Le Bout de l’an (Eugène SCRIBE - Antoine-François VARNER)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du palais-Royal, le 2 juin 1837.

 

Personnages

 

MONSIEUR CHAPOTIN, marchand fourreur

MONSIEUR FOMBONNE

ISIDORE, son neveu

CAROLINE, fiancée d’Isidore

CAUCHOIS, portier de la maison

JUSTINE, femme de chambre de Caroline

 

La Scène sa passe à Paris.

 

Le Théâtre représente une pièce servant de vestibule, et communiquant à plusieurs appartements ; porte à droite et à gauche, et au fond une porte par laquelle on aperçoit l’escalier.

 

 

Scène première

 

JUSTINE, sortant de la porte à gauche, CAUCHOIS, montant par l’escalier et entrant par la porte du fond

 

JUSTINE, l’apercevant.

C’est M. Cauchois ! Vous voilà donc de retour ?

CAUCHOIS.

Oui, mam’selle Justine. Je suis allé passer huit jours dans ma famille où l’on m’avait demandé pour être parrain.

JUSTINE.

C’est donc ça qu’on n’entendait plus de bruit dans la maison... vous êtes si bavard !

CAUCHOIS.

Je suis portier... obligé de répondre à tout le monde... et, ici, Dieu sait si l’on manque de demandes.

JUSTINE.

Et de réponses !

CAUCHOIS.

C’est tout naturel... une maison qui a deux entrées, l’une sur le boulevard et l’autre sur la rue Meslay...

JUSTINE.

Ça doit vous donner bien du mal.

CAUCHOIS.

Je ne me plains pas.

Air du vaudeville du Piège.

Je dis, moi qui n’ suis point ingrat,
Qu’ c’est un bon métier que le nôtre ;
Y a concurrenc’ dans notr’ état
Encore moins que dans tout autre.
N’y a qu’un portier par chaque grand’ maison ;
Dans maint hôtel où l’ pouvoir les attire,
J’ vois bien des gens qui d’mandent le cordon...
Je n’en vois qu’un seul qui le tire.

JUSTINE.

Et pendant huit jours vous abandonner votre poste ?

CAUCHOIS.

Je m’étais fait remplacer à la loge par mon fils Julien, un petit bonhomme de la plus belle espérance... un autre moi-même.

JUSTINE.

Qui ne demande jamais où l’on va.

CAUCHOIS.

C’est mon système... De bons portiers ne doivent jamais être indiscrets... Avec moi, on entre, on sort... on ne rentre pas, ça m’est égal... Il faut que tout le monde soit libre.

JUSTINE.

Le portier d’abord.

CAUCHOIS.

C’est juste... qu’il puisse vaquer à ses devoirs sociaux et à ses plaisirs !... Laisser faire et laisser passer, voilà ma devise... c’est ce que ne voulait jamais entendre l’ancien propriétaire, un général de Napoléon... qui ne comprenait rien à la liberté... et, pendant qu’il était aux Tuileries, il voulait toujours que je fusse à ma loge... Ça a été un temps bien dur que celui de l’empire !

Air du Pot de fleurs.

Ma présence était exigée ;
De mon carreau, comme d’un tribunal,
Chaque personne était interrogée :
C’était l’ordre du général.
Lui qui naguèr’, chose digne d’éloge,
Dans tout’ l’Espagne, avec Napoléon,
Était allé détruir’ l’inquisition,
La rétablissait dans ma loge.

Heureusement qu’il y a un en notre propriétaire est mort... vous savez comment ?

JUSTINE.

Eh ! non, vraiment.

CAUCHOIS.

Je vous conterai cela... la première fois que vous viendrez à la loge... En attendant voilà un an que la succession est ouverte et je n’ai pas encore vu un héritier... On dit qu’il n’y en a pas... et que malgré lui c’est sa veuve qui héritera...une petite veuve bien éveillée... qui habite l’autre corps de logis... et qui ne se laisse pas mourir de chagrin.

JUSTINE, d’un air curieux.

En vérité !...

CAUCHOIS, souriant.

En vérité, je vous dirai ça. Mais, vous, mam’selle Justine, que se passe-t-il chez votre maîtresse ?... car elle est veuve aussi... mais dans un autre genre... une veuve irréprochable...

On sonne.

JUSTINE.

Ça n’empêche pas... et aujourd’hui même...

CAUCHOIS.

Quoi donc ?

On sonne encore.

JUSTINE.

Ah ! dame... vous avez tant parlé qu’on n’a eu le temps de vous rien dire !... Ma maîtresse m’appelle, et aujourd’hui... un jour comme celui-ci...

CAUCHOIS.

Quoi donc ?

JUSTINE.

Ce sera pour plus tard.

Elle sort par la porte et gauche.

 

 

Scène II

 

CAUCHOIS, puis MONSIEUR FOMBONNE

 

CAUCHOIS.

On ne peut jamais rien savoir avec elle... Quel est ce monsieur ?

FOMBONNE.

Dieu merci, j’arrive à temps, malgré la diligence de Brie-Comte-Robert qui, a mis six heures à faire huit lieues...

Air : Ces Postillons sont d’une maladresse.

Ces fiers coursiers qui, sur la même route,
Montraient jadis leur zèle et leur ardeur,
Amont appris qu’on veut, coûte que coûte,
Les remplacer bientôt par la vapeur,
Et je conçois qu’ils en ont de l’humeur ;
De tous coté ; les chaudières s’allument...

CAUCHOIS, à part.

Sans leur vapeur on n’ pourra faire un pas...
En attendant, v’là les chevaux qui fument,
Et qui ne marchent pas.

Observant Fombonne.

Est-ce que ce serait un nouveau locataire ?

FOMBONNE.

On m’a dit au premier... mais à quelle porte frapper ?

À Cauchois.

Mon ami, êtes-vous de la maison ?

CAUCHOIS.

Je suis le portier... rien que cela !

FOMBONNE.

Je ne pouvais pas mieux tomber... Où se réunit-on pour la noce ?

CAUCHOIS, avec étonnement.

Pour la noce !

FOMBONNE.

Oui !

CAUCHOIS.

Est-il possible !... Et mon-fils qui ne me dit rien, qui ne me rend pas compte...

S’approchant d’une fenêtre qu’il ouvre, et criant du haut en bas.

Julien !... il y a donc une noce aujourd’hui dans la maison ?...

Écoutant.

Hein ?... j’entends... c’est au troisième... ce petit rentier qui a toujours un habit vert... cinquante-huit ans... Il fait bien de se presser.

FOMBONNE.

Eh ! non... c’est ici au premier... Madame Duplanty.

CAUCHOIS.

Cette jeune veuve !... ça devait être... et je m’en doutais... Une femme si intéressante... une jolie fortune... donnant beau coup au portier... quoiqu’elle n’en ait pas besoin... car c’est la conduite la plus réservée et la plus exemplaire... Il venait souvent chez elle un jeune homme charmant !... un joli blond...

FOMBONNE.

M. Isidore Fombonne... mon neveu... qui l’a épousée hier soir à la municipalité, et va se marier aujourd’hui à l’église.

CAUCHOIS.

J’en étais sûr... ça ne pouvait pas manquer ; ça va faire un bien beau couple... Et Monsieur vient pour la noce ?...

FOMBONNE.

C’est pour cela que, ce matin, j’ai quitté ma propriété de Brie-Comte-Robert... une propriété superbe, où j’ai naturalisé la canne à sucre, à l’aide de la betterave.

