Le Carillon de Saint-Mandé (Charles FOLIGUET - Paul SIRAUDIN)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 19 mars 1846.

 

Personnages

 

COQUET, 45 ans

CORADIN, 25 ans

LE COMTE DE CRÉPY, 30 ans

PLUMASSEAU, domestique de Coquet, 25 ans

DELPHINE, femme de Coquet, 20 ans

CÉLINE, nièce de Coquet, 18 ans

 

La scène se passe à Saint-Mandé.

 

La scène est divisée en deux parties inégales. À droite du public une petite pièce, tenant le tiers du théâtre dont la porte principale, celle d’entrée, donne aussi sur la pièce de droite ; le 2e plan une autre porte plus petite faisant face au public conduit au jardin ; 1er plan à droite, donnant dans la coulisse une fenêtre ayant vue sur le jardin ; à la naissance de la cloison un meuble servant de caisse ; au-dessus de la porte du fond cinq sonnettes de différentes grosseurs sont placées les unes à côté des autres. La pièce de gauche tient les 273 de la scène ; au 1er plan de gauche la porte de la chambre de Delphine ; 3e plan, toujours à gauche, celle de Céline ; à droite 3e plan, celle de la cuisine. Au fond, la porte d’entrée faisant face au public, deux fenêtres de chaque côté de la porte ayant chacune une sonnette ; quatre chaises ; deux au fond, entre la porte et les fenêtres,, deux autres de côté entre les deux portes de gauche. Un petit bureau à gauche.

 

 

Scène première

 

PLUMASSEAU, en dehors sous la fenêtre gauche de la pièce de gauche, puis COQUET

 

PLUMASSEAU chante.

Dans les gardes françaises...

S’arrêtant.

Allons bon ! cette satanée chanson ne me sort pas de la tête...

Il continue à travailler.

COQUET, entrant précipitamment par la porte de face dans la pièce de gauche, bruit de sonnette[1].

Personne ne m’a vu rentrer, tant mieux... je suis dans des transes perpétuelles. Ce gredin de Poulailler... ce fameux voleur, s’il me savait ici... je serais perdu... mais non... s’il avait le malheur de montrer le bout de son nez ici... je sais bien où je le mettrais (pas son nez, lui, Poulailler)... je le mettrais en prison... heureusement, grâce à mes sonnettes...

PLUMASSEAU, sans être vu, chantant.

Dans les gardes françaises...

COQUET.

On chante... qui donc !... oh ! c’est Plumasseau... mon jardinier... je crains toujours...

Il regarde à la fenêtre de gauche qui est dans la pièce de gauche.

Ah ! ça, mais Dieu me pardonne... c’est encore. le jeune homme d’hier... que je vois là-bas... l’œil braqué sur ma maison... cela m’inquiète...

PLUMASSEAU, entrant en scène par la fenêtre sous laquelle il travaille, et qui était ouverte.

Mon ouvrage est faite !...

Il saute pesamment.

COQUET, effrayé.

Qui va là ?

PLUMASSEAU.

C’est moi, Monsieur...

COQUET.

Ah ! c’est toi, animal !...

PLUMASSEAU.

Vous avez dit, Monsieur ?...

COQUET.

J’ai dit imbécile !...

PLUMASSEAU.

Pardon... j’avais entendu animal... mais dès l’instant que ce n’est qu’imbécile...

COQUET.

Qu’est-ce que tu faisais-là à cette fenêtre ?...

PLUMASSEAU.

Je m’occupais des bourgeons... c’est fait... maintenant... je vas entamer le poulailler...

COQUET, effrayé.

Poulailler !... il me fait des frayeurs !... diable de nom !... laisse-là ta vigne... et viens ici, j’ai à te parler.

PLUMASSEAU.

Me voilà, bourgeois...

COQUET.

D’abord, je te défends de m’appeler bourgeois... ça me déplaît... ça m’offense...

PLUMASSEAU.

C’est bon, notre bourgeois !...

COQUET.

Imbécile !...

PLUMASSEAU.

Vous avez dit ?...

COQUET.

J’ai dit animal !...

PLUMASSEAU.

À la bonne heure... j’ai cru avoir entendu... mais dès l’instant que ce n’est que...

COQUET.

Écoute-moi bien... depuis deux jours que nous avons quitté Paris, pour nous installer ici, à Saint-Mandé, n’as-tu pas vu rôder autour des murs, un jeune homme, perruque poudrée... figure suspecte... œil fauve...

PLUMASSEAU.

Oui, bourgeois !...

COQUET.

Ah !...

PLUMASSEAU.

Hier, encore au point du jour... il a fourré son nez à travers la grande grille... du parc... j’étais occupé... à ratisser... il m’a appelé...

COQUET.

Ah !...

PLUMASSEAU.

Et il m’a interrogé sur votre compte...

COQUET.

Bah !... et qu’as-tu répondu pour le dérouter ?...

PLUMASSEAU.

Tout ce que je savais sur vous !...

COQUET.

Qu’est-ce à dire ?

PLUMASSEAU.

Tout ce que je savais d’agréable... sur vous... puis il m’a questionné sur vos habitudes...

COQUET.

Sur mes habitudes ?... ah ! ah !...

PLUMASSEAU.

Et sur les localités.

COQUET.

C’est un voleur !. continue...

PLUMASSEAU.

Alors, voyant que je ne répondais pas sur cet article, il m’a offert de l’or !...

COQUET.

De l’or ?... c’est un amant !... et tu as accepté cet or ?...

PLUMASSEAU.

Oui, bourgeois.

COQUET.

Comment ?...

PLUMASSEAU.

Oui, mais je ne l’ai pas gardé...

COQUET.

À la bonne heure !...

PLUMASSEAU.

Je me suis acheté une culotte avec...

COQUET, haussant les épaules.

Enfin !...

PLUMASSEAU.

Enfin... il m’a demandé la permission de se promener dans votre parc...sous le prétexte d’admirer vos gueules de loup.

COQUET.

Il veut admirer mes gueules... et tu n’as pas, j’espère, donné dans ce panneau grossier.

PLUMASSEAU.

Si fait... j’y ai donné en plein !

COQUET.

Comment ?

PLUMASSEAU.

J’ai donné dans ce panneau, grossier c’est vrai... mais je n’y ai pas ouvert la porte...

COQUET.

Très bien !

PLUMASSEAU.

Et je l’ai entendu murmurer ces mots atroces : je reviendrai !... rien ne m’arrêtera... je pénétrerai ici malgré ce...

COQUET.

Ce quoi ?...

PLUMASSEAU.

Je n’ai pas saisi parfaitement l’objet auquel il vous comparaît... mais ce que je sais, c’est que le mot finissait par nichon...

COQUET.

Nichon... ah ! j’y suis... c’est de toi qu’il voulait parler...

PLUMASSEAU.

Oh ! non, non... car il a dit je pénétrerai ici malgré ce... nichon de M. Coquet !...

COQUET.

Tu es bien sûr.

PLUMASSEAU.

Très sûr... et maintenant que j’y pense... je crois que je devine le mot...

COQUET.

C’est bon !... c’est bon !... maintenant je n’en doute plus... Poulailler... est par ici...

PLUMASSEAU.

Poulailler... ce fameux gredin qui ne respecte aucune serrure...

COQUET, à lui même.

Il veut me rendre visite... ainsi qu’il me l’a promis... le jour fatal où... mais chassons cet horrible souvenir !

PLUMASSEAU.

Vous avez raison, Monsieur !... ne me parlez pas de ce brigand-là... on dit qu’il ne s’en prend pas seulement aux bijoux... mais encore qu’il est très amateur de jolies femmes... et la vôtre...

COQUET.

Tais-toi !...

PLUMASSEAU.

Oh ! monsieur, si jamais on vous enlevait votre femme, ça me ferait bien de la peine...

COQUET.

Merci !...

PLUMASSEAU.

Ça me remettrait en mémoire mon anecdote...

COQUET.

Tu as une anecdote ?

PLUMASSEAU.

Terrible !... il y a cinq ans !... Monsieur... je me mariai...

COQUET.

Ah ! tu es marié ?

PLUMASSEAU.

Je suis plus que marié...

COQUET.

Tu es veuf ?...

PLUMASSEAU.

