Le Modèle, croquis d’atelier (Hippolyte COGNIARD - Théodore COGNIARD)
Folie-vaudeville en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Nouveautés, le 3 juillet 1831.
Personnages
EUGÈNE VALIN, peintre français
NARCISSE LÉONIDAS, son modèle
LE PÈRE ANTONIO, moine
MARINA, femme de chambre italienne
La scène est à Bologne.
Le théâtre représente un atelier de peintre : des tableaux, une psyché, un mannequin ; sur le devant, une table ronde.
Scène première
VALIN
Il est assis devant son tableau, la palette à la main.
Air des Comédiens.
Oui, l’espérance à mon cœur est ravie ;
Ah ! je le vois, il n’est plus de bonheur.
Cette peinture, hélas ! est sans génie,
Et mes pinceaux ont perdu leur couleur.
Ah ! c’en est fait, je renonce à la gloire ;
Pour l’obtenir, on court trop de hasards :
À ce vain mot, non, je ne veux plus croire,
Et pour jamais j’abandonne les arts.
Oui, l’espérance, etc.
En vain je prends mes pinceaux... en vain je veux travailler... quand je pense que mon mariage avec ma chère Anna dépend de cet ouvrage... ma main tremble, et tout ce que je fais est sans chaleur, sans vie !... Ce tableau est presque achevé, mais il est froid et manque d’expression ; je n’ai jamais rien fait d’aussi médiocre... Anna ! c’en est fait, je dois renoncer à toi. Allons, me dit son père, un concours est ouvert ; distinguez-vous, Valin, et ma fille est à vous... au travail ! Ces gens s’imaginent que l’on peut commander au talent... C’est aujourd’hui même, dans quelques heures qu’il faut porter ce tableau à l’exposition... et depuis que je torture mon imagination, je n’ai jamais été moins inspiré... Ah ! je renonce à ce concours.
On entend chanter Narcisse dans la coulisse.
J’entends Narcisse, mon modèle.
Il dépose sa palette.
Je croyais finir cet ouvrage ce matin, et je devais travailler à mon grand tableau de Spartacus... Mais non, je suis incapable de peindre aujourd’hui.
On entend chanter de nouveau.
Allons, Narcisse va encore m’assommer de ses conseils... évitons-le.
Il prend son chapeau et sort.
Au moment où Valin sort, on entend chanter dans la coulisse Narcisse, qui paraît peu après.
Scène II
NARCISSE, seul
Il est en costume de romain.
Quand on attend son maître,
Que l’attente est désagréable.
Tra la, la, la, la, la.
Ah ! çà, il paraît que monsieur Eugène s’amuse à la moutarde ; voilà une bonne heure qu’il m’a dit va prendre le costume de Spartacus, va. J’ai pris le costume de Spartacus, j’ai préparé quatre fois ma pose... merci, Spartacus est resté le bec dans l’eau... Ah ! mon pauvre maître, le chagrin le mine... l’amour le tourmente... Ô amour ! scélérat d’amour ! tu as toujours assassiné les beaux-arts... je conçois pas moi qu’on se rende malheureux comme ça. Monsieur Eugène aime Anna, fille riche et jolie... bien... son père la lui a promise aussitôt qu’il se serait distingué en peinture... très bien... où y a-t-il sujet d’être triste... J’aime aussi, moi... j’aime Marina... ça n’empêche pas que tout à l’heure, en furetant dans les corridors de l’auberge, j’ai trouvé le garde-manger ouvert... Eh bien ! j’ai agi en conséquence, et quand la vieille Thérésina, la cuisinière, cherchera sa cuisse... ni vu ni connu, ça sera le chat... Pourquoi laissez-vous traîner de la volaille ou autres aliments ?... avant-hier encore je lui ai chipé un plat superbe de macaroni, car je suis fou du macaroni !... je ferais des horreurs pour le macaroni.
Il chante.
« J’ai vu partout dans mes voyages... » C’est dommage que je n’aie pas aperçu le pot-au-feu... nous aurions pincé le bouillon à la barbe des Athéniens, ça m’aurait fait un velours sur l’estomac !... J’aime les farces, moi, et pourtant depuis que j’ai quitté la France, je suis presque mort pour la farce. M. Eugène Valin est un bon enfant, et il ne se fâche jamais de mes plaisanteries... il chercherait longtemps, il est vrai, avant de trouver un torse dans mon genre... j’ai un corps antique, c’est du bon style, et je lui défie de faire sans moi un Mars, un Hercule ou un Apollon.
Air : Avez-vous jamais vu la guerre.
J’ai la cuisse de Jupiter
Et le jarret du dieu Mercure,
De l’Apollon du Belvéder
J’ai le profil et la tournure ;
Aux jambes du bel Adonis
On dit que les mienn’s sont pareilles,
J’ai le nez du berger Pâris,
Et de Midas j’ai les oreilles.