CAUCHOIS.

Ah ! monsieur fabrique la denrée coloniale ?... Je l’en félicite.

FOMBONNE.

C’est bien !... Y a t-il déjà du monde d’arrivé... mon neveu y est-il ?

CAUCHOIS.

J’allais vous le demander.

FOMBONNE.

Il ne sait donc rien ce portier là !

CAUCHOIS.

Pardon ! j’ai été occupé ce matin... Mais, voilà mademoiselle Justine, la femme de chambre.

 

 

Scène III

 

JUSTINE, FOMBONNE, CAUCHOIS

 

JUSTINE, tenant un carton.

Oui, madame, je lui dirai qu’il la faut pour ce soir...

Saluant.

Ah ! monsieur Fombonne !... votre neveu, M. Isidore, s’inquiétait de ne pas vous voir.

FOMBONNE.

Il est donc là ?...

JUSTINE.

Depuis longtemps... de grand matin... et c’est bien heureux... il m’a aidé à consoler madame de l’accident qui nous arrive...

FOMBONNE.

Et lequel ?

JUSTINE.

Le plus grand de tous... notre robe de mariée...

FOMBONNE, riant.

Qui n’est pas arrivée ?...

JUSTINE.

Si, vraiment !

Montrant le carton.

La voici... une robe charmante... délicieuse !...

CAUCHOIS.

La robe blanche et le bouquet ?

JUSTINE.

Eh ! non... à une veuve !... la robe rose garnie de dentelles... qui devait produire un effet...

FOMBONNE.

Eh bien ! cette robe ?

JUSTINE.

Tout à fait manquée... une taille affreuse...

FOMBONNE.

Mais, c’est une trahison !

JUSTINE.

Et comment faire ?... Dans deux heures on va à l’église... Par bonheur madame avait sa robe d’hier, pour la municipalité... une robe noire... qui lui va à merveille...

FOMBONNE.

Oui... mais le noir... c’est un peu triste...

JUSTINE.

Pas pour madame, qui est très blanche... et je suis sûre que cette idée là l’aura consolée ; car elle n’est pas très fâchée et elle m’a dit : « Tâche seulement que ma robe soit prête pour le dîner et la soirée. » Je cours chez la couturière... et il faudra bien, quand elle devrait y mettre dix ouvrières... Mais, entrez donc, monsieur, on vous attend.

FOMBONNE, entrant.

Oui, mon enfant...

JUSTINE.

Il y a déjà beaucoup de dames arrivées.

CAUCHOIS.

Arrivées ?... je ne les ai pas vues monter...

JUSTINE.

Elles sont entrées par l’escalier du boulevard... Vous ne voyez rien, vous !... et c’est là-dessus que je voulais vous parler... ainsi que sur le marié... qui a un air triste... et soucieux... je ne sais ce qu’il a, mais... je n’ai pas le temps... car j’ai encore des bouquets à commander pour les gens de la noce...

CAUCHOIS.

Y en aura-t-il pour moi ?

JUSTINE.

Certainement ! n’êtes-vous pas de la maison... et voilà le mien.

Elle le lui donne.

CAUCHOIS, le prenant.

Ah ! mam’selle Justine...

JUSTINE.

Taisez-vous donc, voilà du monde... Adieu, monsieur Cauchois.

Elle sort par l’escalier du fond.

 

 

Scène IV

 

CAUCHOIS, CHAPOTIN, qui est entré pendant la fin de la scène précédente

 

Chapotin est en grand deuil et tient à la main un papier.

CHAPOTIN.

« Il est donc mort ce parent, cet ami que nous regrettons tous !... Bon fils, bon époux, bon citoyen, les lauriers se joignent aux cyprès sur son front sexagénaire !... » Il me semble que voilà une phrase suffisamment empreinte de douleur et d’éloge. Nous tâcherons de mouiller ces paroles là avec des larmes... pourvu que ma sensibilité veuille s’y prêter, et que je puisse trouver dans le coin de l’œil quelques larmes de complaisance... C’est que moi qui ne connaissais pas le défunt, et qui hérite, je n’ai pas du tout envie de pleurer... C’est égal... on fera semblant...la cérémonie le veut ainsi.

À Cauchois.

Dites-moi ?...

CAUCHOIS.

Monsieur...

CHAPOTIN.

Où se réunit-on pour la cérémonie funèbre ?

CAUCHOIS, étonné.

Comment ? et mon fils qui ne m’en ouvre pas la bouche...

Allant à la fenêtre.

Julien, il y a donc une autre cérémonie dans la maison ?...

Écoutant.

Ah ! oui... j’y suis maintenant...

Se retournant du côté de Chapotin.

Un service de bout de l’an...

CHAPOTIN.

Pour le repos de l’âme de feu le baron d’Erfurt...

CAUCHOIS.

Notre propriétaire... c’est juste ! il y a un an qu’il est déménagé de ce monde... C’était huit jours avant le terme d’octobre... il avait même préparé toutes ses quittances... c’était un propriétaire si exact !

CHAPOTIN.

Vous pourrez peut-être me donner quelques renseignements ?...

CAUCHOIS.

Sur ses vertus ?...

CHAPOTIN.

Air : du vaudeville Des Maris ont tort.

Il en avait, c’est très probable ;
Quand on meurt, on en a toujours.
Je vois la tombe impitoyable
Chez nous engloutir tous les jours,
Du moins, si j’en crois les discours,
« Intégrité, grand caractère,
« Talents, vertus... » et c’est, hélas !
Depuis qu’on en met tant sous terre
Que dessus il n’en reste pas !

CAUCHOIS, à Chapotin.

Vous étiez son ami ?

CHAPOTIN.

Au contraire... c’est-à-dire, j’étais son parent.

CAUCHOIS.

C’est singulier ! je n’ai jamais vu venir ici personne de sa famille.

CHAPOTIN.

Je crois bien. Nous ne savions pas ce qu’il était devenu ; il avait quitté Pénaurum, en Bretagne, dès sa plus tendre jeunesse, à peine au sortir de l’enfance... Il était venu chercher fortune à Paris. Il avait embrassé la carrière des armes.

CAUCHOIS.

Et vous ?

CHAPOTIN.

Celle de la fourrure... où je ne tardai pas à me distinguer.

Air : Voilà ce que nous n’ voulons plus.

À mes efforts la route était ouverte :
Je surpassai bientôt mes devanciers,
Me signalant par une découverte
Qui trahissaient mes penchants tout guerriers ;
Car j’étais né pour cueillir des lauriers...
J’inventai donc, moi, citadin paisible,
Le bonnet d’ours qui, mieux que le chapeau,
Aux grenadiers donnant un air terrible,
Les garantit des rhumes de cerveau !

CAUCHOIS.

Et vous avez dû faire de bonnes affaires dans la fourrure ?

CHAPOTIN.

Du tout... Depuis la révolution, l’hiver est supprimé... tout le monde s’en plaint... il n’y a plus d’hiver... J’étais allé en Russie pour en avoir des nouvelles, et pour une pacotille de pelleteries... j’y suis resté un an, et à mon retour à Pénaurum, j’ai trouvé une lettre du notaire du défunt.

CAUCHOIS.

C’était peut-être pressé ?

CHAPOTIN.

Je crois bien... elle m’attendait depuis six mois ; le notaire m’invitait à passer sur-le-champ à son étude, pour prendre connaissance de la mort du baron, et communication du testament.

