Le Frère et l’amant (Fulgence DE BURY - Alexis DECOMBEROUSSE)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre royal de l’Odéon, le 14 septembre 1829.

 

Personnages

 

VALIN, manufacturier

GUSTAVE, son fils

JULES DERFEUIL, amant de Cécile

ÉDOUARD DE MONTLÉON, ami de Jules

PARLY, commandant de gendarmerie, tenue de ville, décoré

BENOÎT, domestique de Valin

CÉCILE, fille de Valin

MARGUERITE, tante de Valin

UN BRIGADIER DE GENDARMERIE

 

La scène est dans une ville du Dauphiné.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente l’intérieur d’une cour. À gauche de l’acteur, une maison avec un perron de deux ou trois marches. Du même côté, au dernier plan, un pavillon : au fond, un mur de clôture allant jusqu’à la moitié du théâtre. L’autre moitié est fermée par une grille descendant en biais jusqu’au troisième plan. À gauche, sur le devant, un arbre au pied duquel est un banc.

 

 

Scène première

 

CÉCILE, MARGUERITE

 

Au lever du rideau, Cécile et Marguerite sont assises sur le banc ; Cécile fait la lecture à Marguerite qui tricote.

CÉCILE, lisant.

« Telles sont les mœurs et les habitudes de l’Orient. Cet heureux climat serait un paradis sur la terre, si la plus affreuse maladie, appelée la fièvre jaune, n’y exerçait pas ses ravages. »

MARGUERITE, interrompant Cécile.

Oui ; elle n’a pas épargné ton frère, mon cher Gustave, et qui sait maintenant !... Et c’est dans ce pays que l’on a consenti à le laisser aller... à l’âge de quinze ans... En voilà déjà onze qu’il est parti... tu étais bien jeune alors.

CÉCILE, vivement.

Oh ! c’est égal : je me le rappelle bien ; il était si bon pour moi !

MARGUERITE.

Ton père s’est repenti plus d’une fois... et quel chagrin cette séparation n’a-t-elle pas causé à ton excellente mère ! Ne pas pouvoir embrasser son fils à ses derniers moments... C’est moi, pauvre vieille, qui ne le reverrai peut-être pas non plus, qu’elle a chargée de ses derniers adieux pour lui !

Silence.

Ferme ton livre, Cécile, ces souvenirs m’ont trop émue pour que je puisse te prêter plus longtemps attention... Et puis, je m’intéresse à tes yeux ; je ne veux pas trop les fatiguer. Ils sont à nous deux à présent.

Cécile prend une tapisserie dans une corbeille à ouvrage.

 

 

Scène II

 

CÉCILE, MARGUERITE, LE COMMANDANT PARLY

 

PARLY, sortant de la maison avec un brigadier de gendarmerie, et lui remettant un papier.

Portez cet ordre au maréchal des logis.

LE BRIGADIER, saluant.

Suffit, commandant.

Il sort.

PARLY, s’approchant de Cécile.

Le charmant ouvrage, mademoiselle Cécile !

MARGUERITE.

Comment ! Vous êtes encore ici, monsieur Parly ?

PARLY.

J’avais quelques affaires à terminer, madame.

MARGUERITE.

Je vous croyais parti depuis une demi-heure, avec M. Valin, pour signer le contrat de mariage de son fermier.

PARLY.

Et vous pensez qu’on n’arrive jamais trop tôt pour signer le bonheur des autres ; je vous reconnais bien là. Oh ! oui ; c’est un beau jour qu’un jour de mariage ! surtout quand on s’aime tous les deux.

Examinant Cécile qui reste muette et les yeux baissés.

C’est la première clause du contrat.

Se frottant les mains.

J’espère que bientôt je n’aurai plus rien à envier aux nouveaux époux... Mais allons toujours figurer, comme témoin, en attendant que je monte en grade.

À Cécile, en riant.

Adieu, mon colonel.

Il salue et sort.

 

 

Scène III

 

MARGUERITE, CÉCILE

 

MARGUERITE.

Dis donc, Cécile, pourquoi, lorsque le commandant t’adresse la parole, gardes-tu toujours le silence ? Tout à l’heure encore, tu ne lui as pas répondu.

CÉCILE.

Tu crois...

MARGUERITE.

J’en suis sûre... Son caractère ne te conviendrait-il pas ?

CÉCILE.

Au contraire, ma tante.

MARGUERITE.

C’est un ancien militaire qui a servi avec distinction.

CÉCILE, vivement.

Oh ! je lui rends toute la justice qu’il mérite. Il a le plus grand attachement pour ma famille ; et mon père a bien raison de l’aimer.

MARGUERITE.

Ton père, sans doute... mais toi ?

CÉCILE.

Moi ?... Pourquoi donc voudrais-tu que je fusse la seule à ne pas reconnaître les qualités qui le distinguent ? Il est bon, généreux, sincère, raisonnable...

MARGUERITE.

Et puis ?...

CÉCILE.

Comment !... Mais il me semble que cet éloge...

MARGUERITE.

Oh ! il est complet, j’en conviens, trop complet même, pour qu’il n’y manque pas quelque chose.

CÉCILE.

Quoi donc ?

MARGUERITE.

Je ne puis pas trop t’expliquer ; mais ce charme, ce je ne sais quoi... dont on se plaît à embellir...

CÉCILE.

Voudrais-tu donc que j’en fisse un héros de roman ?... Je n’ai pas assez d’imagination pour cela... Moi, je dis tout simplement ce que je pense.

MARGUERITE.

Je me rappelle pourtant qu’à ton retour de Provence tu me parlas d’un jeune homme.

Mouvement de Cécile.

Et tu m’en fis un éloge... où se trouvait... ce qui manque à celui du commandant... Tu vois bien que tu as de l’imagination.

CÉCILE, vivement.

Je te jure que c’était la vérité, et que je n’ai rien exagéré... Je le vois et je l’entends encore comme s’il était auprès de moi.

MARGUERITE.

Prends garde ; souviens-toi que tu as accepté, devant ton père, la demande que M. Parly a faite de ta main.

CÉCILE.

Oui, mais c’était avant d’avoir vu M. Jules.

MARGUERITE.

Ah ! oui, il s’appelle Jules.

Lui prenant la main.

Mon enfant, depuis longtemps tu es obligée de me conduire ; mais, quoique aveugle, je pourrai peut-être te rendre le même service... Crains d’abandonner un avenir tranquille, honorable, pour un bonheur imaginaire. Sais-tu si ce jeune homme a conservé de toi quelque souvenir. Tu n’en as pas entendu parler depuis ton retour ; peut-être même ne le reverras-tu jamais.

Ici, Jules et Édouard traversent le théâtre dans le fond, et s’arrêtent un instant devant la grille. Cécile reconnaît Jules.

CÉCILE.

Jules !...

À Marguerite, d’un ton très ému.

Tu crois donc que je ne le reverrai jamais ?

MARGUERITE.

Ah ! mon Dieu ! comme tu es émue !

À part.

Pauvre enfant ! Elle l’aime plus que je ne pensais.

CÉCILE, vivement.

Mais, s’il ne m’avait pas oubliée ; s’il se présentait ici avec les idées de bonheur que tu veux me faire perdre ?

MARGUERITE.

Alors, ma fille, il n’y aurait plus à balancer. Il faudrait que ton père reçût toute ta confidence.

CÉCILE, avec effroi.

Mon père !... Y penses-tu ?... Oh ! je n’oserais jamais.

MARGUERITE.

Pourquoi donc ?

CÉCILE.

Il est si sévère !... si absolu !...

MARGUERITE.

Autrefois, oui. Mais tu ne t’es donc pas aperçue du changement qui s’est fait en lui depuis la mort de ta pauvre mère ? Pourquoi être si timide avec son père ?... C’est mal.

CÉCILE.

Oh ! tu as bien raison, je me le reproche souvent. Mais c’est plus fort que moi.

MARGUERITE.

Eh bien ! mon enfant, si le rêve que tu faisais tout à l’heure se réalisait jamais, rassure-toi... C’est moi qui me chargerais alors de parler.

CÉCILE.

Quoi ! Vraiment ?... tu serais assez bonne ?...

À part.

Justement l’occasion vient de se présenter.

MARGUERITE.

Je n’ai jamais eu peur de ton père, moi : mon enfance a précédé la sienne, et j’ai vu un temps où c’était lui qui avait peur de moi.

 

 

Scène IV

 

MARGUERITE, CÉCILE, VALIN, PARLY

 

PARLY.

Les excellentes gens !

VALIN.

Il y a longtemps que je les connais ; ils sont fermiers de ma famille depuis tant d’années qu’ils me semblent en faire partie.

PARLY.

En effet, votre générosité envers eux le prouve assez.

VALIN.

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; songeons au déjeuner.

PARLY.

Bravo ! une bonne pensée après une bonne action ! Nous sommes en veine aujourd’hui.

VALIN, appelant.

Benoît ! Benoît !

MARGUERITE.

Il est allé chercher tes lettres à la poste, mais il a tout préparé avant de partir.

VALIN.

Alors, commandant, entrons.

À Cécile.

Est-ce que tu ne viens pas, Cécile ?

CÉCILE, se levant aussitôt.

Tout de suite, mon père.

À Marguerite.

Si tu as besoin de quelque chose, ma tante, voilà la sonnette.

Parly va pour offrir la main à Cécile ; celle-ci, feignant de ne pas s’en apercevoir, passe devant lui.

VALIN, sévèrement à sa fille, montrant Parly.

Eh bien ? Cécile.

CÉCILE, acceptant la main de Parly, qui est restée tendue.

Pardon, monsieur.

VALIN, à Marguerite, en s’en allant.

Quant à toi, tu as pris les devants.

MARGUERITE.

Oui, c’est une vieille habitude ; on a tant de peine à s’en défaire !

Bas.

Ne parle donc pas si sévèrement à Cécile.

VALIN.

Comment ?

MARGUERITE.

Oh ! je sais bien que le cœur n’y est pour rien ; mais le ton...

VALIN.

Ah ! oui, tout à l’heure... Tu as raison.

À part, en s’en allant.

Toujours en contradiction avec moi-même.

Il rentre.

 

 

Scène V

 

MARGUERITE, seule

 

Avec quelle déférence il m’écoute à présent ! J’ai presque de l’ascendant sur son esprit ! Ah ! pourquoi n’en était-il pas déjà de même, lorsque mon Gustave a été éloigné de la maison paternelle ! Mais si je n’ai rien pu alors pour le frère, tâchons du moins aujourd’hui de faire quelque chose pour la sœur... Ce sera toujours une consolation.

 

 

Scène VI

 

MARGUERITE, BENOÎT

 

BENOÎT, entrant en sautant de joie, et laissant la grille ouverte.

Madame, madame !... Bonne nouvelle.

MARGUERITE.

Qu’est-ce que c’est ?

BENOÎT.

C’est une lettre.

MARGUERITE.

Une lettre qu’y a-t-il de si étonnant à cela ? N’en reçoit-on pas tous les jours ?

BENOÎT.

Oui, mais elles ne viennent pas tous les jours de ce pays-là.

MARGUERITE.

D’où vient donc celle-ci ?

BENOÎT.

De Marseille.

MARGUERITE.

De Marseille !... Oh ! mon Dieu ! si c’était de Gustave !...

BENOÎT.

Eh ! de qui donc ? Est-ce que toutes celles qui nous arrivent de là ne sont pas de lui ?... Ce qu’il y a de plus heureux, c’est qu’il est de retour en France.

MARGUERITE.

En France ! Gustave !... D’où le sais-tu ?...

BENOÎT, lui mettant la lettre sous le nez.

Dites-moi seulement si ça sent le vinaigre ?

MARGUERITE, impatientée.

Je ne sens rien.

BENOÎT.

Alors, vous êtes de mon avis : il est en France La lettre a été écrite à Marseille, puisqu’elle n’a pas une odeur de lazaret ; c’est clair.

MARGUERITE.

S’il avait raison ! Benoît, conduis-moi à l’instant près de M. Valin. Je veux assister à l’ouverture de cette lettre.

