La Veuve à la mode (Jean DONNEAU DE VISÉ)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, par la Troupe du Roi, le 15 mai 1667.

 

Personnages

 

MIRIS, veuve

ORPHISE, sa sœur

BÉATRIX, sa servante

CRISPIN, son valet

DAME JEANNE, garde de défunt Cléon

CLIDAMIS, héritier de Cléon

ALCIPE, homme d’affaires

DAMIS, ami de Miris

UN TAILLEUR

UN GARÇON FRIPIER

UN COMMISSAIRE

 

La Scène est dans une salle basse, au logis de Cléon.

 

 

Scène première

 

DAME JEANNE, CRISPIN

 

DAME JEANNE, avant que paraître, dit le premier vers.

Crispin, dépêche-toi, vite, de te lever.

Crispin ! Il n’entend point, il faut l’aller trouver.

Crispin, réveille-toi ! Que le Guieble t’emporte !

Crispin ! S’il ne répond, je vais rompre la porte.

CRISPIN.

Qui m’appelle ?

DAME JEANNE.

La garde.

CRISPIN.

Il n’est pas jour, je dors.

DAME JEANNE.

Tu verras qu’il fait clair, quand tu seras dehors.

CRISPIN.

Que puisses-tu crever, vieille qui m’importune,

Et qui pour un grand jour as pris le clair de lune !

DAME JEANNE.

Il se meurt.

CRISPIN.

Qui ?

DAME JEANNE.

Monsieur.

 

 

Scène II

 

DAME JEANNE, CRISPIN, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

Dame Jeanne !

DAME JEANNE.

J’y cours.

BÉATRIX.

Hélas ! il n’en peut plus, montez vite, au secours !

DAME JEANNE.

Je ne peux l’éveiller.

BÉATRIX.

Montez-là-haut, vous dis-je ;

Je le ferai lever. Que ce malheur m’afflige !

De sa santé jamais je n’ai rien espéré.

Crispin, dépêche-toi, Monsieur est empiré.

Crispin !

DAME JEANNE.

J’y vais.

BÉATRIX.

Il vient, et cependant ne bouge.

CRISPIN, sort en frottant les yeux.

On ne voit goutte encor dedans ce maudit bouge.

BÉATRIX.

Cours vite au médecin, et ne t’arrête pas.

CRISPIN.

Vous avez donc dessein d’avancer son trépas ?

BÉATRIX.

Tu devrais t’habiller avecque diligence.

CRISPIN.

Mon pauvre maître, hélas !

BÉATRIX.

Ah ! je perds patience.

Va donc vite, Monsieur est à l’extrémité.

CRISPIN.

Quoi ! n’espérerait-on plus rien de sa santé ?

BÉATRIX.

Il est tout à fait mal.

CRISPIN.

Mais crois-tu qu’il en meure ?

BÉATRIX.

Oui, si tu ne le fais secourir tout à l’heure.

CRISPIN.

Je pense que Madame a bien de la douleur.

BÉATRIX.

Elle ressent ce coup jusques au fond du cœur.

Mais va donc !

CRISPIN.

Elle doit craindre fort le veuvage.

On dit qu’elle perdra force biens.

BÉATRIX.

Ah ! j’enrage !

CRISPIN.

Mais Monsieur songe-t-il à faire un testament ?

BÉATRIX.

Tu ne marcheras pas ?

CRISPIN.

Çà.

BÉATRIX.

Va donc promptement.

CRISPIN.

Mais nous laissera-t-il quelque chose ?

BÉATRIX.

Quoi ! traître,

Veux-tu sans médecin laisser mourir ton maître.

CRISPIN.

J’y vais.

 

 

Scène III

 

CRISPIN, DAME JEANNE, BÉATRIX

 

DAME JEANNE.

Ne courez point, Monsieur est trépassé,

Et comme une chandelle, hélas ! il a passé.

BÉATRIX.

Quoi ! le pauvre défunt est donc mort ?

CRISPIN.

Quoi ! mon maître,

Je ne vous verrai plus !

BÉATRIX.

Tu nous trompes peut-être.

DAME JEANNE.

Il est mort tout à fait ; je m’y connais assez,

Car je suis tous les jours avec les trépassés.

BÉATRIX.

Quoi donc ! il est tout mort ? Ah ! je m’en désespère ;

Je le servais en maître et je l’aimais en père.

Voilà ce qu’en dormant, l’autre nuit, je rêvais.

Ah ! ah ! ah ! ah !

CRISPIN.

Hy ! hy ! hy ! hy !

DAME JEANNE.

Hay ! hay ! hay ! hay !

CRISPIN.

Je crois que nous pleurons de toutes les manières :

Hy ! hy ! Hay ! hay ! Ah ! ah !

BÉATRIX.

Il ne m’importe guères

De quel ton nous pleurions.

CRISPIN.

Tu n’y penses donc pas ?

De diverses façons on honore un trépas ;

De pleurer avec art aujourd’hui l’on se pique,

Et les grands seulement font pleurer en musique.

BÉATRIX.

Le pauvre homme !

CRISPIN.

À sa mort que nous perdrons tous deux !

DAME JEANNE.

Je ne gardai jamais malade moins fâcheux.

Il avait une humeur agréable et docile ;

Il me parlait toujours d’une façon civile,

Lorsqu’il me demandait le bassin trop souvent.

CRISPIN.

Il le faut avouer, c’était un bon vivant.

BÉATRIX.

Bon ! Je ne pense pas qu’on en trouve un semblable.

Hay ! hay ! hay ! hay ! hay ! hay ! Que je suis misérable !

