Le Garçon parfumeur (Hippolyte COGNIARD - Théodore COGNIARD)
Vaudeville en un acte.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Folies-Dramatiques, le 29 janvier 1833.
Personnages
MONSIEUR LAMBERT, parfumeur
MADAME LAMBERT, sa femme
ANASTASIE, leur fille
VENCESLAS, garçon parfumeur
SATURNIN, fabricant de chocolat
La scène est à Paris, chez Monsieur Lambert.
Le théâtre représente l’arrière-boutique d’un parfumeur. Quatre portes latérales. Des flacons, des savons, des pots divers, etc. doivent indiquer cette profession. Au fond, à gauche du spectateur, un buffet, à gauche aussi, sur le devant, une table ; à droite, une autre plus petite.
Scène première
VENCESLAS, MADAME LAMBERT
Venceslas est devant un énorme pot, placé sur la petite table ; il y verse quelques liquides, et agite peu à peu.
VENCESLAS chante.
J’suis parfumeur,
C’est un état champêtre,
Tra, la, la, la, la, la, la, la, la.
MADAME LAMBERT, entrant.
Venceslas ?
VENCESLAS, continuant sans la voir.
Tra, la, la, la, la.
MADAME LAMBERT, l’appelant plus fortement.
Venceslas ? savez vous où est allé mon mari ?
VENCESLAS.
Oui, marraine ; M. Lambert est allé acheter de la moelle de bœuf pour faire de la graisse d’ours.
MADAME LAMBERT.
C’est bon... et vous, que faites vous en ce moment ?
VENCESLAS.
Je confectionne l’huile de Macassar.
MADAME LAMBERT.
Eh bien, laissez-là votre huile de Macassar, et approchez j’ai à vous consulter.
VENCESLAS, s’approchant.
Me consulter ?... Me voici, marraine, consultez-moi.
MADAME LAMBERT.
Il s’agit d’Anastasie, de ma fille.
VENCESLAS.
D’Anastasie !
À part.
Soupçonnerait-elle ?... L’imprudente Anastasie aurait-elle divulgué ?...
MADAME LAMBERT.
Qu’est-ce que vous vous dites donc là tout seul ?
VENCESLAS.
Je ne me dis rien, marraine, je ne me suis point adressé la parole.
MADAME LAMBERT.
Écoutez donc, et ne m’interrompez pas... Depuis quelque temps j’ai beaucoup à me plaindre de ma fille.
VENCESLAS.
Que m’apprenez-vous ?
MADAME LAMBERT.
Je vous ai prié de ne pas m’interrompre ; je ne trouve rien d’insolent comme ça... Je continue... J’ai beaucoup à me plaindre de ma fille, qui n’a plus pour sa mère la même confiance d’autrefois ; je ne sais ce qui s’est passé en elle ; mais depuis plusieurs mois, elle est triste, boudeuse, pensive... Autrefois elle dormait comme un canon, et maintenant, dès les six heures du matin elle est debout... J’ai beau la questionner, elle me répond toujours qu’elle n’a rien ; pourtant ça n’est pas naturel, et je suis sûre qu’il y a quelque chose là-dessous.
VENCESLAS, à part.
Heureux Venceslas ! c’est toi qui est là-dessous.
MADAME LAMBERT.
J’ai pensé que vous, Venceslas, qui êtes toujours avec elle, vous qu’elle considère, qu’elle estime... vous en sauriez sans doute plus long que moi... Voilà pourquoi j’ai désiré vous consulter. Je vous prie donc... et au besoin, je vous ordonne de me dire tout ce que vous savez.
VENCESLAS
Certainement, marraine, que vos droits... D’ailleurs vous êtes sa mère, et du moment que vous m’en priez...
MADAME LAMBERT.
Voyons... parlez... que savez-vous ?
VENCESLAS.
Marraine, je ne sais rien.
MADAME LAMBERT, à part.
L’imbécile !
VENCESLAS.
Mais... mais j’ai idée...
MADAME LAMBERT.
Mais parlez donc... ou je vais sortir de mon caractère.
VENCESLAS.
M’y voici.
À part.
J’ai mon projet.
Haut.
Comme vous, marraine, j’ai remarqué le changement de votre fille, et un soupçon... à la vérité bien vague, bien diffus... m’est venu à l’esprit... Je me suis dit : mademoiselle Anastasie, naguère si gaie, est triste aujourd’hui... mademoiselle Anastasie est dans un âge où l’imagination ne reste pas les bras croisés... mademoiselle Anastasie...
MADAME LAMBERT.
Où voulez vous en venir ?
VENCESLAS.
Voilà, marraine.
Air : Car l’eau coule pour tout le monde.
Aujourd’hui comme en votre temps
L’amour est un petit dieu traître,
Anastasie a dix-huit ans,
Son cœur aura parlé peut-être.
MADAME LAMBERT.
Ma fille aimer !... Dieu ! quelle horreur !
Qu’elle craigne alors ma colère.
VENCESLAS.
Mais pourquoi donc cette fureur ?
MADAME LAMBERT.
Parc’qu’avant d’consulter son cœur
Ell’ devait consulter sa mère. (bis.)
VENCESLAS.
Mais, marraine, ce n’est qu’un soupçon... et en supposant même que votre fille...
MADAME LAMBERT.
Vous allez vous taire pour l’amour de Dieu !... Quelle petite dissimulée !... oser se permettre...
VENCESLAS, à part.
Disons comme elle.
Haut.
C’est vrai, au fait, qu’elle aime un peu trop à en faire à sa tête.
MADAME LAMBERT.
Qu’est-ce que ça vous regarde ?... Est-ce qu’elle n’est pas en âge de raisonner ? de faire ce qu’elle veut ?
VENCESLAS.
C’est juste... Une demoiselle de dix-huit ans a assez d’acquit pour avoir une volonté quelconque...
MADAME LAMBERT.
Qui est-ce qui vous parle de volonté ?... Je voudrais bien voir qu’Anastasie eût une volonté qui ne fût pas la mienne... Je suis certaine, si elle aime quelqu’un, que son choix correspond au mien.
VENCESLAS.
Il paraît, marraine, que vous avez quelqu’un en vue pour Anastasie...
MADAME LAMBERT.
C’est selon.
VENCESLAS.
Cependant du moment que vous avez fait un choix...
MADAME LAMBERT.
Je n’ai pas dit cela... D’ailleurs, Anastasie est encore assez jeune... elle peut attendre.
VENCESLAS.
C’est ce que je voulais dire ; elle peut attendre... à dix-huit ans entrer en ménage, c’est bien précoce.
MADAME LAMBERT.
Vous ne savez ce que vous dites. Dix-huit ans ou vingt ans, n’est-ce pas la même chose ? ma fille est en état de tenir une maison, je pense.
VENCESLAS.
Oh ! ça, c’est bien vrai... elle a un ordre, une économie... oh ! de ce côté-là elle est bonne à marier.
MADAME LAMBERT.
Bonne à marier !... vous vous y connaissez joliment... une petite fille qui est d’une légèreté... d’une insouciance...
VENCESLAS.
Non... je voulais dire qu’elle n’est pas encore tout-à-fait bonne à marier.
MADAME LAMBERT.
Mais, qui est-ce qui vous parle de ça ? En vérité, Venceslas, il n’y a pas moyen de vivre avec vous... vous avez un esprit de contrariété... vous êtes un vrai fléau domestique.
VENCESLAS, fièrement.
Un fléau !... madame Lambert ; est-ce parce que vous m’avez tenu sur les fonds baptismaux que vous me traitez ainsi... un fléau !