BENOÎT, lui donnant le bras.

C’est comme si vous l’aviez lue.

MARGUERITE.

Mon Gustave en France ! quel bonheur !

Ils rentrent dans la maison.

 

 

Scène VII

 

JULES, ÉDOUARD

 

Ils avaient reparu à la grille, sur la fin de la dernière scène

ÉDOUARD, franchissant la grille une valise à la main, et regardant avec inquiétude dans la campagne.

Entre vite... Dépêche-toi donc... Est-ce que tu ne t’es pas aperçu que nous venions d’être suivis ?

JULES, entrant, et restant près de la grille.

Y penses-tu ?... T’introduire ainsi dans une maison...

ÉDOUARD.

Où tu ne seras pas étranger, du moins pour un de ses plus aimables habitants. Ne viens-tu pas de reconnaitre la jeune personne que tu aimes, et qui t’aime aussi sans doute ?

JULES.

Mais songe donc, mon ami, qu’il ne faut pas agir ici avec légèreté, et que jamais circonstance ne fut plus grave.

ÉDOUARD.

À qui la faute ?... Pourquoi diable aussi t’avises-tu, il y a cinq semaines, d’avoir un duel sans témoins et de tuer ton adversaire ?... La nouvelle loi venait de paraître... c’était bien choisir ton moment ! Cachés chez une de mes parentes, nous ne devions en sortir que pour nous réfugier à Paris, où les jeunes gens se perdent si facilement... dans la foule. Pas du tout... Tu apprends le prochain mariage de la dame de tes pensées... ta tête se monte... tu veux partir... je cède... et nous courons au-devant du danger. Ce que je craignais n’a pas tardé d’arriver. Plus heureux que tu ne le mérites, un moyen de salut se présente, et tu hésiterais !... Quand l’amour est devant toi, et que les gendarmes sont derrière...

S’approchant de la grille.

Tiens, regarde là-bas... Toujours ces maudits uniformes ! Crois-moi,

Il se dirige vers la maison.

il n’y a pas un instant à perdre.

JULES, l’arrêtant.

Imprudent ! que vas-tu faire ?

ÉDOUARD.

Sonner.

Apercevant Benoît qui sort de la maison.

Mais c’est inutile... Voici quelqu’un qui vient nous recevoir.

 

 

Scène VIII

 

JULES, ÉDOUARD, BENOÎT

 

BENOÎT, sortant de la maison, à la cantonade.

Oui, monsieur, oui, mademoiselle ; les deux chambres du petit pavillon. Dans un instant, tout sera prêt. Je vais me donner bien du mal, et avec plaisir encore.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Du courage !

BENOÎT, sans les apercevoir.

Ah ! il sera ici presque aussitôt que sa lettre ; et il viendra avec un ami !... Je savais bien qu’il était en France ; qu’on dise encore que Benoît n’est qu’un imbécile.

Il remonte du côté de la grille.

ÉDOUARD, d’un ton moqueur à Jules.

Il s’appelle Benoît.

BENOÎT.

Ah ! ah ! j’avais laissé la grille ouverte.

Il va la fermer.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Tu vois, la retraite nous est fermée ; à présent, vaincre ou mourir !

BENOÎT, apercevant Jules et Édouard.

Tiens ! deux jeunes gens ici !... Messieurs, que demandez-vous ?

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Ne m’as-tu pas dit que le père se nommait Valin ?

Haut à Benoît.

Annoncez-nous, je vous prie, à M. Valin, mon cher Benoît.

BENOÎT, à part.

Il sait mon nom.

ÉDOUARD.

Il sera enchanté de nous voir,

Montrant Jules.

mon ami surtout.

JULES, à part.

Quelle audace !

BENOÎT, surpris et examinant Jules attentivement.

Enchanté de voir monsieur !...

À part.

C’est singulier ! je n’ai jamais vu cette figure-là.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Comme il t’examine !

À Benoît.

Je parie que vous cherchez à le reconnaitre ?... Vous n’y parviendrez pas.

BENOÎT, les yeux toujours fixés sur Jules.

Quelle idée !

ÉDOUARD, l’interrompant.

Mais dépêchez-vous, je vous prie : nous sommes fatigués ; nous venons de loin.

BENOÎT, à part.

Si c’était déjà...

Haut.

Ah ! vous venez de loin... Et de quel pays ?...

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Allons, voilà l’interrogatoire qui commence.

BENOÎT, continuant.

De Marseille... peut-être...

ÉDOUARD, inquiet.

Qui vous a dit ?...

BENOÎT, sautant de joie.

De Marseille ?... Quel bonheur !... C’est lui...

Montrant Édouard.

Justement voilà son ami.

Se précipitant au cou de Jules.

Monsieur Gustave... C’est vous ! il faut que je vous embrasse !

ÉDOUARD, à part.

Gustave !

JULES, le repoussant avec humeur.

Qu’est-ce que vous faites donc ? Vous m’étouffez !

BENOÎT, toujours transporté.

Est-ce heureux ! est-ce heureux !

ÉDOUARD.

À qui en a-t-il donc ? Est-ce qu’il devient fou ?

BENOÎT, revenant à la charge.

Non ; mais c’est que je ne peux pas me lasser...

ÉDOUARD, l’arrachant des bras de Jules.

Ah çà, mais c’est un enragé ! à qui en a-t-il donc ?

JULES, respirant à peine.

Ouf ! je n’en puis plus...

ÉDOUARD.

Le butor !

JULES, réparant le désordre de sa toilette.

Je voudrais bien savoir pour quel motif...

BENOÎT.

Ah ! c’est juste !... Pardon, monsieur Gustave ; mais le sentiment... l’amitié d’enfance... Je me suis laissé aller.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Pour qui te prend-il donc ?

BENOÎT, examinant Jules.

C’est singulier, plus je vous regarde et plus je trouve que vous n’êtes plus le même ! Dame ! ça n’est pas étonnant, quand on s’en va à quinze ans et qu’on ne revient qu’à vingt-six... Et puis, ce soleil d’Orient... c’est si chaud...

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Attention ! tu reviens d’Orient.

BENOÎT.

Mais je m’amuse au lieu de prévenir M. votre père.

ÉDOUARD, doutant de ce qu’il vient d’entendre.

Hein ! Comment dites-vous ?

BENOÎT.

Eh bien ! M. Valin ; il est là.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Il te prend pour le fils de la maison.

JULES, de même, à Édouard.

Je ne le souffrirai pas.

BENOÎT.

Pauvre cher homme !... va-t-il être content !

Il va pour sortir. Jules fait un mouvement vers Benoît ; Édouard l’arrête. Benoît revenant.

Non ; je pense à une chose. Je ne vais pas lui annoncer tout de suite votre retour... parce que, voyez-vous, l’émotion, la nature... avec ça qu’il est à table, vous comprenez...

JULES, bas, à Édouard.

Ne restons pas ici davantage. Partons.

BENOÎT.

Mais mademoiselle Cécile est auprès de lui avec son prétendu...

JULES, avec un mouvement spontané de jalousie.

Son prétendu ! On ne m’avait donc pas trompé !

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Veux-tu partir à présent ?

BENOÎT, continuant.

Et je vais leur dire tout bas que vous êtes ici ; ça fait qu’ils prépareront M. Valin.

ÉDOUARD.

Excellente idée,

À part.

qui nous donnera le temps de nous préparer nous-mêmes.

BENOÎT, à Jules qui a l’air de souffrir.

Qu’est-ce que vous avez donc, monsieur Gustave ? Vous ne m’écoutez pas !...

ÉDOUARD.

Chut ! N’ayez pas l’air de vous en apercevoir... Depuis sa dernière maladie... mais ce n’est presque rien...

Il lui fait entendre par signes que Jules a quelquefois des absences.

BENOÎT.

Ah ! j’y suis... depuis qu’il a eu la fièvre jaune.

 

ÉDOUARD.

Précisément.

Bas, à Jules.

Tu l’entends ; tu as eu la fièvre jaune. La fièvre jaune nous sauve ! Qu’on dise encore que c’est un fléau ! Avec ça, on peut se présenter partout.

BENOÎT, qui est resté absorbé dans ses réflexions.

Quel malheur ! Comment ! ça produit cet effet-là ? C’est donc pour ça que M. Valin est si triste, depuis qu’il en a reçu la nouvelle.

JULES, bas, à Édouard.

Eh ! tu veux que j’abuse le cœur d’un père !...

BENOÎT.

J’ai eu aussi la fièvre jaune ; mais celle de ce pays-ci : la jaunisse.

ÉDOUARD, à Benoît.

Allez, allez.

BENOÎT.

Ne vous impatientez pas.

ÉDOUARD.

Et vous, ne vous pressez pas.

Benoît rentre dans la maison.

 

 

Scène IX

 

JULES, ÉDOUARD

 

ÉDOUARD.

Tu l’as entendu !... Un prétendu !... un rival !...

JULES, absorbé.

Ainsi, non-seulement elle m’a oublié, mais elle trahit encore la foi qu’elle avait jurée au malheureux dont je ne me suis que trop vengé.

ÉDOUARD.

Comment ! c’est donc pour elle que tu t’es battu ? Je comprends maintenant ton duel sans témoins... tu voulais ménager la réputation d’une personne...

JULES, l’interrompant.

Qui me fut bien chère ! C’est aussi le motif de la réserve que j’ai gardée envers toi ; je t’en demande pardon, mon ami ; je l’aimais tant !... et je me croyais aimé ! Juge de ma surprise, de mon désespoir, lorsque au sortir d’une table d’hôte, excité sans doute par les fumées du champagne et les saillies inconvenantes que l’on s’était renvoyées de toutes parts sur la légèreté des femmes, un des convives tire de son sein et me fait admirer, avec une suffisance qu’il était facile d’interpréter, le portrait de Cécile. Furieux, je l’arrache de ses mains ; je l’interroge ; il refuse toute explication, me provoque... C’était me prévenir... Nous sortons sans être remarqués ; il était nuit ; nos épées se croisent, il tombe... Tu sais le reste...

ÉDOUARD.

Pauvre Jules !

Silence.

Mais, depuis que tu m’as tout expliqué, je ne te comprends plus ; après une pareille perfidie, quel plaisir peux-tu donc trouver à la revoir ?

JULES, contemplant une miniature.

Celui de la confondre en lui montrant son portrait.

ÉDOUARD, lui saisissant la main.

Fais voir !

Il regarde.

Oh ! qu’elle est jolie ! Tu as raison, elle est bien coupable, et tu dois te venger.

JULES.

Il ne me fallait qu’un instant, qu’un mot pour cela. Avais-je besoin d’être jeté au milieu de toute une famille, où il me sera impossible de jouer le personnage que toi... et cet imbécile m’avez imposé ?... Quand un sentiment inexplicable me porterait à l’accepter, Cécile partagerait-elle l’erreur des autres ?

ÉDOUARD.

Au fait, je n’y pensais pas. Il n’y a pas onze ans qu’elle t’a vu, il n’y a que onze mois ; et, chez ces dames, la mémoire des yeux est plus fidèle que celle du cœur. Quel surcroît d’embarras ! Que faire à présent ? quel parti prendre ?

Montrant la grille.

Reculer... le danger est là-bas ; avancer... il est ici. Restons en place... et de l’aplomb, si c’est possible. On vient !... Voyons venir.

 

 

Scène X

 

JULES, ÉDOUARD, VALIN, BENOÎT

 

VALIN, tenant à la main la lettre de Gustave ouverte.

Mon fils ! mon fils !

Il hésite en voyant deux étrangers.

BENOÎT, lui indiquant Jules.

Celui-ci, mon parrain.

VALIN, regardant Jules avec surprise.

Gustave ! Il se pourrait !...

ÉDOUARD, vivement.

Vous voyez, monsieur, nous arrivons presque en même temps que notre lettre.

VALIN, prenant la main de Jules.

Oh ! que tu avais raison, mon fils, de m’écrire que je ne te reconnaîtrais pas... Cher enfant, embrasse-moi !...

