Le Philosophe marié (DESTOUCHES)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain,  le 15 février 1727.

 

Personnages

 

ARISTE

DAMON, ami d’Ariste, et amant de Céliante

LE MARQUIS DU LAURET, autre ami d’Ariste, et amant de Mélite

LISIMON, père d’Ariste

GÉRONTE, oncle d’Ariste

MÉLITE, femme d’Ariste

CÉLIANTE, sœur aînée de Mélite

FINETTE, suivante de Mélite

UN LAQUAIS

 

La Scène est à Paris, chez Ariste.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un cabinet de livres. Ariste est assis vis-à-vis une table, sur laquelle il y a une écritoire et des plumes, des livres, des instruments de mathématiques et une sphère.

 

 

Scène première

 

ARISTE, seul, en robe de chambre

 

Oui, tout m’attache ici ; j’y goûte, avec plaisir,

Les charmes peu connus d’un innocent loisir ;

J’y vis tranquille, heureux, à l’abri de l’envie :

La folle ambition n’y trouble point ma vie :

Content d’une fortune égale à mes souhaits,

J’y sens tous mes désirs pleinement satisfaits.

Je suis seul en ce lieu, sans être solitaire,

Et toujours occupé, sans avoir rien à faire.

D’un travail sérieux veux-je me délasser,

Les muses, aussitôt, viennent m’y caresser.

Je ne contracte point, grâce à leur badinage,

D’un savant orgueilleux l’air farouche et sauvage.

J’ai mille courtisans rangés autour de moi :

Ma retraite est mon Louvre, et j’y commande en roi.

Mais je n’use qu’ici de mon pouvoir suprême.

Hors de mon cabinet je ne suis plus le même.

Dans l’autre appartement, toujours contrarié :

Ici, je suis garçon : là, je suis marié.

Marié ! C’est en vain que l’on se fortifie,

Par le grave secours de la philosophie,

Contre un sexe charmant que l’on voudrait braver :

Au sein de la sagesse il sait nous captiver.

J’en ai fait, malgré moi, l’épreuve malheureuse.

Mais ma femme, après tout, est sage et vertueuse ;

Plus amant que mari, je possède son cœur ;

Elle fait son plaisir de faire mon bonheur.

Pourquoi, contre l’hymen, est-ce que je déclame ?

Ma femme est tout aimable ; oui, mais elle est ma femme.

En elle j’aperçois des défauts chaque jour,

Qu’elle avait, avec art, cachés à mon amour.

Sexe aimable et trompeur ! c’est avec cette adresse

Que vous savez des cœurs surprendre la tendresse.

Insensé que j’étais ! Ai-je dû présumer

Que le Ciel, pour moi seul, eût pris soin de former

Ce qu’on ne vit jamais, une femme accomplie ?

Je l’ai cru cependant, et j’ai fait la folie.

C’est à moi, si je puis, d’éviter tous débats ;

De prendre patience, et d’enrager bien bas.

Il se met à lire, le coude appuyé sur la table, en sorte que Damon entre sans être aperçu, et s’appuie sur le fauteuil d’Ariste. Ensuite Ariste dit par réflexion, et toujours sans le voir.

 

 

Scène II

 

ARISTE, DAMON

 

ARISTE.

Me voilà justement. C’est la vive peinture

D’un sage désarmé, dompté par la nature.

C’est toi, qui le premier, attaquant ma raison,

Sus me faire, à longs traits, avaler le poison,

Cruel ami ; c’est toi, dont la langue éloquente

Me fit de cet objet une image charmante :

Tu vantas sa douceur et sa docilité :

Ma confiance en toi fit ma crédulité.

DAMON.

Vous en repentez-vous ?

ARISTE, surpris en l’apercevant.

Ciel ! que viens-je d’entendre ?

Est-ce vous ?

DAMON.

C’est moi-même.

ARISTE.

À quoi bon me surprendre ?

DAMON.

Je ne vous surprends point. Vous me parliez, et moi

Je vous réponds.

ARISTE.

Fort bien. Je vous jure ma foi

Que je me croyais seul.

DAMON.

À mon tour, je vous jure

Que je suis fort surpris d’une telle aventure.

Je vois qu’en votre esprit me voilà décrié.

Quel crime ai-je donc fait ?

ARISTE, se levant brusquement.

Vous m’avez marié.

DAMON.

Le mal est-il si grand ?

ARISTE.

Il ne devrait pas l’être ;

Je m’en flattais, du moins.

DAMON.

N’êtes-vous pas le maître,

Si quelque chose ici vous peut blesser l’esprit,

D’y mettre ordre au plutôt ?

ARISTE.

Non. Car il est écrit

Qu’un mari doit toujours avoir lieu de se plaindre.

Jusques à ce moment j’avais su me contraindre :

Mais, puisque le hasard a trahi mon secret,

Avec vous, désormais, je serai moins discret.

DAMON.

Je ne vous comprends point.

ARISTE.

Pourquoi ?

DAMON.

Le mariage,

Quoi qu’on en puisse dire...

ARISTE.

Est un rude esclavage.

DAMON.

Pour les femmes.

ARISTE.

Bientôt vous aurez votre tour ;

Et, de ce que je dis, vous conviendrez un jour.

Vous verrez qu’un mari, qui s’est fait un système

De n’aimer que sa femme, et d’être aimé de même,

Doit, pour se conserver cette félicité,

N’avoir plus de raison, ni plus de volonté.

DAMON.

Pourquoi ? Quand une femme est douce et raisonnable...

ARISTE.

Cent belles qualités rendent la mienne aimable ;

Mais elle ne veut point se contraindre pour moi.

DAMON.

Que lui reprochez-vous ? Parlez de bonne foi.

ARISTE.

Son indiscrétion, qui me tient en cervelle,

Et me cause, à toute heure, une frayeur mortelle.

Il semble que ce soit son plaisir favori

De laisser entrevoir que je suis son mari.

Chaque jour elle fait nouvelle connaissance,

Et chaque jour, aussi, nouvelle confidence,

À des femmes, surtout. Jugez si mon secret

N’est pas en bonnes mains.

DAMON.

Je prévois à regret

Que votre intention ne sera pas suivie.

Mais, au fond, pensez-vous que toute votre vie

Vous serez marié sans qu’on en sache rien ?

ARISTE.

Plût au ciel !

DAMON.

Et, pourquoi ?

ARISTE.

C’est qu’un secret lien

Formé depuis deux ans, à l’insu de mon père,

M’expose, tôt ou tard, à sa juste colère.

DAMON.

Deux mots l’apaiseront. Son amitié pour vous...

ARISTE.

Mais, je crains sa douleur bien plus que son courroux.

Vous savez à quel point je l’aime et le respecte :

Ma tendresse, pour lui, lui deviendra suspecte,

S’il est instruit, enfin, d’un hymen contracté

Sans son consentement, sans l’avoir consulté.

Ce n’est pas seulement cette délicatesse

Qui m’oblige au secret. Entre nous, ma faiblesse

Est de rougir d’un titre et vénérable et doux,

D’un titre autorisé, du beau titre d’époux,

Qui me fait tressaillir lorsque je l’articule,

Et que les mœurs du temps ont rendu ridicule.

Ce motif, je le sens, n’est pas des plus sensés ;

Mais...

DAMON.

C’est avec raison que vous vous dispensez

À tout autre qu’à moi d’en faire confidence ;

Et ce serait à vous une grande imprudence,

Si vous n’appuyiez pas sur un autre motif

Dicté par l’intérêt, et bien plus positif,

Celui de ménager un oncle fort avare,

Quoique puissamment riche ; assez dur et bizarre

Pour vous déshériter indubitablement,

S’il vous sait marié sans son consentement.

Voilà, pour votre femme, une raison puissante.

ARISTE.

La rage de parler est encor plus pressante.

Mais ma femme, après tout, n’est pas la seule ici

Qui m’expose à l’éclat, et me met en souci :

Sa sœur, plus imprudente, et si capricieuse,

Qu’un moment elle est gaie, un moment sérieuse,

Riant, pleurant, jasant, se taisant tour à tour,

Enfin, changeant d’humeur mille fois en un jour ;

Sa sœur, votre future, et qui, par parenthèse,

Vous donnera tout lieu d’enrager à votre aise,

Me met au désespoir par ses fréquents écarts,

Et de plus, nous amène ici de toutes parts

Un tas d’originaux, d’ennuyeuses commères,

Qui me font avaler cent pilules amères,

Lorsque, pour mon malheur, je vais imprudemment,

Pour lui rendre visite, à son appartement.

Dès que j’entre, on se tait. On se parle à l’oreille.

On sourit. Par degrés le caquet se réveille.

Toutes parlent ensemble. Et ce que je comprends

Par leurs discours confus, leurs gestes différents,

C’est que ma belle-sœur, fine et dissimulée,

A mis dans mon secret la discrète assemblée,

Et que je dois compter que, dans fort peu de jours,

J’aurai, pour confidents, la ville et les faubourgs.

DAMON.

Je suis au désespoir d’une telle imprudence :

Et je vais, de ce pas, quereller d’importance

Madame votre femme, et votre belle-sœur.

ARISTE.

Non : je crois qu’il vaut mieux leur parler en douceur.

Mais avertissez bien ma prudente compagne

Qu’elle me forcera de fuir à la campagne,

Et de m’y confiner pour n’en sortir jamais,

Si le secret n’est pas mieux gardé désormais.

DAMON, avec un souris malin.

Soit. Mais vous, employez votre art, votre science,

À vous mettre en état de prendre patience.

ARISTE, sur le même ton.

Et vous, pour m’imiter, et par précaution,

D’avance, faites-en bonne provision :

Vous en aurez, ma foi, plus besoin que moi-même.

Je connais Céliante, et je crains...

DAMON.

Moi, je l’aime.

Ses défauts n’auraient rien qui me pût effrayer,

S’il ne s’agissait plus que de nous marier.

Forcé de lui cacher mon nom et ma naissance,

Je vois, sur mon sujet, que sa fierté balance,

Excite son caprice, et lui fait croire enfin

Qu’elle s’abaisserait en me donnant la main ;

Mais elle m’aime, au fond. Et si jamais mon frère

Vient à bout d’assoupir la malheureuse affaire

Que je n’ai sur les bras que par un point d’honneur,

Je me ferai connaître à votre belle-sœur.

ARISTE.

Le plutôt vaut le mieux, croyez-moi.

DAMON.

Je vous quitte,

Et vais gronder pour vous Céliante et Mélite.

 

 

Scène III

 

ARISTE, seul

 

Je brûle de le voir par l’hymen engagé ;

Plus il enragera, mieux je serai vengé.

Il retourne à sa table, et se remet à lire.

 

 

Scène IV

 

ARISTE, FINETTE, qui observe quelque temps Ariste avant que de parler

 

FINETTE, à part.

Toujours lire !

Haut.

Monsieur, madame votre femme...

ARISTE.

Crie encore plus haut.

FINETTE.

Très volontiers. Madame

Votre...

ARISTE.

J’ai défendu cent fois depuis deux ans,

Que jamais ce mot-là fût prononcé céans :

Ne t’en souvient-il pas ?

FINETTE.

Oui. Mais quand je l’oublie,

Quel tort vous fait cela, Monsieur, je vous supplie ?

ARISTE.

Premièrement, celui de me désobéir.

FINETTE.

Passe.

ARISTE.

Secondement...

FINETTE.

J’enrage. À vous ouïr,

On s’imaginerait que c’est faire un grand crime,

De donner à Madame un titre légitime.

ARISTE.

Finette !

FINETTE.

Quoi, Monsieur ?

ARISTE.

Il faudrait m’écouter,

Quand je parle.

FINETTE.

Ah ! vraiment, qui voudrait s’arrêter

À tous vos beaux discours, et les suivre à la lettre,

Ne cesserait jamais...

ARISTE.

Voulez-vous bien permettre

Que je dise deux mots ?

FINETTE.

Quatre, si vous voulez.

ARISTE.

Vous savez qu’un secret...

FINETTE.

Deux ans sont écoulés

Depuis que nous menons une vie équivoque.

Je n’y puis plus tenir, le secret me suffoque.

ARISTE.

Ma patience, enfin, pourrait bien se lasser.

FINETTE.

C’est conscience à vous que de vouloir forcer,

Pendant deux ans entiers, des femmes à se taire.

Pour moi, j’aimerais mieux vivre en un monastère,

Jeûner, prier, veiller, et parler tout mon soû.

ARISTE, se levant.

Parlez, morbleu ! parlez ; je ne suis pas si fou

Que de vouloir tenir vos langues inutiles :

Sur un point, seulement, qu’elles soient immobiles,

Ce n’est que sur ce point que je l’ai prétendu.

FINETTE.

Oui ; mais ce point, Monsieur, c’est le fruit défendu ;

Et voilà justement ce qui nous affriande.

Parmi vingt bons ragoûts, la plus grossière viande,

Que l’on me défendrait constamment de goûter,

Serait le seul morceau qui pourrait me tenter.

Jugez, après cela, si je n’ai pas la rage

De parler librement sur votre mariage.

ARISTE.

Quel travers ! Quel esprit de contradiction !

Quel fonds d’intempérance et d’indiscrétion !

Voilà les femmes.

FINETTE.

Soit. Mais, telles que nous sommes,

Avec tous nos défauts, nous gouvernons les hommes,

Même les plus huppés ; et nous sommes l’écueil

Où viennent échouer la sagesse et l’orgueil.

Vous ne nous opposez que d’impuissantes armes :

Vous avez la raison, et nous avons les charmes ;

Le brusque philosophe, en ses sombres humeurs,

Vainement, contre nous, élève ses clameurs ;

Ni son air renfrogné, ni ses cris, ni ses rides,

Ne peuvent le sauver de nos yeux homicides.

Comptant sur sa science et ses réflexions,

Il se croit à l’abri de nos séductions.

Une belle paraît, lui sourit, et l’agace :

Crac... au premier assaut elle emporte la place.

ARISTE, à part.

Voilà précisément mon histoire en trois mots.

FINETTE.

Je brûle de vous voir trois ou quatre marmots

Braillants autour de vous ; et vous-même en cachette,

Jouant à cache-cache, ou bien à climussette..

ARISTE, à part.

La friponne a raison de rire à mes dépens,

Et ses discours malins sont remplis de bon sens.

Haut.

Faisons trêve, de grâce, à tout ce badinage.

Je veux, encore un temps, cacher mon mariage,

Pour n’être point privé de la succession

D’un oncle, dont le bien fait mon ambition.

FINETTE.

Quoi ! vous ambitieux ? Je vois qu’un philosophe

Est fait comme un autre homme, et de la même étoffe.

Et, qu’avez-vous donc fait de ces beaux sentiments

Que vous nous étaliez, Monsieur, à tous moments ?

« Le comble, disiez-vous, de toutes les faiblesses,

« C’est de ne point guérir de la soif des richesses.

« Que cette hydropisie a fait de malheureux !

« Mais, pour moi, ma fortune a surpassé mes vœux ;

« Un trésor de vertus est le seul où j’aspire,

« Et mon cœur, pour l’avoir, céderait un empire ».

Et zeste, si quelqu’un vous pouvait prendre au mot,

Vous diriez : serviteur, je ne suis pas si sot.

ARISTE.

Tu te trompes. Je suis dans les mêmes maximes,

Mais je sais leur donner des bornes légitimes ;

Et je serais maudit, un jour, par mes enfants,

Si j’étais philosophe à leurs propres dépens.

Il ne faut rien outrer, quand on veut être sage :

Je dois leur ménager un puissant héritage.

FINETTE.

Ce motif est louable, il faut vous y tenir.

Mais, messieurs vos enfants sont encore à venir ;

Peut-être viendront-ils. Cependant...

ARISTE.

Quoi !

FINETTE.

J’augure

Que vous n’aurez jamais grande progéniture,

ARISTE.

Mais, je n’ai pas trente ans. À mon âge, je crois...

FINETTE.

On dit qu’on n’a jamais tous les dons à la fois,

Et que les grands esprits, d’ailleurs très estimables,

Ont fort peu de talent pour former leurs semblables.

ARISTE.

Finette a de l’esprit, et s’en sert joliment :

Il faut faire réponse à son doux compliment.

On souffre un temps les airs d’une fille suivante,

Que trop de bonté gâte, et rend impertinente :

Elle offense, elle aigrit sans s’en embarrasser ;

Un jour elle conclut par se faire chasser.

Je pense que Finette est assez raisonnable

Pour prendre en bonne part cet avis charitable,

Et pour en profiter avec attention,

Sinon, gare l’instant de la conclusion.

FINETTE.

Ce conseil aigre-doux mérite une réplique.

Je vois qu’un philosophe est mauvais politique,

Puisqu’il n’observe pas que c’est être indiscret,

Que de chasser quelqu’un qui sait notre secret ;

Surtout si ce quelqu’un est d’un sexe qui penche

Au plaisir de jaser, et d’avoir sa revanche.

ARISTE.

Ta réplique est très juste ; et les maîtres prudents

Doivent, au poids de l’or, payer leurs confidents.

Il lui donne de l’argent.

Voici pour t’apaiser, et t’imposer silence,

À part.

Mon lot est de souffrir, et d’avoir patience.

FINETTE.

Votre secret, Monsieur, grandement me pesait :

Mais ceci le rendra plus léger qu’il n’était.

Par vos riches leçons je me sens plus discrète :

Répétez-les souvent, et je serai muette.

ARISTE.

S’il ne tient qu’à cela, je puis compter sur toi.

FINETTE.

Tant que vous paierez bien, je vous réponds de moi.

Mais, à propos, vraiment, j’oubliais de vous dire

Que votre femme... non, que Madame désire...

ARISTE.

Madame ?

FINETTE.

Ma maîtresse. Ah ! j’y suis. Dieu-merci :

Que ma maîtresse donc voudrait venir ici,

Pour vous entretenir sur certaines affaires...

ARISTE.

Nos entretiens de jour sont fort peu nécessaires ;

Nous aurons, cette nuit, le temps de nous parler.