Ah ! ah ! ah !

CRISPIN.

Elle étouffe, il la faut délacer :

Ses soupirs sont si gros qu’ils ne peuvent passer.

BÉATRIX.

Ayant pleuré Monsieur, je pleure pour Madame.

Ah ! que ne laissait-il des enfants à sa femme !

Son neveu, que l’on tient son unique héritier,

N’aurait pas tout son bien.

CRISPIN.

Il l’aura tout entier.

DAME JEANNE.

Elle n’a point d’enfants ?

BÉATRIX.

Non.

DAME JEANNE.

Que n’en faisait-elle ?

CRISPIN.

Qu’importe ? on la prendra pour la veuve pucelle.

BÉATRIX.

Elle n’eut pour cela jamais d’ambition,

Et toujours les enfants furent sa passion.

CRISPIN.

Dans un pareil besoin on en doit faire faire.

Elle devait prévoir qu’elle en aurait affaire ;

Et, comme sans l’apprendre on sait ce métier-là,

Elle eût trouvé partout des ouvriers pour cela.

BÉATRIX.

Clidamis eut pour elle autrefois de la flamme.

Je crois qu’il voudrait bien hériter de la femme

Ainsi que des écus.

CRISPIN.

Je le crois, entre nous,

Et j’en ai vu Monsieur presque quasi jaloux.

BÉATRIX.

Il l’aime assurément, et j’ai su le connaître.

DAME JEANNE.

Vous n’avez pas encor enterré votre maître

Qu’à sa veuve déjà vous baillez un époux.

BÉATRIX.

Mais elle vient. Comment la consolerons-nous ?

 

 

Scène IV

 

DAME JEANNE, MIRIS, ORPHISE, CRISPIN, BÉATRIX

 

MIRIS.

Hélas ! ma chère sœur, je suis inconsolable.

Ah ! mon pauvre mari !

Se laissant tomber sur un siège.

ORPHISE.

Le désespoir l’accable.

MIRIS.

Hé quoi ! mon cher mari, je ne te verrai plus !

CRISPIN.

Pourquoi donc tous ses cris, puisqu’ils sont superflus ?

DAME JEANNE.

Quoi ! le bonhomme est mort ! Non, je ne le peux croire ;

Il avait tant de soin que l’on me fit bien boire.

ORPHISE.

Remontez donc là-haut, et ne le quittez pas ;

Vous devez le garder même après son trépas.

DAME JEANNE.

Je crois qu’auparavant je peux, sans vous déplaire,

Madame, vous baillez un avis salutaire.

On veut rire, parfois, quand on a bien pleuré ;

Et, contre tous nos maux le remède assuré

Étant d’avoir du bien, pensez à vos affaires ;

Et, comme vos soupirs ne les avancent guères,

Sans plus perdre de temps, songez à détourner...

MIRIS.

Quoi ! c’est là le conseil que tu me veux donner ?

Tu ne me connais pas.

ORPHISE.

Sa peine est trop profonde.

MIRIS.

Mon époux étant mort, rien ne me touche au monde.

DAME JEANNE.

Eh ! mon Gieu, j’avons vu d’autres veuves que vous,

Qui songions à leur bien en pleurant leurs époux.

Je vous baille un conseil que vous dévriais bien suivre.

Cent Guiebles ! vos soupirs ne vous feront pas vivre.

CRISPIN.

Dame Jeanne a raison ; qu’en dis-tu, Béatrix ?

On ne saurait dîner de larmes ni de cris.

DAME JEANNE.

Dans un pareil malheur, l’autre jour, une veuve

De ma fidélité, jour de Gieu ! fit l’épreuve :

Aussi je la servis avec tant de bonheur...

ORPHISE.

Laisse ma sœur en paix rêver à sa douleur.

CRISPIN.

Elle voudrait bouter le nez dans vos affaires.

DAME JEANNE.

Moi ! Sache, merci Guieu, qu’il ne m’importe guères.

Elle rentre.

 

 

Scène V

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN

 

MIRIS.

Que ferai-je ?

BÉATRIX.

Hé ! là ! là ! vos ennuis finiront,

Et vous ferez bientôt comme les autres font.

MIRIS.

Ah ! je ne ressens pas des douleurs si légères.

Mais va quérir Alcipe. Il est homme d’affaires,

Et, de plus, mon conseil ; il loge près d’ici.

CRISPIN.

J’y cours. Mais tirez-moi, Madame, de souci :

Nous habillerez-vous bientôt de deuil ?

ORPHISE.

Sans doute.

CRISPIN.

Bon, je m’en vais quitter les couleurs.

MIRIS.

Mais écoute :

Cherche un habit pour toi, fais venir mon tailleur.

Ah ! que cette pensée augment ma douleur !

CRISPIN, à part.

C’est assez. Tout va bien.

 

 

Scène VI

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX

 

MIRIS, se levant de dessus son siège.

Parlons un peu d’affaires.

La garde ni Crispin n’auraient pas pu se taire,

C’est pourquoi devant eux je craignais de parler.

BÉATRIX.

Là ! courage, Madame !

ORPHISE.

Il faut vous consoler,

Et nous dire pour vous ce qu’il faut entreprendre.

MIRIS.

La mort de mon époux a droit de me surprendre ;

Et, comme enfin de lui je n’ai point eu d’enfants,

Je perds, en le perdant, des biens tout à fait grands.

BÉATRIX.

C’est ce qui vous afflige.

MIRIS.

Eh !

BÉATRIX.

Croyez-moi, Madame,

Votre douleur est juste, et vous pouvez, sans blâme,

Faire un peu votre main.

