Le Concert ridicule (David Augustin de BRUEYS - Jean DE PALAPRAT)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 14 septembre 1689.

 

Personnages

 

MADAME DE PONTERAN, Veuve

MARIANE, Fille de Madame de Ponteran

CLITANDRE, Amant de Mariane

MONSIEUR COURTINET, Procureur

MONSIEUR COURTINET, Fils, Avocat, accordé à Mariane

JAVOTE, Servante de Madame de Ponteran

JONQUILLE, Laquais

L’ÉPINE, Valet de Clitandre

LAMOTTE, Sergent

MONSIEUR MARTINET, Musicien

UN NOTAIRE

 

La Scène est à Paris, dans la maison de Madame de Ponteran.

 

 

Scène première

 

MADAME DE PONTERAN, JAVOTE, JONQUILLE

 

MADAME DE PONTERAN.

Jonquille, il y a longtemps que mes gens ont dîné, qu’on mette les chevaux au carrosse Javote.

JAVOTE.

Madame.

MADAME DE PONTERAN.

Ma fille est dans sa chambre, faites-la venir.

JAVOTE.

Est-ce pour sortir avec vous, Madame ?

MADAME DE PONTERAN.

Non, je veux lui parler.

JAVOTE.

La voici.

 

 

Scène II

 

MADAME DE PONTERAN, MARIANE, JAVOTE

 

MADAME DE PONTERAN.

Mariane, je sors pour n’être point importunée par je ne sais combien de gens qui viendraient encore nous demander nos fenêtres pour voir le feu d’artifice. Vous savez pour qui je les garde, et que ce que nous devons signer ce soir ne demande point d’Importuns. Qu’en mon absence on n’ouvre à qui que ce soit ; si Monsieur Courtinet et son fils viennent ici avant moi, faites bien les honneurs du logis.

MARIANE.

Je ferai, Madame, tout ce que vous m’ordonnez.

MADAME DE PONTERAN.

Ah, ma fille, ma fille ! De l’air dont vous le dites, je vois bien que vous n’entrez pas comme il faut dans mes desseins, et que Clitandre vous tient toujours au cœur.

MARIANE.

Mais, Madame, n’est-ce pas assez que je fasse tout ce que vous souhaitez de moi ?

MADAME DE PONTERAN.

Non, ma fille, ce n’est pas assez ; et je voudrais que vous le fissiez sans répugnance.

MARIANE.

C’est beaucoup demander, Madame, pour des gens comme Messieurs Courtinet ; vous savez qu’un rien les scandalise, qu’ils prennent toujours de travers toutes les honnêtetés que l’on a pour eux, et vous avez été brouillez je ne sais combien de fois pour des bagatelles.

JAVOTE.

Il est vrai, Madame, que ce sont de vilaines gens. Ils disent par tout que vous les méprisez, parce qu’ils sont de la Robe, et que vous êtes la veuve d’un Colonel.

MADAME DE PONTERAN.

Javote, vous plairait-il de vous taire.

JAVOTE.

Je ne puis souffrir, Madame, qu’on parle mal de vous.

MADAME DE PONTERAN.

Javote...

JAVOTE.

Qu’un Procureur, parce qu’il a trente mille écus à donner en mariage à son grand benêt de fils l’Avocat, ose publier par tout que Madame de Ponteran est la femme de Paris la plus glorieuse, et la plus vindicative.

MADAME DE PONTERAN.

Javote encore une fois...

JAVOTE.

Ces discours peuvent-ils se supporter d’un Procureur et d’un Avocat.

MADAME DE PONTERAN.

Vous tairez-vous.

JAVOTE.

Un Avocat épouser la fille d’un Colonel.

MADAME DE PONTERAN.

Apprenez, sotte que vous êtes, qu’il faut commencer par ce titre pour parvenir aux plus hautes  dignités de la Robe, et qu’avec trente mille écus...

JAVOTE.

Je sais tout cela ; mais si le titre d’Avocat, et les trente mille écus, ne sont accompagnés d’un mérite personnel, on ne parvient point à des Charges considérables, et je suis sûre que votre Monsieur Courtinet avec son titre d’Avocat, et ses trente mille écus, sera toujours Avocat écoutant, et le plus grand benêt de Paris, c’est beaucoup dire.

MADAME DE PONTERAN.

Finissons ce discours, je vous prie ! Il est vrai, ma fille, que nous avons été brouillés ; mais c’est pour cela même qu’il faut ne rien oublier aujourd’hui pour les bien recevoir. Vous savez en quel état sont nos affaires ; Clitandre, il est vrai, c’est un fort honnête homme, et je l’aurais préféré avec plaisir au fils de Monsieur Courtinet ; mais il n’est riche qu’en espérance, et le Comte d’Orsan son oncle, dont il attend de grands biens, tout vieux qu’il est, vivra peut-être plus que lui, ce n’est pas ce qu’il nous faut. Vous savez ce que je vous ai dit ce matin : en un mot j’ai donné ma parole, et je veux absolument faire ce soir ce mariage ; songez bien à ce que je vous recommande. J’entends mon carrosse ? adieu, je passerai chez le Notaire, je serai ici sur les sept heures.

 

 

Scène III

 

MARIANE, JAVOTE

 

MARIANE.