MADAME LAMBERT.
Taisez-vous, impertinent ! quand j’ai la bonté de daigner vous consulter, vous vous permettez de me contredire sur tout... En vérité, je suis bien bête d’être aussi confiante.
Air des Premières Amours.
Retournez à votre ouvrage.
VENCESLAS.
Mais, marraine...
MADAME LAMBERT.
C’en est assez,
Surtout pas de bavardage,
Ou bien... vous me connaissez.
VENCESLAS.
Sous un prétexte frivole
Peut-on faire un pareil train ;
Sans pouvoir dire une parole
Il faut que je mang’ mon frein.
Ensemble.
MADAME LAMBERT.
Retournez à votre ouvrage, etc.
VENCESLAS.
Je retourne à mon ouvrage, etc.
Madame Lambert sort.
Scène II
VENCESLAS, seul
Il s’assure bien si Madame Lambert est sortie, et revient furieux sur le devant de la scène.
C’est inouï, ma parole d’honneur ! c’est-à-dire, que ça vient jusqu’à moi, mais que çà me passe !... Mais qu’est-ce que je lui ai fait à cette femme ?... Anastasie !... Anastasie !... c’est bien pour toi, pour toi seule que j’endure les incohérences de ta mère... Ajoutez à cela que le patron, M. Lambert, est bien l’être le plus épais que je connaisse... Sortez-le de sa moelle de bœuf... perdez de vue le parfumeur, et il vous reste l’homme du globe le plus fade, le plus insipide... Heureusement que mon Anastasie, cet être angélique, est là pour me consoler de mes chagrins domestiques... J’ai lu le bonheur dans ses yeux, et elle a dû me comprendre aussi, car ma pantomime est assez expressive.
Air : J’aime Henriette.
À la charmer mon âme est attentive,
Vingt fois par jour j’ramasse son mouchoir ;
Je chante exprès la romance plaintive,
Et je soupir’ du matin jusqu’au soir ;
J’mang’ des pastill’s pour m’embaumer l’haleine,
Tous les matins j’fais friser mes cheveux,
Enfin je chang’ de ling’ trois fois la s’maine,
N’est-c’ pas lui dir’ que je suis amoureux ? (bis.)
Et dire que je pourrais l’épouser sans les caprices de sa mère acariâtre... moi, l’époux d’Anastasie !... oh ! il me semble que je nous vois... j’aperçois d’ici madame Venceslas mettant le pot au feu, et moi épluchant les légumes, par pur enfantillage... Et puis, un an après le mariage... un rejeton... un amour de petit garçon, qui ressemblera à son père comme deux gouttes de lait... Et quand il sera en âge de porter culotte, je lui ferai faire un petit habit de chasseur de la garde nationale...
Scène III
VENCESLAS, ANASTASIE
VENCESLAS, continuant sans voir Anastasie.
Par exemple, je veux être maître chez moi... J’ai sous les yeux le spectacle affligeant d’un mari trop banal... Venceslas esclave ! jamais... jamais esclave, Venceslas !... L’épouse doit obéissance à l’époux.
ANASTASIE.
Très bien, monsieur, très bien ; c’est joli ce que vous dites-là.
VENCESLAS, à part.
Dieu ! elle a tout entendu !
ANASTASIE.
Vous formiez-là de jolis projets... je vous en félicite... Pour moi, monsieur, je vous préviens que je ne prendrai qu’un mari soumis et respectueux.
VENCESLAS.
C’est toujours ainsi que j’ai compris la chose, Anastasie... moi, ne pas vous respecter !... moi, tyranniser une femme !... être débile et sans défense... fi donc !... cette idée est repoussante.
ANASTASIE.
À la bonne heure !
VENCESLAS.
Air : Verse, verse le vin de France. (Guillaume Tell.)
Ici, pour prix de vos bontés,
À vos genoux j’veux vous promettre
De fair’ toutes vos volontés,
Si vous voulez bien le permettre.
ANASTASIE.
Bien, monsieur, comme en cet instant,
Soyez toujours bon et fidèle,
Ce qu’aujourd’hui promet l’amant
Que le mari se le rappelle. (Bis.)
Ensemble.
VENCESLAS.
Oui, crois-moi ton mari fidèle ;
Veut toujours être ton amant.
ANASTASIE.
Quel bonheur ! mon mari fidèle
Veut toujours être mon amant.
VENCESLAS.
Et pourtant, Anastasie, avouez que si votre père était moins bonasse, passez-moi l’expression, elle peint mon idée, nous pourrions espérer, en lui confiant le secret de nos cœurs... tandis que...
ANASTASIE.
Oh ! c’est bien différent... ma mère, voyez-vous, a apporté en dot une somme de vingt mille francs.
VENCESLAS.
C’est un joli avoir... ça ne se trouve pas sous le pied d’une girafe !
ANASTASIE.
Cette somme, d’après les dispositions du contrat, appartient à elle seule... et pour la moindre dispute... elle menace mon père de disposer de cet argent, au détriment de sa maison de commerce.
VENCESLAS.
Je conçois... l’argent a été versé dans les parfums... et c’est pour cela que M. Lambert tremble devant sa femme... Ah ! Anastasie, que de calamités j’entrevois !
ANASTASIE.
Que voulez-vous dire ?
VENCESLAS.
Moi, qui ne possède rien, comment voulez-vous que j’obtienne votre main ?... ajoutez à cela que... depuis quelque temps, il y a un certain fabricant de chocolat qui fait ici de nombreuses apparitions.
ANASTASIE.
Monsieur Saturnin ?...
VENCESLAS.
Oui, ce M. Saturnin... l’ami de votre père, à qui on trouve tant d’esprit... et qui est si fier, parce qu’il fait du chocolat à la mécanique... il chuchote souvent avec M. Lambert dans le comptoir... et j’ai remarqué que le chocolatier vous lançait bien souvent des œillades !... Anastasie, l’auriez-vous aussi remarqué ?
ANASTASIE.
M. Saturnin est en effet très galant pour moi... mais il suffit que mon père désire qu’il devienne mon mari, pour que ma mère le refuse... ainsi...
VENCESLAS.
Au fait, cette dernière réflexion me console.
ANASTASIE.
Tranquillisez-vous, Venceslas ; mais, je vous en prie, tachez d’avoir la tête à vous... Vous avez des distractions à chaque instant, et si maman soupçonnait votre amour, tout serait perdu.
VENCESLAS.
Il me semble pourtant que depuis quelque temps, je fais moins de boulettes ?...
ANASTASIE.
Oui, joliment !... hier encore, n’avez-vous pas assaisonné la salade avec de l’huile antique ?
VENCESLAS.
Ça c’est vrai... je dirai même que je la mangeais sans m’en apercevoir... lorsque madame Lambert se mit à crier... et je vous demande un peu...
ANASTASIE.
Attendez donc, je crois entendre mon père...
VENCESLAS.
Il me semble aussi reconnaître la voix de M. Saturnin.
ANASTASIE.
Oui, les voici.
VENCESLAS.
Vite à mon huile de Macassar.
Il retourne à son pot.
Scène IV
VENCESLAS, ANASTASIE, LAMBERT, SATURNIN
LAMBERT.
Entre donc un moment, te dis-je, le temps de te rafraîchir...
SATURNIN.
Va comme il est dit... Mademoiselle, me sera-t-il permis de déposer mes hommages, hé ! hé ! hé ! je me plais à croire que votre aimable santé...
ANASTASIE.
Très bien, monsieur, je vous remercie.
LAMBERT.
