant, beaucoup plus froid que moi.

Il sort.

 

 

Scène V

 

LISIDOR, seul

 

Oui, je reste immobile, et je suis sans réplique ;

Autant qu’il me surprend, ce tour sanglant me pique.

 

 

Scène VI

 

LISIDOR, DORANTE

 

DORANTE.

Ah ! te voilà, mon cher, j’entre.

LISIDOR.

Et je sors.

DORANTE.

Attends.

LISIDOR.

Je suis pressé.

DORANTE.

Non, Lisidor, demeure.

LISIDOR.

Dorante, je ne puis.

DORANTE.

Tu fais de vains efforts.

Je te retiens pour un quart d’heure ;

Et tu m’es nécessaire : entre tous mes Rivaux

Je te distingue.

LISIDOR.

Abrégeons les propos.

DORANTE.

Et je vais te donner une preuve sincère,

De mon estime singulière.

Nous sommes tous deux sans témoins,

Et de parler je me sens un besoin ;

Mais un besoin inexprimable.

J’ai sur le cœur un secret qui m’accable ;

Il m’étouffe inhumainement ;

Je meurs, si je le garde une minute encore ;

Mais je prétends, malgré l’ardeur qui me dévore,

Ne le verser que dans un sein prudent,

Je te connais discret ; et sans retardement

Je te choisis.

LISIDOR.

Moi !

DORANTE.

Toi.

LISIDOR.

Le choix m’honore.

DORANTE.

Je te conjure ici pour mon soulagement,

Surtout pour ton propre avantage,

Ne sois plus mon Rival, deviens mon Confident.

LISIDOR.

La proposition...

DORANTE.

Est sage,

Mon cher, ton intérêt m’engage

À te la faire, encor plus que le mien :

En vain dans son amour ton cœur s’opiniâtre,

Il n’en doit plus attendre rien ;

La Marquise, entre nous, m’adore, m’idolâtre.

LISIDOR.

Va, de ta vanité, c’est une illusion.

DORANTE, tirant un Billet de sa poche.

En voici la conviction,

Écoute, mon très cher, ces deux lignes charmantes

Écoute, n’en perds rien ; tous les mots sont précis,

Et de mon sort heureux, sont les preuves touchantes.

Il lit avec volupté.

C’est Dorante que je choisis,

Qu’il tasse sont bonheur, ma main est à ce prix.

Après avoir lu.

Hem, maintenant doutes-tu de ma gloire,

Et son choix est-il incertain ?

Un autrefois tu daigneras m’en croire :

J’ai dû, pour le combler, t’apprendre mon destin.

Un triomphe ignoré, n’est pas une victoire.

Il faut un tiers au moins pour l’établir ;

Et sans un Confident on ne peut le sentir :

Adieu, mais chut ; en cette circonstance

Le devoir d’un Amant consiste à bien choisir :

Celui d’un Confident à garder le silence.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

LISIDOR, seul

 

Et de deux, un troisième à coup sur va venir,

Et je ne reviens point de cette perfidie,

Mon feu, Marquise injuste, avait-il mérité

Cette cruelle raillerie ?

Tout mon sexe est l’objet de votre antipathie,

Vous ne distinguez rien, et la fidélité

Reçoit le même prix, que la fatuité,

 

 

Scène VIII

 

LISIDOR, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Monsieur, votre Avocat vous prie ;

De passer ce matin chez lui.

LISIDOR.

Mon Avocat,

Mon Avocat, morbleu, m’ennuie.

ARLEQUIN.

Mais c’est un droit de son état ;

Permettez qu’il en use, ainsi que ses Confrères.

Il dit que les Amants pour régler leurs affaires,

Auraient besoin d’un Curateur.

LISIDOR.

C’est un mauvais plaisant, qu’il parle ou qu’il écrive.

ARLEQUIN.

De leur profession, Monsieur,

Songez que c’est encore une prérogative,

Que l’on ajoute l’invective

Au talent d’ennuyer, et de plaisanter mal,

On aura leur portrait d’après l’original.

Le vôtre vous demande, et son instance est vive.

Votre procès.

LISIDOR.

J’en ai dans ces lieux un.

ARLEQUIN.

Il faut.

LISIDOR.

Il faut que je le vide avant de suivre l’autre.

ARLEQUIN.

Mais on vous a, dit-il, déjà pris par défaut ;

Et son zèle pour vous, doit réveiller le votre.

LISIDOR.

Dis que chez lui je passerai tantôt.

Arlequin sort.

 

 

Scène IX

 

LISIDOR, DUBOIS

 

DUBOIS.

Ah ! ah ! ce trait plaisant m’épanouit la rate.

LISIDOR.

Pourquoi rire si fort ?

DUBOIS.

Ce n’est pas sans sujet,

Monsieur, excusez si j’éclate ;

Il n’est plus temps de garder le secret,

De vos Rivaux chacun se flatte ;

D’un bonheur qu’il n’obtiendra pas :

Madame vient de leur tendre un appas

Où s’est pris sottement leur orgueil téméraire :

Sur la foi d’un Billet, source de grands débats ;

Qui leur promet sa main, sous le sceau du mystère,

Chacun se croit l’heureux, et divulgue tout bas,

Cette victoire imaginaire.

LISIDOR.

Mais ce Billet...

DUBOIS.

Est bien trouvé ;

Il part de mon idée, et doit être approuvé.

