La Pêche aux beaux-pères (Jean-François Alfred BAYARD - Thomas SAUVAGE)

Comédie en deux actes, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtres du Palais-Royal, le 16 juin 1845.

 

Personnages

 

FABIEN D’ARCY

MONSIEUR CAMUS DE MONTGIBAUT, propriétaire

OLGAR BERNIQUET

MULLER, tailleur

MORICAUD, cocher, valet de chambre

DOROTHÉE

CAROLINE DE MONTGIBAUT

 

À Paris. 1845. Chez Fabien.

 

 

ACTE I

 

Un salon simple. Porte au fond, portes latérales. À droite, 2e plan, une croisée.

 

 

Scène première

 

FABIEN, OLGAR

 

Ils entrent ensemble par le fond : Fabien dansant ; Olgar, se traînant.

Ensemble.

Air : Polka de Camprubi.

FABIEN.

Aimable Mazourka !
Pas charmant, je t’adore ;
Mais, toi, vive Polka,
Je te préfère encore !

OLGAR.

Maudite Mazourka !
Pas affreux ! je l’abhorre...
Mais, toi, sotte Polka,
Je le hais plus encore !
Eh ! bien, oui, j’attaque
La Cosaque
Et la Polaque ;
Car, çà me détraque...
Et je le sens, chez moi, tout craque !

Ensemble.

FABIEN.

Aimable Mazourka ! etc.

OLCAR.

Maudite Mazourka ! etc.

 

 

Scène II

 

FABIEN, DOROTHÉE, OLGAR

 

DOROTHÉE, entrant par la gauche.

Ah ! enfin, vous voilà, monsieur Fabien !... Tiens ! monsieur Olgar...

OLGAR.

Oh ! Dorothée, un fauteuil... une chaise... un canapé quelconque... Ouf, ouf ! ouf !

DOROTHÉE, prend une chaise à droite.

Tenez, asseyez-vous.

Elle porte la chaise à Fabien, qui s’assied.

OLGAR, croyant la chaise, derrière lui, tombe.

Ah ! bien ! ah ! bon ! merci !

FABIEN.

Eh ! Dorothée... comment, déjà levée !

DOROTHÉE.

Pardine ! voyez l’heure !... le temps ne a pas paru long... vous vous amusiez...

FABIEN,

Et toi, tu dormais !... le portier m’avait pourtant dit qu’on avait vu de la lumière chez toi, toute la nuit... tu ne travaillais pas, j’espère ?

DOROTHÉE.

Moi ! allons donc... cette lumière... c’était pour vous... quand vous seriez de retour.

OLGAR.

Décidément, j’ai Strasbourg compromis !

FABIEN.

Strasbourg ?

OLGAR.

Oui... le département du Bas-Rhin, mon cher !

DOROTHÉE.

Eh ! vite, je cours préparer le déjeuner de Monsieur.

FABIEN, ironiquement.

Oh ! diable : le déjeuner de Monsieur !... c’est juste... prends garde de te donner une courbature, en le confectionnant, cordon-

Bleu !...

DOROTHÉE.

Plaignez-vous !... du café Corcelet, un petit pain Viennois, et du beurre, que ça embaume la crème.

FABIEN.

Tu as raison... je suis un ingrat !

OLGAR.

Es-tu heureux, gredin ! es-tu un être fortuné, d’avoir là, pour te soigner, une bonne fille comme Dorothée !... une gouvernante...

FABIEN.

Dis, plutôt, une sœur ! car c’est tout comme : n’est-elle pas ma sœur de lait ?... une amie ! Élevée, par ma mère, avec moi, elle faisait partie de notre maison... et, après la mort de mon père, que je croyais si riche !... c’est le seul bien qui me soit resté, dans sa succession.

Il se lève.

OLGAR, bas.

J’aurais autant aimé cent mille livres de rente !

DOROTHÉE, tendant la main à Fabien.

Et ce bien là, vous l’avez accepté !...

FABIEN.

Tu m’as consolé de la perte de tous les autres !

OLGAR.

C’est touchant !... avec ça l’on dit généralement que Dorothée est d’une vertu... féroce !

FABIEN.

Olgar !...

OLGAR.

Tiens ! ça la fait rougir !... Dorothée, ma chère amie, regardez-moi en face... vous êtes vous fraîche... comme une rose... rouge.

DOROTHÉE.

Et vous aussi, Monsieur... comme une rose... jaune !

FABIEN.

Tu comprends la couleur ?

OLGAR.

Flatteuse, va... c’est vrai, je dois avoir l’air très jonquille... les femmes ne sont pas insensibles à cette nuance...

DOROTHÉE.

Ce n’est pas comme M. Fabien... à la bonne heure ! l’œil vil, le teint animé... voilà un homme !... Avez-vous bien dansé ?

FABIEN.

Dame ! c’est toi qui l’as voulu... pour me forcer à me distraire... j’ai obéi... et quand j’y suis, vois-tu, ça va, ça va !...

Faisant un balancé.

Et prêt à recommencer.

OLGAR.

Et moi donc, si je voulais, en avant... aie !

FABIEN.

Si tu pouvais... ah ! ah ! ah !

DOROTHÉE, riant.

Ah ! ah ! ah !

OLGAR.

Oh ! diable de Polka !... Oui, riez, riez... vous ne savez pas, vous, ce qui rend ma situation plus douloureuse... relativement à... Strasbourg ?... c’est que je vais me marier.

DOROTHÉE.

Vous y pensez ?

OLGAR.

Tiens ! si j’y pense ? et furieusement, ma chère !

FABIEN.

À cause de tes créanciers.

OLGAR.

C’est possible... pour conserver l’entente cordiale avec mes anglais...

DOROTHÉE.

Oui, mais une femme ?...

OLGAR.

Une femme !... mais, ma chère, on se m’arrache, c’est une rage, ça tient de la frénésie, ou plutôt, ça tient mon système... il y a des gens qui se donnent bien du mal pour se faire un état... moi, je me suis dit : Olgar, mon ami, tu n’as pas le sou, fais-toi millionnaire...

DOROTHÉE.

Rien que ça !... 

FABIEN.

Pas mal choisi.

OLGAR.

Et, tout cela, par une de ces idées naïves qui passent devant le nez de tout le monde et qu’on ne saisit pas au toupet, parce que généralement, on en manque... de toupet...moi, j’en ai au moral et au physique. 

DOROTHÉE.

Voyons le système...

À part.

Ça peut servir !

OLGAR.

Tu n’as pas été sans remarquer ces braves bourgeois qui pêchent à la ligne, tout le long, le long, le long de la rivière... eh ! bien, ces imbéciles-là ne sont pas aussi bêtes qu’ils en ont l’air... je les imite !

DOROTHÉE.

Comment ?

OLGAR.

Avec une miette de pain, ils attrapent des poissons monstres... moi, qu’est-ce que je fais ?... je loue un vaste appartement, des meubles magnifiques... Je donne d’excellents dîners, je truffe mes amis et mes connaissances... pour les conserver, c’est infaillible !... J’ai des toilettes mirobolantes ; une voiture, des laquais de remise ; une loge à l’Opéra et aux Italiens... que sais-je, un luxe à humilier toute la fashion de la capitale... en un mot, je fais comme les imbéciles... c’est-à-dire, les pêcheurs... J’amorce !... bon !... Je vois les beaux-pères qui tournent et retournent... en voilà un qui approche... attention... mais lui, pas bête ! il plonge : c’est un malin... bon !... à un autre... ça mord... Je rends de la ligne à ce lui-là... ça mord encore... J’en rends toujours... un beau-père bien gros, chargé d’écus à casser l’hameçon le plus solide... il ne faut pas manquer son coup... J’attends ma belle... J’ai la main légère... v’lan ! et le tour est fait ! Je tiens mon brochet, si c’est un beau-père... ou ma barbue si c’est une belle-mère...

Fabien s’assied à gauche.

Vous comprenez, maintenant... mais ce n’est pas tout... une fois pris, je choie, j’empâte, je promène, je fascine, j’éblouis le brave homme, en lui jetant de la poudre aux yeux... moyen simple et ingénieux pour l’empêcher de voir clair... et ce digne beau-père que je lorgne, ce brochet que je guette pour l’amorcer, et qui semble avoir été confectionné tout exprès pour mon usage particulier, attendu aujourd’hui même à Paris, est intitulé : M. Camus de Montgibaut.

FABIEN.

M. de Montgibaut ? un riche propriétaire des environs de la Rochelle ?...

OLGAR.

Le marquis de Carabas du pays... il m’a été expédié par une de mes tantes.

DOROTHÉE.

Vous le connaissez, monsieur Fabien ?

FABIEN.

C’était un des clients de mon père... En effet, il a une fille unique, une fille charmante.

DOROTHÉE.

Ah ! vous l’avez vue ?

FABIEN.

Oui, à un voyage que je fis, pour non père... Dix-huit ans, taille ravissante !...

OLGAR.

Ça m’est bien égal... il n’y a pas de machine orthopédique qui redresse une bossue comme un million... Mademoiselle de Montgibaut a trois cent mille francs de dot !

DOROTHÉE.

Trois cent mille francs !

OLGAR.

Comptant !... et avec ce que j’ai...

DOROTHÉE.

Ce n’est pas long à compter... ça fait trois cent mille francs.

OLGAR.

Erreur !... avec ce que j’ai... ça fait deux cent mille francs ; mais que d’économies je ferai !... Une fois marié, je me retire dans mes terres ; je me sature de toute espèce de bouillons, je reprends ma fraicheur... pas jonquille, méchante... et, regretté de mes innombrables enfants, à l’âge de cent trois ans, je quitte la vie, victime de mon obésité.

Fabien s’est en dormi.

DOROTHÉE.

Vous ayez du chemin à faire.

OLGAR.

Bah ! on arrive à tout, avec de la patience et des côtelettes... À propos de côtelettes, le beau-père, en arrivant, trouvera une lettre de moi... une charmante invitation à déjeuner... Oh ! diable ! je suis décidé à brusquer les choses !

Plus bas.

C’est qu’il n’y a pas à balancer : dans trois jours le mariage, ou coffré !... je ne peux pas souffrir le voisinage des Batignolles !

Air : de l’Apothicaire.

Dans le système que voici,
Des deux côtés, moi, je m’expose...
Prison là-bas, prison ici...
C’est, à peu près, la même chose.
Garçon, on me flanque à Clichy...
De l’hymen j’aime mieux la chaine.

DOROTHÉE.

J’entends... vous devenez mari,
Par commutation de peine !

OLGAR, riant.

C’est ça... mais mon tailleur doit m’attendre... il m’apporte une toilette... un gilet délicieux... brodé par les grâces, sous la figure de la petite Nini, une jeune brodeuse... à qui je veux du bien... et qui me dorlote !... Adieu, méchante !... Fabien !... tiens, il dort !

DOROTHÉE.

Pauvre garçon !

OLGAR.

Merci... Je suis pâle, n’est-ce pas ?... Mais, bah ! avec un peu de rouge... Ah ! ah ! ah !... à bientôt !

 

 

Scène III

 

FABIEN, DOROTHÉE

 

DOROTHÉE, regardant Fabien endormi.

Air : Voltigez, hirondelles. (F. David.)

Il dort... que c’est merveille !
Repos plein de douceur...
Pauvre ami !... qu’il sommeille !
Mais, à son bonheur, veille
Une sœur !
(3 fois.)

À l’voir, un’ joie extrême
Vient enivrer mon cœur !...
Ah ! si jamais, lui-même...
Mais non... il faut qu’il m’aime,
Comme un’ sœur...
Rien qu’un’ sœur...
Une sœur !

FABIEN, s’éveillant.

Eh bien... il ne parle plus ?...

Il se lève.

Olgar !...

DOROTHÉE, essuyant vivement une larme.

Il est parti.

FABIEN.

Ah ! c’est toi... Je m’étais endormi... Ce bavard, avec sa pêche aux beaux-pères !...

DOROTHÉE.

Oui, il est drôle !... et pourtant, M. Fabien, il y a du bon dans son système.

FABIEN.

Allons donc, faire des dupes !

DOROTHÉE.

Oh ! ce n’est pas ce que j’approuve... mais il est bon quelquefois de s’aider un peu... d’avoir de la persévérance, de l’ambition... de chercher à monter !...

FABIEN.

C’est à cause de moi que tu dis cela... intrigante !

DOROTHÉE.

Eh ! oui, pour vous... qui êtes un brave jeune homme, gentil tout plein... qui n’avez qu’un pas à faire, peut-être, pour relever votre fortune !... avec un peu d’audace et de courage... mais...

FABIEN.

Mais je n’en ai pas... Va, va, ne te gêne pas...gronde-moi ! Que veux-tu ?... bien jeune encore, j’ai été si cruellement éprouvé ! moi, qui devais espérer une grande fortune, un bel avenir, élevé dans le luxe, habitué à toutes les jouissances du monde, et, tout-à-coup, sans ressource, sans espérance, ruiné... plus rien et tu veux que je pense...

DOROTHÉE.

Je veux... je veux que vous pensiez à votre père... Il avait commencé comme vous voilà... et il devint un banquier riche, estimé !... et...

FABIEN.

Et en a-t-il été plus heureux, mon pauvre père !... Engagé dans des spéculations effrayantes, entrainé, inquiet, une fièvre cérébrale l’emporta au moment de réaliser des bénéfices énormes... La malveillance attribue ce malheur au désespoir... La panique s’empare des clients... chacun réclame ses fonds à grands cris... plus de confiance, plus de crédit... la maison s’écroule... et je ne sais ce que je serais devenu... sans toi, bon mon ange, qui m’as consolé, qui as ranimé mon courage !

DOROTHÉE.

Et vous en avez eu pour sauver le nom de votre famille ! Ah ! la tâche a été rude !... Seul, a vous avez fait face à tout ; à force de travail, de sacrifices, vous avez terminé une liquidation dont vous désespériez !...

FABIEN.

C’est vrai !

DOROTHÉE.

Désespérer ! allons donc ! c’est un mot qu’on ne doit pas connaître à votre âge... En avant en avant !... et l’on arrive.

FABIEN.

Et je suis arrivé !... j’en suis encore étourdi ! quand j’y pense, je ne comprends pas comment nous avons vécu... C’est vrai, tant qu’a duré la bourrasque, je remuais des chiffres à force... mais pas un écu !... je me serais fait un scrupule d’y toucher... c’était le bien de nos clients, c’était l’honneur de mon père... mais tu étais là, toi !

DOROTHÉE.

Et ces créances un peu véreuses... qui étaient bien à vous !

À part.

Pauvre garçon ! s’il n’avait eu que ça !

FABIEN.

Enfin, la tâche que tu m’avais imposée est achevée... je suis au port... tu veux que je  me rembarque dans le tracas des affaires ?

DOROTHÉE.

Certainement !

FABIEN.

Allons donc !... tu n’y penses pas... tout est terminé... les employés sont congédiés... demain les portes de la vieille maison de banque seront fermées, et moi, simple commis chez Delahaye, un ancien ami de la famille, je vivrai obscur, avec mille écus d’appointements, mais heureux et tranquille !

DOROTHÉE.

Eh ! bien, non, monsieur, ça ne se peut pas !

FABIEN.

Si fait !

DOROTHÉE.

Vous, simple commis ? ça ne se peut pas !

Air : Je n’ai pas vu ces bosquets.

Avec ardeur, contre le sort luttez
Et, dignement, reprenez votre place ;
Vous le devez au nom que vous portez !
Autour de vous, voyez ce qui se passe :
Si ces banquiers, ces chefs de grand’s maisons
Se sont élevés, c’est qu’ils luttaient sans cesse !
Et, quand, plus tard, on les faisait barons,
Ils étaient tous plus nobles par leurs noms
Que par leurs titres de noblesse !

FABIEN.

Eh ! ma pauvre fille !... la confiance... le crédit...

DOROTHÉE.

Est-ce que ça vous manquera ?... est que ça vous manque déjà ?... et cette lettre que vous m’avez donnée hier, et que je lisais encore cette nuit.

Elle montre la lettre qu’elle a tirée de sa poche.

FABIEN.

Cette nuit !...

DOROTHÉE, vivement.

C’est-à-dire, hier au soir... Il y a de bonnes gens dans cette ville de Bordeaux, monsieur !

FABIEN.

Il y en a partout.

DOROTHÉE, remettant la lettre dans sa poche.