ORPHISE.

Vous le devez, ma sœur.

BÉATRIX.

Ce remède adoucit la plus grande douleur.

MIRIS.

Hé bien, je m’y résous.

BÉATRIX.

Vous ferez bien, Madame.

MIRIS.

Cela n’est point contraire à l’amour qu’une femme

Doit éternellement avoir pour son époux.

BÉATRIX.

Ah ! le bonhomme aimait votre bien plus que vous,

Et se réjouirait de vous voir à votre aise,

Si cela chez les morts pouvait rendre bien aise.

MIRIS.

Porte donc chez Damon, ce voisin obligeant,

Un service complet de vaisselle d’argent :

J’enverrai ma cassette, après, chez certain homme,

Où j’ai mis de louis une assez bonne somme ;

Et de mes diamants, que dessus moi j’ai mis,

À Lucille, par moi, le soin sera commis ;

Puis je ferai porter chez quelques gens fidèles

Quelques hardes de prix, avec que des dentelles.

BÉATRIX.

Quand tout sera dehors, votre ennui finira.

ORPHISE.

On ne doit que la nuit emporter tout cela.

BÉATRIX.

Quand tout sera serré, ne songez plus, Madame,

Qu’à bannir le chagrin qui trouble trop votre âme

Car, à vous dire vrai, votre défunt époux

Était pour nous meilleur qu’il ne l’était pour vous.

Quand on est jeune, avoir un époux déjà d’âge,

C’est de quoi se trouver fort mal du mariage.

Mais passons là-dessus ; vous aviez en Monsieur

Un époux incommode et de mauvaise humeur,

Malpropre, dégoûtant, chagrin, jaloux, bizarre,

Sujet à mille maux, fâcheux, colère, avare.

MIRIS.

Il était mon époux.

ORPHISE.

Il l’aimait tendrement ;

Et ma sœur doit, du moins, avoir en ce moment

L’âme fort abattue et dans l’ennui plongée.

BÉATRIX.

Par coutume, elle doit être fort affligée,

J’en demeure d’accord, et je n’empêche pas

Que son cœur aujourd’hui ne pousse des hélas !

Au contraire, elle doit, aux yeux de tout le monde,

Montrer qu’elle ressent une douleur profonde ;

De ce que je vous dis, Madame, je fais foi :

Et qui devant vos gens sait mieux pleurer que moi ?

Bientôt, sans y penser, vous ferez tout de même ;

Mais d’abord, quand on perd, la douleur est extrême.

MIRIS.

On doit toujours pleurer quand on perd un époux.

BÉATRIX.

Hé quoi ! vous voulez donc aussi feindre avec nous.

Pleurez tout votre saoul, pleurez, pleurez, Madame.

Pourquoi faut-il pleurer, lorsque l’on rit dans l’âme,

Et souvent s’imposer par coutume la loi

De pleurer pour autrui, lorsque l’on rit pour soi ?

On heurte.

Mais quelqu’un heurte.

MIRIS, en se retournant, et se jetant dessus un siège.

Ouvrez. Oui, votre attente est vaine,

Puisqu’ayant tout perdu, ma mort est trop certaine.

C’est Alcipe.

 

 

Scène VII

 

MIRIS, ORPHISE, ALCIPE, BÉATRIX

 

ALCIPE.

Je viens seulement vous parler,

Sachant bien que le temps peut seul vous consoler.

BÉATRIX, à part.

Je crois qu’un riche époux ferait la même chose.

MIRIS.

Hélas ! de mes ennuis vous savez bien la cause.

Mais écoutez, Monsieur.

Miris, Alcipe et Orphise se parlent bas.

BÉATRIX.

Ils se parlent tout bas.

Faut-il que les défunts causent tant d’embarras !

ALCIPE, à demi haut.

On ne peut l’empêcher.

MIRIS.

Ah ! coutume cruelle !

Je ne le puis celer, ma douleur est mortelle,

Et j’aimerais autant mourir dès aujourd’hui

Que de vivre sans biens, avecque tant d’ennuis.

BÉATRIX.

Je suis de votre avis, sans bien l’on ne peut vivre.

MIRIS.

Ah ! mon pauvre mari, je m’en vais donc te suivre !

ALCIPE.

Mais si son héritier voulait vous épouser ?

MIRIS.

Hé quoi ! vous me l’osez aujourd’hui proposer ?

ALCIPE.

Ce que je dis doit peu vous contraindre à le faire.

ORPHISE.

Vous devriez écouter ce conseil salutaire,

Et songer, quand le sort vous traite avec rigueur,

Qu’autrefois Clidamis eut pour vous de l’ardeur.

BÉATRIX.

Il en aurait encor, si vous vouliez, Madame,

Et vos yeux, quoique en pleurs, rallumeraient sa flamme.

MIRIS.

Ah ! ne me tenez point de semblables discours.

BÉATRIX.

Hé bien, l’on en pourra parler dans quelques jours.

Vous craignez de pécher contre la bienséance.

MIRIS.

Mais, s’il n’avait pour moi que de l’indifférence,

Voudriez-vous bien qu’étant veuve d’un demi-jour,

L’intérêt m’obligeât à montrer de l’amour ?

ORPHISE.

Permettez qu’il reprenne une espérance morte,

On heurte.

Car il vous aime encor. Mais on heurte à la porte.

MIRIS.

Ouvrez. Ha ! ha ! Hélas ! que ma douleur est forte !

