Le Chevalier des dames (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Comédie mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 16 décembre 1852.

 

Personnages

 

NESTOR DE BOIS-ROSÉE

M. DE MERLEMONT

JUSTIN, laquais de Bois-Rosée

HENRIETTE, femme de Merlemont

JULIETTE, femme de chambre

 

La scène se passe à Paris, chez M. de Merlemont.

 

Un petit salon élégamment meublé. Au fond, au milieu, une cheminée a tablier. Porte à gauche et à droite de la cheminée : celle de gauche conduit au dehors ; celle de droite, à la chambre de Mme de Merlemont. Deux autres portes dans les deux pans latéraux. À droite, premier plan, contre la cloison, une console sur laquelle est un petit coffret. À gauche, premier plan, une table à ouvrage. Devant cette table, un fauteuil. Une causeuse à droite sur le devant ; sur la causeuse, un habit de livrée. Un fauteuil de chaque coté de la cheminée. Une brosse sur la cheminée. Un plumeau sur la table. Au lever du rideau, ou voit du feu dans la cheminée, dont le tablier est levé.

 

 

Scène première

 

HENRIETTE, puis DE MERLEMONT

 

Henriette s’arrange devant une glace. Elle est en toilette de concert, robe élégante de couleur claire.

HENRIETTE, seule.

Enfin, voilà une robe réussie !... le corsage prend bien... la jupe a de l’ampleur... 

Se regardant.

Très bien !... tout à fait bien !...

MERLEMONT, entrant par la porte latérale de gauche, et à part.

Ma femme... qu’est-ce qu’elle fait là ?... 

Haut.

Henriette !

HENRIETTE.

Ah ! c’est vous, mon ami ! Voyez donc dans le dos... il me semble avoir aperçu un pli...

MERLEMONT, regardant.

Un pli !... quel sinistre !... Non... je ne vois pas !

Descendant la scène.

Vous allez dire encore que je me mêle de ce qui ne me regarde pas... mais pourquoi cette robe ?

HENRIETTE.

Dame ! pourquoi met-on une robe ?

MERLEMONT.

Pour se couvrir.

HENRIETTE.

Barbare !... vous n’avez donc jamais été au bal ?

MERLEMONT.

Ne sortons pas de la question... Ce n’est pas là une toilette de campagne.

HENRIETTE.

C’est très vrai !... mais nous sommes à Paris.

MERLEMONT.

Oui... mais nous allons partir pour la campagne.

HENRIETTE.

Oh !... ce n’est pas bien sûr.

MERLEMONT.

Comment ?

HENRIETTE.

Il pleut.

MERLEMONT.

Nous emporterons des parapluies.

HENRIETTE.

Merci !

MERLEMONT.

Vous me remercierez quand vous aurez vu la charmante villa que je viens d’acheter près Montmorency... un paradis de trois cent mille francs !

Air : Vaudeville de la petite gourmande.

Dans cette agreste solitude,

Bien loin du monde et de son bruit,

Nous vivrons sans inquiétude...

HENRIETTE, ironiquement.

Ce tableau charmant me séduit !...

MERLEMONT.

L’esprit s’enivre, à la campagne,

De poésie et des rêves divins,

En bâtissant des châteaux en Espagne...

HENRIETTE, ironiquement.

Et des cabanes à lapins !... (bis)

MERLEMONT, avec impatience.

Ah ! vous n’aimez pas la nature !

HENRIETTE.

Et vous, vous l’aimez trop ! M’exiler de Paris... au mois d’avril !...

MERLEMONT.

J’ai besoin d’air, d’espace...

HENRIETTE.

C’est incroyable !... dès que ces messieurs prennent du ventre, ils ne peuvent plus tenir dans le mur d’enceinte... c’est trop petit !... Mais quelle rage avez-vous donc de voir pousser les navets ?

MERLEMONT.

Il ne s’agit pas de navets...

HENRIETTE.

Si vous voulez me faire plaisir, nous ne partirons que demain... Aujourd’hui j’ai un concert... chez Pleyel...

MERLEMONT.

Un concert ! Mais quelle rage avez-vous donc d’entendre roucouler des clarinettes ?

HENRIETTE.

Oh ! vous voilà bien !... D’abord, pour vous, tous les instruments sont des clarinettes !

MERLEMONT.

Dame !

HENRIETTE.

Savez-vous ce que c’est qu’un piano ?

MERLEMONT.

Parbleu !... c’est un gros meuble embarrassant...

HENRIETTE.

Charmante définition !... Eh bien ! devant ce... gros meuble embarrassant... un artiste doit s’asseoir... Listz !... le grand Listz !

MERLEMONT.

Je me moque pas mal du grand Listz !

HENRIETTE.

Il n’est à Paris que pour quelques jours...

MERLEMONT.

Je ne le retiens pas ; vous croyez que je vais négliger mes affaires parce que ce monsieur se dispose à jouer un morceau ?

HENRIETTE.

Taisez-vous donc !... si on vous entendait, vous ! le baron de Merlemont !

MERLEMONT.

Je n’ai pas de clarinettes dans mon écusson !

HENRIETTE.

Voyons, ne vous faites pas plus sauvage que vous n’êtes... passez un habit et offrez-moi galamment le bras.

MERLEMONT.

C’est impossible... j’ai rendez-vous à cinq heures avec le notaire de Montmorency pour payer la propriété que je viens d’acquérir... mes fonds sont prêts...

HENRIETTE.

Tout peut s’arranger, mon concert est pour midi... en partant à quatre heures...

MERLEMONT.

Non, madame... un jour de départ n’est pas un jour de musique !

HENRIETTE.

Mais regardez donc cette robe-là, vandale... j’ai mis deux heures pour m’habiller...

MERLEMONT.

En dix minutes vous serez déshabillée.

HENRIETTE.

Ah ça ! vous ne respectez donc rien ?

MERLEMONT, se reculant, en riant.

Oh ! oh !... quelle sainte colère !

HENRIETTE.

Vous riez !... vous êtes vaincu !... allez vite passer un habit.

MERLEMONT, sérieusement.

En vérité... à voir cette insistance... on croirait que vous n’allez pas au concert seulement pour la musique.

HENRIETTE.

Et pour quoi donc ?

MERLEMONT.

Que sais-je ?... Depuis quelque temps il tourne autour de vous une foule de petits binocles...

HENRIETTE.

Ce n’est pas ma faute si mes danseurs ont la vue basse... Est-ce que vous sériez jaloux ?

MERLEMONT.

Pourquoi pas ?

HENRIETTE.

Oh ! mais vous devenez comique !

MERLEMONT.

Je ne ris pas madame : et si j’ai acheté cette retraite champêtre, c’est principalement pour vous soustraire à cette cohue d’adorateurs...

HENRIETTE, piquée.

Ah !...ainsi cette campagne !... c’est une prison cellulaire...

MERLEMONT.

Elle ne sera pas cellulaire, puisque je l’habiterai avec vous.

HENRIETTE, sèchement.

Le geôlier ne compte pas !

MERLEMONT, avec colère.

Madame !

HENRIETTE.

Voulez-vous, oui ou non, me conduire au concert ?

MERLEMONT.

Non !... mille fois non !... d’ailleurs j’ai affaire... Mes cartes de visite à porter... P. P. C...

HENRIETTE.

Envoyez-les par votre domestique.

MERLEMONT.

Vous savez bien que je n’en ai pas, le mien est parti depuis hier... sous prétexte que son médecin lui défendait l’air de la campagne...

HENRIETTE.

Voilà un grand médecin ! Où demeure-t-il ?

MERLEMONT.

Mais j’attends un autre valet de chambre aujourd’hui... et quel qu’il soit, je l’arrête. Il me faut quelqu’un pour garder la maison... Adieu, ma bonne amie. 

HENRIETTE, sèchement.

