Le Plagiaire (Louis DE BOISSY)

Comédie en trois actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 1er février 1746.

 

Personnages

 

LA COMTESSE

LUCILE, Nièce de la Comtesse

LE MARQUIS, Amant caché de Lucile

LE BARON, Rival secret du Marquis, et Amant déclaré de la Comtesse

LISETTE, Suivante de la Comtesse

MONSIEUR DU BERCEAU, Artificier, Décorateur et Maître de Ballets

CORALINE, Danseuse

ARLEQUIN, Valet du Baron

 

La Scène est à Paris chez la Comtesse.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, LISETTE

 

LA COMTESSE.

As-tu fais tes efforts pour dévoiler ma Nièce ?

LISETTE.

Madame, j’ai perdu près d’elle mon adresse.

Son air paraît ouvert, son cour ne l’est jamais,

On ne peut pénétrer dans ses replis secrets ;

À le développer, vainement on s’attache,

C’est par timidité, peut-être, qu’il se cache.

LA COMTESSE.

Non, c’est son naturel, l’air d’ingénuité

Ne sert qu’à mieux couvrir sa sombre obscurité ;

Ce défaut, il est vrai, s’accroît par ses alarmes ;

Elle croit que je suis jalouse de ses charmes,

Que je veux lui ravir les cours qu’elle a conquis,

M’attacher le Baron, ou gagner le Marquis :

Entre ces deux Amants qui lui rendent hommage,

Son injuste soupçon en secret se partage ;

Et moi, pour l’en punir, j’aime à le redoubler,

En affectant pour eux ce qui peut la troubler :

Au Baron, le matin, mon cœur fait des avances ;

Le soir, pour le Marquis j’ai mille préférences ;

Je me plains du veuvage, et pour mieux l’effrayer,

Je parle exprès tout haut de me remarier.         

LISETTE.

Quand on est, comme vous, jeune et belle, Madame,

On peut former ce nœud, sans crainte qu’on le blâme.

Orpheline, sans biens, espérant tout de vous,

Vous peut-elle un moment disputer un époux ?

D’une figure aimable en vain elle est ornée,

Une beauté sans dot se voit abandonnée.

Le Baron, j’en suis sûre, aspire à votre main,

Et le Marquis, lui-même, a le même dessein.

Le premier, dans ses vers, célèbre vos conquêtes,

L’autre vous rend des soins, et vous donne des fêtes.

LA COMTESSE.

J’en reçois les honneurs, Lucile en est l’objet,

Je n’en suis pas la dupe, et j’en ris en secret ;

Mais surtout du Baron. Aux vers dont il m’honore,

Je feins d’être sensible, il croit que je l’adore.

Une femme sensée, à se moquer d’un fat,         

Goûte, je te l’avoue, un plaisir délicat.

C’est ma fête aujourd’hui, pour la rendre parfaite,

Je veux la célébrer à leurs dépens, Lisette.

Je m’en fais une, au fonds, de les embarrasser,

Et ma Nièce avec eux.

LISETTE.

On ne peut mieux penser,

Mais, de ces deux Amants, qui croyez-vous qu’elle aime ?

LA COMTESSE.

Voilà ce qu’elle cache avec un soin extrême,

Et ce que mes regards brûlent de découvrir ;

Avant la fin du jour, j’espère y parvenir.

Ce n’est pas qu’à son choix je veuille être contraire,

Non, je veux, pour son bien changer son caractère.

Avant que d’assurer le bonheur de ses jours,

Par ma ruse je veux combattre ses détours,

L’obliger d’en rougir, et d’être enfin sincère :

Le Marquis vient, jouons l’aimable à l’ordinaire.       

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, LE MARQUIS, LISETTE, MONSIEUR DU BERCEAU

 

LE MARQUIS, lui présentant un bouquet.

Madame, je préviens les pas de mon rival :

Si l’esprit a sur vous un ascendant fatal,

Mes fleurs ne vaudront pas celles qu’il vous prépare ;

Mais si le sentiment y met un prix plus rare,

Je me flatte d’avoir l’avantage sur lui.

Mes ordres sont donnés pour les jeux d’aujourd’hui,

Agréez-en l’hommage, et soyez-en la Reine.

LA COMTESSE.

J’accepte cet honneur, et j’en suis toute vaine.

Pour soutenir l’éclat où je dois me montrer,

Je vole à ma toilette, et je cours me parer.        

À la reconnaissance, un pareil choix m’invite,

Marquis, il recevra le doux prix qu’il mérite.

LE MARQUIS, lui présentant Monsieur du Berceau.

Je dois vous présenter, Madame, auparavant

Cet homme merveilleux.

LA COMTESSE.

Quel est donc son talent ?

MONSIEUR DU BERCEAU.

Je puis sans vanité m’appeler un génie,

J’exerce innocemment tout l’art de la magie,

D’un seul coup de sifflet je bâtis un Château,

Je change un mont en plaine, une Ville en Hameau ;

Maître des Éléments je fais trembler la terre,

J’allume les éclairs, je lance le tonnerre ;

Au milieu de Paris je fais couler les mers,

Et descendre les cieux, ou monter les enfers ;

Par un contraste enfin des plus inconcevables,

Je fais danser les Dieux, et voltiger les Diables.

LA COMTESSE.

C’est un art surprenant.

MONSIEUR DU BERCEAU.

J’en possède un plus beau :

La poudre entre mes mains devient un vrai pinceau ;

Mes touches, mes couleurs sont si bien ordonnées,

Mes croix de Chevalier, surtout, sont dessinées

Dans un vrai si parfait, que l’œil en est surpris,

Et mes nombreux Soleils sont toujours applaudis.

La flamme, sous mes doigts, prend la forme de l’onde.

Tantôt c’est un jet d’eau qui jaillit à la ronde,

Tantôt une cascade, et tantôt un torrent.

J’offre chaque semaine un tableau différent.

Aujourd’hui c’est... l’Atlas, demain la Pyramide,       

Et pour faire un lieu plein d’un endroit souvent vide,

J’ai produit un Berceau, chef-d’œuvre si vanté,

Si couru que le nom m’en est depuis resté.

LA COMTESSE.

Vous, Monsieur du Berceau ! Cet homme qu’on renomme !

Ce grand Artificier !

MONSIEUR DU BERCEAU.

C’est ainsi qu’on me nomme.

Je suis en même temps Machiniste parfait,

Décorateur unique, et Maître de Ballet.

LA COMTESSE.

Ah ciel ! que de talents cet étranger rassemble !

MONSIEUR DU BERCEAU.

Je les veux dans ces lieux faire briller ensemble.

LA COMTESSE.

Ah ! je suis enchantée, et rends grâce au Marquis        ,

De vous avoir, Monsieur, conduit dans ce logis.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Pour répondre, Madame, à cet accueil honnête,

Et pour mieux célébrer le jour de votre fête,

Je prétends vous servir trois plats de mon métier,

Comme peintre d’abord j’offrirai le premier :

Un temple tout nouveau donnera cette entrée.

Il fera du fracas, s’il n’est pas de durée.

Comme maître à danser, après, je donnerai,

Un divertissement, que j’intitulerai

Le ballet des oiseaux. Chaque espèce y figure.

Il vous amusera selon ma conjecture.

Puis nous couronnerons un jour si solennel,

Par un feu d’artifice, appelé l’arc-en-ciel.

LA COMTESSE.

De vos talents pour nous, vous êtes trop prodigue.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Cet ouvrage pour moi n’est pas une fatigue.

S’il peut vous divertir, il me délassera.

LA COMTESSE.

Je cours donc m’habiller pour voir tous ces jeux-là.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Daignez ne pas tarder, car la première fête,

Dans demi-heure au plus, Madame, sera prête.

LA COMTESSE.

On n’a qu’à m’avertir, dès qu’il en sera temps.

LE MARQUIS.

Oui, nous irons vous prendre.

LA COMTESSE.

Adieu, je vous attends.

 

 

Scène III

 

LE MARQUIS, MONSIEUR DU BERCEAU

 

LE MARQUIS.

Mon hommage, en public, à la tante s’adresse,

Mais j’offre tous mes vœux en secret à la nièce.

C’est à présent, mon cher, que j’implore vos soins,

Pour forcer sa réserve à me voir sans témoins.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Je veux à la faveur du Ballet que j’apprête,

Je veux vous procurer un si doux tête à tête,

Et la tromper si bien par un coup de mon art,

Qu’il paraisse à ses yeux, un effet du hasard.