Mais je ne me dois pas tant gêner pour Crispin

 

 

Scène VIII

 

MIRIS, ORPHISE, ALCIPE, BÉATRIX, CRISPIN

 

CRISPIN.

Madame, en peu de temps j’ai bien fait du chemin,

J’ai trouvé tout mon monde ; et, quoique je soupire,

J’ai rencontré des gens qui s’en allaient bien rire,

Et qui viendront ici, sortant d’un grand repas,

Pleurer avecque vous.

On heurte.

BÉATRIX.

On heurte.

MIRIS, bas à Alcipe.

N’ouvrez pas.

ALCIPE.

Non, je n’ai rien du tout à dire davantage.

Reposez-vous sur moi, reprenez du courage ;

Serrez bien vos papiers ; dans peu vous me verrez,

Et je vous apprendrai tout ce que vous ferez.

MIRIS.

Ouvrez, laissez-moi là ; non, rien ne me console.

CRISPIN.

L’entend-elle.

Il ouvre.

BÉATRIX.

Elle sait fort bien jouer son rôle.

MIRIS.

Ah ! mon pauvre mari que je perds aujourd’hui !

 

 

Scène IX

 

MIRIS, ORPHISE, LUCILLE, BÉATRIX, CRISPIN

 

LUCILLE.

Comme je prends beaucoup de part à votre ennui,

Je viens comme voisine et comme votre amie...

MIRIS.

Que mon malheur est grand ! Ma peine est infinie.

LUCILLE.

Nous devons tous mourir, nous aurons notre temps.

BÉATRIX.

La méchante façon de consoler les gens !

LUCILLE.

Il est bien mort.

CRISPIN.

Tant pis.

LUCILLE.

Que vous perdez, Madame !

ORPHISE, bas.

Croit-elle ainsi chasser la douleur de son âme ?

CRISPIN.

C’est là le vrai moyen d’augmenter son ennui.

BÉATRIX.

On ne console plus autrement aujourd’hui.

MIRIS.

Quand le pauvre défunt m’avait mise en colère,

Afin de m’adoucir il ne savait que faire.

BÉATRIX.

Il est vrai : car souvent, afin de l’apaiser,

Il venait doucement dérober un baiser.

LUCILLE.

Il était agréable étant avec les dames,

Et toujours, en riant, voulait baiser les femmes.

Ne pleurez point. Ah ! ah ! et que votre grand cœur...

Cœur, ne se laisse point abattre à la douleur.

Hay ! hay ! hay ! quand on pleure, on ternit tous ses charmes.

BÉATRIX.

Faites comme je fais, et retenez vos larmes.

Ah ! ah ! ah ! Mais je pleure.

CRISPIN.

Il n’en est rien, tu ris.

BÉATRIX.

Moi, je ris ?

CRISPIN.

Oui, tu ris comme on pleure à Paris.

J’ai l’esprit plus ferme. Ah ! ah ! Je ne sais que dire,

Et si je pleure aussi, je crois que c’est de rire.

Mais pourtant mon dessein était d’être affligé,

Et cette fois ma bouche a ri sans mon congé.

MIRIS.

Mourir si promptement !

BÉATRIX.

Étant et jeune et belle,

Votre douleur pourra n’être pas éternelle,

Et vous pourriez user encor quatre maris.

CRISPIN, à part.

Au dernier, on fera force charivaris.

LUCILLE.

Le temps fait dissiper la plus forte tristesse.

CRISPIN, dit bas à Béatrix, pendant que Miris parle bas à Lucille.

Dis-moi, toi qui connais le bien de ma maitresse,

En aura-t-elle assez pour nous en faire ?

BÉATRIX.

Hélas !

MIRIS, à Lucille, en lui donnant ses diamants.

Tenez, cachez-les donc, qu’on ne les voie pas.

LUCILLE.

Reposez-vous sur moi.

CRISPIN.

Pleurer, sans me rien dire !

Tu ne me pouvais faire une réponse pire.

MIRIS.

Ah ! que je perds d’amis et de biens aujourd’hui !

À qui me confier ? Qui sera mon appui ?

Les hommes sont trompeurs, et tous les jours on trouve

Que l’ami du mari ne l’est pas de la veuve.

Mais que je vais avoir de chagrin à me voir,

Dans ma première année, avec un habit noir !

ORPHISE.

Il vous faut un bandeau, ma sœur.

MIRIS.

C’est là ma peine,

Car j’ai pour les bandeaux une très forte haine.

Comment serai-je faite avecque ce bandeau ?

Ah ! mon pauvre mari !

LUCILLE.

Vous avez le teint beau,

Il vous siéra fort bien. Adieu ; croyez, Madame,

Que l’excès de vos maux me touche jusqu’à l’âme.

 

 

Scène X

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN

 

MIRIS.

Béatrix, un mouchoir.

ORPHISE.

Vous n’avez point mangé.

BÉATRIX.

Je m’en vais en chercher.

Elle rentre.

MIRIS.

Mon esprit affligé

M’empêche de manger.

CRISPIN.

Sa douleur est profonde.

MIRIS.

Après un tel malheur, je veux quitter le monde

CRISPIN.

Quand une fois d’un homme une femme a tâté,

Ce n’est pas sans sujet qu’il en est regretté.

Il parlait encor hier, mon pauvre défunt maître,

Et proche du trépas il ne croyait pas être.

ORPHISE.

Il pouvait parler hier, et mourir aujourd’hui.

CRISPIN.

Je ne trouverai plus de maître comme lui.

 

 

Scène XI

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN

 

BÉATRIX.

Tenez ; mais gardez-vous de pleurer davantage

Et de vous ruiner, Madame, en blanchissage.