Mais cette maison Brizac, qui vous rend justice, qui reconnaît que, sans votre talent, votre probité, votre zèle, elle aurait tout perdu !... qui vous fait ses offres de service... Oh ! j’ai tout lu !... je l’aime, moi, je l’estime, parce qu’elle vous aime, parce qu’elle vous estime !... je l’embrasserais de bon cœur !

FABIEN.

La ville de Bordeaux ?

DOROTHÉE.

Non ! la maison Brizac et compagnie.

FABIEN.

Folle, va !... tous ne sont pas de si bonne composition !... et, par exemple, ce M. Montgibaut...

DOROTHÉE.

Le brochet de M. Olgar ?

FABIEN.

C’était un de nos commanditaires les plus terribles... Grâce à Dieu, ses deux cent cinquante mille francs l’attendent à la Banque... c’est notre dernier paiement.

DOROTHÉE.

Il faut qu’on vous les laisse.

FABIEN.

C’est peut-être la dot de sa fille.

DOROTHÉE.

Eh bien ! soit, vous prendrez la fille avec !

FABIEN.

Ah ! ah ! ah !

DOROTHÉE.

Juste une somme égale à celle que vous offre la maison Brizac. et puis une jolie fille... ça ne vous tente pas ?... Ah ! si j’étais un homme !

FABIEN.

Ah ! ah ! ah ! tu serais bien plus avancée !...

DOROTHÉE.

Tiens ! peut-être... qui sait !

FABIEN.

Tu ferais de belles choses avec tes rêves d’ambition !... Pauvre fille ! tu n’y entends rien !

DOROTHÉE.

Rien... vous avez raison... D’ailleurs, de quoi que je me mêle ?... est-ce que ça me regarde ?...

Essuyant des larmes.

N’est-ce pas votre bonheur ?

FABIEN.

Mon bonheur ? Eh bien ! si fait, ca te regarde, et plus que tu ne penses... et, si je veux vivre simple, obscur, c’est...

Elle le regarde, il change de ton.

Mais, adieu... on m’attend peut-être dans les bureaux... Je vais quitter ce costume... qui n’est pas bureaucratique du tout !

DOROTHÉE avec humeur.

Oui ! quitter votre habit râpé, pour prendre votre redingote râpée.

FABIEN, faisant le fier d’abord.

Mon habit râpé !

Riant.

c’est possible.

DOROTHÉE.

Vous n’en avez pas d’autre !

FABIEN.

C’est vrai !... la belle parure pour faire ma cour à M. Montgibaut... ce serait gentil... ambitieuse !...

Il va pour sortir, et s’arrête. À lui-même.

Bonne fille...

Haut, tendant la  main à Dorothée.

Allons... faisons la paix !...

Elle s’approche vivement, lui donne la main ; Fabien sort par la droite.

 

 

Scène IV

 

DOROTHÉE, puis MULLER

 

DOROTHÉE.

Ambitieuse !... eh ! bien, oui... je le serai... pour lui... un commis !... M. Fabien ? non ; il reprendra la maison de son père... il sera riche, il sera son maître !... je l’ai mis là... et quand Dorothée a quelque chose dans la tête ou dans le cœur... et puis, il se mariera... à quelque belle demoiselle... qui lui apportera de la fortune et qu’il rendra heureuse... parce qu’il est gentil, parce qu’il est bon... oh ! oui, bien heureuse !

MULLER, passant la tête entre les battants de la porte du fond.

Y êtes-vous, mamzelle Dorothée ? 

DOROTHÉE, sans l’entendre.

Eh ! mais, la fille de M. Montgibaut... pourquoi pas ?

MULLER de même.

Si vous n’y êtes pas, manzelle, dites-le.

DOROTHÉE.

M. Muller !... tiens ! qu’est-ce que vous faites là ?... vous avez l’air d’un chat pris dans une porte !

MULLER, un paquet sous le bras.

Alors, je puis entrer... j’entre.

DOROTHÉE.

Est-ce que vous apportez les habits que je vous ai commandés pour M. Fabien ?

MULLER.

Ah ! bien oui !... comme vous y allez... des habits commandés hier ?... vous me prenez donc pour une mécanique ?... non ; ça, c’est pour un voisin...

Il dépose les habits sur une chaise à gauche.

Ce que je vous apporte, c’est le prix de votre chaîne, en or.

DOROTHÉE.

Parlez bas !

MULLER, très bas.

Je l’ai vendue... voilà 300 francs, en petits jaunets, tout neufs.

DOROTHÉE.

Ah ! mon Dieu... mais c’est trop cher !... elle n’ valait pas ça.

MULLER

Si fait !... et la façon !...

DOROTHÉE.

Plus bas !

MULLER, très bas.

J’ai fait valoir la façon... c’est notre fort, à nous autres tailleurs, la façon !... et puis, je l’ai bien placée, allez... à un brave garçon... qui la porte sur son cœur, toujours !

DOROTHÉE.

Comment ! sur son cœur ?... ma chaîne ?

MULLER.

Dame ! il vous aime, ce garçon... un bel homme...

À part.

Elle ne devinera pas que c’est moi !...

DOROTHÉE.

Il m’aime ?...

MULLER.

Un très bel homme !... un de mes confrères.

DOROTHÉE.

Un tailleur ?

MULLER.

Ça coule de source... il pense à vous... souvent... toujours... un état où l’on passe sa vie, les jambes croisées, à tirer l’aiguille... ça n’occupe pas l’imagination... et, alors, on pense à ce qu’on aime !

DOROTHÉE.

Ah ! je comprends...

À part.

Pauvre Muller !

MULLER, à part.

Elle n’a pas deviné.

DOROTHÉE.

C’est peut-être le même qui s’est chargé de retirer mon argent de la caisse d’épargne ?

MULLER.

Oui... c’est-à-dire, non... celui-là, c’est moi, mamzelle ; ce qui n’empêche pas que je pense à vous, parce que, moi aussi, j’ai les jambes croisées, et...

Elle le regarde, il change de ton.

Et puis, ça m’a donné une idée... une autre... qu’est-ce que vous pouvez faire de  tout votre argent, ma petite ?... cette chaîne, ce livret... ces...

DOROTHÉE.

Tiens ! vous êtes bien curieux, mon petit !

MULLER.

C’est vrai ! de quoi que je me mêle !... je vous fais là des questions... stupides !... je vous ennuie... je vous... voulez-vous que je me jette à la porte ?...

Il reprend son paquet.

Dites un mot, je me prends au collet et je me flanque  dehors... avec ça que M. Olgar doit m’attendre.

DOROTHÉE.

M. Olgar... ah ! oui, il attend ses habits... qu’il ne vous payera pas.

MULLER.

C’est possible... dame ! si on ne fournissait que ceux qui payent, nous aurions souvent les bras croisés, comme les jambes.

Air : Un homme pour faire un tableau.

Quand j’vois ces modernes marquis,
Ces lions, à la démarche altière,
Je m’dis : comme, avec nos habits,
Ces faquins la font d’ la poussière !
Si chaq’ fournisseur leur ôtait
Ce qu’on lui doit... tous, à la ronde,
Auraient l’costume qu’on portail
Le jour d’la création du monde !

DOROTHÉE.

Comme ça, vous fournissez M. Olgar, gratis ?

MULLER, déployant son paquet.

Des habits chiqués, mamzelle... c’est pour aller à la pêche, à ce qu’il m’a dit... à la pêche au beau-père... je ne connais pas ce poisson-là.

DOROTHÉE, riant.

Ah ! ah ! ah ! comment, il vous a dit ?...

MULLER.

Oh ! il est si bavard !... il me dit tout... qu’il va se marier... que sa future est jolie... qu’il sera riche... qu’il aura beaucoup d’enfants... et moi aussi, mamzelle...

DOROTHÉE.

Oh ! le joli gilet !

Elle prend les habits qu’elle étale sur la chaise, à gauche.

MULLER.

Charmant !...

Continuant.

Moi aussi, je serais si heureux de trouver une petite femme qui...

DOROTHÉE.

Un habit bleu...

MULLER.

Barbeau...

Continuant.

Une femme qui partageât mon existence d’homme... Dieu ! comme je l’aimerais !

DOROTHÉE, à part, près des habits.

Si j’osais... pourquoi pas ?

MULLER.

Comme je verserais du miel dans sa vie !... vous ne manqueriez de rien, mamzelle, je vous aime tant !... je vous soignerais...

DOROTHÉE.

Plaît-il ?... une déclaration !

MULLER.

Eh bien ! oui, tant pis... je me déclare !... je vous...

DOROTHÉE, regardant toujours les habits.

C’est presque la taille de M. Fabien.

MULLER.

Le gilet, oui... mais l’habit...

DOROTHÉE.

L’habit serait trop étroit ?

MULLER.

Oui... c’est-à-dire, peut-être... il est un peu large... ce n’est pas moi qui l’ai coupé... oh ! moi, j’ai les ciseaux dans l’œil... ça ne paraît pas, mais je les ai.

DOROTHÉE.

Vous avez tant de goût !

FABIEN.

Du goût... oh ! oui, j’en ai, oh ! fichtre ! oui !... la preuve, mamzelle, c’est que la première fois que je vous ai vue... je m’ai dit : voilà une femme... voilà celle qui me va !... aussi, le grand mot est lâché !... je vous aime... je veux vous épouser... mon cœur, ma main, mon état, je mets tout à vos pieds, tout ! m’y voilà !

DOROTHÉE, toujours occupée des habits.

Avec vos habits ?

MULLER

Avec mes habits... tiens ! sans mes habits... ce serait drôle !

FABIEN, en dehors, appelant.

Dorothée !

MULLER.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

DOROTHÉE.

Chut ! mon maître, M. Fabien...

À part.

oh ! si je pouvais !... j’y suis !

MULLER, toujours à genoux.

Il ne peut pas trouver mauvais que...

DOROTHÉE.

Mais, si fait ; au contraire... il s’est aperçu de vos idées... comme moi.

MULLER.

Ah ! bah ! vous saviez...

DOROTHÉE.

Il m’a défendu de vous recevoir, je perdrais ma place... et il vous jetterait par la fenêtre !

MULLER, se levant vivement.

Alors je repasserai, adieu !

DOROTHÉE.

Il n’est plus temps ! restez, et dites comme moi !

 

 

Scène V

 

MULLER, OROTHÉE, FABIEN

 

FABIEN, entrant par la droite.

Dorothée ! tu ne m’entends donc pas ?...

Apercevant Muller.

 ah ! qu’est-ce que c’est que ça ?

DOROTHÉE, feignant l’embarras.

Ça, monsieur, c’est... c’est...

MULLER, à part.

Comme il me reluque !

FABIEN.

Hein ?

DOROTHÉE..

C’est votre tailleur.

MULLER, à part.

Son tailleur ? c’est très adroit... j’en ai l’air.

FABIEN.

Mon tailleur !... ah ! oui, le garçon... je reconnais.

DOROTHÉE, à part.

Ah ! ma foi ! tant pis !

Haut.

Il vous apporte les habits que vous avez commandés.

MULLER, entraîné.

Oui, il vous apporte les habits que...

Bas.

Mais non ! mais non !

DOROTHÉE, bas, à Muller.

Chut ! donc... dites comme moi !

MULLER.

Vraiment !... j’ai donc commandé !...

MULLER.

C’est-à-dire... c’est mamzelle Dorothée qui a commandé, pour vous...

FABIEN.

Toi ?

DOROTHÉE.

Dame !...

MULLER.

Et, la semaine prochaine, bien sûr...

DOROTHÉE, bas, à Muller.

Eh bien ! eh bien !

MULLER, bas, à Dorothée.

Mais écoutez donc, s’il les prenait...

FABIEN.

Hein ? vous dites ?...

DOROTHÉE.

Rien.

MULLER.

Rien.

FABIEN.

Merci de tes habits, mon garçon... je n’en avais pas besoin...

Il passe à gauche.

MULLER, à part.

Ah ! je respire !

FABIEN.

Mais je les prends !

MULLER.

Plaît-il ?

DOROTHÉE.

Monsieur les prend...

Bas.

Taisez-vous donc !

MULLER, bas.

Mais M. Olgar, qui attend !

DOROTHÉE.

Il attendra !... la semaine prochaine...

MULLER.

Mais...

DOROTHÉE.

Mon petit Muller !... je vous aimerai bien.

MULLER.

Vrai !

FABIEN, qui examine les habits.

Voilà un charmant gilet... Qui est-ce qui l’a choisi ?

MULLER.

C’est M. Ol...

DOROTHÉE.

C’est moi...

À Muller.

Vous savez bien que monsieur était occupé... c’est moi... et cet habit ! comme c’est fait !... il n’y a que M. Muller pour couper un habit comme ça... Il est si gentil, si aimable. M. Muller !

Elle lui tape sur la joue.

MULLER enchanté.

Mamzelle !

À part.

Elle m’emberlificote !

DOROTHÉE.

Ça vous habillera comme une peinture ! Essayez-les.

FABIEN.

Je vais être superbe !

MULLER.

C’est peut-être un peu étroit des entournures... en retouchant...

Bas à Dorothée.

comme ça, je les remporterai.

DOROTHÉE, à part.

Par exemple !

FABIEN, se dirigeant vers la chambre de droite.

Allons, venez.

Muller court à ses habits, les remet en paquet et les prend sous son bras.

 

 

Scène VI

 

MULLER, DOROTHÉE, MORICAUD, FABIEN

 

MONICAUD, entrant par le fond.

Holà ! oh !... c’est moi... Excusez, monsieur Fabien...

FABIEN.

Tiens ! c’est Moricaud !

DOROTHÉE.

L’ancien valet de chambre de votre père.

MORICAUD.

Plus valet de chambre, petite mère... vous n’aimez pas cet état-là... Holà ! oh ! cocher de remise... et, pour le quart-d’heure, je trimballe M. Olgar Berniquet... un grand qui a l’air bête, et le reste idem... J’étais là, à votre porte, avec mes chevaux, le nez en l’air... Ho là ! oh ! que je me suis dit, montons donc faire la politesse d’un bonjour à cette fringante petite mère, mamzelle Dorothée... Excusez, monsieur Fabien.

MULLER, à part.

J’ai envie de filer avec mon paquet.

Il va pour sortir.

DOROTHÉE.

Comme ça se trouve ! voilà justement M. Muller qui n’a pas le temps d’essayer à M. Fabien les habits qu’il lui apportait... vous redeviendrez bien valet de chambre ?

Elle lui jette le paquet de Muller.

MORICAUD.

À votre service.

Bas à Dorothée.

Je reviens vous dire deux mots !...

DOROTHÉE, bas.

Tout à l’heure.

MULLER.

Et mon paquet !...

DOROTHÉE, bas.

Taisez vous donc !

FABIEN.

Eh ! bien, elle me donne un valet de chambre, à présent !... merci !... mais, tes chevaux !...

MONICAUD.

Soyez paisible... votre concierge, le père Clopin a l’honneur de les garder... et puis ils sont calmes... on les nourrit pour ça !

DOROTHÉE.

Allez ! allez !

MULLER.

Mais !...

Elle lui impose silence.

FABIEN.

Va pour le valet de chambre !

Il sort à droite, Moricaud le suit.

 

 

Scène VII

 

MULLER, DOROTHÉE

 

MULLER, allant pour les suivre.

Mon paquet !...

DOROTHÉE, le retenant.

Mais taisez-vous donc !... vous êtes insupportable !

MULLER, fâché.

Insupp... moi, mamzelle... ah !...

DOROTHÉE.

Eh bien ! non, mon petit Muller... vous êtes gentil, je vous aime bien !

MULLER.

Vous m’aimez... ah ! sapristi ! ah ! mein gott ! oh ! que ça fait plaisir par où ça passe !... alors, si vous m’aimez, mamzelle, v’là mon cour, v’là ma main, v’là tout ! soyez ma femme... voulez-vous ?

DOROTHÉE, préoccupée.

Merci, M. Muller... mais, voyez-vous, je ne veux pas me marier... je veux rester fille !... faites comme moi.

MULLER.

Rester fille !... oh ! non, je ne pourrai jamais !... sapristi ! que ça doit être difficile, cette profession-là !... mais si vous saviez comme je serai aimable, complaisant... comme...

DOROTHÉE, vivement.

Je vais voir ça !... écoutez-moi : il va venir, tout à l’heure, un vieux monsieur et une jeune fille... ils demanderont M. Olgar, peut-être...

MULLER.

M. Olgar ?...

DOROTHÉE.

Mais c’est chez M. Fabien qu’ils viennent ; vous ne leur direz rien... vous les amènerez ici.

MULLER.

Permettez... le concierge...

DOROTHÉE.

Puisqu’il garde les chevaux du père Moricaud... descendez dans sa loge, mon petit M. Muller...