CAUCHOIS.

Diable !... c’était fort intéressant.

CHAPOTIN.

D’autant plus que le baron, qui n’avait jamais remis le pied dans la Bretagne, ignorait ce qu’il lui restait de famille... Il a tout laissé à ses cousins... et comme grâce au ciel il y a eu beaucoup de fièvres pernicieuses dans notre endroit... et une grande mortalité sur les bestiaux, la population de Pénaurum a beaucoup souffert ; et je ne connais, jusqu’à présent, que moi de parent... et si ça continue, je suis menacé d’avoir toute la fortune de mon pauvre cousin !

CAUCHOIS.

Pauvre cher homme !

CHAPOTIN.

Personne plus que moi ne rend justice à ses qualités.

Regardant son papier.

« Bon citoyen, bon époux, les lauriers qu’il a cueillis s’unissent aux cyprès sur son front sexagénaire. »

CAUCHOIS.

Qu’est-ce que vous dites donc ? Il avait à peine quarante-cinq ans.

CHAPOTIN.

Vraiment !

CAUCHOIS.

Il est mort des suites d’une blessure qu’il avait reçue en duel.

CHAPOTIN, à part.

C’est bon à savoir... Enlevons le front sexagénaire et rendons-lui ses quarante-cinq ans... « Il est mort à la fleur de son âge, victime d’un préjugé barbare !... »

CAUCHOIS.

Très bien !

CHAPOTIN, à part.

Cet imbécile qui se permet d’avoir un avis... comme si dans sa position inférieure... Il est vrai que pour m’apprécier, il ne faut que des oreilles... et, chez lui, ça doit être la partie saillante.

CAUCHOIS.

Ah ! ça, Monsieur, et sa veuve ?... est-ce que le défunt ne lui a rien laissé ?

CHAPOTIN.

Si fait... Tout ce qu’il ne pouvait pas lui ôter... les cinquante mille francs de sa dot qui sont hypothéqués sur cette maison qu’il faudra vendre.

CAUCHOIS.

Ce serait dommage... à moins qu’on ne conserve les portiers.

CHAPOTIN

Le fait est que si je pouvais tout garder.

CAUCHOIS.

Vous le pouvez... en épousant la veuve.

CHAPOTIN.

C’est une idée... Est-elle jolie la femme de mon cousin ?

CAUCHOIS.

Oui, Monsieur, très jolie et très spirituelle.

CHAPOTIN.

Nous serions très bien assortis... Nous verrons, ça pourra s’arranger : ça simplifierait les affaires de la succession.

CAUCHOIS.

Permettez-moi, en attendant, d’offrir un bouquet au propriétaire de la maison.

Il présente celui qu’il tient de la femme de chambre.

CHAPOTIN, le prenant.

Que le ciel vous le rende !

CAUCHOIS.

Vous êtes bien bon !... J’espère que monsieur me conservera ainsi que mon fils ?... Il aura en nous des portiers vigilants et attentifs.

CHAPOTIN.

Nous reparlerons de cela dans un moment moins pénible... quand je ne serai plus tout entier à ma douleur... Allez me faire la liste des locataires qui pourraient être augmentés.

CAUCHOIS.

Oui, Monsieur.

À part en s’en allant.

Je vais en conférer avec mon petit bonhomme.

 

 

Scène V

 

CHAPOTIN, puis FOMBONNE

 

CHAPOTIN.

Je suis là à perdre mon éloquence dans une conversation fastidieuse avec cet être grossier... tandis que le défunt est là qui attend... il est vrai que comme il attend depuis un an, ce ne sont pas quelques minutes de plus ou de moins... il n’y perdra rien... j’ai là son affaire. Voyons d’abord s’il m’a laissé une maison un peu convenable...

Il sort par le fond, et regarde en dehors du vestibule.

FOMBONNE, entrant par la parle et gauche.

C’est à n’y pas tenir... je n’ai jamais vu de noce aussi triste ; mon neveu à l’air inquiet ; sa future l’observe et ne dit mot ; les témoins n’en disent pas d’avantage... J’ai essayé de lancer quelques plaisanteries... personne n’a ri ; on n’a pas eu l’air de comprendre... c’est bien de la peine de faire de l’esprit.

CHAPOTIN, à part, en rentrant et se frottant les mains.

Cinq étages, sans compter l’entresol ! C’est assez gai.

Il rit tout bas.

FOMBONNE, à part.

À la bonne heure, en voilà un qui paraît bien disposé.

CHAPOTIN, de même.

Nous tirerons bon parti de tout cela.

Il rit.

Et aussitôt que la cérémonie sera terminée...

FOMBONNE.

Je vois que Monsieur est des nôtres ?

CHAPOTIN.

Si Monsieur est de la cérémonie ?

FOMBONNE.

Sans doute, et je suis bien aise de rencontrer un visage riant.

Montrant la porte à gauche.

Ils sont là dedans d’un lugubre !...

CHAPOTIN.

Il y en a donc aussi de ce côté là ?

FOMBONNE.

Comme vous dites.

CHAPOTIN.

C’est que l’appartement fait tout le tour.

FOMBONNE.

C’est possible !... ah ! çà, il faut nous entendre pour que ce ne soit pas triste comme un enterrement !

CHAPOTIN.

Vous avez raison ! parce qu’au fait ça n’en est pas un !...

FOMBONNE, riant.

N’est-ce pas ?

CHAPOTIN.

Et pourvu que les choses se passent décemment...

FOMBONNE.

Oui décemment, mais gaiement... vous êtes connue moi... vous n’avez pas envie de pleurer ?

CHAPOTIN.

Ma foi non... je suis philosophe.

FOMBONNE.

Et moi aussi... Nous ferons à table plus ample connaissance.

CHAPOTIN.

Après la cérémonie, volontiers... Je n’ai jamais refusé une invitation.

Il se met à écrire sur son carnet.

FOMBONNE, le regardant.

Est-ce que vous vous proposez de nous dire quelque chose ?

CHAPOTIN, affirmativement et d’un air capable.

Mais, oui.

FOMBONNE.

Des vers, peut-être ?

CHAPOTIN.

Non, de la prose... de la simple prose... la langue de Racine.

FOMBONNE.

Vous avez raison... les vers, c’est trop commun... tout le monde en fait... tandis que la prose...

CHAPOTIN.

On n’en fait plus... surtout comme celle-là.

FOMBONNE.

Je suis sûr que ce sera gentil.

CHAPOTIN.

Oh ! ce sera de circonstance.

FOMBONNE.

J’adore les impromptus.

CHAPOTIN.

C’est mon fort...

Rayant plusieurs mois.

J’ai le travail extrêmement facile.

FOMBONNE.

Vous m’avez l’air d’un bon vivant.

CHAPOTIN.

Et vous d’un franc épicurien.

FOMBONNE.

Donnez-moi la main, et vive la joie !

CHAPOTIN.

Vive la joie !

Ensemble.

FOMBONNE.

Air : Au clair de la lune.

Chanter, rire et boire
Pour charmer le temps,
Voilà mon histoire
Depuis quarante ans.

La mort inflexible
Peut venir demain,
Je l’attends paisible,
Le verre à la main ;
Et de sa menace,
Loin de m’attrister,
Je lui veux en face
Gaiement répéter :

FOMBONNE.

Chanter, rire et boire, etc.

CHAPOTIN.