LISIDOR.

Vous avez tort, Dubois, et c’est la compromettre.

DUBOIS.

Non, point du tout ; ce n’est qu’un jeu badin,

Et sage qui plus est, il l’éclairé en chemin.

Je sais que vous avez reçu pareille Lettre,

Mais, Monsieur, daignez vous remettre :

Ce stratagème heureux qui les a trompé tous,

Est pour eux un écueil ; qu’il soit un port pour vous ;

De l’indiscrétion, qu’il leur a fait commettre,

Songez à recueillir le fruit,

Et riez avec moi de ce qu’elle a produit,

L’avare Président dans la douce espérance,

De posséder bientôt tant de riches trésors,

N’a pu retenir ses transports ;

Son secret est déjà su de toute la France.

En même temps l’indigent Chevalier,

Pour jouir d’un sort plus tranquille,

A dit le sien à plus d’un créancier,

Qui l’a redit aux trois quarts de la ville.

Le Comte menteur reconnu,

Qui, hors la vérité, ne peut jamais rien taire ;

A déclaré tout haut qu’il venait d’être exclu,

Pour persuader le contraire ;

Son art a réussi ; tout le monde l’a cru ;

Et par un trait encore plus comique,

Le grave Rosimon, votre illustre Cousin,

A chargé le discret Frontin,

D’ordonner en secret une Fête publique,

Pour rendre solennel son bonheur clandestin.

LISIDOR.

Cette aventure est singulière.

DUBOIS.

Pour mettre le tableau dans toute sa lumière

Comme tous ces Messieurs venaient remercier

Ma Maîtresse en particulier ;

De sa bonté vraiment risible

Dorante de tous le plus fat,

Impertinent par gloire, étourdi par était

Et Petit-Maître incorrigible,

A tiré tour à tour chacun d’eux à l’écart,

Et leur a lu, Monsieur, en confidence à part.

Le Billet doux qu’on venait de lui rendre,

En leur faisant modestement entendre

De laisser le champ libre à ton amour discret,

Et les priant sur tout de taire son secret.

LISIDOR.

Ce trait ne doit pas me surprendre

Puisqu’il m’a fait le même honneur.

DUBOIS.

Son dernier Confident la brusqué par malheur :

Son éclat a trahi le mystère.

Ils se sont tous dans ce chaos

Communiqué leur Billet circulaire.

Madame arrive à ce propos ;

Et leur trouble est pour elle une fête charmante :

Avec un ris malin, sa haine triomphante,

Insulte à leur sottise, et veut les chasser tous ;

Mais pour demander grâce, ils tombent à genoux ;

Suppliant que leur peine au moins soit adoucie.

LISIDOR.

La révoque-t-elle ?

DUBOIS.

Oui ; mais elle les châtie,

D’un supplice bouffon, et digne du délit.

Mon extrême bonté, Messieurs, a-t-elle dit,

Vous permet de jouir encor de ma présence,

Mais il faut l’acheter par un profond silence ;

Qu’exactement vous garderez ;

À ce prix seul vous me verrez :

Quand vous n’userez plus du don de la parole,

Je compte n’y rien perdre, et vous y gagnerez,

Le secret est un art, où vous vous formerez ;

Vous en avez besoin, ce sera votre école.

LISIDOR.

Sage punition, quoiqu’elle semble folle !

Leur langue est donc captive ?

DUBOIS.

Oui, ces lieux désormais

Ne retentiront plus de leurs cris incommodes ;

Madame, va se voir servir par des muets,

Et saluer par des Pagodes.

LISIDOR.

Ce Rôle à mon cousin, fera beaucoup d’honneur ;

C’est, pour le jeu muet, un admirable Acteur.

DUBOIS.

Il n’était pas de la dispute,

Mais on payera son bal avant qu’il s’exécute.

Madame...

LISIDOR.

J’en rirais dans un autre moment ;

J’en recevrai peut-être un plus dur traitement.

DUBOIS.

Je n’y vois aucune apparence.

Pour mieux vous éclaircir du sort qui vous attend,

Parlez lui seul, Monsieur, je la vois qui s’avance.

 

 

Scène X

 

LISIDOR, LA MARQUISE

 

LISIDOR.

Madame, j’attends ma sentence,

Un nouveau châtiment suivra-t-il mon rappel !

Je suis sûr de mon innocence ;

Et je sens, devant vous, l’effroi d’un criminel.

LA MARQUISE.

Mais si vous n’êtes point coupable,

Qui vous inspire cet effroi ?

LISIDOR.

Oserai-je le dire ?

LA MARQUISE.

Oui, déclarez le moi.

LISIDOR.

Votre caprice inconcevable.

LA MARQUISE.

Ah ! ce début est un peu fort.

Et vous indisposez votre Juge d’abord ;

La maladresse est effroyable.

LISIDOR.

Pardon, mais mon défaut est d’être véritable.

LA MARQUISE.

Ne vous excusez point sur cette qualité.

Auprès de moi, Monsieur, elle est recommandable,

Et j’aime mieux la vérité,

Même la plus désagréable,

Que la flatteuse fausseté.

LISIDOR.

Puisque la franchise vous flatte ;

Je vais continuer, et vous dire sans fard ;

Que votre procédé tient un peu de l’écart.

Pour une femme délicate,

Le billet...

LA MARQUISE.