Je suis plus que veuf ; je suis... vous allez voir... je venais donc de me marier... avec une rosière... (notez ceci)... j’avais invité à ma noce... entr’autres parents, une compagnie de gardes-françaises... en séjour à Saint-Cloud, où je demeurais... ma femme que j’avais ornée de toutes mes économies... c’es-tà-dire d’une foule de bijoux... s’en revenait sous mon bras... après la cérémonie du conjungo... lorsqu’un garde-française se présente à nous... m’accable de félicitations... m’embrasse moi et ma femme, puis sans façon s’empare du bras de mon épouse... pour la conduire à la maison.. moi, bon enfant, je passe devant, j’ouvre la marche... j’arrive chez nous, je fais préparer le repas... le repas prêt...tous les convives présents... pas de femme... deux heures... pas de femme... trois jours, pas de femme... enfin, Monsieur, voilà cinq ans que j’attends... pas de femme !...   

COQUET.

Pauvre garçon !...

PLUMASSEAU.

Ce gueux de garde-française m’avait volé mon épouse, ornée de ses bijoux... aussi... Monsieur... si jamais on vous volait votre moitié... je compatirais à vos douleurs... par contrecoup...

COQUET.

Merci bien... et pour m’éviter ce chagrin-là... tu vas te mettre en faction autour de ma propriété... quand la nuit sera arrivée... tu chargeras ton fusil... et si quelqu’un escaladait ma clôture... tu tirerais dessus, net... comme torchette ?

PLUMASSEAU.

Comptez sur moi... et pour plus de sûreté je vas lâcher Mahomet, votre bouledogue.

On entend sonner une cloche.

TOUS.

Hein ?

PLUMASSEAU.

Qui est-ce ?

COQUET.

Ah ! c’est sans doute... le comte de Crépy, un de mes amis... qui doit venir me rendre visite... va voir, demande-lui son nom, ses titres, et ne laisse entrer que le comte de Crépy, entends-tu bien.

PLUMASSEAU.

Soyez paisible.

Au moment où il va sortir par le fond, en ouvrant la porte, il fait agir une des cinq sonnettes ; revenant sur ses pas.

Vous sonnez...

COQUET.

Ce n’est rien... va !...

PLUMASSEAU.

C’est drôle ! depuis deux jours j’ai une sonnerie dans la tête.

Il sort.

 

 

Scène II

 

COQUET, puis DELPHINE

 

COQUET regarde à la fenêtre du fond.

Je ne me trompais pas c’est lui, ce cher comte de Crépy... je vais au devant de lui.

Au moment où il va pour sortir, sa femme sort de sa chambre. Une sonnette s’agite.

Ma femme...

DELPHINE.

Avez-vous entendu, monsieur Coquet, on sonne à la grille.

COQUET.

C’est lui, Delphine.

DELPHINE.

Qui, lui ?

COQUET.

Lui, dont je t’ai parlé déjà, le comte de Crépy, qui me fait l’honneur de nous visiter... mais je cours au devant de lui, et je te l’amène.

Il sort.

 

 

Scène III

 

DELPHINE, seule

 

Le comte de Crépy ? En vérité ce pauvre Coquet est fou... d’aller se lier... avec des gens titrés... lui, un simple bourgeois... où cela le mènera-t-il ?... Eh ! mais... ah ! mon Dieu !

Elle regarde à la fenêtre.

c’est lui... mon inconnu... celui qui me faisait la cour, ces jours derniers... M. Coquet cause avec lui... il vient ici... je ne veux pas le voir...

Elle rentre dans sa chambre.

 

 

Scène IV

 

COQUET, LE COMTE DE CRÉPY, PLUMASSEAU, UN DOMESTIQUE du Comte

 

COQUET, à la cantonade.

Entrez, monsieur le comte... que je vous présente à ma femme...

Ils entrent.

Tiens !... personne !... je vais l’appeler.

LE COMTE.

Ne la dérangez pas pour moi, je vous en prie... à la campagne, pleine et entière liberté... Champagne !...

À Coquet.

Vous permettez...

COQUET.

Faites donc.

PLUMASSEAU, regardant attentivement le comte.

C’est particulier... je connais cette tête...

LE COMTE, bas à Champagne.

Visite les localités, prends note de toutes les issues praticables... surtout, ne bavarde pas... un mot, un seul mot peut tout perdre... va !...

Champagne sort. Haut.

Vous voyez, cher ami, j’en agis sans façons avec vous.

PLUMASSEAU.

Çà doit être lui.

LE COMTE.

Ah ça ! cher ami... est-ce que vous ne pourriez pas me débarrasser de çà ?...

COQUET.

De quoi ?

PLUMASSEAU, se retournant.

De quoi ?

LE COMTE.

De toi, animal !

PLUMASSEAU.

De moi, animal ?

COQUET.

Oui, de toi, imbécile !...

PLUMASSEAU.

Je m’appelle Plumasseau.

LE COMTE, à part.

Plumasseau... tiens ! le mari de la petite... il n’est pas changé...

PLUMASSEAU, à part.

C’est égal... faudra que je sache à quoi m’en tenir sur celui-là.

COQUET.

Sortiras-tu, imb...

PLUMASSEAU.

Je connais le mot, monsieur, n’achevez pas... je sors...

 

 

Scène V

 

LE COMTE DE CRÉPY, COQUET

 

COQUET.

Je vous prie d’excuser l’impertinence de ce valet...

LE COMTE.

Bagatelle !...Ah ça ! dites donc, mon bon, vous êtes logé délicieusement... comme un gentilhomme.

COQUET.

Oui... un petit œil-de-bœuf assez gentil. Je le tiens d’un marquis qui s’est ruiné au biribi, mon ami... il m’en a fait cadeau.

LE COMTE.

Ah !

COQUET.

Pour dix mille écus !... mais, savez-vous que c’est fort aimable à vous... de quitter vos plaisirs... Versailles... la cour... pour venir vous exiler à Saint-Mandé.

LE COMTE.

Aussi, mon bon... sachez-moi gré de ma présence ici... je vous ai sacrifié une femme charmante...

COQUET.

Une comtesse... une duchesse...

LE COMTE.

Une bourgeoise...

COQUET, avec dédain.

Une bourgeoise... ah ! pouah !...

LE COMTE.

Votre opinion sur les bourgeoises me paraît exagérée... surtout si vous saviez... combien cette femme est séduisante...

COQUET.

Vraiment ? ah ! contez-moi çà !...

LE COMTE.

Je me trouvais, il y a huit jours, au spectacle de la foire Saint-Laurent...

COQUET.

Quoi !... vous allez...

LE COMTE.

Il faut bien s’encanailler un peu pour s’amuser... donc, je rencontrai à la foire Saint-Laurent... une petite femme... 20 ans au plus... œil vif... tournure agaçante... et d’une pruderie...

COQUET.

Ah bah ! bégueule !...

LE COMTE.

Oui, mon cher... et j’eus toutes les peines du monde... à lui faire entendre que je l’adorais... elle résistait !...

COQUET.

C’est inouï ! une bourgeoise, une boutiquière, sans doute...

LE COMTE.

Enfin, je parvins à arracher...

COQUET.

Un aveu ?...

LE COMTE.

Non... une bague, fort jolie, ma foi !... qu’elle portait à son doigt !...

COQUET.

Et le lendemain, sans doute, sous le prétexte de venir chercher sa bague...

LE COMTE.

Non... je ne l’ai point revue... mais j’ai un souvenir d’elle... cela me suffit.

COQUET.

Ah ! cela vous suffit...

LE COMTE.

Eh ! mon cher, ce qu’il y a de plus charmant dans l’amour, ce sont ces petits soins, ces petites attentions, c’est surtout cette crainte... cette pudeur délicieuse de la femme... c’est le premier serrement de main... le frôlement de sa robe... ah ! il y a dans tous ces petits riens, un charme indéfinissable... qui n’est pas encore l’amour, mais qui vaut mieux que l’amour lui-même.

COQUET.

Ce n’est pas mon genre, à moi... en amour, je suis rond... je suis excessivement rond.

LE COMTE.

Ah ! vous ignorez... quel sentiment délicieux j’éprouve, lorsque le soir en rentrant chez moi... je puis m’entourer de tous les souvenirs qui représentent à mon esprit les jeunes beautés... que j’ai courtisées... Tantôt, mon éloquence m’a fait obtenir de l’une un médaillon, de l’autre une bague, de celle-ci un collier... de celle-là un mouchoir brodé.

Air : Du Piège.