Chanter, rire et boire, etc.

UN MAÎTRE DES CÉRÉMONIES, sortant par la porte à droite.

On demande les parents.

FOMBONNE, sans se retourner.

J’y vais !

Il va pour faire quelques pas.

CHAPOTIN, le retenant.

Comment ! est-ce que vous seriez de la famille ?

FOMBONNE.

Je suis l’oncle ; rien que cela !

CHAPOTIN, à part.

Oh ciel ! un oncle, un scélérat d’oncle qui passe avant moi dans le partage !

 

 

Scène VI

 

CHAPOTIN, FOMBONNE, ISIDORE

 

ISIDORE, entrant virement.

Ah ! ça, que devenez-vous donc, mon oncle ?

CHAPOTIN.

Qu’entends-je ? monsieur serait un neveu ?

FOMBONNE.

Eh ! oui !

CHAPOTIN.

C’est-à-dire un de nos cousins ?

ISIDORE.

Je vois que Monsieur est aussi de la famille ?

CHAPOTIN, avec un profond soupir.

Hélas !

ISIDORE.

Un jour comme celui-ci ils viennent tous.

FOMBONNE.

Sans doute.

CHAPOTIN, avec crainte.

Est-ce qu’il y en a déjà beaucoup ?

ISIDORE.

Déjà cinq ou six qui sont dans le salon.

CHAPOTIN, à part.

Miséricorde !

ISIDORE.

Mais il en viendra d’autres.

CHAPOTIN, à part.

Ah ! ma pauvre succession !... ils vont s’arracher les morceaux de la maison... ils ne me laisseront pas une pierre pour reposer ma tête !

FOMBONNE, à Isidore.

Comme tu parais agité !

ISIDORE.

C’est que je meurs d’impatience, et si vous saviez pourquoi !...

FOMBONNE.

Qu’est-ce donc ?

ISIDORE.

Je ne puis vous l’expliquer en ce moment... la cérémonie nous presse... Voyez, je vous prie, si on a l’expédition de l’état civil.

FOMBONNE, prenant son chapeau.

Tout de suite, mon ami.

ISIDORE.

Je vais m’occuper de l’église.

CHAPOTIN.

J’y vais avec vous... il faut veiller à ce que tout soit fait convenablement... les tentures... les cierges.

Fombonne sort.

ISIDORE.

Ne vous donnez pas cette peine... je m’en charge.

CHAPOTIN, à part.

Il s’en charge !... il va peut-être faire trop bien les choses... et quand on est déjà une douzaine à partager...

ISIDORE, à Chapotin.

Pardon, si je vous quitte... un devoir impérieux... au surplus, je ne vous laisse pas seul... voici votre cousine qui va vous tenir compagnie.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

CHAPOTIN, CAROLINE, en robe noire très élégante

 

CHAPOTIN, à part.

Ma cousine ! c’est la veuve ! la femme du défunt.

CAROLINE, à part.

Je ne puis rester en place... je suis inquiète, tourmentée... je ne conçois rien à la tristesse d’Isidore... j’ai surpris des larmes dans ses yeux... il me cache quelque chose...

CHAPOTIN, à part.

Elle est fort bien la petite veuve.

CAROLINE.

Je ne puis devant mes parents affecter une gaieté qui est loin de mon âme... je suis poursuivie de sinistres pensées, d’images lugubres.

CHAPOTIN, s’approchant.

Madame...

CAROLINE, à part.

Oh ciel ! quelle figure !

CHAPOTIN, à part.

Elle est émue, c’est bon signe.

Haut.

Je vois, Madame, à la tristesse qui règne sur votre front...

CAROLINE, cherchant à se remettre.

Daignez me la pardonner.

CHAPOTIN.

Comment donc ! elle est bien naturelle. Ce jour a rouvert une plaie qui saigne encore.

CAROLINE.

Que voulez-vous dire ?

CHAPOTIN

Qu’on ne perd point impunément la moitié de soi-même... vous en êtes aux regrets, c’est dans l’ordre...

Changeant de ton.

J’étais l’ami, le parent de feu votre mari...

CAROLINE, à part.

Dieu ! quelle rencontre !

CHAPOTIN.

C’était un bien digne homme !... bon fils, bon époux, bon citoyen... il m’appartient surtout de faire son éloge.

CAROLINE.

C’est possible... mais le moment est-il bien choisi pour cela ?

CHAPOTIN.

Serait-ce la crainte de renouveler vos douleurs ?

CAROLINE.

Monsieur...

CHAPOTIN.

J’entends : vous ne viviez peut-être pas dans la tendresse la plus vive...

CAROLINE.

Non, Monsieur ; l’âge et les infirmités avaient aigri son caractère.

CHAPOTIN.

Il était vieux et infirme ! Que me disait donc le portier qu’il avait quarante-cinq ans !

CAROLINE.

Soixante, monsieur !

CHAPOTIN.

Je rétablirai les faits, Madame, je les rétablirai avec plaisir.

Changeant de ton.

Vous avez rempli vos devoirs de veuve en conscience. Vous avez pleuré votre époux pendant un an : c’est beaucoup.

CAROLINE.

Monsieur !...

CHAPOTIN.

C’est tout ce que l’on peut demander à une veuve inconsolable... Deux beaux yeux ne sont pas faits pour pleurer toujours... ils ont dans la société d’autres devoirs à remplir. Vous ne pouvez vous condamner à l’isolement et à la retraite.

CAROLINE, timidement.

C’était... l’opinion de ma famille...

CHAPOTIN.

Et votre famille a raison.

CAROLINE.

Je suis charmée, monsieur, que les parents de mon mari pensent comme les miens... car, je dois l’avouer, leurs instances seules m’ont décidée à songer à de nouveaux nœuds.

CHAPOTIN.

Réellement ? vous songeriez à faire un choix ?

CAROLINE, étonnée.

Il est déjà fait, monsieur...

CHAPOTIN.

Ah ! mon Dieu !... Quand je disais qu’il fallait se presser...

CAROLINE.

Quoi ! vous l’ignoriez !

CHAPOTIN.

Certainement... et la preuve... c’est que le connaissais quelqu’un... un parent de votre mari... un homme très estimable, héritier pour une part dans sa succession... et qui aurait eu des intentions extrêmement sérieuses...

CAROLINE, à part.

Quel original !

Haut.

Et c’est aujourd’hui que vous m’en parlez ?

CHAPOTIN.

Il s’y est pris trop tard.

Air : Comme il m’aimait. (Monsieur Sans-Gêne.)

N’en parlons plus ! (bis.)
Mais sachez qu’il est frais et leste,
Qu’il a des talents reconnus
Et de l’esprit jusqu’à l’abus,
Qu’il a les yeux d’un bleu céleste,
Qu’il est franc... et surtout modeste...
N’en parlons plus !... (bis.)

CAROLINE.

Je suis très fâchée...

CHAPOTIN.

Et pourrait-on au moins savoir le nom de ce nouveau mari ?

CAROLINE.

Ce n’est point un mystère... M. Fombonne...

CHAPOTIN, cherchant.

M. Fombonne ?... attendez donc ! Je connais ce nom-là... il me semble qu’il y a quelque chose... M. Fombonne !...

CAROLINE.

Plaît-il ?

CHAPOTIN, se frappant la tête.

Oui... une lettre pour lui... une lettre cachetée de noir... et que j’ai promis de remettre en main propre...

CAROLINE.