Vous l’avez sur le cœur, je le vois,

Mais il n’est pas l’ouvrage du caprice ;

En récrivant, j’ai suivi la justice.

LISIDOR.

Pour les autres : mais pour moi !

LA MARQUISE.

J’ai dû vanger mon sexe, et démasquer le vôtre ;

Montrer qu’en avarice, en imbécillité ;

En indiscrétion, en folle vanité,

Son esprit surpasse le nôtre ;

J’ai réussi, j’ai donc raison :

Dans cet abaissement, je veux qu’on le contemple,

Pour mieux l’humilier par la comparaison.

À tout Paris je devais cet exemple,

Pour la gloire du mien qui doit donner le ton.

LISIDOR.

Mais il le donne aussi, vous êtes nos Oracles

Dans les Cercles, dans les Spectacles.

LA MARQUISE.

Où toujours les premiers vous courez follement

Pour étaler votre figure,

Et pour faire, Messieurs, briller votre parure ;

Plutôt que votre goût et votre jugement.

La nouveauté fait votre ivresse.

Moins frivoles que vous, nous n’y courons jamais,

Que quand l’ouvrage est bon, et qu’il nous intéresse ;

Notre présence est le sceau du succès ;

Et nos larmes font mieux l’éloge d’une Pièce

Que tout ce vain fracas et ces battements sots

Que vous donnez mal à propos,

Toujours aux cris, jamais à la justesse ;

Si vous en jugez bien, vous êtes nos échos.

LISIDOR.

Mais nous en convenons, et vos arrêts suprêmes...

LA MARQUISE.

Vain compliment ! tranchons en quatre mots.

Pour mieux nous abaisser, c’est un de vos systèmes ;

Vous nous cédez la palme à faux

Dans les riens, dans la mode, où vous primes vous-mêmes ;

De la frivolité, vous êtes les Héros.

LISIDOR.

Nous ne sommes que des copies.

LA MARQUISE.

N’affectez point, Messieurs, ces fausses modesties ;

Vous êtes des originaux :

Vous l’emportez par les folies,

Nous par le vrai, par la solidité.

LISIDOR.

Ce n’est pas tout-à-fait votre plus beau côté.

LA MARQUISE.

Qui le dit ? votre espèce, en qui l’orgueil abonde ;

Nous appelions de sa malignité.

Mon sexe est fait pour gouverner le monde,

Par la raison plus que par la beauté :

Le sentiment fait notre autorité,

Lui, qui seul, des vertus est la source féconde,

Et le plus ferme nœud de la société.

LISIDOR.

Oui, par lui votre sexe est un Roi respecté.

Tous les hommes ici lui cèdent la victoire :

Ils sont à ses genoux, sans être humiliés ;

Et moi-même...

LA MARQUISE.

Arrêtez, vous êtes à ses pieds,

Pour sa honte souvent, et jamais pour sa gloire.

LISIDOR.

Cette gloire n’a rien à craindre du respect.

L’hommage d’un Amant fidèle et circonspect ;

Loin d’en ternir l’éclat, lui donne un nouveau lustre.

LA MARQUISE.

Fidèle et circonspect ! où trouver cet illustre

Qui s’ose faire honneur des sentiments,

Que tout votre sexe méprise ;

Qu’il appelle chimère, ou vertu du vieux temps.

LISIDOR.

Vous le voyez en moi, mon cœur les réalise.

Pour rétablir leur Culte, unissons-nous :

Vous seconder me sera doux.

LA MARQUISE.

Vous croyez donc avoir ces vertus ?

LISIDOR.

Je proteste,

Que je suis franc, secret, vrai, fidèle...

LA MARQUISE.

Et modeste.

En moins de mots on ne saurait,

De soi-même, Monsieur, faire un plus beau portrait.

LISIDOR.

Quant votre bouche m’interroge,

Je dois dire la vérité.

LA MARQUISE.

La vérité pour faire votre éloge !

Ah ! quel comble d’humilité !

LISIDOR.

On peut louer en soi, l’usage l’autorise,

Les qualités du cœur.

LA MARQUISE.

Par des discours ! jamais.

LISIDOR.

Mais j’ai prouvé par des effets

Ma discrétion, ma franchise.

LA MARQUISE.

Toutes les deux fort à propos,

Et vous vous distinguez des autres.

Vous êtes franc pour dire mes défauts,

Et vous êtes discret pour me taire les vôtres.

LISIDOR.

Oh ! je le suis en tout. C’est par-là que je vaux.

LA MARQUISE.

Pour oser l’assurer, avez-vous fait vos preuves ?

Voyons, examinons.

LISIDOR.

Oui grâces aux épreuves,

Où m’a mis votre cruauté.

LA MARQUISE.

Mais ces preuves, où, quand ont-elles éclaté ?

LISIDOR.

Madame, ici dans l’instant même,

Témoin ce billet singulier,

Qui m’a fait, du silence, une règle suprême,

Et que tous mes rivaux viennent de publier.

J’ai cru le faux bonheur, dont il flattait ma flamme,

J’ai pourtant renfermé ce secret dans mon âme ;

Je le ferai toujours malgré sa fausseté.

LA MARQUISE.

Je le crois fort. Instruit de la supercherie,

Vous le tairez par vanité,

Maintenant qu’il vous humilie.

Il faut un trait plus fort, pour me convaincre bien

D’une discrétion encor mal établie,

Et jusques-là je la compte pour rien.