De grâce, empêche-la de venir me troubler ;

Pendant une heure ou deux, il faut que je médite.

FINETTE.

Cela suffit, je vais vous sauver sa visite.

 

 

Scène V

 

ARISTE, seul

 

La douceur et l’argent sont plus persuasifs

Que les raisonnements les plus démonstratifs ;

Et ce sont, à mon gré, deux moyens infaillibles

Pour corriger les gens les plus incorrigibles.

La maligne Finette à ma bourse sourit :

Je pourrai gouverner ce dangereux esprit.

Maintenant que je suis plus calme et plus tranquille,

Employons mon loisir à quelque ouvrage utile.

 

 

Scène VI

 

ARISTE, MÉLITE

 

ARISTE, apercevant sa femme.

Comment, c’est vous ?

MÉLITE.

Mon Dieu ! d’où vient cette frayeur ?

Est-ce donc que ma vue inspire tant d’horreur ?

ARISTE.

Eh ! non, vous m’êtes cher autant qu’on puisse l’être :

Mais, dans mon cabinet, désirez-vous paraître ?

Je vous ai fait prier de ne pas y venir.

MÉLITE.

Oui : mais j’avais dessein de vous entretenir

Sur un fait important, auquel il faut mettre ordre.

ARISTE.

De ce que vous voulez, rien ne vous fait démordre.

MÉLITE.

Devez-vous me blâmer, si je cherche à vous voir ?

Je contente mon goût, et je fais mon devoir.

ARISTE.

Le devoir d’une femme est d’être complaisante.

MÉLITE.

Tranchez le mot, mon cher, dites obéissante.

Vous n’aimez d’un mari que son autorité ;

Je lui dois immoler toute ma liberté.

ARISTE.

Il n’est point question d’un pareil sacrifice.

Me traiter de tyran, c’est me faire injustice :

J’exige des égards, et non pas des respects ;

Cachez votre secret par des soins circonspects ;

C’est tout ce que je veux de votre complaisance,

Et vous obtiendrez tout de ma reconnaissance.

MÉLITE.

Vous distraire un moment : est-ce vous offenser ?

ARISTE.

Si quelqu’un survenait, que pourrait-il penser ?

MÉLITE.

Eh mais ! il penserait...Après tout, que m’importe ?

ARISTE.

Ciel ! peut-on de sang-froid m’assommer de la sorte ?

Que vous importe ? Eh quoi ! pouvez-vous oublier

Le motif qui m’engage à ne rien publier ?...

Que dis-je ? qui me force à tout mettre en usage

Pour ôter tout soupçon de notre mariage ?

MÉLITE.

Cela ne se peut pas.

ARISTE.

Non, si vous en parlez.

MÉLITE.

Pour moi, je m’asservis à ce que vous voulez.

Mais, comment empêcher que le monde ne voie ?

ARISTE.

Tout va se découvrir.

MÉLITE.

Que j’en aurais de joie !

ARISTE.

Toujours contrarier !

MÉLITE.

Vous avoir pour époux

Est un bonheur, pour moi, si touchant et si doux ;

Il me flatte à tel point, j’en suis si glorieuse,

Que, s’il était connu, je serais trop heureuse.

Si je suis criminelle en marquant ce désir,

Mon crime, je l’avoue, est mon plus grand plaisir.

ARISTE, à part.

Me voilà désarmé pour être trop sensible.

L’adresse d’une femme est incompréhensible.

MÉLITE.

Vous me voulez du mal, et je ne sais pourquoi.

ARISTE.

Non ; si je suis fâché, ce n’est que contre moi.

MÉLITE.

La raison, s’il vous plaît ?

ARISTE.

D’avoir eu la faiblesse

De vous croire discrète, et femme de promesse :

Car vous m’aviez promis, très solennellement,

Avant que nous prissions aucun engagement,

Que, tant que je voudrais qu’on en fît un mystère,

Votre sœur en serait seule dépositaire.

MÉLITE.

Il est vrai.

ARISTE.

Toutefois, grâce à vos soins prudents

Nous avons aujourd’hui nombre de confidents.

MÉLITE.

Accusez-en ma sœur, dont la langue indiscrète

Ne peut tenir long-temps une affaire secrète.

Jamais, sur ce sujet, je ne vous ai trahi.

Je n’ai, jusqu’à présent, que trop bien obéi.

ARISTE.

Vous en repentez-vous ?

MÉLITE.

Oui.

                                                                     ARISTE.

Quelle en est la cause ?

MÉLITE.

À d’indignes soupçons votre secret m’expose

Nous demeurons ensemble ; et j’apprends tous les jours,

Que cela fait tenir d’impertinents discours.

Je n’en murmure pas. De ma seule innocence

Je me fais un rempart contre la médisance ;

Et, sacrifiant tout à mon affection,

Je laisse déchirer ma réputation.

Mais, puisqu’à cet excès il faut que j’obéisse,

Je demande le prix d’un si dur sacrifice.

ARISTE.

Eh quoi ?

MÉLITE.

C’est que, du moins, le Marquis du Lauret,

Ou par vous, ou par moi, sache notre secret.

ARISTE.

Le Marquis ! Pouvez-vous me tenir ce langage ?

C’est l’homme à qui je veux me cacher davantage.

Quoiqu’il soit courtisan, et qu’il ne sache rien,

C’est un sage, caché sous un joyeux maintien,

Et qui ne connaît pas de plus grande faiblesse

Que de prendre une femme, et même une maîtresse,

Soutenant qu’il n’est point d’autre félicité,

Que d’être à tous égards, en pleine liberté.

Faut-il vous dire plus ? Cent fois, en sa présence,

J’ai défendu sa thèse avec tant d’imprudence,

Que, s’il sait une fois que je suis marié,

Par ses traits, en tous lieux je serai décrié.

MÉLITE.

Quoi donc ! doit-on rougir des nœuds du mariage ?

ARISTE.

On doit rougir, du moins, de changer de langage,

De principes, d’humeur, ou soutenir l’affront

D’être tympanisé : je n’en ai pas le front.

MÉLITE.

Cependant il faut bien vaincre cette faiblesse,

Et tout dire au Marquis.

ARISTE.

Et quel motif vous presse

De lui déclarer tout ?

MÉLITE.

Un jour vous le saurez ;

Et ce sera pour lorsque vous l’approuverez.

ARISTE.

Sachons donc ce motif.

MÉLITE.

Il est très raisonnable,

Et, pour ne rien celer, il est indispensable.

ARISTE.

Pourquoi ? Vous m’étonnez.

MÉLITE.

Je ne dirai plus rien.

ARISTE.

Poursuivez ; je le veux.

MÉLITE.

Vous le voulez ? Eh bien !

Ce sage courtisan, ce railleur si terrible,

Qui croit qu’on n’est point sage, à moins qu’être insensible,

Quand il sort de chez vous, ne passe pas un jour

Sans venir me chercher, pour me parler d’amour.

ARISTE.

À vous ?

MÉLITE.

À moi.

ARISTE.

Mélite !

MÉLITE.

Eh bien ?

ARISTE.

Quelle apparence

Que...

MÉLITE.

J’avais résolu de garder le silence,

De peur de vous commettre avec lui. Mais enfin

Sa poursuite me cause un violent chagrin :

Pour la faire cesser, le moyen le plus sage

Est de lui faire part de notre mariage.

Décidez, s’il vous plaît, mais décidez dans peu,

Qui de vous, ou de moi, lui fera cet aveu.

Je vous laisse un moment rêver à cette affaire.

Mais, ce jour expiré, je ne puis plus me taire.

 

 

Scène VII

 

ARISTE, seul

 

Attendez... Elle fuit. Quel embarras maudit !

Dois-je donner croyance à ce qu’elle me dit ?

Cela ne peut pas être ; et le Marquis... Je gage

Qu’elle invente ce trait pour... Non, elle est trop sage,

Et je lui ferais tort d’oser la soupçonner.

Mais enfin, que conclure et que déterminer ?

Le Marquis amoureux ! dans le fond de mon âme

Je suis ravi... De quoi ? Qu’il en conte à ma femme ?

Cela n’est point plaisant. Mon honneur effrayé...

Mon honneur... Qu’on est sot, quand on est marié !

Allons voir le Marquis. Tâchons, avec adresse,

De lui faire, à moi-même, avouer sa faiblesse :

Plus elle sera grande, et moins je le craindrai.

Ensuite il faudra voir quel parti je prendrai.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une salle.

 

 

Scène première

 

CÉLIANTE, FINETTE

 

CÉLIANTE.

Le Marquis du Lauret va venir ?

FINETTE.

Oui, Madame.

CÉLIANTE.

Crois-tu qu’il m’aime ?

FINETTE.

Non.

CÉLIANTE.

Dans le fond de mon âme

J’en suis au désespoir.

FINETTE.

Oh ! je n’en doute pas.

La plus rare Beauté n’a pour lui nul appas.

CÉLIANTE.

C’est ce qui me ferait souhaiter sa conquête ;

Et j’en viendrais à bout, si je l’avais en tête.

Il est un certain art, que je sais à ravir,

Pour fixer un tel homme, et pour se l’asservir.

FINETTE.

Je vous conseille donc de tenter l’aventure.

CÉLIANTE.

Parles-tu tout de bon ?

FINETTE.

Sans doute.

CÉLIANTE.

Je te jure.

Que bientôt de mes yeux il sentira les coups.

Je veux, dès aujourd’hui, le voir à mes genoux.

FINETTE.

S’il vous aime une fois, à quoi tend l’entreprise ?

CÉLIANTE.

À lui dire pour lors que mon cœur le méprise,

Qu’un grand bien, cent aïeux, un haut rang dans l’État,

Ne peuvent m’imposer, à la suite d’un fat.

FINETTE.

Pour fat, il ne l’est point. C’est un homme qui pense

Que le parfait bonheur est dans l’indifférence :

Du reste, auprès du sexe il est respectueux,

Et se ferait aimer, s’il était amoureux.

Mais, je veux qu’il soit tel que vous le voulez croire ;

Je trouverais, pour vous, encore plus de gloire

À vous l’assujettir, à l’aimer tout de bon,

Qu’à vous sacrifier à votre beau Damon.

C’est l’ancien confident, c’est l’ami de mon maître ;

Vous l’aimez, cependant, si je puis m’y connaître,

Vous prétendez en faire un mari complaisant.

En ce cas, le Marquis vous conviendrait autant.

Les gens de qualité suivent toujours la mode ;

Et tout homme de cour doit être époux commode.

Voilà l’essentiel. Qu’importe qu’un mari

Soit fat, s’il vous permet d’avoir un favori ?

CÉLIANTE.

Mais, au fond, tu dis vrai.

FINETTE.

Comment ! Je vous étale

Tout ce qu’on peut prêcher de plus fine morale.

Rompez avec Damon : j’insiste sur ce point ;

N’étant pas gentilhomme, il ne vous convient point.

CÉLIANTE.

Tu te trompes, Finette ; et, malgré l’apparence,

Mon cœur me dit qu’il est d’une illustre naissance,

Et que par des raisons que nous saurons un jour...

FINETTE.

Ah ! voilà justement de vos romans d’amour.

Pour moi, je le connais, Sa tendresse empressée

N’est que le pur effet d’une âme intéressée.

Une tante, en mourant, vous a laissé des biens.

Dont il espère un jour rehausser ses moyens :

Voilà ce qui le rend si soumis, si facile :

Mais osez l’épouser, il sera moins docile.

CÉLIANTE.

J’entre dans tes raisons, et je les applaudis ;

Je me suis dit cent fois tout ce que tu me dis.

Depuis plus de deux ans, avec un soin extrême,

J’élude mon penchant, et le combats moi-même.

J’ai maltraité souvent un amant trop aimé :

Contre lui mon orgueil s’est hautement armé.

Enfin, pour me guérir, je me suis exilée ;

Tout cela vainement. Je suis ensorcelée...

Attends.

FINETTE.

Quoi ?

CÉLIANTE.

Je me sens aujourd’hui d’une humeur

À le désespérer.

FINETTE.

Quelque bonne vapeur

Vous serait à présent d’un secours admirable.

Quand vous extravaguez, vous êtes raisonnable.

CÉLIANTE.

Je ne me suis jamais trouvé tant de raison.

FINETTE.

Que Damon ne vient-il ! Mais vous ferez l’oison

Sitôt qu’il paraîtra.

CÉLIANTE.

J’excite mon courage

À lui faire plutôt quelque sensible outrage.

Prête-moi ton secours pour m’y déterminer.

Traitons quelque sujet propre à me chagriner.

Parle-moi de ma sœur.

FINETTE.

Hé bien donc ! ma maîtresse

De notre Philosophe a lassé la tendresse.

Il s’est abandonné, pour la première fois,

À des vivacités, qui, comme je prévois,

Pourront dégénérer en aigreur très fâcheuse,

Et rendre, quelque jour, votre sœur moins heureuse.

Cela vous déplaît-il ?

CÉLIANTE.

Non : tu me fais plaisir.

Un doux ravissement est prêt à me saisir.

Le bonheur de ma sœur excitait mon envie,

Et fait, depuis deux ans, le malheur de ma vie.

FINETTE.

Enragez donc, Madame, et pestez bravement ;

Leur querelle a produit un raccommodement

Si tendre, si touchant, et si rempli de charmes,

Que notre Philosophe en a versé des larmes.

Et moi, qui parle, moi, je ne puis y penser,

Sans sentir que mes yeux sont tout prêts d’en verser.

Elle pleure.

CÉLIANTE.

Ils s’aiment donc toujours ?

FINETTE.

Plus que jamais, Madame.

Mon maître est à présent l’esclave de sa femme.

CÉLIANTE.

Le sot !

FINETTE.

Plus elle prend le ton d’autorité,

Et plus, depuis une heure, il en est enchanté.

CÉLIANTE.

Je n’y puis plus tenir. Par quel charme, Mélite

Triomphe-t-elle ainsi d’un homme de mérite ?

S’il était mon mari, comme je le voudrais,

Plus il serait soumis, plus je l’approuverais.

Mais, avoir pour ma sœur une telle faiblesse !

C’est un aveuglement qui me choque et me blesse ;

J’en crève de dépit, et j’en suis en fureur.

FINETTE.

Ferme. Comment Damon est-il dans votre cœur ?

CÉLIANTE.

Comme un monstre.

FINETTE.

Fort bien. Le voici, ce me semble.

Il vient fort à propos, et je vous laisse ensemble.

Céliante, aussitôt que Finette est sortie, va se placer nonchalamment sur une chaise, et se met à rêver.

 

 

Scène II

 

CÉLIANTE, DAMON

 

DAMON regarde Céliante quelque temps, sans qu’elle fasse semblant de l’apercevoir.

Vous voulez être seule, à ce que je puis voir ?

CÉLIANTE.

Vous auriez dû d’abord vous en apercevoir :

Mais, vous ne sentez rien.

DAMON.

Quoique je vous ennuie,

Je ne puis me résoudre...

CÉLIANTE, d’un air dédaigneux.

À moins qu’on ne vous fuie,

On ne saurait jamais se défaire de vous.

DAMON, à part.

Elle est dans ses grands airs, il me faut filer doux.

Il s’assied dans un coin.

CÉLIANTE, vivement.

Je veux que vous sortiez.

DAMON.

Soit. Mais daignez m’apprendre

Pourquoi ?

CÉLIANTE, reprenant l’air dédaigneux.

Je n’ai, je pense, aucun compte à vous rendre.

DAMON.

J’en demeure d’accord. Mais si ma vive ardeur

M’engage...

CÉLIANTE, se levant brusquement.

Ah ! vous allez lâcher quelque fadeur.

DAMON.

Je ne dirai plus rien.

CÉLIANTE.

Ma vive ardeur m’engage !

Ne me tenez jamais ce doucereux langage :

Il me fait mal au cœur, je vous en avertis.

Votre goût et le mien sont bien mal assortis,

Ma vive ardeur !

DAMON, à part.

Il faut lui passer son caprice.

CÉLIANTE.

Vous prétendez, je crois, me traiter en novice ?

DAMON.

Mon Dieu ! non. Je sais bien que vous ne l’êtes pas.

CÉLIANTE.

Qu’entendez-vous par-là ? Sortez.

DAMON.

Tout de ce pas

Je vais me retirer.

CÉLIANTE, le retenant.

Non, non, je me ravise.

On ne dit point en face une telle sottise,

Sans avoir le dessein de rompre absolument.

Nous y procéderons dans un petit moment.

Mais je veux, qu’avant tout, votre bouche m’explique,

Ce que vous entendez par le trait satyrique

Qu’avec un fier souris vous m’avez décoché.

DAMON.

C’est vous qui, malgré moi, me l’avez arraché.

Vous croyez que je veux vous traiter en novice,

Moi je vous désabuse, et je vous rends justice.

CÉLIANTE.

Et comment ?

DAMON.

En disant que vous ne l’êtes point.

CÉLIANTE.

Mais, que voulez-vous dire ? Expliquez-moi ce point ?

DAMON.

Je veux dire... Eh ! parbleu, cela s’entend de reste.

CÉLIANTE.

Vous ne valez rien.

DAMON.

Moi !

CÉLIANTE.

Mon Dieu, qu’il est modeste !

C’est lui qu’il faut traiter en novice.

DAMON, en riant.

Entre nous,

Madame, je le suis... au même point que vous.

CÉLIANTE, avec fureur.

Je ne puis plus souffrir un tel excès d’outrage.

Vous m’en ferez raison.

DAMON.

C’est à quoi je m’engage.

CÉLIANTE.

Au plutôt.

DAMON.

À l’instant.

CÉLIANTE.

Et de quelle façon ?

DAMON.

Quoique vous m’appeliez pour vous faire raison,

Je vous laisse le choix du temps, du lieu, des armes :

Mais comme vous pourriez m’éblouir par vos charmes,

Pour rendre tout égal, ne conviendrez-vous pas

De choisir une nuit pour vider nos débats ?

Vous riez ?

CÉLIANTE.

Oui, je ris, quoique fort en colère.