Anastasie, donne-nous de l’eau rougie, mon enfant.
Anastasie prépare deux verres.
SATURNIN.
Bonjour, Venceslas... nous sommes dans la pommade, à ce que je vois ?... très bien ; l’occupation est une seconde nature ; c’est ma devise, hé ! hé ! hé !
VENCESLAS, à part.
Je ne peux pas digérer cet homme-là ; il a un rire qui m’est antipathique.
LAMBERT.
Venceslas ! va à la boutique, mon garçon ; ma femme peut avoir besoin de toi.
VENCESLAS.
Vous croyez ?
SATURNIN.
Oui, c’est ça... Va voir à la boutique si nous y sommes... hé ! hé ! hé ! hé ! hé !
VENCESLAS.
Oh ! que c’est méchant, ce que vous dites là.
À part.
Comme les hommes d’esprit sont bêtes quelquefois.
LAMBERT.
Allons, Venceslas.
SATURNIN.
Attention !... par file à droite... Es-tu de la garde nationale, toi ?
VENCESLAS.
J’affectionne la garde nationale, mais je n’en use pas.
SATURNIN.
Alors, tu n’entends rien au maniement des armes, c’est du grec pour toi... Faut te mettre dans ma compagnie... c’est la plus belle... des gaillards... Ça te donnera une tenue... ça te dégourdira... oh ! là, eh !... houp !...
Il lui porte une botte.
VENCESLAS.
Vous êtes donc toujours farceur, vous ?
SATURNIN.
Farceur et galant, c’est ma devise... Mademoiselle Anastasie voudra-t-elle accepter cette boîte... chocolat vanille, première qualité, ça fond dans la bouche comme du beurre de cacao.
ANASTASIE, prenant la botte.
Vous êtes trop bon, monsieur.
SATURNIN.
Trop !... Jamais assez, c’est ma devise... hé ! hé ! hé !
LAMBERT.
Ah ça ! Venceslas, laisse-nous.
VENCESLAS.
Je me retire, M. Lambert, je me retire.
Il sort, en faisant des signes à Anastasie.
Scène V
ANASTASIE, MONSIEUR LAMBERT, SATURNIN
Anastasie va s’asseoir à droite, et travaille.
LAMBERT.
Viens donc boire, Saturnin.
SATURNIN, buvant.
À ta santé !... Mademoiselle, je vous salue...
Après avoir bu.
Ça vaut mieux qu’un coup de pied dans le dos... comme on dit... hé ! hé ! hé ! hé !
LAMBERT, tirant Saturnin à l’écart, et lui montrant sa fille.
Tiens, regarde, Saturnin, regarde, est-on plus jolie ?
SATURNIN.
C’est-à-dire que cette femme-là, dans mon comptoir, au milieu de mes chocolats, fera un effet délirant. Tu es bien certain qu’elle a remarqué mes prévenances ?
LAMBERT.
J’en suis sûr, mon cher... Tout à l’heure encore, quand nous sommes arrivés, ta présence l’a tout embarrassée.
ANASTASIE, à part.
Ce M. Saturnin va m’ennuyer encore avec ses compliments... C’est mon cauchemar, que cet homme-là.
SATURNIN.
Je t’avoue que je crois aussi que la petite en tient pour moi... Mais c’est étonnant le soin qu’elle prend pour cacher ses sentiments à mon égard.
LAMBERT.
Ah ! dame, c’est jeune, c’est timide.
SATURNIN.
Air : Voici mon oncle Lajonchère.
Lorsque je suis en sa présence,
Ell’ prend un petit air boudeur ;
Si je lui parle amour, constance,
Elle veut feindre la froideur.
ANASTASIE, regardant Saturnin.
Mon père, en vain, veut que je l’aime :
Il est trop laid, trop vieux pour moi.
LAMBERT, montrant sa fille.
Tiens, Saturnin, en c’ moment même, }
Je suis sûr qu’elle pense à toi. } (bis.)
SATURNIN.
Ah ça ! maintenant, il ne s’agit plus que de ta femme.
LAMBERT.
Oui, c’est là le seul obstacle pour ton mariage.
ANASTASIE, à part.
Ils parlent de mariage... tâchons d’entendre.
SATURNIN.
Pourquoi cela ?... Tu lui diras : Il aime ma fille, ma fille l’aime, et j’ai résolu...
LAMBERT.
Ah ! mon ami, tu ne connais pas madame Lambert. C’est une femme d’une bizarrerie extraordinaire... Elle va jeter feu et flamme, si elle apprend que je me suis permis d’avoir une idée sans ma permission... Il suffit que je dise une chose pour qu’elle veuille tout le contraire. Son occupation est de me contredire ; si je dis noir, elle dit blanc ; si je dis qu’il fera beau, elle dit qu’il pleuvra... Tiens, avant mon mariage, je ne portais pas de poudre, eh bien ! elle veut que j’en porte à présent ; je portais des pantalons, elle me fait porter des culottes... et c’est comme cela sur tout.
Air de Masaniello.
Si j’veux sortir pour me distraire
Ma femm’ veut garder la maison ;
J’aim’ le bifteck aux pomm’s de terre
Ma femm’ ne l’aime qu’au cresson ;
Enfin sachant qu’en ma famille
Un fils était mon ambition,
Au monde elle mit une fille
Par esprit de contradiction. (bis.)
SATURNIN.
Cette fois-là, elle a eu raison, et je l’approuve fort... Il faut pourtant trouver un moyen de la faire consentir... en s’y prenant adroitement.
LAMBERT.
J’aurai beau m’y prendre adroitement... si je te propose pour épouser Anastasie, elle la donnera de suite à un autre.
SATURNIN.
Voyons... Tu dis donc qu’elle te contredit sans cesse... qu’il suffit que tu te prononces sur un potage au riz, pour qu’elle te donne de suite un potage à la julienne.
LAMBERT.
Mon dieu ! oui... Et si je le veux à la julienne...
SATURNIN.
Elle te le donnera au riz.
LAMBERT.
Précisément.
SATURNIN.
Eh bien ! mon cher Lambert, nous la tenons.
LAMBERT.
Nous la tenons... comment cela ?
ANASTASIE, à part.
Écoutons.
SATURNIN.
Si tu demandes la main d’Anastasie pour moi, ta femme refusera.
LAMBERT.
C’est convenu... Après.
SATURNIN.
Mais si tu te prononces pour un autre...
LAMBERT.
Pour un autre ?
SATURNIN.
Oui... pour Venceslas, par exemple... cet imbécile qui fait tes pommades.
ANASTASIE, à part.
L’insolent !
LAMBERT.
Comment, tu veux que Venceslas ?...
SATURNIN.
Tu ne comprends donc pas que dès que tu voudras de Venceslas pour ton gendre, ta femme, outrée de ton audace, s’opposera à ta volonté ; et, pour te punir, choisira le premier venu... Alors, moi, je serai le premier venu.
LAMBERT.
Oh ! parfaitement, j’y suis... Ah ! mon ami, quelle trouvaille ! c’est admirable !... c’est-à-dire que tu es criblé d’esprit... parole d’honneur.
SATURNIN.
C’est ce qu’on dit. Toi, maintenant, songe que plus tu montreras de fermeté, mieux notre projet réussira.
LAMBERT.
Sois tranquille... j’en montrerai... Dis donc, je pense à ee pauvre Venceslas, qui va s’imaginer...
Il rit.
SATURNIN.
Mystification complète !... eh ! eh ! eh !
ANASTASIE, à part.
C’est ce que nous verrons... Moi aussi, je sais ce que je dois faire.