Je serai plus adroit qu’elle n’est pénétrante.

Fiez-vous en à moi.

LE MARQUIS.

Comme elle craint sa tante,

Qu’elle est d’ailleurs portée à se cacher par goût,

Jusqu’au moindre regard, elle m’interdit tout.

Bien plus, elle m’a fait une expresse défense,

De mettre un tiers ici dans notre confidence,

Sous peine d’attirer son indignation.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Soyez sûr aujourd’hui de ma discrétion.

Vous en avez, Monsieur, un garant admirable.

LE MARQUIS.

Quel garant ?

MONSIEUR DU BERCEAU.

Votre argent. Ce métal agréable

M’a subjugué le cœur. Oui, foi d’italien,

Je ferai tout pour vous, vous me payez trop bien.

LE MARQUIS.

Mes vœux...

MONSIEUR DU BERCEAU.

Seront remplis, j’ose vous le prédire.

Pour hâter l’entretien que votre amour désire,

Je vais tout disposer. Dans peu, je vous rejoins,

Daignez ici m’attendre, et comptez sur mes soins.     

Il sort.

 

 

Scène IV

 

LE BARON, LE MARQUIS

 

LE BARON.

Je te trouve à propos.

LE MARQUIS.

Une affaire me presse.

LE BARON.

Écoute un seul moment, avant que je te laisse,

Je veux savoir ton goût sur un écrit nouveau.

LE MARQUIS.

Tu choisis mal ton temps, je roule en mon cerveau...

LE BARON.

Un air de violon.

LE MARQUIS.

Non, c’est une musette,

Tu l’entendras bientôt ; d’honneur, elle est parfaite.

LE BARON.

Oh ! mes Vers ne sont pas moins séduisants.

LE MARQUIS.

Des Vers !

Quoi ! ne reviendras-tu jamais de ce travers ?

Étouffe ou cache au moins ta rage Poétique.

LE BARON.

Mais tu composes, toi, souvent de la Musique.

Quand tu chantes, je puis rimer.

LE MARQUIS.

Non, Baron, non.

LE BARON.

Mais les Vers sont, je crois, d’aussi bonne maison.

LE MARQUIS.

Point du tout. La Musique est un talent aimable,

Qu’un Seigneur même apprend pour se rendre agréable,

Mais la rime, entre nous, est un art roturier,

Qu’un homme comme toi doit rougir d’employer.

LE BARON.

La Poésie, un art roturier ! Quel blasphème !

C’est le don de l’esprit le plus grand en soi-même.

C’est la langue des Dieux. Chanter ré, mi, fa, si,

Jouer du Violon, est-il plus noble, dis ?

LE MARQUIS.

À son point d’excellence il faut porter la rime.

Où...

LE BARON.

Mes Vers sont marqués au vrai coin de l’estime ;

Et, pour mieux t’en convaincre, écoute ce morceau.

LE MARQUIS.

Oui tes Vers sont frappés, tu les prends dans Rousseau.

LE BARON.

Et les airs que tu fais, comme ceux que tu chantes,

Marquis, sont la plupart dans les Indes Galantes.

LE MARQUIS.

Pour te prouver, Baron, le contraire à l’instant.

Écoute un air de flûte aussi neuf que brillant.

Il chante.

LE BARON.

Prête plutôt l’oreille à ma nouvelle fable.

LE MARQUIS.

Non, non ; écoute-moi, mon air est préférable.

LE BARON, déclame.

Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent

Pour une colombe discrète.

Le Marquis joue et l’interrompt.

Ah ! Suspends les accords de ta voix indiscrète :

Entends, entends mes Vers, sens en tout l’agrément.

Il reprend.

Pour une colombe discrète,

Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent.

Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite.

Le Marquis l’interrompt toujours en chantant et le poursuit.

LE BARON, piqué.

Que le Diable t’emporte, exécrable chanteur !

Je bouche mon oreille, et je sors de fureur.

Cesse de me poursuivre ; arrête-toi, barbare :

Pour éviter tes sons, je fuirais au Tartare.

Il sort.

 

 

Scène V

 

LE MARQUIS, seul, éclate de rire

 

Je suis grâce à mon chant, j’en suis débarrassé,

Par le Musicien le Poète est chassé,

J’ai chargé le premier exprès pour m’en défaire.

Quel fléau qu’un rimeur d’un pareil caractère !

C’est peu de rhabiller un Poème emprunté,

Il a la rage encore, ou l’inhumanité

De vous assassiner de son cruel ouvrage,

Et malheur à celui qu’il trouve à son passage.

Il ne le quitte pas qu’il ne l’ait assommé.

 

 

Scène VI

 

LE MARQUIS, MONSIEUR DU BERCEAU

 

MONSIEUR DU BERCEAU.

Tout est prêt maintenant, Monsieur.

LE MARQUIS.

J’en suis charmé.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Je saurai vous soustraire aux yeux de la Comtesse,

Vous allez bientôt seul entretenir la nièce ;

Sans qu’aucune des deux soupçonne notre accord.

LE MARQUIS.

Je brûle...

MONSIEUR DU BERCEAU.

Les voici, modérez ce transport.

 

 

Scène VII

 

LE MARQUIS, MONSIEUR DU BERCEAU, LE BARON, LUCILE, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE, au Baron, dans le fond du Théâtre.

Vous allez en juger : sur votre goût, je compte.

Au Marquis et à Monsieur du Bureau.

Meilleurs, je vous préviens.

LE MARQUIS.

Votre Toilette est prompte.

LA COMTESSE.

Le soin de me parer m’occupe peu de temps.

LE BARON.

La parure est aisée avec tant d’agréments.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Il est temps de montrer si ma main est habile

À bien construire un Temple.

LE BARON.

Ah ! Morceau difficile !

LA COMTESSE.

À qui le dressez-vous ?

MONSIEUR DU BERCEAU.

C’est au Dieu du secret.

Le silence y conduit le seul amant discret.

LUCILE.

Ah ! ce choix est heureux, on ne peut davantage,

Et le Dieu du secret mérite notre hommage.

LA COMTESSE.

Il a surtout le vôtre, et c’est, au fond du cœur,

Celui que vous servez avec le plus d’ardeur.

LUCILE.

Pouvez-vous m’en blâmer ? ne doit-il pas nous plaire ?

Le monde nous en fait un devoir nécessaire ;

Et si par lui souvent notre sexe est frondé,

C’est pour l’avoir trahi, non pour l’avoir gardé.          

LE BARON.

Il n’est pas cependant dans le siècle où nous sommes,

L’idole du beau sexe ?

LUCILE.

Encore moins des hommes.

LE MARQUIS.

Plus d’un le sert encore, et même sans espoir.

LA COMTESSE, à Monsieur du Berceau.

Décrivez-nous son Temple, avant que de le voir.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Madame, il est fondé sur la délicatesse,

Servi par les amours, et fait pour la tendresse,

Décoré par le goût, embelli par les jeux,

Et quiconque y parvient, est certain d’être heureux.

LE MARQUIS.

Ah ! je voudrais déjà qu’on m’en ouvre la porte.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Les amants délicats s’y rendent sans escorte,

Dès que le soleil luit, dès qu’on voit les Coquettes,

Et des Marquis du jour les troupes indiscrètes,

Mais dès qu’avec fracas on entre dans ce lieu,

Le Temple disparaît aussi bien que le Dieu.

LE BARON.

Je trouve cette idée assez ingénieuse.

Si l’exécution, Madame, en est heureuse,

Je crois qu’elle plaira.

LA COMTESSE.

Voyons donc promptement.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Votre désir sera rempli dans le moment,

Madame, et vous, Monsieur,

Au Baron.

avancez-vous, de grâce,

Pour bien voir le coup d’œil, voici la bonne place.

 

 

Scène VIII

 

LUCILE, LE MARQUIS

 

Le Théâtre change, et représente le Parvis d’un Temple dont la porte est fermée. La Comtesse et le Baron sont en dedans. Lucile et le Marquis sont en dehors.

LUCILE.

Nous sommes en dehors, et le temple est fermé ;

Je suis seule avec vous, j’ai l’esprit alarmé.

LE MARQUIS.

Je ne vois point d’issue. Il n’est que cette porte :

Il fait ses efforts pour l’ouvrir, mais inutilement.

Et je ne puis l’ouvrir.

LUCILE.

Je veux sortir, n’importe.

LE MARQUIS.

Vous ne le pouvez pas. C’est un hasard heureux,

Dont je dois profiter, pour savoir si mes feux.