Cette saillie est bonne, et ne peut me déplaire.

Elle rit plus fort.

DAMON.

Je suis ravi de voir, par votre procédé,

Que notre différend sera bientôt vidé.

CÉLIANTE, reprenant un air sérieux.

Non, Monsieur. Je vous jure une haine éternelle.

DAMON, à part.

Dans sa bizarrerie elle est toujours nouvelle ;

Mais je sais le moyen de la faire finir.

À Céliante.

Je vois que mon pardon ne se peut obtenir :

Quoiqu’à dire le vrai, j’ignore par quel crime

J’allume votre haine, et je perds votre estime.

Mes soupirs, mes respects, ne font que vous lasser.

Les inclinations ne se peuvent forcer.

Je le sens, j’en mourrai. Mais pour votre supplice,

Cruelle, après ma mort vous me rendrez justice.

Vous me regretterez, quand vous ne m’aurez plus,

Et vous serez en proie aux regrets superflus.

Adieu.

CÉLIANTE, s’attendrissant.

Damon, Damon !

DAMON, la regardant tendrement.

Ô trop funestes charmes !

CÉLIANTE.

Le traître m’attendrit, et m’arrache des larmes.

Écoutez.

DAMON.

Non, je veux que vous me regrettiez,

Et je vous laisse.

CÉLIANTE.

Et moi, je veux que vous restiez.

DAMON.

Je demeurerai donc ; mais c’est par complaisance.

CÉLIANTE.

Par complaisance ?

DAMON.

Ou bien par pure obéissance ;

Tout comme il vous plaira.

CÉLIANTE.

Je suis au désespoir !

DAMON.

De quoi ?

CÉLIANTE.

De ne pouvoir me passer de vous voir.

Je voudrais vous haïr... autant que je vous aime.

DAMON.

Hélas ! vous le pourrez sans une peine extrême.

Vous venez de jurer de me haïr toujours.

CÉLIANTE.

Ah ! comme je mentais !

DAMON.

Quel étrange discours !

Jurer de me haïr, quand, soigneux de vous plaire,

Je...

CÉLIANTE.

Tenez, je vous jure, à présent, le contraire.

DAMON.

Auquel des deux serments croirai-je, par hasard ?

CÉLIANTE.

Au dernier ; c’est le seul où mon cœur ait eu part.

DAMON.

Parlez-vous tout de bon ?

CÉLIANTE.

Oui, je vous le proteste,

L’esprit a commencé, le cœur a fait le reste.

Mon esprit vous outrage, et mon cœur s’attendrit.

DAMON.

Croyez donc votre cœur, et jamais votre esprit.

Mais encor, dites-moi par quel caprice étrange

Votre esprit contre moi se gendarme ?

CÉLIANTE.

Il se venge

De ce qu’il ne peut pas régler mes sentiments :

Il m’inspire souvent de certains mouvements

Qui suspendent l’effet du penchant qui m’entraîne,

Et tiennent du mépris, et même de la haine.

Vous êtes soutenu par l’inclination,

Mais souvent maltraité par la réflexion.

DAMON.

En voulant m’obliger, vous me faites injure.

J’ai donc bien des défauts dont votre esprit murmure.

CÉLIANTE.

Des défauts ! des défauts ! Je ne finirais point,

Si je voulais à fond examiner ce point.

DAMON.

Cette discussion n’est pas fort nécessaire.

CÉLIANTE.

Premièrement, Monsieur, sous un air très sincère,

Vous êtes faux, rusé, malin comme un démon.

DAMON.

Je pense...

CÉLIANTE.

Écoutez-moi, cela vaut un sermon.

De plus, vous vous croyez un mérite suprême,

Et vous n’estimez rien à l’égal de vous-même :

Vous vous raillez sous-main de vos meilleurs amis,

Quoique toujours près d’eux complaisant et soumis :

Votre intérêt vous guide, et seul vous détermine :

Chez vous, en grand secret, l’amour-propre domine :

Quand vous n’êtes point vu, vous courez au miroir,

Et vous vous régalez du plaisir de vous voir.

Ce portrait-là n’est pas fort à votre avantage ;

Mais, malgré vos défauts, je vous aime à la rage.

DAMON.

Quoique vous m’accusiez ici de fausseté,

Oserais-je imiter votre sincérité ?

CÉLIANTE.

Fort bien.

DAMON.

Vous êtes belle, aimable, généreuse :

Mais vous êtes hautaine, inquiète, orgueilleuse.

Le bonheur du prochain vous cause de l’ennui,

Et vous amaigrissez de l’embonpoint d’autrui.

Vous avez de l’esprit, mais souvent il s’égare ;

Il vous rend d’une humeur inconstante et bizarre.

Toute femme qui plaît vous trouve en son chemin ;

Et vos yeux font la guerre à tout le genre humain.

Votre sincérité, dont vous faites parade,

N’est jamais que l’effet d’une brusque incartade.

Sans choix, tout est pour vous matière à discourir,

Et le moindre secret vous fatigue à mourir.

Ce portrait-là n’est pas fort à votre avantage ;

Mais, malgré vos défauts, je vous aime à la rage.

CÉLIANTE.

Vous m’aimez ?

DAMON.

Que le ciel m’écrase en ce moment,

S’il fût jamais, Madame, un plus fidèle amant.

Bien que quelques défauts obscurcissent vos charmes,

Mon cœur, trop prévenu, n’en conçoit point d’alarmes.

CÉLIANTE.

Pour moi, j’en suis frappée ; ils m’alarment pour vous.

Vous me connaissez trop pour être mon époux :

On ne m’aura jamais sans me croire parfaite.

DAMON.

Hé bien ! vous l’êtes donc. Êtes-vous satisfaite ?

CÉLIANTE.

Non. Ce fade retour ne saurait me toucher.

DAMON.

J’ai voulu badiner, et non pas vous fâcher.

CÉLIANTE.

Puis-je compter encor sur votre complaisance ?

DAMON,

Sans doute.

CÉLIANTE.

Pour jamais évitez ma présence.

DAMON.

Vous raillez.

CÉLIANTE.

Point du tout. Partez dès ce moment,

Ou je ne réponds pas de mon emportement.

 

 

Scène III

 

CÉLIANTE, seule

 

Traître, de mes vertus tu fais un beau trophée !

S’il dit vrai, je suis folle et coquette fieffée ;

Pour folle, je le suis, puisque j’ai pu l’aimer.

Mais quoi ! n’est-il pas fait pour plaire et pour charmer ?

Cela n’est que trop vrai, c’est ce qui me désole.

Si je l’ai tant aimé, je ne suis donc pas folle.

Pour coquette, voyons, le suis-je ? Franchement,

Ce qu’il dit là-dessus n’est pas sans fondement.

Je le sens ; mais, au fond, est-ce un reproche à faire ?

Quoi ! peut-on être femme, et ne pas vouloir plaire ?

Toute femme est coquette, ou par raffinement,

Ou par ambition, ou par tempérament.

Je suis, ajoute-t-il, inquiète, envieuse :

J’ai grand tort d’enrager de voir ma sœur heureuse,

Et, moins belle que moi, posséder un époux

Qui ne devait jamais balancer entre nous.

J’ai de l’orgueil ? Hé bien ! suis-je si criminelle ?

Peut-on n’être pas fière, et savoir qu’on est belle ?

Je suis indiscrète ? Oui, quelque chose à peu près :

Mais, mon sexe est-il fait pour garder des secrets ?

Enfin je suis bizarre et d’un caprice extrême.

Rien n’est plus ennuyeux qu’être toujours la même.

Ainsi, monsieur Damon, tout pesé comme il faut,

Vous êtes un menteur, et je n’ai nul défaut.

 

 

Scène IV

 

MÉLITE, CÉLIANTE

 

MÉLITE.

Nul défaut ? Cet éloge est assez magnifique.

Vous ne faites pas mal votre panégyrique.

CÉLIANTE.

En êtes-vous contente ?

MÉLITE.

Assurément.

CÉLIANTE.

Fort bien ;

Quand je ferai le vôtre, il n’y manquera rien.

MÉLITE, en souriant.

Vous me peignez souvent, mais c’est d’une autre sorte.

CÉLIANTE.

Je dis ce que je crois, la vérité m’emporte.

MÉLITE.

Il n’est rien de si beau que la sincérité :

Mais souvent ce qu’on croit n’est pas la vérité.

CÉLIANTE.

De semblables erreurs je ne suis point coupable ;

Je ne crois jamais rien qui ne soit véritable.

MÉLITE.

Cependant, vous croyez n’avoir aucun défaut.

CÉLIANTE.

C’est ce qu’en un besoin je prouverais bientôt.

MÉLITE.

Comment ?

CÉLIANTE.

En faisant voir aisément, ce me semble,

Qu’en tout point, vous et moi, nous différons ensemble.

MÉLITE.

Si votre caractère est différent du mien,

Je crois que contre moi cela ne conclut rien.

CÉLIANTE.

Vous croyez imposer par votre orgueil modeste ;

Mais, malgré vos replis, on vous connaît de reste.

MÉLITE.

Plus je me fais connaître, et plus on est content :

Bien d’autres que je sais, n’y gagneraient pas tant.

CÉLIANTE.

Vous vous targuez beaucoup d’avoir assez d’adresse

Pour mener un mari dont on plaint la faiblesse.

MÉLITE.

Je tâche de lui plaire ; il reconnaît ce soin.

C’est tout mon art. Le vôtre irait un peu plus loin.

CÉLIANTE.

Vous êtes, je l’avoue, une fine hypocrite.

Vous ne l’avez charmé que par un faux mérite.

MÉLITE.

Le vôtre si solide, et par vous si vanté,

A manqué sa conquête, et s’en était flatté.

CÉLIANTE.

Qui ? moi, je l’ai manquée ! Ah ! quelle impertinence !

Il n’a tenu qu’à moi d’avoir la préférence.

MÉLITE.

Vous êtes mon aînée, et vous ne l’eûtes pas.

CÉLIANTE.

C’est que cette conquête eut pour moi peu d’appas.

MÉLITE.

Cependant, mon bonheur vous rend un peu jalouse.

Vous m’aimiez comme sœur, vous haïssez l’épouse...

CÉLIANTE.

D’un sot.

MÉLITE.

De votre part rien ne doit m’étonner ;

Mais ce dernier trait-là ne se peut pardonner.

Vous sortirez d’ici, si vous osez poursuivre.

CÉLIANTE.

Volontiers. Avec vous je ne saurais plus vivre.

Vous m’outrez, m’excédez ; mais de tous vos mépris

Je me ferai raison, eussiez-vous vingt maris.

 

 

Scène V

 

ARISTE, un livre à la main, MÉLITE, CÉLIANTE

 

CÉLIANTE le tire par le bras, et lui fait tomber son livre.

Ah ! Monsieur, vous voilà ! Je m’en vais vous apprendre

Des choses qui devront sans doute vous surprendre.

Elle crie haut.

Votre femme...

ARISTE.

Eh ! mon Dieu, laissons ce titre là.

Nous sommes si souvent convenus de cela.

CÉLIANTE.

Ah ! trève, s’il vous plaît, à la délicatesse.

MÉLITE.

Si pour moi d’un mari vous avez la tendresse,

Vous devez...

ARISTE.

D’un mari ! c’est fort bien commencé,

De grâce, que ce mot ne soit plus prononcé.

Mais, de quoi s’agit-il ? Sur quelque bagatelle

Sans doute vous venez d’avoir une querelle ?

MÉLITE.

Bagatelle, Monsieur ?

CÉLIANTE.

Bagatelle est fort bon !

MÉLITE.

Ariste, puisqu’il faut vous nommer de ce nom,

Vous saurez que ma sœur...

CÉLIANTE.

Apprenez que Mélite...

ARISTE.

Oh ! vous avez raison toutes deux.

MÉLITE.

Il m’irrite

Par son sang-froid.

CÉLIANTE.

Raillez un peu plus à propos.

Il s’agit...

ARISTE.

Il s’agit que l’on vive en repos.

Je n’examine point le fond de la querelle :

Un éclaircissement souvent la renouvelle.

Mais, pour l’amour de moi, demandez-vous pardon.

CÉLIANTE.

Moi, qu’elle veut contraindre à quitter la maison ?

ARISTE.

Avez-vous pu, Mélite, avoir cette pensée ?

MÉLITE.

Pouvez-vous m’en blâmer, lorsque j’y suis forcée ?

ARISTE.

Et par qui ?

MÉLITE.

Par ma sœur. Elle ose s’oublier

Devant moi, jusqu’au point de vous injurier.

ARISTE.

Si ce n’est que cela, remettez-vous, Mesdames :

Je ne m’offense point des injures des femmes.

MÉLITE.

Vous nous traitez, Monsieur, avec bien du mépris.

CÉLIANTE.

Les femmes valent bien messieurs les Beaux-esprits.

MÉLITE.

Rien n’est digne de vous, s’il n’est pris dans un livre.

CÉLIANTE.

Fréquentez notre sexe, et vous saurez mieux vivre.

ARISTE.

Me voilà bien ! C’est moi qu’on querelle à présent.

Quoi ! vous me prenez donc pour un mauvais plaisant ?

Si je passe aisément les injures des femmes,

Je déclare que c’est par respect pour les Dames ;

Ne vous regardez plus d’un œil si courroucé,

Et dites-moi comment l’affaire a commencé. :

MÉLITE, après avoir un peu rêvé.

Demandez-le à ma sœur.

CÉLIANTE.

Non ; dites-le vous-même.

MÉLITE.

Je ne m’en souviens pas.

CÉLIANTE.

Ni moi.

ARISTE.

Bon ; ce problème

Ne m’embarrasse plus. Le fait est clair. Je vois

Que vous vous querellez et ne savez pourquoi.

Ainsi donc je conclus, en fort peu de paroles,

Qu’il faut faire la paix, ou que vous êtes folles.

MÉLITE.

Vous pourriez nous parler en des termes plus doux.

CÉLIANTE, vivement.

La plus folle des deux est plus sage que vous.

ARISTE.

Oh bien ! querellez donc, si cela peut vous plaire.

CÉLIANTE, gravement.

Je querelle, Monsieur, quand je suis en colère ;

Mais de sang-froid, jamais.

ARISTE.

Ma foi, vous avez tort ;

Car vos vivacités me divertissaient fort :

L’une et l’autre y mettait tant d’esprit, tant de grâces...

Allons, ranimez-vous ; êtes-vous déjà lasses ?

CÉLIANTE.

Divertissez Monsieur.

MÉLITE.

Le joli passe-temps !

CÉLIANTE.

Vous n’aurez pas l’honneur de rire à nos dépens,

Et nous ferons la paix.

MÉLITE.

J’en avais peu d’envie ;

Mais je me raccommode, et pour toute ma vie.

CÉLIANTE.

Touchez là.

MÉLITE.

Volontiers.

ARISTE.

Ah ! c’est trop vous venger.

CÉLIANTE.

Tant mieux.

ARISTE.

Embrassez-vous pour me faire enrager.

CÉLIANTE.

Oui-dà, de tout mon cœur.

MÉLITE.

Moi de même.

ARISTE.

Courage.

Et moi, pour vous montrer à quel point j’en enrage,

Je vais, dans mon transport vous baiser toutes deux.

CÉLIANTE.

Le traître !

MÉLITE.

Il nous trompait.

ARISTE.

Oui, vous comblez mes vœux.

Il les embrasse l’une après l’autre. Géronte, qui entre dans le moment, s’arrête pour contempler Ariste : aussitôt qu’il parle, les deux sœurs s’enfuient.

 

 

Scène VI

 

ARISTE, GÉRONTE

 

GÉRONTE.

Appuyez, mon neveu, vous faites des merveilles.

ARISTE, demeurant immobile, sans regarder Géronte.

Ah, bon Dieu ! Quelle voix a frappé mes oreilles !

C’est mon oncle lui-même : autre surcroît de maux !

GÉRONTE.

Je suis fâché, vraiment, de troubler vos travaux.

Vous philosophez bien. Qui sont ces créatures ?

ARISTE.

Mon oncle, s’il vous plaît, supprimez les injures.

Ce sont...

GÉRONTE.

Quoi ?

ARISTE, à part.

Je ne sais que lui dire.

GÉRONTE.

Morbleu !

Achevez donc.

ARISTE.

Et vous, modérez votre feu :

Je vous l’ai dit cent fois, votre bile s’échauffe...

GÉRONTE.

Vous êtes un fripon, monsieur le philosophe ;

Vous voulez éluder un éclaircissement :

Mais il faut me répondre, et positivement.

ARISTE.

Oui, je vous répondrai, la chose m’est facile :

Mais je voudrais vous voir d’une humeur plus tranquille.

GÉRONTE.

Ventrebleu !

ARISTE.

Doucement, ou je ne dirai mot.

Il faut...

GÉRONTE.

Prétendez-vous me traiter comme un sot ?

ARISTE.

Non. Vous avez, mon oncle, un esprit vif et juste ;

Vous jouissez encor d’une santé robuste ;

Vous avez de gros biens.

GÉRONTE.

Ah !

ARISTE.

Vous êtes d’un sang

Qui peut vous égaler aux gens du plus haut rang.

GÉRONTE.

Répondez-moi.

ARISTE.

De plus, vous avez l’avantage

De n’avoir point d’enfants, de goûter le veuvage.

GÉRONTE.

Au fait.

ARISTE.

Et de jouir de cette liberté

Qui des gens de bon sens fait la félicité.

GÉRONTE.

Bourreau !

ARISTE.

Votre neveu vous respecte et vous aime ;

Cependant, au milieu de ce bonheur extrême...

GÉRONTE.

Ce traître de neveu, qui m’aime et me chérit,

Par son maudit caquet me fait tourner l’esprit.

ARISTE.

Mais...

GÉRONTE.

Dis encore un mot, et je te déshérite.

ARISTE.

Je m’en vais, puisqu’enfin mon discours vous irrite.

GÉRONTE.

Non : il faut m’éclaircir, et m’apprendre à l’instant

Qui sont ces belles.