Tous ces objets ont pour moi bien du prix :
Ce sont des faveurs peu communes ;
Ces diamants, ces joyaux, ces rubis
Sont autant de bonnes fortunes ;
Et ces trésors s’augmentent chaque jour,
Grâce aux beautés qu’aisément je sais prendre.
Enfin j’ai tant de souvenirs d’amour...

COQUET, l’interrompant.

Que vous devez en avoir à revendre.

LE COMTE, à part.

Juste je les prends pour les vendre.

COQUET.

Ah ! ça, mais et votre petite bourgeoise... vous ne cherchez pas à la revoir !...

LE COMTE.

Elle est mariée !...

COQUET.

Elle a un mari !... ah ‘ bien, c’est drôle... faut-il qu’il soit bête celui-là de laisser sa femme seule au spectacle... ce n’est pas moi qui ferais cela...

LE COMTE.

Palsambleu !... vous êtes marié... et votre femme est jeune et jolie... m’avez-vous dit...

COQUET.

Je vous ai dit ça.

LE COMTE.

Vous me l’avez avoué au jeu de paume, où j’ai eu l’honneur de faire votre connaissance..

COQUET.

Eh bien, je ne m’en dédis pas !

LE COMTE.

J’espère... que vous allez me présenter...

COQUET.

Oui, mais n’allez pas vous aviser de la séduire.

LE COMTE.

Ah ! la femme d’un ami !...

COQUET.

Elle est ici, à Saint-Mandé... je l’ai amenée avec moi, je vous la présenterai... mais avant... j’ai besoin de vous dire, de vous raconter des choses bien déplorables.

LE COMTE.

À moi ? dites, dites.

COQUET.

Voici la triste aventure qui m’est arrivée il y a quelque temps.

Soupirant.

Ah !

LE COMTE.

Vous m’effrayez !

COQUET.

Il y a de quoi... vous allez voir... je me promenais tout seul dans le jardin du Palais-Royal sur les onze heures, onze heures et demi du soir... j’étais comme ça, les bras derrière le dos, quand tout-à-coup, je sens quelque chose de froid se glisser dans ma main...je regarde...c’était une montre avec des breloques.

LE COMTE.

Et une chaîne ?

COQUET.

Comment savez-vous ça ?...

LE COMTE.

Je dis... et une chaîne... probablement...

COQUET.

Ah !... et une chaîne... comme je considérais ces objets, un homme affublé d’un long manteau qui lui cachait la figure, me dit ces mots... vous allez frémir...

LE COMTE, souriant.

Je frémis d’avance.

COQUET.

«  – Votre nom ? – Coquet, lui répondis-je tout ébahi. – C’est bien, puis il ajoute : – cette montre que vous tenez-là, je viens de la voler... mais comme on est à ma poursuite, et qu’on pourrait me fouiller en sortant du Palais-Royal, je vous la confie... vous êtes un honnête homme, je sais où vous demeurez, et dans quelques jours, j’irai chez vous vous la redemander... sans adieu... au revoir... je m’appelle Poulailler...

LE COMTE.

Poulailler...

COQUET.

Oui... c’était lui qui me faisait son complice, et qui me promettait de venir me revoir.

LE COMTE.

Et est-il venu ?

COQUET.

Non... grâce à l’heureuse idée que j’ai eue de me claquemurer in petto dans cet endroit...

LE COMTE.

Et vous avez bien fait...

COQUET.

Et je trouve l’idée plus heureuse encore de vous avoir invité à vous rendre chez moi, car, ce scélérat de Poulailler rôde dans les environs... il m’aura suivi, le bandit... mais, en cas d’attaque ou d’invasion, vous serez là...

LE COMTE.

Tout à votre service, cher ami... tout à votre service...

COQUET.

Toutes mes précautions sont prises.

LE COMTE.

Ah ! vraiment.

COQUET.

J’ai imaginé un moyen... j’ai une invention.

LE COMTE.

Voyons cela.

COQUET, allant à la fenêtre de droite au fond.

Tenez, si quelqu’un, par exemple, s’avisait de grimper par la fenêtre, le long du treillage.

LE COMTE, à part.

Ah ! il y a un treillage, c’est bon à savoir.

COQUET.

Il croirait entrer ici, sans bruit, pas du tout.

Il ouvre la fenêtre, bruit de sonnettes.

Drelin, drelin, avertissement spontané !... ah.

LE COMTE, à part.

Diable ! c’est gênant.

COQUET.

Il y a, comme cela, des sonnettes à toutes les fenêtres, mais ce n’est pas tout... venez par ici.

Ils passent dans le cabinet.

Voyez-vous cette collection de sonnettes ?

Il désigne les sonnettes placées au fond du cabinet.

LE COMTE.

Hé bien ?

COQUET.

Elles correspondent à toutes les portes de la maison, et je défie quiconque d’entrer ou de sortir par n’importe quelle chambre sans que j’en sois averti.

LE COMTE.

Mais comment faites-vous pour vous reconnaître au milieu de ces sonnettes.

COQUET.

Très facile !... regardez... chaque sonnette a un son différent et se distingue par sa grosseur. Je les ai baptisées, comme les cloches : je suis leur parrain : la première, celle de la chambre de ma femme, c’est le bourdon ; la deuxième, argentine, répond à la chambre de ma nièce ; la troisième, le tocsin, à la porte d’entrée du salon ; la quatrième, la samaritaine, correspond à la cuisine ; et la dernière clochette m’avertit lorsque l’on touche à la serrure de ce cabinet.

LE COMTE.

C’est admirable !... ah !... et ceci ?

Montrant la caisse.

COQUET.

Ceci ? c’est ma caisse... encore une invention, regardez bien.

Air : de la Robe et des Bottes.

Tenez, je mets la clé dans la serrure :
La porte va céder ; mais crac,
Par une combinaison sûre
Je suis pris la main dans le sac.

Il a le bras pris.

LE COMTE.

Si l’on faisait ainsi toutes les caisses,
Que de gens on attraperait.

COQUET.

Oui dès qu’ils ont la main sur les espèces,
On la leur met sur le collet.

LE COMTE.

Et comment faites-vous pour vous tirer de là ?

COQUET.

J’ai un secret... une autre clef

Il la lui montre.

que vous mettez-là... vous faites un tour, crac !... le ressort se lâche et vous avez la main libre.

LE COMTE.

Mon cher, cette invention est sublime...

À part.

Elle est fort bête !

COQUET.

Aussi, faudra-t-il que Poulailler soit bien fin, si... avec tout cela... il met ma surveillance en défaut.

LE COMTE.

C’est ce que nous verrons !...

 

 

Scène VI

 

LE COMTE, COQUET, DELPHINE, CÉLINE

 

DELPHINE, entrant par la porte de sa chambre dans la pièce de gauche, une sonnette de la collection du cabinet s’agite.

Peut-être est-il parti.

COQUET, au comte, désignant la sonnette.

Tenez, le bourdon, c’est ma femme qui sort de sa chambre.

CÉLINE, entrant par la deuxième porte à gauche dans la pièce de gauche. Même jeu de sonnette.

J’ai entendu quelqu’un... ah ! ma tante...

DELPHINE.

Bonjour Céline.

COQUET, même jeu.

Argentine... voyez-vous !... c’est ma nièce... venez-donc, Monsieur le comte.

Ils passent dans la pièce de gauche avec orgueil.

Je vous présente Monsieur le comte de Crépy.

DELPHINE, troublée, à part.

Il était encore ici !

LE COMTE, saluant.

Mesdames...

À part.

Que vois-je !... ma petite bourgeoise de la foire Saint-Laurent.

COQUET, de même.

Mon meilleur ami, qui daigne nous accorder la faveur de passer quelques jours avec nous.

DELPHINE, à part.

Comment a-t-il pu découvrir ?...

LE COMTE, à part.

Elle me servira d’auxiliaire sans s’en douter.

Passant près de Delphine.

Votre nièce, Monsieur Coquet !...

COQUET.

Non... c’est ma femme.

Représentant sa nièce.

Voici ma nièce.

LE COMTE.

Je les aurais prises pour les deux sœurs... charmantes !

CÉLINE, à Coquet.

Il est galant, M. le comte.

COQUET, triomphant, à Céline.

C’est mon ami... il arrive de Versailles.

Il lui parle bas, en désignant le comte de temps en temps.

LE COMTE, vivement et bas à Delphine.

Ah ! Madame !... j’étais loin d’espérer...

DELPHINE, bas.