Hélas

JAVOTE.

Qu’avez-vous donc ?

MARIANE.

Juste Ciel !

JAVOTE.

Vous ne me dites rien, et vous pleurez.

MARIANE.

N’est-ce pas t’en dire assez.

JAVOTE.

J’entends à peu près ce langage, mais...

MARIANE.

Ah me voilà perdue ! je me verrai mariée aujourd’hui à un homme que je hais plus que la mort, et je perds Clitandre pour jamais.

JAVOTE.

Franchement votre mère vous joue là d’un mauvais tour.

MARIANE.

Il mourra de douleur quand il apprendra cette nouvelle.

JAVOTE.

Elle sera fâcheuse pour lui.

MARIANE

Pourquoi partait-il pour l’armée.

JAVOTE.

Son devoir l’y obligeait. Croyez-vous être la seule à Paris qui ait un Amant en Allemagne ? Ah que j’en connais, et qui ne sont peut être pas loin d’ici, à qui cette Campagne coûte autre chose que des soupirs et des larmes ? combien y a-t-il de femmes qui par zèle, sans doute pour le service du Roi, ont eu la générosité d’aider elles-mêmes à faire les équipages de jeunes Officiers, dont le départ les désespérait. Il est vrai qu’il leur en revient une assez belle réputation, et qu’en récompense on appelle aujourd’hui ces femmes-là les troupes auxiliaires de l’armée.

MARIANE.

Ah ! Javote, le malheur des autres ne me console point.

JAVOTE.

En vérité vous me faites pitié, et je commence à m’attendrir ; car outre votre intérêt, j’y suis aussi pour mon compte plus que vous ne pensez. Clitandre m’avait promis que s’il pouvait être assez heureux pour devenir votre époux, il me marierait à l’Épine son Valet de chambre, et sur cette espérance... Mais aussi que ne disiez-vous à votre mère que vous ne vouliez point de ce grand jocrice d’Avocat. Qu’est devenu cette noble aversion que vous avez toujours eue pour les gens du Palais, et Particulièrement pour Messieurs les Avocats.

MARIANE.

Doucement Javote ! Cette aversion n’est que pour M. Courtinet ; et ce qui me le rend encore plus haïssable, c’est que par un sot entêtement, il semble lui même avoir du mépris pour les gens de sa profession.

JAVOTE.

Il n’est pas le seul qui a cet entêtement... J’en connais un qui ces jours passez cassa son Secrétaire pour avoir un Trompette, et quitta enfin une très belle Charge de Magistrature, pour se faire Capitaine de Cavalerie... Mais on frappe.

MARIANE.

Vois qui c’est.

JAVOTE.

Gare Messieurs Courtinet.

MARIANE.

Que je suis malheureuse ! ah Clitandre, pourquoi partiez-vous !

JAVOTE.

Jonquille, va promptement ouvrir, et referme la porte. Madame, qui diriez-vous que c’est ?

MARIANE.

Je ne sais.

JAVOTE.

C’est l’Épine.

MARIANE.

L’Épine !

JAVOTE.

Oui le Valet de Clitandre... Je l’ai d’abord reconnu, je le croyais à cent lieues d’ici, notre bon destin nous l’envoie. Courage, Madame, voici du secours.

 

 

Scène IV

 

L’ÉPINE, MARIANE, JAVOTE

 

JAVOTE.

Eh bon jour mon pauvre l’Épine.

MARIANE.

Quelles nouvelles de Clitandre ?

L’ÉPINE.

Fort bonnes, Madame... Bonjour Javote.

MARIANE.

Comment se porte-t-il ?

JAVOTE.

Comment te va ?

L’ÉPINE.

À ton service. Fort bien, Madame, Maugrebleu de la poste : Je m’en sentirai plus de quatre jours.

JAVOTE.

Tu es donc venu en poste ?

L’ÉPINE.

Belle demande ! Les amoureux vont-ils autrement ! C’est eux qui l’ont inventée.

JAVOTE.

Le pauvre enfant. Est-ce pour voir le feu de la Grève que tu es venu si vite ?

L’ÉPINE.

Diable non. Depuis mon dernier séjour au Châtelet, les spectacles de la Grève ne me divertissent plus.

MARIANE.

Ton Maître m’écrit-il ?

JAVOTE.

As-tu pensé à moi ?

L’ÉPINE.

Oui, Javote. Non, Madame.

MARIANE.

Non ? qu’as-tu donc à me dire de sa part ?

L’ÉPINE.

Madame...

JAVOTE.

Que j’ai de joie de te revoir.

L’ÉPINE.

Je te suis obligé.

MARIANE.

Que fait-il donc ?

JAVOTE.

Qu’as-tu fait en mon absence ?

MARIANE.

Où l’as-tu laissé ?

JAVOTE.

M’as tu toujours été fidèle ?

MARIANE.

Tu ne me répons point.

JAVOTE.

Tu ne me dis mot.

L’ÉPINE.

Oh l’une après l’autre s’il vous plaît. Je ne puis pas vous contenter toutes deux à la fois. Allons, Javote, contentez-vous.

MARIANE.

Que fait ton Maître ? où l’as-tu laissé ?

L’ÉPINE.

Pas loin d’ici, Madame.

MARIANE.

Est-il en chemin ?