L’examinant de nouveau.

Je ne reviens pas de ma surprise.

ÉDOUARD, à part.

S’il le reconnaissait, ce serait bien plus surprenant.

Montrant Benoît.

Il n’y a qu’un imbécile...

BENOÎT.

Je l’ai reconnu, moi !

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Tu as reçu l’accolade ; tu es adopté.

VALIN, à part.

Avec quelle indifférence il m’accueille ! Et cependant ses lettres...

ÉDOUARD, avec intention.

Si vous saviez, monsieur, l’empressement que nous avons mis à abandonner Marseille ! Nous l’avons quitté comme on fuit l’esclavage ou la prison.

VALIN.

D’où vient alors tant de froideur ?

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Brûle donc !...

BENOÎT.

Dame ! mon parrain, onze ans de nourrice !...

VALIN, soupirant.

Il est vrai que c’était encore un enfant quand je l’ai fait partir, et c’est un homme que je revois. À son âge on réfléchit, on revient sur le passé, et si l’aspect du séjour paternel ne réveille que de tristes souvenirs...

JULES.

Croyez, monsieur, qu’auprès de vous...

Bas, à Édouard.

Je n’y tiens plus, je vais parler.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Attends, attends, je vais le consoler.

Haut.

C’est un moment d’absence, n’y faites pas attention.

VALIN, bas, à Édouard.

Que voulez-vous dire ?

ÉDOUARD, à mi-voix, à Valin.

Que si le temps a changé ses traits, la fièvre jaune a exercé une influence plus funeste encore sur son esprit.

VALIN, regardant Jules avec intérêt.

Comment ! Il se pourrait... sa raison !...

ÉDOUARD, de même, avec embarras.

Oh ! non... mais sa mémoire... Les chagrins de l’éloignement... les fatigues du voyage, et puis de nouvelles figures, pour ainsi dire, on a de la peine à se reconnaître... Mais, un peu de repos et de patience, le calme renaîtra ; vous retrouverez un fils, et chacun reprendra sa place.

 

 

Scène XI

 

BENOÎT, MARGUERITE, CÉCILE, VALIN, JULES, ÉDOUARD

 

MARGUERITE, conduite par Cécile.

Où est-il ? où est-il, ce cher enfant ?

ÉDOUARD, à part.

La jeune fille !... Nous ne pouvions pas l’échapper ; tout va se découvrir.

CÉCILE, reconnaissant Jules et reculant.

Que vois-je ?...

À part.

Jules !...

MARGUERITE, qui a senti le mouvement de surprise de Cécile.

Qu’as-tu donc ?... Tu t’arrêtes...

BENOÎT.

Là ! Ne voilà-t-il pas que mademoiselle ne reconnaît pas non plus son frère !

CÉCILE, à part, avec surprise, quittant le bras de Marguerite.

Mon frère !...

Édouard met un doigt sur sa bouche en regardant Cécile.

Quel est son projet ?

BENOÎT.

Il n’y a que madame Marguerite à qui ça ne fasse pas le même effet.

À part.

Il est vrai qu’elle a de bonnes raisons pour ça.

MARGUERITE.

Eh bien !... Est-ce qu’il ne vient pas nous embrasser ?

ÉDOUARD, bas, à Jules, et le poussant.

Tout est perdu, si tu n’entres pas dans l’esprit de ton rôle.

VALIN.

Va donc, mon ami.

JULES, à part.

Allons, puisqu’il faut être le fils de la maison !...

Il passe du côté de Cécile pour l’embrasser ; Édouard, qui, dans toute cette scène, est constamment sur le qui-vive, suit tous les mouvements de Jules, et arrive en même temps auprès de Cécile. Jules va pour embrasser Cécile ; celle-ci fait un pas en arrière.

ÉDOUARD, s’en apercevant, bas, à Jules.

Commence toujours par la vieille dame. Elle ne refusera pas.

Jules embrasse Marguerite ; Édouard continue, bas, à Cécile.

Qu’il soit votre frère pour un seul jour ; il y va de sa vie.

CÉCILE, avec effroi.

Grand Dieu !

ÉDOUARD, à part.

Elle tremble ! Cela me rassure.

VALIN, à mi-voix.

Pourquoi cette réserve, Cécile ?

MARGUERITE, retenant Jules auprès d’elle.

Ce cher Gustave ! Enfin tu nous es rendu ! J’espère bien que tu ne nous quitteras plus à présent.

VALIN, avec un peu d’impatience.

Ma tante, laissez-le donc embrasser sa sœur.

Jules embrasse Cécile, qui ne fait plus de difficultés.

ÉDOUARD, soulagé, en voyant Jules embrasser Cécile.

Ah ! je respire !...

 

 

Scène XII

 

BENOÎT, MARGUERITE, CÉCILE, VALIN, JULES, ÉDOUARD, PARLY

 

PARLY.

Charmant tableau de famille ! Permettez-moi d’y prendre une petite place en anticipant sur les événements.

VALIN.

Je te présente, mon fils, M. Parly, commandant de gendarmerie.

ÉDOUARD, bas, à Jules, stupéfait.

De gendarmerie !... Je ne m’attendais pas à celui-là. Où diable nous sommes-nous fourrés ?...

PARLY, à Jules.

Je suis, monsieur, un ancien ami de la maison...

ÉDOUARD, à part.

Payons d’audace...

À Jules.

À ton tour, mon ami, présente-moi donc à ton aimable famille...

JULES, bas, à Édouard, avec humeur.

C’est bien le moment de plaisanter...

ÉDOUARD, haut, avec assurance.

Sans doute, c’est le moment de me présenter.

JULES, à part.

Que le diable l’emporte !...

Haut, à Valin.

Vous voyez devant vous M. Édouard de Montléon, mon meilleur ami... qui n’a pas moins de titres que moi à votre bienveillant accueil...

VALIN, à Édouard.

Soyez le bienvenu, monsieur... Mais après un si long voyage, vous devez avoir besoin de vous reposer.

PARLY, avec rondeur.

Ou plutôt de vous rafraîchir... n’est-ce pas ? Quant à moi, c’est toujours ce qui m’a paru le plus urgent.

ÉDOUARD, en riant.

Je vois, commandant, que vous jugez votre monde à première vue.

Bas, à Jules.

Nous en ferons une dupe.

PARLY.

Ma foi, messieurs, c’est mon métier.

VALIN.

Nous étions justement à déjeuner...

PARLY.

Nous sommes gens à nous remettre en route avec vous et à vous accompagner jusqu’au bout.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Toujours son métier.

VALIN.

Eh bien ! messieurs, à table, et célébrons cet heureux retour.

ÉDOUARD et PARLY.

À table ! à table !

PARLY.

C’est là qu’on fait bien connaissance.

ÉDOUARD.

C’est là qu’on est sensible.

Bas, à Cécile, en lui offrant la main.

Ne nous trahissez pas ; bientôt vous saurez tout.

Il entre dans la maison avec elle.

MARGUERITE, prenant le bras que lui offre Valin.

As-tu remarqué, mon neveu, comme le caractère de Gustave est changé ?... Lui, si ouvert autrefois...

VALIN, avec impatience et tristesse.

Oui, oui ; je m’en suis aperçu.

Valin rentre avec Marguerite. Jules et Parly les suivent. Parly fait passer Jules devant lui. On sonne à la grille. Benoît ouvre. Le brigadier paraît et remet un papier à Parly qui s’est arrêté.

PARLY, décachetant.

Ah ! ah ! de nouvelles instructions !... Voilà qui devient grave.

Il continue à lire, le rideau baisse.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une salle de travail au rez-de-chaussée ; les fenêtres et la porte du fond, qui sont ouvertes, laissent voir la cour et la grille du premier acte. Au deuxième plan, à la droite du spectateur, portrait de Valin à vingt-cinq ans.

 

 

Scène première

 

MARGUERITE, ÉDOUARD, CÉCILE

 

Marguerite est assise à gauche du spectateur. Cécile, à droite, devant un chevalet, travaille au portrait de sa tante. Édouard est debout, auprès de Cécile, regardant son ouvrage.

ÉDOUARD.

Le beau portrait !... Madame votre tante est d’une ressemblance...

MARGUERITE.

Quel dommage que je ne puisse pas me voir !...

CÉCILE, bas, à Édouard.

Son adversaire a donc été bien dangereusement blessé ?

ÉDOUARD, bas, à Cécile.

Peut-être d’un coup mortel.

CÉCILE, de même.

Grand Dieu !

ÉDOUARD, regardant Marguerite qui a l’air d’écouter.

Seulement, mademoiselle, je crois que vous ferez bien d’adoucir cette ombre...

Bas, à Cécile.

Obligés de fuir, nous ignorons...

CÉCILE, à part.

Quel affreux malheur !

MARGUERITE.

Vous peignez aussi, monsieur Édouard ?

ÉDOUARD.

Un peu de tout : c’est ma devise.

MARGUERITE.

Je conçois alors votre refus de tout à l’heure d’aller visiter notre manufacture. Vous avez mieux aimé inspecter les travaux de ma petite Cécile.

ÉDOUARD.

Mon choix ne pouvait pas être douteux.

À part.

Il était si important de l’intéresser à notre situation.

MARGUERITE.

Je suis sûre que Gustave aurait bien voulu faire comme vous ; mais il ne pouvait pas se dispenser de visiter avec son père un établissement qu’il dirigera bientôt lui-même.

ÉDOUARD, bas, à Cécile.

Quand je rencontrai Jules, il avait presque perdu la tête...

CÉCILE, bas, à Édouard.

Combien il a dû souffrir !...

MARGUERITE.

Ça lui va d’autant mieux, que pendant son séjour à Smyrne il paraît s’être livré tout entier au commerce... N’est-ce pas ?

ÉDOUARD, à part.

Allons, il faut encore lui répondre. Ces pauvres aveugles se dédommagent toujours par les oreilles.

Haut.

Au commerce ?... Certainement... en grand encore.

À part.

Qu’est-ce qu’on vend donc chez Mahmoud ?... Ah !...

Haut.

Il s’est d’abord jeté sur les tapis de Perse... Insensiblement, il a tout embrassé... Cochenille, indigo, bois de teinture.

À part.

J’espère que, dans tout cela, il y aura quelque chose de vrai.

CÉCILE, à part.

Il a une facilité vraiment effrayante.

Bas à Édouard.

Sortir de la retraite que vous lui aviez procurée, quelle imprudence !...

ÉDOUARD, de même, à Cécile.

Dites plutôt que d’amour !... Il voulait vous voir ; vous convaincre...

À part.

Ne lui disons pas que c’est pour la confondre.

MARGUERITE.

Et vous, monsieur Édouard, n’étiez-vous pas son associé ?

ÉDOUARD, à part.

Encore !

Haut.

Son associé ?... Moi, je n’ai jamais été que l’ami de Jules.

MARGUERITE.

De Jules !... De Gustave, vous voulez dire ?

ÉDOUARD, à part.

Oh ! quelle faute !...

Haut.

Ah ! oui, oui, de Gustave.

CÉCILE, bas, à Édouard.

Comment !... C’est pour moi qu’il s’est exposé !...

ÉDOUARD, vivement, de même.

Sans doute... et ce n’est que par miracle que je suis parvenu à lui faire éviter tous les dangers de la route...

CÉCILE, avec abandon.

Ah ! monsieur, que de reconnaissance...

Se modérant.

votre ami ne vous doit-il pas !...

ÉDOUARD, étonné, à part.

Quel intérêt !... Comment concilier ?... Ma foi, perfide ou non, elle est attendrie !... C’est tout ce qu’il faut pour le moment... Jules verra plus tard.

MARGUERITE.

Ma petite Cécile, je suis fatiguée. Et puis, ton père doit être de retour... Voici l’heure où il me lit mon journal... J’y tiens, comme à mon café tous les matins.

Appelant.

Benoît !...

Cécile fait un mouvement pour aller offrir son bras à Marguerite.

ÉDOUARD, bas, à Cécile.