LUCILE.

Non, non, n’attendez pas qu’ici je vous écoute ;

Vous avez préparé cet incident sans doute...

C’est un tour...

LE MARQUIS.

Du soupçon, mon amour est choqué.

LUCILE.

Monsieur !

LE MARQUIS.

Quelque machine, à coup sûr a manqué.

Ou le Décorateur a mal pris ses mesures ;

Attendant que son art en prenne de plus sûres,

Et fasse disparaître à nos yeux ce Parvis,

Lucile, expliquez-vous. Dans le doute où je suis,

Je ne saurais rester. Le supplice est trop rude.

Je meurs vingt fois par jour de mon incertitude.

LUCILE.

Pour me faire parler, l’instant est bien choisi.

LE MARQUIS.

Grâce à votre rigueur, je n’ai que celui-ci.

Votre réserve outrée, et votre injuste crainte

Tiennent toujours ma bouche et mes yeux en contrainte.     

Je n’ai, depuis six mois que je vous aime enfin,

Je n’ai pu parvenir à vous baiser la main.

Il lui baise la main.

LUCILE.

Oui ; mais vous la baisez, en parlant de la sorte.

Partez.

LE MARQUIS.

Tout est fermé, le moyen que je sorte ?

Daignez donc m’éclaircir, suis-je aimé, parlez-moi ?

LUCILE.

Je ne saurais, Monsieur, dans mon cruel effroi,

Ma tante est là-dedans, je crois qu’elle m’appelle.

LE MARQUIS.

Elle a des soins plus doux, le Baron est près d’elle.

Et je sais que ses vers l’emportent sur mon chant.

LUCILE.

Depuis deux ou trois jours, j’y vois du changement.

Vous fixez ses regards, Marquis, c’est vous qu’elle aime,

Elle doit faire choix d’un Époux ce soir même,

Il tombera sur vous, ou je me trompe fort.

LE MARQUIS.

Vous me faites trembler, mais je m’alarme à tort,

Et le Baron lui seul...

LUCILE.

Non, sur son cœur volage,

Vos fêtes aujourd’hui vous donnent l’avantage.

LE MARQUIS.

Je les donne pour vous, la peur de l’épouser

M’oblige en ce moment à la désabuser.

LUCILE.

Vous allez me livrer à sa jalouse rage,

Un Couvent éternel deviendra mon partage.

LE MARQUIS.

Ne me cachez donc plus le fond de votre cœur,

Que je puisse un instant y lire mon bonheur,

Et si je suis aimé, donnez-m’en quelque preuve.

LUCILE.

Faut-il me voir réduite à cette dure épreuve ?

LE MARQUIS.

À votre caractère il en coûte un effort,

Mais les moments sont chers, décidez de mon sort.

LUCILE.

Pouvez-vous jusques-là me faire violence ?

Mon cœur, pour vous punir, veut garder le silence.

LE MARQUIS.

À la Comtesse, moi, j’irai tout découvrir,

J’entends du bruit, le Temple est tout prêt de s’ouvrir,

Je vais lui déclarer que pour vous je soupire.

LUCILE.

Arrêtez.

LE MARQUIS.

Parlez donc.

LUCILE.

J’aime mieux vous écrire.

LE MARQUIS.

M’écrire un billet tendre ?

LUCILE.

Oui, vous serez content,

Trahissez mon secret, si ma bouche vous ment,

Mais vous continuerez à tromper la Comtesse.

LE MARQUIS.

Oui, j’en fais le serment après votre promesse.

LUCILE.

Le Parvis disparaît, et dans l’éloignement,

Je vois ma Tante, allez près d’elle promptement.

 

 

Scène IX

 

LE MARQUIS, MONSIEUR DU BERCEAU, LE BARON, LUCILE, LA COMTESSE

 

Le Parvis disparaît, et l’on voit l’intérieur du Temple.

LE MARQUIS, à la Comtesse.

Ah ! je bénis l’instant qui vous rend à ma vue,

J’ai maudit...

MONSIEUR DU BERCEAU.

Pardonnez une faute imprévue.

LA COMTESSE.

Les plus grands Maîtres sont sujets à se tromper,

Mes regards ont d’ailleurs eu de quoi s’occuper.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Vos yeux sont-ils contents ?

LE BARON.

Mais assez.

LA COMTESSE.

À merveille.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Je vais présentement régaler votre oreille.

Écoutez l’ouverture. Elle peint le secret.

On joue l’ouverture.

LE MARQUIS.

À la flûte, tout bas, joignons mon chant discret.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS, MONSIEUR DU BERCEAU

 

MONSIEUR DU BERCEAU.

Eh bien, mon art, Monsieur, vous a-t-il bien servi ?

LE MARQUIS.

J’en suis très satisfait. La preuve, la voici.

Il lui donne de l’argent.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Vous ne sauriez, Monsieur, m’en donner de meilleure.

LE MARQUIS.

Pour la faire expliquer, je n’avais qu’un quart d’heure,

Mais mon amour pressant l’a su mettre à profit,

J’aurai bientôt du sien un garant par écrit.       

MONSIEUR DU BERCEAU.

Elle vous écrira, sans doute, un poulet tendre.

LE MARQUIS.

Elle me l’a promis. Il faut, sans plus attendre,

Il faut, pour mériter un si charmant billet,

Nous surpasser, mon cher, par un second Ballet.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Oh ! vous serez content d’un pas que j’imagine.         

LE MARQUIS.

Qui l’exécutera ?

MONSIEUR DU BERCEAU.

Ce sera Coraline.

Elle est de mon pays, je suis sûr de l’avoir.

LE MARQUIS.

Tant mieux, nous serons tous enchantés de la voir.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Je lui donne un danseur qui brille en caprioles,

Et Monsieur le Baron m’a promis des paroles ;           

Je les aurai bientôt, vous les mettrez en chant,

Chacun doit de concert m’aider de son talent.

LE MARQUIS.

Les moments sont si courts, qu’on n’en est pas le maître,

Pressez donc le Baron, mais je le vois paraître.

 

 

Scène II

 

LE MARQUIS, LE BARON, MONSIEUR DU BERCEAU

 

LE BARON, à Monsieur du Berceau

Monsieur, voilà les vers que vous me demandez.      

MONSIEUR DU BERCEAU.

Par de bonne musique, ils seront secondés ;

C’est Monsieur le Marquis, qui sait sort bien la gamme.

LE BARON, reculant du Marquis.

Je crains ses airs de flûte.

LE MARQUIS.

Oh ! rassure ton âme.

Je n’ai pas le loisir de jouer maintenant,

Adieu. Je te vais mettre en musique à l’instant.          

LE BARON.

Prends bien garde que l’air soit sait pour les paroles,

De la gaieté surtout, elles sont des plus folles.

LE MARQUIS.

Va, tu n’y perdras rien, je souhaite aujourd’hui

Que le Musicien soit aussi bien servi.

Quand l’ouvrage est goûté, c’est par notre art suprême,

S’il tombe, c’est toujours la saute du Poème.

Il sort avec Monsieur du Berceau.

 

 

Scène III

 

LE BARON, seul

 

Ce discours est injuste, et pourtant des plus vrais,

Je veux réussir seul, ou tomber désormais ;

Rimons plutôt, rimons pour la seule Comtesse,

Sa main sera le prix... Non, préférons la Nièce,

Elle est belle, et les vers pour elle ont des appas ;

C’est là l’unique goût qu’elle ne cache pas ;

Elle en sait son étude, et m’a pris pour son Maître,

Profitons de ce choix pour lui faire connaître...

Elle vient seule ici, l’instant est précieux,         

Et je vais le saisir.

 

 

Scène IV

 

LE BARON, LUCILE

 

LUCILE, à part.

Le Baron en ces lieux

Plus je le hais, et plus je lui fais politesse.

Pour mieux cacher mon cœur, et tromper la Comtesse.

LE BARON.

Je vous rencontre seule, et mon bonheur est grand.

LUCILE.

Baron, à mon égard, vous êtes négligent.

Vous ne m’avez rien lu de la semaine entière.

LE BARON.

Je vais tout réparer, ma charmante écolière.

Voici des vers nouveaux. Comme le sentiment,

Dont l’auteur paraît plein, y règne uniquement ;

C’est aux Dames surtout qu’il soumet son ouvrage.

LUCILE.

Son nom ?

LE BARON.

Vous le saurez, s’il a votre suffrage.

LUCILE.