C’est donc important ?... Il y a donc quelque mystère ?

CHAPOTIN.

Je ne puis pas vous dire... mais j’aurai le temps avant la cérémonie... Il y sera sans doute...

CAROLINE.

Belle demande !

CHAPOTIN.

Je cours chez moi... Pardon, belle dame.

À Fombonne qui entre.

Pardon, cousin, si on voulait partir sans moi, priez d’attendre un instant... je demeure à deux pas, et je ne fais qu’un saut.

Il sort en courant.

 

 

Scène VIII

 

CAROLINE, FOMBONNE

 

FOMBONNE.

Voilà un singulier original !

CAROLINE.

Moins singulier encore que les discours qu’il m’a tenus. C’est un parent de mon premier mari... il m’a parlé, je ne sais à quel propos, de quelqu’un qui aurait des prétentions à ma main.

FOMBONNE

Bah ! serait-ce lui par hasard ?

CAROLINE.

Peu importe... ce n’est pas là ce qui me tourmente, c’est votre neveu...

FOMBONNE.

Eh bien ! s’il faut vous l’avouer, il y a en lui quelque chose qui me paraît inconcevable ! surtout un jour comme celui-ci.

CAROLINE.

N’est-il pas vrai ?

FOMBONNE.

Je ne sais que penser de l’inquiétude oh je vois Isidore.

CAROLINE.

Je n’osais vous en parler ; mais tout le monde a remarqué ainsi que moi sa tristesse.

FOMBONNE.

J’ai déjà voulu l’interroger là dessus.

CAROLINE.

Est-ce qu’il ne m’aimerait plus ?

FOMBONNE.

Allons donc !

CAROLINE.

Si je le croyais, je m’éloignerais à l’instant même.

FOMBONNE.

Est-ce que cela se peut ? N’êtes-vous pas déjà mariés ?... Et puis ce ne peut être ce que vous supposez.

CAROLINE.

Dieu le veuille !

Montrant Isidore qui entre.

Le voici !... Quel air soucieux !

FOMBONNE.

Laissez-nous... Je vais profiter du moment... Je saurai la vérité.

CAROLINE, en s’en allant.

Il ne m’a pas seulement aperçue.

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

FOMBONNE, ISIDORE

 

FOMBONNE.

Arrive donc !... ou n’attend plus que toi...

ISIDORE.

Personne, en mon absence, n’est venu me demander ?

FOMBONNE.

Personne !

ISIDORE.

Tant mieux... car je craignais...

FOMBONNE.

Quoi donc ? qu’est-ce que cela signifie ? Tu devrais être joyeux, aimable, tout à ton bonheur ; et, au lieu de cela je te trouve sombre, préoccupé... Tu as je ne sais quelle pensée qui te tourmente.

ISIDORE.

Eh bien ! oui, mon oncle, je n’ai pas dormi de la nuit.

FOMBONNE.

Ce n’est pas étonnant : marié hier soir à la municipalité, cela donne des idées pour le lendemain.

ISIDORE.

Si ce n’était que cela !...

À demi-voix.

mais j’ai pour que ce mariage ne s’achève pas.

FOMBONNE.

Allons donc !

ISIDORE.

Il peut survenir un obstacle.

FOMBONNE.

Maintenant ?... Tu as perdu la tête.

ISIDORE.

Je le voudrais... je serais moins à plaindre.

FOMBONNE.

Alors, explique-toi : car tout cela est une énigme.

ISIDORE.

Oui... je n’y tiens plus...

Regardant de tous côtés.

Et, puisque nous sommes seuls, vous saurez tout !... Aussi bien je n’aurais pas longtemps à vous cacher un secret qui me pèse.

FOMBONNE.

Tu commences à m’effrayer.

ISIDORE.

Vous vous souvenez que, bien jeune encore, ma famille me fit voyager dans le midi... j’étais sans expérience... Je fis la rencontre d’une coquette, et lui adressai mes hommages... On la disait veuve, je le crus, et me trouvais son amant, quand le mari arriva.

FOMBONNE.

Était-ce un philosophe ?

ISIDORE.

C’était un original d’une tournure assez grotesque, se souciant peu de sa femme, mais fort chatouilleux sur le point d’honneur... Il vint me trouver... je ne sais pourquoi il me donna la préférence. Je n’étais pas plus coupable que cinq ou six... peut être plus... que la clameur publique devait lui désigner... mais il m’avait choisi : je me rendis sur le terrain.

FOMBONNE.

Voilà comme nous sommes dans la famille.

ISIDORE.

On m’avait prévenu qu’il passait sa vie au tir de Lepage et qu’il était de première force au pistolet... Je choisis l’épée.

FOMBONNE.

C’était bien vu...

ISIDORE.

Mais, ce fut inutile ! Dès les premières bottes, j’eus le bras droit percé de part en part...

FOMBONNE.

C’était fort heureux : cela mit fin au combat.

ISIDORE.

Du tout... j’avais pour adversaire un enragé... « Vous savez que c’est à mort, me dit-il ; je vous donne trois mois pour vous rétablir »  J’étais guéri au bout de six semaines : j’employai bien le temps qui me restait, et me vouai tout entier à l’escrime, jusqu’au moment où il fallut de nouveau mettre l’épée à la main.

FOMBONNE.

Et, cette fois ?...

ISIDORE.

« Vous avez fait quelques progrès, me dit-il d’un ton railleur ; » et pendant plusieurs minutes il se contenta de parer... puis tout-à-coup me porta un vigoureux coup de pointe qui me traversa la poitrine... Je tombai sans connaissance.

FOMBONNE.

Pauvre garçon !...

ISIDORE.

On me crut mort, je n’étais que blessé... mais ma convalescence fut très longue. J’étais dans mon lit, quand je reçus un nouveau billet de mon adversaire, il était ainsi conçu : « Je croyais que tout était fini ; mais c’est à recommencer... Il est juste de vous donner le temps de vous rétablir : je viendrai vous prendre dans quinze mois, jour pour jour, de midi à quatre heures... Je serai exact. »

FOMBONNE.

Mais cet homme là est donc insatiable !

ISIDORE.

C’est un entêté qui veut absolument que l’un de nous deux reste sur le carreau. Je l’avais oublié, je ne pensais plus à lui, et tout entier à mon bonheur et à mon mariage, j’étais d’une sécurité parfaite ; lorsqu’hier, en cherchant des papiers qui me sont nécessaires, la lettre de mon adversaire m’est tombée entre les mains, et j’ai vu que c’était aujourd’hui même qu’expirait le délai fatal.

FOMBONNE.

Bah ! tu te seras peut-être trompé !

ISIDORE.

Non, mon oncle... et comme je connais son exactitude, je m’attends à chaque instant à le voir entrer.

FOMBONNE.

Comment veux-tu qu’il connaisse ton adresse ?

ISIDORE.

Les journaux n’ont-ils pas annoncé mon mariage ? J’en ai lu la nouvelle dans le Courrier français, et je sais qu’il y était abonné.

FOMBONNE.

Mais, depuis le temps...

ISIDORE.

N’importe... je le connais ; il viendra, et c’est ce qui me tourmente. Certes, je ne suis point un poltron ; je l’ai prouvé, je le prouverai encore. Mais vous conviendrez qu’au moment où un mariage comble tous mes vœux, lorsque je ne demanderais qu’à vivre et à être heureux, il est cruel d’avoir à risquer ses jours contre le fer d’un spadassin pour une vieille querelle qui à déjà fait deux fois couler mon sang.