Ne vous dérangez pas... Jules va venir.

Haut à Marguerite.

Est-ce pour vous conduire que vous l’appelez ?

MARGUERITE.

Il le faut bien...

ÉDOUARD.

Inutile... Ne suis-je pas là ?

MARGUERITE.

Vous seriez assez bon !...

ÉDOUARD, bas à Cécile.

Je vais la promener encore... Depuis une demi-heure, je ne fais que cela...

CÉCILE, blessée.

Quelle inconvenante plaisanterie !

MARGUERITE.

Il est vraiment aimable, ce jeune homme.

ÉDOUARD, allant à Marguerite et faisant des signes d’intelligence à Cécile.

Prenez mon bras, madame.

MARGUERITE.

Allons, je vois, à vos attentions, que Gustave vous a parlé de moi.

Édouard et Marguerite sortent.

 

 

Scène II

 

CÉCILE, seule un instant, puis ÉDOUARD

 

CÉCILE.

Eh quoi ! j’aurais pu autoriser, par ma conduite, que l’on tournât en ridicule ma tante, ma seconde mère ? Et moi-même !... qui me dit que je ne suis pas le jouet d’une intrigue ?... Si tout ce que je viens d’apprendre n’était imaginé que pour me forcer, par mon silence, à prolonger l’erreur de mon père...

ÉDOUARD, rentrant en éclatant de rire.

Ah ! ah ! Il n’y a vraiment pas de mérite... Mais les moments sont précieux. Permettez-moi donc, mademoiselle, de vous adresser à mon tour quelques questions, à l’insu de mon ami, dans votre intérêt commun. Il s’agit de votre prochain mariage...

CÉCILE, froidement.

Excusez-moi, monsieur, si je ne puis, en ce moment, satisfaire votre curiosité.

Elle salue et va pour sortir.

JULES, entrant, à Cécile.

Mademoiselle...

Cécile s’arrête un instant.

ÉDOUARD, apercevant Jules.

Jules !... J’y suis ! c’est à lui qu’elle veut répondre... C’est trop juste !...

Pendant ces mots d’Édouard, Cécile a fait une froide révérence à Jules et s’est retirée. Édouard se retournant.

Eh bien, elle est partie !!!

 

 

Scène III

 

ÉDOUARD, JULES

 

Ils se regardent un instant tous les deux.

JULES.

Elle évite ma présence... Je n’en suis pas surpris.

ÉDOUARD.

Et moi, j’en suis stupéfait !... Tout à l’heure, quand je lui parlais de toi, elle s’est émue, attendrie... Elle a été jusqu’à me témoigner de la reconnaissance à cause de mon amitié pour toi... Puis, en revenant d’offrir à sa tante le bras d’Antigone, je la retrouve indifférente et glacée...

JULES.

Eh ! que m’importent à présent ses caprices !... Je n’ai plus qu’un désir, c’est de sortir au plus tôt de cette pénible situation. Si tu savais tout ce qu’il m’a fallu d’adresse et d’efforts pour éviter les confidences de M. Valin !... Tu n’as pas été, comme moi, témoin du chagrin que lui causait mon air d’indifférence... Je n’y puis plus tenir... je veux m’éloigner à l’instant...

ÉDOUARD.

Allons, allons, calme-toi... La journée est trop avancée pour que nous songions à partir ce soir. Je ne te demande que quelques heures de patience. D’ici là tu auras terminé tes affaires de cœur, et demain matin, au lever du soleil, nous reprendrons la clef des champs... Attention ! voici ton père, fils dénaturé !

 

 

Scène IV

 

ÉDOUARD, JULES, VALIN, CÉCILE, PARLY

 

VALIN, à Cécile.

Non, certainement, je ne souffrirai pas que tu te retires dans ta chambre. Tu as la migraine... eh bien, je te prescris, pour régime, la présence de ton frère.

PARLY.

Puis-je espérer que la mienne sera comprise dans l’ordonnance ?

VALIN, à Jules.

Croirais-tu que nous l’avons trouvée dans l’allée la plus sombre du jardin, se promenant rêveuse et solitaire... le jour de ton arrivée !...

À Cécile.

Tu rougirais bien de ta conduite si tu savais que, dans le même moment, pour accourir auprès de toi, ton frère me laissait là avec une vivacité, une brusquerie...

JULES.

Vous penseriez ?...

VALIN.

Oh ! je t’ai deviné.

Avec une peine concentrée.

Mais je ne m’en plains pas... ton affection du moins ne sort pas de la famille.

PARLY, à Cécile.

Vous aimez donc beaucoup la solitude, mademoiselle ?

CÉCILE, à Parly.

Quelquefois, monsieur.

JULES, blessé, bas, à Édouard.

Tu l’entends ; c’est pour moi.

CÉCILE, continuant.

Pas toujours.

JULES, à Édouard, avec jalousie.

Pas toujours !... c’est pour le commandant.

PARLY.

Tant mieux je serai trop fier de ma femme pour souffrir qu’elle se cache aux yeux du monde.

VALIN.

Vous ferez bien, mon ami, et Cécile fera mieux encore de se laisser diriger par vos conseils.

PARLY, bas à Cécile.

Soyez tranquille... toutes vos volontés seront les miennes.

Cécile baisse les yeux ; Parly continue à causer bas avec elle.

JULES, bas, à Édouard, les yeux fixés sur elle.

Vois-tu comme elle rougit ! quel air de satisfaction !...

VALIN.

Tout favorise votre union, mon cher Parly ; car mon fils

Se tournant vers Jules comme pour l’interroger.

semble arriver exprès pour joindre son consentement au mien.

JULES, se contenant à peine.

Comment donc, enchanté !...

Bas, à Édouard.

Cette contrainte est au-dessus de mes forces.

ÉDOUARD, de même, à Jules.

Malheureux ! que vas-tu faire !

JULES, de même, à Édouard.

Laisse-moi.

À Parly.

Commandant, votre bonheur est assuré... il est facile d’en juger par l’impression que vos paroles font sur le cœur... de mademoiselle... et il n’y a que son frère qui puisse n’en pas être jaloux... Quant à moi...

ÉDOUARD, passant entre Jules et Valin ; bas, à Jules.

Si tu continues, je te fais passer pour fou.

VALIN, à part, étonné.

Quel ton singulier !

 

 

Scène V

 

ÉDOUARD, JULES, VALIN, CÉCILE, PARLY, MARGUERITE, BENOÎT

 

Benoît conduit Marguerite à son fauteuil et se retire aussitôt.

MARGUERITE, à Valin, lui tendant des papiers.

Mon ami, voici tes lettres et ton journal.

VALIN, les prenant.

Ma tante, je suis à tes ordres.

MARGUERITE, continuant, pendant que Valin jette les-yeux sur la première page du journal.

Le voisin, en me le remettant, m’a dit qu’il était très intéressant aujourd’hui.

VALIN, toujours les yeux sur le journal.

Ah ! ah ! parbleu, j’en suis bien aise !... Je m’intéressais vivement à cette affaire.

PARLY.

De quoi s’agit-il ?

VALIN.

Vous savez bien... ce duel sans témoins, à Marseille, dont il a été question il y a six semaines environ ?...

PARLY.

Eh bien ?

VALIN.

Eh bien, c’est arrangé ; les poursuites ont cessé.

Mouvement de Jules, d’Édouard et de Cécile.

Vous devez en savoir quelque chose, commandant ?

PARLY, tirant un papier de sa poche.

Oui, je viens même de recevoir de nouvelles instructions qui m’engagent à redoubler de surveillance, attendu que l’affaire est beaucoup plus grave qu’on ne l’avait pensé d’abord.

Mouvement contraire de Jules, d’Édouard et de Cécile.

VALIN, étonné.

En vérité !

PARLY.

On a découvert que le jeune homme avait un complice, avec lequel il s’est enfui nuitamment de Marseille... ce qui constitue le guet-apens.

JULES, avec indignation.

Quelle horreur !

PARLY.

Crime prévu par nos lois.

CÉCILE, à part, accablée par ce qu’elle vient d’entendre.

Il est donc vrai !... Et j’ai pu douter...

PARLY, continuant avec indifférence et remettant les instructions dans sa poche.

Ainsi, au lieu d’un, en voilà deux à arrêter.

ÉDOUARD, bas, à Jules, lui prenant la main.

Tu l’entends !... moi aussi...

JULES, de même.

Sois tranquille ; tu es compromis, je me tairai.

VALIN.

Eh bien ! j’en suis fâché ; j’aimais mieux mon journal que vos instructions.

ÉDOUARD, qui pendant la phrase de Valin est passé auprès de Cécile, bas, à la jeune fille.

Vous avais-je trompée ?...

Haut, à Parly, d’un air de simple curiosité.

Et avez-vous quelque donnée sur la direction qu’ont prise les prévenus ?

PARLY.

Pas précisément ; mais ils ne m’échapperont pas, j’ai la main assez heureuse.

JULES, indigné.

Mais vous traitez cela, monsieur, comme une partie de chasse !

VALIN.

C’est ce que j’allais dire.

JULES, de même.

Si j’ai bien entendu, il s’agit de duel ?

PARLY, appuyant.

Sans témoins.

JULES.

Sans témoins, soit ! Qu’est-ce que cela prouve ? Que l’honneur même prescrivait le mystère aux deux adversaires !

CÉCILE, à part.

Il va se trahir !

MARGUERITE, à part.

Il est toujours mauvaise tête... Je parie qu’il s’est déjà battu.

PARLY.

C’est possible... Mais le complice ?

JULES.

Le complice ?... Qui vous dit qu’il y en eût un ?

PARLY.

Qui ?... Eh ! parbleu, mes instructions.

JULES, avec ironie.

Ah ! c’est juste, j’oubliais... Les instructions de ces messieurs, c’est toujours infaillible.

PARLY.

Vous plaidez cette cause, jeune homme, avec une chaleur... comme si elle vous intéressait personnellement.

À part.

Est-ce que le frère de ma future ?... Allons donc !

ÉDOUARD, à part.

Imprudent !

Haut.

Vous connaissez les jeunes gens, commandant, ils sont tous comme cela... Dès qu’il s’agit de duel...

PARLY, achevant gaiement.

Ils se mettent à la place des deux champions, n’est-ce pas ?... Mais pour traiter un sujet plus agréable et qui nous touche de plus près,

S’adressant à Jules.

j’espère, monsieur, que vous voudrez bien achever de me concilier, par votre approbation, les sentiments de mademoiselle.

JULES.

Excusez-moi, commandant ; mais je ne me crois pas l’ascendant que vous me supposez sur le cœur de...

Il hésite.

de Cécile. Après un aussi long éloignement, je suis devenu presque un étranger pour elle.

VALIN.

Allons donc, tu fais injure à ta sœur : elle ne t’aime pas moins qu’autrefois.

CÉCILE, s’oubliant un instant.

Mon père a raison.

Se modérant.

Mes sentiments sont toujours les mêmes ; et je ne croirai jamais pouvoir suivre de meilleurs conseils, dans cette circonstance surtout, que ceux qui me seront donnés par...

Elle hésite.

par Gustave.

ÉDOUARD, à part.

Va pour Gustave.

JULES, s’efforçant de se modérer.

Eh bien, commandant, puisqu’il m’est permis de m’expliquer...

MARGUERITE, à part.

Que va-t-il dire ?

JULES.

J’avouerai franchement que l’état militaire me paraît offrir peu de garanties pour le bonheur conjugal.

Surprise de Valin et de Parly.

VALIN.

Gustave !...

MARGUERITE, à part.

Cécile lui a déjà parlé.

VALIN, continuant.

Tu oublies qu’il s’agit d’un ami de ton père.

ÉDOUARD, avec intention.

Qu’est-ce que tu dis donc ?... L’état militaire, mais c’est pour un ménage une source de félicités ! La science du commandement suppose nécessairement, chez le mari, la vertu de l’obéissance...

PARLY, à Édouard.

Je suis sensible, monsieur, à la manière tout à fait aimable dont vous venez de vous exprimer.