J’en dirai mon avis. Voyons sans plus tarder.

LE BARON.

Personne mieux que vous ne peut en décider.

Il lit.

Pour une Colombe discrète

Un Pigeon ressentait l’amour le plus ardent,

Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite,

Tant il brûlait secrètement.

Il était moins hardi que ceux de son espèce.

Quoiqu’il souffrit de son tourment,

Il n’osait faire entendre auprès de sa Maîtresse           ,

Son amoureux roucoulement.

LUCILE.

Que ce Pigeon est sage ! il prend la bonne route,

Un oiseau si discret mérite qu’on l’écoute.

LE BARON.

Pour lui dans ce moment vous me donnez du cœur.

LUCILE.

Lisez, son ton prévient d’abord en sa faveur.

LE BARON, reprend avec enthousiasme.

Pour une Colombe discrète

Un Pigeon ressentait l’amour le plus ardent.

Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite,

Tant il brûlait secrètement.

Il était moins hardi que ceux de son espèce.

Quoiqu’il souffrit de son tourment,

Il n’osait faire entendre auprès de sa Maîtresse

Son amoureux roucoulement.

Il bornait toute sa tendresse

À contempler son agrément.

Son trop d’amour le rendait bête ;

Mais il vint un moment qu’il sut mettre à profit.

Ils se trouvèrent tête à tête,

Et l’occasion l’enhardit.

Colombe de mon cœur, agréez mon hommage,          

Lui dit tout bas l’oiseau craintif.

Je n’ose vanter mon plumage,

On en peut voir dont l’éclat est plus vif.

Mais, dans cet instant décisif,

Prêtez l’oreille à mon langage.

Il n’en est point qui soit plus expressif.

L’amour, le tendre amour lui-même

Ne pourrait pas gémir d’un ton plus doux.

Pour rendre mon bonheur extrême,

Et le concert plus parfait entre nous,

Roucoulez avec moi, roucoulez, je vous aime.

LUCILE.

Tout sage qu’il paraît, le Pigeon est pressant,

Mais, que dit la Colombe ?

LE BARON.

Eh ! rien précisément ;

Le timide Pigeon attend qu’elle réponde.

Sa réplique...

LUCILE.

Sera la plus douce du monde.

LE BARON.

Ah ! faites-la pour elle. Il sera trop content.

LUCILE.

Que je la sasse, moi ? ce discours me surprend.

LE BARON.

Oui, sans votre bonté tout son espoir succombe,

Vous voyez le Pigeon aux pieds de la Colombe.

Il se jette à ses pieds.

LUCILE, à part.

Son chant n’est pas nouveau. Punissons aujourd’hui

L’audace du Copiste, en nous moquant de lui.

Au Comte.

Je pourrais m’offenser d’un aveu sait en prose,

Mais tout s’excuse en vers ; un rimeur, quoiqu’il ose

Obtient notre indulgence ; il a le droit charmant,

De dire ce qu’il veut toujours impunément,

Tout ce qui me chagrine, et qui doit me confondre,

Je n’ai pas le talent, Monsieur, de vous répondre.

LE BARON.

Nous pouvons soupirer tous deux à l’unisson.

LUCILE.

Ma Tante rompt l’accord. Adieu, charmant Pigeon.

LE BARON.

Avant que de sortir un seul mot favorable.

LUCILE.

La Colombe, aujourd’hui, veut payer votre fable,

Au moins d’une chanson, et court y travailler.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

LE BARON, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE, au Baron.

À ma Nièce, Monsieur, vous venez de parler.

Elle sort interdite, et vous l’êtes vous-même.

LE BARON.

On ne saurait sans trouble aborder ce qu’on aime.

LA COMTESSE.

Quel est donc ce papier qu’avec soin vous cachez ?

LE BARON.

Des vers pour votre fête. Ils ne sont qu’ébauchés.

LA COMTESSE.

N’importe, voyons-les.

LE BARON.

L’ouvrage est trop informe.

Avant de vous l’offrir, souffrez que je réforme...

LA COMTESSE.

Ah ! vous faites l’Auteur. Lisez, ou bien je lis.

LE BARON, à part.

Le cruel embarras ! Madame, j’obéis.

Il fait semblant de lire.

Dans ce beau jour...

LA COMTESSE.

Après ?

LE BARON.

Marqué pour votre fête,

L’amour...

LA COMTESSE.

Eh bien ! L’amour...

LE BARON, lui offrant une fleur.

Vous offre cette fleur.

Je voudrais que ce soir... au gré de mon ardeur...

Il s’interrompt.

Au gré de mon ardeur, est mis là pour la rime.

Il exprime pourtant le beau feu qui m’anime,

Et vous excuserez...

LA COMTESSE.

Monsieur, finissez donc

Vous m’impatientez.

LE BARON.

Malgré moi, je suis long.

L’endroit est raturé. C’est-là ce qui m’arrête.

J’y suis.

Il reprend.

Dans ce beau jour marqué pour votre fête,

L’amour vous offre cette fleur.

Je voudrais que ce soir, au gré de mon ardeur,

Je voudrais que l’Hymen en parât votre tête,

Et que ce fût en ma faveur.

Il s’interrompt.

Et que ce fût, est dur.

LA COMTESSE.

Le souhait est flatteur.

Je veux avoir ces Vers,

Elle lui arrache le papier, et lit tout bas.

les relire moi-même.

Colombe de mon cœur... ramagez, je vous aime.

Après avoir lu.

Ah ! voilà pour ma fête un sort joli Bouquet,

Je ne m’étonne plus qu’on m’en fît un secret.

La Colombe discrète a tout l’air de ma Nièce.

LE BARON.

Madame, un tel soupçon offense ma tendresse.

LA COMTESSE.

Le trouble de vos yeux sert à le confirmer.

LE BARON.

Votre amour, sur ces Vers a tort de s’alarmer,

Puisqu’il faut devant vous dévoiler ce mystère,

Sachez, pour un ami, que je viens de les faire.

Le Pigeon circonspect, est un Abbé prudent,

Et qui dans la Musique est surtout fort savant.

Pour la Colombe, c’est une jeune Chanteuse ;

Comme l’Abbé lui trouve une voix très flatteuse,

Et que le son en est extrêmement touchant,

Il lui veut en secret donner le goût du Chant.

LA COMTESSE.

Par un conte, Monsieur veut excuser sa Fable.

LE BARON.

Croyez...

LA COMTESSE.

Votre conduite est doublement coupable,

Car vous êtes d’abord criminel, comme Auteur.

LE BARON.

Comme Auteur, moi, Madame ?

LA COMTESSE.

Oui, comme Auteur, Monsieur.

Votre Pigeon discret, est l’exacte copie

D’un Serin que j’ai vu dans une Comédie,

Qu’on a représentée au Théâtre Français.

LE BARON.

Cette pièce, Madame, est un de mes Essais.

Comme d’un bien à moi, j’en ai pu faire usage ;         

Et ce n’est pas voler, que piller son ouvrage.

Chacun vous le dira. Ce droit nous est acquis,

Nos plus grands Auteurs...

LA COMTESSE.

Oui ; mais vous est-il permis,

En qualité d’amant, de trahir ma tendresse,

De rechercher ma main, quand vous aimez ma Nièce ;         

Et de choisir l’instant où j’allais être à vous ?

Ce procédé m’indigne, et mon juste courroux...

Mais non, dans ce moment je ne veux pas l’en croire.

J’écouterai plutôt ma raison pour ma gloire.

Je prétends me venger de vous plus noblement

À votre amour, Monsieur, je donne un libre champ.

Puisqu’aux fers de ma Nièce un doux penchant vous livre,

Ma bonté, dans ce jour, vous permet de le suivre,

Je veux porter plus loin mon effort généreux.

Si son cœur se déclare en saveur de vos feux,

Je promets à son choix de donner mon suffrage,

L’amour est un nœud libre, et non un esclavage.

Adieu, je sens, Monsieur, d’autant moins cet affront,

Qu’il est ici des cœurs qui m’en consoleront.

À part, en s’en allant.

De ma feinte bonté, le fat sera la dupe.

Son erreur va servir au projet qui m’occupe.

 

 

Scène VI

 

LE BARON, seul

 

J’aurais trouvé mon compte à me voir son mari,

Mais on renonce au bien, pour un objet chéri.

Lucile est adorable, et je prends auprès d’elle.

N’y pensons plus, je dois mon cœur à la plus belle.