Air du Verre.

Et cela lorsqu’un tendre espoir
Agitait doucement mon âme...
Enfin, lorsque j’allais ce soir
Etre le mari de ma femme !
Ce soir l’amour et le plaisir
M’offraient si douce perspective !...
Il est désolant de partir
À l’heure où le bonheur arrive !

FOMBONNE.

Paix ! voici Caroline.

ISIDORE.

Je compte sur votre prudence pour lui rendre le coup moins sensible.

 

 

Scène X

 

FOMBONNE, ISIDORE, CAROLINE

 

CAROLINE, à demi-voix, à Fombonne.

Eh bien ! savez-vous enfin ?

FOMBONNE.

Oui, des chimères, des idées de jalousie sur vous.

CAROLINE.

Sur moi ?

FOMBONNE.

Ne lui en parlez même pas ; il en est honteux...

Bas, à Isidore.

Dis-lui donc quelque chose.

ISIDORE, à Caroline, avec embarras.

J’espère que Caroline m’excusera...

CAROLINE.

Du moment que vous reconnaissez votre erreur...

FOMBONNE.

N’y pensons plus, et que rien ne s’oppose à la joyeuse solennité qui se prépare.

ISIDORE, à demi-voix, à Fombonne.

Au fait, la journée s’avance ; il est possible qu’il ne vienne pas.

FOMBONNE, de même.

Sans doute... il aura oublié...

Haut.

Je vais donner le bras à la mariée.

À Isidore.

Toi, donne le signal au cortège... qu’on se mette en marche, et terminons gaiement une journée consacrée toute entière à l’espérance et au bonheur.

Ils remontrent tous trois le théâtre.

 

 

Scène XI

 

FOMBONNE, ISIDORE, CAROLINE, CAUCHOIS

 

CAUCHOIS, les arrêtant.

Pardon !... il y a un monsieur qui demande à parler à M. Fombonne en particulier.

FOMBONNE.

Oh ciel !

ISIDORE.

C’est lui !

FOMBONNE.

Je le crains !

ISIDORE.

J’en suis sûr.

CAROLINE, à part, et regardant Isidore.

Comme il est troublé !

CAUCHOIS, à part, les regardant tous.

Il paraît que ça les contrarie.

ISIDORE.

Où est ce Monsieur ?

CAUCHOIS.

Dans ma loge, où il écrit ; et comme je lui disais que M. Fombonne était-peut être occupé, il m’a dit : « Remettez-lui toujours cette lettre ! »

FOMBONNE, prenant la lettre.

Une lettre !...

La montrant à Isidore

Tu vois...

ISIDORE, jetant les yeux sur la lettre.

C’est son écriture !... c’est lui ! c’est son défi !

CAROLINE.

Qu’y a-t-il ?... Quelle est cette lettre ? Je veux le savoir.

ISIDORE, de même.

Qu’elle ne la voie pas.

FOMBONNE, passant près d’elle.

Pardon, ma chère nièce... une lettre pour moi...

La lui montrant.

à M. Fombonne... vous le voyez... une lettre d’affaire... sur la quelle j’aurais voulu consulter mon neveu... mais, dans un jour comme celui-ci...

ISIDORE.

Et pourquoi pas, mon oncle ? Je suis à vos ordres.

CAROLINE.

Non pas, Monsieur, vous êtes aux miens.

ISIDORE.

Certainement... Je vais alors parler seulement à la personne qui est en bas.

CAROLINE.

À quoi bon... puisqu’elle vient pour votre oncle.

ISIDORE.

Sans doute ; mais elle attend.

CAROLINE.

Eh bien ! faites monter.

Cauchois sort.

FOMBONNE.

Ma nièce a raison... je vais recevoir... et m’entendre avec ce monsieur.

ISIDORE.

C’est juste ! vous lui expliquerez... vous lui direz...

CAROLINE.

Quoi donc ?

ISIDORE, lui prenant la main.

Que je suis avec ma femme... et que je ne puis m’occuper en ce moment, du moins... de l’affaire en question ; mais vous prendrez tous les arrangements nécessaires... et dans une heure je serai chez moi.

CAROLINE.

Et pourquoi donc ?

FOMBONNE, finement.

Pour prendre de l’argent.

ISIDORE.

Oui, une dette à acquitter...

CAROLINE.

Il n’y a pas besoin pour cela de vous éloigner. Oui, monsieur, vous ne me quitterez pas d’aujourd’hui, du moins, et vous allez avec moi rejoindre vos amis. Allons... votre main... Vous ne voudrez pas, je l’espère, et pour le premier jour de notre mariage, me forcer à vous dire : Je le veux !

ISIDORE, lui donnant la main.

Oh ! non... sans doute...

En s’en allant.

Mon oncle... je m’en rapporte à vous !

CAROLINE.

Air : C’est un fonds perdu.

Venez, suivez-moi !
Obéissance
Et confiance,
Aujourd’hui, je crois,
Sont les devoirs de votre emploi.

Quels yeux inquiets !
L’époux dont j’ai reçu les chaînes
Peut avoir des peines,
Mais non pas avoir des secrets...

Ensemble.

CAROLINE.

Venez, suivez-moi ! etc.

ISIDORE.

Oui, comptez sur moi !
Obéissance
Et confiance,
Aujourd’hui, je crois,
Sont les devoirs de mon emploi.

FOMBONNE, à Isidore.

Allons, calme-toi !
Obéissance
Et confiance,
Aujourd’hui, je crois,
Sont les devoirs de ton emploi.

Caroline sort avec Isidore.

 

 

Scène XII

 

FOMBONNE, puis CAUCHOIS et ensuite CHAPOTIN

 

FOMBONNE, seul.

Il s’en rapporte à moi... il est bien bon ! Mais quels arguments employer avec un pareil homme... Si l’on peut gagner du temps... c’est je crois ce qu’il y a de mieux à faire.

CAUCHOIS, rentrant.

Le voilà !... le voilà ! qui monte !... toujours à écrire... et parlant tout haut... on dirait qu’il est fou.

FOMBONNE.

Tu es bien bon... dis donc enragé !

CAUCHOIS.

Ah ! mon Dieu... tenez... tenez...

FOMBONNE, regardant Chapotin.

Oh ciel !... cet original de ce matin... ce parent à nous ! Laisse-nous !...

CAUCHOIS.

Mais, Monsieur...

FOMBONNE

Laisse-nous, te dis-je !

Cauchois sort.

CHAPOTIN, à part.

L’officier des pompes m’a dit en bas que nous partions dans un quart d’heure... et je n’aurai jamais fini, parce que plus on se presse, et moins les idées arrivent.

Écrivant.

« Que les larmes des gens de bien ! que le désespoir de sa veuve... » Non, non... elle s’apprête à convoler... » Que les larmes des gens de bien... »

FOMBONNE, l’abordant.

Pardon, monsieur... vous savez le motif qui m’amène...

CHAPOTIN.

Oui, monsieur, le même que moi...

FOMBONNE.

Vous ne devez pas alors être étonné si nous venons, moi et mon neveu...

CHAPOTIN.

C’est tout naturel.

Écrivant toujours.

« Que la terre lui soit légère ! »

FOMBONNE

Et que faites-vous donc là, de grâce ?

CHAPOTIN.

Parbleu !... son oraison funèbre !

FOMBONNE., indigné.