Monsieur... mon rubis ?...

LE COMTE, vivement et bien bas.

Ce soir... à neuf heures... je viendrai par cette fenêtre.

Il désigne celle de droite.

Trouvez un moyen pour que la sonnette n’agisse pas.

DELPHINE.

N’y comptez pas !...

COQUET, quittant Céline.

J’y compte, moi... la semaine entière au moins... n’est-ce pas, mon noble ami ?

Ils se séparent vivement.

LE COMTE.

De quoi s’agit-il ?

COQUET.

Céline doute que vous restiez quelque temps ici.

LE COMTE.

Pourquoi cela ? cette habitation renferme des objets charmants.

Il jette un coup d’œil sur Delphine.

DELPHINE, à part, émue.

Comme il m’a regardée !

COQUET, appuyant.

N’est-ce pas ?... n’est-ce pas ?... Trianon... en petit... aussi je suis impatient de vous faire admirer les magnificences de mon palais.

CÉLINE.

Vous nous enlevez déjà M. le comte.

COQUET.

Pour peu de temps.

LE COMTE, à part.

Cette petite est délicieuse... aussi... Elle a un bracelet magnifique.

COQUET.

En même temps, mon noble ami, je vous ferai voir le logement que je vous destine... un pavillon chinois... à l’extrémité du parc... c’est asiatique... Venez-vous ?

LE COMTE.

Je suis à vous.

Bas à Delphine.

À neuf heures... surtout, la sonnette.

Elle ne répond pas.

Elle est émue... elle y sera.

À Coquet.

Allons, mon gentilhomme.

COQUET, glorieux.

Il m’a appelé gentilhomme !...

Air : J’vais prendre au buffet (Bal Mabille.)

V’nez admirer d’ mes bosquets
La fraîcheur et l’élégance,
Et mon pavillon, va, je le pense,
À vos yeux être un palais.

Reprise ensemble.

V’nez admirer, etc.

LE COMTE, à part.

Pour mener à bien tous mes projets,
Agissons avec prudence,
Et, grâce à sa femme, ici, je pense,
Être certain du succès.

DELPHINE à part.

Il est amoureux, il est discret :
Pourtant, je tremble en silence,
Je crains en ces lieux que sa présence
Ne trahisse mon secret.

CÉLINE, à part.

Pour moi sa visite a des attraits !
Je m’ennuyais en silence
Du moins, le plaisir de sa présence
Dissipera mes regrets.

 

 

Scène VII

 

DELPHINE, CÉLINE, dans la pièce de gauche, elle se met à regarder en boudant dans le jardin, à la fenêtre de gauche

 

DELPHINE, sur le devant de la scène.

Je n’en reviens pas !... lui, l’ami de mon mari... et il a osé, ici, en sa présence me parler de son amour... que je dois... que je veux repousser... et ce rendez-vous... ce soir... à neuf heures... Oh ! non... non... ce serait mal... bien mal... et pourtant, ce rubis qu’il m’a pris malgré moi... je tremble à chaque instant que mon mari...

CÉLINE, jetant un cri à la fenêtre.

Ah !

DELPHINE, se retournant.

Quoi donc ?

CÉLINE.

C’est lui !

DELPHINE.

Qui, lui ?

CÉLINE.

M. Coradin... ce jeune homme qui était derrière nous à la foire Saint-Laurent...

DELPHINE.

Le fils de l’employé aux gabelles.

Elle va voir.

CÉLINE.

Oui... il m’envoie un baiser par-dessus le mur.

DELPHINE.

Il ne faut pas le recevoir.

CÉLINE.

Le baiser !... le moyen de faire autrement, il est envoyé.

DELPHINE.

Que veut-il nous faire comprendre avec ses signes ?

CÉLINE.

Il nous demande si nous pouvons sortir... impossible... mon oncle le défend.

Elle fait signe.

Il se retire désespéré... pauvre jeune homme !

Elles descendent en scène.

DELPHINE.

Qui a pu lui dire que nous étions à Saint-Mandé ?

CÉLINE, naïvement.

C’est moi !...

DELPHINE, surprise.

Toi ?

CÉLINE.

Oui... au spectacle... quand il m’a demandé la permission de me revoir...

DELPHINE.

Tu as donc causé avec lui ?

CÉLINE.

Oui... tandis...

Hésitant.

tandis... que tu causais avec monsieur... le comte...

DELPHINE.

Quoi... tu as remarqué ?...

CÉLINE, vivement.

Oh ! rien !... je n’ai rien vu... j’étais occupée à regarder le spectacle... et puis...

Plus timidement.

Il fallait bien lui répondre... ses demandes étaient si honnêtes... si polies... c’était la première fois qu’il m’adressait la parole...

DELPHINE.

Tu l’avais donc déjà vu ?

CÉLINE.

Oui... pouvais-je l’éviter... il était toujours derrière nous... à la promenade... il me regardait d’un air si doux !

DELPHINE, la fixant.

Céline !...

CÉLINE.

Air : Une récompense promise, (Carlin de la marquise.)

Sa voix est si douce et si tendre !
Que, malgré moi,
J’avais du plaisir à l’entendre.

DELPHINE.

Prends garde à toi !

CÉLINE.

Qu’ai-je à craindre ?... Il paraît docile.

DELPHINE.

Retiens cela,
Feindre d’aimer est si facile :
Le mal est là.

CÉLINE.

Son impatience est si grande,
Que de ma main
Il veut faire, ici, la demande.

DELPHINE.

Est-ce certain ?
De chaque amoureux le langage
Nous dit cela ;
De la promesse en mariage
Le mal est là.

CÉLINE, naïvement.

Oh ! mais il a de bonnes intentions...

DELPHINE.

Alors, qu’il se présente.

CÉLINE.

Il n’ose peut-être pas... il m’a paru d’abord bien timide... quelle différence avec M. le comte de Crépy... en voilà un qui est hardi...

DELPHINE.

Audacieux !...

À part.

Mais je ne veux pas l’écouter... et quand il m’aura rendu mon rubis...

 

 

Scène VIII

 

DELPHINE, CÉLINE, COQUET

 

COQUET.

J’ai laissé mon ami le comte avec son valet dans le pavillon chinois... Il en est enchanté... et de moi aussi... je me conduis fort bien avec la noblesse... Eh bien, ma femme, que dis-tu de mon ami ?... tu ne me félicites pas ?...

DELPHINE, avec ironie.

Si fait !... vous ne pouviez mieux choisir.

COQUET.

Et toi, ma petite Céline... voilà de la société... nous ne serons plus seuls.

CÉLINE.

Ah ! mon bon petit oncle, vous seriez bien plus gentil, si vous nous emmeniez faire un tour dans le bois.

COQUET, effrayé.

Dans le bois ?... y penses-tu ?

CÉLINE.

Oui... il fait si beau... un soleil magnifique.

À part.

Il oserait peut-être aborder mon oncle... je l’encouragerais d’un regard...

DELPHINE.

Céline a raison... le temps est superbe ; et depuis que nous sommes ici, nous n’avons pas mis le pied dehors.

COQUET.

Mais, petites malheureuses !... vous ne savez donc pas que le bois est émaillé de voleurs.

DELPHINE.

Vous voyez des voleurs partout...

CÉLINE.

C’est vrai !... j’ai moins peur que vous...

COQUET.

Voyez-vous l’héroïne !... non, mademoiselle, non, je n’y souscrirai pas...

DELPHINE.

C’est un esclavage insoutenable !...

COQUET.

Plaît-il ?... vous vous plaignez ?

Avec douceur, allant lui prendre la main.

Voyons, bonne amie !... voyons, palsambleu !... de la patience... bientôt, je l’espère, nous pourrons...

Regardant la main de sa femme.

DELPHINE, s’apercevant de son attention, à part.

Oh ! mon Dieu !

COQUET.

Qu’as-tu donc fait de ton rubis ?

DELPHINE, troublée.

Mon rubis ?...

Vivement.

Vous m’avez tellement pressée... à notre départ, que... je l’ai oublié sur ma toilette...

COQUET.

Allons... c’est bien...il n’y a pas de mal... rentrez dans vos chambres, et soyez sages... raisonnables...

CÉLINE, chagrine.

Je ne pourrai pas le voir encore aujourd’hui... pauvre garçon !...

Avec dépit.

Oncle barbare !

COQUET.

Obéissez, Mademoiselle !...

CÉLINE, suppliant.

Mon bon oncle !...