 

 

Scène VII

 

LUCILE, LE BARON

 

LUCILE.

Je viens vous retrouver, dans l’appréhension

Que ma Tante n’ait vu les Vers en question.

LE BARON.

Dissipez la frayeur dont vous êtes émue,

Et souffrez que je donne une libre étendue

Au violent amour que je ressens pour vous :

La Comtesse, Madame, approuve un feu si doux.

Mon sort ne dépend plus que de votre réponse,

J’attends dans ce moment que votre cœur prononce.

LUCILE.

J’aime la poésie à l’adoration :

Mais, je viens d’éprouver dans cette occasion

Que le goût, sans talent, nous devient inutile.

L’amour que j’ai pour elle, est une ardeur stérile,

Et mon esprit, Monsieur, n’a pu, quoiqu’il ait fait,

Pour répondre à vos Vers, produire un seul couplet.

Je suis piquée, au fond, plus que je ne puis dire.       

LE BARON.

Une chanson n’est pas ce que mon cour désire,

Quelques lignes de Prose, un seul mot de douceur

Suffirait pour me mettre au comble du bonheur.

LUCILE.

Par un méchant Billet, par de mauvaise Prose

Payer de jolis Vers ! la pitoyable chose !

Ah ! j’en rougis, Monsieur : je veux absolument

Me taire, ou par des Vers, m’acquitter joliment.

LE BARON.

Mais on peut s’arranger. Je vous offre ma veine,

Je m’écrirai pour vous. Vous n’aurez que la peine

De souscrire à l’ouvrage, et de le copier.          

LUCILE.

Ce que vous proposez, est neuf et singulier.

Mais vous iriez trop loin.

LE BARON.

Non, daignez me prescrire

Ce que vous souhaitez que je vous fasse dire,

Je m’y renfermerai sans y rien ajouter.

LUCILE.

À ces conditions, je veux bien m’y prêter.        

La réponse...

LE BARON.

Comment, faut-il que je l’exprime ?

Dites...

LUCILE.

Vous me serez répondre avec estime,

Et même tendrement...

LE BARON.

Tendrement !

LUCILE.

Monsieur, oui.

Aux doutes d’un jeune homme amoureux et chéri.

LE BARON.

Et chéri ! quel bonheur !

LUCILE.

Dès longtemps je confesse

Que je désire avoir des vers de cette espèce.

LE BARON.

Vous serez satisfaite, et je suis trop heureux,

L’amour, le tendre amour récompense mes feux,

C’est lui seul que j’implore, et je sens qu’il m’enflamme ;

Toute sa vive ardeur a passé dans mon âme.

Elle se livre entière à des transports si doux,

Et je vais mettre au jour des vers dignes de vous.

Mon esprit...

LUCILE.

Profitez du beau feu qui l’inspire,

Pour ne pas l’interrompre, adieu, je me retire.

 

 

Scène VIII

 

LE BARON, seul

 

Écris, Mon cher Baron, écris-toi, tendrement.

Les talents de l’Auteur doivent servir l’Amant.

Il s’assied près d’une table, rêve quelque temps, puis il écrit et récite tout haut.

Je veux... de mon secret vous faire confidence,

Confidence... surtout, de la discrétion.

Mon estime... paraît... par cette confiance.

Il s’interrompt.

Il me faut à présent une rime en ion.

Un jeune homme charmant... c’est moi, l’expression

Est flatteuse, mon cher, et c’est un peu trop dire,

Ma Maîtresse le pense, elle peut donc l’écrire.

La modestie, au fond, est la vertu d’un sot ;

Et je ne dois plus être arrêté par ce mot.

Mais un Poète assis, perd du feu qui l’anime,

Levons-nous, et marchons, pour mieux saisir la rime.

Poursuivons la rebelle, elle suit vainement.

 

 

Scène IX

 

LE BARON, CORALINE

 

LE BARON, saisissant le bras de Coraline.

Pour le coup, je la tiens.

CORALINE.

Ah ! Monsieur, doucement.

Quel est donc le transport dont votre âme est émue ?

LE BARON.

Vous êtes constamment l’objet de mes désirs,

Et votre rencontre imprévue,

Me donne de certains plaisirs

Que je ne sens qu’à votre vue.

Fort bien ; je suis en verve.

CORALINE.

Il me dit des douceurs,

Ces Messieurs les Français sont tous des cajoleurs.

LE BARON.

Oui, des hommes, Monsieur, qui cherchent à me plaire,

Vous êtes en secret, le seul que je préfère.

CORALINE.

Qui, moi ! je suis un homme, ah ! que je le voudrais !

LE BARON.

Je suis fille, et je dois m’observer de plus près.

CORALINE, éclatant de rire.

Ah ! ah ! l’aimable Brune ! Oh ! je crois qu’il compose,

Ou bien qu’il extravague : eh ! c’est la même chose.

LE BARON.

La décence est pour nous un tyran absolu,

On doit la respecter autant que la vertu.

Tout au mieux, soyez sage.

CORALINE.

Oh ! quoique je badine.

Je la suis fort, Monsieur.

LE BARON.

Qui parle ?

CORALINE.

Coraline.

LE BARON.

Ma charmante, c’est vous, dont j’adore les pas.

CORALINE.

Oui, vous faites des Vers, et moi, des entrechats.

LE BARON.

De votre art et du mien, faisons un doux mélange.

CORALINE.

Excusez ; malgré moi, Monsieur, je vous dérange

Mais c’est ici la Salle où nous devons danser.

LE BARON.

Vous êtes du Ballet ?

CORALINE.

Oui, l’on va commencer.

On s’accorde déjà pour jouer l’ouverture,

Et comme la première aujourd’hui j’y figure,

Que par un pas brillant, je dois me surpasser,

Je suis votre Servante, et cours le repasser.

Elle sort en lui faisant la révérence.

 

 

Scène X

 

LE BARON, seul

 

La danse, par malheur, a mis la rime ensuite,

Au diable, mille fois, cette Fête maudite.

Voilà mon Apollon dérouté tout-à-fait.

Du Journal amoureux, je me rappelle un trait.

Qui pourra terminer l’embarras que j’éprouve,

Le célèbre Marot précisément s’y trouve

Dans la position, où je suis maintenant.

Ses Vers... adoptons-les dans ce besoin pressant.

C’est le plus court chemin, c’est le meilleur à suivre,

Je puis lire l’endroit, car j’ai sur moi le Livre.

Ah ! ah ! j’ai déjà pris plusieurs vers en détail.

Prenons-les tous en gros ; j’abrège le travail.

Si ce vol se découvre... il est permis en France,

Et l’on n’y fait plus rien que par réminiscence.

Ce n’est pas notre faute. En Prose comme en Vers,

Tout est, depuis longtemps écrit dans l’Univers.

Nous sommes malgré nous, échos les uns des autres.

Messieurs, volez mes Vers, si je pille les vôtres.

Ne vous contraignez pas et faites comme moi.

 

 

Scène XI

 

LE BARON, MONSIEUR DU BERCEAU

 

MONSIEUR DU BERCEAU.

Monsieur, je vous remets vos paroles.

LE BARON.

Pourquoi ?

Les désapprouvez-vous ?

MONSIEUR DU BERCEAU.

Non, elles sont parfaites.

Mais Monsieur, avant vous un autre les a faites.

Et l’air depuis six mois a couru tout Paris.

LE BARON.

C’est le malheur du genre, et j’en suis peu surpris

Ce sont les mêmes mots que toujours on rassemble

Indispensablement il faut qu’on se ressemble.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Par bonheur, il me reste un air qu’on chantera ;

Le ramage, Monsieur, surtout y régnera.

Il y rime à bocage, et convient à la fête.

Demeurez, elle vaut la peine qu’on s’arrête.

J’y vais faire à vos yeux danser tous les oiseaux.

Par troupes vous verrez, sauter les étourneaux.

Le Ramier figurer avec la Tourterelle.

Vous verrez le Pluvier qui poursuit l’Hirondelle ;

Le Paon s’étale seul, de lui-même amoureux ;

La Caille et le Perdreau forment un pas de deux.

Le Serin y voltige autour de la Linotte :

Le fripon de Moineau survient et l’escamote.

Le Faucon et l’Autour sondent du haut des airs          ,

Sur ce Peuple qui suit plus prompt que les éclairs,

Une Faisane reste, ils se livrent la guerre.

Quand l’Aigle tout-à-coup l’arrache de leur serre ;

S’applaudit avec elle, et l’élevant aux cieux,

Il danse un tambourin, et disparaît aux yeux.