Se tournant vers Jules.

Je n’apprécie pas moins la franchise de monsieur, malgré le chagrin et l’étonnement que ses paroles me font éprouver...

À part.

Voilà mes soupçons qui renaissent...

ÉDOUARD, à part.

Il est piqué.

PARLY, continuant.

Mais je dois laisser le reste de cette journée aux affections de famille... Je finirais par être importun.

VALIN.

Y pensez-vous, mon ami ; au point où nous en sommes !...

PARLY, saluant.

J’aurai l’honneur de vous revoir.

ÉDOUARD, l’arrêtant.

Un moment, commandant ; j’ai encore moins de titres que vous pour être indiscret, et je vais imiter votre exemple. Mais la solitude m’effraie, et si vous consentiez à choisir, pour le lieu de notre exil, la salle de billard, je serais fier de me mesurer avec vous.

À part.

Tâchons de gagner sa confiance en perdant la partie.

PARLY.

Volontiers, monsieur, si cela peut vous être agréable.

À part.

Je pourrai peut-être éclaircir mes doutes.

Haut.

Je suis à vos ordres.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Pendant que je vais réparer tes sottises, n’en commets pas de nouvelles.

Parly et Édouard sortent.

 

 

Scène VI

 

MARGUERITE, JULES, VALIN, CÉCILE

 

VALIN, sévèrement, à Jules.

Mon fils, si je n’ai pas insisté davantage pour retenir M. Parly, c’est que j’étais impatient de vous témoigner mon mécontentement et ma surprise. Tout à l’heure, en me promenant avec vous, je vous ai parlé de ce mariage, et l’indifférence avec laquelle j’ai cru que vous m’écoutiez ne m’avait pas préparé à une opposition aussi tranchante de votre part. Il me semble que mon expérience et mon affection doivent vous rassurer, et qu’il n’appartient pas à un fils...

MARGUERITE, l’interrompant avec intention.

Tu ne me liras donc pas le journal aujourd’hui, mon neveu ? Ce serait la première fois...

VALIN, revenant à lui, et comprenant l’interruption de Marguerite.

Ah ! oui, pardon... ma tante... j’oubliais...

À part.

Je lui sais gré de m’avoir interrompu...

Prenant affectueusement la main de Jules.

Nous reprendrons plus tard notre conversation. Je te laisse avec Cécile, mon ami ; vous étiez si jeunes l’un et l’autre, elle surtout, lorsque vous avez été séparés, que c’est, pour ainsi dire, d’aujourd’hui seulement que vous êtes frère et sœur. Nous finirons par nous entendre aussi tous les deux ; mais, auparavant, je suis bien aise que les témoignages d’affection de Cécile disposent ton cœur à mieux comprendre le mien.

MARGUERITE, se levant et cherchant la main de Jules.

Et moi, en qui tu avais tant de confiance, n’aurai-je pas aussi mon tour ?

Bas.

Nous parlerons de ta bonne mère...

VALIN, offrant sa main à Marguerite.

Je suis à vous, ma tante.

MARGUERITE, bas, à Valin, en prenant son bras.

Sans moi, tu allais oublier que Gustave n’est plus un enfant... Ton jugement est sans doute fort bon... mais son avis peut aussi n’être pas mauvais, et s’il obtenait la majorité...

VALIN, étonné.

Comment ?...

MARGUERITE, l’entraînant.

Allons lire la séance de la chambre, et tu verras que toutes les opinions peuvent se soutenir.

Ils sortent.

 

 

Scène VII

 

JULES, CÉCILE

 

CÉCILE, regardant Valin et Marguerite qui s’éloignent.

Enfin, ils sont partis !...

S’approchant de Jules.

Jules, votre ami m’a tout dit... et le silence que j’ai gardé devant mon père vous prouve combien votre danger m’épouvante. La fuite est le seul moyen de salut qui vous reste. De grâce, éloignez-vous, et faites cesser une méprise dont il m’est si cruel d’être complice.

JULES, avec amertume.

Que je m’éloigne !... je conçois votre impatience, mademoiselle, et je vais la satisfaire ; mais, auparavant, je désire vous consulter. On vantait tout à l’heure, devant moi, votre talent... veuillez jeter les yeux sur ce portrait, et me dire si l’air de candeur et de bonté qu’il respire vous semble bien reproduire les sentiments du modèle.

Il lui tend le portrait qu’il a déjà montré à Édouard.

CÉCILE, avec la plus grande surprise.

Mon portrait !...

JULES.

Oui, votre portrait.

CÉCILE, de même.

Comment se trouve-t-il entre vos mains ?

JULES.

Dites-moi plutôt comment il se trouvait entre les mains d’un autre ?

CÉCILE.

Je ne l’ai donné qu’à mon frère.

JULES, stupéfait.

Votre frère !... votre frère !... Ah !...

CÉCILE, effrayée.

Mais vous ne m’avez pas répondu... Comment se trouve-t-il entre vos mains ?

JULES, avec effroi.

Ne m’interrogez pas.

CÉCILE.

Grand Dieu ! quel soupçon !... Ce duel... cette fuite précipitée... quel horrible mystère !

JULES.

Cécile, revenez à vous.

CÉCILE.

Pourtant cette lettre de ce matin...

Avec désespoir.

Non, ce n’était que pour prévenir nos alarmes ; et peut-être que dans ce moment même...

JULES.

Vous vous trompez !

CÉCILE.

Laissez-moi !

JULES.

Rien n’est encore désespéré. Vous le reverrez.

CÉCILE.

Vous en convenez donc ?

JULES.

Qu’ai-je fait ?... affreuse jalousie ! Cécile, de grâce...

CÉCILE.

Mon frère !... Et vous venez prendre sa place !...

Elle sort.

JULES, suivant Cécile jusqu’à la coulisse.

Cécile !... Cécile !...

Apercevant Valin qui entre par le fond.

Grand Dieu ! son père !... Comment supporter sa présence !...

 

 

Scène VIII

 

JULES, VALIN

 

VALIN.

Eh bien, Gustave, qu’as-tu donc ? Cécile ne t’aurait-elle pas témoigné toute l’amitié d’une sœur pour son frère ?

JULES.

Pour son frère !... Oh ! si ; elle l’aime toujours.

VALIN.

C’est bien, très bien, mon ami.

Soupirant.

Ainsi donc, si ton cœur éprouve encore quelque contrainte dans la maison paternelle, ce n’est pas ta sœur qui en est cause ; c’est moi, moi seul, mon fils.

JULES.

Vous !... Ah ! croyez bien plutôt, monsieur...

VALIN, l’interrompant avec douleur.

Monsieur... Toujours monsieur... J’ai des torts envers toi, mon fils.

Mouvement de Jules.

Je m’aperçois que tu ne les as pas plus oubliés que moi-même...

JULES, à part.

Et je ne puis le désabuser...

VALIN.

Tu parais souffrir... Tu crois peut-être que cet aveu m’est pénible... Au contraire, il me soulage... Quel sort trop de sévérité a préparé à ma vieillesse ! Aujourd’hui, je te revois ! Mais ta sœur va se séparer de moi, et sans ton amitié...

Jules ému se détourne.

Tu détournes les yeux... N’aurais-je plus de fils ?

JULES, hors de lui.

De grâce... Ne m’accablez pas !

Allant se jeter à ses pieds.

Pardon ! moi seul je suis coupable.

VALIN, le relevant avec transport.

Viens dans mes bras !...

BENOÎT, accourant.

Monsieur !... monsieur !... Mademoiselle qui se trouve mal... Et madame votre tante qui va bientôt faire comme elle.

VALIN.

Ma fille !... Courons !...

À Jules.

Faut-il qu’un premier instant de bonheur soit troublé par de nouvelles inquiétudes !

Il sort.

 

 

Scène IX

 

JULES, BENOÎT

 

JULES.

Cécile !... Cécile !... Malheureux que je suis !

BENOÎT.

Comme il est agité !

JULES.

Benoît, tu l’as vue... Elle souffre ?... Oh ! oui, elle doit souffrir.

BENOÎT.

Ma foi, je ne l’ai jamais vue dans cet état-là... Elle a commencé d’abord par une attaque de nerfs, ensuite des mots entrecoupés, des hélas ! Enfin elle a parlé de son frère... Elle a dit qu’il était mort... Elle l’appelle Jules... La tête n’y est plus... Venez, venez, monsieur, votre présence la calmera...

JULES.

Tu as raison... Je veux la voir... conduis-moi.

Il s’arrête tout à coup.

Que vais-je faire ? insensé !... J’oublie que ma présence au contraire... Benoît, retourne seul auprès d’elle, écoute, observe ; et reviens me dire ce que je dois craindre ou espérer... Je t’attends.

BENOÎT.

Mais, monsieur, puisqu’elle vous appelle, elle serait heureuse de vous voir.

JULES.

Oh ! je craindrais...

BENOÎT.

Au fait, c’est possible... La joie, c’est traître quelquefois... Moi, quand je ris, ça me fait mal. Ne vous impatientez pas, monsieur, je reviens dans l’instant.

 

 

Scène X

 

JULES, seul

 

Celui que j’ai frappé était son frère... Son frère !... Et je reviens prendre sa place !... Et c’est moi qu’un vieillard abusé accable de sa tendresse.

Se retournant, et apercevant le portrait suspendu à droite.

Que vois-je ! Son portrait !... Oui, c’est bien lui... Je ne me trompe pas... Son image est gravée là... Et désormais elle me poursuivra toujours.

 

 

Scène XI

 

JULES, ÉDOUARD

 

ÉDOUARD.

Victoire !... Il voulait me faire parler... Je lui ai répondu par un coup de sept... Je l’ai mis dedans... Un commandant de gendarmerie ! C’est le monde renversé. Pourvu qu’il n’aille pas prendre sa revanche. Croirais-tu que je l’ai amené à solliciter ma protection auprès de toi ! Ah ! ah ! ah ! nous lui faisons une peur !... Il n’a pas affaire à des ingrats... Nous éprouvons bien pour lui le même sentiment. Mais qu’as-tu donc ?

JULES, les yeux fixés sur le portrait.

Regarde...

ÉDOUARD.

Eh bien ! c’est un portrait de famille... une croûte.

JULES.

C’est le frère !

ÉDOUARD.

Ah ! et tu crains que la ressemblance... C’est juste ! il pourrait te dénoncer, surtout s’il est parlant.

JULES.

Tu ne me comprends pas : c’est le portrait de celui que j’ai ravi à leur tendresse.

ÉDOUARD.

Que dis-tu ? Comment ! ton adversaire...

JULES.

C’est le frère de Cécile !

ÉDOUARD, lui prenant la main.

Son frère !... Ah ! mon ami, que je te plains !

JULES, dans la dernière agitation.

Partons !... Partir ?... En emportant la malédiction de toute une famille ?... En abandonnant à son désespoir celle dont j’avais juré de faire le bonheur ?... Non... je resterai... Je veux subir ma peine... Ils ont raison de me poursuivre... Je suis un meurtrier.

ÉDOUARD.

Silence ! Jules, reviens à toi !

JULES.

Mes forces m’abandonnent ; ma tête s’égare !

ÉDOUARD.

Viens prendre un peu de repos ; et compte sur le dévouement de ton ami.

Ils sortent.

 

 

Scène XII

 

GUSTAVE, BENOÎT

 

On voit paraître à la grille un jeune homme qui sonne avec force.

GUSTAVE, sonnant.

Eh bien ! est-ce qu’on est déjà couché ici.

BENOÎT, accourant.

M. Gustave, mademoiselle votre sœur... Eh bien, où est-il donc ?

GUSTAVE.

Par ici... Me voilà !

Benoît, étonné, s’arrête ; la toile tombe.

 

 

ACTE III

 

Même décor qu’au deuxième acte.

 

 

Scène première

 

CÉCILE, puis VALIN

 

CÉCILE, devant une table, une plume à la main, elle est pâle et souffrante.

Il faut donc y renoncer !

VALIN, à lui-même, entrant, et regardant Cécile qui écrit.