ARISTE.

Soit ; je vous rendrai content.

Elles sont sœurs.

GÉRONTE.

Ensuite ?

ARISTE, ayant un peu rêvé.

Elles sont de Bretagne.

GÉRONTE.

Fort bien.

ARISTE.

Elles partaient pour aller en campagne ;

Et fort innocemment... je leur disais adieu,

Quand vous êtes venu nous surprendre en ce lieu.

Voilà tout.

GÉRONTE.

Hom ! je viens pour affaire importante,

Et qui sera pour vous assez réjouissante.

ARISTE.

Le fait, en quatre mots ; j’ose vous en prier,

Mon oncle.

GÉRONTE.

Mon neveu, je viens vous marier.

ARISTE.

Me marier ?

GÉRONTE.

Sans doute. Est-ce vous faire injure ?

ARISTE.

Non pas ; mais...

GÉRONTE.

Qui plus est, j’amène la future.

ARISTE.

Et qui ?

GÉRONTE.

Ma belle-fille.

ARISTE, à part.

Ah ! me voilà perdu.

GÉRONTE.

Quoi ! vous êtes fâché, si j’ai bien entendu ?

ARISTE.

Point.

GÉRONTE.

Le parti n’est pas de ceux que l’on méprise.

ARISTE.

Il est vrai. Mais, mon oncle, excusez la surprise...

GÉRONTE.

J’arrive de ma terre. Entrons un peu chez vous :

Nous parlerons à fond, quand j’aurai bu deux coups.

 

 

Scène VII

 

ARISTE, seul

 

Que vais-je devenir ? Je souffre le martyre.

 

 

Scène VIII

 

ARISTE, FINETTE

 

FINETTE.

Le Marquis du Lauret, tantôt vous a fait dire,

Monsieur, ayant appris à son retour chez lui

Que vous l’aviez cherché, qu’il viendrait aujourd’hui

Dîner avec vous.

ARISTE.

Bon ! Voici nouvelle affaire.

Qu’on aille l’avertir...

FINETTE.

Il n’est pas nécessaire.

ARISTE.

Comment ?

FINETTE.

Il est céans.

ARISTE.

Faites-lui donc savoir

Que mon oncle...

FINETTE.

Attendant que vous pussiez le voir,

Il est venu, Monsieur, visiter ma maîtresse.

ARISTE.

Est-il chez elle ?

FINETTE.

Oui. Le bon Marquis s’empresse

À lui conter fleurette : il lui fait les yeux doux,

Et même, devant elle, il s’est mis à genoux ;

Le tout par passe-temps, je n’en fais aucun doute ;

Car vous le connaissez.

ARISTE, d’un ris forcé.

Oui, oui.

À part.

J’enrage.  

À Finette.

Écoute.

Va lui dire à l’instant... Non, non, ne lui dis rien ;

Car il faut qu’avec lui j’aye un long entretien,

Et plutôt que plus tard. Je m’en vais donc me rendre...

FINETTE.

Étant avec Madame, il peut bien vous attendre :

Il ne s’ennuiera point.

ARISTE.

Je le crois en effet ;

Mais je veux lui parler.

FINETTE.

Où ?

ARISTE.

Dans mon cabinet.

 

 

Scène IX

 

ARISTE, seul

 

Ma situation est-elle assez cruelle ?

Si je n’en deviens fou, je l’échapperai belle.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS, seul

 

Oui, cet oncle d’Ariste est un original.

Jamais homme ne fut plus grossier, plus brutal.

Je n’y saurais tenir. Son humeur intraitable,

Avec beaucoup d’esprit, le rend insupportable.

Le flegme du neveu vient de se surpasser,

Et sa philosophie a lieu de s’exercer.

Retournons chez Mélite, en attendant qu’Ariste

Se soit débarrassé d’un entretien si triste.

Mais le voici.

 

 

Scène II

 

ARISTE, LE MARQUIS

 

ARISTE.

Marquis, vous m’excusez, je croi,

Si mon oncle indiscret...

LE MARQUIS.

Vous moquez-vous de moi ?

Je n’ai que trop senti votre embarras extrême.

J’entrais dans votre peine aussi bien que vous-même.

ARISTE.

Me venir relancer jusqu’en mon cabinet !

Crier ! nous interrompre ! et vous brusquer tout net !

Je ne puis y penser sans en mourir de honte.

LE MARQUIS.

Avez-vous conclu ?

ARISTE.

Non ; nous sommes loin de compte,

Avec sa belle-fille il prétend me lier.

LE MARQUIS.

Vous n’êtes pas si sot que de vous marier.

Que la philosophie est un grand avantage !

Personne, mieux que vous, n’en a su faire usage.

ARISTE, à part.

Il me raille ; aurait-il découvert mon secret ?

Au Marquis.

Il est vrai que souvent, d’un ton fort indiscret,

Sur les pauvres maris j’ai lancé la satire.

LE MARQUIS.

Comment ! En leur faveur voulez-vous vous dédire ?

ARISTE.

Oui ; leur état commence à me faire pitié.

LE MARQUIS.

Ah ! mon pauvre garçon, seriez-vous marié ?

Il court de certains bruits... Mais je ne puis les croire ;

Et j’ai querellé ceux qui forgeaient cette histoire.

ARISTE.

Et vous avez bien fait ; je vous suis obligé.

LE MARQUIS.

Je ne saurais souffrir de vous voir outragé.

ARISTE.

Outragé, dites-vous ? Quelle est votre pensée ?

Ma réputation serait-elle blessée,

Si je...

LE MARQUIS.

Votre sagesse a fait un tel éclat,

Vous avez si souvent loué le célibat,

Vous avez tant raillé, déploré la folie

De tout homme d’esprit qui pour jamais se lie,

Vous avez en public si hautement fait vœu

De vivre philosophe, et garçon, que, pour peu

Qu’il vous soupçonne enfin d’avoir fait le contraire,

Avec tout ce public vous aurez une affaire.

Filles, femmes, maris, toutes sortes de gens,

À la ville, à la cour, vont rire à vos dépens.

ARISTE.

Ils auraient bien raison.

À part.

Je suis mort, s’il découvre

Que je suis marié.

LE MARQUIS.

Vous voyez que je m’ouvre

Librement avec vous.

ARISTE.

Oui, je le vois fort bien.

LE MARQUIS.

Mélite est votre amie, et rien de plus ?

ARISTE.

Non, rien.

LE MARQUIS.

Je l’ai toujours bien dit ; et je soutiens encore

Qu’on peut vous avouer qu’on l’aime, qu’on l’adore.

ARISTE, d’un air embarrassé.

Eh ! mais... Comme on voudra.

À part.

Quel horrible tourment !

LE MARQUIS.

Je vais donc vous parler tout naturellement.

Je l’aime.

ARISTE.

Vous riez ?

LE MARQUIS.

Je l’adore.

ARISTE.

Quel conte !

LE MARQUIS.

Je dis vrai.

ARISTE.

Mais tant pis ; et pour vous j’en ai honte.

Nous sommes, vous et moi, dans un cas tout pareil.

Fuyez Mélite.

LE MARQUIS.

Non ; d’un si sage conseil,

Cher ami, je ne puis désormais faire usage.

J’aime, jusqu’à vouloir... brusquer le mariage.

ARISTE.

On se rira de vous, et moi tout le premier.

LE MARQUIS.

D’un grand bien, d’un grand nom, je suis seul héritier ;

De choisir un parti ma famille me presse ;

Ces prétextes sauront excuser ma faiblesse.

Et d’ailleurs, je suis homme à rire effrontément

Avec ceux qui riront de cet événement,

Trêve donc d’arguments. La chose est résolue,

Et, si vous m’appuyez, sera bientôt conclue.

ARISTE.

Qui ? moi, vous appuyer !

LE MARQUIS.

Oui, j’ai compté sur vous.

ARISTE, d’un ton en colère.

Vous avez très mal fait.

LE MARQUIS.

D’où vous vient ce courroux ?

Mélite, à vos conseils, me paraît si soumise...

ARISTE.

Je ne veux point aider à faire une sottise.

LE MARQUIS.

Voici Mélite. Au moins ne la détournez point

De m’épouser.

ARISTE.

Oh ! non ; je vous promets ce point.

 

 

Scène III

 

ARISTE, LE MARQUIS, MÉLITE

 

MÉLITE, à part.

Je brûle de savoir s’il a fait confidence

Du secret au Marquis.

LE MARQUIS, à Mélite.

J’ai rompu le silence,

Madame, et j’ai tout dit à cet ami commun.

MÉLITE.

Et quoi ?

LE MARQUIS.

Notre secret.

MÉLITE.

Nous n’en avons aucun

Vous et moi. Vous m’aimez, si je veux vous en croire :

Je ne vous aime point. Voilà toute l’histoire.

ARISTE, à Mélite.

Vous ne la chargez pas d’ornements superflus.

MÉLITE, au Marquis.

Avez-vous quelque chose à lui dire de plus ?

Parlez.

ARISTE.

Ne cachez rien.

MÉLITE.

Qu’avez-vous à répondre ?

LE MARQUIS.

Bien des choses.

MÉLITE.

Voyons.

LE MARQUIS, à Mélite.

Et, pour ne rien confondre,

Je m’en vais commencer par vous parler de lui.

J’ai soupçonné longtemps, même jusqu’aujourd’hui,

Qu’il vous aimait, Madame, et qu’en secret peut-être

Il prétendait à vous ; mais il m’a fait connaître

Qu’à la philosophie uniquement soumis,

Il n’avait que l’honneur d’être de vos amis.

Cet aveu qu’à moi-même il vient ici de faire,

Me rendra désormais un peu plus téméraire...

Mélite, pendant que le Marquis parle, regarde Ariste en levant les épaules, et lui fait signe de se taire.

MÉLITE, bas à Ariste.

Vous l’entendez.

ARISTE, bas à Mélite.

Paix donc.

LE MARQUIS, à Mélite.

Si c’est témérité

Que de vous immoler jusqu’à ma liberté,

Que de vous protester que mon cœur ne respire

Que pour vivre à jamais sous votre aimable empire...

MÉLITE veut parler, et Ariste lui fait signe de se taire.

Quoi ?...

LE MARQUIS.

Que de vous offrir et ma vie et mes biens,

Et de m’unir à vous par d’éternels liens :

Recevez donc enfin mes vœux et mon hommage.

Il se jette aux genoux de Mélite.

ARISTE, à part.

Je joue ici, vraiment, un joli personnage !

MÉLITE, au Marquis.

Levez-vous, finissez, ou je sors à l’instant.

LE MARQUIS.

C’est donc là tout le prix d’un amour si constant ?

MÉLITE, à Ariste.

Vous pouvez endurer ?...

ARISTE, bas à Mélite.

Contraignez-vous, de grâce.

Haut.

Madame, j’entrevois, par tout ce qui se passe,

Qu’il vous aime ardemment, qu’il ne peut vous toucher ;

Que sa poursuite est vaine, et qu’il devrait tâcher

D’éteindre un feu qui met tant de trouble en son âme,

À moins que vous n’ayez entretenu sa flamme :

Auquel cas, entre nous, vous auriez très grand tort.

Cela n’est-il pas vrai ?

MÉLITE.

J’en demeure d’accord.

Si j’ai flatté Monsieur de la moindre espérance,

Qu’il le dise.

ARISTE.

Je sors. Peut-être ma présence

L’empêche de parler librement avec vous.

MÉLITE.

Cette discrétion excite mon courroux.

Restez. Et vous, Marquis, expliquez-vous sans feindre.

De cet ami commun nous n’avons rien à craindre ;

Il faut qu’il sache tout. Dites la vérité.

LE MARQUIS.

Hé bien ! vous allez voir mon ingénuité.

ARISTE, se mettant entre eux deux.

Tant mieux. Pour me donner de plus sûres lumières,

Dites si ses discours, ses regards, ses manières,

Quand vos empressements l’obligeaient à vous voir,

Ont pu, dans votre cœur, exciter quelque espoir.

Pour bien juger, il faut d’exactes connaissances.

Ainsi, n’oubliez pas les moindres circonstances.

MÉLITE, d’un air piqué.

Et sachez, pour ne pas l’éclaircir à demi,

Qu’il n’y prend d’autre part que celle d’un ami,

Tout prêt à me blâmer, tant il est juste et sage,

Pour peu que contre moi vous ayez d’avantage.

ARISTE.

Ah ! je vous en réponds. Fiez-vous-en à moi.

LE MARQUIS.

Vous verrez à quel point ira ma bonne foi.

ARISTE.

Dépêchez.

LE MARQUIS.

Je dis donc, sans aucun préambule,

Que lorsque je lui fis un aveu ridicule

De mes feux, (car il faut l’avouer franchement,

Je sais que je m’y pris très ridiculement :)

Elle me répondit par un éclat de rire,

Qui me déconcerta plus que je ne puis dire.

ARISTE.

Passons, jusqu’à présent elle n’a point de tort.

LE MARQUIS.

Piqué jusques au vif, je jurai, mais très fort,

De ne la plus revoir ; et quelques jours ensuite,

En sortant de chez vous, je lui rendis visite.

Je crus qu’elle rirait d’un aussi prompt retour ;

Mais d’un grand sérieux accueillant mon amour,

Elle me fit trembler, et près d’elle en silence,

Pour la seconde fois je perdis contenance.

ARISTE.

Avancez.

LE MARQUIS.

Je sortis sans lui dire un seul mot,

Sentant que je m’étais comporté comme un sot.

ARISTE.

Ensuite.

LE MARQUIS.

Je boudai. Trois grands mois se passèrent ;

Mais au bout de ce temps mes feux recommencèrent :

Je revins plein d’ardeur, et je parlai des mieux.

Elle me fit alors un accueil gracieux.

ARISTE, vivement à Mélite.

Gracieux ?

MÉLITE, en souriant.

Tout des plus.

LE MARQUIS.

Et me dit sans colère

Que, puisque j’aspirais au bonheur de lui plaire,

Elle voulait aussi m’en donner le moyen.

Elle me fit jurer de m’en servir.

ARISTE, d’un air consterné.

Fort bien.

LE MARQUIS.

Je promis, je jurai, sans savoir son idée :

Et quand mille serments l’eurent persuadée...

Ceci va vous surprendre.

ARISTE.

Achevez promptement.

LE MARQUIS.

« Marquis, écoutez-moi, dit-elle gravement :

« Quoique de tous vos soins je me tienne honorée,

« Je ne puis vous aimer, la chose est assurée :

« Mais ma sœur plus aimable, et plus belle que moi,

« Sans doute recevrait vos vœux et votre foi.

« Si vous voulez me plaire, offrez-lui l’un et l’autre ;

« Demandez-lui son cœur, et donnez-lui le vôtre :

« Son mérite éclatant bientôt vous charmera,

« Et de votre mémoire enfin me bannira.

« J’exige cet effet de votre complaisance ;

« Sinon, je vous défends pour jamais ma présence ».

ARISTE.

Mais vraiment ce discours était plein de raison.

LE MARQUIS, vivement.

Vos applaudissements sont fort peu de saison.

ARISTE.

Enfin, que fîtes-vous ?

LE MARQUIS.

Je devins en furie

De voir que l’on m’eût fait cette supercherie.

Ce n’est pas tout encor.

ARISTE.

Quoi ! pas tout, dites-vous ?

Que fait-elle de plus ?

LE MARQUIS.

Elle me rend jaloux.

ARISTE.

Et de qui ?

LE MARQUIS.

Je ne sais. Mais enfin la cruelle

M’a juré qu’elle aimait ailleurs. Jamais, dit-elle,

Rien ne pourra ravir son estime et son cœur,

À celui qu’en secret elle en rend possesseur.

ARISTE, à Mélite.

Avez-vous dit cela ?

MÉLITE.

Je ne puis m’en défendre :

Oui, j’aime, et j’aimerai.

ARISTE, au Marquis.

Je ne saurais comprendre

Que vous l’aimiez encore après de tels aveux,

Vous, dont mille beautés en vain briguent les vœux.

LE MARQUIS.

D’un cœur rebelle et fier l’ordinaire supplice,

C’est qu’il aime à la fin, et que l’on le haïsse.

Mais si d’elle, une fois, je puis me dégager,

Par les plus durs mépris je prétends me venger.

ARISTE.

Hâtez-vous, croyez-moi.

MÉLITE.

J’aime qu’on me méprise.

LE MARQUIS.

Morbleu !... Mais j’ai tout dit : imitez ma franchise.

Ariste, est-ce pour vous que je suis maltraité ?

ARISTE.

Je vous laisse avec elle en pleine liberté.

Voyez si vos efforts pourront, en mon absence,

Attirer plus d’égards et de reconnaissance.

Nous voulez l’épouser. Je vous jure d’honneur

Que, si cela se peut, j’y consens de bon cœur.

Mais je connais Mélite ; et si quelqu’un possède

Son estime et son cœur, vous souffrez sans remède,

À moins que, résolu de n’aimer plus en vain,

Vous n’offriez ailleurs vos vœux et votre main.

Vous ne pourriez mieux faire, à vous parler sans feindre ;

Croyez-en un ami qui ne peut que vous plaindre.

 

 

Scène IV

 

MÉLITE, LE MARQUIS

 

LE MARQUIS.

Il est sûr de son fait, et lit dans votre cœur.

MÉLITE.

Je ne lui cache rien.

LE MARQUIS.

Eh ! faites-moi l’honneur

De me traiter, au moins, de la même manière.

MÉLITE.

Non pas ; il aura seul ma confiance entière :

Un ami me suffit.

LE MARQUIS.

À parler franchement,

Un ami de la sorte a bien l’air d’un amant.

MÉLITE.

Soit amant, soit ami, je l’estime, l’honore,

Et pourrais, sans rougir, aller plus loin encore.

LE MARQUIS.

À ce discours, enfin, j’ai lieu de présumer

Qu’il est l’heureux mortel qui vous a su charmer.

MÉLITE.

Vous l’entendrez ainsi, si vous voulez l’entendre,

Et je ne prendrai pas le soin de m’en défendre.