MULLER, indécis.

Mais mon paquet, mes habits...

DOROTHÉE.

Puisque M. Fabien les garde... il les payera.

MULLER, hésitant.

Mais...

DOROTHÉE, le câlinant.

Allez donc, mon petit Muller, si vous voulez que je vous aime !

MULLER, décidé.

Si je veux... Sapristi !... j’y vais, mamzelle, j’y vais !

DOROTHÉE, le croyant parti.

Ah ! enfin !

MULLER, reparaissant au fond.

Mais je ne mourrai pas fille, je vous en préviens !

Il sort.

DOROTHÉE.

Pauvre garçon !... il étouffe, et depuis longtemps ; pour moi, qui ne peux être à lui... je le plains !... ça fait tant de mal d’aimer seul... de se dire : celui que j’aime ne sera jamais à moi... jamais...

Essuyant une larme.

Eh ! bien, eh ! bien, qu’est-ce que je fais là ?... je vais m’attendrir !... de la gaieté !... forçons mon petit Fabien à être riche !... à être heureux !... et puis, après...

 

 

Scène VIII

 

DOROTHÉE, MORICAUD

 

MORICAUD, rentrant par la droite.

Holà ! oh !... v’là qui est fait !

DOROTHÉE.

Eh bien ! monsieur Moricaud, ces habits...

MORICAUD.

Eh bien ! petite mère, ça va comme une housse à mes chevaux !... ça le pince un peu des entournures...

DOROTHÉE.

Bah !

MORICAUD.

C’est ce que j’ai dit : bah !

Allant à la fenêtre, à droite.

Holà ! oh !

DOROTHÉE.

À qui en avez-vous donc ?

MORICAUD.

Je parle à mes chevaux, mamzelle.

DOROTHÉE, riant.

Mais ils ne bougent pas.

MORICAUD.

Excusez... c’est une habitude !... ça fait croire qu’ils sont fringants... ça flatte le bourgeois.

DOROTHÉE, regardant.

Dieu ! que vous avez là une jolie voiture !

MORICAUD.

Du Clochez, premier numéro !... un vernis à se mirer, à se faire la barbe, quoi !

Air : Je loge au 4e étage.

Et, si vous désiriez, que sais-je ?...
Faire un prom’nade dans Paris,
Vous, sur les coussins, moi, sur l’siége...

DOROTHÉE.

Comm’çà l’on n’est pas compromis.

MORICAUD.

J’offre, avec le cocher... gratis...
Chevaux, voitur’ tout’ la séquelle...
Pour moi n’y a pas de plaisir plus doux
Que d’vous mener bon train, mam’zelle.

Tendrement. 

Si c’est d’être mené par vous !

DOROTHÉE.

Vous êtes bien galant, monsieur Moricaud !

MORICAUD.

Je suis amoureux, mamzelle.

DOROTHÉE, riant.

Miséricorde !... ah ! ah ! ah !... et de qui ?

MORICAUD.

De vous !

DOROTHÉE.

De moi !... ah ! ah ! ah !... bien !...

À part.

et de deux !

MORICAUD.

Vous êtes rieuse !... allez... nous rirons !... oui, de vous !... et ce n’est pas d’aujourd’hui. Ça date du temps où la mère de M. Fabien vous gâtait, ni plus ni moins que si vous étiez sa fille... un beau brin de fille tout de même ! vous étiez plus souvent au salon qu’à l’office... de beaux messieurs vous reluquaient... et moi, je n’osais pas approcher... j’étouffais, de loin... mais aujourd’hui, aujourd’hui que nous v’là de plain-pied... il m’est revenu des idées... vous riez ! allez toujours !... nous rirons !... en deux trots, voici la chose : vous êtes fille, je suis veuf... je n’ai pas de vices ; comme mes chevaux, je ne m’emporte jamais... j’ai le feu dans le cœur, comme eux aux quatre jambes... je veux de vous, voulez-vous de moi ?... holà ! oh ! nous ferons un fameux attelage !

DOROTHÉE, riant toujours.

Ah ! ah ! ah !... comme vous y allez, monsieur Moricaud !... avec vous, on n’a pas le temps de respirer !

MORICAUD.

Je mène le sentiment au galop... c’est de mon état !... vous voulez du temps pour réfléchir ?... prenez l’heure !...

DOROTHÉE.

Oh ! mon Dieu ! j’entends... c’est bien ! monsieur Moricaud, je vous répondrai plus tard.

MORICAUD.

À quand la promenade ?

 

 

Scène IX

 

DOROTHÉE, MULLER, MONSIEUR MONTGIBAUT, CAROLINE, MORICAUD, au fond

 

MULLER, entrant le premier, par le fond.

Par ici, monsieur, mademoiselle...

Bas à Dorothée.

Le v’là... il se croit chez l’Olgar !

MONTGIBAUT, entrant avec Caroline qui lui donne le bras.

Bien, mon garçon, bien !... c’est d’une attention !... ne pas vous laisser le temps de demander...

Apercevant Dorothée qui s’est approchée.

Ah ! voilà du sexe !... excusez, mademoiselle... ou madame...

DOROTHÉE.

Mademoiselle, s’il vous plaît... j’aime mieux ça.

MONTGIBAUT.

Et moi aussi... eh ! eh ! eh !... elle est gentille tout plein ! je voudrais parler à monsieur...

DOROTHÉE, l’interrompant.

À mon maître ?... je vais avoir l’honneur de vous annoncer... Donnez-vous donc la peine de vous asseoir... Muller, aidez-donc monsieur à ôter son pardessus.

MULLER.

Voilà !...

Il ôte le paletot, le chapeau, la canne, qu’il dépose à gauche.

MONTGIBAUT.

Merci, mon garçon, merci... comment ! il me déshabille ?

DOROTHÉE.

Et, si mademoiselle veut permettre...

CAROLINE.

Oh ! non ; ce n’est pas la peine.

MORICAUD, à demi-voir, à Dorothée.

Adieu, petite mère... pensez...

DOROTHÉE, très haut et avec affectation.

Allez, mon garçon, allez à vos chevaux... et tenez la voiture prête, on en aura besoin dans la journée.

MORICAUD, sortant.

Holà ! oh ! compris !

DOROTHÉE.

Allez, Muller... mais j’ai à vous parler, ne tardez pas !

MULLER.

Je reviens bien vite, mademoiselle Dorothée.

Il sort.

MONTGIBAUT.

Dorothée !... elle s’appelle Dorothée, cette petite grassouillette-là !...

DOROTHÉE.

Excusez, monsieur, c’est le valet de chambre, qui sort pour le service et...

MONTGIBAUT.

Le valet de chambre ?... ce petit ?... ah ! ton maître a un valet de chambre, ma mie ?...

DOROTHÉE.

Ah ! bien ! voilà le cocher qui a oublié ses gants !

MONTGIBAUT.

Comment, Dorothée, ton maître a un cocher ?... ce gros, qui sort... poudré à blanc !... boucle à l’œil !... diable ! diable ! diable !... c’est du chenu !... et toi, Dorothée... excuse, ma mie, si je t’appelle Dorothée... j’adore ce nom !... et tu me vas, vrai, tu me vas !

DOROTHÉE.

Vous êtes bien bon !

À part.

Tiens ! lui aussi, il nous va !

MONTGIBAUT.

Et à quel titre es-tu ici, toi ?

DOROTHÉE.

Comme femme de charge... pour tenir la maison de mon maître, en attendant qu’il se marie... Dieu ! sera-t-elle heureuse, sa femme ! quel amour de mari elle aura, et que le beau-père sera un homme bien avisé... Mais, excusez, monsieur, mademoiselle, je vais annoncer, à mon maître, monsieur et mademoiselle de Montgibaut.

MONTGIBAUT, la retenant.

Halte-là, ma mie !... qui est-ce qui t’a dit mon nom ?

DOROTHÉE.

Est-ce que ça ne se voit pas ?

Air : de Voltaire chez Ninon.

À voir cette tournur’ d’élite,
Ces beaux yeux, cette air comme il faut
Est-c’ qu’on ne r’connaît pas tout d’suite
Monsieur Camus de Montgibaut !...

MONTGIBAUT.

C’est ça ! Camus de Montgibaut !

DOROTHÉE.

Oui, vraiment !... j’en étais bien sûre ;
À ce nez la, je m’suis dit : bon !
Ce gentilhomm’ porte son nom
Écrit au milieu d’ sa figure !

Elle sort par la droite.

 

 

Scène X

 

MONGIBAUT, CAROLINE, ensuite OLGAR

 

MONTGIBAUT, à lui-même.

Ah ! bien ! ah ! bon... elle me va Dorothée ! J’aime beaucoup la femme potelée... j’ai cette faiblesse turque.

CAROLINE.

Mais, papa...

MONTGIBAUT.

Bonne maison, ma fille !... la tante de ce petit Olgar m’avait bien dit que c’était un homme cossu... j’aime ça, j’avoue encore cette faiblesse... j’adore ce qui brille !

CAROLINE.

Pourvu qu’il ne soit pas trop laid !

MONTGIBAUT.

Laid ! lui ? laid !... allons donc un gaillard qui a valet de chambre, cocher, femme de charge, est toujours beau !... et, pourvu qu’il se contente pour ta dot des deux cent mille francs que je vais retirer de la liquidation de M. Fabien Darcy... En voilà un qui ne sera jamais beau... il n’a pas le sou !

CAROLINE.

Pauvre jeune homme !...

OLGAR, en robe de chambre, entrant par le fond.

Ah ! gredin ! ah ! gueux ! ah ! scélérat de tailleur ! Dorothée ! Dorothée !

Il vient à Montgibaut.

L’infâme !...

MONTGIBAUT.

Ne touchez pas !

OLGAR.

Tiens ! c’est un bonhomme !

MONTGIBAUT

Comment ! un bonhomme !

OLGAR, se retournant vers Caroline.

Excusez, vieux... c’est Dorothée qui... tiens ! c’est une petite !

MONTGIBAUT.

Oh ! malhonnête !

CAROLINE.

Le vilain homme !

OLGAR.

Pardon, excusez, mes chers... je venais chez mon voisin... vous n’avez pas vu mon tailleur, mon gredin de tailleur ?... je suis furieux !

MONTGIBAUT.

Il est enrage !

OLGAR.

Il y a deux heures que je l’attends, monsieur ! deux heures ! ah ! gueux !...

Mouvement de Caroline.

Ah ! pardon ! belle dame !

Très bas.

Ah ! gueux !

Haut.

m’exposer à paraître ainsi devant un personne charmante !

MONTGIBAUT, riant.

Le fait est que vous n’êtes pas séduisant.

OLGAR.

Plaît-il, bonhomme ?

CAROLINE.

Oh ! non !

OLGAR.

Vous dites ?

 

 

Scène XI

 

MONTGIBAUT, OLGAR, DOROTHÉE, CAROLINE

 

DOROTHÉE, entrant par la droite.

Voilà, monsieur... dans un moment... et...

OLGAR.

Ah ! Dorothée...

DOROTHÉE.

Monsieur Olgar !...

MONTGIBAUT et CAROLINE.

Olgar ?

DOROTHÉE, à part.

Aïe ! maladroite !

OLGAR.

Hein ! plaît-il ?

MONTGIBAUT.

Tiens ! monsieur répond au nom d’Olgar ?

OLGAR.

Je réponds...

À part.

Est-ce qu’il me prend pour un caniche ?...

Haut.

Oui, monsieur, Olgar est mon petit nom... auque on ajoute ordinairement celui de Berniquet.

CAROLINE.

C’est lui !

DOROTHÉE, à part.

Patatras !

MONTGIBAUT.

Je m’en doutais... et vous ?...

OLGAR.

Comment ?

MONTGIBAUT.

Je dis : et vous ?... ne vous doutez-vous pas ?...

OLGAR, riant.

De quoi ?... il est drôle !...

MONTGIBAUT, s’écriant.

Ah ! ça, mais... ah ! ça, mais... où suis-je donc ici ?... chez qui m’a-t-on amené !...  chez qui ? chez qui ? saperlotte !

DOROTHÉE.

Chez M. Fabien Darcy.

CAROLINE.

M. Fabien !

MONGIBAUT.

Je suis chez le petit Darey !... mais j’ai dit à cet animal que je venais chez M. Olgar.

OLGAR.

Chez moi !

DOROTHÉE.

Il a entendu Fabien !

OLGAR.

Quoi, monsieur ?

MONTGIBAUT.

Montgibaut... je suis Montgibaut !

OLGAR.

Ah ! grand Dieu !... vous ! et votre charmante fille...

MONTGIBAUT, la lui présentant.

Et ma charmante fille... Caroline.

OLGAR.

Mademoiselle... oh ! que je suis désolé !... excusez si je parais devant vous sans être vêtu !

MONTGIBAUT.

Il n’y a pas de mal... vous n’êtes pas beau en robe de chambre... mais il y en a de plus laids...

À sa fille.

Hein ?

CAROLINE, à part.

Je ne crois pas.

OLGAR.

Vous êtes bien bon !... merci !

DOROTHÉE.

C’est une justice à rendre à monsieur... il est moins bien en frac que comme ça.

MONTGIBAUT.

Pas possible !

OLGAR, minaudant.

Non, non...

DOROTHÉE.

Si fait... en frac... vous êtes plus pataud, en frac...

CAROLINE.

Ah ! mon Dieu !

OLGAR.

Mais non...

À part.

Qu’est-ce qu’elle a donc à détériorer mon physique !...

MONGIBAUT.

Je montais vous dire, en passant, que j’accepte votre invitation... ah ! ça, mais, vous connaissez donc le petit Darcy ?

OLGAR.

Beaucoup, beaucoup.

DOROTHÉE.

C’est son banquier.

OLGAR.

Ah ? oui... tiens !

Bas à Dorothée.

merci !...

À part.

Amorçons...

Haut.

c’est mon banquier.

MONTGIBAUT.

Ah ! bah !

DOROTHÉE, à part.

Il n’a pas le sou !

OLGAR.

J’ai tous mes fonds chez lui... il fait mes affaires.

MONTGIBAUT.

Ah ! bah !

DOROTHÉE à part.

Bon ! sans le savoir, il fait les nôtres.

MONTGIBAUT.

Tiens ! tiens !... je pensais qu’il avait dit aux affaires : allez vous faire... la plaire !... et vous avez, en lui, une confiance ?...

OLGAR.

Sans la plus petite borne !... c’est un homme d’une probité, d’une capacité, d’une... le banquier le plus estimé de Paris.

CAROLINE.

Ah ! tant mieux !

DOROTHÉE, à part.

La petite a dit : tant mieux !

OLGAR.

Je lui ai confié une somme énorme !

MONGIBAUT.

Ah ! bah !

DOROTHÉE, à part.

Le papa a bien l’air d’un brochet.

OLGAR.

C’est un homme étonnant l. il a triplé mes fonds !...

DOROTHÉE, à part.

Triple menteur, va !

MONTGIBAUT.

Voilà qui est singulier !... je croyais la maison à bas... je voulais retirer les miens... de fonds... saperlotte !

DOROTHÉE.

Et vous aviez tort !

À part.

Ils sont dans la caisse, ils n’en sortiront pas !

Haut.

Ah ! voilà M. Fabien.

 

 

Scène XII

 

DOROTHÉE, OLGAR, FABIEN, MONTGIBAUT, CAROLINE

 

FABIEN.

Pardon, monsieur, de vous avoir fait attendre !... mais, instruit de votre visite, j’ai voulu vous présenter vos comptes...

MONTGIBAUT.

Trop bon, jeune homme, trop bon, jeune homme, trop bon !... permettez-moi, jeune homme, de vous donner l’accolade !...

Il l’embrasse.

OLGAR, à part.

Tiens ! il ne m’a pas embrassé, moi...

Allant à lui.

Permettez...

MONTGIBAUT, le repoussant.

Je n’embrasse pas les robes de chambre !...

Présentant sa fille à Fabien.

Ma fille ! voilà ma fille Caroline, elle-même.

FABIEN.

J’ai déjà eu le plaisir de voir mademoiselle.

CAROLINE.

Oui... chez ma tante... vous vous le rappelez monsieur ?

DOROTHÉE.

Ah ! c’est mademoiselle, dont M. Fabien parle toujours !

CAROLINE.

M. Fabien !

MONTGIBAUT, se posant en face de Fabien.