Adieu, monsieur.

Merlemont sort par le fond.

 

 

Scène II

 

HENRIETTE, puis JULIETTE

 

HENRIETTE, seule.

Comme c’est gracieux un mari de deux ans !... 

Regardant sa toilette.

Pauvre robe ! il va falloir te serrer... car je ne t’emporterai pas à Montmorency... sois tranquille...

Air de Couderc.

Reste à Paris, robe coquette,

Aux champs tu ne me suivras pas ;

Pour l’hiver et ses jours de fête,

À la ville tu m’attendras :

Mais, déjà la mode inconstante

Reniera Ion charme d’un jour :

Je te quitte fraîche et brillante,

Tu seras vieille à mon retour.

Toi, que je quitte si brillante,

Tu seras vieille à mon retour.

Pauvre robe !... 

Avec colère.

Mais c’est de la férocité !... Me refuser au moment où je vais m’enterrer pour toute la saison !... Et Mme d’Hervières qui m’attend... elle doit me garder des places. Un concert magnifique... une robe délicieuse... c’est aussi par trop de tyrannie et... 

Résolument.

Eh bien ! oui ! j’irai !...

À la robe.

Nous irons !!!

Elle sonne. 

JULIETTE, entrant par le fond à droite.

Madame a sonné ?

HENRIETTE.

Mon chapeau... mon crêpe de Chine ?

JULIETTE.

Est-ce que madame va sortir ?

HENRIETTE.

Apparemment.

JULIETTE.

C’est qu’il pleut à verse... je vais dire d’atteler...

HENRIETTE.

Non.

À part, pendant que Juliette va prendre dans la chambre le chapeau et le châle.

Si je prends la voiture, mon mari se doutera...

Haut à Juliette qui rentre.

Il y a une place de fiacres en face...

JULIETTE, ébahi.

Comment ! madame en fiacre !

HENRIETTE, mettant son châle et son chapeau.

Eh bien ! après ?... Si monsieur rentrait avant moi... vous lui diriez...

JULIETTE, curieusement.

Quoi ? madame ?

HENRIETTE, se ravisant.

Non... 

À part.

Je serais rentrée la première. 

Elle sort par le fond, à gauche.

JULIETTE, la regardant sortir.

Bien, madame... on je lui dira.

 

 

Scène III

 

JULIETTE, puis HENRIETTE, puis BOIS-ROSÉE

 

JULIETTE, seule, très étonnée.

Ah ! ben ! ah ! ben !... madame qui sort... sans que monsieur le sache... et en grande toilette... et en fiacre !... qu’est-ce que ça veut dire ? est-ce que par hasard ?... 

Trouvant l’habit de livrée sur la causeuse.

Tiens ! cette livrée, pour le domestique qu’on attend... je l’ai rencontré, il ne viendra pas... les renseignements qu’il a pris sur monsieur ne lui conviennent pas...

HENRIETTE, rentrant par le fond et très en colère.

Oh ! le butor ! le manant...

JULIETTE, étonnée.

Tiens ! madame !

HENRIETTE, lui montrant sa robe mouchetée de plusieurs taches de boue très apparentes.

Voyez ! regardez !

JULIETTE, jetant un cri.

Ah ! quel malheur... votre belle robe tout éclaboussée !...

HENRIETTE, ôtant son chapeau et son châle.

Au moment où je posais le pied sur le seuil de la porte, une espèce d’imbécile à cheval... ah ! s’il était là... je crois que je le battrais !...

ROSÉE, entrant par le fond. Vivement. Costume de cheval : habit bleu à boutons de métal, gilet blanc, pantalon gris collant ; demi-bottes à revers noirs ; cravache à la main.

Enfin, madame, je vous retrouve !

HENRIETTE.

Lui !

ROSÉE, avec une expression de profonde désolation.

Désolé, madame, désolé !... permettez-moi d’expier à genoux...

Il veut fléchir un genou.

HENRIETTE.

Vous osez vous présenter ici ?

ROSÉE.

Je vous apporte ma tête... 

Regardant la robe.

Pauvre dame ! pauvre dame ! 

HENRIETTE, à la bonne qui tient son chapeau et son châle.

Emportez cela, Juliette, je vous suis...

Juliette entre dans la chambre.

 

 

Scène IV

 

HENRIETTE, BOIS-ROSÉE

 

ROSÉE, l’arrêtant d’un geste suppliant.

Madame !...

HENRIETTE, vivement.

Voyons, monsieur que voulez-vous ? que demandez-vous ?

ROSÉE, suppliant.

Ce que je demande ?... votre pardon... dans un sourire !

HENRIETTE.

Je suis bien en train de sourire !... je refuse !... après ?

ROSÉE.

Oui, je comprends... c’est encore trop frais... mais je ne peux pas m’en aller comme ça, je ne le peux pas !... j’attendrai que ça sèche...

HENRIETTE.

Vous attendrez ?... où ça ?...

ROSÉE.

Ici... à vos pieds... dans la poussière !

Il veut fléchir un genou.

HENRIETTE.

Voilà qui est fort ! Sortez monsieur ?

ROSÉE.

Remarquez, madame, que tous les torts ne sont pas de mon côté... votre rue... votre jolie rue !... puisque vous daignez l’habiter...

HENRIETTE.

Hein ?

ROSÉE.

Est extrêmement sale... et fort étroite...

HENRIETTE.

Qui est-ce qui vous prie d’y passer ?

ROSÉE.

Permettez-moi de ne pas le regretter puisque j’ai eu le bonheur de vous y...

HENRIETTE, ironiquement.

Éclabousser ?...

ROSÉE.

Non ! rencontrer !... Allons, madame, vous ne me garderez pas rancune... vous qui êtes si bonne !...

HENRIETTE.

Non, monsieur, je ne suis pas bonne !

ROSÉE.

Ah ! pardon ! J’ai commis un crime de lèze-taffetas broché !

HENRIETTE.

Une robe de cent écus, au moins.

ROSÉE.

Cent écus ! c’est trop juste ! 

Tirant un portefeuille.

J’ai six mille francs dans ce portefeuille...permettez...

HENRIETTE.

Quoi ?

ROSÉE.

Que je répare, autant que possible, le dommage matériel...

HENRIETTE, éclatant.

De l’argent !... vous m’offrez de l’argent !

ROSÉE.

Oh ! pardon ! je ne sais plus ce que je fais ; mais je suis un homme bien élevé, et quand vous me connaîtrez mieux...

HENRIETTE.

Est-ce que vous croyez que je vais faire votre connaissance ? un monsieur qui essaie des chevaux à travers les ruisseaux... Vous êtes maquignon ?

ROSÉE.

Non, madame... vicomte !... le vicomte Nestor de Bois-Rosée ! vous avez peut-être entendu parler ?

HENRIETTE.

Jamais.

ROSÉE.

Je fais profession d’être le chevalier des dames... Je me suis constitué l’égide de cette corporation... suave ! Dès qu’une femme souffre, j’arrive ; dès qu’elle pleure, je console... et si on l’opprime... je réprime !

HENRIETTE.

Comme don Quichotte !

ROSÉE, souriant.

Exactement ! 

Se reprenant vivement.

c’est-à-dire... On m’a surnommé le terre-neuve du beau-sexe ! Ah ! madame, tout ce que je désire... tout ce que je demande au ciel... c’est de me rendre assez heureux pour qu’un grand malheur tombe sur votre tête !

HENRIETTE.

Bien obligée !

ROSÉE.

Alors, appelez-moi ! Bois-Rosée, rue Tronchet, 18.

HENRIETTE, à part.

Il me donne son adresse à présent.

ROSÉE.

J’accourrai... Que dis-je ? j’aurai des ailes !

HENRIETTE.

Mais, monsieur...

ROSÉE.

Oh ! soyez tranquille...