Quant à votre confiance, elle est d’une nature,

À ne pas me laisser dans la perplexité.

LISIDOR.

Rien ne peut l’ébranler, vous devez être sûre...

LA MARQUISE.

Oui de votre légèreté.

LISIDOR.

Quoi ? vous me faites cette injure ?

LA MARQUISE.

Mon doute est bien fondé.

LISIDOR.

Un doute suffit-il ?

Me voilà bien payé de mon exil ?

Quel garant, quel témoin prouve mon inconstance ?

LA MARQUISE.

Ce même exil, Monsieur, dépose contre vous.

Vous y passiez vos jours avec Hortense.

LISIDOR.

Pour vous guérir de ce doute jaloux.

LA MARQUISE.

Jaloux ! je vous trouve admirable.

Ce mot suppose de l’amour,

Monsieur, donc je suis incapable.

Mais vous extravaguez, depuis votre retour.

Quel excès d’autour propre ! il est insoutenable.

LISIDOR.

Ah ! si j’ai de l’orgueil, vous l’humiliez bien !

Je vais corriger mon langage.

Sachez, pour dissiper un soupçon qui m’outrage,

Qu’Hortense aime ailleurs.

LA MARQUISE.

Qui ? vous ne répondez rien.

Craignez-vous de nommer cet amant qui l’engage ?

LISIDOR.

C’est un secret, et qui n’est pas le mien,

Je n’en puis dire davantage.

LA MARQUISE.

Un secret, je veux le savoir.

LISIDOR.

Votre loi la plus juste, est mon premier devoir.

Vous m’avez ordonné d’être discret, Madame.

LA MARQUISE.

Parlez, dans ce moment, votre gloire le veut.

LISIDOR.

Lié par un serment j mon honneur ne le peut ;

Et l’amitié...

LA MARQUISE.

J’entends, Hortense la réclame :

Elle est donc votre amie ?

LISIDOR.

Et ma parente un peu.

LA MARQUISE.

Votre parente encore ? Après un tel aveu,

Je me tairai sur son chapitre :

Pour l’aimer, c’est un double titre.

LISIDOR.

Vous êtes son amie aussi.

LA MARQUISE.

Oui, Monsieur, puisqu’il est ainsi,

Dites-moi son secret, tous bas, en confidence.

LISIDOR.

Vous saurez d’elle...

LA MARQUISE.

Non, c’est trop de résistance,

Instruisez-moi, vous-même, et dans ce moment-ci,

Ou pour jamais évitez ma présence.

LISIDOR.

Quel caprice étonnant dont je suis désolé !

Votre rigueur injuste, autant qu’elle est sévère,

Punit tous mes rivaux pour avoir trop parlé,

Et me fait, à moi seul, un crime de me taire.

LA MARQUISE.

Mais à votre égard je le dois.

Je condamne en vous le silence,

Parce qu’il sert de voile à l’inconstance,

Et qu’il veut abuser ma foi.

Ce procédé tient de la perfidie.

LISIDOR.

Vous me traitez encor plus mal que mes rivaux.

LA MARQUISE.

Mais vous le méritez ; ils ne sont que des sots.

Et c’est assez, contre eux de la plaisanterie.

Un travers éclatant dissipe mon ennui,

Il exerce mon ironie :

Je ris d’un ridicule, et je vis avec lui.

Mais un vice masqué, qui veut tromper autrui,

Me donne de l’humeur, et je le congédie.

LISIDOR.

Oh ! ma fidélité, comme on vous travestit !

Dans ce revers, ce qui m’assomme,

Je ne suis mal dans votre esprit,

Que pour être trop honnête homme.

LA MARQUISE.

Honnête homme pour m’abuser,

Discret pour mieux vous déguiser,

Mystérieux par art, et sincère par feinte,

Vrai par dissimulation,

Fidèle en public par contrainte,

Et perfide en secret par inclination.

Voilà, de vos vertus, la définition,

Et dans ses traits cachez, toute votre âme peinte.

LISIDOR.

Cruelle, pouvez-vous porter à cet excès ?...

LA MARQUISE.

Murmurez, plaignez-vous, soit, je vous le permets,

Le Plaideur qui perd son procès,

Dans sa première violence,

Peut, le reste du jour, éclater au Palais,

Contre son Juge, et contre sa Sentence ;

Mais il faut qu’elle soit exécutée après.

Vous êtes ; dans le cas, usez de la licence.

Ma bonté, va plus loin, elle veut vous donner,

Par grâce, une lieuse, encor, pour vous déterminer.

Mais ce temps écoulé, sans appel, je prononce,

Et je vous bannis sans retour.

Adieu, profitez bien de cette heure du jour,

Voilà dernière réponse.

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

LISIDOR, seul

 

Ô Secret !... ô !... serment qui tiens mon cœur lié.

Comment rompre aujourd’hui ta chaîne,

Et désarmer l’injuste haine,

Sans trahie l’austère amitié !

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA MARQUISE, DUBOIS

 

DUBOIS.

Monsieur Rosimon vient Madame,

D’envoyer un détachement

De l’Opéra secrètement

Pour chanter le bonheur de sa discrète flamme.

LA MARQUISE.

Son Cousin est secret au même point que lui.

DUBOIS.

Et vos muets, Madame ?

LA MARQUISE.

Ils ont tous fui.