LE MARQUIS.

Eh bien donc ! je m’en tiens à cette opinion ;

Mais je dirai sans faste et sans présomption,

Que je crois le valoir de toutes les manières.

MÉLITE.

Vous avez votre goût, et moi j’ai mes lumières :

Et de plus, quand un cœur consent à se donner,

Il n’examine pas, il se laisse entraîner.

LE MARQUIS.

Enfin, vous soupirez pour la philosophie ?

MÉLITE.

Oui.

LE MARQUIS.

D’un si libre aveu mon esprit se défie.

MÉLITE.

Pour armer le dépit qui vous arrache à moi,

Je vous répète ici que mon cœur et ma foi

Ne sont plus à donner ; qu’un prince, qu’un roi même

M’aimerait vainement ; que j’estime, que j’aime

Celui que je ferai ma gloire, mon plaisir,

D’aimer, et d’estimer jusqu’au dernier soupir.

 

 

Scène V

 

LE MARQUIS, seul

 

Je suis moins affligé de son indifférence,

Que je ne suis surpris d’une telle constance.

Une femme constante est un monstre nouveau,

Que le ciel a produit pour être mon bourreau :

Cependant, à l’aimer mon lâche cœur persiste,

En dépit de moi-même, et des conseils d’Ariste.

Ne puis-je ?... Ah ! j’aperçois cette charmante sœur,

À qui Mélite veut que je donne mon cœur.

Eh bien ! offrons-le-lui, non par obéissance,

Mais par un mouvement de gloire et de vengeance.

 

 

Scène VI

 

LE MARQUIS, CÉLIANTE

 

CÉLIANTE, à part.

Voici ce fier Marquis : je ne puis le souffrir ;

Mais son cœur me résiste, il faut le conquérir.

Il y va de ma gloire : et je veux me contraindre,

Pour donner à Damon un rival très à craindre.

LE MARQUIS.

Voici pour moi, Madame, un moment dangereux.

CÉLIANTE, à part.

Ce début me promet un succès très heureux.

 

 

Scène VII

 

LE MARQUIS, CÉLIANTE, DAMON, qui se tient dans l’éloignement, et les écoute sans être aperçu

 

LE MARQUIS, feignant de se retirer.

Je crains de m’exposer au pouvoir de vos charmes.

CÉLIANTE, d’un air gracieux.

Ils sont trop peu brillants pour causer tant d’alarmes.

LE MARQUIS.

Déjà depuis longtemps (je l’avoue à regret )

Mon cœur vous rend, Madame, un hommage secret.

CÉLIANTE.

Oh !

À part

je m’en doutais bien.

Au Marquis.

Un penchant légitime

Pour vous, depuis longtemps, m’inspire de l’estime.

LE MARQUIS.

Votre estime, Madame, est-elle le seul prix

Qui dût récompenser un cœur vraiment épris ?

CÉLIANTE.

Vous vous piquez, Marquis, de tant d’indifférence,

Que, lorsqu’on vous estime, on fait beaucoup, je pense.

LE MARQUIS.

Mais, si je me rendais à vos divins appas,

Si je vous l’avouais ?

CÉLIANTE.

Je ne le croirais pas.

LE MARQUIS.

Pourquoi voudriez-vous refuser de me croire ?

CÉLIANTE, se cachant de son éventail.

C’est que je n’oserais prétendre à tant de gloire.

LE MARQUIS.

Ah ! ne rougissez point d’un si charmant aveu,

Et daignez l’achever pour prix du plus beau feu...

CÉLIANTE, minaudant.

Eh ! de grâce, Marquis, finissez ce langage ;

Vous feignez de m’aimer, et n’êtes qu’un volage.

LE MARQUIS.

Je vous aime, et je veux vous aimer constamment.

À part.

On ne peut pas mentir plus intrépidement.

CÉLIANTE.

Je n’ose vous promettre une égale tendresse ;

Mais je sens que pour vous mon cœur parle et s’empresse.

Il me dit...

LE MARQUIS.

Que dit-il ?

CÉLIANTE, à part.

Il dit que j’ai menti.

LE MARQUIS, à part.

Par ma foi, je la tiens.

CÉLIANTE, à part.

Le voilà converti.

LE MARQUIS, à part.

Qu’une femme coquette est facile et crédule !

CÉLIANTE, à part.

Oh ! qu’un amant novice est fade et ridicule !

LE MARQUIS.

Vous venez de tomber dans les réflexions ?

CÉLIANTE.

Je méditais à part sur vos perfections.

LE MARQUIS.

Et je me récriais en secret sur les vôtres.

DAMON, se jetant tout d’un coup entre deux.

Je croyais vos deux cœurs plus braves que les autres ;

Mais, dès le premier choc, ils se rendent tous deux.

CÉLIANTE, à part.

Bon. Le voilà jaloux, et c’est ce que je veux.

À Damon.

Vous avez entendu ?...

DAMON.

Tout ce qu’on vient de dire.

LE MARQUIS, à part.

Mélite le saura, c’est ce que je désire ;

Peut-être le dépit produira son effet.

À Damon.

De votre procédé je suis peu satisfait.

DAMON.

Quoi, Monsieur ?

CÉLIANTE, au Marquis.

Excusez un trait de jalousie.

DAMON.

Non, je ne donne point dans cette frénésie.

CÉLIANTE, à Damon.

Vous n’êtes pas jaloux !

DAMON.

Moi, jaloux ? Et pourquoi ?

CÉLIANTE.

L’impudent !

DAMON.

Je n’ai point compté sur votre foi.

CÉLIANTE, à part.

Ah, le traître !

DAMON.

Et tout homme aura peu de cervelle,

S’il ose se flatter de vous rendre fidèle.

Rien n’est plus naturel que votre changement :

Je le vois sans douleur et sans étonnement

CÉLIANTE, à part.

Oh ! je l’étranglerais.

LE MARQUIS, à Céliante.

Ceci me fait connaître

Que je suis plus heureux que je ne croyais l’être ;

Et que non-seulement vous m’avez écouté,

Mais que je vous fais faire une infidélité.

Je vous laisse. Voyez s’il ne peut point reprendre

Ce cœur, qui de mes feux n’avait pu se défendre :

Et si vous résistez à ses transports jaloux,

Je sais jusqu’à quel point je dois compter sur vous.

 

 

Scène VIII

 

DAMON, CÉLIANTE

 

DAMON.

Il vous a démêlée.

CÉLIANTE.

Hé bien, que vous importe ?

De quel droit osez-vous m’épier de la sorte ?

Je vous ai commandé, si je m’en souviens bien,

D’éviter ma présence, et vous n’en faites rien.

Même avec le Marquis vous osez me surprendre !

Et lorsque je m’efforce à lui faire comprendre

Que c’est le brusque effet d’un amour en courroux,

Vous vous donnez les airs de n’être point jaloux ?

DAMON.

Non, je ne le suis point, je vous le dis encore.

CÉLIANTE, en colère.

Comment !

DAMON.

Quand le Marquis jure qu’il vous adore,

Il vous trompe à coup sûr. Quand vous juriez ici

De répondre à ses vœux, vous le trompiez aussi.

Devais-je être jaloux de cette comédie ?

CÉLIANTE.

Et comment savez-vous tout cela, je vous prie ?

Êtes-vous donc le seul que je puisse charmer ?

DAMON.

Non pas. Mais le Marquis ne saurait vous aimer.

CÉLIANTE.

La raison ?

DAMON.

La raison ?

CÉLIANTE.

Oui.

DAMON.

Votre caractère

Ne peut lui convenir. Le sien ne peut vous plaire.

CÉLIANTE.

Et moi, je vous soutiens qu’il m’aime à la fureur.

DAMON.

Je vous dirai bien plus. C’est qu’une autre a son cœur.

CÉLIANTE.

Et qui donc, s’il vous plaît ?

DAMON.

Votre sœur elle-même.

CÉLIANTE.

Ma sœur ? Quel conte !

DAMON.

Non ; je vous jure qu’il l’aime.

CÉLIANTE.

Je ne le saurais croire ; et vous jurez en vain.

DAMON.

Tout comme il vous plaira. Mais le fait est certain.

CÉLIANTE.

Et pourquoi vient-il donc me dire qu’il m’adore ?

Me presser de l’aimer ?

DAMON.

Pour ce point, je l’ignore ;

À moins que le dépit de se voir rebuté,

À vous offrir son cœur ne l’ait enfin porté.

De ce mystère-ci voulez-vous être instruite ?

Allez, sur ce sujet, interroger Mélite ;

Elle confirmera ce que je vous ai dit.

CÉLIANTE.

Le Marquis m’aimerait seulement par dépit ?

Il m’offrirait un cœur rebuté par une autre ?

Est-ce son sentiment ? Serait-ce aussi le vôtre,

Qu’on ne puisse m’aimer qu’au refus de ma sœur ?

DAMON.

Eh ! délibère-t-on quand on donne son cœur ?

Il se donne lui-même, et nous fait violence.

Ai-je fait à vos yeux la moindre résistance ?

Ne m’ont-ils pas charmé dès le premier moment ?

CÉLIANTE.

Pour vous, si vous m’aimez, c’est inutilement.

Je ne puis vous souffrir.

DAMON.

Votre bouche l’assure ;

Mais votre cœur vous dit que c’est une imposture.

CÉLIANTE.

Et ma bouche, et mon cœur, sont d’accord là-dessus.

DAMON.

Vous l’avez dit cent fois, mais je ne le crois plus.

CÉLIANTE.

Peut-on à cet excès, pousser la confiance ?

DAMON.

Mais consultez-vous bien. Vous gardez le silence ?

CÉLIANTE.

Vous n’avez plus le don de me persuader.

N’avons-nous pas rompu ?

DAMON.

Pour nous raccommoder.

CÉLIANTE.

Pour nous raccommoder ? je n’en ai point d’envie.

DAMON.

Et moi, je crois qu’au fond vous en seriez ravie.

Malgré tous vos écarts, vous m’aimez constamment ;

Et le ciel m’a formé pour être votre amant.

Il fallait être moi, pour avoir le courage

De dompter votre cœur par un constant hommage ;

Pour se donner le temps d’être persuadé

Qu’il n’a jamais de part à votre procédé ;

Qu’il est bon, généreux, sans fiel, sans artifice,

Et même très fidèle, en dépit du caprice.

CÉLIANTE.

Je ne sais où j’en suis. Son air et ses discours...

Damon lui baise la main.

Ah ! traître, malgré moi, tu triomphes toujours.

 

 

Scène IX

 

ARISTE, MÉLITE, CÉLIANTE, DAMON

 

ARISTE, à Mélite.

Non, ne me faites point une telle demande.

Ayez le procédé que je vous recommande :

Remettez-vous, de grâce ; et retenez vos pleurs.

MÉLITE.

Quoi ! prête d’essuyer le plus grand des malheurs,

Vous voulez que je sois, et muette, et tranquille ?

ARISTE.

Ah ! je vais devenir la fable de la ville.

DAMON.

De quoi s’agit-il donc ?

MÉLITE.

Son oncle est arrivé.

CÉLIANTE.

Voyez le grand malheur ! Quant à moi, j’ai trouvé

Le moyen le plus prompt pour vous tirer d’affaire ;

Et cela tout d’un coup.

ARISTE.

Voyons. Que faut-il faire ?

CÉLIANTE.

Lui dire, sans tenir d’inutiles propos,

Qu’il s’aille promener, et vous laisse en repos.

ARISTE.

J’attendais ce conseil d’une aussi bonne tête.

MÉLITE.

Mais vous ne savez pas le tourment qu’il m’apprête,

Ma sœur ?

CÉLIANTE.

Et quel tourment ?

MÉLITE.

Il veut le marier.

CÉLIANTE, riant.

Tout de bon ? Ce trait-là me paraît singulier.

MÉLITE.

Et de plus...

CÉLIANTE.

Écoutons ; cette histoire est divine.

MÉLITE.

Il est allé chercher celle qu’il lui destine,

Un enfant de treize ans, belle comme le jour.

 

 

Scène X

 

GÉRONTE, ARISTE, MÉLITE, CÉLIANTE, DAMON

 

GÉRONTE, à Ariste.

Oh çà, mon cher neveu, me voici de retour.

Dépêchons, et venez saluer votre femme.

À Céliante.

Ah, ah ! je vous croyais déjà bien loin, Madame,

ARISTE, à Mélite.

Dites que le départ est différé.

MÉLITE.

Pourquoi ?

ARISTE, à Mélite.

Vous le saurez tantôt.

GÉRONTE.

Vous m’avez dit, je crois,

Que ces Dames étaient toutes deux de Bretagne ;

Et, qu’étant sur le point d’aller à la campagne...

DAMON, à Géronte.

Un petit accident retarde leur départ ;

Mais elles partiront dès demain, au plus tard,

GÉRONTE.

Le plutôt vaut le mieux. Leur présence me choque.

C’est m’expliquer, je crois, sans aucune équivoque.

CÉLIANTE, à Géronte.

Pour répondre, Monsieur, à ce doux compliment,

Votre odieux aspect nous choque également.

À Ariste.

Adieu. Vous, mettez fin à tout ce beau mystère,

Ou je ne réponds pas que je puisse me taire.

 

 

Scène XI

 

GÉRONTE, ARISTE

 

GÉRONTE.

Qu’entend-elle par-là ?

ARISTE.

Rien. C’est que sa raison

Quelquefois...

 

 

Scène XII

 

GÉRONTE, ARISTE, PICARD

 

PICARD.

Un Monsieur, appelé Lisimon,

Vient d’entrer, et me suit.

ARISTE.

Qu’entends-je ? Quoi, mon père ?

PICARD.

À ce qu’il dit, au moins.

ARISTE, à part.

Ciel !

GÉRONTE.

Mon vieux fou de frère.

Ah ! nous voilà fort bien.

ARISTE.

Mon oncle, s’il vous plaît,

Ne le maltraitez point.

GÉRONTE.

Comment ! Quel intérêt

Y prenez-vous ?

ARISTE.

Tout franc, la demande est fort bonne !

Celui de respecter et d’aimer sa personne.

 

 

Scène XIII

 

LISIMON, GÉRONTE, ARISTE

 

LISIMON, embrassant Ariste.

Ah, mon fils ! quel plaisir je sens de vous revoir !

ARISTE.

Vous m’avez prévenu ; j’allais vous recevoir.

GÉRONTE, à Lisimon.

Hé bien, que voulez-vous ?

LISIMON.

Il m’est permis, je pense,

De venir voir mon fils.

GÉRONTE.

Et l’on vous en dispense.

À Ariste.

Il ne vient de si loin que pour vous pressurer.

ARISTE, à Géronte.

Sa visite, en tout temps, ne peut que m’honorer.

Pouvez-vous, à ce point, mortifier un frère ?

Vous me percez le cœur. Songez qu’il est mon père ;

Que, bien qu’il m’ait trouvé bon fils jusqu’aujourd’hui,

Je ne pourrai jamais m’acquitter envers lui.

LISIMON.

Je reconnais mon frère, et mon fils tout ensemble.

Que le ciel vous bénisse ; et, puisqu’il nous rassemble,

Mon fils, de ce bonheur je veux me réjouir,

Sans que sa dureté m’empêche d’en jouir.

GÉRONTE, à Lisimon.

Vos bénédictions seront son seul partage.

ARISTE, à Géronte.

J’en fais bien plus de cas que de votre héritage ;

Mon oncle, à son égard, soyez plus circonspect,

Ou bien vous me verrez vous manquer de respect.

GÉRONTE.

Philosophe imbécile ! Un père, d’ordinaire,

À son fils, tout au moins, fournit le nécessaire.

Ici, tout au rebours. Le fils, depuis dix ans...

LISIMON.

Je suis plus glorieux de vivre à ses dépens,

Que s’il vivait aux miens. Oui, ma vive tendresse

Se complaît à le voir l’appui de ma vieillesse ;

Sentiments inconnus à votre mauvais cœur.

GÉRONTE.

Mais, qui vous a rendu si pauvre ?

LISIMON.

Mon honneur.

GÉRONTE.

Jargon qu’on n’entend point, quoiqu’il frappe l’oreille.

LISIMON.

Mais celui de profit vous frappe et vous réveille

Avant le point du jour. Moi, dans ma pauvreté,

J’ai songé qui j’étais, et me suis respecté.

Des malheurs imprévus ont causé ma ruine,

Sans me faire oublier une noble origine.

Mais vous, vous avez fait, devenu financier,

D’un pauvre gentilhomme, un riche roturier.

GÉRONTE.

Ah ! vous voilà bien gras avec votre chimère !

Pour vous, le roturier fait l’office de père.

À ce fils bien-aimé vous ne laisserez rien ;

Et moi, je le marie et lui laisse un gros bien.

Blesserai-je par-là votre délicatesse ?

LISIMON.

Non, l’action est belle, et vous rend la noblesse.

Mais, qui lui faites-vous épouser ?

GÉRONTE.

Un parti

Avec qui notre sang sera bien assorti :

C’est la fille, en un mot, de ma défunte femme.

LISIMON.

Je ne puis qu’applaudir ; car c’était une dame

D’un très illustre nom, comme feu son époux.

Pour former ce lien, réconcilions-nous,

Mon frère. Et vous, mon fils, soyez sûr que ma joie

Est égale au bonheur que le ciel vous envoie.

ARISTE.

Un obstacle invincible en empêche l’effet.

LISIMON.

Point d’obstacle, mon fils, je suis trop satisfait.

ARISTE.

Mais la fille est si jeune ; et vous savez...

GÉRONTE.

J’enrage.

Ventrebleu ! mon neveu, craignez-vous qu’à son âge...

LISIMON.

Sottise ! Pour la noce allons tout préparer.

ARISTE.

Il ne manquait que lui pour me désespérer.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

ARISTE, seul

 

Dans mes sombres chagrins, quel parti dois-je prendre ?

J’ai mille mouvements. Auquel faut-il me rendre ?

Si je forme un projet, un autre le détruit.

La raison m’abandonne, et le trouble me suit.