Elle rentre dans sa chambre.

COQUET.

On entend aboyer un chien, et la voix de Plumasseau l’exciter.

J’ai reconnu le timbre de Mahomet...

Il entre vivement dans son cabinet, ouvre la fenêtre, et appelle dans le jardin.

Qu’est-ce qu’il y a, Plumasseau ?

PLUMASSEAU, dans le jardin.

C’est la perruque poudrée qui rôdait autour du mur, et qui vient de l’escalader... j’ai lâché Mahomet après lui...

COQUET.

Un voleur... dans mon parc... ah ! mon Dieu ! n’aie pas peur... ma femme, c’est un voleur, n’aie pas peur.

Il ouvre la petite porte de son cabinet qui fait face au public, et descend précipitamment. Bruit de sonnette.

 

 

Scène IX

 

DELPHINE, puis CORADIN, dans la pièce de gauche

 

DELPHINE, qui est restée dans la chambre de gauche, et qui a écouté.

Que veut dire tout ce bruit ?... un jeune homme qui a escaladé le mur du jardin... si c’était...

CORADIN, arrivant essoufflé, en désordre, par la porte du milieu, et la refermant sur lui.

Ouf... je suis en sûreté !...

DELPHINE, surprise.

M. Coradin !... l’amoureux de Céline !

CORADIN.

Ah ! la voilà !... Céline !... ma Céline !

Il veut lui prendre la taille.

DELPHINE, se dégageant.

Monsieur, vous vous trompez...

CORADIN.

Ah ! c’est l’autre... j’ai mis la main sur l’autre... sa sœur... ou sa cousine.

DELPHINE.

Non, Monsieur... Céline est ma nièce.

CORADIN, étonné.

Votre... sa tante !...

Galamment.

Je ne vous aurais pas donné cet âge... Eh bien, tante adorable... ayez pitié d’un jeune homme qui se meurt d’amour... j’adore votre nièce depuis les Rogations... jour où je la rencontrai au bras d’un petit vieux... ailes de pigeons... à la Place-Royale... sous les marronniers... je la vis, j’en devins fou !... et je me présente pour demander sa main.

DELPHINE.

À moi, Monsieur ?

CORADIN.

Vous ne me connaissez pas... mais je puis décliner mes titres... je suis un parti assez gentil !... riche... 25 ans... un cœur tout neuf... très fort sur l’épinette... et de plus la perspective d’une place aux gabelles... après mon père qui est plus âgé que moi... et dont j’ai la survivance.

DELPHINE.

Monsieur, cela ne dépend pas de moi... adressez-vous à mon mari.

CORADIN.

Votre mari ?... qui ça ?...

DELPHINE, souriant avec intention.

Le petit vieux... aux ailes de pigeon.

CORADIN.

Oh ! pardon !...

DELPHINE.

Pourquoi ne pas vous être présenté plus tôt... et d’une autre manière ?

CORADIN.

Le pouvais-je ? Vous avez un Suisse qui n’entend pas le français... Il m’a laissé à la porte depuis deux jours... Je croyais la Suisse plus honnête.

DELPHINE.

Et c’est pour cela que vous avez pris le chemin...

CORADIN.

Le plus court... et le plus élevé... le chemin des amants et des voleurs... on m’a mis dans la catégorie de ces derniers... et on m’a reçu avec les mêmes usages... jugez de ma situation... l’agronome a lâché après moi un chien d’une grosseur révoltante, à qui je ne pouvais expliquer le but de ma visite pittoresque... son langage m’a effrayé... j’ai pris la fuite...mais je n’avais pas l’avantage... parbleu ! je n’ai que deux jambes, et lui... j’allais être atteint... dans la partie basse... déjà, je perdais la tête... lorsqu’une porte s’offre à ma vue... je saisis cette ouverture... je grimpe un étage... et je tombe

Galamment.

près d’une jolie femme !... qui me protégera... oh ! oui, n’est-ce pas que vous me protégerez ?

Air : Patrie, honneur, etc.

Quand pour venir j’ai pris mille chemins,
Quand, le cœur pris, près d’elle pour me rendre
Je pris alors mon courage à deux mains :
J’ai vu l’moment où j’allais m’laissé prendre.
Le jardinier m’a pris pour un filou,
Le chien m’a pris

À part.

je n’peux pas lui dire où.

 

 

Scène X

 

DELPHINE, CORADIN, COQUET, en dehors, ainsi que PLUMASSEAU

 

COQUET, furieux, en dehors.

Il s’est caché ici, le brigand !

DELPHINE, à Coradin.

Silence ! mon mari !... Il paraît furieux.

CORADIN.

Ce n’est pas le moment de lui présenter mes respects.

DELPHINE.

Partez, éloignez-vous

PLUMASSEAU, de même.

J’ai mon fusil... et si je l’attrape...

CORADIN, effrayé.

Son fusil !... diable !...

À Delphine.

Je suis bloqué... cachez-moi !... Ah ! cette chambre...

Il va vers la première porte à gauche.

DELPHINE.

C’est la mienne...

CORADIN.

À coucher ?... bien.

Il la pousse et entre dans la pièce de gauche. Bruit de sonnette.

 

 

Scène XI

 

DELPHINE, dans la pièce du milieu

 

Mon Dieu ! que faire ?... Coquet peut revenir ici... Il est armé... Ah ! j’ai sur moi la clé de la petite porte du jardin... je vais aller l’ouvrir doucement pour protéger sa fuite... et pendant que mon mari sera d’un côté, je le ferai esquiver par l’autre...

Elle sort à droite par la porte du petit cabinet donnant sur le jardin. Une sonnette résonne.

 

 

Scène XII

 

CORADIN, puis CÉLINE

 

CORADIN, à l’œil-de-bœuf du cabinet de gauche.

Je n’entends plus rien... l’agronome est allé chercher la police... et mon futur oncle veut me chasser... à plomb... comme un lapin... Ça se complique !... on me prend pour un voleur...

CÉLINE, sortant de la chambre à gauche, et entrant en scène dans celle où est Coradin, à l’œil-de-bœuf. Bruit de sonnette.

Je ne puis éloigner sa pensée.

CORADIN, surpris.

Céline !

CÉLINE, étonnée et levant les yeux.

Monsieur Coradin.

CORADIN.

Je suis exaucé !

CÉLINE.

Vous ici ?

CORADIN.

Moi ici...

CÉLINE.

Que faites-vous là ?

CORADIN.

Je tremble à cet œil-de-bœuf... ouvrez-moi...

CÉLINE.

Mais si on vous voyait.

CORADIN.

Ça m’est égal.

Elle lui ouvre. Bruit de sonnette.

CÉLINE, à elle-même.

Oh ! quelle imprudence ! si mon oncle venait à découvrir...

À Coradin, qui entre.

Vous avez donc vu mon oncle ?

CORADIN, étourdiment.

Oui... c’est-à-dire non... le vieux drôle !...

CÉLESTINE, blessée.

Monsieur !

CORADIN.

C’est juste... je n’en dis rien... Mais l’agronome... voilà deux jours que je lui demande vainement le cordon... pour vous voir... pour être près de vous... et je ne regrette plus les moyens illicites que j’ai employés pour me procurer cette satisfaction.

CÉLINE.

Comment, monsieur ?

CORADIN.

Je me suis introduit en fraude... mais on m’a vu... je suis cerné... traqué comme un renard... N’importe, j’ai des intentions honnêtes... je veux vous épouser...

CÉLINE.

C’est cela... Et maintenant que vous avez irrité mon oncle, si vous lui demandez ma main, il vous la refusera.

CORADIN.

S’il refuse... j’ai un autre moyen.

CÉLINE, joyeuse.

Lequel ?

CORADIN, résolument.

Je vous enlève !

CÉLINE, reculant.

Y pensez-vous ?... mais, Monsieur, vous n’avez donc que des moyens violents ?

CORADIN.

Je suis du Calvados... et dans le Calvados, on est capable de tout...

Avec amour.

Ô mon amour !... ma Céline !... mon âme !

Il lui prend la taille.

CÉLINE, se dégageant de ses mains.

Laissez-moi, monsieur.

CORADIN.

Air d’Henrion.

Un seul baiser, de grâce.

CÉLINE.

Jamais !

CORADIN.

Jamais ?

CÉLINE.

Monsieur, c’est trop d’audace.

CORADIN.

Eh ! mais

CÉLINE.

Eh ! mais ?