Mais avec le Marquis la Comtesse s’avance.

À l’Orchestre.

Partez, Messieurs, partez, il est temps qu’on commence.

LE BARON.

Nous, saisissons ce temps pour aller copier

Les Vers en question, et pour les envoyer.

Le plaisir de m’écrire au nom de ma Maîtresse,         

Est la fête pour moi la plus enchanteresse.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

DIVERTISSEMENT DES OISEAUX

 

Volez, Oiseaux, volez de toutes parts,

Rassemblez-vous dans ces bocages,

Beaux Perroquets du jour, étalez aux regards,

L’agrément singulier de vos nouveaux plumages,

Modernes Rossignols, brillez par vos écarts ;

Étonnez l’univers de vos bruyants ramages,

Volez, oiseaux, volez de toutes parts,

Rassemblez-vous dans ces bocages.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, LISETTE

 

LA COMTESSE.

Oui, Lisette, c’est toi que je viens d’appeler,

Vois ma Nièce, et dis-lui que je veux lui parler.

Lisette sort.

 

 

Scène II

 

LA COMTESSE, seule

 

Non, le Baron n’est pas l’amant qu’elle préfère,

Il se cacherait mieux, s’il avait su lui plaire,

L’amant qu’on favorise est plus discret en tout.

Pour le Marquis plutôt, je crois qu’elle a du goût.

Rarement il lui parle, ils s’évitent sans cesse.

Elle vient. Opposons l’artifice à l’adresse.

Comme infailliblement elle me mentira ;

Je croirai l’opposé de ce qu’elle dira.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, LUCILE

 

LA COMTESSE.

Lucile, à vous parler, votre intérêt m’engage,

La raison vous conduit, et vous êtes dans l’âge,

Où, pour votre bonheur, vous devez faire un choix.

Quand je me remarie, il est juste, et je dois

Assurer votre sort par un nœud convenable :

Il s’offre ici pour vous plus d un parti sortable,

Je laisse votre cour le seul maître aujourd’hui,

Trop sûre que son choix sera digne de lui.

LUCILE.

Que vos clartés, Madame, et que votre sagesse,

Dans ce pas hasardeux, conduisent ma jeunesse ;

La livrer à son goût, ce serait la trahir.

Vous devez prononcer, et je dois obéir.

LA COMTESSE.

Je vous prendrais au mot, si vous m’étiez moins chère ;

Ouvrez-moi sans détour votre cœur la première,

Ma bonté veut sur lui régler votre union.

Consultez bien, surtout, votre inclination.       

LUCILE.

Madame, uniquement je la borne à vous plaire.

LA COMTESSE.

Vous déguisez toujours : je serai plus sincère,

Sachez dans votre cœur, que j’ai su pénétrer.

LUCILE, à part.

C’est un piège. Gardons de lui rien déclarer.

LA COMTESSE.

Vous aimez en secret.

LUCILE.

Ma Tante, quelle idée !

LA COMTESSE.

Quand je vous parle ainsi, croyez qu’elle est fondée

Votre réserve même, et vos soins défiants

Servent à l’affermir, Lucile, en ces instants.

Je vais, pour vous prouver que j’ai lu dans votre âme,

Vous peindre d’un seul trait l’objet de votre flamme.

LUCILE, à part.

Aurait-elle, en effet, découvert mon Amant ?

LA COMTESSE.

J’ai surpris ce matin un pigeon tout charmant,

Qui près de vous ici roucoulait en cachette

Son amoureux tourment : hem, Colombe discrète,

Votre cœur, par son ton, n’est-il point attendri,

Et n’ai-je pas nommé votre oiseau favori ?

LUCILE, à part.

Je respire à présent.

LA COMTESSE.

Vous paraissez surprise.

LUCILE, à part.

Ah ! par un faux aveu confirmons sa méprise.

LA COMTESSE.

Vous devez reconnaître à ces traits le Baron.

Vous êtes interdite, et confuse à ce nom.

LUCILE.

On le serait à moins ; épargnez-moi, Madame.

LA COMTESSE.

J’approuve votre choix, bien loin que je le blâme,

Et lui-même avec vous, il brûle d’être uni :

L’aimez-vous en effet ? parlez donc, ma Nièce ?

LUCILE.

Oui.

LA COMTESSE, à part.

Tu mens !

LUCILE, à part.

Elle n’est pas ma Rivale. Son trouble

Me l’annonce trop bien, et ma joie en redouble.

LA COMTESSE.

Bon, ma fausse tristesse abuse ses esprits.

Je suis sûre à présent qu’elle aime le Marquis.

LUCILE.

Madame, pardonnez si...

LA COMTESSE.

Je suis enchantée

Qu’en faveur du Baron votre âme soit portée.

J’ai craint que le Marquis ne fût votre vainqueur.

Puisqu’il faut l’avouer, il a touché mon cœur ;

Je puis présentement me déclarer sans crainte.

À part.

Sa douleur, à ces mots, perce à travers la feinte ;

Et doit me confirmer dans mon opinion.          

À Lucile.

Adieu. Je vais presser notre double union.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

LUCILE, seule

 

Ciel ! dirait-elle vrai ? me serais-je déçue ?

Non, ma Tante plutôt se déguise à ma vue.

Elle a, de mon aveu, gémi secrètement,

Et j’en crois, de son cœur, le premier mouvement ;

Mais si son artifice a trompé ma finesse.

Écrivons au Marquis. Voilà l’instant qui presse.

Ses doutes, mes frayeurs, tout m’en sait une loi.

Le voir, l’entretenir est un besoin pour moi.

Je dois le consulter dans mon inquiétude,       

Et l’arracher lui-même à son incertitude.

Notre intérêt commun... mais que veut ce valet ?

 

 

Scène V

 

LUCILE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Madame, on m’a chargé de vous rendre en secret,

Ce papier.

LUCILE.

Le Baron à propos me l’envoie.

ARLEQUIN.

Que dirai-je à Monsieur ?

LUCILE.

Attendez, que je voie.

Elle s’éloigne.

Je vous envoyé, ma Déesse, les vers où tout mon espoir est renfermé. J’en attends la copie de votre main, comme le sceau de mon bonheur.

Je vous nomme sans que j’y pense.

Votre entretien me charme, et je crains votre absence.

J’aime à causer tous vos désirs ;

Et votre rencontre imprévue

Me donnent de certains plaisirs

Que je ne sens qu’à votre vue.

Vous m’avez seule appris l’usage des soupirs.

Je songe à vous, malgré moi-même.

Je crois vous voir la nuit, je vous cherche le jour.

Si ce n’est pas là comme on aime,

Apprenez-moi ce que c’est que l’amour.

À Arlequin après avoir lu.

L’ouvrage est justement tel que je le souhaite.

Assurez le Baron que j’en suis satisfaite.

ARLEQUIN.

Je n’en suis pas surpris, car je l’ai corrigé,

Arlequin autrement ne s’en sût pas chargé.

LUCILE.

Votre maître est discret. Il vous a lu sa Pièce ?

ARLEQUIN.

Il me consulte en tout. Souvent je le redresse.

LUCILE.

Dites-lui qu’au plutôt je vais la copier,

Et que j’aurai grand soin après de l’envoyer.

Elle rentre.

 

 

Scène VI

 

ARLEQUIN, seul

 

Ses vers vont, pour le coup, obtenir leur salaire.

Sans doute, il les aura par un autre émissaire.

Dans ma poche, en voici qui sont de ma façon.

Je les ai composés pour un minois fripon,

Un joli petit nez qu’on nomme Coraline.

C’est ma compatriote, et de plus, ma cousine.

Je suis impatient de les lui faire voir.

Mais je crois en ce lieu, je crois apercevoir

Quelqu’un qui lui ressemble. Oh ! c’est une bévue.

 

 

Scène VII

 

ARLEQUIN, CORALINE

 

CORALINE.

En croirai-je mes yeux !

ARLEQUIN.

Ai-je donc la berlue ? 

Non, c’est elle.

CORALINE.

C’est lui.

ARLEQUIN.

Coraline !

CORALINE.

Arlequin !

ARLEQUIN.

Eh ! bonjour, ma cousine !

CORALINE.

Eh ! bonjour mon cousin !

Ils s’embrassent.

ARLEQUIN.

Qui vous a donc conduite en cet Hôtel, ma chère ?

CORALINE.

C’est Monsieur du Berceau.

ARLEQUIN.