Tiens ! tiens ! tiens !... c’est étonnant ; plus je vous regarde, plus je vous vois... comme votre père, à vingt-cinq ans... c’est fabuleux !... les mêmes traits... le nez un peu plus... la même tournure... la taille un peu moins... et puis, une excellente tenue ! j’aime ça... ce n’est pas une robe de chambre !... j’aime ça !

DOROTHÉE, à part.

Nos habits font leur effet.

OLGAR, tournant autour de lui.

Ah ! c’est incroyable !... Fabien, mon cher, tourne-toi un peu !

FABIEN,

Eh ! mais, as-tu bientôt fini de me parcourir ?

OLGAR.

C’est prodigieux !... la même nuance, les mêmes...

S’écriant.

Ah !

MONTGIBAUT.

Qu’est-ce qu’il a ?

OLGAR.

Le gilet aussi !...

DOROTHÉE.

M. Olgar, si vous alliez vous faire plus beau ?

MONTGIBAUT.

Il n’y aurait pas de mal.

OLGAR

Le gilet aussi !... figurez-vous que ces habits là ressemblent à ceux que j’attends... le gilet surtout !

DOROTHÉE.

Ah ! le gilet que Mademoiselle Nini vous a brodé.

OLGAR.

Nini... je ne connais pas !

À part.

Ah ! ça, est-ce que Nini travaillerait pour d’autres ?

FABIEN.

Si j’osais vous prier, monsieur, de passer là, je vous communiquerais votre compte.

MONTGIBAUT.

Oh ! je sais que mon argent est en bonnes mains, jeune homme ! communiquez-moi mon compte, puisque ça vous va... mais que ce ne soit pas trop long... je ne peux pas digérer vos colonnes de chiffres... j’aimerais mieux avaler celle de la place Vendôme... où j’ai une petite visite à rendre, avec ma fille, avant déjeuner.

OLGAR.

Permettez-moi d’aller me mettre en état de vous recevoir... à onze heures précises... j’ai donné ordre à mes gens pour cette heure là.

DOROTHÉE, à part.

Oh ! ses gens !

MONTGIBAUT.

C’est mon heure, et je ne retarde jamais, j’ai un estomac Bréguet... allez ôter votre robe de chambre...

Bas.

Franchement, vous ne me séduiriez pas comme ça, si j’étais demoiselle... ce qui n’est pas... ah ! ah ! ah !

OLGAR.

Ah ! ah ! ah !... nous rirons !... Je cours au café de Paris... un déjeuner à étouffer... d’admiration.

MONTGIBAUT, à Caroline.

Ne t’impatiente pas, mon enfant... je te laisse avec la petite Dorothée.

À part.

Eh ! eh ! j’aime beaucoup cette petite mère là.

DOROTHÉE.

Soyez tranquille, monsieur !

Bas à Fabien.

Elle est gentille !

FABIEN.

Oui... charmante !

MONTGIBAUT, à Fabien.

Allons, jeune homme !

Air : De la prudence, faisons silence. (Angélique et Médor.)

Sans plus attendre,
On va vous entendre ;
Puis chez mon gendre
Il faudra me rendre.
Point d’embarras !
En doublant le pas ;
Car pour un repas,
On ne m’attend pas.

DOROTHÉE.

Sans plus attendre,
Il va vous entendre ;

À part.

Quant à son gendre.
Il peut se méprendre ;
Et de ce pas,
Non, il n’ira pas
À ce beau repas ;
Je ne le veux pas !

OLGAR.

Sans plus attendre,
Allez vous entendre
Chez votre gendre
Revenez vous rendre ;
Moi, de ce pas,
Ne m’endormant pas,
Je vais du repas,
Choisir tous les plats.

FABIEN.

Sans plus attendre,
Allons nous entendre ;
Chez votre gendre
Vous pourrez-vous rendre ;
Car, les débats
Ne retiendront pas,
En ces lieux, vos pas,
Loin de ce repas.

CAROLINE.

Je vais attendre...
Et, puissè-je apprendre
Qu’avec son gendre
Il n’a pu s’entendre !
Ce fat, hélas !
Je le dis tout bas
Avec son fracas,
Ne me plaira pas !

Olgar sort par le fond, Mongibaut et Fabien par la droite.

 

 

Scène XIII

 

CAROLINE, DOROTHÉE

 

DOROTHÉE, à part, suivant Fabien des yeux.

Il la regarde... mais pas un mot... il est bien trop délicat pour lui faire un doigt de cour !

CAROLINE.

Mon Dieu ! qu’il a l’air ridicule !

DOROTHÉE, s’approchant.

M. Fabien ?

CAROLINE.

Oh non !

DOROTHÉE, à part.

Pardine ! je savais bien ! mais ça entame l’affaire.

Haut.

C’est peut-être de M. Olgar que mademoiselle veut parler ?... Au fait, il n’est pas... et puis, il a l’air un peu... mais c’est votre futur... vous l’aimez...

CAROLINE.

Pas du tout !... Je vous prie, mademoiselle, de ne pas dire des choses comme ça !

DOROTHÉE.

Puisque vous l’épousez...

CAROLINE.

Oh ! c’est une idée de mon père.

DOROTHÉE.

Il y tient ?

CAROLINE.

Beaucoup. La tante de M. Olgar fait toujours son éloge, et mon père croit tout ce que dit la tante de M. Olgar.

DOROTHÉE.

Le fait est que M. Olgar n’est pas mal... c’est ce que je disais ce matin... il est mieux que M. Fabien.

CAROLINE.

Vous trouvez ? oh ! non, non... M. Fabien est mieux... mais beaucoup mieux !

DOROTHÉE.

Vous trouvez ? C’est possible, vous vous y connaissez mieux que moi. C’est vrai que M. Fabien a les yeux spirituels...

CAROLINE.

Et un air si bon !

DOROTHÉE.

Et il est encore meilleur que son air, mamzelle ! tout le monde l’aime... tout le monde fait des vœux pour lui ! c’est qu’on l’a vu si dévoué près de son père ! Dans le temps de ses malheurs, il était près de lui, il calmait ses peines, il ranimait ses espérances ; heureux quand il l’avait vu sourire !... Aussi, en mourant, ce brave homme nous rassembla tous autour de lui, et, bénissant en notre présence ce fils bien-aimé : « Va, mon enfant, lui dit-il, tu ne m’as pas causé un chagrin et je suis fier de toi ! que le ciel te rende tout le bonheur que je t’ai dû ! »

S’essuyant les yeux avec un coin de son tablier.

Et il partit, en lui laissant, pour tout héritage, son honneur à défendre... et il l’a défendu... il n’y a pas aujourd’hui de nom plus vénéré que celui de son père !

CAROLINE.

M. Fabien ! comme il mérite d’être heureux à son tour !

DOROTHÉE.

C’est ce que je lui répète tous les jours... Oui, monsieur, que je lui disais encore ce matin, avec vos qualités, gentil garçon comme vous l’êtes, doux, aimable, complaisant, généreux...

À part.

Il faut lui faire bonne mesure !

Continuant.

Vous trouverez un riche parti quand vous voudrez... et quelle fille ne serait pas fière de vous épouser !... de faire votre bonheur en assurant le sien... il n’y aurait pas dans Paris une petite femme plus aimée, plus enviée que la vôtre !

CAROLINE, avec émotion.

Vous croyez ?

DOROTHÉE.

J’en mettrais ma main... qu’est-ce que je dis donc ?... j’en mettrais mes deux mains au feu !

CAROLINE.

Et que disait-il à cela ?

DOROTHÉE.

Lui, mamzelle ?... il me répondait qu’il n’épouserait jamais une fille, pour sa fortune... mais, pour elle-même, parce qu’il l’aimerait. Et il disait cela avec un gros soupir !

En confidence.

Je crois qu’il a le cœur ébréché.

CAROLINE.

En vérité ?

DOROTHÉE.

Depuis un voyage qu’il fit, il y a deux ans, à la Rochelle, chez un client de son père qui avait une fille charmante ! 

CAROLINE.

Ah !... il vous a dit ?...

DOROTHÉE.

Air : de l’Angélus.

Il m’a bien souvent répété,
L’cœur ému, les yeux pleins de larmes,
Que son esprit et sa bonté
Semblaient encor doubler ses charmes...
M’a-t-il fait l’élog’ de ses charmes !
Il souhaitait, au fond du cœur,
Qu’ell’ fût heureuse... la chose est claire...
Oui, mamzell’, quand, avec ardeur,
D’un jeun’ fille on souhait’ le bonheur,
C’est qu’on s’rait bien ais’ de le faire.

CAROLINE.

Et... cette jeune fille ?

DOROTHÉE.

Il eut occasion de la faire danser plusieurs fois... au même bal... à la ville...

CAROLINE vivement.

Non !... à la campagne !

DOROTHÉE.

Ah !...

Caroline baisse les yeux. À part.

Ça y est !

 

 

Scène XIV

 

CAROLINE, MONTGIBAUT, DOROTHÉE, ensuite FABIEN

 

MONTGIBAUT, à la cantonade, entrant par la droite.

C’est bien ! c’est admirable, les additions, les divisions... Mais ça donne des crampes à l’imagination !...

À Caroline.

Ah ! te voilà ! tu t’ennuyais ?...

CAROLINE.

Au contraire.

DOROTHÉE, à part.

Pauvre petite !

MONTGIBAUT.

Partons,, nous sommes en retard... On doit nous attendre, place Vendôme...

Tirant sa montre.

Dix heures ! bigre !... dis donc, Dorothée, est-ce que ton valet de chambre ne pourrait pas me faire venir un fiacre ?

DOROTHÉE.

Un fiacre ?...

À part, regardant par la fenêtre.

Il y est encore !...

Haut.

Un fiacre !... fi donc !

MONTGIBAUT.

Fi donc ! tant que tu voudras... je n’aime pas beaucoup ce genre de véhicule... Un Montgibaut en fiacre !... ah ! pouah ! mais fais m’en venir un !

DOROTHÉE.

Allons donc, Monsieur !... mon maître ne le souffrirait pas... sa voiture est à vos ordres.

MONTGIBAUT.

Hein ?... qu’est-ce que tu dis là ?... je ne puis pas accepter...

DOROTHÉE.

Que vous acceptiez ou non, la voiture est à la porte... et bon gré, malgré, vous y monterez.

MONTGIBAUT.

Ma foi ! je veux bien ; ma foi ! je veux bien... Elle a un air tout-à-fait engageant !. Partons, mon enfant, je te laisse chez ta tante et je reviens déjeuner chez M. Olgar.

Il va prendre son paletot et son chapeau à gauche.

DOROTHÉE, à part.

Oh ! chez M. Olgar...

MONTGIBAUT.

Après ça, je verrai le petit Fabien qui me rendra mes fonds aujourd’hui même !...

Caroline aide son père.

DOROTHÉE.

Ah ! mon Dieu !

MONTGIBAUT, se retournant.

Tu dis ?...

DOROTHÉE, qui a tiré une lettre de sa poche et l’a jetée au milieu du théâtre ; la ramassant et la présentant à Montgibaut.

Je dis... je dis... Voilà une lettre que vous venez de laisser tomber.

MONTGIBAUT.

Moi ?... 

DOROTHÉE.

Prenez donc !...

Montgibaut la prend.

Maintenant, je vais faire avancer la voiture... Descendez vite !

Elle sort par le fond.

MONTGIBAUT, mettant la lettre dans sa poche.

Nous voici ! allons...

À Caroline, lui donnant le bras.

Eh ! mais, quel air mélancolique !

CAROLINE.

Non, mon papa...

Apercevant Fabien qui entre par la droite.

Ah !

MONTGIBAUT.

Quoi ? ah !... Quoi ? ah !

Apercevant Fabien.

Ah !...

FABIEN.

Vous sortez ?

MONTGIBAUT, en sortant.

À bientôt... Je déjeune dans la maison... mais j’accepte votre politesse, pour aller plus vite... j’accepte.

Il emmène sa fille qui se retourne, en sortant par le fond, pour regarder Fabien.

FABIEN.

Il accepte... quoi ?... quelle politesse ?... Il a l’air d’un brave homme !

 

 

Scène XV

 

FABIEN, DOROTHÉE

 

DOROTHÉE, à la porte du fond et à la cantonade.

Eh ! vite, faites bien tout ce qui est convenu !...

À elle-même, allant à la croisée de droite.

L’idée est bonne !... et Muller qui s’est justement trouvé là... notre valet de chambre... ah ! ah ! ah !...

FABIEN.

Quelle gaieté !...

DOROTHÉE.

Ah ! ah ! ah !... fouette cocher !

FABIEN.

À qui, diable ! en as-tu ?...

DOROTHÉE, se retournant.

Ah ! monsieur Fabien !... au petit Muller, qui leur a, bravement, ouvert la portière de votre équipage !

FABIEN.

Quel équipage ?...

DOROTHÉE, se reprenant.

C’est-à-dire, du fiacre... Ce M. de Mongibaut s’en va enchanté de vous !

FABIEN.

Oh ! enchanté... c’est tout simple... je lui ai donné de l’argent et même ça me fait penser... qu’est-ce donc que cet or que j’ai trouvé sur ma cheminée, tout à l’heure ?

DOROTHÉE, peu troublée.

De l’or !... ah ! vous avez trouvé ?... c’est juste... mon Dieu ! rien de plus simple... c’est cette créance... véreuse... comme vous dites... vous savez, cette dernière créance...

FABIEN.

Une créance ?...

DOROTHÉE.

Oui, oui... je vous remettrai la note une autre fois... pourvu que les jaunets soient arrivés à propos.

FABIEN.

Ça m’est tombé du ciel ..!. M. de Montgibaut me demandait de l’argent... un léger à-compte... pour sa dépense... J’étais fort embarrassé... et j’allais lui dire, franchement, que je n’avais pas le sou, à moi...

DOROTHÉE.

Vous auriez fait là de la belle besogne !

FABIEN.

Quand il a vu ces quinze louis sur la cheminée... « Eh ! voilà tout ce qu’il me faut ! » s’est-il écrié... et je les lui ai donnés... sans trop savoir par où ils m’étaient venus.

DOROTHÉE.

Oh ! quel bonheur !... C’est donc ça que ce brave homme parlait à sa fille de votre air cossu et distingué... Dites donc, si vous étiez en train de faire, sans y songer, ce que M. Olgar fait, en y songeant... si vous pêchiez un beau-père ?

FABIEN, mécontent.

Moi... Dorothée !

DOROTHÉE, l’imitant.

Vous, Dorothée !... oh ! avec votre air digne !... dame ! écoutez donc, la petite en vaut la peine... elle est gentille... et, à votre place...

FABIEN.

Y penses-tu ? une jeune fille qui me connaît à peine !...

DOROTHÉE.

Une jeune fille... qui vous aime !

FABIEN.

Moi ! allons donc !

DOROTHÉE.

Allons donc ! tant que vous voudrez... mais, tenez, tout à l’heure, elle était là, près de moi... elle parlait de vous, de votre voyage... et d’un certain bal...

FABIEN.

Comment ! elle se rappelait ?...

DOROTHÉE.

Air : de l’Angélus.

Vraiment, elle n’oubliait rien...
Ces jeun’s fill’s ont tant de mémoire !...
Ell’ disait : « Bon monsieur Fabien,
« Son courage est si méritoire,
« À son bonheur je voudrais croire ! »
Et puis, un’ voix... une candeur...
Moi, tout bas, j’pensais, qu’d’ordinaire,
Quand un’ jeun’ fille, au fond du cœur,
D’un beau jeune homm’ souhait’ le bonheur,
C’est qu’ell’ s’rait bien ais’ de le faire.

FABIEN.

Ô ciel ! tu crois...

DOROTHÉE.

Je crois qu’elle vous aime... que diable ! je m’y connais !

FABIEN, la regardant.

Vraiment ?

DOROTHÉE, baissant les yeux.

Dame !

FABIEN.

Tu aimes quelqu’un, Dorothée ?

DOROTHÉE, timidement.

Non, monsieur... je veux dire... que... Écoutez donc, il y a des choses que l’on connait... sans les connaître... on les devine

MULLER, entrant par le fond et bas.

Mamzelle Dorothée !...

DOROTHÉE, allant à lui.

Muller !

MULLER.

Le tour est fait !

Sur un signe de Dorothée, il disparaît à gauche.

FABIEN.

Et ! mais, dis-moi donc un peu... il rôde bien souvent par ici, ce petit tailleur.

DOROTHÉE, revenant à la place qu’elle occupait.

Plaignez-vous-en donc !... il vous apporte de beaux habits.

FABIEN, l’observant.

Est-ce bien pour cela qu’il revient toujours ?

DOROTHÉE.

Tiens ! pourquoi donc ?