L’ÉPINE.

Non, Madame.

MARIANE.

Non.

L’ÉPINE.

Non, il est venu avec moi.

MARIANE.

Avec toi.

L’ÉPINE.

Oui, et un de ses Sergents.

MARIANE.

Et quel est le sujet de son voyage.

L’ÉPINE.

Premièrement le désir violent de vous revoir ; car 1’amour marche devant tout. Secondement, quelques centaines de pistoles dont il a besoin ; troisièmement, certain agrément qu’il veut obtenir de la Cour pour un Régiment qu’il achète.

MARIANE.

Et où est-il à présent ?

L’ÉPINE.

À deux pas d’ici, chez cette Marchande, votre voisine qui vous faisait tenir nos lettres, et qui nous envoyait les vôtres.

JAVOTE.

Pourquoi ne vient-il pas ?

L’ÉPINE.

Nous sommes convenus ensemble, que si je ne l’allais retrouver dans un quart-d’heure, ce serait une marque que Madame de Ponteran serait sortie, et qu’il pourrait venir ici en toute sûreté ; et moi je me suis avancé pour reconnaître la place.

JAVOTE.

Ma foi la place s’allait rendre si le secours ne fût venu ; mais à présent, oh nous tiendrons bon.

L’ÉPINE.

À ce que je vois l’alarme est au quartier, et Messieurs Courtinet, sans doute s’avisent de faire les drôles quand nous n’y sommes pas.

JAVOTE.

Tu l’as deviné.

L’ÉPINE.

Non, mon enfant, je ne l’ai pas deviné. La voisine chez qui j’ai laissé mon Maître, nous a dit qu’on apprêtait ici un Concert et un festin pour ce soir, et que ces préparatifs pourraient bien être pour les noces de Monsieur Courtinet l’Avocat.

MARIANE.

De qui l’a-t’elle pu savoir ?

L’ÉPINE.

Bon, y a-t-il rien de secret dans une maison ou il y a des Valets, et sur tout des Servantes ? tenez, Madame, soit dit en passant, les domestiques se peuvent aussi peu empêcher de dire ce qu’ils savent des affaires de leurs Maîtres, que les Maîtres de parler de leurs affaires devant leurs Valets, et, si vous m’en exceptez moi... et Javote, les gens de nôtre façon sont tout oreilles pour écouter ce qu’on dit, et tout langue pour aller redire ce qu’ils ont ouï.

JAVOTE.

Oh laisse-là tes mortalités, et songe que nous aurons bien de la peine à nous délivrer de Messieurs Courtinet.

L’ÉPINE.

Par la sangbleu voilà de belles gens pour tenir devant nous. Il faut faire main basse sur ces canailles-là.

JAVOTE.

Tu crois être encore à l’armée avec ta main basse ; mais nous sommes à Paris, où il faut être sage.

L’ÉPINE.

Oh morbleu en ce temps-ci point de quartier.

MARIANE.

Mais, l’Épine, il y a plus d’un quart-d’heure que tu es ici, et Clitandre ne vient point.

L’ÉPINE.

Votre impatience est juste, et je vais... Mais on frappe à la porte, et ce pourrait bien être lui.

MARIANE.

Cours Javote, et si c’est Clitandre, que mon Laquais se tienne dehors, et nous vienne avertir lorsqu’il verra venir de loin ma mère ou Messieurs Courtinet. Ton Maître a-t-il été bien surpris des préparatifs qu’on fait ici pour ce soir.

L’ÉPINE.

Ah, Madame, cela n’est pas concevable. Sans moi, il se serait quasi évanoui aux pieds de la voisine ; mais quand elle lui a dit que vous aviez été fort triste toute la matinée, cela l’a un peu réjoui.

 

 

Scène V

 

CLITANDRE, MARIANE, JAVOTE, L’ÉPINE

 

CLITANDRE.

Ah, Madame, que ce m’est une sensible joie que l’honneur de vous revoir.

MARIANE.

Je ne vous cèle point, Clitandre, que votre retour diminué de beaucoup les chagrins dont je suis accablée.

CLITANDRE.

Quoi, Madame, un seul jour plus tard je vous perdais pour jamais.

MARIANE.

Hélas ! je ne sais si votre présence n’augmentera point encore ma peine.

JAVOTE.

Hé trêve à vos doléances, Il faut songer à prendre des mesures.

CLITANDRE.

Mon pauvre l’Épine je ne suis occupé que de mon amour. Songe à nous servir, tu ès fertile en inventions.

L’ÉPINE.

À vous parler franchement, Monsieur, depuis que j’ai tâté de la guerre, j’ai laissé les fourberies aux gens de Ville, et les voies de fait me semblent plus nobles, et plus expéditives.

CLITANDRE.

Les voies de fait, comment l’entends-tu ?

L’ÉPINE.

J’entends, Monsieur, que sans façon il faut venir ici, quand Messieurs Courtinet y seront, leur faire une bonne querelle d’Allemand, et s’ils ne veulent pas enfiler l’escalier de bonne grâce, les faire descendre doucement par la fenêtre.

CLITANDRE.

Tout doux l’Épine.

L’ÉPINE.