Malheureusement toutes ces qualités-là ne mènent pas à la fortune ; aussi j’ai résolu de faire une fin. Marina, la petite femme de chambre de l’objet de mon maître, a distingué Léonidas au moral et surtout au physique ; son cœur a compris mon cœur, et nous avons déjà parlé du matrimonium ; mais avant de m’engager dans des liens réciproques, je la préviendrai que je veux que ma femme pose, n’importe pourquoi, et mes enfants idem... parce que les arts... les arts... je ne connais que ça.
Il chante.
« Si vous voulez bien le permettre. »
Il prend une pose et se regarde dans la psyché.
Ah ! Narcisse, polisson de Narcisse ! que tu es beau ! Feu M. David a su apprécier ce torse-là... C’est moi qui ai posé son Léonidas ; il a fait un chef-d’œuvre : c’est tout simple, j’étais là... aussi le nom m’en est resté... Narcisse Léonidas ! Ce M. David avait toujours du talent avec moi.
Il chante.
« J’entends d’ici le bruit des armes. » ...Non, c’est Marina que j’entends... Ô Léonidas ! voilà ton objet.
Il prend une pose.
Scène III
NARCISSE, MARINA, arrivant, tenant une lettre à la main
MARINA.
C’est vous, monsieur Narcisse... mon Dieu, que vous êtes drôle comme ça !
NARCISSE.
Charmante Bolonaise, ne vous moquez pas de Spartacus... qu’est-ce que vous apportez là ?
MARINA.
Une lettre pour M. Valin.
NARCISSE.
Une lettre ! ah ! mon Dieu, si elle pouvait lui mettre un peu de miel dans le sang... tiens, vois son tableau ; pour l’achever, il lui faut de la tranquillité... Pour peindre un moine ivre, regardant danser de jeunes italiennes, il faudrait qu’il eût le cœur à la danse ; au lieu de ça, il est triste comme un gouvernement. Ce n’est pas comme toi, n’est-ce pas, jolie Marina ? Levez un peu la tête... bien... allongez le bras gauche comme ceci... très bien... prenez une flèche dans votre carquois avec la main droite... comme cela... parfaitement... si vous n’aviez qu’une tunique et des cothurnes, vous feriez la plus belle Diane chasseresse.
À part.
Ah ! quand tu seras ma femme, tu poseras solidement.
MARINA.
Vous êtes bien aimable, monsieur Narcisse.
NARCISSE.
Si je suis aimable !... oui, que je suis un artiste bien aimable !... un modèle... car vous n’ignorez pas, intéressante Bolonaise, que vous avez affaire au premier torse de France et d’Italie ; joignez à cela une figure intéressante, de l’esprit, de la grâce, une danse vive et légère, une, deux... chassez, assemblez... et la pirouette de rigueur.
Il chante en dansant et finit par une pose.
Ceci est la pose d’Alcibiade, dansant la galopade.
MARINA.
Mon Dieu ! que cet être-là est gracieux !
NARCISSE.
Voilà, ma chère amie, ce que c’est qu’un modèle.
MARINA.
Quel drôle d’état !
NARCISSE.
Ça a son côté plaisant... Cependant il faut être né pour l’exercer, parce que tu sens bien que si l’on n’était pas né... aussi c’est héréditaire dans ma famille... tiens.
Air du vaudeville de l’Actrice.
Mon pèr’ posait pour son oreille,
Ma mèr’ posait pour ses cheveux,
Ma cousin’, fraîche et vermeille,
Posait pour le nez et les yeux ;
Mon frère qu’avait une belle figure,
Posait pour l’épaule et le bras,
Ma sœur, enfin, pour sa tournure,
Ses pieds, ses g’noux, et cætera. (bis.)
Quant à moi, c’est le torse, c’est l’œil, c’est tout, enfin... Quand je pose, vois-tu, ma tête travaille... mes jambes se placent naturellement ; je suis sublime ; le peintre profite du flonflon, du vaporeux de mon être, il copie et fait un chef-d’œuvre.
MARINA.
M. Eugène doit tenir à vous.
NARCISSE
Je me plais à le croire... il a du talent, M. Valin ; mais que ferait-il sans moi ?... ah ! dans ce moment, surtout... il a besoin de ma tête... C’est jeune... et ça se laisse aller à la mélancolie... mais je suis là pour réveiller en lui le goût des beaux-arts... Ah ! je saurai lui monter l’imagination... car que feraient les peintres sans les modèles ?
MARINA.
Oui, mais que feraient les modèles sans les peintres ?
NARCISSE.
Ils ne seraient pas embarrassés.
Avec fierté.
Ils poseraient dans la rue... sur une borne... et là ils prendraient une pose... un danseur,
Il prend les poses.
un Hercule Farnèse... un gladiateur... la moindre des choses... Le public enthousiasme, je parle du public connaisseur... lui dirait : tu es beau... superbe... admirable... tiens, tiens, voilà de l’argent... le gladiateur dirait merci, et voilà. Ah ! tu ne sais pas l’influence qu’exerce un bel homme sur la société.
MARINA.