Air du Piano de Berthe.

Tendre et délicat, je sauve gratis !

À mon dévouement je ne mets qu’un prix ;

Je m’éloigne heureux, pourvu qu’on me donne

Un regard d’adieu... précieuse aumône...

Dans un doux souris ! (bis)

HENRIETTE, ironiquement.

C’est un tarif !

ROSÉE, tendrement.

Mon Dieu ! oui ! 

Galamment.

Je considère toutes les femmes comme faisant partie de la collection du musée chinois...

HENRIETTE.

C’est bien gracieux pour elles.

ROSÉE.

Dessus il est écrit : Regardez, mais ne touchez pas ! je regarde, et je ne...

HENRIETTE, souriant.

Ah !

ROSÉE, avec joie.

Vous souriez ! est-ce que la robe commencerait à sécher ?

HENRIETTE, impatientée.

Mais non, monsieur, mais pas du tout !

ROSÉE.

Allons, madame, un bon mouvement et je pars !

HENRIETTE.

Qu’attendez-vous ?

ROSÉE.

Vous savez bien... dans un sourire.

HENRIETTE.

Vous êtes obstiné, monsieur... Eh bien ! moi aussi ! 

Elle traverse la scène se dirigeant vers sa chambre et lui montre la porte du fond.

Dispensez-moi devons reconduire.

Elle le salue froidement et rentre chez elle. 

 

 

Scène V

 

BOIS-ROSÉE, seul

 

Ce n’est pas encore sec ! Quelle horrible aventure ! Moi, Bois-Rosée, le chevalier des dames ! j’ai pu couvrir de boue l’idole de la création ! je me suis conduit comme un cocher d’omnibus ! C’était bien la peine de relire ce matin le Mérite des Femmes... l’ouvrage le plus incomplet de la langue française... il n’a qu’un volume ! Que faire ? Je ne m’en irai pas comme ça ! D’un autre côté, je suis pressé ; ma jument, ma coupable jument, miss Cabine m’attend en bas pour me conduire à Villetaneuse, car là gémit un ange ! grande-rue, 22, en face la mairie... une jeune dame charmante... que je ne connais pas... et à laquelle je vais rendre le repos, le sommeil, l’honneur... enfin, tout ce qui rentre dans ma spécialité ! Mais, avant de partir, si je tentais un dernier effort ?... non, je reviendrai !

S’adressant à la porte d’Henriette.

Air : Haine d’une femme.

Attends mes visites nouvelles,

Colombe au regard courroucé.

Dont j’ai taché les blanches ailes,

Les ailes de taffetas glacé.

Et si quelque âpre rebuffade

M’arrête au bas de l’escalier...

Sous ton balcon comme à Grenade,

Je redirai ma sérénade :

« Noble dame de ce Premier,

« Jette un pardon au chevalier !

« Noble dame de ce premier,

Pardon ! pardon ! au triste chevalier !

 

 

Scène VI

 

BOIS-ROSÉE, JULIETTE

 

JULIETTE, sortant de la chambre de sa maîtresse.

Comment ! vous êtes encore là ? Eh ben ! vous avez fait de jolies choses !

ROSÉE.

Hélas ! est-ce que ça paraît encore ?

JULIETTE.

Je crois bien ! pourvu que monsieur ne s’aperçoive pas ! Lui, qui avait défendu à madame de sortir.

ROSÉE.

Il lui défend de sortir ?

JULIETTE.

Très bien !

ROSÉE.

Mais alors, c’est un despote ! un tyran ! la maîtresse est malheureuse... Oh ! dis moi qu’elle est malheureuse !

JULIETTE.

Non, mais monsieur est un peu jaloux.

ROSÉE, enchanté.

Jaloux ! bravo ! Encore une femme qui souffre !...

Posant son chapeau sur la table de gauche.

Je reste ! Enfin... je vais avoir de l’ouvrage ici !

On entend la voix de Merlemont dans la coulisse.

JULIETTE.

Écoutez ! c’est monsieur qui rentre... il ne faut pas qu’il vous trouve...

ROSÉE.

Pourquoi ? je lai conterai ma déplorable aventure.

JULIETTE.

C’est ça... pour qu’il sache que madame est sortie... nous aurions une belle scène.

ROSÉE.

C’est juste ?

JULIETTE, vivement.

Cachez-vous, monsieur ! cachez-vous !

Elle remonte vers la porte du fond.

ROSÉE, courant à la porte de droite.

Oui. 

Revenant.

Non ! un jaloux... il me prendrait pour un amant... et plutôt que de compromettre ta maîtresse ! 

Apercevant l’habit de livrée sur la causeuse.

Ah ! cette livrée !

Il endosse vivement la livrée après avoir mis son habit à la place.

JULIETTE.

Que faites-vous ?

ROSÉE.

Ça ne te regarde pas ! 

À part.

Sauvons la malheureuse ! 

Après avoir mis la livrée.

Là !

JULIETTE, voyant entrer Merlemont.

Le voici !

 

 

Scène VII

 

BOIS-ROSÉE, en livrée, JULIETTE, MERLEMONT, puis HENRIETTE

 

MERLEMONT, entrant sans voir Bois-Rosée.

Quel temps ! je suis transpercé. Juliette, faites donc du feu.

JULIETTE.

Oui, monsieur. 

Bas à Bois-Rosée.

Il ne vous voit pas, filez !

ROSÉE, bas.

Oui... tu me renverras mon habit.

Il fait quelques pas vers la porte et se trouve face à face avec Merlemont qui remontait vers la cheminée.

MERLEMONT, l’apercevant.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

ROSÉE, à part.

Crac !

MERLEMONT, à Bois-Rosée.

Que demandez-vous, mon ami ?

ROSÉE.

Moi ? rien... je passais...

MERLEMONT.

Ah ! le domestique que j’attendais !

Mouvement d’étonnement de Bois-Rosée.

JULIETTE, vivement.

Oui, oui, monsieur... c’est lui !

ROSÉE.

Oui, monsieur, c’est lui ! 

À part.

Sauvons la malheureuse !

Juliette va attiser le feu au fond. 

MERLEMONT.

Approche. Comment t’appelles-tu ?

ROSÉE.

Je m’appelle... 

À part.

Sauvons la malheureuse ! 

Haut.

Je m’appelle Bourguignon !

MERLEMONT.

Ah ! je n’aime pas ce nom-là !

ROSÉE.

Allons ! je vois que je ne vous conviens pas... j’ai bien l’honneur de vous saluer.

Il fait un pas vers la porte. 

MERLEMONT, l’arrêtant.

Un moment, que diable ! tu es bien pressé de t’en aller... 

Lui présentant son chapeau.

Tiens, débarrasse-moi de mon chapeau !

ROSÉE, sans le prendre.

Hein ?

MERLEMONT.

Quand tu me regarderas... avec tes yeux bêtes !

ROSÉE.

Monsieur ! 

À part.

Est-ce que j’ai les yeux bêtes ?

MERLEMONT.

Prends mon chapeau et essuie-le...

ROSÉE, prenant le chapeau et à part.

Ah ! mais... il m’ennuie !

JULIETTE, lui donnant une serviette.

Essuyez donc !

ROSÉE.

Oui.

JULIETTE, à part, sortant premier plan à gauche.

Qu’est-ce que tout cela va devenir ?

ROSÉE, à part, essuyant le chapeau.

En voilà de la chevalerie !

JULIETTE, sortant de sa chambre, vêtue d’une robe plus simple, à son mari.

Me voici prête... je vous ai entendu rentrer. 

Apercevant Bois-Rosée qui essuie le chapeau.

Ah ! mon Dieu !

ROSÉE, à part.

Crac !

MERLEMONT.

Qu’as-tu donc ?

HENRIETTE.

Moi ? rien !

À part.