Pourquoi ? votre Sergent la Motte est venu avec nous, il ne sera pas difficile à trouver. Il a dîné avec un Musicien de ses amis et des miens, qui sans doute en applaudissant ses vers, n’aura pas manqué de le faire boire. Le vin et les applaudissements enflent le cœur de la plupart des hommes. Ainsi sans que vous y paraissiez lui et moi, nous nous chargerons de l’expédition.

JAVOTE.

Songes-tu bien que nous sommes à la Grève ?

L’ÉPINE.

En effet cela est de mauvais augure.

CLITANDRE.

Point de violence. Nous sommes dans un temps où il sied bien aux gens d’épée d’être plus modérés que les autres. Garde ta bravoure pour l’armée.

JAVOTE.

Hé, Monsieur, il est poltron comme un lièvre.

L’ÉPINE.

Oh, mon enfant, si tu m’avais vu faire... Mais il faut être modeste.

JAVOTE.

Hé ne perds point de tems en paroles inutiles.

L’ÉPINE.

Prenons donc des voies moins périlleuses, et revenons aux fourberies. Ç’a de quoi s’agit-il ?

JAVOTE.

De rompre ou de différer ce mariage qui se doit conclure ce soir.

L’ÉPINE.

Attendez. Si nous supposions une lettre, par laquelle vous manderiez à Madame de Ponteran, que le vieux Comte d’Orsan, votre oncle, est mort, aussi bien ne vaut-il guère mieux ; comme elle ne vous préfère, Monsieur l’Avocat, qu’à cause de votre peu de bien, peut-être qu’elle pourrait rompre ou différer.

CLITANDRE.

Non, mon oncle n’est qu’à quatre lieues d’ici, on pourrait s’en informer, j’en perdrais les bonnes grâces du Comte ; d’ailleurs je ne puis me résoudre à me servir d’un mensonge.

L’ÉPINE.

Cependant le mariage se fait ce soir.

JAVOTE.

Oui vraiment. Le festin est tout prêt. On prépare un Concert qui doit servir de prélude aux articles du Contrat.

L’ÉPINE.

Et qui est 1e fat de Musicien qui fait un Concert pour les noces de Monsieur Courtinet ?

JAVOTE.

C’est Madame de Ponteran qui le donne, et ce fat de Musicien est Monsieur Martinet, qui loge là haut.

L’ÉPINE

Quoi ! Monsieur Martinet loge là haut ; c’est le Musicien dont je parlais tout à l’heure avec qui la Motte s’enivre, c’est le meilleur de mes amis. Nous avons couche trois ans dans la même chambre, et nous nous aimions si parfaitement, que nous étions toujours vêtus de la même manière. 

JAVOTE.

Quelle livrée portiez-vous ?

L’ÉPINE.

Livrée ! parle mieux. Nous avions de fort beaux juste-au-corps rouges que nous voulions faire chamarrer de galon d’or ou d’argent, mais par malheur pour nous l’or et l’argent furent défendus, ainsi nous primes un galon de soie.

CLITANDRE.

Hé trêve à toutes tes digressions, et songe à nous servir.

L’ÉPINE.

J’y songe plus que vous ne pensez, et il me vient une idée qui pourrait bien nous réussir. Attendez... oui... non... si... point du tout... pardonnez moi... la Musique de Monsieur Martinet... la poésie de notre Sergent la Motte... oui da, oui da... nos Avocats prennent la chèvre facilement.

JAVOTE.

Que prétends-tu faire ?

L’ÉPINE.

Il n’est question que de brouiller Madame de Ponteran avec Messieurs Courtinet.

MARIANE.

Assurément.

L’ÉPINE.

Ils sont aussi ridicules que quand nous sommes partis.

JAVOTE.

Pour le moins.

L’ÉPINE.

Hé bien, je vous les garantis brouillés dans deux heures.

MARIANE.

Si tu peux en venir à bout...

L’ÉPINE.

Tenez, Madame, pour récompenses, je ne vous demande que cette folle. C’est faire les choses à bon marché.

JAVOTE.

Ce maraud, comme il parle.

MARIANE.

Je te la promets.

CLITANDRE.

Mais dis-nous donc au moins...

L’ÉPINE.

Il faut avant toute chose m’assurer de notre Sergent ! Il doit être là haut chez Monsieur Martinet, c’est un Acteur qui m’est absolument nécessaire. Sa poésie me sera d’un grand secours ; attendez-moi un moment, je vais le faire descendre. Il faut que vous l’engagiez à faire ce que je lui dirai ! mais je crois que je l’entends.

LA MOTTE, derrière le Théâtre.

Adieu Chevalier du bémol.

L’ÉPINE.

C’est lui même. Hé mon camarade un mot.

 

 

Scène VI

 

CLITANDRE, MARIANE, LA MOTTE, L’ÉPINE, JAVOTE

 

LA MOTTE.

Te voilà donc, mon brave, que fais-tu ici... ah, mon Capitaine, je ne croyais pas avoir 1’honneur... ah vertubleu, voilà une Déesse qui doit faire plus d’incendie à Paris, que la belle Helene n’en fit autrefois à Troie ! Je ne m’étonne pas vraiment si vous étiez si presse en chemin.

JAVOTE.

Monsieur de la Motte a de l’esprit.

L’ÉPINE.