Son oraison funèbre !

CHAPOTIN.

Qu’avez-vous donc ?

FOMBONNE, de même.

Son oraison funèbre !

CHAPOTIN.

Il faut bien que quelqu’un la fasse.

FOMBONNE.

Monsieur... vous êtes un barbare !

CHAPOTIN.

Moi !... je ne crois pas.

FOMBONNE.

Une aussi odieuse plaisanterie annonce le cœur le plus dur, le plus insensible...

CHAPOTIN.

Ah ! ça, monsieur, expliquons-nous.

FOMBONNE.

Non, monsieur... il n’y a plus d’explications possibles et puisque vous êtes aussi sûr de votre coup, il y a des moyens d’égaliser la partie...

CHAPOTIN.

Quelle partie ?...

FOMBONNE.

Celle que vous proposez à mon neveu... dans cette lettre que vous venez de lui écrire.

CHAPOTIN.

Je ne lui ai rien écrit...

FOMBONNE.

Quoi ! cette lettre...

CHAPOTIN.

N’est pas de moi...

FOMBONNE.

Mais c’est vous qui l’avez apportée 9... Vous connaissez celui qui vous l’a remise ?...

CHAPOTIN.

Qui est-ce qui vous dit le contraire ?...

FOMBONNE.

Pardonnez alors à ma vivacité... et puisque nous sommes... parents... parents éloignés, qu’importe ?... tâchons d’arranger tout cela à l’amiable.

CHAPOTIN.

C’est mon désir... et vous me trouverez aussi conciliant que possible sur les affaires de la succession.

FOMBONNE, avec colère.

De la succession !... vous le regardez donc comme mort...

CHAPOTIN, étonné.

Cette question !... je le regarde comme mort et enterré.

FOMBONNE.

Pas encore !...

CHAPOTIN.

Hein ! que dites-vous ?... est-ce qu’il y aurait la dessus le moindre doute...

FOMBONNE.

Il suffit, monsieur, il suffit... vous n’êtes pas, je le vois, un homme avec qui l’on puisse s’entendre... aussi je ne vous demande plus qu’un mot... le nom de la personne qui vous a remis cette lettre...

CHAPOTIN.

M. Duclozeau...

FOMBONNE.

Duclozeau... je le connais, enfin !... son adresse...

CHAPOTIN.

Rue de la Lune, n° 23.

FOMBONNE.

J’y cours !... M. Duclozeau... un militaire... un officier... n’est-ce pas ?

CHAPOTIN.

Eh ! non, monsieur... un notaire...

FOMBONNE.

Un notaire !... il serait possible !... tant de férocité dans le notariat !

CHAPOTIN, avec impatience.

Eh ! que diable... monsieur... adressez-vous à lui.

FOMBONNE.

Oui... oui... vous un raison... et si je n’obtiens rien... si je ne puis rien changer entre lui et mon neveu...

Air : Je regardais Madelinette.

Si n’écoutant que sa furie,
Il me repousse... nous serons
Tous deux aussi de la partie...

Chapotin fait un geste.

Il suffit... nous nous entendons.

À part.

Du duel fureur meurtrière !
Jusqu’au notaire, quel abus !
Qui veut tuer son adversaire
Pour faire un testament de plus !

Ensemble.

FOMBONNE.

Si n’écoutant que sa furie, etc.

CHAPOTIN.

J’aurais besoin, je vous en prie,
De quelques explications...
Dites-moi de quelle partie
Vous désirez que nous soyons.

Fombonne sort.

 

 

Scène XIII

 

CHAPOTIN, seul

 

Il peut bien se vanter d’être, avec son neveu, les plus insupportables cousins qui existent... Il m’a fait là un galimatias de notaire et d’affaires de succession... et puis cette idée de m’empêcher de finir mon oraison funèbre... « Que la terre lui soit légère... » d’arrêter les élans de ma sensibilité... « Que la terre lui soit légère... » et après cela de m’appeler un barbare... S’il veut parler de mon style... c’est possible... avec des interruptions pareilles, feu M. Bossuet aurait eu de la peine à ne pas faire quelque brioche... Après cela, ce pauvre homme, peut-être que la douleur l’égare... il y a des gens que l’affliction rend bêtes... et il me fait l’effet d’un homme fortement affligé... pour ne pas dire... continuellement affligé... « Que la terre lui soit légère... car il est mort en brave ! il est mort !... »

 

 

Scène XIV

 

CHAPOTIN, écrivant, CAROLINE, sortant de la porte à gauche

 

CAROLINE, entendant les derniers mots.

Mort !... qui donc ?

CHAPOTIN, à part, écrivant toujours.

Elle me le demande !... comme si depuis un an elle ne le savait pas...

CAROLINE.

Mais, répondez, de grâce...

CHAPOTIN, avec impatience.

Et, parbleu !... votre mari !

CAROLINE.

Mon mari !...[1] Grand dieu ! qui vous a dit... mais, non, c’est impossible !...

CHAPOTIN.

Elle a l’air encore d’en douter !

CAROLINE.

Il n’y a qu’un instant qu’il m’a quittée.

CHAPOTIN, à part.

Une année... elle appelle ça un instant... Il paraît que le temps lui passe vite !...

CAROLINE.

Mais, parlez-moi donc, monsieur... c’est mal à vous de chercher ainsi à m’alarmer.

CHAPOTIN.

Je ne cherche rien, madame...

CAROLINE.

Cependant, ce que vous venez de dire... certes, je n’en crois rien... et pourtant j’éprouve un trouble, une agitation, un serrement de cœur...

 

 

Scène XV

 

CHAPOTIN, CAROLINE, FOMBONNE

 

FOMBONNE, les arrêtant et passant entre eux deux.

Ah ! madame !... ah ! mes amis !... quelle nouvelle ! la plus étonnante... la plus imprévue... la plus miraculeuse... je n’en puis revenir encore...

CAROLINE.

Achevez... Isidore... mon mari...

FOMBONNE.

Calmez-vous, et surtout ne vous effrayez pas... il n’est pas mort...

CHAPOTIN.

Il n’est pas mort !...

Prêt à tomber à la renverse.

Je suis ruiné... je me trouve mal !

FOMBONNE, se retournant.

Et lui aussi !...

CHAPOTIN, avec colère.

Il n’est pas mort ! ce n’est pas possible... ce n’est pas maintenant que l’on viendra me soutenir...

FOMBONNE.

Cependant, rien n’est plus réel.

CHAPOTIN.

Faites donc des frais de deuil et d’éloquence !...

Il détache le crêpe de son chapeau, le jette par terre et finisse son papier.

Ça lui est bien égal... il n’y a aucun égard... c’est une horreur... on ne sait plus sur quoi compter... Et expliquez-nous, au moins, comment il se fait qu’au bout d’un au...

FOMBONNE

Justement... voilà l’incroyable !... c’est qu’il y a déjà un an...

CHAPOTIN.

C’est donc une résurrection !

FOMBONNE.

Pour nous ! certainement !

CHAPOTIN.

Eh bien ! ça ne se doit pas... non, monsieur, ça ne se doit pas... on reste où on est !... qu’est-ce que ça signifie ?... Et où en serions-nous, grand dieu ! si chaque matin... on venait ainsi, sous prétexte qu’on a changé d’idées... c’est contraire à toutes les lois... les lois de la nature et du Code civil... Et il viendrait lui-même me soutenir le contraire...

FOMBONNE.