Je viens de voir au pot, et, l’ayant trouvé bon,

J’ai cru que je devais apporter ce bouillon ;

Vous devez l’avaler.

MIRIS.

Je ne saurais.

CRISPIN.

Je gage

Qu’elle n’en fera rien.

MIRIS.

Je n’ai pas le courage.

CRISPIN.

Je ne me trompais pas, elle n’en fera rien.

ORPHISE.

Mais vous devez le prendre, il vous fera du bien.

MIRIS.

Hé bien, donne-le-moi ; c’est pour vous satisfaire.

On heurte.

CRISPIN.

Mais je crois qu’on heurte à la porte.

MIRIS.

Que faire ?

BÉATRIX.

Avalez promptement.

MIRIS.

Je le trouve trop chaud ;

Prends-le vite, Crispin.

CRISPIN.

Voilà ce qu’il me faut,

Je n’ai pas déjeuné.

ORPHISE.

Voyez donc à la porte.

CRISPIN, un peu à l’écart.

Il faut, en le prenant, montrer une âme forte.

Béatrix, ayant ouvert, on entend une voix qui dit.

Comment s’est, depuis hier, porté Monsieur Cléon ?

BÉATRIX.

Il est mort.

La voix répond.

C’est assez.

CRISPIN.

Il était, ma foi, bon ;

Mais il m’a bien brûlé.

BÉATRIX.

Prenez, sans plus attendre,

Votre bouillon.

MIRIS, à Crispin.

Donnez.

CRISPIN, en découvrant l’écuelle.

Quoi ! je le viens de prendre,

Comme vous m’avez dit.

MIRIS.

C’était pour le garder.

CRISPIN.

J’ai cru que je devais le prendre sans tarder,

Afin de vous servir.

BÉATRIX.

Si...

MIRIS.

Gardez de rien dire ;

En l’état où je suis, ne me faites pas rire.

BÉATRIX.

Tenez donc ; ce biscuit que j’avais pris pour moi,

Vous devez le manger.

MIRIS.

Ah ! de grâce, tais-toi.

ORPHISE.

Mais prenez-le, ma sœur, c’est moi qui vous en prie ;

Il faut manger un peu pour conserver sa vie.

MIRIS, elle mord le biscuit.

Hé bien, donnez-le-moi. Je n’ai point d’appétit.

CRISPIN.

Elle va là-dessus jeter tout son dépit.

BÉATRIX.

Loin de vous affliger, songez que le veuvage,

Madame, a ses plaisirs comme le mariage ;

N’ayez plus désormais l’esprit inquiété,

Vous verrez tout le monde avecque liberté.

MIRIS, en tenant son biscuit.

Ah ! mon pauvre mari !

BÉATRIX.

Ce n’est pas lui, Madame ;

C’est un biscuit.

ORPHISE.

Son mal me perce jusqu’à l’âme.

CRISPIN.

Peste, qu’elle va vite ! Il est tantôt mangé.

BÉATRIX.

On mange avec fureur quand on est affligé.

MIRIS.

J’étouffe.

CRISPIN.

La chose est assez facile à croire :

Quand on mange si vite, il faudrait un peu boire.

ORPHISE.

Ne boirez-vous pas bien ? Répondez donc, ma sœur.

Mais voulez-vous du vin ?

MIRIS.

Eh !

ORPHISE.

Il refait le cœur.

On heurte.

MIRIS.

Mais quelqu’un vient encor : Si l’on sait que je mange,

Cent critiques fâcheux le trouveront étrange,

Et diront que je dois autrement m’affliger.

Vous me pressez en vain, je ne saurais manger.

CRISPIN.

Le jour qu’un mari meurt on ne boit ni ne mange.

Il va ouvrir.

BÉATRIX.

Pour moi, je trouverais cette coutume étrange.

MIRIS.

Ah ! ne m’en parlez plus.

ORPHISE.

Mais c’est monsieur Damis.

 

 

Scène XII

 

DAMIS, MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN

 

DAMIS.

Ayant toujours fait vœu d’être de vos amis,

Je vous viens témoigner combien je prends, Madame,

De part à la douleur que vous sentez dans l’âme.

CRISPIN.

Je vous sommes, Monsieur, grandement obligés

De venir consoler les pauvres affligés.

Si votre femme meurt, on vous fera de même.

MIRIS.

Je voudrais bien, Monsieur, que ma douleur extrême

Pour vous remercier me laissât un moment.

Je pourrais mieux répondre à votre compliment.

DAMIS.

Étant robuste et sain, je ne saurais comprendre

Comment en quatre jours la mort a pu le prendre.

CRISPIN.

Je crois le voir encor dedans son cabinet,

L’été, se promener avecque son bonnet.

BÉATRIX.

C’était un bonnet blanc, il m’en souvient encore,

Car celui qu’il portait l’hiver était aurore.

MIRIS.

Hélas !

DAMIS.

Consolez-vous.

MIRIS.

Ah ! que je perds, Monsieur !

Le temps ne peut jamais adoucir ma douleur.

Quand le pauvre homme avait quelque chagrin dans l’âme,

Il me le racontait toujours la nuit.

BÉATRIX.

Madame,

Quoi ! ne le plaignez-vous que pour ce sujet-là,

Si le pauvre défunt ne faisait que cela,

Il n’est pas fort à plaindre.

MIRIS.

Il avait l’âme bonne.

ORPHISE.

On ne saurait trouver de meilleure personne.

DAMIS.

Je crois que l’on ne peut jamais le plaindre assez.

BÉATRIX.