Comment de l’esprit ? c’est le plus grand Poète de toute l’armée ! C’est lui qui a fait les zon, zon, les Griselidy, les Souvenez-vous-en, et cent autres pièces de cette force qui le rendront immortel.

LA MOTTE.

Tu penses te railler, mais demande à Monsieur Martinet si ce que j’ai fait de nouveau sur le départ des gens de guerre ne vaut pas la peine...

L’ÉPINE.

Je ne raille point.

CLITANDRE.

Monsieur de la Motte, seriez-vous homme à rendre service à cette belle personne.

LA MOTTE.

Ah ! mon Capitaine, elle peut disposer de ma plume, et de mon épée.

L’ÉPINE.

L’une nous sera plus utile que l’autre.

CLITANDRE.

Il me semble qu’il a un peu...

L’ÉPINE.

Oh cela ne fait rien. C’est ainsi que je le demande.

JAVOTE.

Comme les ivrognes s’excusent.

LA MOTTE.

Mon Capitaine croit que j’ai... Ah, Monsieur, foi de Sergent, ce n’est pas par débauche. Mais vous savez que j’eus sa fièvre à Philisbourg, et pour l’empêcher de revenir je prends...

CLITANDRE.

Quoi ?

LA MOTTE.

Le remède du Médecin Anglais, j’en avale par jour vingt ou trente doses ; il est vrai que j’en retranche le Quinquina.

L’ÉPINE.

Aussi tu t’en portes mieux. Or ça, nous n’avons point de temps à perdre ! Mais j’ai encore besoin de quelque chose, et si Madame Martinet n’est chez elle, il faudra que Javote me donne ce qui nous est nécessaire.

LA MOTTE.

Madame Martinet ? Oh, elle est là haut avec plusieurs Demoiselles de ses amies.

L’ÉPINE.

Voilà ce que je demande.

LA MOTTE.

Mais à quoi bon, je te prie...

L’ÉPINE.

Ne te mets pas en peine : je t’instruirai de tout.

JONQUILLE.

Voici, Madame votre mère avec Messieurs Courtinet.

MARIANE.

Retirez-vous Clitandre.

L’ÉPINE.

Montons tous chez Monsieur Martinet ; vous serez notre corps de réserve, en cas que nous en ayons besoin.

CLITANDRE.

En quelles mains suis je obligé de remettre la plus importante affaire que j’aie au monde, un Valet, un Musicien, et un Sergent Poète ?

L’ÉPINE.

Oh, Monsieur, n’offensons Personne.

MARIANE.

Sortez donc, Clitandre, que ma mère ne vous trouve point ici.

L’ÉPINE.

Sortons. Vous, Madame, ne témoignez aucun chagrin, et reposez-vous sur mes soins.

MARIANE.

Il me semble, Javote, que ma mère revient bientôt.

JAVOTE.

Cela n’est pas difficile à comprendre Clitandre vous quitte, et fait place à monsieur Courtinet ! Les gens qui s’opposent à nos désirs ne viennent jamais trop tard. Mais les voici.

 

 

Scène VII

 

MESSIEURS COURTINET père et fils, MADAME DE PONTERAN, JAVOTE, MARIANE, JONQUILLE

 

MONSIEUR COURTINET père.

En vérité, Madame, nous avons eu bien de la peine à gagner votre logis.

MONSIEUR COURTINET fils.

Il est vrai, Madame, que pour nous approcher de vous, il a fallu passer sur le ventre à la canaille qui est dans la place.

MARIANE.

Je vous suis bien obligée Monsieur.

MADAME DE PONTERAN.

Enfin nous y voici. Qu’on avertisse Monsieur Martinet. Si Monsieur n’avait pris la peine de descendre, nous serions encore à deux cents pas d’ici.

MONSIEUR COURTINET.

L’impatience où j’étais, Madame, de comparaître devant une si charmante personne, m’a fait sauter du carrosse pour faire ouvrir le passage à nos chevaux. Quelques coups de canne ont été délivrés par mon bras sur les épaules de plusieurs insolents qui ne connaissent pas les gens de qualité sous le manteau.

JAVOTE.

Que ne preniez-vous votre habit de Cavalier, vous leur auriez imprimé plus de respect.

MONSIEUR COURTINET fils.

Je le voulais bien aussi ; mais mon père n’a pas voulu.

MONSIEUR COURTINET père.

Quand il est question de signer un Contrat de mariage, on ne saurait être trop modestement vêtu.

MONSIEUR COURTINET fils.

Je me moque de la modestie, pourvu que j’aie le bon air.

MONSIEUR COURTINET père.

Il est vrai, Madame, que mon fils est encore mieux fait en habit d’épée. Je voudrais que vous le vissiez à notre Campagne, vous le prendriez pour un petit Général d’armée.

JAVOTE.

Ou pour un déserteur de Milice.

MONSIEUR COURTINET fils.

Franchement cet équipage-ci ne me plaît guère.

JAVOTE.

Et comment faites-vous donc quand vous avez votre robe sur le corps.

MONSIEUR COURTINET fils.

Ho je ne la porte que pour aller au Palais ; et si quand je marche par la Ville, on ne me prend pas pour un Avocat, non ? je passe par des rues où je ne suis pas beaucoup connu, et je me fais porter ma robe ; il n’y a qui que ce soit qui ne me prenne tout au moins pour un Conseiller.