Encore ce monsieur ! et dans ce travestissement !

ROSÉE, à part.

Devinera-t-elle ma chevalerie ?

Haut à Merlemont.

Voici votre chapeau... plus la serviette.

MERLEMONT.

C’est bien ! pose ça la !

ROSÉE.

Plus la serviette... 

Bas, passant près, d’Henriette.

Tout pour les dames ! voilà ma devise !

HENRIETTE, bas.

Je vous avais ordonné de sortir !

MERLEMONT, se retournant.

Quoi ?

ROSÉE.

Je pose le chapeau.

MERLEMONT, à Henriette.

C’est vous qui avez reçu ce garçon ?

HENRIETTE.

Moi ? c’est-à-dire...

ROSÉE.

Oui, oui, c’est madame qui a eu la bonté de me recevoir. 

Bas.

Dites comme moi. 

Haut.

J’ai trouvé madame bien tranquille au coin de son feu, en train de vous broder des pantoufles... vertes sur orange !

MERLEMONT, à sa femme.

Ah ! c’est bien aimable !

HENRIETTE.

Certainement...

À part.

Et ne pouvoir le démentir ! Oh ! j’étouffe !

MERLEMONT, à Bois-Rosée.

As-tu déjeuné, Bourguignon ?

ROSÉE, s’oubliant.

Oui, oui, oui, j’ai pris mon thé ce matin.

MERLEMONT.

Du thé ! je ne donne pas de thé à mes domestiques !

ROSÉE.

Ah ! vous ne donnez pas ! Allons ! je vois que je ne vous conviens pas. J’ai l’honneur de vous saluer...

À part.

Où est mon chapeau ?

Il fait un pas vers la porte.

MERLEMONT, l’arrêtant.

Une minute ! on n’a jamais vu un domestique pareil !

À sa femme.

L’avez-vous interrogé ?

HENRIETTE.

Vous savez bien que je ne me mêle pas de ça !

Elle s’assied à gauche et prend une broderie sur la table.

MERLEMONT.

Très bien ! cela me regarde.

ROSÉE, bas à Henriette.

Soyez tranquille... je vais me faire donner du balai.

MERLEMONT, s’asseyant sur la causeuse.

Approche, Bourguignon !

ROSÉE.

Avec plaisir, monsieur !

Il s’asseoit machinalement à côté de Merlemont sur la causeuse.

MERLEMONT.

Eh bien ! qu’est-ce que tu fais ? Debout ! 

ROSÉE, se levant.

Ah ! pardon !

MERLEMONT, à part.

C’est un lourdaud ! mais je n’ai pas le choix.

Haut.

Tu te présentes comme valet de chambre ? Voyons, que sais-tu faire ?

ROSÉE, bas à Henriette.

Vous allez voir ! 

Haut à Merlemont.

Monsieur, pas grand chose.

MERLEMONT.

Sais-tu coiffer ?

ROSÉE.

Non, mais je ratisse les allées, et je pince la vigne.

MERLEMONT.

Pincer la vigne ! diable ! c’est précieux à la campagne ! Après ?

ROSÉE, à part.

Ça ne lui suffit pas ? 

Haut.

Monsieur, je donne du cor... et je prends les putois à l’assommoir.

MERLEMONT.

C’est très joli pour un valet de chambre ! Est-ce que tu ne sais pas un peu habiller ?

ROSÉE.

Oh ! pas du tout, je ne m’en doute seulement pas... 

À part.

Où est mon chapeau ?

MERLEMONT, se levant.

Ça ne fait rien. Tu me conviens, je t’arrête ! Tiens, voilà ton denier à Dieu.

ROSÉE, stupéfait.

Cinq francs au chevalier des dames !

HENRIETTE.

Mais vous n’y pensez pas ?

ROSÉE, à part.

Bah ! sauvons la malheureuse !

Il met la pièce dans sa poche. 

MERLEMONT, bas à sa femme.

Que voulez-vous ? je n’ai personne... dans huit jours je le mettrai à la porte !

HENRIETTE, à part.

Huit jours !

 

 

Scène VIII

 

BOIS-ROSÉE, JULIETTE, MERLEMONT, HENRIETTE, JUSTIN

 

JUSTIN, en livrée de groom, un fouet à la main, entrant par le fond et parlant à la cantonade.

Puisque je vous dis qu’il est entré dans la maison !

ROSÉE, à part, effrayé.

Crac ! mon groom !...

Il prend un plumeau et tourne le dos.

MERLEMONT, à Justin.

Qu’est-ce que c’est ? que demandez-vous !

JUSTIN.

Bien des excuses monsieur je cherche mon maître...

HENRIETTE, à part, effrayée.

Ciel !

MERLEMONT.

Qu’est-ce que c’est que ton maître ?

JUSTIN.

C’est un monsieur qui a éclaboussé une dame...

Pendant que Merlemont se retourne vers sa femme. Apercevant Henriette.

Eh ! parbleu ! c’est...

ROSÉE, lui serrant vivement le bras.

Tais-toi ! va-t-en ! ou je te poignarde !

JUSTIN, ébahi, à part.

Tiens ! monsieur !

MERMELONT, qui n’a rien vu, se retournant.

Hein ?

JUSTIN, très ahuri.

Rien, rien ! le n. 27 ! c’est plus loin... merci... merci !... Je trouverai...

Il sort vivement à reculons.

MERMELONT.

Qu’est-ce que c’est que cet animal-là ?

ROSÉE, très troublé.

Un groom qui a bu.

HENRIETTE, de même.

Oui... c’est un groom qui a...

À part.

Il me force à mentir !

MERMELONT.

Ce concierge qui laisse monter ainsi...

Frissonnant.

Brrr ? J’ai de la peine à me réchauffer... Bourguignon... 

Bois-Rosée oubliant que c’est lui qu’on appelle, reste immobile. Très haut.

Bourguignon ! 

ROSÉE, à lui-même.

Ah ! oui ! c’est moi ; je n’y pensais plus !

MERLEMONT.

Est-ce que tu es sourd ?

ROSÉE.

Non !... c’est-à-dire... si ! un peu...

À part.

Si ça pouvait me faire mettre à la porte !... 

MERLEMONT, élevant la voix.

Je suis mouillé !... je vais changer !

ROSÉE, répondant sur le même ton.

Je ne vous en empêche pas !

MERLEMONT, de même.

Tu vas aller me chercher un habit !... tout de suite ?...

ROSÉE, criant.

Oui, monsieur.

MERLEMONT, à part, rentrant chez lui.

C’est très fatigant un domestique sourd !...

Il sort à gauche, premier plan.

 

 

Scène IX

 

HENRIETTE, BOIS-ROSÉE

 

HENRIETTE, vivement.

Expliquez-vous monsieur ! Pourquoi ce costume ?... 

ROSÉE, d’un ton chevaleresque et tenant toujours le plumeau.

Ah ! madame ! pas de remerciements ; ce n’est qu’une faible réparation...

HENRIETTE.

Des remerciements à vous qui me compromettez !... Que faites-vous encore chez moi... dans ma livrée ?

ROSÉE.

Pure chevalerie, madame... pure chevalerie !

HENRIETTE.

Gardez votre chevalerie... et vos extravagances !

ROSÉE.

Non, madame, je sais tout ! vous êtes malheureuse.

HENRIETTE.

Moi ?

ROSÉE.

Votre butor de mari, vous défendre de sortir !

HENRIETTE.

Parlez avec plus de respect...

ROSÉE.

Non, madame : un être qui vous séquestre... par jalousie !

HENRIETTE.

Mais qu’est-ce que cela vous fait ? de quoi vous mêlez-vous ?

ROSÉE.

Une femme qui souffre ! c’est une affaire personnelle, madame ! je suis sur mon terrain.

HENRIETTE.

Eh ! monsieur !

ROSÉE.

