Le Poète basque (Raymond POISSON)
Comédie en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 6 juin 1668.
Personnages
MONSIEUR DE HAUTEROCHE, comédien
MADEMOISELLE POISSON, comédienne
LE BARON DE CALAZIOUS
LE POÈTE BASQUE
GODENESCHE, apprenti poète
BIDACHE, valet du Poète
MONSIEUR DE FLORIDOR, comédien
MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU, comédienne
MADEMOISELLE DE BRECOURT, comédienne
MONSIEUR SAINT-GEORGES, comédien
Scène première
MONSIEUR DE HAUTEROCHE, MADEMOISELLE POISSON
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Aujourd’hui ma commère est le première ici !
Vous êtes diligente.
MADEMOISELLE POISSON.
Hé, vous l’êtes aussi.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il est vrai, mais de vous, j’en suis surpris je meure.
MADEMOISELLE POISSON.
Je commence, et je veux m’habiller de bonne heure.
On sort d’ici trop tard, le monde s’en plaint fort.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Hé, le monde a raison ; n’avons-nous pas grand tort ?
MADEMOISELLE POISSON.
Mais à propos, on veut faire pièce à la porte
À ce Poète fou.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
La pièce n’est pas forte ;
Il faut se divertir de ces sortes de gens,
Sans leur faire du mal.
MADEMOISELLE POISSON.
Rien n’est bon, à mon sens,
Comme leur sérieux dans leur extravagance.
Quelle est donc sa folie ?
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il est plein d’ignorance ;
Cependant il se croit un Poète fameux,
Et dit qu’il a de quoi nous rendre tous heureux :
Mais jugez s’il doit être et grossier et fantasque,
Puisque ce grand Auteur est un Poète Basque.
MADEMOISELLE POISSON.
C’est le Poète Basque ? Ah ! l’on m’en a parlé ;
Il nous divertira, c’est un écervelé,
Qui dit qu’il veut paraître, et qu’enfin il se lasse
De voir que nos Auteurs président en Parnasse,
Et que les meilleurs sont des ignorants heureux
Qui ne méritent pas, dit-il, qu’on parle d’eux :
Ses conversations enfin sont sans égales :
On dit pourtant qu’il a quelques bons intervalles.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il se sert d’un valet qui moyennant cent francs,
Est Apprenti Poète obligé pour six ans,
Et veut, dit-il, après qu’il soit, s’il n’est ivrogne,
Maître juré Poète à l’Hôtel de Bourgogne.
MADEMOISELLE POISSON.
Le fou !
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Hors vous et moi, personne ne l’a vu,
De la troupe s’entend ; mais aujourd’hui j’ai su,
Qu’il viendrait nous prier avant la Comédie,
De prendre heure pour voir sa pièce ou sa folie,
Et j’ai dit au portier de le bien recevoir.
MADEMOISELLE POISSON.
Ah ! pour nous divertir il le faut encor voir ;
Car un Poète Basque est un Animal rare.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Son style envers doit être un style assez bizarre.
Scène II
LE BARON DE CALAZIOUS, MADEMOISELLE POISSON, MONSIEUR DE HAUTEROCHE
LE BARON, Gascon.
Comment ! on ne voit pas encore une âme ci !
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il a peur d’y manquer : Quel est donc celui-ci ?
MADEMOISELLE POISSON.
C’est un Provincial qui vient garder sa place.
LE BARON.
Hé, que veut dire donc ? Tout est froid comme glace,
À deux heures et plus ! D’où vient ce peu d’ardeur ?
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Mais nous ne commençons qu’à quatre heures, Monsieur.
LE BARON.
Mais vous ne faites donc mouler que des sottises ?
J’ai lu dans vos placards à deux heures précises ;
Mais vous autres mentez en Arracheurs de dents.
Je quitte pour vous voir les divertissements
Des femmes et du vin, du jeu, de la fleurette
Et je me trouve ici comme un Anachorète,
Seul dedans ce Désert. Ce tour est fort gaillard.
Pourquoi ne faire pas ce que dit le Placard ?
MADEMOISELLE POISSON.
Dès longtemps ce Placard chante la même chose,
Mais comme on n’en vient pas plutôt...
LE BARON.
En suis-je cause ?
MADEMOISELLE POISSON.
Non.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Nous commencerions dès deux heures, pour nous,
Si le monde venait.
LE BARON.
Et combien êtes-vous,
Vous autres ?
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Nous...
LE BARON.
J’ai vu votre troupe admirable.
Du temps de Turlupin : l’Acteur incomparable !
L’avez-vous vu ?
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Pas un...
LE BARON.
J’ai vu cent et cent fois
Jouer la Violette, et le petit François,
Vous avez Dalidor ici qui fait merveille,
Et la Zeuillets encor que l’on tient sans pareille,
Quoi qu’elle n’aie pas une grande beauté :
On dit que l’Auditeur en est comme enchanté.
Si vous autres veniez à Vordeaux, Diou me damne,
Pour les Comédiens c’est où tombe la manne :
J’ai vu la Troupe moi, d’un faux Orviétan
Adorée à Vordeaux, y demeurer un an.
Chacun s’est ruiné pour voir ces farivoles.
Je m’en suis fait à moi pour plus de dix pistoles.
Venez, les Vordelais y baiseront vos pas.
MADEMOISELLE POISSON.
Puisqu’ils sont ruinés, Monsieur, nous n’irons pas.
LE BARON.