De tant d’objets divers mon âme est obsédée,

Qu’à force de penser elle n’a plus d’idée.

Pour calmer mon esprit, je fais ce que je puis.

Je ne sais où je vais ; je ne sais où je suis.

 

 

Scène II

 

ARISTE, LISIMON

 

LISIMON.

Je vous cherchais, mon fils.

ARISTE.

Quel sujet vous amène ?

LISIMON.

En nous quittant sitôt, vous m’avez mis en peine.

ARISTE.

J’étais indisposé.

LISIMON.

Pendant tout le repas

J’ai bien vu qu’avec nous vous ne vous plaisiez pas.

Quelqu’important sujet vous gêne et vous applique.

Je vous trouve rêveur, sombre, mélancolique,

Vous que j’ai toujours vu d’une aimable gaieté,

Qui faisait rechercher votre société.

Nous n’avons pu tirer un mot de votre bouche ;

Et votre oncle, qu’au fond rien n’afflige et ne touche,

Quoique souvent, pour rien, il se mette en courroux,

Lui-même me paraît fort en peine de vous.

Ouvrez-moi votre cœur. Qu’est-ce qui vous afflige ?

ARISTE.

Rien.

LISIMON.

Vous me trompez.

ARISTE.

Moi !

LISIMON.

Vous me trompez, vous dis-je ;

Si vous êtes fâché de me voir de retour,

Je suis prêt à partir avant la fin du jour.

ARISTE.

Moi, fâché de vous voir ! Ô ciel ! quelle injustice !

Avoir un tel soupçon, c’est me mettre au supplice.

Que j’expire à vos yeux, s’il est plaisir pour moi

Plus grand que le plaisir que j’ai quand je vous vois.

LISIMON.

Je vous crois. Cependant d’où vient cette tristesse ?

Quelque souci secret vous ronge et vous oppresse.

ARISTE.

Cela se peut.

LISIMON.

Pourquoi me parler à demi ?

Suis-je pas votre père, et, de plus, votre ami ?

Oui, votre ami, mon fils : et j’ai bien lieu de l’être

D’un fils dont le bon cœur s’est si bien fait connaître ;

D’un fils de qui l’amour, de qui les tendres soins

Ont, depuis si long-temps, prévenu mes besoins.

ARISTE.

Vous me rendez confus. Mais si j’ai pu vous plaire,

En ne faisant pour vous que ce que j’ai dû faire,

J’en veux la récompense.

LISIMON.

Et quoi ?

ARISTE.

C’est d’obtenir

Que vous n’en rappeliez jamais le souvenir.

LISIMON.

Soit. Je satisferai votre âme généreuse ;

Je m’en fais une loi qui m’est bien onéreuse ;

Mais à condition (je suis ami prudent)

Que vous me choisirez pour votre confident.

ARISTE.

Hé bien ! vous le serez. Votre bonté décide...

Mais, quand je veux parler, mon respect m’intimide.

LISIMON.

Est-ce ainsi qu’on en use avec un ami sûr ?

Tout franc, ce procédé me paraît un peu dur.

ARISTE.

Ah ! ne me blâmez point, et plaignez-moi.

LISIMON.

Je gage

Que ce trouble est l’effet de votre mariage.

ARISTE.

Quel mariage ?

À part.

Ô ciel ! saurait-il mon secret ?

LISIMON.

Celui qu’on vous propose.

ARISTE.

Il m’alarme en effet.

LISIMON.

Je m’en suis aperçu, sans vouloir vous le dire.

Avançons. Avouez que votre cœur soupire

Pour quelqu’autre beauté.

ARISTE.

Sans doute.

LISIMON.

Apparemment

Que vous êtes lié par quelqu’engagement ?

ARISTE.

Si jamais on le fut.

LISIMON.

Ce contretemps m’afflige.

Mais, n’importe, achevez.

ARISTE.

Je ne puis.

LISIMON.

Je l’exige.

Vous dévorez des pleurs qui coulent malgré vous !

Vous pâlissez ! Pourquoi vous mettre à mes genoux ?

Mon fils, j’approuve tout. L’objet qui vous enflamme

Est digne de vous ?

ARISTE.

Oui.

LISIMON.

Quel est-il ?

ARISTE.

C’est ma femme.

LISIMON.

Votre femme ! Comment, vous êtes marié ?

ARISTE.

Par un secret hymen vous me trouvez lié.

LISIMON.

Je reçois cet aveu plus en ami qu’en père.

Mais pourquoi, jusqu’ici, m’en avoir fait mystère ?

ARISTE.

J’ai consulté l’amour, et non l’ambition,

Et me suis marié par inclination.

J’ai fait choix d’une aimable et jeune demoiselle,

Qui n’avait d’autre bien que celui d’être belle :

Vous pouviez m’en blâmer ; ainsi, quoiqu’à regret,

À vous, comme au public, j’en ai fait un secret.

LISIMON.

A-t-elle un bon esprit ? Est-elle douce, sage ?

ARISTE.

Oui.

LISIMON.

Vous avez donc fait un très bon mariage.

ARISTE.

Ah ! vous me ravissez par ce trait de bonté ;

Et je suis à présent comme ressuscité.

LISIMON.

Où loge-t-elle ?

ARISTE.

Ici, chez une vieille dame,

En qualité de nièce ; et la sœur de ma femme,

Qu’épousera Damon, demeure aussi céans.

LISIMON.

Il s’agit d’inventer quelques expédients

Pour amuser votre oncle : et nous devons tout faire

Afin de lui cacher quelque temps cette affaire ;

Car cet homme, à coup sûr, la désapprouvera,

Et, croyant vous punir, vous déshéritera.

ARISTE.

Il est vrai.

LISIMON.

Feignez donc (et j’appuierai la chose)

De consentir sans peine à l’hymen qu’il propose.

Promettez d’épouser, mais demandez du temps ;

Et pendant ce délai nous tâcherons...

ARISTE.

J’entends.

LISIMON.

Quand les affaires sont prudemment disposées,

On peut concilier les choses opposées.

Mais, j’aperçois mon frère, agissons de concert.

 

 

Scène III

 

LISIMON, GÉRONTE, ARISTE

 

GÉRONTE.

Vous moquez-vous de moi ? vous lever au dessert,

Et, pour me planter là, sortir l’un après l’autre ?

À Ariste.

Si vous étiez mon fils...

À Lisimon.

Mais, morbleu ! c’est le vôtre ;

Il vous ressemble en tout, et j’en suis bien fâché.

LISIMON.

Le terme est un peu rude.

GÉRONTE.

Oh ! puisqu’il est lâché,

Je ne m’en dédis point.

LISIMON.

Soit. Nous étions ensemble

Pour voir...

GÉRONTE.

Est-ce ma faute, à moi, s’il vous ressemble ?

LISIMON.

Non, c’est la mienne. Il faut...

GÉRONTE.

Il faut qu’il soit poli,

Et qu’il m’imite, moi.

LISIMON.

Sans doute.

GÉRONTE, à Ariste.

Est-il joli,

Quand on traite quelqu’un, de s’ennuyer à table,

Den sortir le premier, et... ?

ARISTE.

Je suis excusable ;

Car...

GÉRONTE.

Exposer un oncle, un oncle tel que moi,

À s’enivrer tout seul !

LISIMON.

Il a tort.

GÉRONTE.

Quand je bois,

Je veux qu’on me seconde, ou bien je bois de rage.

LISIMON.

Mon frère, nous parlions de notre mariage.

GÉRONTE.

À demain, mon neveu ; sinon déshérité.

ARISTE.

Mais différez du moins...

GÉRONTE.

Le sort en est jeté.

LISIMON.

Sommes-nous si pressés ?

GÉRONTE.

Oh ! la lenteur m’assomme.

Veut-on ? Ne veut-on pas ?

ARISTE, à part.

Quel insupportable homme !

GÉRONTE.

Les parents d’un Marquis, riche, bien à la cour,

Et même gentilhomme, écrivent chaque jour

Au frère de ma femme, à toute la famille,

Pour faire un mariage avec ma belle-fille.

Je n’ai, jusqu’à présent, voulu rien écouter :

Mais, morbleu ! gardez-vous de me mécontenter ;

Sinon, je pourrais bien leur donner audience.

ARISTE.

Hé bien ! mon oncle, il faut faire cette alliance.

LISIMON.

Non. Ariste a dessein de vous complaire en tout :

Mais lorsque d’une affaire on veut venir à bout...

GÉRONTE.

Qu’allez-vous nous chanter, l’homme aux belles maximes ?

LISIMON,

Que vos intentions sont bonnes, légitimes.

Et, sans doute, mon fils semble avoir un peu tort

De ne pas se résoudre à les suivre d’abord ;

Mais c’est un philosophe.

GÉRONTE.

Oui, morbleu ! dont j’enrage.

Qu’est-ce qu’un philosophe ? Un fou, dont le langage

N’est qu’un tissu confus de faux raisonnements ;

Un esprit de travers, qui, par ses arguments,

Prétend, en plein midi, faire voir des étoiles ;

Toujours, après l’erreur, courant à pleines voiles,

Quand il croit follement suivre la vérité ;

Un bavard, inutile à la société,

Coiffé d’opinions, et gonflé d’hyperboles,

Et qui, vide de sens, n’abonde qu’en paroles.

ARISTE.

Modérez, s’il vous plaît, cette injuste fureur :

Vous êtes, je le vois, dans la commune erreur ;

Vous peignez un pédant, et non un philosophe.

GÉRONTE.

Mais je les crois tous deux taillés en même étoffe.

ARISTE.

Non. La philosophie est sobre en ses discours,

Et croit que les meilleurs sont toujours les plus courts ;

Que de la vérité l’on atteint l’excellence

Par la réflexion, et le profond silence.

Le but d’un philosophe est de si bien agir,

Que de ses actions il n’ait point à rougir.

Il ne tend qu’à pouvoir se maîtriser soi-même :

C’est là qu’il met sa gloire, et son bonheur suprême.

Sans vouloir imposer par ses opinions,

Il ne parle jamais que par ses actions.

Loin qu’en systèmes vains son esprit s’alambique,

Être vrai, juste, bon, c’est son système unique.

Humble dans le bonheur, grand dans l’adversité,

Dans la seule vertu trouvant la volupté,

Faisant d’un doux loisir ses plus chères délices,

Plaignant les vicieux, et détestant les vices :

Voilà le philosophe ; et s’il n’est ainsi fait,

Il usurpe un beau titre, et n’en a pas l’effet.

GÉRONTE.

Êtes-vous fait ainsi ?

ARISTE.

Non : mais j’aspire à l’être.

LISIMON.

Mon fils gagne toujours à se faire connaître :

Il est donc philosophe, ainsi que je disais ;

Et voilà la raison sur quoi je me fondais

Pour vous représenter qu’en fait de mariage,

Rien ne l’empêcherait d’agir en homme sage.

Or le sage...

GÉRONTE.

Or le sage est différent de vous.

Je soutiens, moi, qu’il faut être le roi des fous,

Pour se faire prier d’épouser une fille,

Jeune, riche héritière, et de noble famille.

LISIMON.

Donnez-lui quelque temps pour se déterminer.

GÉRONTE.

Si le parti convient, à quoi bon lanterner ?

ARISTE.

Votre fille me hait.

LISIMON.

Souffrez qu’avec adresse

Il cherche les moyens de gagner sa tendresse.

GÉRONTE.

Soit.

LISIMON.

À la fin...

GÉRONTE.

Cela se peut faire en un jour.

ARISTE.

Je ne sais pas sitôt inspirer de l’amour,

Surtout lorsque l’on marque autant de répugnance...

LISIMON.

Ne lui donner qu’un jour ! Vous vous moquez, je pense ?

GÉRONTE.

Combien lui faut-il donc ?

LISIMON.

Au moins, un ou deux mois.

GÉRONTE, s’en allant.

Elle sera Marquise.

LISIMON.

Attendez.

GÉRONTE.

Une fois,

Deux fois, la voulez-vous ?

LISIMON.

Oui, mais sa fantaisie...

GÉRONTE.

Je lui donne huit jours, par pure courtoisie.

ARISTE.

Ah ! le terme est trop court.

LISIMON.

Mais il faut l’accepter ;

Et, pour vous faire aimer, tâcher d’en profiter.

GÉRONTE, à Ariste.

À huit jours donc la noce.

ARISTE.

À huit jours.

GÉRONTE.

Sans remise,

Ou je vous ferai cher payer votre sottise.

Adieu.

 

 

Scène IV

 

ARISTE, LISIMON

 

LISIMON.

Puisqu’au délai notre homme a consenti,

De ce brutal, enfin, nous tirerons parti.

Mais quel est ce Marquis pour lequel on le presse ?

Il faut, pour le savoir, user ici d’adresse :

J’espère y réussir. Pour en venir à bout,

J’attendrai qu’il se calme, alors je saurai tout.

Puis ensuite, appuyant le parti qu’on propose,

Peut-être je pourrai faciliter la chose.

Si j’amène votre oncle au point où je le veux,

Rien ne vous manquera pour être très heureux.

Ne craignant plus de perdre un fort gros héritage,

Vous vous déclarerez sur votre mariage.

ARISTE.

Non vraiment.

LISIMON.

Et pourquoi ?

ARISTE.

Je l’avoue à regret,

Tout mon bonheur consiste à garder le secret.

LISIMON.

Et quel sujet encor pourra vous y contraindre ?

Si votre oncle se rend, qu’aurez-vous plus à craindre,

Dites-moi ?

ARISTE.

Ce n’est pas mon oncle que je crains,

C’est le public ; c’est lui pour qui je me contrains.

LISIMON.

Le public ? Pour le coup, votre discours m’étonne.

Avez-vous épousé, mon fils, une personne

Dont le nom, la conduite, ou quelqu’autre sujet,

Vous forcent à cacher ce que vous avez fait ?

ARISTE.

Elle est d’un sang illustre ; elle est belle, elle est sage ;

Et l’on ne peut rien dire à son désavantage.

LISIMON.

Pourquoi, de votre hymen, êtes-vous donc honteux ?

ARISTE.

Pourquoi ? C’est qu’il me donne un ridicule affreux.

Tous ceux que j’ai raillés, vont railler sur mon compte.

Tôt ou tard je vaincrai cette mauvaise honte.

Aidez-moi maintenant à cacher mon secret :

J’appréhende, surtout, un marquis du Lauret,

Railleur impitoyable, amoureux de ma femme.

LISIMON.

Amoureux ?

ARISTE.

Oui. Jugez de l’état de mon âme.

J’aime mieux le souffrir, le voir à ses genoux,

Que de me déclarer en qualité d’époux.

LISIMON.

Le cas est tout nouveau.

ARISTE.

Dites même bizarre.

Mais permettez du moins que je ne me déclare !

Qu’après que ce Marquis aura pris femme aussi,

Et que je me serai retiré loin d’ici.

LISIMON.

Pourquoi vous retirer ?

ARISTE.

C’est un point nécessaire ;

Car, pour vous achever un aveu si sincère,

Je n’oserai jamais, au milieu de Paris,

Figurer à mon tour au nombre des maris.

LISIMON.

Je ne sais si je dois vous blâmer, ou vous plaindre ;

Mais, pour l’amour de vous, je veux bien me contraindre

À suivre votre plan ; et je vais tout tenter

Pour vous servir, mon fils, sans rien faire éclater.

 

 

Scène V

 

ARISTE, seul

 

Il s’agit maintenant d’y disposer Mélite

Et ma belle-sœur.

 

 

Scène VI

 

ARISTE, MÉLITE, CÉLIANTE, FINETTE

 

CÉLIANTE.

Oui, son procédé m’irrite ;

J’en veux avoir raison.

MÉLITE

Modérez ce courroux :

Peut-être a-t-il dessein de se donner à vous.

CÉLIANTE.

Qu’il m’adore, s’il veut ; je le hais, le déteste.

Me croyez-vous donc fille à prendre votre reste ?

ARISTE.

De qui parlez-vous là ?

MÉLITE.

Nous parlons du Marquis.

CÉLIANTE.

M’adorer par dépit ! Ah ! le trait est exquis.

Je voudrais bien savoir si, sans extravagance,

Quelqu’un vous peut, sur moi, donner la préférence.

Pour vous offrir ses vœux, ma sœur, plutôt qu’à moi,

Il faut être imbécile ou philosophe.

ARISTE.

Eh quoi !

Toujours désobligeante ? Est-elle criminelle,

Si quelqu’un près de vous ose la trouver belle ?

MÉLITE.

Me voyez-vous, ma sœur, chercher des soupirants,

Ou, pour vous les ôter, m’offrir à leur encens ?

Faut-il même avouer, pour vous rendre contente,

Que mes traits font horreur, que vous êtes charmante ?

Je le déclarerai devant qui vous voudrez,

Et tout autant de fois que vous l’exigerez.

CÉLIANTE.

Ce serait là nous rendre une égale justice ;

Mais je n’exige point un pareil sacrifice.

Ne parlez point pour moi, mes traits parleront mieux

À quiconque a du goût, de l’esprit et des yeux.

Quant à notre Marquis, c’est chose très constante,

Que j’ai dû, plus que vous, lui paraître charmante.

Étant homme de cour, et parfait connaisseur,

Il m’offense, en osant me préférer ma sœur.

Pour s’arracher à vous, il m’offre son hommage,

Me le fait agréer ; et c’est un double outrage

Qui me pique à tel point, que je m’en vengerai.

ARISTE.

Et de quelle façon ?

CÉLIANTE.

Je lui déclarerai

Qu’il a parfaitement l’honneur de me déplaire.

ARISTE, riant.

Il sera fort touché d’un aveu si sincère !

CÉLIANTE.

Que si c’est par dépit qu’il s’est offert à moi,

C’est par dépit aussi que j’ai reçu sa foi.

ARISTE, riant.

Bon !

CÉLIANTE.

Que ma sœur, bien loin de répondre à sa flamme,

Le méprise.

ARISTE.

Fort bien !

CÉLIANTE.

Et qu’elle est votre femme ?