Mais, qu’y venez-vous faire ?

Parlez.

CORALINE.

Je suis venue y danser, et je pars.

ARLEQUIN.

Arrêtez. Un cousin mérite des égards.

J’ai fait des vers pour vous.

CORALINE.

Toi ? la chose est comique.

ARLEQUIN.

Je sers un bel esprit. Le mal se communique.

CORALINE.

À propos de ton maître, il va se marier.

ARLEQUIN.

À qui donc ?

CORALINE.

À Lucile.

ARLEQUIN.

Ô ! bonheur singulier !

Il épousera donc la beauté qu’il adore ?

CORALINE.

On prépare la noce, et son valet l’ignore.

ARLEQUIN.

Il n’en sait rien lui-même, et je vais le charmer.

Que je vous lise avant que de l’en informer.

CORALINE, à part.

Scapin m’attend. Adieu.

À Arlequin.

Je pars en diligence. 

ARLEQUIN.

D’entendre votre éloge, ayez la complaisance.

CORALINE.

En place un seul instant, je ne saurais rester.

En courant, en sautant je pourrais l’écouter,

En capriolant, toi, tu pourras me le lire.

ARLEQUIN.

Madame, j’aurai donc l’honneur de vous conduire.

Il lit en lui donnant la main.

Qu’à Paris Coraline a fait d’heureux progrès !

Et que ses yeux bien vite ont su parler français.

CORALINE, s’arrêtant.

Continuez mon cher. Ce début m’intéresse.

ARLEQUIN continue.

Dès qu’on la voit, son feu, sa gentillesse,

Son enjouement excite un battement de main.

Tout le public devient le rival d’Arlequin,

Et la Suivante éclipse la Maîtresse.

CORALINE.

Mon cousin, ces vers-là ne sont pas si mauvais.

ARLEQUIN.

La preuve qu’ils sont bons, c’est que je les ai faits.     

 

 

Scène VIII

 

CORALINE, ARLEQUIN, SCAPIN

 

SCAPIN, à Coraline.

Que sais-tu si longtemps ? je me lasse d’attendre.

CORALINE.

Ah ! juste ciel ! Scapin vient ici nous surprendre !

ARLEQUIN.

J’ai vu quelqu’autre part, j’ai vu ce grand coquin.

SCAPIN.

À qui parles-tu là ? dis ?

CORALINE.

C’est à mon cousin.

ARLEQUIN.

Quel est cet animal ?

CORALINE.

C’est mon frère.

ARLEQUIN.

Qu’entends-je ?

CORALINE.

Il ne respecte rien dans son humeur étrange.

ARLEQUIN.

Vous n’aviez point de frère, et je suis étonné.

Depuis quand, dites-moi, vous l’êtes-vous donné ?

CORALINE.

Il l’est depuis huit jours.

SCAPIN.

Quel est donc ce colloque ?

Laisse-là ton parent ; il m’a l’air équivoque.

ARLEQUIN, à Scapin.

Votre nom ?

SCAPIN.

Est fameux. Je m’appelle Scapin.

ARLEQUIN.

Le mien l’est encore plus ; je me nomme Arlequin.

SCAPIN.

Arlequin ? le sot nom ! il me met en colère.

ARLEQUIN.

Et le tien me révolte.

CORALINE, à Arlequin.

Adieu, pour suivre un frère,

On quitte son cousin.

ARLEQUIN.

Je vais vous escorter.    

SCAPIN.

Si vous venez, j’aurai l’honneur de vous frotter

Les oreilles, mon cher, comme j’ai fait à d’autres.

ARLEQUIN.

Et moi, j’aurai celui de vous couper les vôtres.

Mais j’aperçois mon maître, et je l’entends pester.

Madame, son abord m’oblige à vous quitter.

À Scapin.

Toi, rends dans ce moment grâce à son arrivée.

Ma valeur, sans cela... tu l’aurais éprouvée.

SCAPIN, lui donnant un soufflet.

De la mienne, reçois ce gage en attendant.

ARLEQUIN.

Si j’avais le loisir, je t’en rendrais autant.

Scapin sort avec Coraline.

 

 

Scène IX

 

LE BARON, ARLEQUIN

 

LE BARON.

Tu t’amuses, maraud, quand je suis dans l’attente.

A-t-on reçu mes Vers ?

ARLEQUIN.

D’une façon charmante.

LE BARON.

Eh ! Lucile, dis-moi, les a-t-elle transcrits ?

ARLEQUIN.

Au plutôt de sa part ils vous seront remis,

Car actuellement elle en fait la copie.

LE BARON.

Mon cher, que je t’embrasse.

ARLEQUIN.

Arrêtez, je vous prie,

Si je vous apprends tout, vous allez m’étouffer.

LE BARON.

En cet instant flatteur, puis-je trop triompher ?

Je vais, je vais donc voir ce caractère aimable,

Et baiser chaque trait de sa main adorable ;

Mes Vers en recevront un prix qu’ils n’avaient pas.

ARLEQUIN.

Vous, qui de nos talents, faites si peu de cas,

Apprenez, ignorants, à respecter la rime,

Jugez par nos succès ce qu’on lui doit d’estime.

LE BARON.

Je lui dois un bonheur qui passe mon espoir,

Ce trait la justifie et prouve son pouvoir.         

Qu’aujourd’hui, mon exemple, Auteurs, vous encourage,

Au sexe connaisseur, consacrez votre hommage,

Il lit, il accrédite, il chérit vos écrits,

Et ses tendres saveurs en deviennent le prix.

ARLEQUIN.

Monsieur, de tout côté, le sort vous favorise.

C’est peu que de vos Vers, Lucile soit éprise ;

Sa Tante vous l’accorde. Oui, rien n’est plus certain,

Je veux, si je vous mens, je veux être un coquin.

Vous allez, qui plus est, l’épouser ce soir même.

LE BARON.

Quoi ! je posséderais ce soir l’objet que j’aime ?         

J’en mourrais de plaisir. Mais de qui le sais-tu ?

ARLEQUIN.

On travaille aux apprêts. Coraline l’a vu.

 

 

Scène X

 

LE BARON, LE MARQUIS.

 

Arlequin sort.

LE MARQUIS.

Je te cherche, Baron, et je suis dans l’ivresse,

Écoute.

LE BARON.

Je ne puis, un autre soin me presse.

LE MARQUIS.

J’implore ton secours, tu peux seul me servir,

Et tu dois sur le champ me faire ce plaisir.

Ce sont des Vers pour moi qu’il faut que tu composes.

LE BARON.

Des Vers ! fi donc, Marquis, qu’est-ce que tu proposes ?

LE MARQUIS.

Je t’en prie.

LE BARON.

Ah ! la rime est un art roturier,

Qu’un homme comme moi doit rougir d’employer.

LE MARQUIS.

Les Vers sont à présent un don que je révère.

LE BARON.

On respecte un talent, qui devient nécessaire.

LE MARQUIS.

Fais trêve, cher Baron, à ton ressentiment,

Je demande ces Vers pour un objet charmant,

C’est un devoir pour moi, j’ai besoin de ton aide.      

LE BARON.

La Comtesse est sans doute...

LE MARQUIS.

Ami, je te la cède,

J’en aime un autre.

LE BARON.

Puis-je apprendre qui c’est ?

LE MARQUIS.

Non.

Il ne m’est pas permis de te dire son nom.

Pour de justes raisons j’en dois faire un mystère.

La seule confidence ici que je puis faire,

Est que ce bel objet, qui craint d’être nommé

M’aime secrètement autant qu’il est aimé :

Je viens d’en recevoir la preuve convaincante

Dans ces Vers amoureux dont le style m’enchante.

Sur le doute pressant que j’en avais marqué,

Son cœur, son tendre cour s’est enfin expliqué ;

Ce billet me surprend presqu’autant qu’il me flatte.

LE BARON.

Tu lui peux, en réponse écrire une Sonate.

LE MARQUIS.

Oh ! ne plaisante pas, Baron, à cet égard,

Un écrit si galant veut des vers de ma part ;

C’est la cause, entre-nous, de ma peine secrète ;

Je suis fidèle Amant, mais fort mauvais Poète ;

Voilà ce qui m’oblige à recourir à toi.

Pour te déterminer à travailler pour moi,

Je vais te lire, ami, les vers de ma Maîtresse ;

C’est l’ouvrage tout pur de la délicatesse,

Et pour le bien sentir, il faut avoir aimé.

Écoute, tu vas être et surpris et charmé.

Il lit.