FABIEN.

Bien vrai ?... tu n’aimes personne ?

DOROTHÉE.

Bien vrai.

FABIEN.

Tant mieux !

DOROTHÉE.

Parce que ?

FABIEN.

Parce que... tu sauras plus tard.

DOROTHÉE, étonnée.

Est-ce que ?...

FABIEN.

Je veux te marier.

DOROTHÉE.

Il se pourrait... Alors, donnez-moi l’exemple... Parlez à mademoiselle Caroline... à son père...

Entendant Montgibaut.

Le voici !

 

 

Scène XVI

 

FABIEN, MONTGIBAUT, DOROTHÉE, MULLER

 

MONTGIBAUT, un cordon de sonnette, à palle de chevreuil, à la main.

C’est incroyable ! c’est inimaginable ! c’est insupportable !

FABIEN.

Monsieur Montgibaut...

MONTGIBAUT.

Ah ! jeune homme, figurez-vous...

Changeant de ton.

Mais d’abord, je vous fais mon compliment... elle est bien !... elle est parfaite... un col de cygne, irréprochable... très facile à mener... et d’une douceur...

FABIEN, à part.

Qui ça... Dorothée !

MONTGIBAUT.

C’est moelleux... c’est douillet !... C’est excellent !... vous avez là une voiture...

DOROTHÉE, à part.

Aïe !

FABIEN.

Quelle voiture ?

MONTGIBAUT, à Dorothée.

Elle m’a ramené... brrr !...

À Fabien s’animant.

Mais figurez-vous, jeune homme... voilà un quart d’heure que je sonne à la porte de ce fanferluchon d’Olgar... j’ai tiré, j’ai tiré, j’ai tiré !... je me suis suspendu au cordon de la sonnette... et voilà le résultat...

Il montre le cordon de sonnette.

sa main m’est restée dans la pa... c’est-à-dire... sa patte m’est restée dans la mienne !...

FABIEN.

Il n’a rien entendu ?

DOROTHÉE.

Il est sourd !

MONTGIBAUT.

Comme un pot !

MULLER, qui est entré un peu après Montgibaut, bas à Dorothée.

Je crois bien !... j’ai décroché la sonnette.

DOROTHÉE, bas.

Chut !... et le café de Paris ?...

MULLER, de même.

C’est fait !

MONTGIBAUT.

Cette manière de donner à déjeuner me paraît aussi neuve que peu régalante... surtout pour quelqu’un qui crève de faim... je vous demande bien pardon... mais c’est le mot... je crève !

DOROTHÉE.

Comme ça se trouve !... mon maître qui allait déjeuner.

À Muller qui a regagné le fond.

Le couvert de M. Montgibaut !...

Muller sort à gauche, après un signe de Dorothée.

FABIEN, à part.

Hein ?... elle est folle !

MONTGIBAUT.

Tiens ! tiens !... voilà une idée !... je te l’ai déjà dit, tu me plais, Dorothée... tu me plais.

FABIEN.

Mon Dieu ! monsieur, je suis honteux... je déjeune si légèrement !

MONTGIBAUT, à part.

Ah ! bigre... tant pis !... car j’ai une faim de loup !... je me risque...

FABIEN, bas à Dorothée un peu au fond.

Mais, y penses-tu ?... avec ma tasse de café et mon petit pain viennois...

DOROTHÉE, bas.

Oh ! quand il y a pour un il y a toujours... !

Muller, aidé d’un garçon, apporte par la gauche, une table couverte d’un déjeuner très recherché.

MONTGIBAUT, faisant face au public et aspirant.

Hein ?... quel est ce parfum ?...

Se retournant.

Ah !... ah !...

FABIEN, regardant la table qu’il n’a pas vu entrer, à part.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

DOROTHÉE.

Monsieur est servi !...

MONTGIBAUT.

Diable ! diable ! jeune homme !... c’est ce que vous appelez un déjeuner léger... excusez !

Aspirant.

ça vous truffe rien que par la respiration !... et du champagne glacé !... ah ! bigre l bigre !! bigre !!!

Il ôte son paletot.

FABIEN.

En vérité, je ne puis comprendre...

DOROTHÉE, derrière la table au milieu.

Hum ! hum !... à table, monsieur.

MONTGIBAUT.

C’est ça, à table !...

Lui pinçant le menton.

Tu me plais, toi !...

Jetant son paletot sur la tête de Muller.

À toi, groom !

MULLER, se révoltant.

Hein ! groom !

DOROTHÉE, d’un air câlin.

Ah !... mon petit Muller...

MULLER, s’approchant à l’avant-scène et regardant le paletot qu’il tient à la main.

Comme c’est fait !...

Montrant Montgibaut.

Après ça, habillez donc une guérite !...

MONTGIBAUT se prélassant à table.

C’est que tout ça vous a un air !... qui est-ce qui vous a confectionné ce déjeuner... léger ?

FABIEN, se mettant à table.

Oh ! je ne sais... je...

DOROTHÉE, passant à droite de Montgibaut, bas.

La cuisinière de Monsieur... un cordon bleu !

MONTGIBAUT.

Ah ! bah !...

À lui-même.

Bonne maison !... Cocher, cordon bleu...

Criant et tendant son verre.

Groom, du champagne !

MULLER

Moi !

DOROTHÉE, même jeu.

Ah ! mon petit Muller !...

Muller passe à la gauche de Montgibaut et verse.

FABIEN, à part.

Je n’y suis plus du tout... ma foi !...

Criant.

Du champagne, groom !

Muller, qui occupe le milieu de la table, côté du fond, verse.

MONTGIBAUT, chantant.

Lorsque le champagne
Fait, en s’échappant,
Pif ! paf !

Au moment où Olgar entre, Muller s’écarte à gauche.

 

 

Scène XVII

 

DOROTHÉE, MONTGIBAUT, MULLER, 2e plan, OLGAR, occupant le milieu de la table, FABIEN

 

OLGAR, entrant par le fond.

Ah ! çà mais... ah ! ça mais... ah ! ça mais !... avez-vous vu mon beau-père ?

MONTGIBAUT.

Olgar !

OLGAR, l’apercevant.

Tiens !

DOROTHÉE.

C’est trop tard !

OLGAR.

Tiens, tiens ! vous déjeunez ici ?...

MONTGIBAUT.

Dame ! puisqu’on ne peut entrer chez vous !... du champagne, groom !...

Muller verse à gauche.

OLGAR, près de la table, côté du fond.

Mais si, si fait !... mais j’ai commandé un déjeuner au café de Paris... un déjeuner exquis...

Baissant la tête près des plats.

Tiens, mais voilà mes plats !... c’est exactement...

Fabien le repousse.

FABIEN, riant.

Ah ! ah ! ah !...

À part.

J’y suis !

DOROTHÉE, riant.

Ah ! ah ! ah ! quelle ressemblance !

MONTGIBAUT, riant plus fort.

Oh ! oh ! oh ! c’est invraisemblable, ça, mon cher !... Du champagne, groom !

Muller passe à sa gauche.

OLGAR, repoussant Muller qui passe à la droite de Montgibaut.

Mais vous ne déjeunerez pas ici !... mais je ne veux pas !... mais je vous attends, beau père !

Il prend Montgibaut par le bras.

MONTGIBAUT.

Mais me laisserez-vous !...

FABIEN, se renversant à force de rire.

Ah ! ah ! ah !...

OLGAR, empêchant Montgibaut de déjeuner, et repoussant de nouveau Muller en tournant autour de Montgibaut.

Mais votre bouche est à moi !... mais votre estomac est à moi !

MONTGIBAUT.

Sapristi ! vous me faites boire de travers !

MULLER, repoussant Olgar.

Eh ! lâchez donc !

OLGAR, reconnaissant Muller.

Tiens, tiens, tiens ! mon tailleur !... ah ! gredin !...

Il veut s’élancer sur lui, Dorothée le prend par le bras et le fait pirouetter devant elle ; Muller se retire au fond.

DOROTHÉE.

Mais, monsieur, est-ce qu’on vient comme ça déranger les honnêtes gens qui déjeunent ?...

Elle va prendre la place au milieu de la table.

MONTGIBAUT.

C’est vrai, ça !... je me trouve bien ici, moi !... j’aime tout ce que je mange, tout ce que je bois, tout ce que je vois !...

Il regarde Dorothée.

ça m’enchante ! ça me chatouille ! ça me... la maison est bonne... touchez-la, monsieur Fabien... je ferai comme la maison Brizac, de Bordeaux... je ne retire plus mon argent.

DOROTHÉE, passant à la gauche de Fabien et à part.

Il a lu la lettre !...

MONTGIBAUT, mettant sa perruque de travers.

Du champagne, groom !

Muller s’approche et verse à boire.

DOROTHÉE, bas à Fabien.

Vous épouserez sa fille, Monsieur !

FABIEN, bas.

Non... j’aime quelqu’un...

DOROTHÉE.

Ah !... mon dieu !

OLGAR, regardant Montgibaut, et à part.

Oh ! je te repêcherai, toi !

Ensemble.

Air : Quel miracle, quel spectacle ! (Cagliostro.)

MONTGIBAUT, FABIER, MULLER.

Je veux  } boire
Il faut      }
À la gloire
De l’illustre maison ;
À plein verre,
Je  } l’espère,
Il    }
Vous me ferez   } raison
On lui fera          }
Allons, trinquons
Et buvons !

DOROTHÉE, à part.

Dois-je croire
Cette histoire ?
Quelque foll’ liaison ;
Ah ! j’espère
Si bien faire,
Qu’il entendra raison ;
Oui, oui, nous verrons...
Nous verrons.

Fabien et Mongibaut debout trinquent.

 

 

ACTE II

 

Un salon élégant. Portes latérales. Porte au fond. Un bureau à droite. 1er plan. Fauteuils.

 

 

Scène première

 

FABIEN, DOROTHÉE, puis MORICAUD, puis MONTGIBAUT, COMMIS

 

Au lever du rideau quatre commis sont en scène, Fabien entre par le fond.

FABIEN, tenant un grand portefeuille.

C’est bien, Messieurs... voilà de grandes affaires qui nous arrivent... il faut redoubler de zèle... ah ! Monsieur Auguste, voyez, à l’entrepôt, cette partie de café de Melchior et ce que l’on peut faire sur cette consignation... vous, Monsieur Desplaces, si l’on demandait du papier sur Hambourg... sur Vienne... sur Francfort... voici la note du portefeuille... est-elle exacte ?...

Il la parcourt.

DOROTHÉE, entrant et apportant sur un plateau un verre d’eau qu’elle pose sur le bureau, à part.

Allons donc ! Je lui ai remis du courage au cœur !... il s’est réveillé, le voilà parti !

FABIEN.

Quant à vous, Ernest, vous irez à la banque... on a doublé le crédit de ma maison.

DOROTHÉE, à part.

De sa maison... il l’a dit !

Montgibaut paraît au fond, Dorothée sort à gauche.

FABIEN, continuant sans voir Montgibaut.

Durand, vous ferez attendre notre agent de change... Je vais recevoir les administrateurs du nouveau chemin de fer...

MONTGIBAUT, frappant avec sa canne.

Bravo ! bravo ! bravo !

FABIEN.

Monsieur de Montgibaut !

MONTGIBAUT.

Ne vous dérangez pas... Je vous écoute, je vous admire donnant vos ordres comme Napoléon... les rois attendaient dans son antichambre ; chez vous, ce sont les agents de change... allez toujours, j’attends !

Il prend une chaise et s’assied au milieu du théâtre.

Comme un roi !

FABIEN, à Montgibaut.

Pardon !...

Aux commis.

Messieurs, j’ai des signatures à vous donner... approchez...

Il s’assied à son bureau, les commis s’approchent.

MONTGIBAUT.

C’est ça !... approchez, ministres !

MORICAUD, entrant par la gauche.

Monsieur, votre toilette...

FABIEN.

Je ne sortirai pas ce matin.

DOROTHÉE, entrant par la gauche.

Monsieur, votre déjeuner !

FABIEN.

Merci... Je n’ai pas le temps !

Il signe.

MONTGIBAUD, avec enthousiasme.

Il n’a pas le temps de déjeuner !

MORICAUD, à demi-voix, à Dorothée.

Vous voyez, petite mère, me voilà rentré au service de mon ancien maître... Je suis redevenu valet-de-chambre, pour vous plaire.

DOROTHÉE.

Chut !... dites-moi, le bouquet... l’avez-vous porté ?...

MORICAUD.

À Mademoiselle Caroline de Montgibaut... .. c’est fait !... au nom de M. Fabien... c’est drôle ! Je croyais que c’était M. Olgar qui l’avait commandé.

DOROTHÉE.

Ça ne vous regarde pas ; allez à vos affaires.

MORICAUD.

C’est juste !...

À part.

Elle a un air de seine qui me tient toujours bride en main.

Il sort à gauche.

FABIEN, après avoir remis plusieurs papiers aux commis.

Voilà qui est fini... allez, Messieurs...

Les commis sortent par le fond.

MONTGIBAUT.

Allez !... et dire qu’avec une douzaine de paraphes, il vient peut-être de remuer des millions !... saperlotte !... que c’est beau !

DOROTHÉE, penchée sur sa chaise.

N’est-ce pas que c’est beau ?...

MONTGIBAUT.

Ah ! c’est toi... toujours fraiche et jolie !... oui, c’est beau la banque !

Il se lève, Dorothée range la chaise.

FABIEN, redescendant.

Ne vous у fiez pas trop !... dorure Christofle, ça brille en dessus...

MONTGIBAUT.

Allons donc ! toujours l’argent... l’or...

Air : ce boudoir est mon parnasse.

L’or qu’on prête, qu’on manie,
Qu’on rend, qu’on garde... un banquier,
Dont la caisse est bien garnie,
Est semblable au pâtissier ;
Il s’attache à ce qu’il tâte...
Vous ne pouvez pas, je crois,
Mettre la main à la pâte
Sans qu’il vous en reste aux doigts.

DOROTHÉE.

Ah ! ah ! ah !... c’est ça !

MONTGIBAUT.

Et quand on a comme vous de l’activité, de la capacité, et...

DOROTHÉE.

De la probité...

MONTGIBAUT.

C’est la vérité...

Lui prenant le menton.

Petite futée !

FABIEN, qui a réuni des papiers et va pour sortir.

Pardon, Monsieur, les administrateurs de notre chemin de fer doivent m’attendre.

MONTGIBAUT.

Allez, mon associé... à propos... et moi qui oubliais, en parlant d’argent, que je suis à sec... plus rien... dans votre diable de Paris, ça va, ça va !... on croit avoir de l’or plein ses poches, brrr... du vif argent, qui vous file entre les doigts !... avec ca, tout ce qui est beau me tente.

DOROTHÉE.

Ça peut mener loin !

FABIEN.

Et combien ?...

MONTGIBAUT.

Une centaine de louis.

FABIEN.

Je vais vous envoyer cela !

DOROTHÉE, l’arrêtant, bas.

Et sa fille... vous oubliez...

FABIEN.

Ah ! pardon... comment se porte mademoiselle Caroline ?...

DOROTHÉE.

Votre charmante fille...

MONTGIBAUT.

Bien, bien !...

Fabien sort à gauche, Montgibaut l’accompagne.

DOROTHÉE, à part, en passant à droite.

Si je pouvais entortiller le papa !

 

 

Scène II

 

MONTGIBAUT, DOROTHÉE

 

MONTGIBAUT, à Fabien, à la cantonade.

Expédiez-moi promptement... elle m’attend dans la voiture.

DOROTHÉE.

Mademoiselle Caroline !... elle est en bas ?... mais, je cours...

MONTGIBAUT, la retenant.

Où donc ?

DOROTHÉE.

La chercher, Monsieur ; il ne faut pas qu’elle attende !... c’est ici...

MONTGIBAUT.

Ici ?... du tout, du tout... il est inutile qu’elle vienne.

DOROTHÉE.

Tiens ! et pourquoi ça, Monsieur ?

MONTGIBAUT.

Pourquoi ! pourquoi !... parce que, Dorothée... parce que...

DOROTHÉE,, à part.

Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’il se douterait ?...

MONTGIBAUT, à part.

Ça l’interloque !... elle a compris.

DOROTHÉE.

Est-ce que vous craignez que... la présence de M. Fabien... d’un beau jeune homme ?...

MONTGIBAUT.

Tu n’y es pas, Dorothée.

DOROTHÉE.

Est-ce que je ne suis pas là ?

MONTGIBAUT.

Tu y es... c’est justement pour ça.

DOROTHÉE.