Elle paraît plus calme : approchons.

CÉCILE, à part.

Mon père !

Elle quitte la plume, et se lève.

VALIN.

Eh bien, mon enfant, comment te trouves-tu ce matin ?

CÉCILE.

Mieux, mon père.

VALIN.

Ton indisposition m’avait inquiété... À présent, j’en connais la cause.

CÉCILE, effrayée.

Comment ! vous sauriez ?...

VALIN.

Oui, ta tante m’a tout dit ; et je lui en sais gré... Mais j’aurais préféré l’apprendre de la bouche de ma chère Cécile.

Il lui prend la main affectueusement.

Pouvais-tu craindre que ton bonheur ne fût pas le premier de mes vœux ?...

CÉCILE, à part.

Il ne sait pas encore...

VALIN, continuant.

Si ton cœur n’est plus libre, si tu n’es pas maitresse de tes sentiments, je renonce au droit de disposer de ta main.

CÉCILE, s’oubliant un moment.

Quoi ! vous consentiriez ?...

VALIN.

Je suis sûr que celui que tu as choisi mérite ton amour et ma confiance... Parle donc, mon enfant ; tu n’as plus qu’à me le faire connaitre.

CÉCILE, vivement.

Oh ! non jamais... C’est impossible !

VALIN.

Impossible !... Et pourquoi ? A-t-il cessé d’être digne de nous ? Aurais-tu appris...

CÉCILE, de même.

Je vous en supplie, ne m’interrogez pas davantage.

Dans le dernier abattement.

Dans ce moment, je ne pourrais vous répondre... Qu’il vous suffise de savoir que j’accepte la main de M. Parly, et que c’est de lui seul à présent que j’attends ma tranquillité.

VALIN.

Ton émotion m’effraye, et ce que j’entends ne s’accorde pas avec ce que m’avait dit ta tante... Calme-toi, ma Cécile, ton état de souffrance ne te permet pas de prendre une détermination.

CÉCILE.

Je viens de vous la faire connaître, et je suis décidée.

VALIN.

N’importe ! je ne regarde pas encore ta résolution comme irrévocable... Cependant, si tu persistes, j’espère que l’avenir te dédommagera. Si tu avais vu le chagrin de ce pauvre Parly, quand il est venu tout à l’heure me proposer de me rendre ma parole... Mais je ne veux pas t’influencer... Adieu, mon enfant, confie toujours tes secrets à ton père.

Il l’embrasse et sort.

CÉCILE, seule.

Que je souffre !... Jules ! Était-ce là le bonheur que vous me promettiez !

 

 

Scène II

 

CÉCILE, BENOÎT

 

BENOÎT, entrant, sur la pointe des pieds.

Elle est seule... Tant mieux...

Il s’approche avec précaution et se heurte contre une chaise.

CÉCILE, se retournant au bruit qu’il fait.

Ah ! c’est toi, Benoît ! Que me veux-tu ?

BENOÎT.

Je venais savoir de vos nouvelles.

CÉCILE.

Je te remercie ; cela va mieux.

BENOÎT.

Que je suis content !... Alors il ne vous faut plus que quelques distractions agréables... Dites donc, mademoiselle, j’ai quelque chose à vous raconter... Avez-vous entendu du bruit, hier soir ?

CÉCILE, l’écoutant à peine.

Non.

BENOÎT.

On a cependant fait un fameux carillon... Au fait, je ne m’étonne pas que vous n’ayez rien entendu... Vous étiez si malade !... Mais c’est M. Valin... Il n’a rien entendu non plus, car il ne m’en a pas parlé, et je ne lui en ai pas ouvert la bouche. Il m’aurait encore dit que j’étais une commère... Et cependant l’aventure est joliment drôle... Imaginez-vous que je revenais rendre compte à votre frère de l’état dans lequel vous vous trouviez... Je l’avais laissé aussi malade que vous ; il vous aime tant !... J’accours... plus personne. Je l’appelle M. Gustave !... Ne voilà-t-il pas une grosse voix qui me répond en dehors de la grille Par ici, me voilà... c’est moi. – Qui, vous ? – Gustave Valin, le fils de la maison... 

CÉCILE.

Gustave Valin !... Que dis-tu ?... Gustave ! mon frère ! Est-il possible ?

BENOÎT, à part.

Allons ! la voilà qui bat encore la campagne.

CÉCILE.

Insensée !... j’oublie...

BENOÎT.

Comme j’étais bien sûr que ça ne pouvait pas être votre frère, attendu que vous n’en avez jamais eu qu’un, j’ai deviné tout de suite que c’était peut-être l’homme que poursuivent les gendarmes. Alors je lui dis : Vous venez de Marseille. – Justement, qu’il me répond.

CÉCILE, dans la plus grande agitation.

De Marseille !

BENOÎT, continuant.

Vous vous êtes battu, en duel, sans témoins ?... Il convient de tout. Et quand j’ajoute qu’il a tué son adversaire, il m’appelle imbécile et me dit qu’il m’assommera si je ne lui ouvre pas.

CÉCILE, de même.

Eh bien ! qu’as-tu fait ?

BENOÎT.

Je ne lui ai pas ouvert.

CÉCILE.

Mais enfin, qu’est-il devenu ?

BENOÎT.

Ma foi, je lui ai indiqué l’auberge du Cheval blanc, sur la place ; ça l’a décidé tout de suite. Il paraît que l’appétit était plus pressé chez lui que le sentiment. D’ailleurs, lorsqu’on a une affaire comme la sienne sur les bras, tant qu’on n’est pas où on devrait être, on est bien partout où on est.

CÉCILE.

Conduis-moi... je veux le voir... Ah ! si c’était lui ! Mon cœur ose à peine croire à tant de bonheur !

 

 

Scène III

 

CÉCILE, BENOÎT, GUSTAVE

 

GUSTAVE.

Cette fois, la grille était ouverte.

Apercevant Benoît.

Ah ! c’est toi, imbécile !

BENOÎT.

Ah ! mon Dieu ! le voilà encore !

GUSTAVE.

C’est ainsi que tu laisses l’amour filial à la porte ?

CÉCILE, à Benoît.

Quel est ce monsieur ?

BENOÎT.

Eh parbleu ! votre frère d’hier soir.

CÉCILE.

Quoi ! c’est lui !... Gustave !...

GUSTAVE.

Mademoiselle... Quelle ressemblance !... Oui, je ne me trompe pas... Le portrait était fidèle... Ma sœur !...

Ils s’embrassent.

CÉCILE.

Ah ! que je suis heureuse !...

BENOÎT, stupéfait.

Comment !... Il l’embrasse !...

Appelant.

Gendarmes !... Pauvre jeune fille !... Ah ! c’est trop fort !

Se mettant entre eux deux.

Monsieur, je ne souffrirai pas... Abuser ainsi de l’hospitalité... qu’on vous refuse. C’est scandaleux !

GUSTAVE, regardant froidement Benoît.

Ah çà ! c’est donc la continuation de la même plaisanterie ?

CÉCILE.

Laisse-nous, Benoît.

GUSTAVE.

Benoît !... Ce petit nigaud que j’ai si souvent...

Il fait le geste de battre.

Ah ! je ne m’étonne plus... Allons, va-t’en, si tu ne veux pas que je continue aussi mes plaisanteries d’autrefois.

BENOÎT.

Est-il malin !... Il veut absolument que je le reconnaisse... Qu’il compte là-dessus.

GUSTAVE, s’avançant vers lui.

Eh bien ! sortiras-tu ?

BENOÎT, reculant.

C’est ça : il prend sa revanche... Je l’ai empêché d’entrer, et il me fait sortir... Patience !... Nous verrons lequel des deux restera le dernier...

D’un ton goguenard.

Sans adieu, monsieur Gustave ; au revoir, monsieur Gustave Valin ; je vous demande bien pardon si, hier soir, je vous ai laissé dehors ; mais j’espère réparer aujourd’hui...

À part.

En te faisant mettre dedans.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

GUSTAVE, CÉCILE

 

GUSTAVE.

Enfin, nous voilà seuls !... Combien je suis touché de votre...

Se reprenant.

de ton accueil, ma chère Cécile !

CÉCILE.

Ah ! vous ne savez pas tout le bien que me fait votre présence !...

GUSTAVE.

Bonne petite sœur !...

Regardant autour de lui.

Oui, je me reconnais... Tout est bien à la même place qu’autrefois...

Jetant les yeux sur le portrait.

Jusqu’au portrait de mon père, brillant de jeunesse et de santé... Quand j’avais fait quelque sottise, je me rappelle que ma mère n’avait qu’à me le montrer du doigt pour me faire rentrer dans le devoir... Et notre tante Marguerite, toujours aussi bonne, mais un peu plus vieille... Et toi, Cécile, comme tu es embellie ! quelle émotion j’éprouve en te revoyant !

CÉCILE.

Et moi aussi, j’avais besoin de vous revoir pour croire encore au bonheur.

GUSTAVE.

À peine, pourtant, si tu me connais !

CÉCILE.

Tout à l’heure encore, en pensant à vous, je pleurais de chagrin ; à présent, c’est de joie.

GUSTAVE.

Comment ! Et pourquoi ce chagrin ?

CÉCILE.

Je croyais que vous étiez mort.

GUSTAVE.

Mort !... Je n’ai jamais eu cette prétention-là.

CÉCILE.

Mais ce duel à Marseille ?

GUSTAVE, étonné.

Ce duel ?...

À part.

Elle aussi !... Tout le monde ici connaît mon aventure... Comment est-il possible ?...

Haut.

Puisque tu le sais, j’en conviens. Il est inutile de t’expliquer les motifs...

CÉCILE.

Je les connais... Mon portrait seul...

GUSTAVE.

Eh quoi tu sais aussi ce qui ne s’est passé qu’entre mon adversaire et moi ?

Gaiement.

Tu n’y étais pourtant qu’en peinture... Mon père alors doit être au désespoir, et je cours lui prouver...

CÉCILE, vivement.

Arrêtez ! depuis hier, il croit vous avoir embrassé.

GUSTAVE.

Hier... Mais il me semble cependant que je suis resté à la porte... Serait-il venu à l’auberge pendant mon sommeil ?

CÉCILE.

Non, mon frère... Mais avant de vous apprendre... j’ai besoin d’implorer votre générosité.

GUSTAVE.

Ma générosité !... Que veux-tu dire ?... Est-ce que par hasard tu pourrais m’expliquer un mystère que je n’ai jamais pu comprendre ? Comment ton portrait, entre mes mains, a-t-il pu devenir un sujet de querelle ?

Lui prenant la main avec affection.

Cécile, réponds sans crainte... Ouvre-moi ton cœur... Connais-tu mon adversaire ?

CÉCILE, dans le plus grand embarras.

Oui.

GUSTAVE.

Oui ?... Eh bien ! je m’en étais douté... Et vous allez voir que c’est par amour pour la sœur...

CÉCILE.

N’achevez pas... Cette idée me fait frémir...

GUSTAVE, cherchant à se rappeler.

Cependant il me semble que mon père m’avait fait part d’un projet de mariage entre toi et le fils d’un ancien ami... le commandant Parly... Et cet amour ne s’accorde guère...

CÉCILE.

C’est en Provence, chez la cousine de mon père, que j’ai connu M. Jules Derfeuil.

GUSTAVE.

Jules Derfeuil... Précisément.

CÉCILE.

L’estime dont il jouissait auprès d’elle, le bien qu’elle m’en disait, son amour si respectueux, ses égards si délicats, si tendres...

GUSTAVE.

Ne pouvaient pas te trouver insensible... C’est trop naturel.

CÉCILE.

Je vous l’avouerai, je n’ai pu me défendre... Et je croyais pouvoir l’aimer toujours.

GUSTAVE.