Tous les hommes sont bons quand ils sont trépassés.

DAMIS.

Sortons ; dans sa douleur, le monde l’incommode.

CRISPIN.

Se retirer ainsi, c’est sortir à la mode.

 

 

Scène XIII

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN

 

MIRIS.

À la fin, je pourrai respirer un moment.

BÉATRIX.

Oui, si vous le voulez.

ORPHISE.

Montez donc promptement

Pour serrer vos papiers.

MIRIS, à Béatrix.

Si quelqu’un me demande,

Dis qu’on ne me peut voir.

ORPHISE.

Montez, car j’appréhende

Encor quelques fâcheux.

CRISPIN.

Malgré ses déplaisirs,

Elle aime encor le bien.

BÉATRIX.

Il cause ses soupirs.

CRISPIN.

On vient.

 

 

Scène XIV

 

CLIDAMIS, CRISPIN, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

C’est Clidamis.

CRISPIN.

Je crois qu’il rit dans l’âme.

BÉATRIX.

Présentement, Monsieur, on ne peut voir Madame.

CRISPIN.

Si le pauvre défunt eût fait un testament !

Mais, hélas ! il est mort quasi subitement.

CLIDAMIS.

Je prends pitié des maux que le Ciel vous envoie.

CRISPIN.

Jamais les héritiers ne pleurent que de joie.

Qui trouve, comme vous, des écus à compter,

Ne sauraient pas avoir le temps de s’attrister.

BÉATRIX.

Peut-on, avec du bien, avoir de la tristesse ?

CLIDAMIS.

Ce que j’ai, Béatrix, est tout à ta maîtresse.

BÉATRIX.

Crispin, fais donc venir ton habit promptement.

CRISPIN.

Je serai de retour ici dans un moment.

 

 

Scène XV

 

CLIDAMIS, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

À vous ouïr parler, on irait que votre âme

Ressent encor l’ardeur de sa première flamme.

CLIDAMIS.

J’avouerai que j’aimais ta maîtresse autrefois,

Je l’aimais, quand l’Hymen la rangea sous ses lois.

Mais, que dis-je ? Je sens que mon cœur l’aime encore,

Et, pour te dire plus, je sens que je l’adore ;

Mais le temps est mal propre à découvrir mon feu,

Et je n’espère pas en obtenir l’aveu.

BÉATRIX.

Je prétends vous servir de la bonne manière,

Si vous me secondez.

CLIDAMIS.

Dis-moi, que faut-il faire ?

BÉATRIX.

Montrez-lui que les biens de défunt son époux,

Selon toutes les lois, n’appartiennent qu’à vous.

Je pense, pour cela, qu’il serait nécessaire

De faire promptement venir un Commissaire.

CLIDAMIS.

Ce serait l’offenser ; je ne te croirai pas,

Et je dois ménager de si charmants appas.

BÉATRIX.

Par bienséance, il faut qu’on la croie contrainte

De vous souffrir l’ardeur dont votre âme est atteinte.

Et qu’elle oppose enfin ces raisons aux censeurs

Qui font profession de critiquer les mœurs.

Laisse-moi faire après.

CLIDAMIS.

Tenez-moi donc parole.

BÉATRIX.

Allez, je vous promets de bien jouer mon rôle.

Ne perdez point de temps. Enfin, par mon moyen,

Ma Maîtresse pourra conserver tout son bien.

 

 

Scène XVI

 

BÉATRIX, CRISPIN, LE TAILLEUR, LE FRIPIER

 

CRISPIN.

Voilà votre tailleur qu’avecque moi j’amène,

Et le garçon fripier, dont nous étions en peine.

LE FRIPIER, à Crispin.

Je venais vous trouver, comme vous avez dit,

Et n’aurais pas manqué d’apporter votre habit.

Tenez, je suis bien sûr que voilà votre affaire.

LE TAILLEUR, avec sa mesure.

Çà.

BÉATRIX.

Tout beau.

LE TAILLEUR, à Béatrix.

Le temps presse, et j’ai beaucoup affaire.

LE FRIPIER, à Crispin.

Vous avez, au logis, essayé le pourpoint

Et les chausses ?

CRISPIN.

D’accord.

LE FRIPIER.

Vous n’en trouveriez point,

Quand même vous feriez toute la friperie,

Qui fût mieux fait sur vous. Mais voyons, je vous prie,

La casaque.

CRISPIN.

Voyons.

BÉATRIX.

Elle fait bien aussi.

LE TAILLEUR, voyant Béatrix monter sur un escabeau.

Mais pourquoi Béatrix se perche-t-elle ainsi ?

CRISPIN.

J’y rêve vainement, et n’y puis rien comprendre.

BÉATRIX.

Il n’est pas malaisé de vous le faire entendre.

Je veux une grand’ queue, et prétends, pour cela,

Que, pendant que je suis sur cet escabeau-là,

L’on prenne ma mesure.

CRISPIN.

Il faut la satisfaire.

LE TAILLEUR.

Je la contenterai, si l’on me laisse faire.

LE FRIPIER, à Crispin, à demi-bas.

Elle prétend par là l’empêcher de voler.

LE TAILLEUR.

Savez-vous que je puis vous apprendre à parler ?

Il prend la mesure de la queue.

BÉATRIX.

C’est trop peu.

LE TAILLEUR.

Mais Madame en serait en colère,

Et je veux lui parler avant que de rien faire.

LE FRIPIER, à Crispin qui regarde son habit.

Je le garantis neuf.

CRISPIN.

Je crains qu’il ne soit vieux.

LE FRIPIER.