Mu par le plus pur dévouement...

HENRIETTE.

Encore une fois, monsieur, je n’ai ni le temps ni l’envie de vous écouter...

ROSÉE.

Permettez... mu par le plus dévouement...

HENRIETTE.

Ah ça ! c’est une gageure !... monsieur, je vous ai congédié... puisque cela ne suffit pas... je vous chasse ! est-ce clair ?

ROSÉE, très affecté.

Me chasser ? moi ! Ah ! madame ? un pareil mot !... sorti d’une bouche... qui fait partie d’une femme !... 

S’attendrissant.

C’est la première fois... 

HENRIETTE, à part.

Eh ! bien ! il va pleurer maintenant !... 

Haut plus doucement.

Monsieur ?

ROSÉE.

Je vous laisse, madame... je me relire... le cœur plein d’amertume...

Boutonnant machinalement son habit de livrée.

Je vais retrouver une autre personne... qui sera plus reconnaissante sans doute...

Il prend son chapeau sur la table à gauche.

Un ange !... qui gémit à Villetaneuse...

HENRIETTE.

À Villetaneuse !

ROSÉE, remontant pour sortir.

Oui madame, près Montmorency. 

Redescendant résolument et posant de nouveau son chapeau.

Cette dame... car il faut que vous me connaissiez à la fin !

HENRIETTE.

C’est inutile !

ROSÉE, s’animant.

Si, madame !... il le faut !... et on verra que je ne suis point un... un danseur de corde !... Cette dame...

HENRIETTE, à part.

Encore une histoire ! Il est insupportable.

ROSÉE.

Cette dame !... étant demoiselle, commit l’imprudence d’écrire trois lettres à un de mes amis.... 

Vivement.

Je ne la blâme pas !

HENRIETTE, à part, inquiète.

Trois lettres ! c’est singulier !

ROSÉE, poétiquement.

Trois feuilles de roses emportés dans un soupir !

HENRIETTE.

Après ?

ROSÉE.

Après... elle se maria !... à un autre... un baron... qui porte de gueule sur champ d’azur !

HENRIETTE, à part.

Ah ! mon Dieu !

ROSÉE.

Comprenez-vous ?... mariée avec trois antécédents épistolaires ! trois remords timbrés par la petite poste ! 

HENRIETTE, avec intérêt.

Oui, oui, après ?

ROSÉE.

Pauvre femme ! m’écriai-je, de quel œil peut-elle embrasser ses enfants ! de quel front peut-elle regarder son mari !... Alors, sans la connaître, moi... qu’on renvoie, qu’on chasse !... je résolus de lui rendre le repos, le sommeil, la vie !... je me cramponnai à mon ami...

HENRIETTE.

Vous l’appelez ?

ROSÉE.

Permettez-moi de taire son nom... Je lui dis : « Thomas de Rochegune ! »

HENRIETTE.

Ciel !... c’est lui !...

ROSÉE, continuant.

« Tu es gentilhomme !... tu ne peux pas garder ces lettres... »

HENRIETTE.

Eh bien ?

ROSÉE.

Il refusa d’abord... mais je suis tenace... je l’invitai à dîner, et au dessert... je l’insultai, je le provoquai ! Une fois sur le terrain...

HENRIETTE, effrayée.

Ah ! mon Dieu !

ROSÉE.

Il me les remit... moyennant un prêt de dix mille francs dont il avait besoin... c’est un noble cœur !...

HENRIETTE.

Comment, vous avez ces lettres ?

ROSÉE.

Oui, madame... et je vais de ce pas à Villetaneuse.

Il remonte.

HENRIETTE, l’arrêtant.

Un moment !

ROSÉE, revenant.

Plaît-il ?

HENRIETTE, baissant les yeux.

Je crains que vous ne fassiez un voyage inutile... la personne que vous allez chercher à Villetaneuse... est à Paris.

ROSÉE.

Ah bah !

HENRIETTE, confuse et hésitant.

Je crois... qu’elle est devant vous...

ROSÉE.

Comment !... vous êtes ?...

HENRIETTE.

La baronne de Merlemont...

ROSÉE.

Qui porte de gueule sur champ d’azur !... 

Avec transport.

Ah ! Madame! Ah ! madame !... voilà le plus beau jour de ma vie !... enfin je vais pouvoir m’acquitter envers vous !...

HENRIETTE.

J’ai été bien imprudente... mais ne vous pressez pas de me condamner !

ROSÉE, avec galanterie.

Moi, madame, je ne condamne jamais les dames.

HENRIETTE.

Que vous êtes bon !

ROSÉE, à part.

La robe est complètement détachée. 

Haut lui prenant la main.

Pauvre femme ! vous avez dû passer bien des nuits sans sommeil !

HENRIETTE.

Sans doute... sans doute !... Ces lettres ?

ROSÉE.

Tout de suite !... 

Fouillant machinalement dans les poches de sa livrée.

Enfin, vous allez pouvoir embrasser vos enfants ?

HENRIETTE.

Je n’en ai pas.

ROSÉE.

Ah ! c’est dommage !...

Vivement.

Mais je ne vous blâme pas !... aveu un mari comme celui-là !

HENRIETTE.

Dépêchez-vous, monsieur !

ROSÉE.

Oui... 

S’apercevant de sa méprise, et allant prendra son habit sur la causeuse.

Ah !... oui... elles sont là... dans mon portefeuille... sous une enveloppe cachetée par Rochegune lui-même... 

Fouillant dans les poches de son habit qu’il tient à la main.

Je n’aurais pas eu l’indiscrétion de les lire.

HENRIETTE, à part.

C’est un bien honnête homme !

 

 

Scène X

 

HENRIETTE, BOIS-ROSÉE, MERLEMONT

 

MERLEMONT, sortant de sa chambre en manches de chemise.

Eh bien ! et cet habit ?... 

Endossant celui que tient Bois-Rosée.

Ah ! merci !

HENRIETTE, à part, avec terreur.

Ah ! mon Dieu !

ROSÉE, à part, pétrifié.

Crac !... et le portefeuille qui est dans la poche !

MERLEMONT, à sa femme.

Apprêtez-vous, ma bonne amie, nous allons partir dans une demi-heure... j’ai encore une carte à porter ici, au second, chez les Gévaudan... 

HENRIETTE, vivement.

Pas en habit !... des voisins... c’est trop cérémonieux !

ROSÉE.

Madame a raison !... on ne fait jamais de visites en habit !

MERLEMONT.

Tu as vu ça... gros pataud !

ROSÉE, vivement.

Votre paletot ?... tout de suite !...

MERLEMONT.

Non ! c’est inutile !... 

Tâtant la poche de son habit.

Ai-je mon portefeuille pour prendre mes cartes ? Oui !... 

À sa femme en sortant.

Apprêtez-vous !... je reviens !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène XI

 

HENRIETTE, BOIS-ROSÉE

 

ROSÉE.

Mais il part ! il s’en va !...

HENRIETTE.

Il va ouvrir le portefeuille et trouver ces lettres...

ROSÉE.

C’est évident !

HENRIETTE.

Mais alors que va-t-il penser !... 

ROSÉE, en extase.

Ah ! madame... ah ! madame !... restez comme çà !... que vous êtes belle dans le terreur !

HENRIETTE.

Mais quand je vous dis que je suis perdue !

ROSÉE, s’exaltant.

Perdue ! quand je suis là ! plutôt le massacrer !

HENRIETTE, effrayée.

Monsieur !

ROSÉE, parcourant la scène.

Un arme !... quelque chose ?... ah ! cette brosse... 

Il saute sur une brosse et s’élance à la poursuite de Merlemont, l’appelant.

Eh !... monsieur !... monsieur !...

 

 

Scène XII

 

HENRIETTE, seule, puis BOIS-ROSÉE et MERLEMONT

 

HENRIETTE.