Votre Troupe a le bruit d’avoir nombre de velles,
Je les cours, Diou me damne, et je brûle pour elles.
Quand elles sont d’humeur d’accepter le Cadeau
Cadedis... À propos, voyons la Veauchâteau :
Pour une femme, elle a de l’esprit comme un diavle.
C’est ma meilleure amie.
MADEMOISELLE POISSON.
Elle est fort agréable.
LE BARON.
Où la pourrai-je voir ?
MADEMOISELLE POISSON.
Dans sa loge, à deux pas.
Heurtez là.
LE BARON.
Mon esprit va faire un grand repas.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il n’est pas malaisé de lui faire grand chère.
Hé bien, qu’en dites-vous ?
MADEMOISELLE POISSON.
Le grand fat, mon Compère !
Et que d’extravagants nous verrons aujourd’hui !
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Le Poète, je crois, le fera moins que lui
Avecque son placard pour nommer une affiche.
MADEMOISELLE POISSON.
L’esprit d’un Campagnard est une terre en friche.
Scène III
LE BARON, MADEMOISELLE POISSON, MONSIEUR DE HAUTEROCHE
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Votre entretien est court, Monsieur ?
LE BARON.
Je le crois vien,
L’entretien d’une porte est un sot entretien.
MADEMOISELLE POISSON.
Comment ? La Beauchâteau ne serait pas venue ?
LE BARON.
Elle n’est pas peut-être en état d’être bue.
MADEMOISELLE POISSON.
Mais il est tard pourtant, envoyons-là quérir.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Elle est dedans sa loge, et ne veut pas ouvrir.
Puis qu’elle vous connaît, en heurtant il faut dire
Votre nom.
LE BARON.
J’en ai cent des noms, tu me fais rire ;
Il faut passer le temps ici comme on pourra.
MADEMOISELLE POISSON.
Un Poète qui vient vous y divertira :
C’est un fou qui se croit un homme d’importance,
Divertissez-vous en attendant qu’on commence.
LE BARON.
Quand viendra-t-il ?
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il vient, et je le vois là-bas.
MADEMOISELLE POISSON.
C’est lui-même.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Entrons donc qu’il ne nous voie pas.
Scène IV
LE POÈTE, BIDACHE, GODENESCHE, LE BARON
LE POÈTE.
Bidache, ago qui belean.
BIDACHE.
Non best i tu conaïs.
LE POÈTE.
Choco Batean carsadi.
BIDACHE.
Ah arrata besa la nouté, eta estaqui équité coua.
GODENESCHE.
Broutala, da bortal caina.
LE POÈTE.
Erran dereau cerbuit gavea.
GODENESCHE.
Eleina emenderaut biga edo hirour on soufflet.
Eta son bait ostico.
LE BARON.
Comment ! Ils parlent Vasque : Ah le plaisant Auteur !
S’ils ne parlent Français je suis leur serbiteur.
LE POÈTE.
Il voulait m’insulter.
LE BARON.
Ah ! j’entends.
LE POÈTE.
Et sans cause.
GODENESCHE.
C’est un brutal Portier.
LE POÈTE.
T’a-t’il dit quelque chose ?
GODENESCHE.
Non, mais il m’a donné deux ou trois bons soufflets,
Et quelques coups de pieds, il a des pistolets
Dessous son justaucorps : Je crains bien la sortie.
À tantôt, a-t-il dit, je remets la partie.
J’ai pour nantissement ces coups par devers moi.
LE POÈTE.
Bidache, qu’a-t-il eu ?
LE BARON.
Deux nasardes, je crois.
Je suis le mieux traité.
LE POÈTE.
C’est un malheur, qu’y faire ?
Puis, deux ou trois soufflets, c’est une belle affaire.
GODENESCHE.
Je ne suis malheureux que faute de vertu.
Que ne suis-je Poète ?
LE POÈTE.
Et bien que ne l’es-tu ?
GODENESCHE.
Je commence déjà fort à me satisfaire,
J’aurais hier bien voulu que vous m’eussiez vu faire.
LE POÈTE.
Et que faisais-tu donc, Godenesche, entre nous ?
GODENESCHE.
J’espère être bientôt aussi savant que vous.
LE POÈTE.
Tu ne m’atteindras pas si tôt, quoique tu fasses.
GODENESCHE.
Je mords déjà mes doigts, et je fais vos grimaces ;
Je griffonne debout, assis, marche à grands pas.
LE POÈTE.
Mais avec tout cela fais-tu des vers ?
GODENESCHE.
Non pas.
J’apprends auparavant les grimaces, le geste :
Quand je les saurai bien je me moque du reste.
LE POÈTE.
Tu fais des vers : pourquoi me déguiser cela ?
GODENESCHE.
Il est vrai j’en ai fait.
LE POÈTE.
Où sont-ils ?
GODENESCHE.
Les voilà,
C’est dessous la boutique où logeaient ces lingères,
Près de nous, qui les soirs s’habillaient en bergères.
Je faisais leurs satires à Carême-prenant,
Où ce vinaigrier demeure maintenant.
LE POÈTE.
Ah, j’entends, dis les vers. Est-ce une Ode ? une stance ?
Un Madrigal ?
GODENESCHE.
Ho non, c’est un Sonnet, je pense.
Boutique... Vous allez vous goberger de moi,
LE POÈTE.
Point.
GODENESCHE.
Vous riez déjà ; Je n’oserais, ma foi.
LE POÈTE.
Fais-en donc de meilleurs, et puis me les viens lire.