SATURNIN.
Allons, chaud, chaud, Lambert ; fais venir ta femme... et lâche le grand mot.
LAMBERT, d’un ton ferme.
Oui, tu as raison, il faut que je lâche le grand mot... Anastasie, va dire à ta mère que je désire avoir un moment d’entretien avec elle... Va, mon enfant.
ANASTASIE, se levant.
J’y cours, papa.
SATURNIN.
C’est de vous, aimable enfant, que votre père va s’occuper.
ANASTASIE.
De moi, monsieur ?
LAMBERT.
Oui, ma fille, apprends que mon ami Saturnin désire te donner son nom, et te mettre à la tête de ses magasins...
À Saturnin.
Vois donc comme ça lui fait de l’effet.
SATURNIN, à part.
Décidément, je suis aimé.
Air du Calife de Bagdad.
Répondez, belle Anastasie ;
Quand je vous offre ici ma foi,
Quand je veux charmer votre vie,
Pour époux, voulez-vous de moi ?
Un tel hymen peut-il vous plaire ?
Ah ! de grâce, parlez, ma chère,
Acceptez-vous ce cœur qui bat ?...
LAMBERT.
Et sa fabriqu’ de chocolat ?
Ils font bis ensemble.
ANASTASIE.
Monsieur... je prendrai le mari que mes parents me donneront.
SATURNIN.
Réponse filiale... pleine de sens et d’adresse... Il suffit... charmante Anastasie, bientôt ce mari, vous l’aurez.
« Et l’avenire de vos jours
Sera riant comme les amours. »
À Lambert.
Hein ?...
À part.
C’est une devise de pastilles-chocolat-papillotes.
LAMBERT.
C’est très gracieux... Allons, va, ma fille... va prévenir ta mère... Ne dis pas que Saturnin est ici... et surtout, pas un mot de ce mariage.
SATURNIN.
Au revoir, charmante.
Elle salue et sort.
Scène VI
SATURNIN, LAMBERT, puis MADAME LAMBERT
SATURNIN.
Mon cher ami, ta fille est adorable.
LAMBERT.
Quand je te disais que tu lui as tourné la tête.
SATURNIN, riant.
Ah ça ! tu es bien pénétré de ton rôle, n’est-ce pas ?... hé ! hé ! hé ! hé !
LAMBERT.
Sois tranquille, je tiendrai bon.
SATURNIN.
Tu n’as qu’à répéter ces trois mots : Je veux Venceslas... Je... veux... Venceslas.
LAMBERT.
Je veux Venceslas.
SATURNIN.
J’entends ta femme...
LAMBERT, tremblant.
Déjà !
SATURNIN.
J’entre dans ta chambre pour attendre le résultat de l’entretien.
Air du Vaudeville de l’Homme qui bat sa femme.
Allons, du courage ;
Mon ami, comble mes vœux.
Un peu de tapage.
LAMBERT.
Je f’rai de mon mieux.
SATURNIN.
Tout ira bien, j’ pense,
De cette façon ;
J’ai bonne espérance.
LAMBERT.
Moi, j’ai le frisson.
Ensemble.
SATURNIN.
Allons, du courage ;
Mon ami, comble mes vœux.
Pour mon mariage,
Agis de ton mieux.
LAMBERT.
J’aurai du courage ;
Oui, je comblerai tes vœux.
Pour ton mariage.
Je f’rai de mon mieux.
Saturnin sort par la gauche ; Madame Lambert entre ensuite par la droite.
LAMBERT.
Je ne suis pas à mon aise.
MADAME LAMBERT.
Que voulez-vous, monsieur ?... quel est ce genre de me déranger quand vous avez besoin de me parler ?... à quoi vous servent vos deux jambes ?
LAMBERT.
Pardon, ma bonne, mais je prendrai la licence de te faire observer que j’ai besoin de te parler seul à seul.
MADAME LAMBERT.
C’est autre chose... Voyons, de quoi s’agit-il ?
LAMBERT.
Voilà, ma bonne... Depuis quelque temps, je pense... et, tout à l’heure encore, je me disais... d’autant plus que toi-même tu m’en avais déjà parlé... de sorte qu’en y réfléchissant...
MADAME LAMBERT.
Que veut dire cette confusion, M. Lambert ?... vous écorchez là vingt idées, sans qu’on puisse en saisir une seule... Expliquez-vous.
LAMBERT.
Je veux dire, ma bonne... c’est que, vois-tu, ça va peut-être te paraître...
MADAME LAMBERT.
En finirez-vous ?... Vous me faites bouillir dans mon caractère.
LAMBERT.
Enfin, ma bonne, pour ne pas te faire bouillir plus long-temps, je te dirai que c’est de notre fille qu’il s’agit.
MADAME LAMBERT.
De notre fille ?
LAMBERT.
Oui... Anastasie tient sa dix-huitième année...
MADAME LAMBERT.
Je le sais bien... Où voulez-vous en venir ?
LAMBERT.
Grâce à toi, elle sait aujourd’hui ce que c’est qu’un comptoir.
MADAME LAMBERT.
Après...
LAMBERT.
Notre fille est formée... c’est une femme, à présent.
MADAME LAMBERT.
Eh bien ! monsieur ?...
LAMBERT.
Anastasie est bonne fille, elle sera bonne épouse.
MADAME LAMBERT.
Enfin !...
LAMBERT, à part.
Allons, du courage.
Haut.
Enfin, bobonne, je voudrais la marier.
MADAME LAMBERT, stupéfaite.
Je voudrais !
LAMBERT, se donnant un petit genre.
Oui, je voudrais marier Anastasie, et j’ai songé à lui donner pour mari, ton filleul Venceslas... C’est un garçon intelligent... qui a de l’ordre, du savoir... et qui jouit d’une très bonne santé.
À part.
Ouf ! j’ai tout dit.
MADAME LAMBERT, outrée.
Ah ça !... je dors... je rêve... Oui, j’ai mal compris... Je voudrais ! avez-vous dit ?
LAMBERT.
Oui, ma bonne, j’ai dit que je voudrais que Venceslas...
MADAME LAMBERT.
Assez, M. Lambert, assez... Si vous poursuiviez sur ce ton, je vous croirais pris de vin... Je voudrais !... Et moi, monsieur, que suis-je donc ici ?... Je voudrais !... Et si je ne veux pas que vous vouliez...
LAMBERT.
Je prendrai la licence de te faire observer...
MADAME LAMBERT.
Silence... Écoutez-moi, M. Lambert, et pas d’observations. Sans vous consulter, sans m’inquiéter si cela était votre désir, j’ai pris la résolution de marier Anastasie, et j’ai toujours entendu que ce serait moi... moi, vous comprenez, qui choisirais un époux à ma fille... N’est-ce pas avec mon argent qu’elle aura une dot ? avec dix bons mille francs qui m’appartiennent... entendez-vous, qui m’appartiennent. Prenez-y garde, M. Lambert ; si vous me poussez à bout, je lui en donne vingt mille, et de cette façon...
LAMBERT, reculant.
Quoi ! vous me retireriez les dix mille francs que j’ai placés dans les huiles essentielles ?
MADAME LAMBERT.
Je vous les retirerais parce qu’ils sont ma propriété... Venceslas !... Comme s’il n’y avait pas cent autres personnes que je préfèrerais à cet imbécile, qui n’a pas un sou vaillant.
LAMBERT se retourne de temps en temps pour rire.
Cent autres ?... cent autres ?... Je ne vois pas trop...
MADAME LAMBERT.