Plaît-il ?

MONTGIBAUT.

Dame !...

DOROTHÉE.

Vous dites ?

MONTGIBAUT.

Je dis qu’il y a des situations... à cause des convenances... ce n’est pas que je veuille... ah ! Dieu ! tu es libre, Dorothée... eh ! eh ! eh !... tu es libre et gentille !

DOROTHÉE.

Monsieur !... J’ai peur de comprendre...

MONTGIBAUT.

Moi, vois-tu, ça m’est égal, j’ai du plaisir à te voir... Je dis même plus, à la place de Fabien... eh ! eh ! eh !...

DOROTHÉE.

Eh ! quoi ! monsieur, vous, un brave homme, vous avez pu juger aussi légèrement une honnête fille...

Elle se détourne avec émotion.

MONTGIBAUT.

Allons ! allons ! que diable ! c’est assez nature !... d’abord, parce que, dans le monde, on se trompe toujours moins en pensant le mal que le bien... et puis... écoute donc, ma fille... un jeune homme aimable qui... et une jeune fille charmante qui... et, tous deux, sous la même couverture d’ardoises... eh ! eh ! eh ! on peut croire...

DOROTHÉE.

Croire ! quoi, monsieur ?

MONTGIBAUT.

Mais quand je te dis qu’à sa place...

DOROTHÉE,

Fi ! c’est indigne à vous... ce que vous dites là !... ah !... je n’y avais jamais pensé... parce qu’une pauvre fille a de l’amitié, du dévouement pour le fils de sa bienfaitrice... parce qu’elle l’aime comme un frère...

MONTGIBAUT.

Oh ! un frère !...

DOROTHÉE.

Oui, un frère... c’est le mien... c’est ma mère qui l’a nourri de son lait... Madame Darcy m’éleva avec lui, près de lui... elle m’appelait sa fille... comme il m’appelait sa sœur... car, voyez-vous, je n’avais plus d’autre famille... ma mère était morte à leur service !

Elle essuie une larme.

MONTGIBAUT, ému.

Bien, bien, Dorothée !

DOROTHÉE.

Et, plus tard... quand il fut orphelin comme moi... quand il n’avait plus que moi... qu’est-ce qu’il fallait donc faire ?... le quitter, l’abandonner comme tous les autres !... pauvre garçon !... eh bien ! non, que je me dis ; il était mon frère dans ses jours de prospérité... je serai sa sœur quand le malheur lui arrive !... et je suis restée là pour le consoler, pour lui donner du courage... car, sans moi, il serait mort !

MONTGIBAUT, s’attendrissant comme elle.

Assez, Dorothée, assez !

DOROTHÉE.

Et il a vécu... pour lui, pour moi !... mes jours, mes épargnes, mon amitié, voilà ce que je lui offris !...

Air : des frères de lait.

Par mes conseils le comptoir de son père
S’est relevé ! ce qu’il est aujourd’hui
Il me le doit... et voilà le mystère
Qui m’a contrainte à rester près de lui,
J’étais sa sœur, son guide, son appui.
Et c’est pour prix d’un dévouement modeste,
De ce cœur pur, noblement éprouvé,
Qu’on me ravit mon honneur, qui me reste,
Ce bien... le seul que j’avais conservé !

MONTGIBAUT pleurant.

Assez, saperlotte ! assez !... vous êtes une bonne et honnête fille !... je te demande par don...

Ôtant son chapeau.

Permets-moi de vous embrasser !...

DOROTHÉE.

Dame ! monsieur... si ça vous fait plaisir.

Montgibaut l’embrasse.

MONTGIBAUT.

Oui, oui... j’ai eu tort... mais c’est que ce petit Fabien, avec son air sentimental...

DOROTHÉE.

Eh ! bien, s’il a une passion dans le cœur.

MONTGIBAUT.

Ah ! bah ! une folie de jeune homme ?...

DOROTHÉE.

Que vous êtes naïf !...

Se reprenant.

En ce cas, est-ce que je le saurais ?... non, monsieur, celle qu’il aime est une jeune fille d’une famille distinguée comme la vôtre !... qui a un père considérable... comme vous !...

MONTGIBAUT.

Tiens ! tiens ! tiens !

DOROTHÉE.

Mais il s’est choisi un gendre, qui n’est pas fort.

MONTGIBAUT.

Un imbécile ?

DOROTHÉE.

Comme le vôtre.

MONTGIBAUT.

Tiens ! tiens ! tiens... et cette jeune fille ?...

DOROTHÉE.

Est charmante !... c’est tout le portrait de son père.

MONTGIBAUT.

C’est ma fille, saperlotte !

DOROTHÉE.

Ça l’est !

MONTGIBAUT.

Allons donc ! il ne m’en a jamais ouvert quoique ce soit !

DOROTHÉE.

Ah ! lui, qui ne fait que commencer, et vous, qui êtes si riche !... il est bien trop délicat pour ça !

MONTGIBAUT.

Tant mieux !... j’ai donné ma parole...

DOROTHÉE.

À M. Olgar !

MONTGIBAUT.

À sa tante... et, entre nous... je crois que ma fille l’aime,

DOROTHÉE.

Sa tante ?

MONTGIBAUT.

Eh ! non... qu’elle est naïve !...

Se reprenant.

Olgar !...

DOROTHÉE.

Je ne crois pas.

MONTGIBAUT.

Qu’est-ce que tu me dis là ?

 

 

Scène III

 

MONTGIBAUT, DOROTHÉE, OLGAR, CAROLINE

 

OLGAR, entrant par le fond et donnant la main à Caroline.

Oh ! palsambleu ! belle demoiselle, je ne souffrirai pas...

CAROLINE.

Mais, monsieur...

MONTGIBAUT.

Ma fille ! chut !

Il remonte.

OLGAR.

Non, non !... eh ! c’est le père Camus de Montgibaut.

DOROTHÉE, à demi-voix, à Montgibaut.

Oh ! le père Camus !

CAROLINE, allant à lui.

Mon papa !

MONTGIBAUT.

Comment se fait-il ?...

OLGAR.

Que je donne la main à mademoiselle ?... voici, beau-père !... je venais chez mon ami Fabien, pour lui parler de mes fonds... lorsqu’à sa porte, je vois une voiture... et, à la portière de cette voiture, un gant blanc, sur un moule délicieux... j’avance la tête... et je vois une robe blanche, aussi sur un moule délicieux... je devine que c’est une femme...

DOROTHÉE.

Comme c’est malin !

OLGAR.

Alors je me dis : c’est quelque jolie visiteuse pour ce gaillard de Fabien !...

MONTGIBAUT.

Hein ?

DOROTHÉE, vivement.

M. Fabien ne reçoit pas de visiteuses... des mères de famille, je ne dis pas... ça se conçoit ! toutes les familles qui ont des demoiselles à marier lui font des avances... c’est tout simple ! un gentil garçon qui est en train de devenir millionnaire !. il se mariera...

Bas, à Montgibaut.

Regardez donc votre fille !...

Caroline paraît très émue.

OLGAR.

Mon Dieu ! on sait ça... enfin, je reconnais mademoiselle... seule... je veux monter dans la voiture...

MONTGIBAUT.

Bref ?

CAROLINE.

Alors, mon papa, j’ai mieux aimé descendre et prier M. Olgar de m’amener ici, chez M. Fab...

DOROTHÉE, bas, à Montgibaut.

Chez M. Fabien !

CAROLINE.

C’est-à-dire près de vous.

OLGAR.

Voilà !

MONTGIBAUT.

Tu as bien fait, parce que...

Remarquant le bouquet de Caroline.

Ah ! voilà des fleurs qui embaument !... qui est-ce qui t’a envoyé ce joli bouquet ?

Caroline baisse les yeux.

OLGAR, bas, à Dorothée.

C’est le mien, que tu lui as fait remettre... merci !

DOROTHÉE.

Dame ! vous voyez...

Bas, à Montgibaut.

C’est M. Fabien !

MONTGIBAUT.

Eh ! mais ne tremble donc pas... il n’y a pas de mal... c’est un brave garçon.

OLGAR, le saluant.

Monsieur... papa beau-père !... je suis confus...

Bas à Dorothée.

Tu vois, la pêche a réussi... à moi le brochet !

DOROTHÉE, à part.

C’est ce que nous verrons !

MONTGIBAUT, remontant.

Ah ! çà mais... et mon argent ?... je suis pressé de courir.

OLGAR.

Et, ce soir, nous allons au spectacle.

MONTGIBAUT.

Ah !

DOROTHÉE.

Permettez... c’est impossible... M. Fabien compte sur M. Montgibaut... l’invitation est chez vous.

CAROLINE, vivement.

Papa accepte.

DOROTHÉE.

Monsieur accepte.

OLGAR.

Comment !... je vous mène au spectacle... aux Français... j’ai une loge.

DOROTHÉE.

Justement, M. Fabien en a fait louer une pour l’Opéra.

OLGAR.

Mais...

CAROLINE.

Papa n’aime que l’Opéra !

DOROTHÉE

Monsieur n’aime que l’Opéra.

MONTGIBAUT,

Oui, oui, je n’aime que l’Opéra... la danse surtout !... il y a là des petites pirouetteuses... qui... que...

Réfléchissant que sa fille est là, et la regardant.

Oh !...

D’un ton de reproche à Olgar.

Il n’y a pas de pirouetteuses, Monsieur !

OLGAR.

Eh ! qui est-ce qui vous dit le contraire ?... Ah ! çà, mais, je ne peux pas remplir ma loge à moi tout seul !

 

 

Scène IV

 

OLGAR, MONTGIBAUT, FABIEN, DOROTHÉE, CAROLINE

 

FABIEN, entrant par la gauche, à la cantonade.

Maladroit ! je vous avais ordonné... Ah ! monsieur Montgibaut, que j’ai d’excuses à vous faire !... j’avais donné à un commis cet or pour vous... et je le retrouve sur mon bureau.

MONTGIBAUT.

Il n’y a pas de mal... il n’y a pas de ma !... au contraire... j’ai causé avec cette fille qui m’a parlé de vous.

FABIEN.

De moi !...

DOROTHÉE, bas à Fabien.

Regardez donc à gauche !...

Elle remonte un peu.

FABIEN, se retournant et allant à Caroline.

Ah ! Mademoiselle, pardon... je n’avais pas eu l’honneur...

OLGAR.

C’est moi qui t’ai amené Mademoiselle, mon cher ! ah ! tu me dois de la reconnaissance... et, pour ça, tu me donneras bien une place dans ta loge, ce soir...

DOROTHÉE, à part.

Aie !

FABIEN, étonné.

Dans ma loge ?...

MONTGIBAUT.

Nous acceptons... merci !

CAROLINE.

J’adore la musique... comme M. Fabien.

FABIEN.

Ah ! Mademoiselle... enchanté...

À part.

Quelle loge ?

OLGAR.

C’est convenu, je m’invite dans ta loge.

FABIEN.

Mais je n’en ai pas.

DOROTHÉE, à part.

Aie !

MONTGIBAUT.

Hein ?

OLGAR.

Ah ! bah !

DOROTHÉE, à Montgibaut, bas.

Prétexte !... pour s’en débarrasser.

OLGAR.

Mais alors...

DOROTHÉE, à Olgar, bas.

Taisez-vous donc, c’est indiscret !

OLGAR, étonné.

Tu crois ?

MONTGIBAUT.

Allons... bonjour... à ce soir...

Bas à Fabien.

Je comprends... nous acceptons !...

FABIEN.

Vous...

Dorothée le fait taire.

MONTGIBAUT.

Je reconduis ma fille... et puis, je suis attendu chez mon tailleur...

À Fabien.

le vôtre... M. Wechmann... il m’avantage beaucoup... avec ses habits, je deviens un beau, je n’ai presque plus de ventre !... Allons, Caroline...

DOROTHÉE, bas à Fabien.

Donnez donc le bras à Mademoiselle.

OLGAR, faisant un mouvement pour offrir sa main à Caroline.

Mademoiselle...

DOROTHÉE, le retenant pendant que Fabien offre son bras.

Restez, j’ai à vous parler...

Bas à Fabien.

Allez... allez...

Elle les accompagne. Montgibaut, Fabien et Caroline sortent par le fond.

 

 

Scène V

 

DOROTHÉE, OLGAR

 

OLGAR.

Ah ! mais... ah ! mais...

DOROTHÉE, le retenant.

Restez donc !...

OLGAR.

Ah ! çà, qu’est-ce que tu as à me dire ?... tu me retiens !...

DOROTHÉE.

Pour vous demander... où en est la pêche au beau-père ?

OLGAR.

Que le bon Dieu te patafiole !... c’est pour ça que tu m’arrêtes, et tu crois que je vais être assez bête pour rester...

Changeant de ton.

Ça ne va pas mal, merci... seulement, le papa Montgibaut, que je respecte beaucoup... mais qui est une vieille... tortue, traîne les choses en longueur, et les créanciers, que je ne respecte pas... menacent de me fourrer dedans, quelque part.

DOROTHÉE.

Vraiment ?

OLGAR.

Et, ma foi, pour en finir... j’avais une idée... oui, je ne suis pas plus bête qu’un autre...

DOROTHÉE, à part.

Qui n’est pas plus bête que vous...

Haut.

Et cette idée ?...

OLGAR.

C’était d’enlever la petite.

DOROTHÉE.

Ah ! c’est affreux !

OLGAR.

J’avais même préparé une lettre... dont j’avais chargé Moricaud... Moricaud !... votre Moricaud !...

DOROTHÉE.

Eh ! bien, oui... mais quelle lettre ?

OLGAR.

Pour attirer cette petite dans un piège... en tout bien, tout honneur... Son imbécile de père...

DOROTHÉE.

Que vous respectez...

OLGAR.

Beaucoup !... est toujours là pour m’empêcher de faire ma cour... je la ferais alors tout à mon aise... toujours en tout bien, tout honneur... et le vieux brochet n’aurait pu me refuser sa progéniture... ainsi surprise, compromise et conquise !...

DOROTHÉE.

Ah ! miséricorde !

OLGAR.

Adieu ! je cours les repêcher... Je vais presser le père, faire l’œil à la fille... J’ai l’œil très chatoyant... hein ? comment le trouves-tu ?... et si les choses n’avancent pas, ma foi, en avant le billet incendiaire !

DOROTHÉE.

Mais vous êtes un gueux !

OLGAR.

Oui, quelquefois... mais, vois-tu, ce sont là les grands moyens... les moyens régence... qu’on n’emploie qu’à la dernière extrémité.

Air : de Joseph.

Deux jolis Dieux règnent sur cette terre,
Le dieu d’amour, le dieu d’hymen ;
L’un est un drôle adroit et sanguinaire,
Et l’autre un savant médecin ;
Qu’une jeune fille s’égare,
À son secours qu’appelle-on ?
L’Hymen... brave dieu qui répare
Les torts du petit Cupidon.

Il va pour sortir.

DOROTHÉE, à part, réfléchissant.

Ah ! c’est bon à savoir !...

FABIEN, entrant à la cantonade.

Bien ! bien ! faites attendre le tailleur.

OLGAR, près de la porte.

Ah ! Fabien... je compte sur une place dans ta loge... Adieu, cher, adieu !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

DOROTHÉE, FABIEN

 

FABIEN.

Ah ! ça, qu’est-ce qu’il a donc avec ma loge ?

DOROTHÉE.

Votre tailleur vous attend, Monsieur.

FABIEN.

Eh ! qu’il attende !... Il prétend toujours que je lui ai commandé quelque chose, celui-là !

DOROTHÉE, à part.

Pauvre Muller !... mon amoureux !... Il saisit le moindre prétexte...

FABIEN.

Mais, M. Montgibaut aussi... qui me remerciait...

DOROTHÉE.

C’est juste... vous le menez à l’Opéra, c’est convenu.

FABIEN.

Mais l’Opéra m’ennuie !

DOROTHÉE.

Eh ! bien ! vous n’écouterez pas... vous regarderez mademoiselle Caroline... qui vous regardera aussi.

FABIEN.

Allons, te voilà encore avec tes idées !

DOROTHÉE.

Dame !... j’y tiens, à mes idées... parce qu’et les sont bonnes ! et vous y viendrez aussi, à force d’être là, près d’elle... de sentir son bras toucher le vôtre... son regard chercher le vôtre... vous finirez par prendre feu !

FABIEN.

Allons, tu es folle !

DOROTHÉE.

Un peu... pour vous !... et voyons, est-ce qu’il n’y a pas là quelque chose pour cette bonne fille... qui vous aime ?

FABIEN.

Dorothée !