GODENESCHE.
Ils sont pourtant fort bons ; je m’en vais vous les dire.
Boutique où j’ai passé mon temps,
Avec deux filles si gaillardes,
Sans le vinaigre et la moutarde,
Vous ne me verriez de longtemps.
bien, ôtant le Vinaigre, si je disais.
Boutique où j’ai passé mon temps,
Avec deux filles si gaillardes
Ah ! si je n’aimais la moutarde
Vous ne me verriez de longtemps.
Le Ah, est je crois le meilleur.
Ah ! Si je n’aimais la moutarde,
Vous ne me verriez de longtemps.
Qu’en dites-vous, Monsieur ? J’en avais fait la prose.
LE POÈTE.
C’est un Salmigondi qui ne vaut pas grand chose.
GODENESCHE.
Foin de moi, je l’ai fait aussi sans grimacer.
Qu’y faut-il ?
LE POÈTE.
Il ne faut que le recommencer,
Et ne pas oublier ni l’oignon, ni le beurre.
GODENESCHE.
Comment l’oignon ?
LE POÈTE.
La sauce en sera bien meilleure.
GODENESCHE.
Qu’appelez-vous la sauce ? hé votre esprit se perd.
LE POÈTE.
Ne prétends-tu pas faire une Sauce-Robert ?
Tu mets de la moutarde, et tu mets du vinaigre :
Sans beurre, et sans oignon rien ne serait plus aigre.
GODENESCHE.
Quoi ! vous prenez cela pour une sauce ?
LE POÈTE.
Oui.
GODENESCHE.
Ah ! Par ma foi, voilà le meilleur d’aujourd’hui :
Ce ne sont pas des vers ?
LE POÈTE.
Ce n’est ni vers, ni prose.
On ne sait ce que c’est, bref ce n’est pas grand chose.
GODENESCHE.
Ces Lingères pourtant en ont fait fort grand cas,
Mais à propos, je songe au brutal de là-bas.
LE POÈTE.
Ne t’inquiète point, avant que le jour passe
Je veux que ce portier vienne implorer ta grâce :
Le faquin prétendait de nous un Louis d’or.
J’ai demandé là-bas Monsieur de Floridor,
Le premier Amoureux, il va venir peut-être ;
Je veux l’entretenir, et me faire connaître.
GODENESCHE.
Moi, comme de me battre on me vient d’avertir,
Une autre porte est là par où je puis sortir.
LE POÈTE.
J’y vais. Je parlerai pour nous deux.
GODENESCHE.
Hé, qu’importe ?
LE POÈTE.
Il suffit que j’y suis pour te servir d’escorte ;
Ce n’est pas sans sujet que je t’amène ici ;
Bidache est habillé, va t’habiller aussi.
Scène V
SAINT-GEORGES, LE POÈTE, LE BARON
SAINT-GEORGES.
Monsieur de Floridor va venir tout à l’heure,
Si vous le voulez voir, demeurez.
LE POÈTE.
Je demeure.
SAINT-GEORGES.
Je crois que vous nommant vous serez bien venu
Dans sa loge, Monsieur.
LE POÈTE.
Je n’en suis pas connu.
SAINT-GEORGES.
Hé, vous n’attendrez pas, le voici qui s’avance.
Scène VI
MONSIEUR DE FLORIDOR, LE POÈTE, LE BARON
LE POÈTE.
J’ose vous faire ici, Monsieur, la révérence.
Comment vous portez-vous ?
LE BARON.
Cet abord est bouffon.
LE POÈTE.
Je suis Poète, Monsieur, si vous le trouvez bon.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Ah ! soyez le, Monsieur, pour toute votre vie,
Je le trouve fort bon.
LE POÈTE.
Je vous en remercie ;
Monsieur de Floridor est toujours obligeant.
J’avais étudié pour me rendre savant ;
Et je le suis aussi dedans l’Astrologie ;
Mais je suis plus congru dans la Théologie.
Feu ma tante voulait me faire Financier,
Mais mon dessein était d’être Bénéficier,
Et je fus Bachelier, je veux bien qu’on le sache,
Dans l’Université de la Ville d’Yrache,
Après un grand procès que mon Oncle gagna,
Ma patrie est aussi la Ville d’Ordogna ;
Car je suis Biscayen, et doué d’une génie
Pour vous servir, Monsieur, et votre Compagnie.
Je veux pour votre Troupe, étant Poète né,
Employer le talent que le Ciel m’a donné,
Le Bachelier André Dominique Jouanchaye,
C’est mon nom fort connu par toute la Biscaye.
Enfin étant en France, et voyant les Français
Applaudir, adorer les Vers que je faisais,
Et jurer que ma veine était des plus hardies,
J’ai crû que je devais faire des Comédies,
Comme c’est un métier où l’on gagne beaucoup,
Qu’un Auteur s’enrichit, j’ai voulu tout d’un coup
Acquérir de la gloire et du bien au Théâtre ;
Car, plus vous y gagnez, plus on nous idolâtre.
Comme au partage aussi nous sommes Compagnons,
Plus on nous idolâtre, et plus nous y gagnons.
Je veux pour vous montrer des choses allez belles,
Vous mettre en main d’abord treize pièces nouvelles,
Qui dans Paris, je crois, feront un grand fracas,
Si d’elles, et de moi, votre Troupe fait cas.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Elle en fera, sans doute, et sa honte est extrême,
De ne vous avoir pas connu que par vous-même ;
Car elle n’avait point, à sa confusion,
Encor ouï parler de votre illustre nom.