Vous ne voyez pas trop... Est-ce que vous voyez quelque chose ?... M. Saturnin, par exemple, ne serait-il pas un parti mille fois meilleur ?
LAMBERT.
M. Saturnin !... oh !... c’est selon.
MADAME LAMBERT.
Il n’est peut-être pas de votre goût ?
LAMBERT.
C’est un honnête homme, j’en conviens... Mais, à te parler franchement... je prendrai la licence de te faire observer...
MADAME LAMBERT.
Eh bien ! quoi ? que lui trouvez-vous de mal à cet homme ? Ah ! il ne vous plaît pas ! Eh bien ! il me plaît, à moi... et il épousera Anastasie.
LAMBERT.
Il me semble, madame Lambert, que cette détermination...
MADAME LAMBERT.
Encore !... Ah ! je vous en prie, faites-moi grâce de vos sottises... j’en ai trop supporté... ma patience est à bout.
Air de Catinat à Saint-Gratien.
Jamais je n’ai vu rien d’pareil,
En vérité, je suis trop bonne,
Rappelez-vous bien ce conseil,
Si vous voulez que j’vous pardonne :
Afin que la tranquillité
Dans not’ ménage se maintienne,
Il ne faut qu’une volonté...
Et cett’ volonté... c’est la mienne.
Vous comprenez... Adieu, monsieur.
Elle le regarde des pieds à la tête.
Je voudrais !... Hum !...
Elle sort.
Scène VII
LAMBERT, SATURNIN, sortant du cabinet
LAMBERT attend que sa femme soit sortie, et éclate de rire.
Nous triomphons... Ouf ! ça n’est pas sans peine.
SATURNIN, riant.
Eh bien ! enlevé d’assaut, hé ! hé ! hé ! hé !
LAMBERT, riant aussi.
Tu as tout entendu... hé ! hé ! bé ! hé !
SATURNIN.
Mon ami, tu peux te vanter d’avoir eu là un moment bien gracieux...
LAMBERT.
Es-tu bien sûr qu’elle ne se doute de rien.
SATURNIN.
Elle est dedans, mon cher, elle est dedans... Tu vois ce qu’on gagne à avoir de l’esprit... et surtout un esprit inventif... Je n’en fais jamais d’autres.
Montrant son front.
Tout ce qui sort de là réussit.
LAMBERT.
Ça, c’est vrai que tu es un homme rare... Touche là, Saturnin, tu seras mon gendre.
SATURNIN.
J’aime à croire que ta fille n’aura pas à s’en plaindre. Je te promets de l’entourer de douceurs... tu comprends, hé ! hé ! hé ! hé !
LAMBERT.
Oh ! oui, très bien... des douceurs ?... parce que tu débites des bonbons... C’est ingénieux ; farceur, va !... toujours de l’esprit !
SATURNIN.
On se sert de ce qu’on a. Ah ça ! il ne faut pas qu’on nous surprenne ensemble. Je reviendrai bientôt recevoir le prix de ma ruse. Au revoir !...Tiens, voilà ce pauvre Venceslas !... Ah mon dieu ! quelle mine effarée !
LAMBERT.
Ma femme lui aura fait une scène ; c’est sûr.
Scène VIII
LAMBERT, SATURNIN, VENCESLAS
VENCESLAS.
C’est vous, vieillard respectable... Votre main, s’il vous plaît... votre main.
Il embrasse la main de Lambert avec effusion.
LAMBERT.
Volontiers, mon garçon ; mais qu’as-tu donc ?
SATURNIN.
Que t’est-il arrivé ? conte-nous ça... On dirait que tu as passé trois nuits de suite au corps-de-garde.
VENCESLAS.
J’ai l’air ému, n’est-ce pas ?... ne faites pas attention... Je suis vigoureusement affecté dans ce moment... M. Lambert, je vous dois une reconnaissance vive et durable... Vous vouliez me marier.
LAMBERT.
Quoi ! tu sais ?...
VENCESLAS.
Je sais tout, homme généreux ; tu voulais mêler ta race à la mienne. Je t’en remercie.
LAMBERT.
Mon ami, il n’y a pas de quoi.
SATURNIN.
Ça, c’est vrai.
VENCESLAS.
Faites excuse, il y a de quoi... Mais, hélas ! madame Lambert vient de m’accabler du poids de ses reproches.
LAMBERT.
J’en étais sûr.
VENCESLAS.
J’étais paisiblement occupé à remplir des rouleaux d’eau de Cologne, quand elle est venue me donner un savon !... comme jamais vous n’en avez fait... et elle m’a annoncé qu’elle me chassait de son domicile.
LAMBERT.
Quoi ! ma femme ?...
VENCESLAS.
Oui, honnête homme, votre femme me chasse... Il ne me reste plus qu’à aller errer dans les carrières Montmartre, ou dans toute autre carrière.
LAMBERT, à Saturnin.
Pauvre garçon ! il me fait peine, il mordait si bien à la parfumerie !
SATURNIN, à Lambert.
Ce pauvre diable !... c’est ma faute... Voyons... je vais tâcher d’arranger cela.
À Venceslas.
Écoute, Venceslas, tu es un bon garçon... ta position m’intéresse, et je veux t’obliger... Voudrais-tu changer les parfums contre les dragées et le chocolat ?
VENCESLAS.
Pourquoi cette question, confiseur ?
SATURNIN.
C’est que si tu veux entrer dans mon établissement...
VENCESLAS, fièrement.
Moi, fabriquer du chocolat ! Non, monsieur, non ; je ne puis descendre l’échelle sociale... Ma vocation est la parfumerie... toute autre branche d’industrie me répugne !... et pourtant... Il faut que j’y renonce !... elle me rappellerait des souvenirs trop cuisants.
Air du Maître du château.
Savons, parfums, pour toujours je vous laisse,
En ce moment je vous fais mes adieux ;
Et toi, l’objet de ma vive tendresse,
En te quittant j’ai les larmes aux yeux ;
Mais loin de toi, sur un autre rivage,
Quand j’sentirai la rose ou le s’ringat,
J’te croirai là, près d’moi... car ton image
S’ra dans mon cœur et dans mon odorat. (bis.)
LAMBERT.
Mais, mon pauvre Venceslas, que vas-tu faire ?
VENCESLAS, d’un air sombre.
Ce que je vais faire ?... ce que je vais faire ?... je vais faire ma malle... Adieu !
Il sort.
Scène IX
SATURNIN, LAMBERT
SATURNIN.
Ah ça ! dis donc, il aimait donc ta fille ?
LAMBERT.
Dame !... il paraît.
SATURNIN.
Mais alors, je suis enchanté que ce gaillard déguerpisse... Dis-moi, je sors par le laboratoire pour ne pas être vu de ta femme... et dans un moment, je suis ici... Au revoir !
LAMBERT.
Au revoir !
SATURNIN.
Air : Des diamants, une parure. (Riquet-à-la-houppe.)
Bientôt nous f’rons le mariage,
Tout va selon notre désir ;
Mon ami, j’en ai le présage,
Aujourd’hui nous d’vons réussir !
LAMBERT.
Tu seras heureux, je l’espère.
SATURNIN.
Et ta fille aussi le sera ;
Oui, bientôt tu seras grand-père,
Et cela te rajeunira.
Reprise ENSEMBLE.
Oui, bientôt nous f’rons le mariage, etc.
Saturnin sort par la première porte de droite.
Scène X
LAMBERT, puis ANASTASIE
LAMBERT.