CORADIN.

Lorsque je vous destine
Mon cœur.

CÉLINE, émue.

Son cœur !

CORADIN.

Pourquoi me fuir Céline ?

CÉLINE.

J’ai peur !
Trop peur !

Elle entre précipitamment dans la chambre de Delphine. Bruit de sonnettes.

COQUET, qui entre par la petite porte de son cabinet au moment où Céline s’échappe.

Le bourdon !

Il s’élance dans la pièce de gauche.

CORADIN.

Ah ! le voilà !

Saluant.

mon cher monsieur Coquet...

COQUET.

Il sort de chez ma femme.

Il court à lui, et le saisit au collet.

Ah ! scélérat ! je le tiens ! au voleur !

CORADIN, se débattant.

Lâchez-moi... je ne suis pas un voleur.

COQUET, le serrant.

Jamais, brigand... à moi !... à la garde !... au secours !...

CORADIN.

Lâchez-moi !

COQUET.

Non ! je ne te lâcherai pas ! malheureux !... et tu sortais de chez elle ?

CORADIN, désignant la porte.

De chez elle.

COQUET, stupéfait, à part, criant.

Chez ma femme ! enfermé avec elle !

CORADIN, résolument.

Je l’ai compromise...

COQUET.

Et il ose me le dire... à moi...

CORADIN.

À qui voulez-vous que je m’adresse ?

COQUET.

Et tu n’as pas craint...

CORADIN.

De lui confier mes projets... non...

COQUET.

Tu l’aimes donc ?

CORADIN.

Depuis deux lunes... Place-Royale...

COQUET, criant.

Mais c’est atroce !... c’est abominable !... et c’est pour ça qu’il a franchi...

CORADIN, criant comme lui.

C’était mon plan.

COQUET.

Qu’il a mis ma surveillance en défaut.

CORADIN.

C’était mon plan.

COQUET, criant plus fort.

Qu’il l’a perdue, la malheureuse !

CORADIN, de même.

C’était mon plan !... et maintenant je vous défie bien de me refuser...

COQUET.

Va-t’en !

CORADIN.

Votre consentement...

COQUET.

Va-t’en !

CORADIN.

Qui doit assurer...

COQUET, râlant.

Mais, va-t’en donc !...  Ne vois-tu pas que les yeux me sortent de la tête !... que je suis capable de commettre un homicide.

CORADIN.

C’est un lion... moins l’enveloppe...

Criant.

Eh bien... oui, je m’en vas... mais vous vous en repentirez, vieillard... vous me défendez de la voir... vous refusez de me la donner...

Mouvement violent de Coquet.

Eh bien ! je l’enlève !...

COQUET.

Il l’enlève !

CORADIN.

Fermez toutes vos portes, scellez toutes vos fenêtres... je pénétrerai malgré vos grilles, vos serrures et vos verrous...

COQUET, hors de lui.

Monsieur...

Air de don Pasquale.

Ensemble.

CORADIN.

De mes procédés barbares
Il reste encor tout saisi.
Je viens jusques dans ses lares
Pour le menacer ainsi.

Il sort par le fond.

COQUET.

De ces procédés barbares
Je reste encor tout saisi.
Il vient jusques dans mes lares
Pour me menacer ainsi !

 

 

Scène XIII

 

COQUET au milieu, puis DELPHINE

 

COQUET.

Atrocité !... il me brave chez moi ! mais il n’y a donc plus de morale ! il n’y a donc plus de justice ! il enlèvera ma femme, il l’a dit... à mon nez... et je ne l’ai pas broyé !... conçoit-on çà !... non, mais conçoit-on çà ?... et elle est là la scélérate !... elle était du complot... il faut que je l’accable !...

Il frappe.

Madame, ouvrez ; Madame, ouvrez, ou j’enfonce la porte...

Il frappe à coups redoublés.

DELPHINE, arrivant par la porte du salon au fond.

Mais que se passe-t-il donc ?

COQUET, saisi.

Hein !... ma femme... d’où venez-vous ?

DELPHINE.

Du jardin.

COQUET.

Vous n’étiez donc pas dans votre chambre tout à l’heure ?

DELPHINE.

Mais non, pourquoi ?

COQUET, chancelant.

Ah ah ! Delphine !...

DELPHINE, allant à lui.

Qu’avez-vous donc ?

COQUET, se remettant.

Rien... rien !... c’est le contrecoup... ah ! que ça fait de bien !... il n’était pas avec toi... et là tout à l’heure, il m’assurait... ce n’était pas un amant... c’était donc un voleur... et j’ai donné dans le piège... et je le tenais là... terrassé... à mes pieds... et je lui ai donné niaisement la clé des champs.

DELPHINE.

À qui donc ?

COQUET.

Mais il n’est peut-être pas encore parti... et je cours...

À sa femme.

N’aie pas peur, ma femme, n’aie pas peur... c’est un voleur.

Il sort par la porte du fond. La nuit arrive peu à peu.

 

 

Scène XIV

 

CÉLINE, DELPHINE

 

DELPHINE.

Cette colère ! cette agitation !... est-ce qu’il aurait aperçu ?...

CÉLINE, entrant, bruit de sonnette.

Mon oncle est parti ?

DELPHINE.

Céline... comme tu es tremblante ?

CÉLINE, remontant.

N’as-tu pas entendu ?... s’il trouve encore M. Coradin au jardin, ou si Plumasseau le saisit au passage, c’est fait de lui.

DELPHINE.

Rassure-toi !... je viens de le rencontrer... je lui ai donné la petite clé de sortie... maintenant il doit être dehors.

CÉLINE.

Oh ! que tu es bonne !... c’est charitable !... si tu savais comme il est malheureux !... comme il m’aime !... mon oncle l’a chassé... mais il est déterminé à revenir... il veut m’enlever...

DELPHINE.

T’enlever !...

CÉLINE.

C’est le désespoir qui l’a poussé là... tu penses bien que je m’y suis opposée... mais il a juré à mon oncle qu’il reviendrait... malgré tous les obstacles... mon oncle va veiller dans son cabinet, j’en suis sûre, et si ce pauvre jeune homme cherche à ouvrir une porte, les sonnettes...

DELPHINE, vivement.

C’est vrai...

À part.

Et M. le comte qui doit venir à neuf heures par cette fenêtre.

Haut.

Maudites sonnettes !... comment empêcher...

CÉLINE.

Ah !...

DELPHINE.

Quoi !

CÉLINE va chercher du coton dans un petit bureau qui est à gauche.

Il me vient une idée.

DELPHINE.

Parle...

CÉLINE.

Charge-toi de celles du cabinet...

DELPHINE.

Je devine.

Céline après avoir chanté la moitié de l’ensemble suivant, monte sur la chaise à gauche, et tamponne les sonnettes de la croisée et de la porte du fond. Delphine entre dans le cabinet, monte sur le siège placé près de la porte de face et tamponne aussi les sonnettes pendant le chœur.

ENSEMBLE.

Air : Été du quadrille de la soirée.

Bourrons,
Tamponnons,
Privons
Chaque sonnette,
Oui, que rien ne nous arrête...
Nous dérouterons
Un { oncle qui le guette.
      { mari
Cette nuit
Il peut venir sans bruit.

DELPHINE, en bourrant une sonnette.

Ton son argentin
Et ton tin, tin,
Qui tient en veille,
N’pourra pas ici
Réveiller celui
Qui sommeille.

CÉLINE, à l’autre fenêtre tamponnant l’autre sonnette.

Pauvre Coradin !
S’il vient enfin
Par ce chemin,
Pour l’sauver aujourd’hui,
L’amour veille sur lui.

REPRISE.

Bourrons, etc.

DELPHINE, descendant de sa chaise et regardant à la croisée du cabinet.

Ciel !... mon mari !... il vient par ici !

Passant dans la pièce de gauche.

Céline !... rentrons !

Elles rentrent dans leurs chambre. Il fait tout-à-fait nuit.

 

 

Scène XV

 

COQUET, avec une lanterne arrive par la porte du fond de son cabinet et s’assied dans un fauteuil tenant toujours sa lanterne, LE COMTE DE CRÉPY arrive ensuite par la fenêtre de droite, dans la pièce de gauche, laquelle est dans une profonde obscurité, puis CORADIN, dans la même pièce, entrant par la fenêtre, de gauche

 

COQUET.

Air : Final du premier acte de la Chambre verte. (Doche.)