Le silence forcé, que gardaient ces idoles,

Offraient, à mes regards, un singulier plaisir ;

Mais suffoqué par les paroles,

Ils ne peuvent les contenir.

Dans la peur d’étouffer, ils leur livrent passage,

Et confus du tourment qu’ils viennent de souffrir,

Ils maudissent leur esclavage,

Et jurent, en partant, de ne plus revenir.

DUBOIS

Je suis attendri de l’image,

Et je me sens pour eux pénétrer de pitié.

LA MARQUISE.

Je n’ai triomphé qu’à moitié.

Mais pour combler ce badinage,

Il faut que Lisidor soit dignement payé.

DUBOIS.

Il mérite...

LA MARQUISE.

Sans doute, il mérite de l’être,

Ce que je viens d’apprendre achève en ces instants

De me le faire mieux connaître ;

Pour couronner sa vertu, je l’attends,

S’il a la modestie, ici de reparaître.

DUBOIS.

Vous ne l’attendrez pas longtemps,

Il entre.

 

 

Scène II

 

LA MARQUISE, LISIDOR, DUBOIS

 

LISIDOR.

Je reviens, pour vous faire une instance.

Accordez-moi, Madame, un sursis des plus courts.

Vous saurez tout demain, et le secret d’Hortense...

LA MARQUISE.

Ne m’intéresse plus. Tenons d’autres discours

Qui nous seront plus agréables.

Vous êtes maintenant dans la position.

LISIDOR.

De qui ?

LA MARQUISE.

De vos rivaux aimables.

Vous les égalez tous par la discrétion.

Comme eux, vous avez su vous taire.

LISIDOR.

Vous m’offensez par la comparaison.

Je suis...

LA MARQUISE.

Sans transport, sans colère,

L’enjouement seul est ici de saison.

Ainsi décidez-vous, et traitons cette affaire

Gaiement, d’une façon légère.

Le sérieux n’est jamais bon.

Vous ne recevrez plus de moi de billet tendre.

Vous les cachez trop mal, Monsieur.

LISIDOR.

J’ai caché le vôtre.

LA MARQUISE.

Oui, Marton le sait par cœur.

LISIDOR.

C’est mon valet, c’est ce coquin !

Il ne mourra que de ma main.

LA MARQUISE.

Vain courroux, qui ne sert, Monsieur qu’à vous confondre,

Un Maître doit toujours répondre

De l’imprudence de ses gens,

Et choisir mieux ses confidents ;

Ou plutôt, il doit, quand il aime,

N’en avoir d’autre que lui-même.

LISIDOR.

Ce reproche est trop juste, et je suis criminel,

J’ai dû prévoir ce coup cruel.

Souffrez...

LA MARQUISE.

Oh ! point de pathétique !

Dès qu’il paraît ici, l’ennui survient.

LISIDOR.

Votre rigueur m’alarme ; et l’effroi me retient.

LA MARQUISE.

Encore un coup, Monsieur, quittez ce ton trafique,

Le ton badin est le seul qui convient,

Et le sujet de lui même est comique.

LISIDOR.

Vous badinez : pour me. punir

La haine, vous conduit.

LA MARQUISE.

Oui ! la haine est mon guide

LISIDOR.

Un sexe né pour plaire, est-il fait pour haïr ?

LA MARQUISE.

Pour haïr vos défauts, et pour s’en divertir.

LISIDOR.

L’Amour...

LA MARQUISE.

Est triste, ennuyeux à périr ;

Mais le vôtre surtout jamais ne se déride,

Il est toujours pleureur, et l’amour qui

Ne vaut pas la haine qui rit.

DUBOIS.

Monsieur croit la vôtre irritée.

LA MARQUISE.

Non, elle ne l’est point, non, elle est enchantée.

Voilà, cet homme si parfait,

Dont les vertus passent toutes les nôtres :

Je viens de le convaincre, et lui prouve en effet,

Qu’il est volage, hypocrite, indiscret.

Jugez par lui de tous les autres.

LISIDOR.

Ah ! c’est, pour me punir, assez d’un seul forfait.

Ne chargez point mon cœur qui vous adore,

D’un plus affreux qu’il n’a pas fait.

Prononcez mon arrêt, sans me noircir encore.

LA MARQUISE.

Il est tout prononcé.

LISIDOR.

Quel est-il ? je l’ignore.

LA MARQUISE.

Mais, c’est celui de vos rivaux.

Voue devez, puisqu’en tout, vos crimes sont égaux,

Subir le même sort, jouer le même rôle,

Comme eux, je vous condamne à perdre la parole.

LISIDOR.

Tout dur qu’est cet arrêt, je n’ose en appeler,

Et du tourment de ne pouvoir rien dire,

Un soupir, un regard saura me consoler,

Vous permettrez d’ailleurs que je soupire.

LA MARQUISE.

Oui, vous pourrez, Monsieur, même gémir, pleurer, rire,

Chanter, si vous voulez, mais sans articuler.

DUBOIS.

Monsieur va donc aussi faire un cours de silence,

LA MARQUISE.

Il s’instruira dans la science

De la prudence et du secret.

C’est un noviciat qu’aujourd’hui devrait faire,

Tous nos jeunes Marquis qui ne sauraient se taire.

DUBOIS.

Ah ! si leur bouche se taisait,

De mille mots nouveaux, elle nous priverait,

Car chaque jour par eux la langue est enrichie.