Je suis enchanté !... Pourtant, ce pauvre Venceslas me fait de la peine ; mais ma foi, tant pis, pourquoi s’avise-t-il d’aimer Anastasie ; il est, au contraire, nécessaire qu’il s’éloigne.
ANASTASIE, à part.
Maman vient de recevoir ma lettre... et je veux voir l’effet qu’elle produira.
LAMBERT.
Ah ! c’est toi... Tout va à merveille, mon enfant, et j’espère que bientôt tu seras madame Saturnin. Ça te fait plaisir, n’est-ce pas ?
ANASTASIE.
Oui, papa.
LAMBERT, à part.
Voilà madame Lambert... Continuons notre ruse.
Scène XI
LAMBERT, ANASTASIE, MADAME LAMBERT
Elle tient une lettre à sa main.
LAMBERT, continuant.
Non, mademoiselle, non, vous n’épouserez pas M. Saturnin !... Je ne veux pas de lui pour mon gendre... et, quoi qu’en dise madame Lambert, il n’en sera rien.
MADAME LAMBERT, à part.
Oh ! le fourbe ! comme il joue la comédie !
ANASTASIE.
Mais, papa...
LAMBERT.
Silence, mademoiselle, obéissez à votre père... Je veux que Venceslas soit votre époux, je le veux... cela est positif ; et doit vous suffire.
Feignant d’apercevoir seulement alors madame Lambert.
Ah ! c’est vous, madame, quoi ! vous m’écoutiez ?
MADAME LAMBERT.
Oui, monsieur.
LAMBERT.
Il est donc inutile de répéter ce que je disais... Depuis ce matin, madame, j’ai bien réfléchi ; et décidément Saturnin ne convient nullement à notre fille.
MADAME LAMBERT.
Eh bien ! alors, mon ami, puisque vous tenez tant à ce que Venceslas soit notre gendre...
LAMBERT.
Eh bien ?
MADAME LAMBERT.
Eh bien ! il épousera Anastasie... Je me rends à vos raisons, et je suis charmée de vous être agréable en cette circonstance.
LAMBERT, à part.
Ah ! mon dieu ! qu’est-ce qu’il lui prend ?
ANASTASIE, à part.
J’ai réussi.
LAMBERT, à part.
Est-ce qu’elle serait indisposée ?
MADAME LAMBERT, à part.
Comme il se trouble !... C’est donc vrai...
ANASTASIE.
Mais, maman...
MADAME LAMBERT.
Silence, mademoiselle.
Air d’Yelva.
Obéissez et tâchez de vous taire,
Ou bien alors redoutez mon courroux,
Soumettez vous au choix de votre père
Qui mieux que lui se connait en époux,
C’qui vous convient, il le sait mieux que vous.
LAMBERT.
De tout c’que j’vois ma tête est étourdie,
Dieu quel guignon !... çà me casse les bras ;
Ell’ fait c’que j’veux une fois dans sa vie,
Et justement c’est ce que je n’veux pas. (bis.)
MADAME LAMBERT.
Mais qu’avez-vous donc, mon ami ? votre figure est toute renversée !
LAMBERT.
Moi ! je n’ai rien, au contraire... C’est que vois-tu, moi... j’approfondis la chose... car enfin, comme tu le disais ce matin... Venceslas...
MADAME LAMBERT.
Bien ; monsieur, bien ; ne vous donnez pas tant de mal... Je conçois votre embarras.
LAMBERT.
Mon embarras ?... Que veux-tu dire ?
MADAME LAMBERT.
Vous avez donc cru pouvoir me tromper... vous jouer de moi ?
LAMBERT.
Moi, ma chère amie !... ah ! quelle idée !
MADAME LAMBERT.
Mais, grâce à dieu, j’ai des amis qui veillaient sur vous.
LAMBERT, à part.
Je suis pétrifié !
MADAME LAMBERT.
Tenez, homme à deux faces, prenez cette lettre... lisez et rougissez... Ah ! vous vouliez faire de la diplomatie ! heureusement que je ne me laisse pas prendre à ces bêtises-là... Lisez, monsieur, lisez... Pour moi, je vais tout préparer pour assurer une fortune à Venceslas... et si vous n’obéissez, si vous sourcillez seulement... je... Mais je sors, car je ne répondrais plus de moi.
LAMBERT.
Air de Wallace.
J’étouffe au fond de l’âme,
Allez... vilain sournois,
D’avoir trompé votr’ femme,
Vous vous mordrez les doigts.
Ensemble.
LAMBERT
J’étouffe au fond de l’âme ;
Je suis perdu, je crois,
D’avoir trompé ma femme
Ah ! je me mords les doigts.
ANASTASIE.
Je ris au fond de l’âme ;
De Venceslas, je crois,
Je vais être la femme,
Quel bonheur j’entrevois.
Madame Lambert sort.
Scène XII
LAMBERT, ANASTASIE
LAMBERT.
Je n’ai pas une goutte de salive dans la bouche !... j’en ai la chair de poule ! Voyons ce que contient ce papier.
ANASTASIE, à part.
C’est ma lettre.
LAMBERT, lisant.
« Votre fille et votre mari sont d’intelligence avec M. Saturnin, qu’Anastasie veut épouser ; et pour vous faire signer le contrat, on doit feindre de ne pas vouloir de M. Saturnin afin que vous vous déterminiez à le choisir pour gendre. » Elle savait tout !
ANASTASIE, feignant la surprise.
Elle savait tout !
LAMBERT.
Ah ! ma pauvre enfant, que devenir ?... madame Lambert ne nous pardonnera jamais d’avoir voulu la tromper... Mais comment a-t-elle pu apprendre ?... Ce bavard de Saturnin aura jasé !. Dans quel embarras me suis-je fourré !... j’en perds la tête !
ANASTASIE.
Ne te désespères pas comme cela, papa... s’il faut renoncer à ce mariage... Eh bien ! je me ferai une raison... je me soumettrai à mon sort.
LAMBERT.
Charmante créature !... Non, je ne veux pas que tu te sacrifie... espérons encore... ta mère peut-être... Mon dieu ! mon dieu ! comment me tirer de là ?
Il s’assied tout abattu.
ANASTASIE.
J’ai envie de tout lui dire.
Scène XIII
LAMBERT, ANASTASIE, SATURNIN en toilette
SATURNIN, chantant sans la musique.
Air : Me voilà.
Me voilà, (ter.)
En amant fidèle,
J’accours vers ma belle.
Me voilà, (ter.)
Farceur et galant, je suis bon là.
J’arrive sur les ailes de l’amour... Pour vous, belle Anastasie, j’ai retrouvé mes jarrets de vingt ans... Je suis... Mais qu’a donc Lambert ? est-ce qu’il conspire encore !... quelque-nouveau coup d’état ?... c’est charmant !... Lambert !
LAMBERT, sans le voir.
Elle va m’accabler du poids de son mépris !
SATURNIN, plus fortement.
Lambert !
LAMBERT, se levant très vivement.
Ma chère amie, pardonne-moi...
Reconnaissant Saturnin.
Comment, c’est toi !
SATURNIN.
Eh ! bien certainement que c’est moi... qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire à cela ?
LAMBERT.
Ah ! mon ami, tout est perdu !
SATURNIN.
Tout est perdu ? Qu’est-ce que ça signifie, explique-toi.
LAMBERT.
Je n’en ai pas la force, je suis paralysé.
SATURNIN.
Ah ! mon dieu ! tu m’effrayes !... Charmante Anastasie, parlez, je vous en conjure... Qu’y a-t-il ?
ANASTASIE.
Il y a, monsieur, que maman sait tout.
SATURNIN.
Elle sait tout !