LE POÈTE.
Supposé que pour moi ce malheur là puisse être,
Mes ouvrages dans peu vous le feront connaître,
Vous verrez, vous verrez quand on m’annoncera,
Comme dans le Parterre on se réjouira.
Vous en serez surpris : je suis sûr que mes œuvres
Feront bien aux auteurs avaler des couleuvres.
Je serais bien fâché de les désobliger ;
Mais je veux m’appliquer à les faire enrager,
Par mes pièces s’entend : les poètes sont rares ;
Plus ils ont de mérite, et plus ils sont avares, !
J’abhorre l’intérêt, mais comme étant fameux,
Je pense qu’on me doit discerner d’avec eux,
Touchant le paiement. J’écris d’une manière
Surprenante.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Ah, je crois qu’elle est fort singulière.
LE POÈTE.
Ces poètes gagés, mais gagez par faveur,
Ce qu’ils mettent au jour fait-il pas mal au cœur
Dites-moi ce qu’ils sont pour mériter ces gages.
Je veux par mon mérite attirer les suffrages,
Forcer les plus savants à me vouloir du bien,
À m’encenser partout sans qu’on leur dise rien ;
Que leurs brillants esprits, leurs yeux, et leurs oreilles
Soient les justes témoins de mes pénibles veilles,
Afin que la Justice, et non pas la faveur,
Soutienne avec éclat ce que j’aurai d’honneur.
J’ai vu tout ce qu’ont fait ces auteurs admirables.
C’est un chaos pour nous de choses déplorables
Rodogune, Cinna, l’Astrate, Agésilas,
Stilicon, Laodice, et l’Andromaque, hélas !
Toutes ces pièces là mériteraient, je jure,
Et berne, et double berne en une couverture,
Comment a-t-on gagné de l’argent à cela ?
Le monde est une bête, on le voit bien par là.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Ces pièces là, pourtant...
LE POÈTE.
C’est une raillerie ;
Et le Théâtre veut de la galanterie :
Avec leurs vers enflés je suis leur serviteur :
J’aime qu’on s’humanise, et je veux qu’un Auteur
Suive les mœurs du siècle, et prenne un air d’écrire
Qui dise galamment tout ce qu’il voudra dire ;
Qu’on ne discerne point le Théâtre et la Cour,
Soit pour parler d’affaire, ou pour parler d’amour,
Et sur la Scène enfin : qu’on cajole une Belle.
Comme le plus galant fait dans une ruelle.
Fi d’un auteur obscur qui de son cerveau creux
Attache une pensée, et la tire aux cheveux.
Scène VII
MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU, MONSIEUR DE FLORIDOR, LE POÈTE, LE BARON
LE BARON.
Ma chère Beauchâteau.
MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU.
Quelle ardeur vous transporte ?
LE BARON.
J’ai pensé, Dieu me damne, enfoncer votre porte,
Ma chère, hé vien ?
MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU.
Ma foi je ne vous remets pas.
LE BARON.
Vous me méconnaissiez ?
LE POÈTE.
De grâce parlez bas.
Entre nous, n’est-il pas bien honteux pour la France,
Qu’elle ne puisse avoir quelque Auteur d’importance,
Qui fournisse au Théâtre en diversifiant,
Tantôt du sérieux, et tantôt du plaisant ?
Que l’Héroïque charme, et le Comique égaye ?
Messieurs, faites venir des Auteurs de Biscaye ;
Ils inventent, et font une Pièce en huit jours.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Je croyais qu’on n’en fît venir que des Tambours.
J’ai toujours ouï dire un Tambour de Biscaye,
Et jamais un Poète.
LE POÈTE.
Ah ! votre esprit s’égaye.
Qu’un bon Poète Basque ait une pièce au jour,
Elle fait mille fois plus de bruit qu’un Tambour.
Ne vous en moquez pas, ils ont le vent en poupe.
Présentez-moi, de grâce, à votre illustre Troupe,
Et lui dites mon nom, Monsieur, et qui je suis.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Volontiers.
Scène VIII
MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU, MADEMOISELLE POISSON, MONSIEUR DE FLORIDOR, MONSIEUR DE HAUTEROCHE, SAINT-GEORGES, LE BARON, LE POÈTE
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Connaissez, Messieurs, le... Je ne puis...
LE POÈTE, bas.
Le Bachelier André Dominique Jouanchaye.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Le Bachelier André Dominique Jouanchaye,
Fameux Poète Basque, et natif de Biscaye,
Et qui pour le théâtre est un auteur divin.
Il vous mettra... Combien ?
LE POÈTE, bas.
Treize pièces en main.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Treize pièces en main.
LE POÈTE.
Oui, qui malgré l’envie ;
Vous donneront du bien pour toute votre vie.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Nous serions bien heureux.
LE POÈTE.
N’en doutez nullement,
Treize pièces de moi c’est de l’argent comptant,
Et de plus une femme assez considérable.
TOUS LES COMÉDIENS.
Treize pièces.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Vraiment, Monsieur est admirable !
LE POÈTE.
Quand par elles, Messieurs, nous nous enrichirons,
Tout à tout, vous et moi nous nous louangerons,
Moi de voir mes enfants avec éclat paraître ;
Et vous, vous me louerez de les avoir fait naître ;
Quoiqu’à dire vrai, tous les Auteurs fameux
N’ont pas besoin de vous, vous avez besoin d’eux.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Et qui fait, s’il vous plaît, éclater leurs ouvrages
Que ceux qui donnent l’âme à ces grands personnages ?