JAVOTE.

On appelle cela se faire porter la queue incognito.

MONSIEUR COURTINET fils.

Mais Madame me paraît bien rêveuse.

MARIANE.

Point du tout.

MONSIEUR COURTINET fils.

Ho je vois bien que si : mais quand vous aurez entendu lire les clauses de nôtre Contrat de mariage, comme nous venons de faire avec Madame votre mère, et que vous y verrez en quels termes sont stipulés les avantages Matrimoniaux dont on y fait mention, peut-être que vous perdrez cette taciturnité qui se dénote sur votre front, et que vous remarquerez par le style élégant du Conseiller Gardenotte, que le feu dont je me sens brûler pour vous ne peut être plus violent.

JAVOTE.

Voilà une déclaration d’amour sur du papier timbré.

MARIANE.

Je suis bien redevable à toutes vos bontés.

MONSIEUR COURTINET fils.

Ho cela n’est rien encore. Vous en verrez bien d’autres quand nous serons mariez.

MADAME DE PONTERAN.

Voici Monsieur Martinet.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR MARTINET, MESSIEURS COURTINET, MADAME DE PONTERAN, MARIANE, JAVOTE

 

MONSIEUR MARTINET.

On vient de m’avertir, Madame, que vous n’attendiez plus personne ; quand il vous plaira je ferai entendre à ces Messieurs le Concert que vous m’avez dit de leur préparer.

MONSIEUR COURTINET.

En vérité, Madame, voilà qui est trop galant. Un Concert, c’est surprendre les gens de la manière du monde la plus agréable.

MADAME DE PONTERAN.

Ne vous attendez, je vous prie à rien d’extraordinaire, quelque habile que soit Monsieur Martinet, ce n’est que pour vous désennuyer en attendant le Feu d’artifice et le Notaire.

MONSIEUR MARTINET.

Mon habileté, Madame, n’entre ici pour rien. Vous savez que ce que je fais chanter ordinairement n’est pas de ma composition.

MONSIEUR COURTINET.

Comment, Monsieur, vous approuvez celle des autres.

MONSIEUR MARTINET.

Oui, Monsieur, quand elle est bonne, et vous en jugerez par le choix que j’ai fait de quelques airs des fêtes de l’Amour et de Bacchus.

MONSIEUR COURTINET.

Voilà qui est extraordinaire.

MONSIEUR MARTINET.

Extraordinaire tant qu’il vous plaira, c’est ma méthode. Il est vrai que pour donner quelque espèce de nouveauté à mes Concerts, je fais changer assez souvent les paroles, comme vous allez entendre ! mais sans altérer la Musique de cet illustre Maître que nous avons trop tôt perdu, sûr, comme je le suis, que ses chants seront toujours admirés, et que les vers que je fais faire ne peuvent être guère plus mauvais que ceux de certains Opéra.

MONSIEUR COURTINET.

Vous êtes le seul à Paris de votre espèce.

MONSIEUR MARTINET.

Voici tout mon monde. Qu’on apporte ici le clavecin.

 

 

Scène IX

 

MADAME DE PONTERAN, MESSIEURS COURTINET, MONSIEUR MARTINET, MARIANE, JAVOTE, LA MOTTE et L’ÉPINE en filles

 

MONSIEUR MARTINET.

Madame ! voilà deux Demoiselles qui viennent pour se présenter à l’Opéra. Elles m’ont pas la voix extrêmement belle ; mais elles connaissent le chant, et je ne doute pas qu’elles me soient reçues.

MADAME DE PONTERAN.

Il me semble qu’elles ne sont pas assez bien faites pour s’y exposer.

MONSIEUR COURTINET fils.

Les rossignols me sont pas beaux, Madame ; et d’ailleurs leur réception ne dépend que du protecteur qu’elles choisiront.

MADAME DE PONTERAN.

Des sièges.

MONSIEUR COURTINET.

Ne serez-vous point bien surprises, Mesdemoiselles, quand il vous faudra chanter devant tant de monde ? pour moi je tremble quand je suis obligé de parler à l’Audience.

L’ÉPINE.

Ce n’est pas la première fois, Monsieur, que j’ai paru en public. Je sors de l’Opéra de Lyon, où je puis dire, sans vanité, que j’étais adorée.

MONSIEUR COURTINET fils.

Pourquoi l’avez-vous quitté.

L’ÉPINE.

Monsieur, je suis bien aise de me faire connaître à Paris.

MONSIEUR COURTINET fils.

Mais êtes-vous sûre d’y être autant adorée ?

L’ÉPINE.

Vous attaquez ma modestie.

MONSIEUR COURTINET fils.

Il y a un certain manège à savoir pour s’attirer des partisans.

L’ÉPINE.

Ha pour cela, Monsieur, je n’ai que faire de leçons Je ferai ici ce que j’ai fait à Lyon. Je tâcherai de mettre le Théâtre dans mes intérêts. En entrant sur la Scène, je marcherai sur le pied à l’un ! je pincerai l’autre ! je prendrai des airs innocents et enjoués ! Je flatterai celui-là ! Je serai en un mot un vrai périt lutin dans les coulisses. Je ferai par mes regards la revue des loges et de l’amphithéâtre, par de tendres œillades j’irai relancer jus qu’au paradis et dans le fond du parterre tous ceux que je jugerai ne me pouvoir refuser le brou haha. Ce brou haha me fera rougir. Alors j’affecterai une manière de pudeur qui me siéra fort bien. Je me détournerai avec un air penché, et je mettrai négligemment ma main ou mon éventail sur mon visage.