Que deviendrait la Comédie ?

Au Théâtre, au Foyer ! Qui donc déciderait !

Dans les cercles du monde : Eh ! qui persiflerait !

Qui prodiguerait l’ironie !

Qui sans appel prononcerait

Sur une mode, une étoffe jolie !

Qui vanterait pour eux les exploits de leur vie !

Ce serait un vrai meurtre, et Paris y perdrait.

LA MARQUISE.

Une foule d’extravagances,

Y perdrait un jargon tissu de médisances ;

Mais tout mon sexe y gagnerait.

Lui, qu’indiscrètement leur babil déshonore.

DUBOIS.

Et souvent à crédit, en l’ennuyant encore :

Monsieur leur servira de modèle parfait.

LISIDOR.

Oui, je me fais, de l’être, une gloire suprême :

Mais afin que l’exemple ait un plus grand effet,

Il doit m’être donné par la beauté que j’aime.

Vous êtes ma maîtresse en tout, par conséquent

Vous devez avec moi pratiquer le silence,

Pour m’en faire leçon, et m’y rendre savant.

J’y ferai du progrès bien plus rapidement,

Quand j’apprendrai de vous cette science.

DUBOIS.

Oui, le coup, étant double, en sera plus frappant.

LA MARQUISE.

Vous voulez m’enchaîner à votre châtiment,

Monsieur, j’admire votre adresse.

LISIDOR.

Ce que j’en fais, d’honneur, est par délicatesse,

Et par égard pour vous uniquement.

Moi, je me tais pour prouver ma tendresse ;

Mais vous devez vous taire, vous

Pour servir votre sexe en dépit des jaloux,

Contre un préjugé qui le blesse,

Madame, et pour montrer à tous,

Qu’en discrétion même, il l’emporte sur nous.

LA MARQUISE.

Eh bien ! me voilà prête à soutenir sa gloire.

Ce discours me pique d’honneur.

Voyons qui de nous deux se taira mieux, Monsieur.

Pour preuve que je suis sûre de la victoire,

Je me dépouille de mes droits,

Et me soumets au sort, qui suivra la défaite.

LISIDOR.

Votre grandeur d’âme est parfaite ;

Maïs quel sera ce sort !

LA MARQUISE.

Puisqu’il est de mon choix

Et qu’à l’honneur du corps, il faut que je m’immole,

Le premier de nous deux qui rompra la parole,

Sera sujet de l’autre, et recevra ses lois.

LISIDOR.

Douce condition ! Je vous suis redevable.

Dans ce nouveau, traité qui m’est si favorable,

Vous risquez tout, je ne hasarde rien.

Votre cœur est maître du mien,

Et vous vous exposez à devenir sujette :

Mon pis aller est de l’être toujours

J’en fais le bonheur de mes jours,

Et ma peine devient une faveur complète.

LA MARQUISE.

Pour mieux vous abaisser, Monsieur, vous l’ai faite.

Je prépare à mon sexe un triomphe éclatant,

Sur le bruyant causeur, sur le mauvais plaisant.

Qui par cent traits usés, qui tombent de vieillesse,

Nous reproche un babil, dont il fait ion talent ;

Mais qu’il exerce mal toujours par maladresse.

Pour apprendre à parler, il faut auparavant,

Il faut, que d’une femme, il apprenne à se taire,

Et je lui veux montrer cet art prudent.

Du Bois nous servira d’interprète ordinaire.

Je commence, et voici l’instant,

Où je vais m’imposer un silence sévère.

Imitez-moi, Moniteur.

LISIDOR.

Votre exemple est ma loi,

Et c’est le dernier mot que ma bouche profère.

DUBOIS.

J’espère avec honneur de remplir mon emploi.

J’ai la parole en main, et c’est dommage

Que je ne sois avec cet heureux don,

Fem... Paix, taisons-nous, mauvais ton.

J’allais lâcher par un mauvais usage,

Un lieu commun hors de saison,

Contre un sexe que doit honorer tout le monde,

Devant, Madame, encor qui jugement nous fronde.

Je dois mieux m’observer ; je suis...

Je suis présentement l’Orateur du logis.

Je tiens même le rang d’homme de compagnie,

Je le suis de Madame : en cette qualité,

Je dois prendre le ton et l’air de dignité ;

Qui veut qu’en m’égayant, seulement je sourie,

Fuir, comme un poison détesté,

Toute vieille plaisanterie,

Et préférer la singularité

Du bel esprit du jour, qui se perd dans les nues,

À l’antique simplicité

Du sens commun qui court les rues.

 

 

Scène III

 

LA MARQUISE, LISIDOR, ARLEQUIN, DUBOIS

 

ARLEQUIN.

Je vous cherche, Monsieur. Madame, pardonnez.

La chose presse, allons, Monsieur venez.

Quoi ? Vous me saluez d’un revers sur la face ?

DUBOIS.

Il en demande excuse.

ARLEQUIN.

Il se moque de moi.

DUBOIS.

C’est à Madame, non à toi.

Il t’eut déjà, sans elle, assommé sur la place.

ARLEQUIN.

Et pourquoi donc, à quel sujet ?

DUBOIS.

Pour avoir parlé du billet.

ARLEQUIN.

Oh ! ce n’est qu’à Marton, c’est un autre moi-même.

À Colombine aussi, je l’ai dit en secret.