Eh bien ! qu’est-ce qui t’en empêche ? Ce n’est pas l’idée qu’il t’est infidèle, car je te garantis qu’il t’aime furieusement. Que ce ne soit pas non plus sa conduite envers moi : elle a été celle d’un loyal adversaire. J’ai bien quelque chose à me reprocher, moi ! ce diable de vin de Champagne... D’ailleurs, je ne peux pas faire un crime à M. Derfeuil de ma maladresse... Je t’avoue pourtant que tout à l’heure encore j’étais assez injuste pour lui en vouloir un peu ; mais depuis que tu m’as appris le motif de la querelle, je conçois le sentiment qui a causé sa méprise, et je ne vois plus sa faute, en voyant son excuse.

CÉCILE.

Eh quoi ! vous pourriez oublier ?...

GUSTAVE, gaiement.

Oublier ?... Je ne puis guère te le promettre...

Mettant la main sur sa poitrine.

C’est gravé là. Mais tu m’avais vengé d’avance ; et je lui pardonne, en songeant que la blessure que tu lui as faite durera plus longtemps que la mienne.

CÉCILE.

Tant de générosité...

GUSTAVE.

Ne parle que de ma tendresse pour toi. Il y va de ton bonheur ; je suis prêt à lui tendre les bras, et, s’il le faut même, j’irai au-devant de lui... à Paris, à Marseille, n’importe... Tu dois avoir de ses nouvelles ? Où est-il ?

CÉCILE, baissant les yeux.

Ici.

GUSTAVE.

Ici ?...

CÉCILE.

Dans la maison.

GUSTAVE.

Dans la maison ?... Tant mieux ! les choses sont alors plus avancées que je ne croyais. Cela prouve que mon père consent.

CÉCILE.

Il ne sait rien.

GUSTAVE.

Comment ?

CÉCILE.

C’est sous votre nom que, depuis hier seulement...

GUSTAVE.

Sous mon nom ! Il aurait osé !...

À part.

Quel est son projet ? ses intentions seraient-elles coupables ?... Et l’honneur de ma famille... Oh ! alors, il aurait ma vie, ou j’aurais la sienne !

CÉCILE, tremblante.

Comme il paraît en colère !...

GUSTAVE, avec un calme affecté.

Ne cherche pas à m’abuser, Cécile ; tu as donc approuvé cette ruse ?

CÉCILE, vivement.

Non, mon frère.

GUSTAVE.

Cependant, elle a réussi... Et un seul mot de toi...

CÉCILE.

L’aurait perdu. Il courait les plus grands dangers : errant, poursuivi, c’est dans notre maison qu’il est venu chercher un asile.

GUSTAVE.

Un asile !...

À part.

En effet, pendant ma maladie, j’ai appris que mon adversaire était accusé d’un crime odieux... J’ai même écrit à ce sujet... Eh ! mais, Benoît a refusé de m’ouvrir... Ses questions, son conseil de m’aller faire pendre ailleurs, et ses menaces en se retirant... Plus de doute, il me prend pour mon adversaire : il est allé me dénoncer.

CÉCILE, après avoir observé Gustave et cherchant à l’attendrir.

Ne lui en veuillez pas ; M. Derfeuil est bien à plaindre... Si vous aviez vu ses remords ! J’entends du bruit... Si c’était lui !... De grâce...

Gustave lui fait signe de se calmer et remonte le théâtre.

 

 

Scène V

 

GUSTAVE, CÉCILE, ÉDOUARD

 

ÉDOUARD, entrant précipitamment, il court vers Cécile, sans apercevoir Gustave.

Mademoiselle ! mademoiselle ! tout est perdu. Jules vient d’entrer dans le cabinet de M. votre père pour tout lui déclarer.

CÉCILE.

Grand Dieu !

ÉDOUARD.

Mes prières, mes représentations, rien n’a pu l’en empêcher. La délicatesse, les remords l’ont emporté. Il ne peut se pardonner sa conduite, et, malgré notre commun danger, il n’a pas voulu plus longtemps tromper M. Valin.

GUSTAVE, à part.

Bien, très bien !

Cécile regarde son frère, qui lui fait signe de ne pas faire remarquer sa présence.

ÉDOUARD.

Cependant il me reste encore un peu d’espoir... Quand j’ai vu qu’il était bien résolu à dire qui il était, je lui ai prudemment enlevé les moyens de le prouver.

Tirant de sa poche les papiers de Jules.

Voici ses papiers.

Gustave, qui s’est approché insensiblement, arrache froidement les papiers des mains d’Édouard. Stupéfaction de celui-ci.

ÉDOUARD, à Cécile.

Quel est ce monsieur ?

GUSTAVE, bas, à Cécile.

Ne me fais pas connaître.

ÉDOUARD, à Gustave.

Mais enfin, monsieur, de quel droit ?...

GUSTAVE.

Silence !

ÉDOUARD, à part.

Silence !... Ce ton d’autorité...

GUSTAVE, prenant Cécile à l’écart.

Cours auprès de mon père ; tâche de le rassurer sans lui annoncer encore ma présence. Dis-lui qu’il embrassera bientôt son fils.

Mouvement d’hésitation de Cécile ; Gustave l’entraîne du côté de la porte. Elle sort.

ÉDOUARD, les examinant dans le plus grand étonnement.

C’est singulier ! ils sont d’intelligence... Eh bien ! elle s’éloigne, et sans rien me dire ; elle me laisse seul avec lui ; si c’était un gendarme déguisé ! ... N’importe, montrons de la dignité !

 

 

Scène VI

 

GUSTAVE, ÉDOUARD

 

ÉDOUARD.

Je ne suis point habitué, monsieur, à une pareille brusquerie... Il est possible, au reste, que la politesse et les égards ne soient pas dans vos attributions...

GUSTAVE.

Je vous dois, en effet, des excuses, monsieur ; je m’y suis pris un peu vivement ; mais il est des circonstances où, pour réussir, il faut à la fois de la promptitude, du mystère et des preuves écrites... Plus tard, vous saurez tout.

ÉDOUARD, à part.

Des paroles doucereuses d’abord, et bientôt, sans doute, un interrogatoire. C’est un juge d’instruction, à moins que ce ne soit un procureur du roi.

Apercevant Parly qui entre avec Benoît.

Précisément.

Montrant Gustave.

La justice, d’abord, et maintenant la force ; accompagnement obligé.

 

 

Scène VII

 

GUSTAVE, ÉDOUARD, PARLY, BENOÎT

 

BENOÎT, dans le fond, bas à Parly, en lui montrant Gustave.

Tenez, le voici.

GUSTAVE, à part.

Benoît, et sans doute M. Parly... je m’y attendais.

PARLY.

Pardon de vous déranger, messieurs.

S’approchant de Gustave.

J’aurais, monsieur, quelques mots à vous dire en particulier.

GUSTAVE, suivant Parly à l’écart.

Parlez, monsieur.

PARLY, bas.

Je crains d’être obligé d’exercer ici, contre vous, un ministère de rigueur...

GUSTAVE, à part.

Nous y voici... attention.

PARLY, à part.

Il est embarrassé ; c’est lui.

ÉDOUARD, à part.

Ils se concertent, je suis pris.

Apercevant Benoît qui lui fait des signes.

Qu’est-ce qu’il a donc, ce nigaud-là ? Je crois qu’il se moque de moi.

PARLY, toujours bas à Gustave.

D’après les renseignements qui me sont parvenus, vous revenez...

GUSTAVE, répondant tout haut.

De Marseille.

ÉDOUARD, tremblant, à part.

Marseille ! C’est bien cela. Ils préparent notre acte d’accusation.

PARLY.

Et pendant le peu de jours que vous y êtes resté, Vous y avez eu...

GUSTAVE, haut.

Une affaire d’honneur.

ÉDOUARD, à part.

Une affaire d’honneur !... plus de doute, ils en sont au délit.

Regardant du côté de la porte.

Et ce maudit Benoît qui est toujours devant la porte !

PARLY, toujours bas.

Vos réponses n’attendent pas la fin de mes questions ; je vous remercie, monsieur, de m’épargner ainsi la moitié du chemin... Jamais prévenu ne fut...

GUSTAVE, gaiement.

Plus prévenant, n’est-il pas vrai, commandant ?...

PARLY, riant en voyant rire Gustave.

Pardon, monsieur, mais, malgré moi, votre gaieté...

BENOÎT.

Tiens, les voilà qui rient à présent !

ÉDOUARD, à part.

Quelle inconvenance et quel endurcissement, devant leur victime !...

PARLY.

Je ne m’attendais pas à vous trouver si philosophe.

BENOÎT, à part.

Philosophe ! diable ! Il paraît que son affaire est plus mauvaise que je ne pensais.

Haut, courant après Édouard qui se dirige vers la porte.

Ne vous en allez pas, le commandant va avoir besoin de vous.

ÉDOUARD.

Et lui aussi... il plaisante, le maraud !

GUSTAVE, à Parly.

Permettez-moi une question dans l’intérêt de la défense. Si l’adversaire de l’accusé était, par hasard, en parfaite santé ?

PARLY.

Cela me serait parfaitement égal.

GUSTAVE.

Merci bien !

PARLY.

Le résultat du crime ne change rien à la culpabilité.

ÉDOUARD, à part.

Allons, il n’admet pas même les circonstances atténuantes.

GUSTAVE, à part.

C’est bien cela... La Cour d’assises en perspective. Il n’y a plus à balancer ; continuons mon personnage.

Haut.

S’il en est ainsi, finissons-en, commandant ; remplissez votre mandat.

ÉDOUARD, à part.

C’en est donc fait. J’ai vécu pour la liberté.

Gustave s’est approché d’Édouard et lui parle à l’oreille.

PARLY, sur le devant de la scène.

Je n’ai jamais vu personne se laisser arrêter avec plus de grâce. Ce jeune homme est aussi tranquille que s’il s’agissait d’un autre.

ÉDOUARD, qui a écouté Gustave avec attention, à part.

Qu’est-ce qu’il dit donc ? que je prévienne Jules de fuir ?... que son adversaire n’est pas mort ?... Ma foi, je n’y suis plus.

PARLY.

Puisque nous sommes convenus de tout, il ne me reste plus qu’à remplir une petite formalité avant d’emmener M. Jules Derfeuil.

Il va pour écrire.

 

 

Scène VIII

 

GUSTAVE, ÉDOUARD, PARLY, BENOÎT, JULES

 

JULES, qui a entendu les derniers mots, déposant un petit porte-manteau.

Me voilà, commandant.

Étonnement général.

GUSTAVE, à part.

Quel contretemps !

JULES.

Je vois que M. Valin vous a fait part de ma déclaration. Je suis prêt à vous suivre.

ÉDOUARD, à part, faisant des signes de mécontentement à Jules.

Le maladroit !

PARLY, à Jules et jetant sa plume.

Comment, monsieur ?... Je ne comprends pas.

GUSTAVE, se plaçant entre Jules et Parly.

Je vais tout vous expliquer.

JULES, reconnaissant Gustave.

Eh ! quoi !... je vous revois encore ?

Il examine Gustave.

ÉDOUARD, à part, avec surprise.

Il le reconnaît !

GUSTAVE, bas, à Parly.

Il craignait que vous ne m’eussiez déjà emmené.

JULES, à Gustave.

Ah ! monsieur !

Il se précipite vers Gustave, lui prend la main, et va pour fléchir le genou ; mais Gustave l’en empêche et le presse dans ses bras.

BENOÎT, à part.

Qu’est-ce qu’ils font donc ?

ÉDOUARD, à part.

Ils s’embrassent ! Quel soupçon !

GUSTAVE, bas, à Jules.

Tout est oublié, silence !

Bas, à Parly.

Croiriez-vous, commandant, que voici la troisième fois qu’il veut se dévouer pour moi ?...

Il va prendre la main de Jules.

Ce cher ami !

Il lui fait de nouveau signe de se taire.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Est-ce que par hasard ce serait...

JULES, avec joie.

Mon adversaire lui-même, quel bonheur !

ÉDOUARD, à part.

Je devine. C’est par générosité ! L’aimable jeune homme ! et moi qui le prenais pour un procureur du roi.

PARLY, à Jules.

J’admire, monsieur, votre dévouement...

JULES.