Oui, mais un bel homme sur une borne !...
NARCISSE.
Qu’est-ce que ça fait, quand l’esprit n’est pas borné... mais vous, Vénus, éminemment Callipige... ne partagerez-vous pas l’extrême passion qui me consume ? Enfin, je maigris à vue d’œil, parole d’honneur ! et si cela continue, mon maître pourra chercher ailleurs une paire de mollets, car le gras déménage et adieu les jambes.
Avec passion.
Marina, ne ravissez pas aux beaux-arts un homme comme moi.
Air : À soixante ans.
Ma chère enfant, je n’ai pas de fortune,
Mais je t’apporte un torse sans défauts ;
Je t’offre encore un’ figur’ peu commune,
Un regard vif, un buste de héros,
Un’ jamb’ bien faite, et ça n’est pas du faux.
Ne repouss’ pas l’amour du beau modèle :
Un homm’ comm’ moi, ça vaut, je crois, son prix ;
Dans not’ ménag’ tu vivras sans soucis,
Car ton époux, à son état fidèle,
Veut être encor le modèl’ des maris. (bis.)
MARINA, baissant les yeux.
Je vous assure que je ne demanderais pas mieux, monsieur Narcisse... mais...
NARCISSE.
Il faut que tu m’accordes un baiser pour me prouver ce que tu avances.
Air de la Paysanne de Livonie.
Il me faut un petit baiser
Pour m’assurer de ta tendresse.
MARINA.
Monsieur, je dois le refuser ;
Car, vraiment, c’est trop de hardiesse :
Narcisse, vous êtes trop vif.
NARCISSE.
Marina, vous êtes trop sage :
Un mari, c’est du positif ;
Bientôt nous serons en ménage :
À ton époux donne ce gage.
MARINA.
Allons, monsieur, prenez ce gage, } (bis.)
Puisque c’est pour le bon motif. }
Narcisse l’embrasse.
Deuxième couplet.
MARINA.
Je veux qu’on ne soit pas jaloux :
Dans not’ ménag’ point de querelles.
NARCISSE.
D’ici, je vois autour de nous
Une foul’ de petits modèles,
De p’tits modèles.
Oh ! vois mon amour excessif,
Donne encore un baiser, ma chère.
MARINA.
Vous êtes trop expéditif.
NARCISSE.
De tes enfants je s’rai le père.
MARINA.
De mes enfants il s’ra le père !
Non, je ne puis être sévère } (bis.)
En faveur d’un si bon motif. }
Narcisse l’embrasse de nouveau.
Scène IV
NARCISSE, MARINA, VALIN
VALIN, entrant.
Bravo !...
NARCISSE, se relevant très vite.
Je vous cherchais, monsieur... Ah ! quelle idée ! une idée de modèle... Monsieur, avez-vous besoin d’un groupe... en avant le groupe... Marina, reprenez la pose... surtout de la grâce, du laisser-aller... en avant ! dieu des beaux-arts, inspire-moi pour mon groupe !... copiez, monsieur, prenez vos pinceaux... copiez, vous dis-je, nous devons être sublimes... Marina, ne bougez pas.
VALIN, qui a pris ses palettes.
En effet, cette pose est charmante.
Il travaille avec chaleur.
NARCISSE, sans bouger.
Marina, plus d’expression dans votre regard !... de la volupté, comme s’il en pleuvait !... fort bien !
Regardant son maître.
Le voilà qui travaille comme un rhinocéros !... bravo.
MARINA, à Narcisse.
Dites donc, monsieur Narcisse, c’est bien fatigant de rester comme ça sans bouger...
NARCISSE, de même.
C’est un peu monotone, j’en conviens, mais si tu m’avais vu dans ma pose d’Ixion.
MARINA.
Ixion, qu’est-ce que c’est que ça ?
NARCISSE.
C’était un roué fini.
VALIN.
Vous pouvez vous reposer... Ah ! mon cher Narcisse, je suis enchanté de mon ouvrage... tiens, regarde !
NARCISSE.
Ah ! que c’est bien, patron !... vous vous êtes surpassé... Marina, viens voir ton coup de pied... le beau coup de pied que tu as donné à mon maître !
MARINA.
C’est que c’est bien moi... au moins.
NARCISSE.
Si c’est toi ! c’est terriblement toi... et moi par-dessus le marché. VALIN, travaillant.
Oh ! que je suis heureux !
MARINA, bas à Narcisse.
Si vous profitiez de son contentement pour lui parler de notre mariage ?
NARCISSE, de même.
C’est adroit, oui, je crois que c’est le moment !...
Haut.
Si vous vouliez, mon maître, votre bonheur pourrait considérablement rejaillir sur votre modèle.
VALIN, travaillant toujours.
Aurais-tu encore besoin d’argent ?
NARCISSE.
Fi donc ! vil métal...
VALIN, de même.
Eh bien ! que veux-tu donc ?
NARCISSE.