Il est tout neuf, vous dis-je, et cela saute aux yeux.

BÉATRIX.

Ne volez qu’en ami, quand vous ferai ma robe.

LE FRIPIER.

Vous l’accusez à tort, jamais il ne dérobe.

LE TAILLEUR.

On connaît les fripiers.

LE FRIPIER.

On connaît les tailleurs.

CRISPIN.

Je ne sais qui des deux passent pour les meilleurs.

LE TAILLEUR.

Adieu ; faites qu’en peu l’on m’apprenne, de grâce,

Ce que, touchant la queue, il faudra que je fasse.

 

 

Scène XVII

 

BÉATRIX, CRISPIN, LE FRIPIER

 

BÉATRIX.

Çà, voyons cet habit.

CRISPIN.

Je l’ai presque acheté.

BÉATRIX.

Tu dis que cet habit n’a point été porté ?

LE FRIPIER.

Je le vends tel qu’il est : mais, Madame, je gage

Qu’un neuf ne pourrait pas lui servir davantage.

CRISPIN, à Béatrix.

Si tu voulais le prendre, il me sied à ravir.

LE FRIPIER.

Comme j’espère avoir l’honneur de vous servir,

J’en ferai bon marché ; donnez m’en trois pistoles,

Sans consommer le temps en de vaines paroles.

BÉATRIX.

Hé bien, sans barguigner, j’en donne la moitié.

LE FRIPIER.

Je vous le donnerais plutôt par amitié.

BÉATRIX.

Hé bien, j’en donne encore une demi-pistole.

CRISPIN, regardant pitoyablement Béatrix.

Béatrix !

BÉATRIX.

C’est assez, je tiendrai ma parole :

Madame me crierait si j’allais trop donner.

LE FRIPIER.

J’y perds, il est à vous, mais c’est pour étrenner.

BÉATRIX, lui donnant de l’argent.

Tenez.

LE FRIPIER.

Et le garçon n’aura-t-il rien, Madame ?

BÉATRIX.

Tenez, encor.

LE FRIPIER.

Adieu ; vous êtes brave femme.

 

 

Scène XVIII

 

CRISPIN, BÉATRIX

 

BÉATRIX, en regardant l’habit.

Hélas ! mon pauvre maître !

CRISPIN.

À propos il est mort.

BÉATRIX.

Je vois que ton habit te réjouit si fort

Que tu n’y songes plus.

CRISPIN.

J’oubliais ma tristesse.

Mais je crois que j’entends descendre ma maîtresse.

 

 

Scène XIX

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN

 

CRISPIN.

J’ai mon habit de deuil, Béatrix l’a payé.

ORPHISE.

Avant que l’on l’ait pris, l’a-t-il pas essayé ?

BÉATRIX.

Oui.

ORPHISE.

Mais combien vaut-il ?

CRISPIN, bas à Béatrix.

Ferrerons-nous la mule.

BÉATRIX

Il me coûte vingt francs.

CRISPIN.

Comme elle est fort crédule,

On eût pu la tromper.

BÉATRIX.

J’ai vu votre tailleur,

Et dit que vous vouliez que, pour vous faire honneur,

Il me fît une queue un peu longue à ma robe.

CRISPIN.

C’est qu’elle ne veut pas que le tailleur dérobe.

BÉATRIX.

Il est fort honnête homme, il me l’a dit cent fois,

Et jamais d’une étoffe il ne prit quatre doigts.

CRISPIN.

Non, car il en prend plus.

 

 

Scène XX

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, CRISPIN, LE COMMISSAIRE

 

CRISPIN, poursuit.

Mais que vois-je, Madame ?

C’est un homme qui peut alarmer une femme,

Qui chez les trépassés augmente la douleur,

Et de qui bien souvent les veuves ont grand’peur ;

Un Commissaire, enfin, qui prend mal ses mesures.

BÉATRIX.

Vous venez donc ici pour boucher nos serrures ?

CRISPIN.

Nous ne vous dirons point les biens qui sont ici ;

Et, puisqu’il faut sceller, nous cèlerons aussi.

Nous en ferons beaucoup sans applique de cire.

LE COMMISSAIRE.

J’excuse la douleur, et vous laisse tous dire ;

Mais j’ai, pour tout sceller, ordre de Clidamis.

ORPHISE.

Monte avec lui, Crispin.

 

 

Scène XXI

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX

 

MIRIS.

Ô Dieu ! que j’ai d’ennuis !

Voyez, voyez, enfin, comme Clidamis m’aime.

BÉATRIX.

Peut-être que cela n’est rien qu’un stratagème,

Qu’il croit vous obliger à le bien recevoir,

Vous montrant à demi jusqu’où va son pouvoir.

ORPHISE.

Si Béatrix dit vrai, soyez plus complaisante,

Vous gagnerez par là deux mille écus de rente.

MIRIS.

Quoi que vous me disiez, non, il ne m’aime pas.

Le bien le charme plus que mes faibles appas.

 

 

Scène XXII

 

MIRIS, ORPHISE, BÉATRIX, DAME JEANNE

 

DAME JEANNE.

Jour de Guieu, vous saurez, Monsieur le commissaire,

Que je ne craignons rien.

ORPHISE.

Ne veux-tu pas te taire ?

DAME JEANNE.

Moi, me taire ? Non, non, je ne me tairai point.

On ne peut outrager Dame Jeanne à ce point,

Que je ne fassions voir que j’avons du courage.

MIRIS.

Mais encore, qu’as-tu ?

ORPHISE.

Dis-nous donc quel outrage...

DAME JEANNE.