Que parlez-vous de dévouement ?

PARLY, continuant.

Mais il est trop tard, M. Jules Derfeuil vient de tout avouer.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Tais-toi !

JULES.

Jules Derfeuil ! Eh bien ! sans doute, c’est moi.

GUSTAVE, bas, à Jules.

Vous vous perdez.

PARLY, montrant Gustave en souriant.

Alors, voilà donc M. Gustave Valin ?

JULES, sérieusement.

Précisément, c’est lui.

Tout le monde éclate de rire, excepté Jules.

BENOÎT, bas, à Édouard.

Il ne se souvient plus de son nom ; c’est peut-être sa fièvre jaune qui lui reprend.

PARLY.

Je vous le répète, monsieur a tout déclaré, il est inutile d’insister davantage.

GUSTAVE.

Allons, commandant, partons.

JULES.

Un moment.

À Gustave.

Monsieur, après ma conduite envers vous, j’admire votre générosité ; et vous m’en voyez pénétré. Mais plus j’en suis reconnaissant, plus je tiens à m’en rendre digne en n’acceptant pas le secours que vous m’offrez.

À Parly.

Commandant, j’affirme sur l’honneur que je suis Jules Derfeuil, la personne que vous cherchez.

Mouvement de Parly.

ÉDOUARD.

Quel entêtement !

BENOÎT, à part.

Pauvre jeune homme ! il me fait l’effet d’un fou... que je serais fâché d’être comme ça !

PARLY, à Jules.

Il ne fallait rien moins qu’un pareil serment pour m’inspirer des doutes...

ÉDOUARD, vivement.

Eh bien ! commandant, dans le doute abstiens-toi, dit le sage.

PARLY.

Dans le doute, empare-toi, disent mes instructions. Et comme aucun de ces messieurs ne m’a donné de preuves...

JULES.

Ah ! des preuves... C’est juste.

Il fouille dans ses poches.

ÉDOUARD, à part.

Ses papiers... Oui, cherche.

JULES, cherchant toujours.

Puisqu’il vous en faut... des preuves...

GUSTAVE, donnant froidement à Parly les papiers de Jules.

En voici.

ÉDOUARD, à Jules, avec ironie.

Eh bien ! tu ne trouves pas ?

JULES, cherchant toujours.

C’est singulier ! que sont devenus mes papiers ?...

GUSTAVE, bas, à Jules, et très rapidement.

Vous aimez ma sœur, j’en sais quelque chose ; vous êtes un galant homme, vous la rendrez heureuse, mariez-vous ; mais pour s’enchaîner, il faut être libre ; allez-vous-en.

PARLY, lisant les papiers.

Jules Derfeuil ! J’en étais sûr !

Il se met à écrire pendant la fin de la scène.

JULES, stupéfait.

Jules Derfeuil !!!

ÉDOUARD, à Jules.

Eh ! oui, entêté ! Je t’expliquerai tout.

GUSTAVE, bas, à Édouard.

Allez tout préparer pour votre fuite.

ÉDOUARD.

Avec enthousiasme.

À part.

Ô liberté, tu l’as échappé belle !

Haut.

Viens, Benoît.

BENOÎT, à part.

Je savais bien que c’était lui.

Il sort avec Édouard.

JULES, bas et rapidement, à Gustave.

Vous voulez donc suivre le commandant à ma place ? Je n’y consentirai jamais.

GUSTAVE, gaiement.

Je n’ai pas besoin de votre consentement. M’avez-vous demandé le mien pour prendre mon nom ? Chacun son tour.

 

 

Scène IX

 

PARLY, GUSTAVE, JULES, MARGUERITE

 

MARGUERITE, très agitée.

Que se passe-t-il donc ici depuis une demi-heure ?

GUSTAVE, à part.

Je ne me trompe pas. C’est ma tante Marguerite... Si elle allait me reconnaître !

MARGUERITE.

On me laisse seule, il y a quelque chose d’extraordinaire... Gustave, es-tu là ?

PARLY, qui s’est levé pour aller au-devant de Marguerite.

Oui, madame, de ce côté... donnez-moi votre bras, je vais vous conduire auprès de lui.

Il se dirige vers Jules.

GUSTAVE, à part.

Ô ciel ! sa vue se serait-elle affaiblie à ce point ? Je meurs d’envie de l’embrasser.

PARLY, à Marguerite.

Vous y voici.

JULES.

Je suis fâché de la peine que monsieur vous a fait prendre.

MARGUERITE, prenant la main de Jules.

Ah ! oui... te voilà... Explique-moi donc...

JULES.

Excusez-moi, madame, mais je ne dois pas vous laisser plus longtemps dans l’erreur ; je ne suis pas Gustave.

MARGUERITE.

Qu’entends-je ?

PARLY, à part.

Il n’en démordra pas...

JULES, à Marguerite.

Mais rassurez-vous, il est ici, dans cette chambre, et s’approche déjà pour vous presser dans ses bras.

GUSTAVE, qui s’est approché, s’arrête tout à coup.

Je ne croyais pas mon rôle si difficile !...

MARGUERITE.

Comment ! Il se pourrait !...

JULES.

À votre gauche... Étendez un peu la main.

Marguerite rencontre la main de Gustave.

GUSTAVE, faiblement et avec émotion.

Ne le croyez pas ; monsieur plaisante.

MARGUERITE.

Qui a parlé ? Vous feriez-vous un jeu de mon infirmité ?... Oh ! non, cela n’est pas possible.

Montrant Jules, à part.

Sa froideur, cette voix qui vient de réveiller mon cœur...

 

 

Scène X

 

PARLY, GUSTAVE, JULES, MARGUERITE, BENOÎT

 

BENOÎT.

Une lettre pour M. Gustave.

Mouvement de Gustave.

PARLY.

Donne.

Il prend la lettre et la présente à Jules.

JULES, refusant, malgré les signes de Gustave.

Elle n’est point à mon adresse.

GUSTAVE, vivement.

Ni à la mienne.

PARLY, gardant la lettre.

Je m’attendais à cette réponse.

MARGUERITE.

Plus de Gustave, et deux étrangers ! Oh ! non, je sens là qu’il y en a un...

PARLY, remettant la lettre à Benoît.

Puisque personne

Montrant Jules et Gustave.

ne veut la recevoir, porte-là à M. Valin.

BENOÎT, en s’en allant.

Allons, il veut toujours aller en prison. Fi ! l’esclave !

 

 

Scène XI

 

PARLY, GUSTAVE, JULES, MARGUERITE

 

PARLY, prenant les papiers sur la table, à Gustave.

Je suis aux ordres de mon prisonnier...

JULES, vivement.

Je ne souffrirai pas...

MARGUERITE.

Arrêtez... Messieurs, approchez-vous tous les deux...Vous aussi, monsieur Parly. Écoutez : je suis chargée d’un devoir que mon cœur a juré de remplir fidèlement. Voici l’instant de m’en acquitter, et pour cela il faut que je m’adresse à Gustave.

Leur pressant la main à tous deux.

Il s’agit de sa mère...

GUSTAVE, à part.

Ma mère !

MARGUERITE.

De son dernier vœu.

Elle quitte leur main pour tirer un papier de son sein. Elle le présente à Jules, qui ne le prend pas et s’éloigne ; elle cherche de la main-et ne sent personne. À part.

Il s’est éloigné.

Elle présente le papier de l’autre côté à Gustave, qui le saisit avec entrainement. À part.

Il n’a pas même hésité.

GUSTAVE, lisant.

« Au moment de me séparer de mes enfants, leur avenir occupe toutes mes pensées. Mon fils, loin de ton pays, de ta famille, tu as su te procurer un sort brillant, honorable. Cette idée a pu seule donner à ta mère le courage de supporter ton absence... Mais ta sœur... Si jeune encore, que deviendra-t-elle quand je ne serai plus ? Ton père aussi veut son bonheur ; mais je crains qu’il ne se trompe sur les moyens de l’assurer. Sois l’ami de Cécile, son guide, son appui ; et si jamais on voulait disposer de sa main sans consulter son cœur... Mais je n’ai plus la force... La douleur... Ce n’est rien, mon fils... demain j’achèverai... » Demain !!!

Entraîné.

Ma mère ! ma bonne mère ! oui, tes volontés seront accomplies. Mon cœur les avait devinées.

MARGUERITE.

Gustave, j’étais bien sûre que tu te trahirais !

GUSTAVE.

Ma bonne tante !

Il la presse dans ses bras.

MARGUERITE, presque suffoquée.

Ah ! pour le coup, je le reconnais ; il m’a presque étouffée.

Appelant.

Monsieur Valin ! Cécile ! Cécile !

GUSTAVE.

Je cours au-devant d’eux. Jules, commandant, je suis à vous.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

MARGUERITE, PARLY, JULES

 

MARGUERITE.

Jules ! Quoi ! monsieur, vous seriez... Et Cécile qui ne m’en avait rien dit.

PARLY.

Cécile !

MARGUERITE.

Je comprends à présent.

Imitant la voix de Cécile.

« Mais s’il ne m’avait point oubliée, s’il se présentait ici avec les idées de bonheur que tu veux me faire perdre... » On a beau dire que tout change, je vois bien que l’amour est toujours le même qu’autrefois.

JULES.

Vous ne doutez plus à présent, commandant, que je sois bien la personne que vous cherchiez.

PARLY.

Non, monsieur, et je commence à croire que vous êtes aussi celle que je ne cherchais pas.

 

 

Scène XIII

 

MARGUERITE, PARLY, JULES, VALIN, GUSTAVE, CÉCILE

 

VALIN, entre ses deux enfants.

Mon cher fils !... mes enfants ! Mon cœur suffit à peine à tant d’émotions. Monsieur Derfeuil, vous appartenez à une famille honorable, je connais vos sentiments, et pour n’avoir plus à rougir de vous avoir pris pour mon fils, je consens à ce que mon erreur devienne une réalité.

CÉCILE.

Mon bon père !...

JULES, baisant la main de Cécile.

Qu’entends-je ! Quoi ! monsieur, vous seriez assez indulgent...

VALIN.

Non, mais je suis assez heureux pour pardonner.

GUSTAVE, à Parly.

Il vous reste, commandant, un dernier consentement à accorder. Vous êtes en ce moment le tuteur de monsieur, il ne peut disposer de sa personne sans votre aveu.

Lui donnant une lettre.

Lisez, et voyez si ce certificat de bonne conduite vous permet d’émanciper votre pupille.

Parly prend la lettre et lit.

 

 

Scène XIV

 

MARGUERITE, PARLY, JULES, VALIN, GUSTAVE, CÉCILE, ÉDOUARD, BENOÎT

 

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Tout est disposé pour notre fuite, tâche de t’esquiver.

BENOÎT, bas, à Parly.

Commandant, on veut faire échapper votre prisonnier ; je viens de préparer les chevaux.

PARLY, à Jules.

Soyez libre, monsieur, j’attendrai les nouveaux ordres annoncés par le ministre.

ÉDOUARD.

Libre !... Jules !

BENOÎT, stupéfait.

Ah ! mon Dieu ! j’ai fait quelque bêtise ; c’est impossible autrement.

JULES, à Valin.

Mon ami vient réclamer sa part dans votre indulgence.

VALIN.

Amnistie générale.

ÉDOUARD, bas, à Jules.

Décidément, pour qui te prend-on à présent ?

JULES, haut.

Toujours pour le fils de la maison et l’heureux époux de Cécile.

ÉDOUARD, à Parly.

Eh bien ! et vous, commandant ?

PARLY.

J’ai donné ma démission.

ÉDOUARD, à part.

Je comprends ; style ministériel... révoqué.

MARGUERITE, à Parly.

Vous voyez bien que, pour reconnaître le véritable Gustave, il fallait s’adresser à moi.

GUSTAVE, remettant à Jules ses papiers.

À propos, vous avez besoin de vos papiers pour le mariage.

JULES.

Je vais donc vous devoir tout mon bonheur, vous que j’ai tant offensé.

GUSTAVE.

C’est une vengeance comme une autre.

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