Daignez me prêter une oreille... Depuis que j’ai quitté la maison maternelle de la rue aux Ours, pour aller poser, n’étant encore que léger gamin, dans le sacrifice d’Abraham... j’ai rêvé...
VALIN, de même.
Finiras-tu ?
NARCISSE.
J’ai rêvé une épouse digne de moi... je l’ai trouvée cette nymphe accomplie... et si vous permettiez que le matrimonium...
VALIN, travaillant toujours.
Eh ! que ne parlais-tu plus tôt... fais ce que tu voudras... tu es libre.
NARCISSE.
Ah ! mon maître, depuis que je vous sers de modèle, vous ne m’avez pas encore placé dans une si agréable position... du reste, que ce soit Ixion, Artaxerce ou Romulus qui vous remercie... je vous le prédis, vous irez à l’immortalité avec moi ; mon torse est à vous, à la vie, à la mort... Permettez-moi de vous présenter ma nymphe... Venez, nymphe accomplie... faites vos remerciements.
VALIN, de même.
Quoi !... c’est Marina !
MARINA.
Moi-même, monsieur... pour vous servir.
NARCISSE.
Et à propos de cela, voici une lettre à votre adresse... de la part d’un objet cher à votre cœur.
Il lui présente la lettre de Marina en prenant une pose.
VALIN, prenant la lettre.
Une lettre d’Anna !... Ah ! donne vite.
Il lit.
« Que viens-je d’apprendre, mon cher Eugène... quoi ! votre tableau n’est pas achevé, et c’est ce soir qu’il faut exposer ! songez que notre bonheur dépend de votre ouvrage... mon père paraît décidé à vous accorder ma main si vous l’emportez sur vos rivaux... du courage, mon ami... je ne doute pas que votre composition soit la meilleure... adieu, à ce soir.
« ANNA. »
Qu’ai-je lu ! ah ! tout mon courage s’en va ! Je ne suis plus en verve...
Il se promène à grands pas, Narcisse le suit et tâche de placer un mot.
Non, jamais je ne pourrai achever cette autre partie... Ce moine doit être plein de vérité... autrement le tableau est manqué... Il me semble que j’ai la fièvre... non, je ne finirai pas ce tableau.
NARCISSE.
Mais monsieur......
VALIN.
Ah ! mon cher Narcisse... laisse-moi... si demain je n’ai pas obtenu une promesse du père d’Anna nous partons, nous retournons en France... car je perds ici toute mon énergie ; il n’y a que des distances et du temps qui puissent me guérir de mon amour.
NARCISSE, prenant une pose tragique.
Y pensez-vous, monsieur ?
Air de la Galope de la Cour.
Reprenez vos pinceaux,
Remettez-vous donc à l’ouvrage,
Et bientôt, je le gage,
Vous écraserez vos rivaux.
VALIN.
Mon malheur est certain,
Je n’ai plus de courage.
NARCISSE.
Faites tête à l’orage,
Et tout ira bon train.
Ensemble.
NARCISSE et MARINA.
Reprenez vos pinceaux,
Remettez-vous donc à l’ouvrage, etc.
VALIN.
Laisse là mes pinceaux,
Je ne puis me mettre à l’ouvrage ;
Car j’ai perdu courage,
Et je renonce à mes travaux.
Valin entre chez lui.
Scène V
MARINA, NARCISSE
NARCISSE, se promenant comme faisait son maître.
C’est gentil !
MARINA.
Dieu ! que les hommes sont changeants !
NARCISSE.
Marina, vous divaguez, vous croyez que l’on peut commander au génie... comme on commande aux soldats du pape.
MARINA.
Ah ! si j’étais artiste comme M. Valin...
NARCISSE.
Je crois bien.
MARINA.
Il y a longtemps que j’aurais fait un chef-d’œuvre !... Dire que de ce tableau dépend son bonheur... et qu’il a si peu de courage !
NARCISSE.
C’est justement pour ça qu’il n’a pas de courage... Soubrette... vous comprenez mal les grandes passions humaines, permettez-moi de vous le dire ; mon maître doute trop de son talent... il restera garçon, et par contrecoup... moi, ma chère, il m’est impossible... parce que, vois-tu, mon maître...
MARINA.
Que voulez-vous dire, vous êtes troublé ?
NARCISSE.
Suis-je troublé ?... non, je ne suis pas troublé... mais je suis placé dans une position terrible à envisager ; aussi je ne l’envisage point... et M. Valin restant garçon... il ne me reste plus qu’à vous fuir, trop intéressante Bolonaise.
MARINA, pleurant.
Quoi ! est-ce une raison, parce que votre maître a des lubies...
NARCISSE.
Marina, les beaux-arts n’ont pas de lubies... ne calomniez pas mon maître... sa palette est chargée de noir d’ivoire... Je vais poser dans quelque composition infernale... adieu, je vais poser le guignon.
MARINA.
Vous me quittez ! que je suis malheureuse !
NARCISSE.
Marina, vous affligez mon âme. Quoi ! vous êtes donc folle du beau modèle ?