Je ne le lairrai point sortir de la maison ;

Je veux, malgré ses dents, qu’il me fasse raison.

Je n’ai pas tant vécu, pour me laisser surprendre ;

S’il ne sait son méquier, qu’il s’en aille l’apprendre.

ORPHISE.

Mais d’où vient ce courroux ? Réponds-nous.

DAME JEANNE.

Il suffit,

Puisque chacun le sien, n’est pas trop, comme on dit.

MIRIS.

Ne fais pas tant de bruit, je ne veux point d’affaire,

Et tu pourrais m’en faire avec le commissaire.

DAME JEANNE.

C’est un mal avisé, qui doit savoir mes droits,

Et ce qui m’appartient selon toutes les lois.

Je prétends, jour de Guieu, qu’il me rende justice.

Mais, puisque vous voulez que je vous éclaircisse,

Sachez qu’il veut sceller ce que je dois avoir.

S’il savait son métier, il pourrait mieux savoir

Qu’il ne doit point toucher à de certaines hardes

Dont souvent les défunts font un présent aux gardes.

MIRIS.

Ne me fais point de bruit, repose-toi sur moi,

Tu ne t’en plaindras pas, et j’aurai soin de toi.

BÉATRIX.

Madame, il n’est plus temps de vous faire un mystère

De l’amour que, pour vous, Clidamis n’a su taire.

Il me l’a dit lui-même, à moi-même, aujourd’hui ;

Et vous pourriez avoir les biens qui sont à lui,

Pour peu qu’à son amour vous donniez d’espérance.

ORPHISE.

Pensez que vous devez, ma sœur, en conscience,

Songer à votre bien.

BÉATRIX.

Pouvez-vous faire mieux ?

DAME JEANNE.

C’est un bon gentilhomme, on le dit en tous lieux,

Et vous devez l’aimer, ayant tant su lui plaire,

Pour faire de céans sortir le commissaire.

ORPHISE.

Le temps presse, ma sœur.

MIRIS.

Oui ; mais que dirait-on ?

BÉATRIX.

Ah ! le qu’en dira-t-on n’est pas une raison ;

Et, bien loin d’y penser, songez plutôt, Madame,

Que lorsque le chagrin vient à quitter notre âme

(Car, avecque le temps, c’est un coup assuré),

On veut rire, souvent, après avoir pleuré.

Cependant on ne peut, lorsque l’on se voit gueuse,

Et, malgré qu’on en ait, on est toujours pleureuse.

MIRIS.

Mon époux n’étant mort qu’aujourd’hui, cet effort...

BÉATRIX.

Hé bien, dans quelque temps il sera plus vieux mort :

De générosité, votre amant qui se pique,

Vous laissera pleurer un temps par politique.

Le voilà.

 

 

Scène XXIII

 

MIRIS, ORPHISE, CLIDAMIS, DAME JEANNE, BÉATRIX

 

BÉATRIX, à Clidamis.

Vous devez lui parler sans détour ;

Madame vient, par moi, d’apprendre votre amour.

CLIDAMIS, à Béatrix.

Bien que pour ses appas mon triste cœur soupire,

Je n’aurais pas sitôt entrepris de lui dire.

Je n’ose même encor, Madame, vous parler

De la pressante ardeur dont je me sens brûler ;

Et, lorsque vous avez tant de chagrins dans l’âme,

Ce n’est pas un temps propre à vous parler de flamme.

ORPHISE.

Répondez.

MIRIS.

Je ne puis...

BÉATRIX.

Vous devez...

MIRIS.

Laisse-moi.

BÉATRIX.

Mais vous devez répondre.

MIRIS.

Ah ! de grâce, tais-toi.

CLIDAMIS.

Je vois qu’avec chagrin vous souffrez ma présence.

BÉATRIX.

Donnez-lui lieu du moins d’avoir quelque espérance.

MIRIS.

Monsieur, vous savez bien qu’aujourd’hui mon époux

Étant mort, je ne puis... Mais, quand je pense à vous...

Mais... je ne songe pas à ce que je vais faire ;

Et, pour un temps du moins, mon cœur se devrait taire.

ORPHISE.

Quoi ! vous ne direz rien ?

MIRIS.

Ô Dieu ! quel embarras !

BÉATRIX.

Mais le haïssez-vous ?

MIRIS.

Moi, le haïr, hélas !

BÉATRIX.

Avecque cet hélas que prétendez-vous dire ?

ORPHISE.

D’amour et de douleur son triste cœur soupire.

BÉATRIX.

Je crois que cet hélas vous doit être bien doux,

Et que vous voyez bien qu’elle parle pour vous.

C’est tout ce qu’elle peut à présent, et je trouve

Que c’est en dire assez pour une fraîche veuve.

CLIDAMIS.

Ce langage du cœur, cet obligeant hélas,

M’annoncerait-il bien ?...

BÉATRIX.

Ah ! ne la pressez pas ;

Qui ne dit mot consent, et, puisqu’elle soupire

Sans blâmer votre amour, cela vous doit suffire.

CLIDAMIS, à Miris.

Que ne vous dois-je point !

MIRIS, s’en allant.

J’en ai trop fait, adieu.

BÉATRIX.

À vos feux cet adieu donnant un plein aveu,

Voyez ce que pour vous mon adresse a su faire.

DAME JEANNE.

Faites donc promptement sortir le commissaire.

CLIDAMIS.

C’est mon dessein.

ORPHISE.

Tant mieux.

BÉATRIX, au peuple.

Vous pouvez assurer

Que nous avons fait rire à force de pleurer.

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