Que ne doivent-ils point aux excellents Acteurs
Que l’on peut bien nommer d’aimables Enchanteurs ?
Puisqu’ils charment l’esprit, enchantent les oreilles ;
Que dans leur bouche un rien passe pour des merveilles ;
Qu’un Galimatias dit par ces grands Acteurs
Tire le brouhaha de tous les spectateurs.
Mais sitôt que l’on voit cette pièce imprimée ;
On rougit mille fois de l’avoir estimée.
Les endroits qu’au Théâtre on avait admirés,
Sitôt qu’on les peut lire ils sont comme enterrés ;
L’Auteur les méconnaît, et lui-même confesse
Qu’il voit tous ses enfants étouffés sous la presse.
Pourquoi les élever, et nous abaisser tous ?
Nous avons besoin d’eux, ils ont besoin de nous.
LE POÈTE.
Mais tous sont glorieux ; le moindre, on l’idolâtre.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Mais leur gloire, Monsieur, ne vient que du Théâtre :
Sans ce grand fief qui fait leur plus beau revenu,
Le nom du plus fameux ne serait pas connu ;
Et leurs pièces enfin qu’ils croient sans égales,
Iraient en manuscrit au beurrières des Halles.
Ainsi je mets, en fait que tous ces grands Auteurs
Doivent et leur fortune, et leur gloire aux Acteurs.
Et si l’on n’avait fait que des pièces en prose,
Toute leur gloire enfin ne serait pas grand chose.
LE POÈTE.
Brisons là, vous peut-on lire une pièce ou deux ?
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Non pas pour le présent.
LE POÈTE.
Les titres sont heureux ;
Voyez-les.
TOUS LES COMÉDIENS.
Voyons-les.
LE POÈTE.
Je vais vous satisfaire :
Ils sont bons, car j’ai pris grande peine à les faire :
Douze cent mille vers que j’ai faits pour cela
M’ont beaucoup moins coûté que tous ces titres-là :
Moi-même en les lisant je m’étouffe de rire.
Scène IX
MADEMOISELLE DE BRÉCOURT, MONSIEUR DE FLORIDOR, MONSIEUR DE HAUTEROCHE, MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU, MADEMOISELLE POISSON, LE POÈTE, LE BARON, SAINT-GEORGES
MADEMOISELLE DE BRÉCOURT.
Hé, commencez, Messieurs. Que voulez-vous donc dise ?
Tous les Passe-volants veulent s’en retourner,
Et c’est se moquer d’eux, cinq heures vont sonner.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Nous allons commencer.
LE POÈTE.
Souffrez que je m’explique :
N’allez-vous pas jouer une pièce comique,
De ces petits Auteurs ?
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Oui, sur la fin, pourquoi ?
LE POÈTE.
Ne vaut-il pas mieux voir quelque chose de moi ?
Vos Auditeurs et vous, serez-vous pas plus aises
De voir ce que j’ai fait que de voir des fadaises.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Oui-dà.
MADEMOISELLE DE BEAUCHÂTEAU.
Comment ce fou nous est-il donc venu ?
LE POÈTE.
Par mes pièces j’espère être bientôt connu.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Les jouant toute treize on pourra vous connaître.
LE POÈTE.
Par ces titres jugez ce qu’elles doivent être.
LA CRÉATION DU MONDE. Hem, ce titre est-il beau ?
Qu’en dites-vous, Messieurs ?
LE BARON.
Il n’est pas fort nouveau,
Mais le sujet est grand.
LE POÈTE.
Très grand, car je le fonde,
Plus de cent ans avant la création du monde ?
LE BARON.
Si rien est plus plaisant je veux être roué.
LE POÈTE.
L’autre pièce qui suit c’est L’ARCHE DE NOÉ.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Comme réglerez-vous cette pièce au Théâtre,
J’y vois fort peu d’Acteurs.
LE POÈTE.
Je veux qu’on m’idolâtre,
Et que chaque auditeur soit là comme enchanté
Et de l’invention et de la nouveauté ;
Car sans l’invention la poésie est fort gueuse.
J’invente fort, et j’ai l’invention heureuse ;
Dedans ce que je fais j’en mets toujours un peu,
Parce qu’aux nouveautés on y court comme au feu.
Je prends donc pour Acteurs de cette Comédie
Les Animaux parlants, comme le Geai, la Pie,
Ceux qui parlent le mieux, enfin les Perroquets
Joueront les rôles doux avec les Sansonnets :
Et comme j’ai besoin d’un Acteur d’importance
J’obligerai le Singe à parler, que je pense.
Le Rossignol, le Merle, et la Linotte aussi
Y feront ce que font les Violons ici.
LE BARON.
On ne verra jamais sortir d’une cervelle
Invention qui soit plus rare, et plus nouvelle.
LE POÈTE.
Mais voici la mignonne, et quand on la jouera
Vous serez bien surpris du monde qu’on aura.
Dès midi vous verrez toutes vos loges prises ;
Et sur ces poutres là des Ducs et des Marquises.
Oui, Messieurs, tenez-moi pour le plus fou des fous
Si durant tout un an on ne crève chezvous ;
Ainsi on s’y tuera, vous verrez mettre en terre
Des dix hommes par jour étouffés au parterre.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Ah, Messieurs ! évitons cet accident mortel,
Achetons vingt maisons pour croître notre Hôtel.