MARINA.
Je ne dis pas cela.
NARCISSE.
Il suffit, tu m’adores. Eh bien ! je n’abuserai pas de la supériorité de mes formes en trompant ton espoir... je n’abreuverai pas tes jours de regrets amers en t’abandonnant... non, jamais, jamais... C’est décidé, tu seras mon épouse ; j’attends ici mon maître, je lui déclare ma résolution de poser indéfiniment sur le piédestal de l’Hyménée... et je me fixe en Italie, la patrie des beaux-arts.
Air : Elle a trahi ses serments.
Oui, c’en est fait, je cède à la beauté ;
Va, ne crains plus un avenir funeste :
Je suis à toi, le sort en est jeté.
Soyons heureux, et moquons-nous du reste :
Oui, pour toujours, je veux fêter ici
L’amour, les arts et le macaroni.
Deuxième couplet.
Le vrai bonheur est sous ce beau climat :
J’y veux mener une joyeuse vie.
Pour mon pays je ne suis point ingrat :
J’ador’ la Franc’ ; mais j’reste en Italie.
Oui, pour toujours, je veux fêter ici
L’amour, les arts et le macaroni.
MARINA.
Et moi, je vais obtenir la permission de ma maîtresse.
NARCISSE, prenant une pose.
Adopté. Allez, madame Léonidas... Admires-tu ta pose ? le signe d’adieu de la main gauche, et la main droite dans la direction du corridor.
Air de Rossini.
Sur ma tendresse
Compte sans cesse,
Nous vivrons dans un’ douce ivresse :
Espoir flatteur,
Quel doux bonheur !
Le plaisir règne dans mon cœur.
Nous nous aim’rons chaqu’ jour comm’ de plus belle.
MARINA.
N’allez pas être inconstant en amours,
Promettez-moi d’être toujours fidèle.
NARCISSE.
Ma chère enfant, j’te l’promettrai toujours.
Reprise.
ENSEMBLE.
Sur { ma tendresse, etc.
{ sa
Marina sort en regardant Narcisse.
Scène VI
NARCISSE, seul
Décidément, cette petite est digne de devenir mon épouse...et je vais déclarer à monsieur Valin...
Il regarde le tableau.
Dieu ! que c’est bien ! c’est bien. C’est tout simple, me voilà !... c’est bien là l’expression poétique de ma physionomie... Eh quoi ! ne parviendrai-je pas à faire faire un chef-d’œuvre de ce tableau !... il faut pourtant que ce tableau s’achève, car autrement je serais dans la cruelle alternative de ne savoir sur quel pied... poser... ou bien peut-être forcé de montrer dans quelque atelier obscur ce que la nature a créé de plus parfait... Ô mon torse ! ne t’avilis pas... Mon maître va rentrer... Si j’endossais cette robe de moine... mais non, je ne suis pas pétri pour poser les moines... et puis, je vous demande à quoi sert de posséder un torse sans le moindre vétilleux défaut pour le cacher sous un froc... Ah ! il faudrait à M. Valin une boule de couvent, une bonne grosse face monacale... et pourquoi ne la trouverai-je pas cette bonne grosse face monacale ?... Oui, ce tableau doit y gagner cent pour cent ! Voyons... que faire ?
Il cherche.
Ô Narcisse, tu n’as donc plus de sang dans tes coquines de veines ? Il me faut un moine, un bon gros moine... qu’est-ce qui a un moine à me prêter ? je demande un simple moine ; dans ce pays ça n’est pourtant pas difficile à trouver... Mettons-nous à la fenêtre, j’aurais bien du malheur...
Il se met à la fenêtre.
Justement, j’aperçois un franciscain... je ne me trompe pas, il demande de l’argent pour les âmes du purgatoire. Ah ! quelle tête ! c’est le ciel qui me l’envoie... Hé, franciscain !... Il arrive...voilà mon moine... Mais il faut que mon moine soit ivre... et il s’agit de le griser adroitement... Voyons, pour qu’il ne se doute pas du piège, mettons ce costume de trappiste.
Il se revêt d’un costume de moine.
C’est dommage de cacher tant de charmes sous une robe de capucin... n’importe, il y va de la réputation de mon maître, et pour la réputation de mon maître je poserais un jésuite, un carliste, voir même un chouan ; et Dieu sait si je hais les chouans... Il arrive, attention !
Il croise ses bras sur sa poitrine et se tient d’un côté du théâtre, ayant l’air de marmotter une prière.
Scène VII
NARCISSE, en frère Latrappe, le frère ANTONIO, tenant à la main un petit sac de cuir, destiné à recevoir l’argent pour les âmes du purgatoire
ANTONIO, agitant son sac.
Pour les âmes du purgatoire, s’il vous plaît ; n’oubliez pas les pauvres âmes du purgatoire, s’il vous... Tiens, c’est un frère Latrappe, si je ne me trompe.
NARCISSE, croisant les bras sur sa poitrine.
Frère, il faut mourir.