DOROTHÉE.

Vous vous troublez... c’est bon signe... Est-ce que vous croyez que je n’ai pas remarqué que vous vous occupez un peu plus d’elle... que vous lui parlez avec plaisir... Ça vient, Monsieur, ça vient !

FABIEN.

C’est possible !... Elle est bien... elle a de l’esprit... et puis, se retrouver toujours là, en face de deux jolis yeux... d’une taille...

DOROTHÉE.

Charmante !...

FABIEN.

Ça vous bouleverse, ça vous...

DOROTHÉE, un peu émue.

Là ! vous voyez bien !

FABIEN.

Aussi, je ne veux plus la revoir !

DOROTHÉE.

Parce que ?...

FABIEN.

Parce que je ne dois pas l’aimer... je ne puis pas l’épouser.

DOROTHÉE.

Et pourquoi ça ?... Elle est riche... vous avez une bonne maison...

FABIEN.

Que je te dois !

DOROTHÉE.

Et, pour votre bonheur, il ne vous manque plus rien... qu’une bonne femme.

FABIEN, lui prenant la main.

Et je l’ai trouvée !

DOROTHÉE.

Vous !

FABIEN.

Oui !... apprends donc ce secret que je puis te révéler enfin !... oui, c’est une bonne fille, qui, depuis trois ans, veille sur moi comme la sœur la plus tendre... elle m’a mis au cour du courage, des espérances qui m’ont ouvert un nouvel avenir.

Air : d’Arved.

Je lui dois tout ! fortune, honneur, courage ;
Lui dire alors : soit ma femme...

DOROTHÉE, très émue et à part.

Qui ? moi !

FABIEN.

N’est-ce pas dire : achève ton courage,
Fais un heureux !... non ! deux heureux, je crois.

DOROTHÉE.

Que dites-vous ?... vous !... ah ! quelle espérance !

FABIEN.

Mon cœur bannit d’autres veux en ce jour,
Et je sens la que la reconnaissance
Auprès de toi peut être de l’amour !...

Pendant ces trois derniers vers l’émotion de Dorothée s’est accrue au point, qu’elle se soutient à peine.

Ah ! reviens à toi !... quel trouble !...

DOROTHÉE.

Oui... la surprise... l’émotion... ah ! si vous saviez, quel bien... vous m’aimez ?...

FABIEN.

Tu douterais...

DOROTHÉE très troublée, se remettant peu à peu.

Non... non... je ne doute pas... et puis... ah !... vous êtes un brave jeune homme !... votre sœur !... oui, je l’étais, je la suis encore... et c’est pour ça...

FABIEN.

Que tu acceptes !...

DOROTHÉE.

Que je refuse !

FABIEN.

Que dis-tu ?

DOROTHÉE avec fermeté.

Oui, je refuse... vous avez eu du courage !... et moi aussi, j’en aurai !

FABIEN.

Tu ne m’aimes pas !...

DOROTHÉE.

Moi !... mais si je m’en croyais, je vous sauterais au cou... je vous dirais : je vous... mais, vous avez cru que j’étais une honnête fille... merci !... et c’est à cause de cela... devenir votre femme, ce serait gâter mon ouvrage, ce serait dire à tout le monde : ce que j’ai fait, je l’ai fait pour moi !... et tout le monde aurait le droit de répéter, en me montrant ; quand je passerais avec vous : « voyez vous cette fille-là ? c’est Dorothée... la petite Dorothée !... elle a été élevée par pitié dans une famille qui l’avait comblée de biens... et elle s’est emparée du fils de sa bienfaitrice pour en faire son mari !... et, quand elle avait l’air de l’aimer comme une sœur, elle voulait être banquière !... et, qui sait ?... ça lui a peut être coûté cher ! »

FABIEN.

Quoi ! l’on oserait croire...

DOROTHÉE.

Puisqu’on ose déjà !... et ce M. Montgibaut tout le premier...

FABIEN.

Mais c’est une calomnie !...

DOROTHÉE.

Qui aurait l’air d’une vérité...

FABIEN.

Air : précédent.

N’en parlons plus !... laissez-moi mon courage !...
Car votre mère est placée entre nous ;
Elle me dit d’achever mon ouvrage,
Avec honneur, pour moi... comme pour vous !

FABIEN.

Tu m’aimeras... oh ! j’en ai l’espérance !

DOROTHÉE.

S’il était vrai !... mon devoir, en ce jour,
Pour mériter tant de reconnaissance,
Serait encor d’étouffer mon amour !
Pour mériter tant de reconnaissance,
Oui, je saurais étouffer mon amour !

FABIEN.

Quoi ! Dorothée...

DOROTHÉE, vivement.

Épousez mademoiselle Caroline !... il le faut ! je vous en prie !... Allons, monsieur, le père vous estime, la fille vous aime... vous l’aimez...

MONTGIBAUT, en dehors.

Eh ! allez-vous-en au diable !

FABIEN,

M. de Montgibaut !...

DOROTHÉE.

Bravo !... il vient ici... demandez-la !

 

 

Scène VII

 

FABIEN, MONTGIBAUT, DOROTHÉE

 

MONTGIBAUT, furieux, ouvrant la porte du fond.

Laissez-moi !... ou je vous casse une chaise sur le torse !

FABIEN.

Qu’est-ce donc ?

MONTGIBAUT, au comble de l’exaspération.

Ah ! vous voilà !... ô ! Providence, merci !... sans ça, ma colère, mon indignation, me restaient sur le cœur... et j’étouffais !

FABIEN.

Qu’avez-vous, monsieur ?

MONTGIBAUT.

Ce que j’ai !... gred... scelé... polis... j’étouffe tout de même !

FABIEN.

Vous voilà bien échauffé !

MONTGIBAUT.

Échauffé !... je bouillonne comme une chaudière sans soupape !... je vais éclater !...

Avec fureur.

Pour qui ?... pour quoi m’avez-vous pris ? je vous le demande, répondez !...

FABIEN.

Moi !...

MONTGIBAUT.

Oui ! soyez franc, ayez le courage de votre opinion... nommez l’animal le plus grotesque, le plus ridicule !... je m’attends à tout !... nommez une huître, un colimaçon, je ne serai pas surpris !... descendez aux plantes, aux légumes, aux simples, je ne m’étonnerai pas ; car, pour traiter un homme ainsi que vous m’avez traité, il faut l’estimer à l’égal du plus mince cucurbitacée !

DOROTHÉE.

Monsieur Montgibaut veut rire !

MONTGIBAUT, avec fureur.

Taisez-vous, ma mie !...

Avec plus de douceur.

Tais-toi !... Je t’estime... tu es innocente de la chose, je veux bien ; mais,

Très fort.

monsieur !

FABIEN.

Monsieur, comme j’ai toujours professé pour vous le plus profond respect...

MONTGIBAUT.

Vous m’avez pris... vous m’avez pris... pour un brochet !

FABIEN.

Vous, Monsieur ?

DOROTHÉE.

Permettez...

MONTGIBAUT.

Je te permettrai tout, Dorothée, pourvu que tu me permettes d’achever !...

À Fabien.

Ah ! vous vous livrez à la pêche !... à la pêche aux beaux-pères !

FABIEN.

Ah ! c’est trop fort !

DOROTHÉE, à part.

Dieu ! est-ce que monsieur Olgar ?...

MONTGIBAUT.

Et pour les attraper. ces excellents beaux-pères... attraper... c’est le mot !... on leur jette des hameçons plus ou moins dorés... tels que voiture de louage, toilettes à crédit, déjeuners confortables... vous les amorcez, vous les câlinez, vous les truffez !...

S’écriant.

Ah !...

FABIEN.

Monsieur !...

DOROTHÉE.

Il étrangle !

MONTGIBAUT.

Et la lettre !... la lettre de la maison Brizac, de Bordeaux... que tu m’as glissée, toi... et que j’ai lue bêtement, moi !... car je n’aurais jamais laissé mes fonds... si c’était un hameçon ?

FABIEN.

Monsieur !... vous attaquez mon honneur !

MONTGIBAUT.

Et, tout cela, pour enlever ma fille à ce pauvre monsieur Olgar... pour...

FABIEN, avec impatience.

Mais, Monsieur, qui vous demande votre fille ?

DOROTHÉE, le retenant.

Monsieur Fabien !

Fabien remonte.

MONTGIBAUT, à Dorothée.

Mais, ne m’as-tu pas ?...

DOROTHÉE.

Arrêtez, monsieur Mongibaut ; il y a erreur, assurément. Qui peut vous avoir dit ?... d’où savez-vous ?...

MONTGIBAUT.

De chez mon tailleur... le vôtre !... Oui, j’en frémis encore ! j’étais ailé chez lui pour essayer un habit puce et un pantalon marron ; et, comme j’étais seul, dans un petit boudoir, à rentrer dans mes chausses, j’entends, près de là, prononcer mon nom ; j’applique mon œil au trou de la serrure, et je vois cinq ou six garçons... assis les jambes croisées, comme des Turcs !... « C’est lui, » disait l’un en ricanant, « c’est le père Camus... »

À Fabien

(une moitié de mon nom, monsieur), « le papa de la petite c’est le brochet, c’est le goujon qu’on pêche à la ligne, comme dit Muller ! » « Ah ! ah ! ah ! ah ! » disait l’autre, en ricanant plus fort, c’est le Montgibaut... »

À Dorothée.

(l’autre moitié de mon nom, monsieur), « qui mord à l’hameçon comme une carpe qu’il est, etc. etc. etc... » et, là dessus, ils ricanaient tous... Ils se permettaient des lazzis... Oh ! ma foi ! je n’y tiens plus ! je me sens bouillir !... j’enfonce la porte, je me précipite la canne en avant, sur ces Turcs insolents ; et, surpris comme la Smalah du nommé Abd-el-Kader, je les rosse, je les abime, je les massacre !... ma canne y est restée en deux... C’est pour ça que vous me voyez sans !

DOROTHÉE, riant.

Ah ! ah ! ah !... ces pauvres tailleurs !

FABIEN.

Et c’est sur de pareils propos que vous m’accusez ?

MONTGIBAUT.

Niez-vous !

DOROTHÉE.

Mais, oui ; car ce n’est pas !...

 

 

Scène VIII

 

FABIEN, MONGIBAUT, MORICAUD, DOROTHÉE, puis MULLER

 

MORICAUD entrant par le fond.

Monsieur, le petit tailleur attend...

MONGIBAUT, reconnaissant Moricaud.

Ah ! mais... ah ! c’est lui !... c’est toi, faquin !

MORICAUD.

Plaît-il, Monsieur ?...

DOROTHÉE.

Qui ça, Moricaud !...

MONGIBAUT.

Ah ! c’est Moricaud !... ah ! c’est le cocher...

Il le prend au collet.

DOROTHÉE, à part.

Aie !

FABIEN.

Que veut dire ?...

MORICAUD, s’éloignant.

Mais, Monsieur, je ne vous ai jamais versé.

MONTGIBAUT.

Non... mais c’est toi qui conduisais l’élégant escargot, doublé de brocatelle, que vous m’avez galamment offert, le jour de mon arrivée...

FABIEN.

Moi... je vous ai offert ?...

DOROTHÉE.

Oui, oui... laissez dire !

MONTGIBAUT.

Eh ! bien, à qui appartenait cet escargot mirobolant ? À qui ? à qui ?

DOROTHÉE.

Parle, Moricaud ! dis la vérité !

MORICAUD.

La vérité vraie ?

DOROTHÉE.

Oui ! oui !

MONTGIBAUT et FABIEN.

Parleras-tu ?

MORICAUD.

Dame ! c’était un locatis... que mon maître d’alors avait loué.

MONTGIBAUT.

Loué !... et d’un !... loué !... à qui ?

MORICAUD.

À qui ?

DOROTIÉE.

Moricaud... la vérité !

MORICAUD.

Toujours vraie ?

DOROTHÉE.

Toujours !

MONTGIBAUT et FABIEN.

Parle donc... à qui ?

MORICAUD.

Eh ! bien, à M. Olgar... qui ne payait pas... à telles enseignes qu’on n’a pas voulu lui continuer l’abonnement, au même prix.

MONTGIBAUT.

À Olgar ?

DOROTHÉE.

Voilà le mot lâché... je ne voulais pas vous le dire.

MONTGIBAUT.

Mais comment se fait-il alors que...

MULLER, entrant par le fond.

Monsieur, votre habit...

MONTGIBAUT, le voyant.

Ah ! votre petit groom !

FABIEN.

Vous voulez dire le garçon tailleur...

DOROTHÉE.

Aie !

MONTGIBAUT.

Garçon tailleur, ça ?... c’était votre groom !

FABIEN.

À moi ?

DOROTHÉE.

Il a pris un état... il aime mieux ça !

MONTGIBAUT, le prenant au collet.

Mais viens donc ici, gredin... viens donc...

MULLER, se dégageant.

Monsieur !... lâchez !... Vous n’avez pas le droit de déchirer cet habit ; je ne vous l’ai pas fourni !

MONTGIBAUT.

Tais-toi, et réponds ! Tu es de chez Wechmann, le tailleur ?

MULLER.

Je suis son coupeur.

MONTGIBAUT.

Tais-toi !...

Aux autres.

Ne l’influencer pas !

Haut.

Tu vas me dire et tôt, tôt... qui est-ce qui vous a appris la pêche aux beaux-pères ?...

MULLER

Dame ! faut-il dire ?

DOROTHÉE.

Oui, la vérité.

MULLER.

Rien que la vérité ?

MONTGIBAUT.

Toute la vérité, ou je te casse quelque chose.

MULLER.

Eh bien ! c’est M. Olgar !

DOROTHÉE.

Là !...

MONTGIBAUT.

Olgar ! tu connais... vous connaissez ?...

MULLER.

C’est nous qui l’habillons... à telles enseignes qu’il ne paie pas, et que mon maître le poursuit.

MORICAUD.

Comme le mien.

DOROTHÉE.

Comme tous les autres.

MONGIBAUT.

Olgar ! la tête me tombe des épaules ! mais non... mais il est riche... et les fonds considérables qu’il a chez vous.

FABIEN.

Chez moi ?... mais pas du tout !

DOROTHÉE.

C’est lui qui est son débiteur.

MONTGIBAUT.

Ah ! bigre !

 

 

Scène IX

 

MULLER, FABIEN, OLGAR, MONTGIBAUT, DOROTHÉE, MORICAUD

 

OLGAR, parlant au fond, à la cantonade.

Je vous demande jusqu’à demain... jusqu’à demain seulement !

MONTGIBAUT, allant à lui.

Ah ! c’est lui, c’est toi, c’est...

OLGAR

Bonjour, papa... ça va bien, merci !

Bas, à Fabien.

On veut me coffrer... prête-moi dix mille !...

MONTGIBAUT, lui donnant un coup de poing.

Ah ! gueux... v’lan !

OLGAR, se retournant.

Plaît-il ?

MONTGIBAUT.

Ah ! jeune homme charmant... jeune homme rangé... jeune homme cossu... lion !...

Nouveau coup de poing.

V’lan !

OLGAR, reculant un peu.

Ah ! mais, vous me faites mal !

MONTGIBAUT.

Tant mieux ! Tu viens sans doute apporter de nouvelles sommes à ton banquier ?

OLGAR.

Oui, je viens...

DOROTHÉE, à part.

Enferre-toi !

MONTGIBAUT, lui donnant un coup de poing.

Ah ! scélérat ! v’lan !

OLGAR, reculant en tournant.

Mais, sapristi ! beau-père, vous me faites mal !

MONTGIBAUT, le poursuivant et le faisant reculer.

Ah ! je suis une anguille !... ma fille est un brochet... tu vas me pêcher à la ligue !... Ah ! polisson !

Il lui donne une tape sur la tête.

OLGAR, revenu à sa place.

Permettez...

MONTGIBAUT, lui sautant au collet.

Nie donc ! nie donc ! nie donc ! 

DOROTHÉE, à part.

Ça marche !

FABIEN, s’interposant.

M. Montgibaut !...

OLGAR.

M. Camus ! sapristi ! ne me tapez plus, ou ! je vous le rends... Ah ! mais... j’ai des noirs !

MONTGIBAUT, criant.

Nie donc !

OLGAR, criant plus fort.

Oui, je nie !... quoi ?

MONTGIBAUT, montrant Muller.

Que ton tailleur le poursuit !...

OLGAR, à Muller.

Comment, drôle !

MULLER.

Dame ! il voulait m’assommer !

MONTGIBAUT, montrant Moricaud.

Que ton carrossier veut te faire coffrer !