LE POÈTE.
Il faut en venir là pour jouer cette pièce.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Quel titre a celle-là, Monsieur ?
LE POÈTE.
LA SEIGNEURESSE,
OU DAME DE BISCAYE. Ah ! Seigneuresse est beau,
Parce que Seigneuresse est un mot fort nouveau ;
Et joint qu’heureusement ce mot de Seigneuresse
Rime fort bien à ceux, de Princesse, d’Altesse.
C’est la première aussi que je veux faire voir,
S’il vous plaît, aussitôt, qu’on la pourra savoir,
Je vais présentement en faire une lecture,
Et ce sera pour vous comme une Tablature.
J’y marquerai les tons, et les mutations,
Les grimaces surtout avec les actions :
Quand je ne dirai mot observez mon visage,
Vous me verrez passer de l’amour à la rage ;
Puis d’un art merveilleux, d’un surprenant retour,
Je saurai repasser de la rage à l’amour.
Bref, je vais vous montrer comme il faut satisfaire,
Et ce qu’un grand acteur est obligé de faire.
Ne perdez pas de moi le moindre mouvement,
Car le moindre mérite un applaudissement.
MADEMOISELLE DE BRÉCOURT.
Voulez-vous un fauteuil ? vous jouerez à votre aise.
LE POÈTE.
L’Action n’est jamais belle dans une chaise.
Je m’en vais commencer, vous verrez ce que c’est :
Comédie... Hé, Messieurs, silence, s’il vous plaît.
Comédie...
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
On sait bien que c’est la Seigneuresse.
LE POÈTE.
Oui-dà : mais comme il faut pour jouer cette Pièce.
Treize vaisseaux de guerre, et bien équipés tous...
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Treize vaisseaux de guerre ! où les prendrions nous ?
LE POÈTE.
Que le Roi vous en prête, ou bien faites-en faire.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Mais il faut de l’argent.
LE POÈTE.
C’est une belle affaire.
N’en avez-vous pas ?
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Oui, mais il en faut ailleurs.
LE POÈTE.
Il n’est point de profit sans dépense, Messieurs,
Puis c’est pour s’enrichir semer des bagatelles.
Après pour le ballet il faudra vingt Pucelles
De seize à dix-sept ans.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il faut vous avouer
Que votre pièce est bien difficile à jouer :
Encor pour les vaisseaux passe ; mais vingt Pucelles !
Où les trouverait-on à présent ? Où sont-elles ?
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Il en faudra chercher ; mais c’est un grand tracas.
LE BARON.
Mais c’est peine perdue, on n’en trouvera pas.
LE POÈTE.
Si pour vous enrichir vous trouvez tant d’obstacles,
Faites-vous des auteurs qui fassent des miracles.
Je suis un plaisant fou de vous vouloir du bien,
Et que vous ne vouliez avoir souci de rien.
C’est bien être aveugles. Vous avez bien envie.
D’être esclaves et gueux pour toute votre vie.
Demeurez-y, Messieurs, je vous donne ma foi,
Que vous n’auriez jamais une pièce de moi,
Car fut-elle divine, encore j’appréhende
Que l’on s’y pût sauver votre Troupe est trop grande ;
Mais si vous la pouviez réduire à deux ou trois,
Nous nous enrichirions avant qu’il fut six mois.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
À ce compte, on ferait cinq Troupes de la nôtre ?
LE POÈTE.
Cinq ? J’en ferais bien huit fort belles, de la vôtre.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Et s’il faut six Acteurs sur la Scène, comment...
LE POÈTE.
Lors il faut habiller des fagots proprement.
MADEMOISELLE POISSON.
Quoi ! des fagots Acteurs ?
LE POÈTE.
Et des Acteurs utiles,
Car comme les fagots sont communs dans les villes,
S’il fait grand froid, s’il gèle, ont-ils joué leur jeu,
Pour vous chauffer d’abord, c’est, un Acteur au feu.
Les Troupes de campagne ont cela d’ordinaire,
Sans des Acteurs fagots que pourraient-elles faire ?
Joint qu’un fagot bien mis aux yeux du spectateur
Plaît et touche bien plus qu’un médiocre Acteur.
MADEMOISELLE DE BRÉCOURT.
Deux Acteurs joueraient donc toute une Comédie
Avecque des fagots ?
LE POÈTE.
Oui-dà.
MADEMOISELLE POISSON.
Quelle folie !
LE POÈTE.
Oui nous vous en allons faire voir le succès ;
Car j’ai fait apporter des habits tout exprès,
Pour vous représenter une petite Pièce
En trois Actes fort courts : Vous verrez notre adresse :
Je me donne les soirs ce divertissement :
C’est où mon Apprenti joue admirablement.
Je suis armé de tout, j’ai prévu vos obstacles :
Je sais que pour vous plaire il vous faut des miracles :
Vous en allez voir un ; ma Pièce a douze Acteurs,
Deux la joueront, et vont charmer leurs Auditeurs.
MADEMOISELLE POISSON.
Il faut donc habiller dix fagots ? Quelle peine !
LE POÈTE.
Pas un Acteur fagot ne sera sur la Scène,
Deux Acteurs effectifs par mon invention
La vont représenter dans sa perfection :
Et ce qui fait encor que le plaisir augmente,
C’est que Bidache y danse une entrée étonnante :
Il se fait admirer, enfin jamais Valet
N’eut plus d’esprit que lui pour danser en Ballet.