ANTONIO.
Dieu vous soit en aide !
NARCISSE.
Frère, il faut mourir.
ANTONIO.
Enchanté de faire votre connaissance. J’aurai joie de converser un moment avec un saint homme du couvent de Latrappe.
NARCISSE.
Frère, il faut...
ANTONIO.
Mourir ! Par saint François ! c’est bien là ce qui me chagrine.
NARCISSE.
Comment ?
ANTONIO, pieusement.
Être obligé de renoncer un jour aux collectes quotidiennes que je fais au profit des pauvres âmes du purgatoire.
NARCISSE, branlant la tête et souriant.
Ce regret est d’un bon chrétien, mais avouez,, cher franciscain, que ce n’est pas seulement pour les âmes du purgatoire...
ANTONIO.
Comment ?
À part.
Il rit, il a l’air d’un bon enfant, tâtons-le.
Haut.
L’argent est si méprisable, si inutile pour nous autres gens de froc...
NARCISSE.
Allons, allons, frère, il faut avouer que cet argent est bon à quelque chose.
ANTONIO.
Je ne comprends pas.
NARCISSE, lui frappant fortement sur le ventre.
Quand il ne servirait qu’à augmenter chaque jour la sainte rotondité de votre personne.
ANTONIO.
Ma rotondité ? Hélas ! frère, vous savez comme nos coutumes sont sévères... Nous sommes ici-bas pour nous mortifier.
Air : Un jour Lycas.
Combien notre existence est dure !
Vivre sans cesse dans le deuil :
Le jeûne est notre nourriture ;
Aussi je maigris à vu’ d’œil.
Pour bien remplir notre saint ministère,
Soir et matin, nous sommes en prière ;
Chez nous, on ne fait point d’excès :
Du pain, de l’eau, voilà nos mets.
NARCISSE.
Cela se dit, mon très cher frère,
Mais cela ne se fait jamais.
Allons, allons, soyez plus franc ; il est inutile de feindre entre nous... notre état n’est-il pas le meilleur ?
Même air.
Convenez-en : dans la bombance
Nous coulons des jours pleins d’appas ;
Et tout en prêchant l’abstinence
Nous faisons nos quatre repas.
Nous vantons l’ciel quand nous sommes en chaire,
Mais nous jouissons des plaisirs de la terre,
Nous faisons gras, nous buvons frais,
Et les bigots payent les frais.
ANTONIO, en confidence.
Cela se fait, mon très cher frère,
Mais cela ne se dit jamais.
NARCISSE.
Allons, allons, frère, touchez là... entre gens comme nous cela se dit et cela se fait.
ANTONIO.
Vous êtes un bon diable de trappiste.
NARCISSE.
Et vous, mon gros... d’une bonne pâte de moine... et je veux vous prouver que j’ai de votre personne la plus haute estime.
ANTONIO.
Je vous laisse faire ; prouvez tout ce que vous voudrez.
NARCISSE, en confidence.
Apprenez donc que j’ai là dans un petit coin trois bouteilles de vin de France.
ANTONIO, extasié.
Du vin de France ! bone Deus, du vin de France... Ah ! soutiens-moi, Latrappe, je vais m’évanouir.
NARCISSE, le soutenant.
Pas de plaisanterie, moine, relève-toi, tu pèses six cents.
ANTONIO.
Du vin de France ! ô Saint-François, je vais le déguster en ton honneur... où est-il ? où est-il ?
NARCISSE, à part.
Le moine est un être éminemment sur sa bouche.
Haut.
Un moment... je vais préparer la table du sacrifice.
Air du comte Ory.
Allons, ami, point de façon,
Préparons cette table ;
De ce jus délectable
Nous allons vider un flacon.
ENSEMBLE.
Allons, point de façon, }
Allons, Frer’, mettons-nous à table : } Ainsi soit-il.
De ce jus délectable }
Nous allons vider un flacon. }
Narcisse dresse la table et y place deux verres et deux bouteilles.
ANTONIO, le regardant faire.
Est-il gentil, ce petit Latrappe !... Oh ! voilà les bouteilles... elles sont longues, c’est du bordeaux... Latrappe, je vas encore m’évanouir... c’est du bordeaux.
NARCISSE.
Allons, saint homme, venez plutôt le goûter... surtout faites honneur au liquide.
ANTONIO.
Il n’y a pas de danger que j’en laisse une goutte ! Latrappe, tu as mon estime... tu étais digne d’être franciscain.
NARCISSE.
Et toi d’être trappiste.
ANTONIO.
Pas de bêtises ! vous êtes trop niais dans votre couvent... voilà la fiole débouchée !... moi qui suis à jeun.
NARCISSE.
Vous êtes à jeun ?
ANTONIO.
Je n’ai mangé depuis ce matin que des asperges cuites dans l’eau.
NARCISSE, à part.
Le saint homme sera plus vite dans les vignes du Seigneur.
Il verse à boire.
Allons, vieux troubadour, goûtez-moi ça, et répétez avec moi.