Que va-t-il faire ? je tremble !... si mon mari trouve ces lettres, je vais être en butte à des soupçons continuels, à des jalousies sans nombre... Ah ! depuis que cet homme est entré ici je n’existe plus ! 

ROSÉE, dans la coulisse.

Non, monsieur ! vous n’iriez pas plus haut !

MERLEMONT, de même.

Mais veux-tu me lâcher !

ROSÉE, ramenant Merlemont et le brossant.

Vous ne pouvez pas faire de visites comme ça... vous êtes tout blanc...

MERLEMONT.

Je crois bien !... tu m’as frotté contre le mur... allons ! dépêche-toi de me brosser !

ROSÉE.

Oui ! tournez-vous... 

Tout en brossant, il tâte le portefeuille pardessus l’habit. À part.

Il est là ? comme faire ?... ô Bosco !!! 

Haut, cherchant à ouvrir l’habit.

Maintenant, l’intérieur...

MERLEMONT.

Est-ce qu’on brosse les poches, imbécile ?

ROSÉE, insistant.

Toujours !... dans les maisons bien tenues...

MERLEMONT, trouvant un porte-cigare dans la poche de l’habit.

Tiens ? qu’est-ce que c’est que ça ?... un porte-cigare !

HENRIETTE, à part.

Ciel !

ROSÉE, à part.

Crac !... le mien !... 

Haut.

Une surprise... de madame !

HENRIETTE, troublée.

Oui !... oui, mon ami !

MERLEMONT.

Mais je ne fume pas !

ROSÉE.

Ah ! c’est égal !... à la campagne !

HENRIETTE.

Pour offrir...

MERLEMONT.

Cependant...

ROSÉE, coupant court à l’explication.

Tournez-vous !

MERLEMONT, fouillant dans l’autre poche et en tirant un mouchoir.

Un mouchoir de batiste !... je ne porte que des foulards...

ROSÉE.

Une surprise... à la campagne...

HENRIETTE, perdant la tête.

Pour offrir...

MERLEMONT.

Plaît-il ?

ROSÉE, vivement.

Tournez-vous !

MERLEMONT.

Ah ! mais tu m’ennuies !... tu me fais aller comme un tonton !...

À Bois-Rosée, qui cherche toujours à le brosser.

En voilà assez !... je vais faire ma visite.

HENRIETTE, à part.

Il s’en va !

ROSÉE, à part.

Pristi !... 

Haut.

Tournez-vous !... 

Il lui arrache un bouton.

V’lan, un bouton de parti !

MERLEMONT.

Butor !

ROSÉE, très vivement.

Vite, un autre habit !

HENRIETTE.
Tout de suite !

Elle va prendre un habit dans la coulisse, à droite.

MERLEMONT.

Animal !... tu ne peux pas faire attention !

ROSÉE, aidant Merlemont à ôter son habit.

Tout pour les dames ?

MERLEMONT.

Hein ?

HENRIETTE, apportant un habit.

Voici l’habit.

ROSÉE, qui tient son habit quitté par Merlemont, tirant le portefeuille de la poche ; à part, triomphant.

Enfin !... je le tiens !

MERLEMONT, le lui prenant des mains.

Ah ! mon portefeuille !... merci !

ROSÉE, pétrifié.

Crac !

HENRIETTE, à part.

Dieu !

MERLEMONT.

Qu’avez-vous donc ?

HENRIETTE.

Rien !

ROSÉE, ahuri.

Une surprise... pour la campagne...

HENRIETTE.

Oui, pour off...

MERLEMONT, étonné.

Ah ! ça... ce garçon est idiot ! je n’ai pas le temps de monter chez les Gévaudan...

ROSÉE, voulant reprendre le portefeuille que Merlemont a gardé à la main.

Le portefeuille... donnez ?...

MERLEMONT.

Non ! dans ce coffret de chez Tahan... que j’emporte à la campagne...

Il le met dans le coffret qu’il ferme avec une petite clé attachée aux breloques de sa montre.

ROSÉE, à part.

Ventrebleu !

HENRIETTE, de même.

Sous clé !

MERLEMONT, à Bois-Rosée.

Dépêche-toi... moi, je vais fermer ma valise.

Il sort à gauche.

HENRIETTE.

Je vous suis...

À part.

Il me faut cette clé à tour prix !...

Elle entre à la suite de son mari.

 

 

Scène XIII

 

BOIS-ROSÉE, puis JUSTIN

 

ROSÉE, seul avec indignation.

Et voilà les maris !... et ils veulent être aimés !... 

Saisissant le coffret et le secouant avec désespoir.

Fermé ! impossible de l’ouvrir !... et pourtant il me faut ces lettres... il me les faut ! quand je devrais pousser le dévouement... jusqu’à l’effraction !

JUSTIN, entrant avec précaution.

Monsieur... est-ce que nous n’allons pas à Villetaneuse ?

ROSÉE.

Va-t’en !...je sui sen affaire !... je couve un crime.

Le rappelant.

Non ! va me chercher un rossignol ! 

JUSTIN, stupéfait.

Un oiseau ! pourquoi ?

ROSÉE.

Un serrurier ! brûle !

JUSTIN.

Il y en a un en face.

ROSÉE.

Apporte-le mot !... 

Le rappelant.

Non !... ce personnage malpropre pourrait inspirer des soupçons... 

Lui mettant le coffret dans les mains.

Porte-lui cet objet...

JUSTIN.

Et puis ?...

ROSÉE.

Qu’il l’ouvre... à coups de hache, s’il le faut... mais sans rien briser !... cours et reviens au galop !

JUSTIN.

Oui, monsieur... 

À part.

Qu’est-ce qu’il trafique donc ?

ROSÉE.

Es-tu revenu ?

JUSTIN.

Je pars !...

Il sort vivement.

 

 

Scène XIV

 

BOIS-ROSÉE, puis HENRIETTE

 

ROSÉE, seul, s’asseyant à gauche.

Ah ! j’ai chaud ? mais je suis plus tranquille... dans deux minutes... noble créature ! tu pourras embrasser tes enfants... 

Par réflexion.

Non ! elle n’en a pas !... 

Reprenant.

Tu pourras embrasser ton mari... 

Avec indignation, se levant.

Non ! jamais !... 

Reprenant.

Tu embrasseras l’horizon, d’un regard calme et fier... voilà ce que tu embrasseras.

HENRIETTE, entre vivement, en tenant la montre de son mari.

Vite, vite, monsieur !... j’ai la montre... 

ROSÉE.

Quelle montre ?

HENRIETTE.

Sous prétexte de régler la pendule... il me l’a confiée pour un instant... la petit clé est après... 

Cherchant des yeux.

Où est la cassette ?

ROSÉE.

Allons, bon !

HENRIETTE.

Quoi ! encore ?

ROSÉE.

Je viens de l’envoyer chez le serrurier !

HENRIETTE.

Vous ? mais vous ne faites que des sottises ! vous avez donc juré de me perdre !

ROSÉE.

Moi ? madame, qui donnerais jusqu’à la dernière goutte de mon sang...

HENRIETTE.

Eh ! monsieur, je n’ai que faire de votre sang ! je vous demande le coffret... le coffret !...

ROSÉE.

Soyez tranquille, madame, Bois-Rosée est avec vous !

HENRIETTE.

Mais allez, allez donc !

ROSÉE.

J’y vais !...

Il sort vivement.

 

 

Scène XV

 

HENRIETTE, puis MERLEMONT

 

HENRIETTE, seule.

Quel homme !... il me fera mourir ! 

MERLEMONT, sortant de sa chambre, un portefeuille à la main.

Voilà qui est particulier...

HENRIETTE, à part.

Lui ! déjà !

MERLEMONT.

Mon portefeuille que j’ai enfermé dans le petit meuble... et que je retrouve dans mon paletot... 