MONSIEUR COURTINET.

Elle a toute la mine de le faire comme elle le dit.

MONSIEUR COURTINET.

Et vous, Mademoiselle, aurez-vous aussi le courage...

LA MOTTE.

Du courage, Monsieur ? Par la sangbleu il faut bien que nous en ayons.

L’ÉPINE.

Es-tu fou ?

MADAME DE PONTERAN.

Comme cette fille parle.

LA MOTTE.

Monsieur, je ne chante que dans le corps.

L’ÉPINE.

Elle veut dire dans le chœur.

LA MOTTE.

Et je serai toujours bien escortée quand on me détachera.

L’ÉPINE.

Elle entend par là, qu’elle chantera quelque fois en trio.

MADAME DE PONTERAN.

Allons, Monsieur Martinet, faites commencer s’il vous plaît.

On joue une ouverture, après laquelle LA MOTTE chante[1].

La disette des chapeaux
Donne un teint pâle aux coquettes,
Officiers vieux et nouveaux
Négligeant leurs amourettes,
Se rangent à leurs drapeaux.

Prenez, Philis, vos cornettes,
Remettez vos vieux manteaux,
Vous n’aurez que les fleurettes
Des Abbés et des Courtauds.

MONSIEUR COURTINET.

Madame.

MADAME DE PONTERAN.

Monsieur Martinet.

MONSIEUR COURTINET.

Allons, Mademoiselle, à vous.

L’ÉPINE.

Je vais chanter épouvantablement mal, car je n’ai point de corps.

Il chante.

Certains Avocats nigauds
Fatiguent par leurs sornettes ;
Ils sont riches, mais si sots,
Que les plus minces grisettes
Se moquent de ces badauds.

Prenez Philis vos cornettes, etc.

MONSIEUR COURTINET.

Que veut dire ceci ?

LA MOTTE.

Paris n’est qu’un Village,
Voici le temps
Que la guerre a chassé la fleur de nos galants.
Que nous reste-t-il en partage ?

L’ÉPINE.

Procureurs, Avocats, l’ennuyeux assemblage !

MONSIEUR COURTINET.

Quoi les Procureurs aussi Madame.

MADAME DE PONTERAN.

Monsieur Martinet.

LA MOTTE.

Pour moi je n’y saurais songer
Sans m’affliger,
Et comment faire,
Ah ! c’est ma chère
Pour enrager.

L’ÉPINE.

Ce malheur nous doit rendre sages,
Laisse venir un autre temps.

LA MOTTE.

Pour nous venger de ces visages,
À cet hiver je les attends.

MONSIEUR COURTINET.

Mon fils on nous joue.

MONSIEUR COURTINET fils.

Je crois que vous avez raison. On se moque ici de nous.

L’ÉPINE.

Hé, Monsieur, ne vous chagrinez point, cette raillerie n’est faite que pour certains Avocats et certains Procureurs.

MONSIEUR COURTINET.

Ah, c’en est trop.

MADAME DE PONTERAN.

Monsieur Martinet, finissez votre Concert, je vous prie... Messieurs, je vous demande mille pardons...

MONSIEUR COURTINET.

Chez vous, Madame, chez vous ?

MADAME DE PONTERAN.

Soyez persuadez, je vous prie...

MONSIEUR COURTINET fils.

Nous traiter de visages

MADAME DE PONTERAN.

C’est une pièce qu’on me fait assurément.

MONSIEUR COURTINET.

Hé, Madame, encore une fois, nous avons des yeux et des oreilles.

MADAME DE PONTERAN.

Vous pouvez m en croire, puisque je vous le dis. Je suis au désespoir.

MONSIEUR COURTINET.

Nous n’avons que faire de vos excuses.

L’ÉPINE.

Vous plaît-il qu’on recommence ?

MONSIEUR COURTINET.

Monsieur allons-nous-en, elles nous vont encore chanter pouilles.

MONSIEUR COURTINET.

Allons, je mérite bien le tour qu’on me joue, puisque j’ai été assez fou pour remettre le pied chez vous.

MADAME DE PONTERAN.

Si vous voulez m’écouter, vous verrez que je n’ai aucune part...

MONSIEUR COURTINET.

Hé nous vous connaissons il y a longtemps. Ce n’est pas la première fois qu’on nous traite mal chez vous.

JAVOTE.

Dieu veuille que ce soit la dernière.

MADAME DE PONTERAN.

Ho bien, Messieurs, croyez tout ce qu’il vous plaira.

MONSIEUR COURTINET.

Oui, Madame, nous croirons ce qu’il faut croire. Allons sortons, et renonçons pour jamais à l’alliance de gens qui se moquent de nous.

MADAME DE PONTERAN.

Oh pour cela vous me faites plaisir.

JAVOTE, à Monsieur Martinet qui sort.

Bon, allez avertir Clitandre.

MONSIEUR COURTINET fils.

Par la sangbleu, Madame, vous irez chercher vos visages ou bon vous semblera.