Je vous nomme sans que j’y pense ;

Votre entretien me charme, et je crains votre absence.

J’aime à causer tous vos désirs.

LE BARON.

Ai-je bien entendu ? je suis d’une surprise...

LE MARQUIS.

Elle sera plus grande, attends, que je te lise.

Il reprend.

J’aime à causer tous vos désirs.

Et votre rencontre imprévue

Me donne de certains plaisirs,

Que je ne sens qu’à votre vue.

Vous m’avez seul appris l’usage des soupirs.

LE BARON.

Oh ! ce sont eux.

LE MARQUIS poursuit.

Je songe a vous malgré moi-même,

Je crois vous voir la nuit ; je vous cherche le jour.

Si ce n’est pas là comme on aime,

Apprenez-moi ce que c’est que l’amour.

LE BARON.

Qui croirait, juste ciel ! qu’une jeune personne

Pût porter à ce point...

LE MARQUIS.

Oh ! tant d’esprit t’étonne.

N’est-il pas vrai, Baron, qu’un talent si parfait

Est rare en une fille ?

LE BARON.

Oui, très rare en effet ;

Mais j’en veux par mes yeux voir la preuve bien claire.

Il arrache le papier des mains du Marquis.

LE MARQUIS.

Qu’est-ce donc que tu fais ?

LE BARON.

C’est là son caractère,

Je reconnais sa main. Ah ! le tour est sanglant !

Peut-on jouer un homme aussi cruellement ?

LE MARQUIS.

Quel tour ? est-ce l’effet d’un transport poétique ?

LE BARON.

J’étouffe.

LE MARQUIS.

Explique-toi.

LE BARON.

L’aventure est unique.

Je ne puis concevoir, ni digérer ce trait.

C’est moi qui suis l’auteur de l’aveu qu’on lui fait ;

Quand je crois sottement travailler pour moi-même.

Perfide !

LE MARQUIS.

Toi, l’Auteur ! de quoi ? De ce Poème ?

LE BARON.

Je m’écris en son nom. Elle me l’a permis ;

Et c’est pour envoyer mon ouvrage au Marquis.

LE MARQUIS.

Quoi ? ton cerveau pour moi s’est donné la torture ?

Il a produit les vers dont j’ai sait la lecture,

Mais rien n’est plus charmant, mais rien n’est plus poli.

Voilà ce qui s’appelle un service d’ami,

Mon cher, éclaircis-moi ce surprenant mystère.

LE BARON.

Ah ! je t’en ai trop dit, et ma juste colère...

LE MARQUIS.

Voilà ces Dames. Paix. Elles viennent à nous.

LE BARON.

Je sens, à son aspect, redoubler mon courroux.

 

 

Scène XI

 

LE MARQUIS, LE BARON, LA COMTESSE, LUCILE

 

LA COMTESSE.

Messieurs, je viens tenir à tous deux ma promesse.

Votre hommage, Baron, a su plaire à ma Nièce.

Elle m’a fait l’aveu de ses vrais sentiments,

Et j’unis votre sort au sien dans ces moments.

Mon estime pour vous n’a plus rien qui m’arrête.

Ma main sera, Marquis, le prix de votre Fête.

Que vois-je ? À ce discours, vous reculez tous trois ?

On dirait que vos cours répugnent à ce choix.

LE BARON, bas à Lucile.

Votre esprit m’a joué d’une façon cruelle

Et pour rendre aujourd’hui ma vengeance éternelle,

Perfide, je vous vais épouser à l’instant.

LUCILE, à part.

Juste ciel ! j’en frémis, quel supplice effrayant !

LA COMTESSE.

Vous soupirez, ma Nièce, et votre Amant murmure.

D’un caprice pareil, que faut-il que j’augure.

Mais le Marquis lui-même est consterné comme eux,

Leur silence me lasse, et pour former ces nœuds,

Lucile, approchez-vous, il est temps de conclure.

LUCILE.

Je me jette à vos pieds, ma Tante, et vous conjure

De ne pas achever un nœud mal assorti.          

LA COMTESSE.

Je vous donne l’époux que vous avez choisi.

LUCILE.

Non, un autre est l’objet de ma secrète flamme.

À ce sincère aveu, l’effroi force mon âme.

LA COMTESSE.

Comment ! vous n’aimez pas en effet le Baron ?

Ah ! c’est donc le Marquis.

LUCILE.

Ah ! Madame, pardon.

Avec lui dans ce jour vous allez être unie.

Par cet hymen cruel je suis assez punie.

N’étendez pas plus loin votre rigueur sur moi.

LA COMTESSE.

Votre bouche est sincère, et j’en crois votre effroi.

C’est l’effort, où mon art a voulu vous contraindre.

J’ai dévoilé votre âme, et je cesse de feindre.

Vous outrez la réserve, et d’un si grand défaut,

J’ai voulu vous punir, ou corriger plutôt.

Ma Nièce, à l’avenir soyez moins défiante,

Vous avez mal jugé du cœur de votre Tante ;

Et pour vous le prouver, je veux qu’un doux lien,

Vous unisse au Marquis, et j’y joins tout mon bien.

LUCILE.

Quelle bonté !

LA COMTESSE, au Baron et au Marquis.

Ce mot doit calmer vos alarmes.

Je ne suis point, Messieurs, éprise de vos charmes.

J’ai feint de l’être, exprès pour éprouver son cœur,

Et je borne mes vœux à faire son bonheur.

LE MARQUIS.

Vous comblez tous les miens par ce bienfait, Madame.

LUCILE.

Comment le reconnaître ?

LA COMTESSE.

Ah ! s’il change votre âme,

J’en serai trop payée.

LUCILE.

Oui, je vous le promets.

Vous serez mon conseil, mon guide désormais.

Et vous m’ouvrez les yeux sur mon erreur extrême.

De son trop de réserve, on est dupe toujours ;

Et la sincérité sert mieux que les détours.

LE MARQUIS.

Mon chant a le dessus, et de ta Poésie,

Je recueille le fruit, dont je te remercie.

LUCILE.

Moi, j’ai pu disposer des vers que vous rimez.

Dans Villedieu, Monsieur, ils sont tous imprimés,

Et la plaisanterie est le juste salaire,

Que méritent les soins d’un Auteur Plagiaire.

LE BARON.

Copiste selon vous, je puis à d’autres yeux

Paraître original, et vous fais mes adieux.

LA COMTESSE, au Baron.

Au Pigeon, pour le coup, la Colombe est ravie.

LE BARON.

Certaine Tourterelle, en secret mon amie,

Va m’en dédommager, et je cours la trouver,

L’Hymen est une cage ; heureux de s’en sauver.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

LE MARQUIS, LA COMTESSE, LUCILE, MONSIEUR DU BERCEAU

 

LE MARQUIS.

De Monsieur du Berceau que tout l’art se déploie,

Qu’il célèbre ma gloire, et qu’il peigne ma joie.

MONSIEUR DU BERCEAU.

Me voici prêt, Monsieur, vous serez satisfait,

Pour ne laisser nul vide, agréez qu’un Ballet

Précède l’artifice.

LE MARQUIS.

Étant fait à la hâte,

Sera-t-il bon, parlez ?

MONSIEUR DU BERCEAU.

Oui, Monsieur, je m’en flatte.

Je n’ai garde, vraiment, d’en donner de mauvais ;

On n’accorde ce droit qu’à Messieurs les Français.

Que des Artificiers la Troupe se signale,

Et que leurs entrechats remplissent l’intervalle.

Favoris de Vulcain, secondez-moi, morbleu !

Tonnons, lançons la foudre, et mettons tout en feu !

Forçons ici la nuit à nous prêter ses voiles,

Faisons, en plein midi, faisons voir des étoiles,

Qu’une horrible Comète épouvante les yeux,

Non, désarmons mon bras, à l’exemple des Dieux.

Que le calme et le jour succèdent au tonnerre,

Que la charmante Iris les annonce à la terre ;

Que son arc soit nué des plus tendres couleurs,

Et qu’il soit applaudi de tous les Spectateurs.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

ARTIFICIERS et ARTIFICIÈRES

 

Air.

Accourez, Cyclopes nouveaux,
Faites briller vos feux, votre victoire est sûre.
Chaque talent à ses Héros.
Votre art devient rival de la peinture,
Il offre aux yeux les plus brillants tableaux,
Et son modèle est la nature.

Accourez, Cyclopes nouveaux,
Faites briller vos feux, votre victoire est sûre.

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