Reprenant sa montre des mains d’Henriette.

Donnez-moi la clé... Il faut que je vérifie...

HENRIETTE, à part, défaillant.

Ah ! mon Dieu !

MERLEMONT.

Où est le coffret ?

HENRIETTE.

Vous vous serez trompé, mon ami... vous aurez cru serrer ce portefeuille...

MERLEMONT.

Non, parbleu !... j’en suis sûr... où est le coffret ?

HENRIETTE, à part.

Que faire ?... 

Haut.

Avez-vous fermé votre valise ?

MERLEMONT, cherchant des yeux.

Oui, tout est en ordre... 

Éclatant.

Mais morbleu ! où est donc le coffret ? je l’avais posé là... là !...

HENRIETTE, troublée.

Mais je ne sais... j’ignore...

MERLEMONT, très alarmé.

Comment, vous ne savez ! appelez la bonne... Bourguignon... quelqu’un l’a pris... déplacé !

HENRIETTE.

Dans votre cabinet, peut-être !

MERLEMONT.

Dans mon cabinet ! j’y cours... c’est inconcevable !

Il entre vivement à droite.

 

 

Scène XVI

 

HENRIETTE, BOIS-ROSÉE

 

ROSÉE, rentrant vivement avec le coffret.

Le voici, madame !

HENRIETTE, avec joie.

Ah !

ROSÉE.

Je l’ai arraché des mains du serrurier... il allait le fendre.

HENRIETTE.

Vite ! donnez-moi ces lettres.

ROSÉE.

Tout de suite... donnez-moi la clef. 

HENRIETTE, avec effroi.

Comment ! il n’est pas ouvert ?

ROSÉE.

Non... puisque vous avez la clé.

HENRIETTE.

Mais je ne l’ai plus ! mon mari l’a reprise.

ROSÉE.

Crac !

HENRIETTE.

Ah ! tenez, vous êtes mon mauvais génie ! Pourquoi m’avoir rapporté ces lettres ? qui est-ce qui vous les demandait ?

ROSÉE, avec admiration.

Ah ! madame ! vous êtes belle jusque dans l’injustice !

HENRIETTE.

Je suis belle ! il s’agit bien de cela ! M. de Merlemont cherche le petit meuble pour l’ouvrir.

ROSÉE.

Il ne l’aura pas !

HENRIETTE.

Vous m’avez perdue !

ROSÉE.

Soyez tranquille, Bois-Rosée est avec vous !

HENRIETTE.

Eh ! vous me dites toujours la même chose ! et vous me noyez de plus en plus.

ROSÉE.

Vous noyer... moi ! le terre-neuve du beau-sexe...

MERLEMONT, dans la coulisse.

Madame ! madame !

HENRIETTE.

Entendez-vous ? il m’appelle.

ROSÉE.

Oui... le tigre grince.

HENRIETTE, répondant à son mari.

Me voilà !

À Bois-Rosée.

Sauvez-moi, monsieur ! ce coffret... brisez-le ! broyez-le... faites-le disparaître !

ROSÉE.

Je ne peux pourtant pas le manger.

HENRIETTE.

Vous avez trois secondes !

Elle entre vivement rejoindre son mari.

 

 

Scène XVII

 

BOIS-ROSÉE, seul

 

Trois secondes... pour manger un coffret... un membre de la société de tempérance... il faut pourtant en finir ! je ne peux pas passer ma vie à me battre avec un coffret sans clé, ou une clé sans coffret ! voyons, où y a-t-il un merlin ?

Cherchant.

Où mettent-ils les merlins dans cette maison ?

Tout-à-coups apercevant la cheminée où l’on voit un feu très ardent.

Oh ! une idée flamboyante ! une cheminée !

Il y court et s’arrête.

Un instant ! moi j’ai six mille francs dans ce coffret...

Avec force à lui-même.

Eh bien ! après ? qu’est-ce que ça te fais ? tu marchandes avec l’honneur d’une femme ! Ah ! Bois-Rosée !

Air : Prêt à partir.

Au temps heureux de la chevalerie,

Pour secourir leur dame et son honneur,

Roland, Bayard, auraient sans ladrerie

Brûlé gaiement leurs renies au porteur

Brûlons an preux mes coupons au porteur.

On entend la voix de Merlemont dans la coulisse.

ROSÉE.

Les voici !... au feu !

Il jette vivement le coffret dans la chemisée dont il abaisse le tablier.

 

 

Scène XVIII

 

BOIS-ROSÉE, MERLEMONT et HENRIETTE

 

MERLEMONT, dans une grande inquiétude.

C’est incroyable ! je ne le trouve pas !

Il cherche de tous côtés.

ROSÉE, bas et vivement à Henriette.

Sauvée !

HENRIETTE, de même.

Vous avez les lettres...

ROSÉE, bas.

J’ai tout mis dans le feu.

HENRIETTE, avec joie.

Ah ! enfin !

ROSÉE, à lui-même.

Elles mitonnent avec mes six mille francs.

MERLEMONT.

Disparu ! complètement !

HENRIETTE, à son mari.

Mais mon ami... vous le retrouverez... il ne peut être qu’égaré...

MERLEMONT.

Je l’espère bien, sacrebleu !

ROSÉE, le voyant s’approcher de la cheminée, gaiement.

Il brule !

HENRIETTE, à son mari.

On croirait vraiment à vous voir attacher tant d’importance à cette petite boite... que vous y renfermez des gages.

MERLEMONT.

Ah ! bien ! oui, des gages...

ROSÉE, à part.

Qu’elle a d’esprit !

MERLEMONT, brusquement.

J’y ai serré les fonds pour payer ma terre de Villetaneuse.

ROSÉE et HENRIETTE.

Comment !

MERLEMONT.

Trois cent mille francs... en billets de banque !

HENRIETTE.

Ah ! mon Dieu !

ROSÉE.

Crac !

Tous deux tombent anéantis. Henriette sur le fauteuil à gauche, Bois-Rosée sur la causeuse.

MERLEMONT.

Eh bien ! les voilà qui s’assoient à présent... mais cherchez, cherchez donc.

ROSÉE et HENRIETTE, toujours assis.

Oui, cherchons ! cherchons !

MERLEMONT, faisant lever Bois-Rosée, puis allant à sa femme qui est à moitié évanouie, et avec la plus grande colère.

Mais vous aussi, madame ! quand vous resterez là... sur votre fauteuil. 

Frappant du pied.

Ventrebleu ! 

HENRIETTE, se levant.

Monsieur !

ROSÉE, courant à Merlemont et avec dignité.

Merlemont ! de le courtoisie... vous portez de gueule sur champ d’azur !

MERLEMONT.

Tu m’ennuies, toi !

HENRIETTE, à part.

Ruinés ! ruinés !

ROSÉE, à part, la regardant avec admiration.

Belle ! belle ! jusque dans la déconfiture !

MERLEMONT, frappant sur la console.

Je l’ai posé ici ! ici !

S’arrêtant tout à coup devant Bois-Rosée.

M. Bourguignon... je vous en rends responsable.

ROSÉE.

Moi ?

MERLEMONT.

Un domestique nouveau ! Je ne vous connais pas... où sont vos certificats ?

ROSÉE, avec une fierté comique.

Je n’en ai pas.

MERLEMONT.

C’est lui ! Vous ne sortirez pas !

ROSÉE.

Ah ! mais, permettez !

MERLEMONT, avec force.

Vous ne sortirez pas ! je vais donner l’ordre de fermer les portes !

ROSÉE, avec énergie.

Je demande mon compte !

MERLEMONT, tirant sa montre.

Si dans trois minutes cette cassette n’est pas retrouvée, je porte plainte. Je vous donne trois minutes... voici ma montre !

Il la pose sur la console et sort par le fond.