Mais j’en réponds, sa réserve est extrême.

DUBOIS.

Tais-toi, butord, que vas tu révéler ?

Ce sot aveu redouble sa colère.

ARLEQUIN.

Son courroux est vraiment plus fort qu’à l’ordinaire,

Puisqu’il l’empêche de parler.

DUBOIS.

Il est muet ; Madame aussi.

ARLEQUIN.

Madame est folle,

Et par contagion, il est extravagant.

DUBOIS.

Je te dis que ton maître a perdu la parole.

ARLEQUIN.

Mais il l’a donc perdue ici subitement ;

Tout à l’heure il causait.

DUBOIS.

C’est depuis un moment.

ARLEQUIN.

Ah ! ce silence est ridicule.

Et s’il ne parle pas, la peste ! il gesticule.

Tiens, dans sa rage encore, il me rosse de l’œil :

Sans la peur qu’il me fait, j’éclaterais de rire

De les voir tous les deux muets dans un fauteuil.

Qui les rend tels ?

DUBOIS.

Monsieur, puisqu’il faut te le dire,

Est muet par amour, Madame par orgueil.

ARLEQUIN.

Et tous deux par folie, ou du moins par gageure.

Mais ne plaisantons pas, dans cette conjoncture,

Il faut qu’il parle indispensablement.

Dussiez vous m’étrangler, je ne puis plus me taire,

Votre intérêt, Monsieur, me le défend :

On doit juger au plutôt votre affaire ;

Votre Avocat vous presse, il vous attend.

Cent mille livres ! cette somme

Vaut bien la peine de parler !

Plaît-il ? m’entendez-vous ? pas le mot. Ah ! quel homme !

Le voilà ruiné, son fort me fait trembler.

DUBOIS.

Pour son silence, ô ! la terrible épreuve !

Si Monsieur Lisidor tient bon,

Madame après une si forte preuve,

Ne pourra plus douter de ta discrétion.

Peu d’hommes se tairaient dans sa position.

Il fait signe à présent qu’il voudrait vous écrire ;

Madame, accordez-lui cette permission ;

Il la mérite bien ; cette inclination

Vous dit, Monsieur, qu’on y daigne souscrire

Ainsi donnez l’essor à votre passion.

Sur le papier comme sa main s’escrime !

C’est un torrent, par sa rapidité

Qu’on juge de l’activité

De l’amour secret qui l’anime.

ARLEQUIN.

Il vaudrait mieux parler dans ces instants,

Pour sauver son bien du naufrage.

Que d’écrire ce griffonnage,

Qui lui va, ventrebleu, couter cent mille francs.

Lisidor après avoir écrit, présente sa Lettre à la Marquise, qui fait signe à Dubois de la prendre et de la lire tout haut.

DUBOIS lit.

Mon intérêt n’est rien, mon amour vous l’immole,

Mais au défaut de la parole,

Il m’inspire lui-même un moyen qui me rit,

C’est de converser par écrit.

Les entretiens font tout, pour animer les nôtres,

Nos gens nous prêteront leur voix.

Marquise, mes Billets seront lus par Dubois :

Arlequin me fera la lecture des vôtres,

Et nous nous parlerons sans enfreindre nos lois.

Après avoir lu.

L’invention me plaît, elle, est des plus sensées.

Nous allons tous les deux briller de vos pensées :

Et nous n’aurons jamais eu tant d’esprit.

La Marquise lit.

ARLEQUIN.

Fi de l’esprit qui me ruine.

Il ne vaut pas, quoi qu’il raffine,

Le gros bon sens qui m’enrichit,

C’est du clinquant que l’on admire ;

Pour moi, je m y prête à regret.

DUBOIS.

Par la raison que tu ne sais pas lire ;

Et tu vas mettre en pièce ce Billet,

Il lui donne la Réponse.

ARLEQUIN.

Tu me piques, je vais lire d’une manière,

Qui va me faire honneur, et prouver le contraire ;

Lire en femme de qualité.

Écoute, le bon ton sera bien imité.

Il lit en contrefaisant la Marquise.

J’adopte votre idée, on peut en confidence,

Par cet ingénieux moyen,

S’avouer tout, Monsieur, sans rompre le silence ;

Pour profiter des droits d’un si doux entretien,

Dites-moi le secret d’Hortense,

Et mon cœur vous dira le sien.

DUBOIS.

Le tour est fin, ou je me donne au diable.

Pour tirer un secret, Madame est admirable.

Voyons un peu ce qu’il y répondra.

ARLEQUIN.

Moi je ne conçois point cette finesse-là ;

Et je la trouve misérable.

DUBOIS lit le Billet qu’Arlequin lui remet.

Lire, dans votre cœur ne peut trop se payer ;

Mais écrire un secret, c’est toujours le commettre :

Je le puis d’autant moins confier au papier,

Que nos gens l’apprendraient, en vous lisant ma Lettre ;

Et qu’ils pourraient le publier.

Ma disgrâce m’apprend à ne m’y plus fier.

DUBOIS.

Voilà ce qu’aujourd’hui ton babil nous procure.

Par l’indiscrétion d’un seul particulier,

Tout un Corps est flétri.

ARLEQUIN.

Bon, légère blessure !

Nôtre Corps est robuste brave cette injure.

Il lit la réponse.