Mais la Pièce, surtout, est fort ingénieuse.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Comment la nommez-vous ?
LE POÈTE.
La Mégère amoureuse,
Ou le Blondin glacé prés de la Vieille en feu.
Messieurs jouez un air qui divertisse un peu,
Attendant qu’on m’habille.
MADEMOISELLE POISSON.
Ah, quelle maladie !
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Ma foi, laissons-lui seul jouer sa Comédie.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Ah ! point, il la faut voir.
MADEMOISELLE DE BRÉCOURT.
Vraiment, il le faut bien.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Je suis fort assuré qu’elle ne vaudra rien,
Et qu’on la trouvera ridicule, je meure.
MADEMOISELLE POISSON.
Qu’elle le soit, tant mieux, elle en sera meilleure.
MADEMOISELLE DE BRÉCOURT.
Ils ne viendront d’une heure, ils les faudrait presser.
SAINT-GEORGES, aux violons.
Les voilà prêts. Jouez, ils s’en vont commencer.
LA MÉGÈRE AMOUREUSE.
Comédie.
LE POÈTE est UN MARQUIS, GODENESCHE vêtu en SCAPIN d’un côté, et de l’autre en AGATHE. Il se tourne à mesure qu’il passe d’un personnage à l’autre, et présente aux spectateurs, tantôt le visage de Scapin, tantôt celui d’Agathe.
SCAPIN.
Oui, les vieilles se remarient ;
Que toutes les jeunes en rient,
Madame Agathe en rit aussi.
Vous la verrez bientôt ici,
Elle vient sur mes pas vous dire
Et son dessein et son martyre,
Enfin, Monsieur, sans tant jaser
Elle vient pour vous épouser.
Étant gueux c’est votre avantage.
LE MARQUIS.
Ce serait un beau mariage !
SCAPIN.
Oui, fort beau, car vous n’avez rien,
Elle a vingt mille écus de bien,
Et vous en avez bien eu d’elle,
Quand elle était un peu plus belle.
LE MARQUIS.
Quoi ! l’avoir pour femme, Scapin !
SCAPIN.
Quoi, Monsieur, n’avoir pas du pain !
LE MARQUIS.
Non, c’est en vain que l’on me prône.
SCAPIN.
Il faut donc demander l’aumône.
LE MARQUIS.
Vivre par un sort si fatal !
SCAPIN.
Mourir de faim à l’Hôpital !
LE MARQUIS.
Caresser un spectre effroyable !
SCAPIN.
Oui, Monsieur, caressez le Diable ;
Faites-en le passionné,
Souffrissiez-vous comme un damné.
LE MARQUIS.
Voudrais-tu de cette mégère,
Toi ?
SCAPIN.
Moi ? J’épouserais sa mère ;
Car pour l’argent en ce temps-ci
Les plus huppés... Mais la voici,
SCAPIN se retourne et paraît sous le visage d’Agathe.
Monsieur, je suis votre servante.
LE MARQUIS.
Votre visite est surprenante.
AGATHE.
Est-ce qu’elle ne vous plaît pas ?
LE MARQUIS.
Je suis surpris de vos appas,
Et rien ne leur est comparable.
AGATHE se tourne en Scapin.
Votre début est admirable !
Vous la charmez.
AGATHE.
En vérité,
Monsieur, si mon peu de beauté
Rappelle votre amour passée
Mon affaire est bien avancée,
Et notre hymen dans peu de jours.
Légitimera nos amours.
SCAPIN.
Répondez lui donc quelque chose.
AGATHE.
Il ne dit mot, Scapin.
SCAPIN.
Il n’ose.
Monsieur, êtes-vous enragé ?
AGATHE.
Comme mon cœur n’est point changé,
Je ne fais point la façonnière.
Nous avons vécu de manière
À vous parler ouvertement.
Souhaitez-vous pas ardemment
Que bientôt notre hymen s’achève ?
LE MARQUIS.
Non, ma foi.
SCAPIN.
La peste vous crève.
AGATHE.
Qu’a-t-il, Scapin ; qu’il est contrit.
SCAPIN.
Madame, il a perdu l’esprit.
LE MARQUIS.
Le mariage est une affaire
Entre nous fort peu nécessaire ;
Et c’est comme s’il était fait :
Chacun de nous est satisfait.
AGATHE.
Oui bien vous, mais moi, le puis-je être ?
Si quelque chose va paraître,
Étant veuve, par quel moyen...
LE MARQUIS.
Madame, il ne paraîtra rien.
AGATHE.
Mais cela vient sans qu’on y pense.
LE MARQUIS.
Quitte pour quelque mois d’absence.
Mais, Madame, depuis vingt ans
Que vous ne faites plus d’enfants...
AGATHE.
Je ne vous dis pas le contraire.
SCAPIN.
Mais, Monsieur, Madame en peut faire.
AGATHE.
Non, non, il ne faut qu’un malheur,
Pour perdre une femme d’honneur.
SCAPIN.
Quand un mari, vit, encor passe.
AGATHE.
Mais enfin, Monsieur, je me lasse,
De vous voir si peu de chaleur,
Pour mettre à couvert mon honneur.
LE MARQUIS.
Laissons là votre honneur, Madame :
Qui le connaît ?
AGATHE.
Comment infâme !
Qui le connaît ? Pour notre amour
Je n’ai dormi ni nuit ni jour ;
Et feu mon pauvre mari même
Blâmait sa jalousie extrême,
Par mon adresse, et par mon soin.
SCAPIN.