Je n’entends aucun bruit !
Le voleur, cette nuit,
N’osera près de moi,
Pénétrer sans effroi.

LE COMTE, à la fenêtre de droite.

Elle m’attend... femme aimable et discrète...
C’est un plastron qui doit me protéger.

COQUET, assis.

Si je m’endors, ici, chaque sonnette
M’avertira quand viendra le danger.

La fenêtre de gauche s’ouvre sans bruit et Coradin entre.

CORADIN.

Profitons de la nuit
Pour pénétrer sans bruit,
Avançons sans effroi,
L’amour veille sur moi.

Sautant en scène.

Ouf ! m’y voilà !

LE COMTE, prêtant l’oreille.

Du bruit de ce côté.

CORADIN.

Je suis rentré par la petite porte dont j’avais la clé... personne ne m’a vu...

LE COMTE.

Une ombre s’avance vers moi... c’est elle...

COQUET, dans son cabinet.

Je défie bien les amants et les voleurs de me mettre en défaut.

LE COMTE, bas.

Pst !

CORADIN, à part.

Un signal !... est-ce qu’elle irait au devant ?

LE COMTE, appelant.

Pst !

CORADIN, répondant.

Pst !

LE COMTE, très bas.

Est-ce vous ?

CORADIN, de même.

Qui... ça doit être moi !

LE COMTE, de même.

Je vous attendais.

CORADIN, à lui même.

Elle m’attendait... ça va tout seul.

LE COMTE.

Tenez, voici votre rubis.

Il lui prend la main, et le lui passe au doigt.

CORADIN, très étonné et plus haut.

Mon rubis ?

LE COMTE, surpris, de même.

Un homme !

CORADIN.

Un organe masculin !

LE COMTE.

Je suis pris !

CORADIN.

Fuyons !...

Ils se sauvent, tous deux, jusqu’à la fenêtre par où ils sont entrés.

LE COMTE, prêt à enjamber.

Il a l’air de m’éviter.

CORADIN, même jeu.

On dirait qu’il a peur de moi... serait-ce un rival ?

LE COMTE.

Serait-ce un confrère.

Ils se ravisent et redescendent en scène.

CORADIN.

Qui va là ?

LE COMTE.

Qui êtes-vous ?

CORADIN.

Coradin.

LE COMTE, cherchant.

Inconnu !... Le comte de Crépy.

CORADIN, cherchant.

Le comte de Crépy !... un gentilhomme...

Avec conviction.

C’est un rival !

LE COMTE.

L’erreur est reconnue... rendez-moi mon rubis...

CORADIN.

Votre rubis ?

À part.

Il le tient d’elle, peut-être,

Haut.

jamais !... je le garde !

LE COMTE, à part.

Il le garde !...

Avec conviction.

c’est un confrère !

CORADIN.

Mais qui vous amène ici, à cette heure ?

LE COMTE.

Dans quel but êtes vous entré par cette fenêtre ?

CORADIN, avec aplomb.

Moi ? je viens pour enlever un trésor, renfermé dans cette maison.

LE COMTE, étonné.

Un trésor !...

À part.

Est-ce qu’il songerait aussi à la caisse ?

CORADIN.

Tout est prévu... j’ai là, à quelques pas... une voiture...

LE COMTE.

Une voiture...

À part.

Il paraît qu’il fait les affaires en grand...

CORADIN.

Et si quelqu’un s’oppose à mes desseins... je suis capable...

LE COMTE.

Chut ! pas d’éclat !... voyons, entendons-nous... je viens pour le même objet.

CORADIN.

Le même objet ?...

LE COMTE.

Aidons-nous... servons-nous mutuellement... enlevons à deux.

CORADIN.

À deux !

LE COMTE.

Et partageons.

CORANIN, indigné.

Partager ?...

LE COMTE.

Par la moitié...

CORADIN, plus indigné.

Partagez !... mon amour !... le cœur de ma Céline !...

LE COMTE, à part.

Aïe ! c’est l’amant de la petite.

CORADIN.

Mais c’est révoltant !

LE COMTE.

Plus bas, malheureux !... ne crions pas... éveiller M. Coquet... le coup serait manqué... expliquons-nous... vous venez pour la nièce ?

CORADIN.

Eh bien ?

LE COMTE.

Eh bien... moi je viens pour la tante...

CORADIN.

Ah !... bon !... bravo !...

Lui serrant la main.

La femme du vieux... ça me va !... ça me va !... Je comprends...

LE COMTE.

Silence ! du bruit !...

Ils se retirent tous deux, chacun à l’encoignure de la chambre à l’avant-scène.

 

 

Scène XVI

 

COQUET, LE COMTE CORADIN, PLUMASSEAU

 

La porte du fond s’ouvre, une sonnette remue sans faire de bruit, et Plumasseau entre à pas de loup.

CORADIN.

Quelqu’un est entré... si c’était Céline.

LE COMTE.

Si c’était Delphine.

PLUMASSEAU, dans le fond.

Le bourgeois dort... l’air est piquant... je suis gelé... avant de faire ma ronde je me suis dit : Plumasseau, mon ami, si tu allais à la cuisine te réchauffer avec une bonne bouteille de vin... ça te remettrait... va, mon ami, va... et je me suis obéi.

CORADIN, LE COMTE.

C’est un homme !...

PLUMASSEAU.

J’ai la clef... allons bien doucement.

Il tire la clef de sa poche.

COQUET.

Ah ! je suis bien tranquille.

PLUMASSEAU, à part.

Diable d’obscurité !... je ne peux pas trouver le trou de la serrure.

CORADIN, à part.

Serait-ce un deuxième rival ?...

LE COMTE, à part.

Serait-ce un deuxième confrère ?

PLUMASSEAU.

Ah ! je suis dedans !

Il ouvre la porte de la cuisine, et entre, une sonnette remue sans faire de bruit.

COQUET, les yeux fixés sur ses sonnettes, et la voyant remuer.

Hein ?... c’est drôle... on dirait qu’une sonnette a remué... et pourtant, je n’ai rien entendu... C’est la vision... la peur...

Les deux hommes quittent leurs places, on entend sonner neuf heures.

 

 

Scène XVII

 

COQUET, LE COMTE CORADIN, PLUMASSEAU, CÉLINE, DELPHINE

 

DELPHINE.

Il est neuf heures... il m’attend sans doute.

Elle ouvre sa porte en même temps que Céline.

CÉLINE.

Impossible de dormir.

Au moment où les deux portes s’ouvrent, deux nouvelles sonnettes remuent sans faire du bruit.

COQUET, saisi.

Ah !... cette fois... j’ai bien vu... elles ont remués... qu’est-ce que ça veut dire ?

Il monte sur sa chaise avec son flambeau, et regarde.

DELPHINE, à Coradin.

Mon rubis !...

CORADIN.

Son rubis !... c’était donc à elle !... infamie !...

COQUET.

Dieu !... des tampons !... je suis trahi !...

COQUET, criant.

Hein ! une voix d’homme...

Il descend de sa chaise, et entre à gauche.

Ensemble.

LE COMTE.

Coquet !...

CORADIN.

L’oncle !

Les deux femmes jettent un cri, et se sauvent toutes deux par la deuxième porte à gauche.

CORADIN.

Tout est perdu !

LE COMTE.

Le maladroit !

Ils veulent se sauver, ils se heurtent et s’empoignent, ils luttent.

ENSEMBLE.

Lâchez-moi !...

COQUET, entrant dans la pièce du milieu et les voyant.

Deux hommes !...

Les deux hommes se lâchent Coradin s’esquive par la fenêtre de gauche, par où il est venu. Tout ceci a été fait en un clin d’œil.

COQUET, saisissant le comte près de la fenêtre.

J’en tiens un !

LE COMTE.

M. Coquet !...

COQUET.

Ah ! tu as osé...

LE COMTE.

Reconnaissez-moi...

COQUET, le secouant, criant.

À moi... Champagne !... M. le comte.

LE COMTE.

Mais c’est moi !...

COQUET, le lâchant.

Heim !... c’est... vous, comte...

LE COMTE.

Eh oui... je veillais sur vous... je le tenais, le scélérat !... Vous m’avez empêché de courir après lui... et pendant que vous criez... le danger plane sur votre tête.

COQUET.

Sur ma tête...

LE COMTE, à part.

Éloignons-le de sa maison.

Haut.

Tâchez de rejoindre maintenant le ravisseur de votre femme.