Air du comte Ory (l’air à boire).
Allons, allons, profitons du destin,
Et dans ce gai festin
Oublions tout chagrin :
Aux âm’s du purgatoire
Buvons ce jus divin ;
Pour fêter leur mémoire
Buvons jusqu’à demain.
Ah ! quelle douce ivresse !
Célébrons, tour à tour,
Le vin et la paresse,
Le plaisir et l’amour.
Ils frappent la table de leurs verres pendant la ritournelle de l’air.
NARCISSE.
J’entends M. Valin... quel bonheur !
Scène VIII
NARCISSE, ANTONIO, EUGÈNE VALIN
NARCISSE, courant vers son maître.
Monsieur, il vous fallait un moine, car je ne pouvais pas remplir votre but, vu que je ne suis pas gras comme... mais regardez cet être-là.
Il entraîne Valin vers le père Antonio, qui boit toujours et que le sommeil gagne peu à peu.
VALIN, le fixant.
En effet, cette tête est pleine d’expression... donne-moi mes pinceaux, ma palette.
NARCISSE.
Subito ! tout de suite !
VALIN, se mettant au chevalet.
Ah ! mon cher Narcisse, que de reconnaissance !
NARCISSE.
Ne parlons pas de ça... ce vieil ivrogne pourrait s’endormir... copiez, monsieur ! travaillez vite... je reprends la petite chanson pour le tenir en haleine.
Narcisse verse à boire de nouveau, reprend le chœur en frappant la table de son verre. Antonio chante aussi, Narcisse lui fait prendre la pose nécessaire au tableau, et dès que le moine se dérange, il le replace, en lui relevant la tête, lui allongeant une jambe ou lui faisant étendre le bras. Valin travaille avec ardeur.
NARCISSE.
Même air du comte Ory.
Allons, allons, profitons du destin, etc.
Et dans ce gai festin
Oublions tout chagrin, etc.
ENSEMBLE.
Ah ! quelle douce ivresse !
Célébrons, tour à tour,
Levin et la paresse,
Le plaisir et l’amour.
Même jeu qu’à la fin du premier air ; Antonio s’endort.
NARCISSE, à Valin.
Eh bien ! monsieur, cela va-t-il ?
VALIN.
On ne peut mieux... j’ai fini.
NARCISSE, regardant Antonio qui s’endort.
Il était temps, car le pauvre cher homme se laisse aller au sommeil... Eh ! père Antonio... merci, il n’y a plus personne...
Il se lève et va voir le tableau.
VALIN, déposant sa palette.
Tiens, regarde.
NARCISSE, extasié.
Ô perfection des perfections !... vive Dieu, monsieur, nous avons fait un chef-d’œuvre !... ah ! comme cette face respire l’ivresse... quelle ivresse, monsieur ! J’endosse cette redingote et j’emporte votre tableau... il est un peu frais... mais ça me connaît, je cours au salon d’exposition... je veux que le père de votre belle le voie... et qu’il reste extasié ainsi que les autres.
Il enlève la toile de dessus le chevalet, après avoir endossé une redingote et mis une casquette.
VALIN.
J’y consens.
NARCISSE.
Viens, chef-d’œuvre, viens ! je vous recommande mon moine, il repose avec la tranquillité de l’innocence... au revoir, monsieur... le bordeaux me monte un peu à la tête... mais c’est égal, comme dit le proverbe latin : in vino veritas... le vin est l’ami de l’homme.
Il sort.
Scène IX
ANTONIO, endormi, VALIN
VALIN.
À peine me donne-t-il le temps de réfléchir... avec quelle chaleur il prend mes intérêts... Ce cher Narcisse !... réussira-t-il ? mon tableau sera-t-il jugé ? sera-t-il le meilleur ?
Il s’arrête devant Antonio qui ronfle.
Ce pauvre moine ne se doute guère que peut-être il a contribué à assurer mon avenir... Ah ! plus je le regarde, plus je suis content de moi... oui, j’ai su rendre le caractère de cette physionomie... mais on vient... c’est Marina.
Scène X
ANTONIO, endormi, VALIN, MARINA
VALIN.
Eh bien ! Marina, qu’y a-t-il ?
MARINA.
Mademoiselle Anna, inquiète, m’envoie vers vous... elle veut être certaine que votre tableau soit achevé.
VALIN.
Oui, rassure-toi, je viens de finir, et Narcisse a voulu le porter aussitôt dans la salle d’exposition.
MARINA.
Ah ! que je suis contente ! Monsieur vient de sortir pour s’y rendre, et il doit maintenant le juger... Vous pensez qu’il ne voudra pas se montrer aussi sévère qu’il veut bien le paraître ; il aime sa fille, il vous aime.
VALIN.
Tu cherches à me donner de l’espoir, ma chère Marina, mais songe que vingt artistes ont pris part au concours... il faut avoir mieux fait... Ah ! je ne sais pourquoi j’ai le pressentiment...
MARINA.