LAMBERT.
Elle sait tout... et cela, parce que, sans le moindre doute, tu as été jaser.
SATURNIN.
Moi ! mais non.
LAMBERT.
Comment faire ? Où donner de la tête ? Que diable, Saturnin... tu pouvais bien attendre, avant d’aller jaser comme cela.
SATURNIN.
Mais je te dis que non... je n’ai pas ouvert la bouche.
LAMBERT.
Nous sommes dans un joli état... Comment ramener la paix dans mon ménage à présent... encore si tu n’avais pas jasé.
SATURNIN.
Mais, de par tous les saints de l’almanach, je te répète que je n’ai pas soufflé le mot.
LAMBERT.
Eh bien, je te crois... c’est bon... ne te fâche pas... Voilà que tu t’emportes à ton tour.
SATURNIN.
C’est que tu veux me persuader...
LAMBERT.
Ne perdons pas de temps en paroles... Je vais tâcher de calmer Madame Lambert... elle est dans le cas de se faire une révolution... une femme si nerveuse !... Au revoir, Saturnin ; mais une autre fois, je t’en supplie, retiens ta langue... Ne jase plus comme tu l’as fait... Crois-moi, ne jase plus.
Il sort.
Scène XIV
SATURNIN, ANASTASIE
SATURNIN.
Il n’en démordra pas ! j’ai beau m’étrangler, et lui dire que personne n’a appris de moi...
ANASTASIE, à part.
Si mon père allait réussir !... Si maman se laissait toucher...
SATURNIN.
Chère Anastasie, espérons encore... Dites-moi, j’ai besoin de m’éloigner... mais dans un instant...
ANASTASIE.
Comment, Monsieur, vous vous en allez ? vous me laissez toute seule dans un pareil moment ?
À part.
Il faut qu’il reste.
SATURNIN.
Je vous avoue que je ne me soucie pas de rencontrer madame votre mère.
ANASTASIE.
Quoi ? Monsieur, vous dites que vous m’aimez ? et c’est ainsi que vous le prouvez !... vous craignez de voir maman, de montrer un peu de fermeté, quand c’est le seul moyen d’obtenir ma main.
SATURNIN.
Certainement, qu’un peu de fermeté...
ANASTASIE.
Et c’est la peur qui vous arrête ?
SATURNIN.
Que voulez-vous ? madame votre mère est si vive, si impétueuse !... on a beau être de la garde nationale... on ne peut pas se défendre...
Scène XV
SATURNIN, ANASTASIE, VENCESLAS, avec un sac de nuit et une valise, et s’arrêtant au fond
ANASTASIE, feignant de pleurer.
C’est indigne, Monsieur !... et moi qui avais la simplicité de vous aimer... de ne vouloir que de vous pour mon mari... je jure bien qu’à présent...
VENCESLAS, poussant un cri de douleur et d’étonnement.
Ah !
SATURNIN.
Arrêtez, Anastasie, arrêtez... l’aveu que vous venez de me faire me décide à tout... Elle m’aime ! elle m’adore ! charmante amie ! qu’exigez-vous ? parlez.
VENCESLAS.
Ça me l’effet de trois réverbères qui me tombent sur la tête.
ANASTASIE.
J’exige, Monsieur,
À part.
c’est le meilleur moyen.
Haut.
j’exige qu’à l’instant même vous alliez dire à ma mère que je vous aime ; que je ne veux épouser que vous... et que, de votre côté, vous êtes déterminé à employer tous les moyens pour me posséder... Voilà ce que je veux sans cela, Monsieur, je vous retire mon amour, et jamais je ne serai votre femme.
VENCESLAS, à part.
Ô infamie des infamies !... et moi qui le croyais pure... Je vais me trouver mal.
SATURNIN.
Eh ! bien, Anastasie... je veux me rendre digne de vous... Oui, je vais trouver votre mère, je lui déclare que nous nous adorons, je lui dépeins notre amour, et mon éloquence l’attendrira, j’en suis certain.
ANASTASIE.
Bien, Monsieur, partez vite... partez.
SATURNIN.
Permettez qu’un baiser...
VENCESLAS laisse tomber son sac et sa valise.
Arrière, scélérat ! vil coquin !
ANASTASIE.
Ciel ! Venceslas !
VENCESLAS.
Oui, perfide !... Venceslas, qui a tout entendu !... Venceslas, exaspéré, frénétique ! ah ! tu veux faire de moi un homme atroce ?... Eh ! bien, sois donc satisfaite... je suis atroce...
SATURNIN.
Que signifie cette fureur ?
VENCESLAS, le prenant à la gorge.
Fabricant de chocolat, tu ne périras que de ma main !
ANASTASIE, cherchant à les séparer.
Venceslas ! que faites-vous ?
SATURNIN, se dégageant à moitié.
Monsieur, je suis prêt à vous donner toutes les satisfactions verbales possibles... laissez-moi, ou je crie à la garde.
VENCESLAS.
Eh bien ! soit ; je veux bien différer ma vengeance ; mais ce soir, nous nous couperons la gorge... vieux stupide !
SATURNIN.
Ce garçon est violemment exaspéré !...
VENCESLAS.
Ce soir, vous comprenez ; si vous êtes invité pour demain à déjeuner, je vous conseille de prévenir qu’on ne vous attende pas.
SATURNIN.
Ça suffit ! Anastasie, je vais parler à votre mère.
À part.
C’est-à-dire, que je m’en vais chez moi, attendre que l’orage soit calmé.
VENCESLAS, à Saturnin.
Tu ne tarderas pas à me revoir... grosse nullité.
Air de Rossini. (Ah ! quel outrage.)
Crains ma colère,
Bientôt, j’espère,
Confiseur ; tu mordras la terre ;
J’fus outragé,
Mais j’srais vengé
Je veux m’battr’ comme un enragé.
SATURNIN.
Quel embarras !
ANASTASIE, à Venceslas.
Écoutez-moi, de grâce.
VENCESLAS.
Non, laissez-moi, vous causez tous mes maux ;
Je ne veux pas vous regarder en face,
Je s’rais forcé de vous dir’ des gros mots.
Reprise.
ANASTASIE et SATURNIN.
Quelle colère !
Çà m’désespère !
Maintenant hélas ! comment faire ?
Il a jugé
Mon } cœur changé
Son }
Et le v’là comme un enragé.
Saturnin sort.
Scène XVI
VENCESLAS, ANASTASIE
ANASTASIE, à Venceslas, qui se promène furieux.
Venceslas, pouvez-vous porter à des extrémités pareilles ! vous, autrefois si doux, si paisible.
VENCESLAS.
Amère dérision ! Tu veux que je reste les mains dans mes poches, quand je suis dupé dans toutes mes affections ? quand tu viens de me percer le cœur, et de retourner le fer dans la plaie... Oui, Anastasie, tu as retourné le fer dans la plaie... Aussi... maintenant je suis capable de tout... Si j’avais une canne à dard... je ferais quelque malheur... je voudrais me battre... bousculer tout le monde... Je voudrais être chez un marchand de faïence pour tout casser.
ANASTASIE.
Mon dieu ! Venceslas... Calmez-vous et écoutez-moi... Je vais vous expliquer...
VENCESLAS.
Que je me calme ! que je me calme !... De quelle pâte me croyez-vous ?... Que je me calme !... quand vous me jetez le désespoir à la tête... Que je me calme !... quand je n’ai plus qu’à choisir le genre de mort qui conviendra le mieux à mon tempérament... Que je me calme !...
ANASTASIE.
Mon ami, si je vous disais que jamais...