 

 

Scène XIX

 

BOIS-ROSÉE, HENRIETTE, puis JULIETTE

 

ROSÉE, anéanti.

Vol domestique ! route de Toulon ! en voilà de la chevalerie !

HENRIETTE, se soutenant à peine.

Trois cent mille francs ! vous entendez, monsieur.

ROSÉE, avec calme.

Et six dans mon portefeuille... et dix que j’ai prêtés ! c’est bien de l’argent. Mais soyez tranquille, M. votre mari ne perdra rien.

HENRIETTE.

Comment ?

ROSÉE.

Je vendrai mon château de Bois-Rosée, mes chevaux, mes voitures... et je continuerai à sauver les dames... à pied ! comme ça je ne les éclabousserai pas ! 

HENRIETTE, avec admiration.

Vous ferez cela, monsieur ?

ROSÉE.

Dame ! il me semble qu’à moins d’être un grec ! 

JULIETTE, qui est entrée par la droite et a relevé le tablier de la cheminée.

Tiens ! le feu qui est réteint !

HENRIETTE et BOIS-ROSÉ, bondissant.

Hein ?

JULIETTE, tirant le coffret de la cheminée.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

ROSÉE, le lui arrachant des mains et la jetant dehors par la chambre du fond.

Va-t’en ! pas un mot ! ou je te poignarde ! 

Redescendant à gauche et flairant le coffret.

Il sent le roussi.

HENRIETTE, prenant vivement la montre laissée par Merlemont.

Voici la clé.

ROSÉE.

Voici le coffret... 

Par réflexion.

Tiens ! les voilà réunis ! ce n’est pas sans peine.

Il ouvre le coffret.

HENRIETTE.

Vite ! les lettres !

ROSÉE prenant le portefeuille et le lui donnant.

Sauvée ! pour la neuvième fois !

Il reporte le coffret ouvert sur la cheminée. 

HENRIETTE, qui a ouvert vivement l’enveloppe et lisant un papier.

« Pardonnez-moi, madame, de ne pas vous renvoyer vos lettres... elles sont brûlées depuis huit ans. »

ROSÉE.

Ah ! bah !

HENRIETTE, continuant.

« Mais j’avais besoin de faire un emprunt à mon chevaleresque ami Bois-Rosée. » 

Elle éclate de rire.

Ah ! ah ! ah !

ROSÉE, riant aussi.

Ah ! ah ! ah ! 

Froidement.

C’est un polisson.

HENRIETTE.

Et c’est pour cela que nous nous sommes donné tant de mal.

ROSÉE.

Je ne le regrette pas, madame ! 

Avec galanterie.

Je vous ai vue si belle dans la colère, si belle dans la terreur, si belle...

HENRIETTE, l’interrompant.

Ah ! voilà donc le secret de ce grand dévouement... vous allez me faire une déclaration !

ROSÉE, se récriant avec énergie.

Moi, madame ! pour qui me prenez-vous ? réclamer le prix de mes services ! un terre-neuve qui présenterait la carte à payer ! ça serait du joli ! 

HENRIETTE, l’apaisant.

M. Bois-Rosée !

ROSÉE, avec la réserve la plus sincère.

Non, madame ! non, madame ! je n’aurais pas l’audace... et je vous prie d’agréer l’expression la plus distinguée de ma respectueuse admiration ! 

Avec triomphe.

Voilà comme je suis !

HENRIETTE.

Ah ! c’est très bien... et je vous tiens pour un parfait galant homme... avant dit nous quitter, voici ma main.

ROSÉE.

Ah ! madame, un baiser dans un sourire, c’est plus que le tarif.

Il lui baise la main.

HENRIETTE.

Ah ! mon Dieu ! et ce coffret que nous avons oublié de fermer.

Elle s’approche de la cheminée et ferme le coffret en tournant le dos à Bois-Rosé.

ROSÉE.

C’est juste ! 

À part.

Quant à moi... ma tâche est accomplie... je n’ai plus qu’à remonter à cheval. Ah ! et cette livrée... 

Il ôte la livrée et remet son habit.

Diable ! on me prendrait pour mon domestique !

 

 

Scène XX

 

BOIS-ROSÉE, HENRIETTE, MERLEMONT

 

MERLEMONT.

Les trois minutes sont écoulées !... Eh bien ? ce coffret...

ROSÉE.

Monsieur, soyez sans inquiétude...

MERLEMONT, l’apercevant en habit.

Que vois-je !... Bourguignon sous ce costume !

ROSÉE, à part.

Oh !... maladroit !

HENRIETTE, à part.

Ah ! mon Dieu ! il a remis son habit ! 

MERLEMONT, l’examinant.

C’est étrange !... plus je vous regarde... vous n’êtes donc pas domestique ?

ROSÉE, embrassé.

Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer...

Fausse sortir.

MERLEMONT.

Un instant ! qui êtes-vous, monsieur ? répondez !

ROSÉE, à part.

Que diable vais-je lui dire ?

MERLEMONT.

Mais, répondez donc, morbleu !

HENRIETTE, troublée.

Mon ami.

MERLEMONT, les examinant.

Ce mystère... cette émotion... madame...

HENRIETTE, avec une dignité blessée.

Ah ! monsieur !

ROSÉE, de même.

Ah ! Merlemont... une pareille pensée ! vous, qui portez de gueule...

MERLEMONT, avec colère.

Eh ! monsieur... je porte ce qui me plaît !... mais, encore une fois, pour se déguiser de la sorte... il n’y a qu’un amant ou un...

ROSÉE achevant la phrase.

Un voleur, dites le mot.

MERLEMONT.

Eh dame ! monsieur... ce coffret disparu... 

ROSÉE, qui a pris le coffret avec calme.

M. de Merlemont... connaissez-vous beaucoup de voleurs qui aient l’habitude de rapporter trois cent mille francs ?

MERLEMONT, prenant vivement les billets de banque dans le coffret.

Comment !!!

ROSÉE, continuant.

Donnez-moi leur adresse... je demande à leur serrer la main.

MERLEMONT.

Mais alors...

ROSÉE.

Vous voyez bien, monsieur, qu’il n’y a pas que les voleurs qui se déguisent.

MERLEMONT, examinant Bois-Rosée et entre ses dents.

Hein ! c’est juste ! il y a encore... ceux qui... les surveillent.

ROSÉE, à part, très blessé.

Hein ! qu’est-ce qu’il dit ?

MERLEMONT.

C’est une profession... utile.

ROSÉE, contraint.

Certainement... pour être utile...

MERLEMONT.

Vous avez fait preuve d’un zèle, d’un dévouement...

Il pose le coffret.

ROSÉE, hésitant et puis regardant Henriette qui lui jette un regard suppliant.

Sauvons la malheureuse !

MERLEMONT.

Il ne me reste plus, monsieur, qu’a vous remercier bien profondément.

ROSÉE.

Comment donc ! enchanté, monsieur, d’avoir pu... Pristi... en voilà de la chevalerie ! 

À part, indiquant Merlemont.

C’est égal, quand je le rencontrerai dans le monde... Bah ! tout pour les dames !

Air de M. Pantalon.

HENRIETTE, saluant.

Votre servante, monsieur.

MERLEMONT, de même.

Merci, pour votre bon office.

ROSÉE, de même.

Ici, j’ai fini mon service :

Je suis votre humble serviteur.

HENRIETTE.

On garde un souvenir flatteur

D’un si zélé serviteur.

Ensemble.

ROSÉE.

Monsieur, madame, j’ai l’honneur,

D’être votre humble serviteur.

MERLEMONT.

Adieu, monsieur, j’ai bien l’honneur.

D’être votre humble serviteur.

HENRIETTE.

On garde un souvenir flatteur

D’un si zélé serviteur.

Bois-Rosée salue et se dispose à sortir.

PDF