JAVOTE.

Ils s’en vont Madame.

MADAME DE PONTERAN.

Qu’ils fassent tout ce qu’ils voudront ; mais je veux savoir absolument d’où ceci peut venir. Je ne suis pas dupe, et ces Demoiselles ne sortiront point d’ici que je ne sache la vérité.

L’ÉPINE.

Madame, on nous attend pour une répétition.

MADAME DE PONTERAN.

Je me moque de vos répétitions, holà quelqu’un. Où donc est allé Monsieur Martinet.

LA MOTTE.

Vous serez cause, Madame, qu’on me mettra en arrêt.

MADAME DE PONTER N.

Laquais ne laissez point sortir ces femmes.

 

 

Scène X

 

MADAME DE PONTERAN, LE NOTAIRE, MARIANE, JAVOTE, LA MOTTE, L’ÉPINE, et LES LAQUAIS

 

LE NOTAIRE.

Voici Madame, le Contrat prêt à signer. Où sont donc Messieurs Courtinet.

MADAME DE PONTERAN.

Ah, Monsieur, ils sortent d’ici dans une colère horrible, et moi même je ne me connais pas ! mais je veux être éclaircie. Javote allez quérir un Commissaire.

 

 

Scène XI

 

CLITANDRE, MADAME DE PONTERAN, LE NOTAIRE, MARIANE, JAVOTE, LA MOTTE, L’ÉPINE, LES LAQUAIS

 

CLITANDRE.

Non, Madame, il n’est pas nécessaire, et je vous livre le coupable.

MADAME DE PONTERAN.

Que vois-je, Clitandre en ces lieux.

LE NOTAIRE.

Clitandre !

CLITANDRE.

Vous savez mon amour, Madame, faut-il vous en dire davantage ?

MADAME DE PONTERAN.

Que je suis surprise.

LE NOTAIRE.

Quoi ! vous êtes Monsieur Clitandre.

CLITANDRE.

Oui, Monsieur. En arrivant ce matin, j’ai appris que vous donniez ce soir votre fille à Monsieur Courtinet.

LE NOTAIRE.

Clitandre, neveu du Comte d’Orsan ?

CLITANDRE.

Oui, Monsieur, cette nouvelle m’a mis dans un désespoir si terrible...

LE NOTAIRE.

Vous n’avez donc pas reçu certain paquet...

CLITANDRE.

Hé non, Monsieur. Enfin, Madame je me suis cru tout permis pour me conserver l’objet de mon amour.

LE NOTAIRE.

Ce paquet est pourtant de grande conséquence pour vous.

CLITANDRE.

Soit, Monsieur. Mais si mes gens ont été assez malheureux pour outrer la chose...

LE NOTAIRE.

Le Comte d’Orsan en mourant me l’avait bien recommandé.

CLITANDRE.

Que dites-vous ?

MADAME DE PONTERAN.

Qu’entends-je ?

LE NOTAIRE.

Je vous envoyais par son ordre l’extrait de son testament.

CLITANDRE.

Mon oncle est mort !

LE NOTAIRE.

Oui, depuis quatre jours.

CLITANDRE.

Oh Ciel !

LE NOTAIRE.

Ne vous affligez point, il vous laisse dix mille livres de rente pour vous consoler.

L’ÉPINE.

Bonne consolation.

CLITANDRE.

Si quelque chose peut adoucir le chagrin de cette perte, c’est de vous seule, Madame, que je dois l’attendre.

MADAME DE PONTERAN.

Oui, Clitandre, je vous donne ma fille, Messieurs Courtinet s’en sont rendus indignes par le peu d’égards qu’ils ont eus à toutes les honnêtetés que je viens de leur faire ; mais surtout n’ayez plus de commerce avec ces Demoiselles.

L’ÉPINE.

Plus de commerce, Madame ? qui voulez-vous donc qui l’habille, et qui lui peigne sa perruque ?

LA MOTTE.

Qui lui fera ses recrues si ce n’est moi ?

JAVOTE.

Madame, il faut tout pardonner... Cette Demoiselle est son Valet de chambre, et l’autre est son Sergent.

LA MOTTE.

Allons, Madame, une amnistie générale.

L’ÉPINE.

N’êtes-vous pas bienheureuse que nous vous ayons délivrée de ce vilain Avocat ?

MADAME DE PONTERAN.

J’oublie tout ce qui s’est passé.

L’ÉPINE.

Ce n’est pas assez. Il me faut une récompense. Javote m’adore. Je crois que je ne la haï pas, donnez la moi, s’il vous plaît.

MADAME DE PONTERAN.

Il y a trop d’intelligence entre vous pour te la refuser.

L’ÉPINE.

Grand merci.

MADAME DE PONTERAN.

Montons dans mon cabinet pour dresser un autre Contrat.

LA MOTTE.

Et moi n’aurai je rien ?

JAVOTE.

Viens manger ta part du souper préparé pour Messieurs Courtinet, et nous verrons en suite ensemble le Feu d’artifice.

LA MOTTE.

Je ne serai pas le plus mal partagé.


[1] Sur la Scène de l’Opéra des fêtes de l’Amour et de Bacchus. Ici l’ombre des ormeaux donne un teint frais aux herbettes.

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