Elle a raison, j’en suis témoin,
Pour paraître prudente et sage
Madame a tout mis en usage.
AGATHE.
Hélas, oui. Fausse porte, trous,
Échelle de corde, verrous :
Enfin j’ai su par ma prudence
Faire taire la médisance.
Puisque je n’adore que toi,
Que j’ai du bien, épouse-moi.
LE MARQUIS.
Cela ne se peut pas, Madame.
AGATHE.
Ingrat.
SCAPIN.
Parjure.
AGATHE.
Tigre.
SCAPIN.
Infâme.
AGATHE, en pleurant.
Ton cœur est le cœur d’un Vautour,
Te t’ai donné tout mon amour.
SCAPIN.
Bon, Morbleu ! faites la pleureuse.
AGATHE.
Hélas ! que je suis malheureuse !
SCAPIN.
Voilà le moyen de l’avoir.
AGATHE.
Veux-tu me mettre au désespoir ?
Tu m’épouseras, exécrable.
LE MARQUIS.
Madame je me donne au Diable
Si je vous épouse jamais.
AGATHE.
Il fuit : Que faire déformais,
Scapin ?
SCAPIN.
J’y rêve. Comment faire ?
Plaignez-vous à Monsieur son père.
Vous avez du bien, des appas.
AGATHE.
Mais si l’ingrat ne m’aime pas,
Et que l’on l’oblige à me prendre,
Que ferai-je ?
SCAPIN.
Faites-le pendre.
LE MARQUIS, lui donnant un soufflet.
Tenez, Conseiller de malheur.
SCAPIN.
Pourquoi donc ce soufflet, Monsieur ?
LE MARQUIS.
Quel conseil donnez-vous là, drôle ?
SCAPIN.
Ce soufflet n’est pas de mon rôle ;
Pourquoi...
LE MARQUIS.
J’en ai deux dans le mien,
Mais tous les deux sont pour toi, tiens.
Scapin se tourne prestement et Agathe reçoit le soufflet.
AGATHE.
Juste Ciel ! Quelle effronterie !
LE MARQUIS.
Madame excusez, je vous prie,
Je voulais frapper mon valet.
AGATHE.
À moi ! me donner un soufflet !
Ah, traître ! de cette insolence
Ton père fera la vengeance :
Ce coup te sera cher vendu.
SCAPIN.
Souffleteur, vous serez pendu,
Ayez un peu de patience.
LE POÈTE.
Voilà le premier Acte.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Il est court.
LE POÈTE.
Oui : Qu’on danse.
Aux violons.
Jouez donc l’air qu’il faut, Bidache dansera.
UN VIOLON.
Lequel est-ce, Monsieur ?
LE POÈTE.
Celui qui vous plaira.
Fin du premier acte.
L’on danse une Entrée de la Femme Double, et après qu’elle a dansé, le second acte commence.
ACTE II
SCAPIN habillé d’un côté en VIEILLARD, et de l’autre en SERVANTE, LE POÈTE en MARQUIS
LE VIEILLARD.
Un soufflet à Madame, Agathe !
LA SERVANTE.
Ah ! je t’aurais fait Cul-de-jatte,
Fripon, Marquis du port au foin,
Tu ne le porteras pas loin.
LE VIEILLARD.
Mon fils, par quel trait de jeunesse...
LA SERVANTE.
Coquin, souffleter ma maîtresse !
Partout ou je te trouverai,
Merci-Dieu je t’étranglerai.
LE POÈTE.
Ah ! morbleu, qu’il fait bien !
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Ah ! qu’il a de folie !
Bernons-la.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Hé, laissons-lui finir sa Comédie,
Puis nous le bernerons.
LE BARON.
Je donne mon écu,
Qu’on lui fasse attacher trente pétards au cul.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Hé ma foi ! voyons-lui finir son second Acte.
LE POÈTE.
Non, non, il est fini, Monsieur, je le rétracte,
Et je m’en vais... J’entends de si sottes raisons...
MONSIEUR DE FLORIDOR.
C’est fort bien fait, allez aux petites maisons ;
C’est là que tous les fous vont se faire connaître.
LE POÈTE.
S’il est ainsi, Monsieur, vous y devriez être.
Toujours les grands auteurs sortent mal d’avec vous.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Qu’on le fasse porter à l’Hôpital des Fous.
GODENESCHE, à genoux ôtant sa barbe.
Messieurs...
LE BARON.
Tu n’iras pas ; viens me servir, sois sage.
GODENESCHE.
Mais j’ai trois ans encor de mon apprentissage.
LE BARON.
Mais si tu n’es à moi, l’on t’assomme là-bas.
GODENESCHE.
Mais je suis obligé six ans, je ne puis pas.
Si je vous sers, Monsieur, le moyen d’être Maître ?
Sans achever mon temps je ne puis jamais l’être.
LE BARON.
Je te mène au pays, viens je suis généreux,
Fais des vers à ma gloire, et tu seras heureux.
GODENESCHE.
Monsieur, puis-je bien être en allant en Gascogne
Maître-juré Poète à l’Hôtel de Bourgogne.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Non, étant sans ton Maître ?
GODENESCHE.
Ah ! que quelqu’un de vous
Me fasse donc conduire à l’Hôpital des fous.
MONSIEUR DE HAUTEROCHE.
Viens.
MONSIEUR DE FLORIDOR.
Messieurs, excusez car ce Poète est la cause
Qu’on ne peut d’aujourd’hui vous donner autre chose.