Je crains autant que vous le caquet de nos gens ;

Mais pour parer ce contretemps,

Moi seule, du Billet, je ferai la lecture ;

Et du secret, par-là, votre âme sera sûre.

DUBOIS.

Ah ! je crains la réponse.

ARLEQUIN.

Elle te reviendra.

Nous, ferons maintenus, qu’ai-je dit ? la voilà.

Il donne le Billet à Dubois.

DUBOIS lit.

Madame, un autre obstacle à votre ordre s’oppose.

Un Billet peut se perdre et divulguer la chose.

La Marquise prend le Billet et le déchire de dépit, Rosimon entre, et Arlequin sort.

 

 

Scène IV

 

LA MARQUISE, LISIDOR, ROSIMON, DUBOIS

 

ROSIMON.

Madame, je viens vous apprendre,

En attendant l’instant...

DUBOIS.

De donner votre bal.

ROSIMON.

Une grande nouvelle, et qui va vous surprendre.

Hortense qui montrait pour le nœud conjugal,

L’aversion la plus mortelle ;

Hortense...

DUBOIS.

Achevez donc, j’ose vous en prier.

ROSIMON.

Mais ce Dubois est familier :

À l’entretien, toujours cet homme-là se mêle.

Je m’adresse à Madame.

DUBOIS.

Oh ! je parle pour elle,

Elle a fait, de se taire, un vœu particulier,

Avec votre cousin.

ROSIMON.

Voilà du singulier.

DUBOIS.

Apprenez-nous votre nouvelle.

ROSIMON, à la Marquise.

Hortense incognito vient de se marier ;

La chose est sûre, e pour mieux l’appuyer,

Gens de grand nom, me l’ont apprise.

Mais quoi ? vous vous troublez, Marquise !

DUBOIS.

Hortense est son amie : elle y prend intérêt.

ROSIMON.

Mais à son air, il y paraît.

DUBOIS.

Madame vous demande avec beaucoup d’instance.

Si vous savez à qui l’Hymen unit Hortense.

ROSIMON.

Le nom de son Époux est encore ignoré ;

C’est le point du secret qui n’a point transpiré.

DUBOIS.

Et celui dont son cœur veut avoir connaissance ;

Il le paierait au poids de l’or.

ROSIMON.

Qu’elle interroge Lisidor.

Chez Hortense, on dit qu’il préside :

Personne ne l’en peut instruire mieux que lui.

Il est son âme en tout, son conseil, son appui.

LA MARQUISE.

Ah ! c’est lui-même ! le perfide !

LISIDOR.

Douce injure ! transport charmant !

Vous avez parlé la première,

Et je triomphe heureusement.

LA MARQUISE.

Mon dépit m’a trahie, ah ! que viens-je de faire ?

LISIDOR.

Le bonheur du plus tendre Amant.

LA MARQUISE.

Non, non, ingrat, ce n’est qu’une surprise,

Et j’en appelle à mon ressentiment.

ROSIMON.

Je deviens à mon tour muet d’étonnement.

LISIDOR.

Ne vous repentez point, mon aimable Marquise,

D’avoir rompu ce silence cruel.

Par votre propre loi, si vous m’êtes soumise ;

Pour notre bonheur mutuel,

J’emploierai contre vous cette heureuse puissance,

Et je forcerai votre cœur,

Par une douce violence,

À couronner...

LA MARQUISE.

La fausse ardeur

D’un homme noirci d’inconstance,

Qui d’une autre est l’époux.

LISIDOR.

Sortez de votre erreur.

Ce n’est pas moi, qui suis l’époux d’Hortense.

LA MARQUISE.

Qui l’est donc ?

 

 

Scène V

 

LA MARQUISE, LISIDOR, ROSIMON, DUBOIS, LÉANDRE

 

LÉANDRE.

C’est moi, ma sœur.

LA MARQUISE.

Vous, mon frère !

LÉANDRE.

Oui, je vole exprès pour vous le dire,

Et pour finir entre vous un tourment,

Dont j’étais l’auteur innocent.

Je n’ai pu l’abréger, ni plutôt vous instruire :

Par l’instance et le poids d’un homme distingué,

L’oncle d’Hortense enfin vient d’être subjugué :

Notre hymen obtient son suffrage.

Rien ne manque au bonheur dont ces nœuds sont suivis.

Il assure à sa nièce un brillant héritage,

Et pour mettre le comble à l’ouvrage,

Il ne me reste plus que de vous voir unis.

LA MARQUISE.

Lisidor est fidèle !

LISIDOR.

Autant qu’il est sincère,

Autant qu’il est discret.

DUBOIS.

Et désintéressé.

Cette qualité-là vaut bien l’art de se taire.

LA MARQUISE.

Dans ce siècle, qui l’eut pensé !

Un véritable amant n’est plus une chimère,

Ce phœnix enfin, ce trésor,

Je le trouve dans Lisidor.

ROSIMON.

À chaque mot qu’elle profère ;

Ma surprise redouble encor.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, LISIDOR, DUBOIS, LÉANDRE

 

LÉANDRE, à la Marquise.

Votre cœur reste-t-il dans sa misanthropie ?

LA MARQUISE.

Non, avec votre sexe, il se réconcilie.

LISIDOR.

De ce retour charmant, le mien est transporté.

LA MARQUISE.

Un feu si plein de vérité,

Ne permet plus que je balance.

Recevez le prix du silence,

Que ma main donne à la fidélité.

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