ARISTE, effrayé.

J’ai des raisons encor pour cacher mon secret ;

Et principalement au marquis du Lauret.

MÉLITE.

Quelle obstination ! Votre oncle et votre père

Veulent vous marier, est-il temps de vous taire ?

ARISTE.

Sur cet article-là ne vous alarmez pas ;

Je trouverai moyen de sortir d’embarras.

MÉLITE.

Quoi ! sans vous expliquer sur notre mariage ?

ARISTE.

Si vous m’obéissez, c’est à quoi je m’engage.

MÉLITE.

J’obéirai, pourvu que vous juriez aussi

D’empêcher le Marquis de revenir ici.

ARISTE.

Moi, l’empêcher ! Comment ? Que pourrai-je lui dire ?

MÉLITE.

Que je suis votre femme.

ARISTE.

Il n’est point de martyre

Que je n’aimasse mieux mille fois endurer,

Que de prendre sur moi de le lui déclarer.

MÉLITE.

Hé bien ! pour ne vous faire aucune violence,

Permettez qu’au Marquis j’en fasse confidence.

ARISTE.

N’est-ce pas même chose ? Et dès qu’il me verra...

CÉLIANTE.

Voyez le grand malheur, quand il vous raillera !

Mon cher beau-frère, autant que je puis m’y connaître,

Vous êtes marié, mais très honteux de l’être.

MÉLITE.

Prenez votre parti, le Marquis vient à vous.

CÉLIANTE.

Je sens, à son aspect, redoubler mon courroux.

Ma langue se révolte, et n’est plus retenue.

ARISTE.

C’en est fait ; je vois bien que mon heure est venue.

 

 

Scène VII

 

MÉLITE, CÉLIANTE, ARISTE, LE MARQUIS, FINETTE

 

LE MARQUIS, après les avoir observés quelque temps.

Plus je vous considère avec attention,

Plus je vois que je cause ici d’émotion.

Regardant Mélite.

L’une baisse les yeux, et paraît interdite.

Regardant Céliante.

L’autre me fait sentir que mon aspect l’irrite.

Finette sous ses doigts sourit malignement ;

Ariste consterné rêve profondément.

Chaque attitude est juste, énergique, touchante,

Et vous formez tous quatre un tableau qui m’enchante.

FINETTE.

Il ne nous manque à tous que la parole.

LE MARQUIS.

Eh bien ?

Ne finirons-nous point ce muet entretien ?

À Mélite.

Pour la dernière fois, écoutez-moi, Madame ;

Je ne veux plus ici vous parler de ma flamme.

J’approuve les mépris dont vous m’avez payé.

ARISTE, à part.

Le traître a découvert que je suis marié.

MÉLITE.

Je ne demande point quel motif vous inspire.

Si vous ne m’aimez plus, c’est ce que je désire :

Et si ma sœur a pu causer ce changement,

Vous ne pouviez me faire un aveu plus charmant.

 

 

Scène VIII

 

ARISTE, LE MARQUIS, CÉLIANTE, FINETTE

 

CÉLIANTE.

En tout cas, s’il est vrai, comme je dois le croire,

Que mes charmes aux siens arrachent la victoire,

Mon cher petit Marquis, soyez bien averti

Que vous prenez encore un plus mauvais parti.

Pour être un pis-aller je ne fus jamais faite.

Adieu. Vous m’entendez, et je suis satisfaite.

 

 

Scène IX

 

ARISTE, LE MARQUIS

 

LE MARQUIS, riant.

L’incartade est plaisante et me réjouit fort.

ARISTE.

On peut trouver moyen de vous mettre d’accord.

LE MARQUIS.

Laissons-lui le plaisir de faire la cruelle.

Si je veux m’engager, ce n’est pas avec elle.

ARISTE.

Quoi donc ! voudriez-vous enfin vous marier ?

LE MARQUIS.

Oui, mon cher ; et de plus je vais le publier,

Afin que les rieurs se dépêchent de rire ;

Et que, la noce faite, on n’ait plus rien à dire.

Je ferai sur moi-même un couplet de chanson,

Pour animer leur verve, et leur donner le ton.

ARISTE.

Le projet est hardi, mais il est raisonnable.

LE MARQUIS.

N’est-il pas vrai ? Pour moi, je le tiens préférable

Au parti que prendrait un homme tel que nous,

De faire le plongeon pour éviter les coups.

Vous, par exemple, vous, dont la veine comique,

Aux dépens du beau sexe a paru si caustique,

Ne conviendrez-vous pas, si, par quelque retour,

Vous vous avisiez... là... de prendre femme un jour,

Et que vous voulussiez cacher ce mariage,

Que vous joueriez alors un fort sot personnage ?

ARISTE.

Ah ! très sot en effet. Mais enfin, dites-moi

Quel est l’objet qui va recevoir votre foi ?

LE MARQUIS.

Une enfant de treize ans. Cela doit vous surprendre :

Mais ce n’est encor rien ; et vous allez apprendre

Un fait qui causera votre admiration.

J’épouse cette enfant par procuration.

Mon oncle, dont j’attends une fortune immense,

Depuis long-temps sous main traite cette alliance,

Et veut que, sans tarder, l’hymen soit contracté.

Il trouve seulement une difficulté,

Qui ne lui paraît rien, cependant.

ARISTE.

Quelle est-elle ?

LE MARQUIS.

Eh ! mais... C’est que celui de qui dépend la belle,

Refuse absolument de me la donner.

ARISTE.

Bon !

LE MARQUIS.

On m’assure pourtant qu’il peut changer de ton,

Et que son frère aîné, plus doux et plus docile,

Apprenant ce projet, le rendra plus facile ;

Voilà ce qu’on me vient de dire en ce moment.

ARISTE.

Je ne puis revenir de mon étonnement.

Ou je me trompe fort, ou mon oncle et mon père

Sont assurément ceux sur qui roule l’affaire.

Il s’agit du parti qui m’était destiné.

LE MARQUIS.

Ma foi, du premier coup vous l’avez deviné.

Nous voilà donc rivaux ? L’aventure est cruelle !

ARISTE.

Oh non ! De tout mon cœur je vous cède la belle.

LE MARQUIS, en souriant.

J’admire cet excès de générosité !

La fille est-elle aimable ?

ARISTE.

Oh ! c’est une beauté.

LE MARQUIS.

A-t-elle de l’esprit, dites-moi ?

ARISTE.

Comme un ange.

LE MARQUIS.

Et vous la refusez ?

ARISTE.

Oui.

LE MARQUIS.

Vous êtes étrange !

Et si votre oncle va me donner tout son bien ?

ARISTE.

Qu’il me laisse en repos, et je n’y prétends rien.

LE MARQUIS.

Malgré cela, pourtant, je regrette Mélite.

ARISTE.

Vous vous exagérez un peu trop son mérite ;

Pour moi, je n’y vois rien qui soit si merveilleux.

LE MARQUIS.

On vous soupçonne fort d’avoir de meilleurs yeux.

Non, Mélite jamais ne peut être oubliée ;

Mais j’y dois renoncer, puisqu’elle est mariée.

ARISTE.

Mariée !

LE MARQUIS.

Oui, vraiment.

ARISTE.

Vous voulez plaisanter.

LE MARQUIS, lui frappant sur l’épaule.

Notre ami, c’est un point dont je ne puis douter :

On a su découvrir cette affaire secrète

Par la sœur de Mélite, et même par Finette ;

Et ceux qu’elles avoient choisis pour confidents,

M’ont confié le fait depuis quelques instants.

On sait même le nom du mari de Mélite ;

On vante son esprit, son bon cœur, son mérite ;

Grand philosophe, mais bizarre, singulier ;

Honteux d’avoir enfin osé se marier,

Et voulant au publie cacher cette sottise,

De crainte qu’à son tour on ne le tympanise.

Il rit.

Ne le pourriez-vous point connaître à ce portrait ?

ARISTE.

À peu près.

LE MARQUIS.

Ah ! tant mieux, j’en suis fort satisfait.

Eh bien ! dites-lui donc qu’on sait son mariage ;

Et conseillez-lui fort de s’armer de courage,

Afin de recevoir galamment aujourd’hui

Certains petits brocards qui vont fondre sur lui.

Il sort en riant.

 

 

Scène X

 

ARISTE, seul

 

Suis-je mort ou vivant ? Après ce coup de foudre,

Que vais-je devenir ? Et que puis-je résoudre ?

Voici l’instant fatal que j’ai tant redouté :

Mais ne nous perdons point en cette extrémité.

Ici, la diligence est un point nécessaire ;

Et je sais le moyen de me tirer d’affaire.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ARISTE, DAMON

 

DAMON.

Mais écoutez-moi.

ARISTE.

Non. Vous me parlez en vain ;

Rien ne peut m’empêcher de suivre mon dessein.

DAMON.

Vous extravaguez donc ?

ARISTE.

Soit folie ou sagesse,

Je pars, et dans l’instant.

DAMON.

Quelle étrange faiblesse !

Que dira-t-on de vous ?

ARISTE.

Tout ce que l’on voudra.

Pourvu que je sois loin, rien ne me touchera.

DAMON.

Quoi ! cet esprit nourri de la sagesse antique,

Se perd, quand il s’agit de la mettre en pratique ?

ARISTE.

Je vous l’ai dit souvent : les sages autrefois,

De la seule vertu reconnaissant les lois,

Loin de fuir la douleur comme un affreux supplice,

Non contents de la vaincre, en faisaient leur délice.

Les plus sanglants affronts, les plus cruels mépris,

Ne pouvaient un instant ébranler les esprits.

Immobiles rochers, ils défiaient l’orage ;

J’admire leur exemple, et n’ai pas leur courage.

DAMON.

Et moi, je vous réponds que vous l’égalerez

Dès le même moment que vous vous calmerez.

ARISTE.

Eh ! comment me calmer au fort de ma disgrâce ?

Je voudrais qu’un instant vous fussiez à ma place,

En butte à mille affronts pires que le trépas ;

Un front à triple airain ne les soutiendrait pas.

À peine quelques gens savent mon mariage,

Qu’au même instant sur moi je vois fondre un orage,

Un déluge d’écrits, tant en prose qu’en vers,

Qui vont, à mes dépens, réjouir l’univers.

Et que sera-ce donc, quand la cour et la ville ?...

DAMON.

Pour parer tous ces traits, soyez ferme et tranquille ;

C’est le meilleur parti.

ARISTE.

Je le sens comme vous.

Mais pourriez-vous tenir contre de pareils coups ?

Lisez.

Il présente plusieurs papiers à Damon.

DAMON.

Bon ! jeux d’esprit, et pures bagatelles !

ARISTE.

Morbleu ! ce sont pour moi des blessures mortelles.

L’équitable public me rend ce qu’il me doit.

On va me rire au nez, et me montrer au doigt ;

Je n’y pourrais survivre, une retraite obscure

Me sauvera du moins cette triste aventure.

DAMON.

Et Mélite ?

ARISTE.

Dans peu Mélite me suivra.

DAMON.

Croyez qu’à ce dessein elle s’opposera.

ARISTE.

En dépit d’elle-même, il faut qu’elle y consente.

Ma disgrâce est l’effet de sa langue imprudente :

À mes cruels chagrins je prétends qu’elle ait part ;

Et je vais la résoudre à souffrir mon départ.

Holà ! quelqu’un.

 

 

Scène II

 

ARISTE, DAMON, PICARD

 

PICARD.

Monsieur !

ARISTE.

Va-t’en voir si Madame

Est de retour.

PICARD s’en va et revient.

De qui parlez-vous ?

ARISTE, vivement, après avoir un peu rêvé.

De ma femme.

PICARD s’en va et revient.

Laquelle est-ce ?

ARISTE.

Mélite.

PICARD, se grattant l’oreille.

Oh ! je ne suis pas sot ;

Je le savais fort bien, sans vous en dire mot.

ARISTE.

Va-t’en.

 

 

Scène III

 

ARISTE, DAMON

 

DAMON.

Où voulez-vous faire votre retraite ?

ARISTE.

Pour cette circonstance, elle sera secrète.

DAMON.

Parbleu je vous suivrai.

ARISTE.

Non, ne me suivez pas ;

Et si ma belle-sœur a pour vous des appas,

Gardez-vous de la perdre un seul instant de vue ;

Sinon, vous pourriez bien la retrouver pourvue.

DAMON.

Comment puis-je fixer son caprice éternel ?

ARISTE.

En l’engageant à vous par un nœud solennel.

Votre nom supposé cause sa répugnance.

Il faut lui déclarer quelle est votre naissance.

DAMON.

Je le puis. Vous savez qu’une affaire d’honneur

M’a fait cacher mon rang, et causait son erreur ;

Grâce à mon frère aîné, cette affaire cruelle

Vient d’être accommodée, et j’en ai la nouvelle

Par un de mes parents arrivé de Lyon.

Je n’ai plus rien à craindre, et je reprends mon nom.

Du moins, jusqu’à demain, suspendez votre fuite,

Pour rendre témoignage...

ARISTE.

Ah ! j’aperçois Mélite.

Que je suis agité ! Voici l’occasion

Où je dois recourir à votre affection.

Aidez-moi de vos soins.

DAMON.

Hé bien, que faut-il faire ?

Me voilà prêt.

ARISTE.

De grâce allez trouver mon père ;

Dites-lui mon dessein. Faites si bien aussi,

Qu’il puisse l’approuver et demeurer ici,

Afin de consoler Mélite en mon absence :

Allez : je vous attends avec impatience.

 

 

Scène IV

 

ARISTE, MÉLITE, CÉLIANTE, FINETTE

 

MÉLITE, à Ariste.

Ciel ! que dois-je augurer du trouble où je vous vois ?

ARISTE, agité.

Ici fort à propos vous venez toutes trois.

À Mélite.

Ma femme, désormais, vous serez satisfaite.

MÉLITE.

En quoi ?

ARISTE.

Notre union cesse d’être secrète.

Et, grâces à vos soins, à votre empressement,

De toutes parts enfin on m’en fait compliment.

MÉLITE.

Quoi ? vous osez me faire une telle injustice ?

Si je vous ai trahi, que le ciel me punisse.

ARISTE.

Vous verrez que c’est moi qui me serai trahi ;

Car Finette, à coup sûr, m’a trop bien obéi

Pour avoir laissé même entrevoir le mystère.

Et pour ma belle-sœur, qui sait l’art de se taire,

Que dis-je ? qui le porte à sa perfection,

Je n’ai qu’à me louer de sa discrétion.

CÉLIANTE.

Il est pourtant certain, malgré vos railleries,

Que je n’ai dit le fait qu’à six de mes amies.

FINETTE.

Et moi, qu’à deux ou trois de mes meilleurs amis,

Qui n’en auront rien dit, car ils me l’ont promis.

En les mettant ainsi de notre confidence,

Je les engageais tous à garder le silence.

MÉLITE.

Ah ! cessez de railler, de grâce, et dites-nous...

ARISTE.

Hé bien ! sans plaisanter, je prends congé de vous.

Adieu, ma femme.

MÉLITE.

Ô ciel ! je n’y pourrai survivre.

Ariste, ou demeurez, ou laissez-moi vous suivre.

ARISTE.

Vous me suivrez aussi : soyez prête au départ.

Dans peu quelqu’un viendra vous trouver de ma part,

Et nous nous reverrons dans un séjour tranquille,

Où j’ai fixé le mien. Je renonce à la ville ;

Voyez si vous pouvez y renoncer aussi ;

Et n’espérez jamais de me revoir ici.

CÉLIANTE.

Eh quoi ! pour un mari vous serez complaisante,

Jusqu’à vouloir pour lui vous enterrer vivante !

MÉLITE.

Oui, ma sœur.

À Ariste.

Je ferai tout ce que vous voudrez.

Je trouverai Paris partout où vous serez.

 

 

Scène V

 

ARISTE, DAMON, MÉLITE, CÉLIANTE, FINETTE

 

DAMON.

Je viens vous informer d’une fâcheuse affaire :

J’ai trouvé près d’ici votre oncle et votre père,

Sortants de la maison du marquis du Lauret,

Où sans doute ils avoient appris votre secret.

Votre oncle, transporté de colère et de rage,

Prétend faire, dit-il, casser le mariage,

Comme ayant été fait à l’insu de parents,

Et trouve, pour cela, vingt moyens différents.

MÉLITE.

Ciel ! que nous dites-vous ?

DAMON.

Ce que je viens d’entendre.

ARISTE.

Et mon père ?

DAMON.

Il s’efforce en vain à vous défendre.

Votre oncle, prévenu, refuse d’écouter,

Et, s’il n’est secondé, veut vous déshériter.

Une telle menace alarme votre père,

Qui ne sait de quel biais ajuster cette affaire.

Ils sont partis ensemble, et vont, je crois, tous deux

Consulter sur ce point un avocat fameux.

MÉLITE.

Et dans un tel péril Ariste m’abandonne ?

ARISTE.

Non. L’éclat que j’ai craint, n’a plus rien qui m’étonne :

Votre péril me rend la noble fermeté

Qui des cœurs vertueux fait la félicité.

Je vais, d’un front serein, faire tête à l’orage.

Que le public surpris fronde mon mariage,

Que mon oncle irrité me prive de son bien,

On veut nous séparer, je ne ménage rien.

Je vais trouver mon oncle, et moi-même lui dire

Qu’à m’arracher à vous c’est en vain qu’il aspire ;

Et je lui ferai voir, en bravant son courroux,

Que rien n’est à mon cœur si précieux que vous.

MÉLITE.

Je reconnais Ariste, et n’ai plus rien à craindre.

Mais au premier abord tâchez de vous contraindre,

Et souffrez tout le feu du premier mouvement.

ARISTE.

C’est mon dessein. Allez à votre appartement,

Et ne paraissez plus qu’on ne vous avertisse.

MÉLITE.

Ô ciel ! protège-nous, j’implore ta justice.

 

 

Scène VI

 

DAMON, CÉLIANTE, FINETTE

 

CÉLIANTE.

L’état où je les vois me fait compassion.