Allons, monsieur Valin, du courage... il me semble que j’entends Narcisse.
VALIN.
Déjà il sait sans doute l’effet que mon tableau a produit... Je vais donc connaître mon sort.
MARINA, regardant au fond.
Oui, c’est lui, je ne me suis pas trompée.
VALIN.
Je tremble.
MARINA.
Le voici.
Scène XI
VALIN, MARINA, NARCISSE, ANTONIO, endormi
NARCISSE, de la coulisse.
Victoire ! victoire !
Air de Bonaparte à Brienne.
Me voici : calmez votre effroi ;
Et comme moi, criez : Victoire !
Mon cher maîtr’, vous pouvez m’en croire,
Vous s’rez heureux ; écoutez-moi :
Au concours, l’âme troublée,
J’arrive rempli d’ardeur,
Et déjà, dans l’assemblée,
On désignait le vainqueur.
Un instant, que j’dis, halte là !
Et plein d’une douce espérance,
Je fends la foule, je m’élance,
Et j’dis tout haut : R’gardez-moi ça
D’abord j’entends un murmure,
Puis des bravos, puis des cris ;
Chacun s’écri’ : Quell’ nature !
Quell’ chaleur ! quel coloris !
Oui, c’est le meilleur des tableaux ;
Et moi, je sens battre mon âme
Lorsque soudain l’on vous proclame
Le premier de tous vos rivaux.
L’papa qui vient d’tout entendre,
Me dit : Va chercher Valin ;
Va, dis-lui qu’il s’ra mon gendre,
D’Anna je lui donne la main.
Suffit, que j’réponds, on y va ;
Et r’prenant ma grâce ordinaire,
Je m’élanc’, j’effleure la terre,
J’accours, je vole et me voilà. (bis.)
VALIN.
Quel bonheur !... ah ! je cours chez Anna... Narcisse, non bon Narcisse... je n’oublierai pas tout ce que je te dois ; compte sur ma reconnaissance.
Il sort.
NARCISSE.
J’y compte, monsieur.
Scène XII
NARCISSE, MARINA, ANTONIO, se réveillant peu à peu
NARCISSE.
Ce bon monsieur Valin, jamais je ne le quitterai ; et ce n’est pas parce qu’il devient riche que j’en serai plus fier... Marina, tout est pour le mieux, notre bonheur commence... mon torse est à toi, fais-moi le plaisir de le prendre.
MARINA.
J’y consens, et j’espère qu’un bon mariage...
NARCISSE.
Si nous nous épouserons ?... pas plus tard que demain ou ce soir.
MARINA.
Le plus tôt sera le meilleur.
NARCISSE, voyant Antonio qui se frotte les yeux.
Quelle idée ! hé ! père Antonio.
ANTONIO, se réveillant en sursaut.
Pour les âmes du purgatoire, s’il vous plaît.
NARCISSE.
Il s’agit bien des âmes du purgatoire !... moine, veux-tu nous marier ?
ANTONIO.
Vous marier !... qu’est-ce que ça veut dire... eh quoi ! vous ! frère la trappe ?
NARCISSE.
C’était une attrape... je ne suis pas plus trappiste que vous n’êtes un saint... mais c’est égal, vous avez mon estime, et j’espère que vous me marierez
Bas.
sans exiger de billet de confession.
ANTONIO, s’inclinant.
Que la volonté de Dieu soit faite !
MARINA.
Partons.
NARCISSE.
Oui, partons.
TOUS.
Air de la Galopade.
Dépêchons-nous, vit, partons, mes amis,
Le bonheur nous appelle.
Dépêchons-nous, vit’, partons, mes amis,
Bientôt { nous s’rons unis.
{ vous s’rez
Fausse sortie bien prononcée.
NARCISSE.
Ah ! doucement.
À Marina et à Antonio.
J’oubliais... je suis à vous dans un petit instant.
Au public.
Air de Julie[1].
Malgré certain air d’assurance,
J’vous donn’ ma parol’ d’honneur
Que d’puis l’commenc’ment d’la séance,
Devant vous je pos’ la frayeur.
Si pour les arts vous aviez même zèle,
Si, chaque soir, partageant nos travaux,
Vous apportiez votre argent, vos bravos,
Vous seriez un public-modèle.
Apportez-nous votre argent, vos bravos,
Vous serez un public-modèle.
ENSEMBLE.
Dépêchons-nous, vit’, partons, mes amis, etc.
[1] Voici le couplet tel qu’il se chante à Paris :
Air de Julie.
Depuis dix ans, l’on m’fait prendre pour pose
Des Grecs, des Turcs, des Goths, des Africains ;
Si je pouvais vous fair’ fair’ la mêm’ chose,
J’vous frais, ce soir, poser tous en Romains.
Nos deux auteurs ont des transes cruelles ;
Mais vous pouvez les tirer d’embarras :
Et pour cela, messieurs, voici là- bas
Il montre les claqueurs.
Ceux qu’il faut prendre pour modèles. (bis.)