COQUET, abasourdi.

Le ra... de ma f... ah ! mon Dieu !...

LE COMTE.

Il l’enlève en ce moment...

COQUET.

Ma femme... enlevée... ma femme !... la perfide !...

Il court dans la chambre de sa femme.

Disparue !... avec lui... Ah ! comte... mon ami !... mon digne ami !... soutenez-moi !... conseillez-moi !...

LE COMTE.

Il ne s’agit pas de se lamenter... soyez homme... prenez une résolution ferme !...

COQUET.

Mais que faire ?

LE COMTE.

Les poursuivre tous deux... Ils ont un peu d’avance sur vous... une bonne chaise de poste...

COQUET.

Vous avez raison... une chaise de poste...

Il court à son cabinet.

LE COMTE.

Où va-t-il ?

COQUET.

De l’or sur moi...

LE COMTE, entrant aussi dans le cabinet.

Ah ! sa caisse...

COQUET, perdant la tête.

Vite !... je les rejoindrai !

Il ouvre sa caisse et se trouve la main prise.

Aie !...

LE COMTE, à part.

Pris au piège !...

COQUET, se démenant.

J’ai le poignet brisé... délivrez-moi !

LE COMTE.

Mais comment ?

COQUET, fouillant à sa poche, et lui donnant une clé.

Tenez, cette clé... ici... tournez à gauche.

LE COMTE.

Très bien !

Il met la clé dans sa poche et saisit le portefeuille.

COQUET.

Mon portefeuille !... ne vous donnez pas cette peine.

LE COMTE, à la fenêtre.

Champagne, sur le siège de la voiture... vite !... et fouette cocher.

COQUET.

Hein ?... qu’est-ce qu’il dit ? qu’est-ce qu’il fait ?

Le comte saute sur l’appui de la fenêtre du cabinet.

M. le comte... eh bien... où va-t-il ?... Où allez-vous ?... vous me laissez là ?

LE COMTE, se retournant vers lui, sur l’appui de la fenêtre.

Un conseil avant de partir, M. Coquet... Ne retournez plus au jeu de paume... et surtout... ne faites plus des amis de rencontre... ils pourraient vous voler... Bonne nuit... et meilleure chance.

Il saute dans le jardin.

COQUET, voulant courir après lui, et se trouvant retenu par sa main prise.

Ah ! ah ! c’était un voleur !... mon portefeuille !...

Criant, en cherchant à se dégager.

Au voleur ! au feu au feu !

 

 

Scène XVIII

 

COQUET, dans son cabinet, DELPHINE, CÉLINE, arrivant chacune un flambeau à la main, puis CORADIN

 

DELPHINE.

Qu’est-ce donc ?

CÉLINE.

Qu’y a-t-il ?

Coradin rentre par le fond.

COQUET.

Par ici ! délivrez-moi, que je coure après lui... où est-il ?... ah ! le voilà, le voleur.

Il tombe sur Coradin.

CORADIN, se débattant.

Mais je ne suis pas un voleur.

CÉLINE, à part.

Monsieur Coradin.

COQUET, à Coradin.

Malheureux, tu étais son complice.

CÉLINE.

Mais, vous vous trompez, mon oncle...

DELPHINE.

Ce jeune homme n’est pas un voleur...

COQUET.

Vrai ?... alors c’est un amant... le vôtre, Madame...

DELPHINE.

À moi ?

CORADIN, surpris.

Ce vieillard radote !... il est timbré !...

COQUET.

Ah ! je radote... ah ! je suis... tenez, le scélérat... il porte encore à son doigt le rubis qu’elle lui a donné.

DELPHINE, surprise.

Mon rubis... ? comment se fait-il ?

CORADIN, joyeux.

Ah ! quel bonheur !... ce rubis n’était donc pas à ma Céline.

COQUET, plus étonné.

Sa Céline ! où marchons-nous !...

À Delphine.

Ce rubis, Madame ?...

DELPHINE.

Ce rubis m’avait été pris à la foire Saint-Laurent.

COQUET, criant.

À la foire Saint-Laurent !... au spectacle ?...

DELPHINE.

M. le comte de Crépy s’y trouvait... et...

COQUET.

Oh ! j’y suis... assez...

DELPHINE.

Oh ! malgré moi... il m’a dérobé !...

COQUET.

Assez !... assez !... l’histoire de ce matin... une femme mariée... le benêt de mar...

Se reprenant d’un ton indigné.

Et j’en riais !... mais j’en riais !... non-seulement il en voulait à mon épouse... mais encore à mon argent... eh ! mais, j’y pense, mon portefeuille ne contenait aucun billet au porteur... j’avais tout retiré hier... oh ! fameux ! c’est l’autre qui est volé !

Il va pour ouvrir la porte de son cabinet.

Fermée !... et celle-ci ?...

À la porte du fond.

Fermée aussi.

Il va à la porte qui communique à son cabinet.

Fermée aussi.

Pendant ce mouvement de scènes on a vu le comte de Crépy revenir avec Champagne par la croisée du cabinet d’où il s’était échappé, il tient le portefeuille à la main.

 

 

Scène XIX

 

CORADIN, CÉLINE, DELPHINE, COQUET, LE COMTE et CHAMPAGNE dans le cabinet, puis PLUMASSEAU

 

COQUET.

Ah çà mais c’est une mauvaise plaisanterie...

Il regarde par le trou de la serrure.

Ah ! mon Dieu !...

Criant.

dites donc, M. le comte... vous êtes dans mon cabinet.

LE COMTE, enlevant de la caisse des rouleaux et des sacs d’écus qu’il donne à Champagne.

Je le sais bien.

TOUS, étonnés.

Ah !...

COQUET, même jeu.

Vous êtes près de mon coffre-fort.

LE COMTE.

Je le sais encore.

COQUET.

Que faites-vous donc ?

LE COMTE.

Je vous rapporte votre portefeuille, dans lequel je n’ai trouvé que des papiers sans valeur...

COQUET.

Ah ! c’est gentil de sa part.

LE COMTE.

Et je prends en place deux rouleaux de mille livres et quelques sacs d’écus... qui sont là... dans votre caisse...

COQUET.

Mais vous me volez.

LE COMTE.

Je le sais bien.

COQUET.

Mais, je vais vous faire arrêter !

LE COMTE.

Mais j’ai eu soin de vous verrouiller tous avant d’entrer ici...

COQUET.

Ah ! gueux ! ah ! filou, si jamais je te rattrape...

LE COMTE.

Si jamais vous me rattrapez... vous serez malin... ah !... pardon, mon bon... Plumasseau doit être ici...

PLUMASSEAU, entrant.

Le voilà Plumasseau, que lui veut-on ?

COQUET.

Oui, que lui voulez-vous ?

LE COMTE.

Dites-lui donc que, dans deux ou trois jours, je lui adresserai, franco, poste restante, à Saint-Mandé, des nouvelles de son épouse qu’il a égarée depuis cinq ans.

PLUMASSEAU.

Mon épouse !

LE COMTE.

Adieu !... Ah ! à propos... je reprends aussi la montre que je vous ai confiée... vous savez, dans ce jardin du Palais-Royal...

COQUET.

Ah ! c’est Poullailler !...

Il se sauve par la fenêtre.

TOUS.

Poullailler ! courons !...

COQUET, les retenant.

Air : valse de Jacquemin.

Chut, taisez-vous, ici, que chacun reste :
Sans sourciller qu’on le laisse partir ;
Pas un seul mot, mon ami, pas un geste,

Montrant le sifflet.

Au moindre bruit il pourrait revenir.

POULAILLER, revenant.

Pour protéger ma fuite, chacun veille :
Tout est prévu. Pourtant je crains encor

Il montre son sifflet.

Qu’à ce bruit-là le chien ne se réveille...
N’éveillez pas, messieurs, le chien qui dort.

COQUET, au public.

Cet instrument vous oblige à vous taire :
N’en usez pas, honnêtes spectateurs,
Car on pourrait, en sortant du parterre,
Vous arrêter, messieurs, comm’ des voleurs.

TOUS.

Cet instrument, etc.


[1] Il est bien convenu que toutes les fois que l’on entend un bruit de sonnette, c’est que les portes sont fermées par conséquent on doit avoir le soin de les laisser ouvertes lorsqu’elles ne doivent pas tinter. Le souffleur doit se charger de faire tinter une sonnette chaque fois qu’une des portes s’ouvre.

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