Malgré moi je prends part à leur affliction.

Il faut que je sois folle. Oh ! oui, je suis trop bonne.

Moi, trembler pour ma sœur ?

DAMON.

Quoi ! cela vous étonne ?

CÉLIANTE.

Pourquoi non ? songez-vous aux tours qu’elle m’a faits ?

DAMON.

Quels tours ?

CÉLIANTE.

Ceux qu’une sœur ne pardonne jamais.

DAMON.

Mais encore, en quoi donc ?

CÉLIANTE.

D’avoir eu l’art de plaire

À des gens dont l’hommage eût pu me satisfaire.

DAMON.

Je vous suis obligé de ce doux compliment :

Mais, puisque vous m’aimez, je ne vois pas comment

Vous lui voulez du mal d’avoir su plaire à d’autres.

FINETTE.

C’est que vos sentiments sont différents des nôtres.

CÉLIANTE.

Quoi ! vous croyez encor que je vous aime, moi ?

DAMON.

La question me charme ! Eh ! parbleu, je le crois,

Puisque vous me l’avez cent fois juré vous-même.

CÉLIANTE.

Ah, quelle vision ! Moi, Finette, je l’aime ?

Est-il vrai ?

FINETTE.

Quelquefois, selon le temps qu’il fait.

DAMON.

Du caprice souvent j’ai ressenti l’effet.

Mais, malgré vous, je lis jusqu’au fond de votre âme ;

Et je vous réponds, moi, que vous serez ma femme.

CÉLIANTE.

Moi, je serai sa femme ! Ah ! je voudrais le voir.

DAMON.

Oui, oui, vous le verrez.

CÉLIANTE.

Quand cela ?

DAMON.

Dès ce soir.

CÉLIANTE, à Finette.

Ne le croirait-on pas, de l’air dont il l’assure ?

FINETTE.

On croirait qu’il vous dit votre bonne aventure.

CÉLIANTE.

Ma mauvaise, plutôt.

DAMON.

Oui, vos yeux, malgré vous,

M’annoncent que ce soir je serai votre époux.

CÉLIANTE.

Mes yeux en ont menti. Mais voyez l’impudence !

Qui ? moi, j’épouserais un homme sans naissance !

DAMON.

Et si vous deveniez comtesse en m’épousant ?

CÉLIANTE.

Vous, me faire comtesse ?

DAMON.

Ariste est mon garant,

Et du sang dont je sors il pourra vous instruire :

L’en croirez-vous ?

CÉLIANTE.

Eh, mais !... je ne sais plus que dire.

Pourquoi donc feigniez-vous ?...

DAMON.

Une forte raison

M’obligeait à cacher ma naissance et mon nom.

CÉLIANTE.

Je ne croirai cela que sur l’avis d’Ariste.

Le péril de ma sœur m’inquiète et m’attriste.

Nous songerons à nous, quand je saurai son sort.

J’entends du bruit.

DAMON.

C’est l’oncle.

FINETTE.

Il querelle, et bien fort.

 

 

Scène VII

 

LISIMON, GÉRONTE, DAMON, CÉLIANTE, FINETTE

 

GÉRONTE.

Ô le grand philosophe ! ô le beau mariage !

Où se cache-t-il donc ce raisonneur si sage,

Qui n’impose jamais par ses opinions,

Et qui ne veut parler que par ses actions ?

Ah ! vraiment, l’imbécile en a fait une belle !

LISIMON.

Eh, mon frère !

FINETTE, à Céliante.

Il me fait une frayeur mortelle.

CÉLIANTE.

Je m’en vais lui répondre.

DAMON, la retenant.

Eh ! ne l’irritez pas.

De sang-froid laissons-lui faire tout son fracas.

GÉRONTE.

Qu’il s’exhale en douceurs auprès de sa Mélite :

Mais qu’il sache, morbleu ! que je le déshérite.

Avec ma belle-fille, on aura tout mon bien.

LISIMON.

Quoi ! ce neveu si cher...

GÉRONTE.

Ce neveu n’aura rien.

LISIMON.

Mais...

GÉRONTE.

Il mourra de faim, j’ai fait son horoscope,

Et je veux qu’il enrage avec sa Pénélope,

À moins qu’il ne la livre à mon ressentiment.

LISIMON.

Ah ! ne vous flattez point de son consentement.

GÉRONTE.

L’affaire est entamée, il faut qu’il me le donne.

Mais je crois que voici justement la personne

Dont la beauté maudite a séduit mon neveu.

FINETTE.

Madame, il vient à vous.

CÉLIANTE.

Vous allez voir beau jeu.

DAMON, à Céliante.

Gardez-vous de l’aigrir.

CÉLIANTE.

Mon Dieu ! laissez-moi faire.

Je m’en vais, en deux mots, accommoder l’affaire.

DAMON,

Ou plutôt la gâter.

GÉRONTE, à Céliante.

Ah ! ma belle, est-ce vous

Dont mon sot de neveu prétend être l’époux ?

CÉLIANTE.

Et quand cela serait, qu’y trouvez-vous à dire ?

FINETTE, à part.

L’entretien sera vif, et je m’apprête à rire.

GÉRONTE.

Mais je n’y trouve, moi, qu’une difficulté :

Le mariage est nul, de toute nullité.

CÉLIANTE.

Je soutiens qu’il est bon, et bon par excellence,

Et qu’il n’y manque pas la moindre circonstance.

FINETTE.

On n’a rien oublié.

GÉRONTE.

Que mon consentement,

Et celui de mon frère.

CÉLIANTE.

On s’en passe aisément,

Comme vous le voyez.

GÉRONTE, à Lisimon.

Tubleu, quelle commère !

CÉLIANTE, à Lisimon.

Apparemment, Monsieur, vous êtes beau-père ?

LISIMON.

Je suis père d’Ariste.

CÉLIANTE.

Ayez la fermeté

De vous servir ici de votre autorité.

Si j’en crois votre fils, vous êtes homme sage,

Qui, loin de chicaner sur un bon mariage,

Signerez au contrat, sans vous faire prier.

À Géronte.

Pour vous, il vous sied bien, mon petit financier,

Fier d’un bien mal acquis, de blâmer l’alliance

D’une fille d’honneur, et d’illustre naissance.

Oh bien ! tenez de moi, pour un fait assuré,

Que vous vous en devez croire fort honoré ;

Que c’est risquer beaucoup qu’insulter ma famille,

Et qu’on vaut mieux, cent fois, que votre belle-fille.

GÉRONTE, à Lisimon.

C’est donc là cet esprit sage, modeste, doux,

Qui devait, tout d’abord, désarmer mon courroux ?

LISIMON.

Mon fils me l’avait dit. Mais quelle est ma surprise ?

Je crois que notre sage a fait une sottise.

GÉRONTE.

Et vous me retiendrez encore après cela ?

LISIMON.

Madame, il vous sied mal de prendre ce ton-là ;

Et l’air dont vous venez de parler à mon frère,

Me fait mal augurer de votre caractère.

CÉLIANTE.

Tant pis pour vous, Monsieur.

LISIMON.

Dans cette occasion,

Votre unique parti c’est la soumission.

GÉRONTE.

Allons, sortons, mon frère, ou bien je vous renonce.

Ma belle, dans l’instant, vous aurez ma réponse.

DAMON, à Céliante.

J’ai prévu ces effets de votre emportement.

Messieurs, vous vous trompez, écoutez un moment.

GÉRONTE.

Je n’écoute plus rien, je suis trop en colère.

J’aurais été, peut-être, aussi sot que mon frère :

Mais puisqu’on m’ose encor traiter de la façon,

Un bon procès, morbleu ! va m’en faire raison.

Allons. Malgré ce fils, que vous croyiez si sage,

Je prétends qu’un arrêt casse le mariage.

 

 

Scène VIII

 

LISIMON, GÉRONTE, ARISTE, DAMON, CÉLIANTE, FINETTE

 

ARISTE.

Casser mon mariage, avoir un tel dessein,

C’est vouloir me plonger un poignard dans le sein.

CÉLIANTE.

Qu’il s’y joue, il verra.

ARISTE, à Lisimon.

Même, en votre présence,

On m’ose menacer de cette violence !

J’ai peine à retenir un trop juste courroux.

Mon oncle, contre moi, dispose-t-il de vous ?

Mais j’ai tort, après tout, de craindre que mon père

Veuille, à cet attentat, prêter son ministère :

Sa bonté, sa vertu, m’en sont de sûrs garants.

Si vous connaissiez bien celle que je défends,

Loin de vouloir, mon oncle, armer la loi contre elle,

Vous-même vous seriez son défenseur fidèle.

Aussitôt qu’on la voit, tout parle en sa faveur,

Ses traits, sa modestie, et surtout sa douceur.

GÉRONTE.

Sa douceur ! Oui parbleu ! nous en avons des preuves.

De grâce, en faites-vous de fréquentes épreuves ?

ARISTE.

Sans cesse.

GÉRONTE, à Lisimon.

À quel excès va son aveuglement !

LISIMON, à Ariste.

Nous avons tout sujet d’en penser autrement.

ARISTE.

De ma femme ?

LISIMON.

Oui, mon fils.

FINETTE, à part.

L’équivoque est plaisante.

LISIMON.

Elle est très emportée, encor plus imprudente ;

Et devant elle, enfin, je vous déclare met,

Que de son procédé je suis mal satisfait.

ARISTE, regardant de tous côtés.

Devant elle ?

GÉRONTE.

Pour moi, j’en suis outré de rage.

LISIMON.

Elle a fait à votre oncle un très sensible outrage ;

Et vous avez grand tort de vanter sa douceur.

FINETTE, à part.

Je ne puis m’empêcher de rire de bon cœur.

DAMON.

Ariste, écoutez-moi.

ARISTE, à Damon.

Se peut-il que Mélite ?...

CÉLIANTE.

Allez, on l’a traité tout comme il le mérite.

GÉRONTE, à Ariste.

Hé bien ! vous entendez ?

ARISTE.

Moi ? Non, je n’entends point.

LISIMON.

Puisqu’elle ose pousser l’arrogance à ce point,

Je vais donner les mains au dessein de mon frère.

ARISTE.

Non, Mélite n’est point d’un pareil caractère.

Je ne puis croire encor tout ce que l’on m’en dit ;

Et je vais la chercher.

GÉRONTE, à Lisimon.

A-t-il perdu l’esprit ?

LISIMON.

Vous allez, dites-vous, la chercher ? Où ?

ARISTE.

Chez elle.

GÉRONTE.

Oh ! la philosophie a brouillé sa cervelle.

Ne la voyez-vous pas ?

ARISTE, apercevant Mélite.

En effet, la voici.

Nous allons avec elle éclaircir tout ceci.

 

 

Scène IX

 

LISIMON, GÉRONTE, DAMON, MÉLITE, ARISTE, CÉLIANTE, FINETTE

 

ARISTE.

Mélite, approchez-vous ?

LISIMON.

Que vois-je ?

DAMON.

C’est sa femme.

GÉRONTE.

C’est sa femme ?

FINETTE.

Elle-même.

ARISTE.

On me soutient, Madame

Que mon oncle et mon père, en ce même moment

Ont essuyé cent traits de votre emportement ;

Que, sans aucun respect, excitant leur colère...

MÉLITE.

Moi, j’aurais insulté votre oncle et votre père !

Eh ! je n’ai jamais eu l’honneur de leur parler.

ARISTE.

Quel galimatias !

DAMON.

Je vais le démêler,

Si l’on m’écoute enfin. Une pure méprise

Forme l’embrouillement qui fait votre surprise ;

Et les vivacités de votre belle-sœur,

Qu’ils prenaient pour Mélite, ont causé leur erreur.

ARISTE.

Vous auriez dû plutôt le leur faire comprendre.

DAMON.

Et le moyen ? Jamais on n’a voulu m’entendre.

CÉLIANTE.

Ce que je leur ai dit, je le répéterai.

On veut nous faire affront, et je le souffrirai ?

On intente un procès sur votre mariage,

Et je ne serai pas sensible à cet outrage ?

Si j’étais votre femme, et qu’on eût ce dessein,

Votre oncle ne mourrait jamais que de ma main.

MÉLITE, à Lisimon et à Géronte.

De quoi suis-je coupable ? Ariste peut vous dire

Qu’à recevoir sa main il n’a pu me réduire,

Qu’après m’avoir promis, et juré mille fois,

Que son père, avec joie, approuverait son choix.

À Lisimon.

C’est à vous (je le vois) qu’il faut que je m’adresse,

Pour vous entendre ici confirmer sa promesse.

Vous aimez trop ce fils, vous aimez trop l’honneur,

Pour condamner son choix, et causer mon malheur.

LISIMON.

Madame, vos discours ont pénétré mon âme.

Mon fils ne pouvait prendre une plus digne femme,

Je le vois ; et son choix entraînerait le mien,

Si ce fils, pour vous deux, avait assez de bien.

Sa fortune dépend des bontés de mon frère,

Et votre mariage excite sa colère.

Il veut absolument rompre cette union,

Ou priver votre époux de sa succession.

MÉLITE, à Géronte.

Pour vous fléchir, Monsieur, je n’ai point d’autres armes

Que ma soumission, mes soupirs et mes larmes.

Confirmez mon bonheur. Pour l’obtenir de vous,

Je ne rougirai point d’embrasser vos genoux.

Mais si je presse en vain, si votre aigreur subsiste,

Je ne veux point causer l’infortune d’Ariste.

En brisant nos liens, rendez-lui votre cœur ;

Un couvent cachera ma honte et ma douleur.

GÉRONTE, attendri.

Qui pourrait résister à sa voix de Sirène ?

Ma nièce, levez-vous. Me voilà fort en peine.

Tantôt désespéré de votre hymen secret,

J’ai promis aux parents du marquis du Lauret,

Qu’il aurait tout mon bien avec ma belle-fille,

En cas que je la fisse entrer dans leur famille.

Si je vous laisse, Ariste, elle aura le Marquis,

Et ma succession, puisque je l’ai promis.

ARISTE.

Mon oncle, vous pouvez accomplir vos promesses :

Mélite me tient lieu de toutes vos richesses.

 

 

Scène X

 

LE MARQUIS, LISIMON, GÉRONTE, ARISTE, DAMON, MÉLITE, CÉLIANTE, FINETTE

 

LE MARQUIS.

Vous voyant assemblés, je suppose d’abord

Qu’après un peu de bruit vous voilà tous d’accord.

C’est prendre, croyez-moi, le parti le plus sage.

À Ariste.

Je vous fais compliment sur votre mariage.

Si vous eussiez daigné me le faire savoir,

J’aurais su m’acquitter plutôt de ce devoir.

ARISTE.

Épargnez-vous, Marquis, ces froides railleries.

Vous perdez tout le fruit de vos plaisanteries,

Car je ne les crains plus. Vous aurez votre tour.

LE MARQUIS.

Si votre oncle y consent, ce sera dès ce jour.

À Géronte.

Vous destiniez Ariste à votre belle-fille,

Cela n’est plus faisable. En ce cas, ma famille,

Vous et moi, nous pourrons conclure en ce moment,

Si vous voulez, Monsieur, décider promptement.

GÉRONTE.

Vous êtes bien pressé.

LE MARQUIS, regardant Ariste.

Lorsqu’un homme si sage

Se soumet humblement au joug du mariage,

Et qu’il n’en rougit plus, puis-je trop me presser

De suivre le chemin qu’il vient de me tracer ?

GÉRONTE.

Hé bien ! ma belle-fille est à vous. Sa naissance

Est égale à la vôtre, et tout au moins, je pense.

LE MARQUIS.

D’accord.

GÉRONTE.

Par elle-même elle a beaucoup de bien.

LE MARQUIS.

Tant mieux.

GÉRONTE.

Et j’ai promis que j’y joindrais le mien.

LE MARQUIS.

Retranchez cet article, autrement point d’affaire.

GÉRONTE.

Vous opposer au don que je voulais vous faire !

LE MARQUIS.

Ce n’est point pour trancher ici du généreux.

Un jour, je serai riche au-delà de mes vœux :

Mais quand je serais né sans bien, sans espérance

D’en avoir, je mourrais plutôt dans l’indigence,

Que de devenir riche aux dépens d’un ami.

Monsieur, ne soyez point indulgent à demi.

Non content d’approuver qu’il conserve Mélite,

De deux parfaits époux couronnez le mérite.

Je n’exige de vous d’autre condition,

Que de leur assurer votre succession.

ARISTE, en l’embrassant.

Ami trop généreux !

LISIMON.

Ce procédé m’enchante.

GÉRONTE.

La déclaration est nouvelle et touchante.

Ma nièce, mon neveu, je voulais vous punir ;

Mais tout parle pour vous, je n’y puis plus tenir.

Vous aurez tout mon bien, en dépit de moi-même.

MÉLITE.

Puisqu’Ariste est heureux, mon bonheur est extrême.

GÉRONTE.

Mon frère, allons dresser et signer deux contrats.

ARISTE, à Céliante.

Nous en signerons trois. N’y consentez-vous pas ?

MÉLITE, à Céliante.

Vous résistez en vain, Damon a su vous plaire :

Donnez-lui votre main.

ARISTE.

Vous ne pouvez mieux faire.

Il vous cachait son rang. Mais je suis caution

Qu’il est homme d’honneur et de condition.

CÉLIANTE.

Je vous crois : mais enfin...

FINETTE, à Céliante.

Allons, un bon caprice.

DAMON.

Je vois que, malgré vous, vous me rendez justice.

CÉLIANTE.

Oui, monstre, il est écrit que je t’épouserai :

Mon penchant m’y contraint ; mais je m’en vengerai.

FINETTE.

Belle conclusion !

DAMON.

Pestez, sans vous contraindre.

Vous m’aimez, je vous aime, et je n’ai rien à craindre.

ARISTE, à Mélite.

Pour vous mettre, Mélite, au comble de vos vœux,

En face du public resserrons nos doux nœuds ;

Et prouvons aux railleurs que, malgré leurs outrages,

La solide vertu fait d’heureux mariages.

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