Eh bien ! Monsieur... le voici...

 

 

Scène XVI

 

CHAPOTIN, CAROLINE, FOMBONNE, ISIDORE

 

CAROLINE, se jetant dans ses bras.

Isidore !...

CHAPOTIN.

Hein !... qu’est-ce que c’est... mon petit cousin de ce matin...

ISIDORE.

Je vois que mon oncle vous a tout dit... mais calmez-vous !... je viens de chez moi... où j’ai vainement attendu mon adversaire.

FOMBONNE.

Je le crois bien, et tu l’attendrais longtemps encore ! Cette lettre qu’il t’adressait et que son notaire avait trouvée dans les papiers de la succession, avait été écrite par lui, il y a un an... quelques jours avant sa mort...

ISIDORE.

Oh ciel !... le baron d’Erfurt...

FOMBONNE.

N’existe plus... il est décédé... dans sa maison...

ISIDORE.

Il serait possible !

CHAPOTIN.

Décidément... de cette fois il est bien mort !...

FOMBONNE.

Eh ! sans doute !

CHAPOTIN.

À la bonne heure... vous m’aviez fait une peur... j’avais entendu... je croyais... qu’un événement imprévu et malheureux... mais à la joie... de monsieur... à la vôtre... à celle de sa veuve...

ISIDORE et CAROLINE, avec étonnement.

De sa veuve !

CHAPOTIN, vivement.

Nous nous entendons... nous nous comprenons... nous sommes tous de bons parents, de loyaux héritiers... qui renaissent à l’espérance et à la succession...

ISIDORE et FOMBONNE.

Laquelle ?

CHAPOTIN.

Celle du baron d’Erfurt... mon cousin.

FOMBONNE.

Ce n’est pas le nôtre.

CHAPOTIN.

Hein, que dites-vous ?... le propriétaire de cette maison... de cette magnifique maison... n’a pas en vous des parents... des héritiers ?...

FOMBONNE.

En aucune façon.

CHAPOTIN.

Il n’en a pas ici ?

FOMBONNE.

Nous n’en connaissons pas !

CHAPOTIN.

Ah !... ah ! c’en est trop !... c’est trop de coups à la fois pour que je puisse y résister !... Je n’ai pas de cousins !... je suis seul !... je n’y tiens plus !... je suis d’un bonheur... j’embrasserais tout le monde... vive la joie... Vive mon cousin le baron qui est mort !...

Il chante et il danse.

Tra, la, la, la, la, la.

 

 

Scène XVII

 

CHAPOTIN, CAROLINE, FOMBONNE, ISIDORE, CAUCHOIS

 

CAUCHOIS, à Chapotin.

Monsieur, voici la cérémonie qui se met en marche.

CHAPOTIN, reprenant l’air lugubre.

Ah ! mon dieu... qu’est-ce que je fais là ? et mon chapeau... et mon discours... où est-il ?

Il le ramasse à terre.

et mon crêpe ?

Cherchant sur la table et prenant un bouquet qu’il y trouve.

Partons !

CAUCHOIS.

Y pensez-vous !

CHAPOTIN.

C’est juste !... un bouquet ! je ne sais plus où j’ai la tête... attache moi mon crêpe...

 

 

Scène XVIII

 

CHAPOTIN, CAROLINE, FOMBONNE, ISIDORE, CAUCHOIS, JUSTINE, entrant de l’autre côté

 

JUSTINE.

On envoie dire de l’église que tout est prêt...

CHAPOTIN.

Nous y allons...

JUSTINE, à Caroline.

Et qu’on n’attend plus que les mariés.

CHAPOTIN.

Hein !... Qu’est-ce qu’elle dit ?

FOMBONNE.

Que nous partons avec madame pour la noce.

CHAPOTIN, étonné.

Eh bien !... et l’autre !... l’autre cérémonie...

CAROLINE.

Nous n’en sommes pas...

CHAPOTIN, à Cauchois.

Ce n’est donc pas la veuve ?...

CAUCHOIS.

Eh ! non... elle habite de l’autre côté...

CHAPOTIN.

Il fallait donc le dire... tu m’annonceras chez elle... c’est ma cousine... et j’ai idée qu’elle pourra devenir quelque chose de plus.

CAROLINE.

Si, en attendant son mariage, monsieur veut assister au nôtre...

CHAPOTIN.

Pas dans ce moment... on m’attend... mais, ce soir, après... la triste et pénible cérémonie... Si je suis revenu à l’heure du dîner... nous tirons, nous chanterons...

À l’officier des pompes qui paraît à la porte, à droite, avec le cortège.

Nous partons...

ISIDORE, à des dames qui paraissent à la porte à gauche.

Nous partons...

Les deux cortèges sortent en même temps, l’un de la porte à droite, l’autre de la porte à gauche.

CAUCHOIS.

Quel coup d’œil !... quel coup d’œil !...

Le chœur.

Air de la Tentation.

LA NOCE.

Le plaisir nous convie au départ.

LA CÉRÉMONIE FUNÈBRE.

Qu’on se presse !

LA NOCE.

Qu’on s’assemble, et partons sans retard,

LA CÉRÉMONIE FUNÈBRE.

Pour la messe.

LA NOCE.

Que l’amour qui les guette à l’écart,

LA CÉRÉMONIE FUNÈBRE.

Disparaisse.

LA NOCE.

Que chacun se signale ici, par
L’allégresse !

LA CÉRÉMONIE FUNÈBRE.

Que chacun se signale ici, par
La tristesse !

Air du vaudeville de Turenne.

CHAPOTIN, au public.

Entre cette cérémonie
Et l’autre, me voilà placé ;

Indiquant la cérémonie funèbre.

Ici, le plaisir me convie...

Se reprenant et montrant la noce en répétant le vers.

Ici, le plaisir me convie,

Indiquant la cérémonie funèbre.

Là, le devoir... je suis embarrassé ;
Il faut aller d’abord au plus pressé.
Mais, j’ai l’espoir, peut-être un peu précoce.
D’avoir ce soir de l’agrément...
Cela dépend de vous, car, autrement,
Je ne serais pas à la noce.

LE CHŒUR.

Le plaisir nous convie au départ, etc.

LA CÉRÉMONIE FUNÈBRE.

Qu’on se presse ! etc.

 

 

Variante de la scène XIV

 

CAROLINE.

Mon mari !... d’où le savez-vous ? qui vous l’a dit ?... comment ?...

CHAPOTIN.

Victime d’un préjugé barbare...

CAROLINE.

Un duel !... c’est donc cela...tout à l’heure, quand je donnais des ordres, il a disparu... ah ! malheureuse !...

Elle se laisse tomber, Chapotin la retient sur son bras.

CHAPOTIN.

Allons !... voilà que ça lui recommence... c’est trop fort !... surtout, quand il n’y a personne que moi... elle en fait trop !...

CAROLINE, d’une voix étouffée.

Isidore !... mon pauvre Isidore !...

CHAPOTIN, à part.

Il s’appelait Isidore !...

À Caroline.

Allons, madame, allons, çà n’est pas raisonnable de commencer ainsi ; attendez encore, attendez pour vous désoler.

CAROLINE.

Quoi ! que dites-vous ? y aurait-il encore des chances ?... tout ne serait-il pas désespéré ?

CHAPOTIN.

Mais, non, certainement... est-ce que je me désespère ?...


[1] Voir la variante de cette scène à la fin de la pièce.

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