VENCESLAS.
Vous auriez tort... car ce que vous pourriez dire, et rien... ce serait analogue.
ANASTASIE.
Vous m’écouterez cependant... Venceslas, apprenez donc que tout ce que j’ai fait jusqu’à ce moment... tout ce que j’ai dit...
Apercevant sa mère.
Dieu ! maman !
Scène XVII
VENCESLAS, ANASTASIE, MADAME LAMBERT
Elle se tient au fond.
VENCESLAS.
Ce que vous avez fait... achevez.
ANASTASIE.
Enfin, Venceslas...
VENCESLAS.
Voyons, parlez... qu’y a-t-il ?
ANASTASIE, à part.
Mon dieu ! si maman n’était pas là !
Haut.
Il y a, Venceslas, que maman veut nous marier.
VENCESLAS.
Nous marier, dites-vous ! Votre mère veut nous marier !
ANASTASIE.
Mais je ne crois pas que nous nous convenions ; nos caractères ne sont pas faits l’un pour l’autre... et M. Saturnin...
VENCESLAS.
Pas un mot de plus, Anastasie, pas un mot de plus... c’est toi, toi qui refuses !
D’une voix sombre.
Anastasie, ta bouche vient de prononcer mon arrêt.
ANASTASIE.
Que voulez-vous dire ?
VENCESLAS.
Air : Elle a trahi ses serments et sa foi.
Au désespoir tu réduis ton amant !
Épouse donc ton vieux célibataire ;
Jouis sans remords du bonheur qui t’attend ;
Pour moi je sais ce qu’il me reste à faire...
La prenant par le bras et lui faisant faire quelques pas.
Pour se guérir d’un sentiment profond,
Chez la fruitière on trouve du charbon. (bis.)
Adieu !
MADAME LAMBERT, le retenant.
Arrêtez, Venceslas !
VENCESLAS.
Quoi ! c’est vous, trop généreuse marraine, qui m’arrêtez à deux doigts du précipice ?...
MADAME LAMBERT.
Restez, vous dis-je, Venceslas, Anastasie sera ta femme.
VENCESLAS.
Ma femme !... elle ! vous voulez rire ?
MADAME LAMBERT.
Je te le répète ; Anastasie est à toi.
VENCESLAS, fièrement.
Je refuse.
MADAME LAMBERT.
Tu refuses !
VENCESLAS.
J’ai dit : je refuse.
ANASTASIE, à part.
Et je ne puis parler !
MADAME LAMBERT, s’échauffant.
Venceslas, tu l’épouseras.
VENCESLAS.
Jamais... jamais.
MADAME LAMBERT.
Tu l’épouseras, ou j’y perdrai mon nom !...
VENCESLAS.
Votre nom ? peu m’importe... Pour moi, je ne donnerai jamais le mien qu’à une femme qui partagera mon amour.
MADAME LAMBERT, en colère.
Tout le monde se ligue donc contre moi ?... Venceslas, je veux qu’elle t’épouse... que tu l’épouses... je le veux !!
ANASTASIE, à part, faisant des signes à Venceslas.
Quelle position !
VENCESLAS.
Et moi, je vous réitère que jamais... au grand jamais...
À part.
Ah ! mon dieu ! je crois qu’elle m’a fait un signe !...
MADAME LAMBERT.
C’est peut-être par fierté... parce que tu n’as rien... Mais... tiens... voilà ta dot.
Elle lui donne un papier.
VENCESLAS, lisant.
Ma dot !...
Il lit.
Une donation ! Dix mille francs ! à moi Venceslas !
MADAME LAMBERT.
Oui, oui, à toi... toi, le mari de ma fille ; toi, mon gendre... refuseras-tu, maintenant ? Et vous, Anastasie... vous êtes prête à m’obéir.
ANASTASIE.
Maman, vous ne pouvez vouloir que mon bonheur... j’obéirai. MADAME LAMBERT, à part.
Ma volonté sera donc exécutée !... M. Lambert, M. Lambert... nous verrons maintenant !...
VENCESLAS.
Quoi ! Anastasie ?
ANASTASIE, bas, à Venceslas.
Je n’ai jamais aimé que toi ; et tout ce que j’ai fait était pour devenir ta femme.
VENCESLAS, bas.
Il se pourrait !... ô ange d’esprit ! Je ne comprends pas un mot ; mais c’est bien adroit !
MADAME LAMBERT.
Enfin, j’y suis parvenue !
Scène XVIII
VENCESLAS, ANASTASIE, MADAME LAMBERT, LAMBERT, SATURNIN
LAMBERT, se mettant aux genoux de sa femme.
Viens, Saturnin, viens l’implorer avec moi... Madame Lambert... ma femme bien-aimée... mon épouse chérie... pardonne-moi...
SATURNIN.
Ma chère madame Lambert, femme charmante et respectable... nous nous adressons à votre cœur... à ce cœur qui...
MADAME LAMBERT, sèchement.
Messieurs, permettez-moi de vous faire part du prochain mariage d’Anastasie avec mon filleul Venceslas... Vous êtes priés d’assister à la cérémonie nuptiale...
VENCESLAS, à Saturnin.
Qui se fera en l’église paroissiale de Saint-Thomas-d’Aquin.
LAMBERT.
C’en est donc fait !
Pleurant.
Et le bonheur de notre enfant, madame, le comptez-vous pour rien ?
ANASTASIE, bas, à son père.
Papa, c’est lui que j’aimais.
LAMBERT, de même.
Comment, lui !... Venceslas ?... je n’y suis plus.
SATURNIN.
Ce que femme veut, Dieu le veut... Encore, si je pouvais, rire !
VENCESLAS.
Nous allons donc être heureux !
ANASTASIE.
Il ne s’agit que de s’entendre.
Vaudeville.
Air : Vaudeville de l’apothicaire.
MADAME LAMBERT.
Voulez-vous, messieurs les maris,
Trouver le bonheur en ménage,
À vos femmes soyez soumis,
Ayez la douceur en partage ;
Ployez-vous toujours à nos goûts,
À tous nos vœux sachez vous rendre ;
Vous le voyez bien... avec nous
Il ne s’agit que de s’entendre. (bis.)
SATURNIN.
Hier l’épicier, mon voisin,
D’un garçon est devenu père ;
Mais il se trouv’ que le bambin
Ressemble au p’tit clerc du notaire ;
Chacun, en riant, dit au papa,
C’est vot’ portrait à s’y m’éprendre ;
Mon dieu ! sur ces ressemblanc’s-là
Il ne s’agit que de s’entendre.
LAMBERT.
Détrôner les rois absolus,
Cela n’est pas très difficile :
Mais pour détrôner les abus
La chose hélas ! est moins facile ;
À la tribune à tout moment
On discute sans se comprendre,
Pourtant quand le peuple est souffrant,
On devrait tâcher de s’entendre.
VENCESLAS.
Au sujet d’Anvers, dernièr’ment,
La Holland’ voulait fair’ sa tête ;
Pour calmer son emportement
Voilà quell’ fut notre recette :
On fit tonner huit cents canons,
C’était un fracas à tout fendre ;
Alors on comprit nos raisons...
Il ne s’agit que de s’entendre.
ANASTASIE, au public.
Si vous vouliez rendre joyeux
Les auteurs de ce vaudeville,
Messieurs, pour combler tous leurs vœux,
Il est un moyen bien facile ;
Que le parterr’ donn’ le signal,
Les log’s ne se f’ront pas attendre,
Et l’bruit deviendra général :
Il ne s’agit que de s’entendre.