OLGAR, à Moricaud.

Ah ! misérable !

MORICAUT.

Holà ! oh ! n’approchez pas !

MONTGIBAUT.

Que ton banquier n’a pas un sou à toi !

OLGAR, à Fabien.

Hein ? tu as dit ?...

FABIEN.

Et ! que diable veux-tu que je dise ?

DOROTHÉE.

Monsieur a tout dit... c’est un banquier honnête, estimé, jouissant d’une réputation bien acquise... et il ne peut pas vous servir d’hameçon pour attraper un beau-père, sur tout quand c’est un homme aussi respectable que M. de Montgibaut !

MONTGIBAUT.

Voilà !

À Dorothée.

Merci ! merci !

OLGAR.

Ah ! c’est comme çà !... ah | Fabien !

FABIEN.

Assez !... Je te prie de ne pas me mêler plus longtemps à ce tripotage !

MONTGIBAUT.

Bon jeune homme !... c’est vous que ma fille...

OLGAR, furieux.

Comment ! votre fille !... mais c’est indigne !... Mais est-ce que vous croyez que moi... un lion, comme dit ce bonhomme,

Mouvement de Montgibaut.

je vais me laisser égorger comme un agneau qui n’a pas encore de duvet !... Ah ! mais non ! banquier !

Passant près de Dorothée.

Ah ! mais non ! banquière !... Si j’ai pêché aux beaux-pères sur les brochets, tu as chassé aux commanditaires sur les bécasses, toi !

FABIEN.

Olgar !

DOROTHÉE.

Monsieur !

OLGAR.

Oui, aux commanditaires... avec mes propres armes... Tu as promené le bonhomme dans mon propre carrosse !... tu l’as ébloui dans mes propres habits !... tu l’as truffé avec mon propre déjeuner !

MONTGIBAUT.

Qu’est-ce que j’entends là ?

DOROTHÉE.

Monsieur, ne croyez pas !...

FABIEN.

C’est une calomnie ! vous me rendrez raison !

OLGAR.

Demande donc à ces drôles-là... tes complices !...

MORICAUD et MULLER.

Ah ! dites donc, vous !

OLGAR.

Demande donc à Dorothée... ta petite !...

MONTGIBAUT.

Sa petite ?...

DOROTHÉE.

Taisez-vous ! ou je vous arrache les yeux !

MONTGIBAUT.

Mais, c’est affreux !... mais, je bondis ! mais, c’est un tissu d’horreur et d’abomination !... L’un me pêche comme une bécasse !... l’autre me chasse comme un broch... Non... non... c’est-à-dire que le JUIF ERRANT est honnête à côté de ça !...

DOROTHÉE.

Vous pourriez penser ?...

MONTGIBAUT.

Arrière, fille à double face !... tu n’as plus ma confiance !

FABIEN.

Monsieur, je vous rendrai compte...

OLGAR.

Beau-père, je ne vous quitte pas !

MONTGIBAUT, suffoquant.

Laissez-moi... je ne vous crois plus !... je vous hais !... je vous maudis... banquier, lion !...

Air : honneur aux hussards.

À ma fille pure et sans tache,
Si vous osez... ah ! d’un père irrité
Craignez la fureur ! je vous hache
Menu, menu, comme chair à pâté,
Menu, menu, menu, menu, comme chair à pâté,
Oui, sans pitié, je vous écharpe !
Je n’ai pas, çà paraît certain,
Des nageoires comme une carpe,
Mais j’aurai les dents d’un requin !

DOROTHÉE.

Monsieur, vous ne sortirez pas !

MONTGIBAUT.

Arrière !

Ensemble.

Air : de Farinelli.

Ah ! c’est affreux ! ah ! c’est abominable !
De tout cela vous me rendrez raison...
De ces horreurs, l’un et l’autre est coupable
Et n’espérez de nous aucun pardon.

OLGAR et FABIEN.

Oh ! c’est affreux ! oh ! c’est abominable !
De tout, morbleu vous me rendrez raison,
De ces horreurs, seul vous êtes coupable,
Et je saurai punir la trahison.

DOROTHÉE, MORICAUD, MULLER, à Olgar.

Ah ! c’est affreux ! ah ! c’est abominable !
Voilà l’auteur de cette trahison,
De ces horreurs, seul vous êtes coupable,
Et l’on devrait vous mettre à la raison.

DOROTHÉE.

Mais écoutez...

MONTGIBAUT.

C’est assez d’imposture !

FABIEN.

Monsieur, permettez-moi !

MONTGIBAUT.

Laissez-moi, malheureux !

OLGAR.

Moi, je vous suis !

MONTGIBAUT.

Va-t’en !... ou je te jure
De t’arracher jusqu’au dernier cheveux.

Il porte la main sur la tête d’Olgar, un faux toupet lui reste dans la main. Parlé.

Une perruque !

DOROTHÉE, riant.

Il n’a rien à lui !

ENSEMBLE.

Ah ! c’est affreux ! ah ! c’est abominable, etc.

Moricaud sort. Dorothée, Fabien et Olgar sont accablés. Montgibaut est sorti, mais il rentre tout-à-coup et vient donner un coup de pied, par derrière, à Olgar.

MONTGIBAUT.

Vlan !...

Il sort vivement.

OLGAR.

Vous me faites mal, sapristi !...

Il le poursuit, et, prés de la porte, il lance un coup de pied dans le vide.

 

 

Scène X

 

FABIEN, OLGAR, DOROTHÉE, MULLER

 

DOROTHÉE, à part.

Tout est perdu !

FABIEN, à Dorothée.

Mais tu m’expliqueras...

OLGAR, revenant.

Ah ! mes petits amis... ah ! vous n’avez traité comme un père dindon... merci ! je n’ai pas l’âge !

MULLER.

Tiens ! on l’est à tout âge... dindon.

DOROTHÉE.

N’est-ce pas donc... dindon !

OLGAR.

Ah !... ah ! tu as profité de mes confidences pour me flanquer dedans ! ah ! tu as voulu m’enlever mon brochet de beau-père !...

FABIEN.

Mais...

OLGAR.

Ah ! tu as cru que l’héritière me glisserait dans la main comme une anguille... tranchons le mot, je ne suis pas aussi bête que j’en ai l’air... tu veux me la souffler !

DOROTHÉE.

Eh ! bien ! pourquoi pas ?

FABIEN.

Dorothée !

DOROTHÉE.

Laissez-donc, monsieur... s’il croit vous mesquiner.

Vivement.

Eh bien ! oui, nous vous la soufflerons, parce qu’elle est gentille, parce qu’elle nous va, parce qu’il lui faut un joli garçon, et ce n’est pas vous !...

MULLER

C’est çà !... c’est ça !... comme elle en découd !

OLGAR.

À la bonne heure !... elle est franche... tu jettes le masque... j’aime mieux te voir à dé couvert !

À Fabien.

Ah ! tu veux me la... je t’en défie !

FABIEN.

Toi, malheureux !

DOROTHÉE.

Mais, allez donc, monsieur.

OLGAR.

Oui, oui, je t’en défie, banquier ! je le provoque, je te jette mon gant... j’abuse de mes avantages, c’est possible...

MULLER.

Comme il se carre dans mes habits !

DOROTHÉE.

Le fat !

OLGAR.

Mais tu ne l’auras pas ! tu en seras pour les frais de pêche !

FABIEN.

Ah ! tu le prends ainsi !... eh bien ! c’est ce que nous verrons !

DOROTHÉE.

Bravo !... monsieur accepte le défi !

MULLER.

C’est ça !

FABIEN.

Oui, j’accepte !... et je t’apprendrai que... Va-t’en au diable !

OLGAR.

J’y vais !... le diable m’inspire !... en avant le moyen incendiaire !... Elle sera à moi ; quand je devrais l’enlever à son bonhomme de père, comme à toi, banquier !

DOROTHÉE.

Ô ciel ! vous oseriez...

OLGAR.

Adieu, banquière !

Il sort vivement.

MULLER.

Qu’est-ce qu’il vous a dit ?... voulez-vous que je lui donne des calottes ?

DOROTHÉE.

Eh ! vite !

Elle lui parle bas et le fait sortir à droite pendant que Fabien parle.

 

 

Scène XI

 

FABIEN, DOROTHÉE

 

FABIEN.

Une jolie fille comme Caroline à un sot comme lui !... s’il l’enlevait !

DOROTHÉE.

Eh ! non, monsieur, je serai plus leste que lui !... cette lettre qu’il avait laissée, hier, ici... Je moyen incendiaire, qu’il avait préparé pour éloigner M. Montgibaut, pour obtenir l’aveu de sa fille, il va tourner contre lui !

FABIEN.

Il me reproche d’aller sur ses brisées !

DOROTHÉE.

Et c’est vrai... oui ! la ligne qu’il tenait dans sa main n’a pêché que pour vous ! tout ce qu’il faisait pour jeter de la poudré aux yeux, c’est vous qui en profitiez ; il n’y a qu’une chose de mon invention... c’est la perte de cette lettre, que le papa Montgibaut a lue... le vieil indiscret !... j’en étais sûre ! 

FABIEN.

La lettre de Bordeaux ?...

DOROTHÉE.

Qui vous a conservé sa confiance et son argent !

FABIEN.

Quoi de pareils moyens !...

DOROTHÉE.

Ça ne vous regarde pas ! c’est mon affaire !... et, maintenant, grondez-moi ! chassez-moi !

FABIEN.

Non... je te dois plus encore que je ne croyais... et, pour te payer tout cela... ou plutôt pour t’en punir, à présent que tu as rendu toi-même un autre mariage impossible... je te l’ai dit... tu seras ma femme...

DOROTHÉE, émue.

Vous épouserez mademoiselle Caroline.

FABIEN.

Il n’y faut plus penser !... et toi, tu m’aimes !...

DOROTHÉE, détournant les yeux.

D’amitié !

FABIEN.

Oh ! pour te dévouer ainsi, pour me consacrer ta vie... il faut qu’il у ait là, dans ton cœur, un amour que tu caches en vain !...

DOROTHÉE, à part.

Ah ! mon Dieu !

FABIEN.

Oui ! un amour qui se trahit malgré toi !...

DOROTHÉE, tremblante.

Monsieur !...

FABIEN.

Pour moi ?...

DOROTHÉE, prenant une résolution.

Et si c’était pour un autre !

FABIEN.

Pour qui donc ?

DOROTHÉE.

Mais...

FABIEN.

Non ! celui que tu aimes, c’est...

DOROTHÉE.

Monsieur...

 

 

Scène XII

 

FABIEN, DOROTHÉE, MULLER, puis MORICAUD

 

MULLER, entrant par la droite.

Mamzelle...

DOROTHÉE, le voyant entrer et le montrant.

C’est Muller !

FABIEN.

Lui !...

MULLER.

Hein ? quoi ?...

Bas à Dorothée.

J’ai envoyé... Moricaud avait encore la lettre, il est parti !

FABIEN.

Mais, c’est impossible !

DOROTHÉE, jouant l’embarras.

Dame ! Monsieur Muller, j’ai tout avoué... vous êtes un honnête garçon... et certainement, je suis flatté... mais je dépends de mon maître, Monsieur Fabien.

MULLER, à part.

Qu’est-ce qu’elle dit là ?... qu’est-ce que...

DOROTHÉE, bas, à Muller.

Dites oui... toujours, ferme !

FABIEN.

Tu aimes Dorothée ?

MULLER.

Oui... oui... ferme !...

FABIEN.

Ah !

MULLER.

Oui !... Je l’aime à en devenir bête ; et ça augmente tous les jours.

FABIEN.

Et Dorothée... t’aime ?

MULLER.

Moi... dame !...

Elle le regarde.

Ou...

À part.

Tiens ! tiens !...

Haut.

Oui ! ferme !

DOROTHÉE.

Et... si vous en doutiez... cette chaîne qu’il cache-là, et que je tenais de votre mère...

FABIEN.

Cette chaîne !... un gage... qu’elle t’a donné ?...

MULLER, montrant une chaine cachée sous son gilet.

Cette chaîne...Elle me... oui, oui !...

À part.

Elle savait donc que c’était moi ?...

FABIEN.

Mais tu n’es qu’un simple garçon tailleur...

MULLER.

Oui.

FABIEN.

Un peu niais...

MULLER.

Oui... c’est-à-dire... permettez...

Elle le regarde.

Oui ! ferme !

DOROTHÉE.

C’est l’amour qui le rend comme ça !... mais une fois qu’il serait mon mari...

MULLER.

Oh ! voyez-vous, Mamzelle, pour vous, je serai adroit, j’aurai de l’esprit... J’en ai déjà... mais l’amour, ça me le renfonce... et puis, je m’établirai !...

DOROTHÉE.

C’est mon égal... un brave garçon...qui me rendra heureuse !...

MULLER, avec feu.

Ah ! ça, oui ! ferme ! parce que... et puis...

DOROTHÉE.

Bien... bien...

Muller remonte.

FABIEN.

À la bonne heure : tu es libre... tu es ta maîtresse...

Il passe à la table à droite, Moricaud ouvre la porte du fond, Dorothée le voyant, va à lui.

MORICAUD, à demi-voix.

Mamzelle Dorothée !... Elle vient d’arriver... elle est là, dans le salon, où elle croyait trouver son bonhomme de père... elle attend...

DOROTHÉE.

J’y vais !

Moricaud sort, elle se dirige vers la droite et s’arrête quand Fabien, après avoir écrit, se lève.

FABIEN.

Mais, du moins, j’acquitterai la dette de ma famille... la mienne... à mon tour, j’assurerai ton bonheur...

Donnant à Muller le papier sur lequel il a écrit.

Voici sa dot.

MULLER, prenant le papier.

Une dot !

DOROTHÉE, se rapprochant de Fabien.

Eh ! que m’importe !... ce qu’il faut, c’est que vous vous déclariez à mademoiselle Caroline... qui est votre égale, qui est jolie, qui vous aime...

FABIEN.

Impossible... le moyen de la voir... d’aller chez son père... Je ne le puis plus !

DOROTHÉE.

Mais... si elle venait chez vous ?

FABIEN.

Allons donc !

OLGAR, en dehors.

Laissez-moi !... retenez-le !

FABIEN.

Olgar !

MONTGIBAUT, en dehors.

Où est-il ?

MULLER.

Monsieur Montgibaut !

DOROTHÉE, à part.

Qu’il vienne, maintenant, je le tiens !

 

 

Scène XIII

 

FABIEN, DOROTHÉE, MULLER, MORICAUD, OLGAR, MONTGIBAUT

 

OLGAR, entrant vivement.

Au diable !... retenez-le, c’est un enragé !

MONTGIBAUT, entrant.

Où est-il ?

MULLER, le retenant.

Monsieur !

MONTGIBAUT, brandissant sa canne.

Il faut que je l’assomme !... j’éprouve le besoin d’assommer quelqu’un !... j’en ai une neuve !

Il montre sa canne.

OLGAR.

Mais quand je vous dis !...

MONTGIBAUT.

Ma fille ! gueusard !

Il va sauter sur lui, Muller le retient.

DOROTHÉE.

Qu’y a-t-il ?

MONTGIBAUT.

Il y a que ma fille est enlevée !

TOUS.

Enlevée !

OLGAR.

Mais non ! puisque j’ai changé d’avis... et que...

MONTGIBAUT.

Et cette lettre que j’ai trouvée sur sa table, en rentrant...

DOROTHÉE, la prenant.

Ah ! c’est vrai ! c’est l’écriture de M. Olgar.

OLGAR.

De moi !... permettez...

Il prend la lettre.

MONTGIBAUT.

Rends-moi ma fille ! Sardanapale !

FABIEN, le retenant.

M. de Montgibaut !

OLGAR.

Retenez-le !... mais cette lettre... ah ! c’est la mienne !

MONTGIBAUT.

Tu avoues ?... il avoue !... ah ! ma canne me démange !

OLGAR.

Eh bien grattez-la... mais écoutez !

FABIEN.

Cette lettre ?...

OLGAR.

C’est la mienne... mais elle n’est pas de moi... c’est-à-dire je ne l’ai pas envoyée !

MONTGIBAUT.

Infâme !

DOROTHÉE.

Eh bien ! si fait... pourquoi le nier ? c’est clair, c’est évident... avouez tout !... vous vouliez attirer la fille de ce brave M. Camus de Montgibaut dans un piège...

OLGAR.

Hier, mais...

MONTGIBAUT.

Tais-toi !

DOROTHÉE.

Dans un piège où elle serait tombée... sans M. Fabien...

MONTGIBAUT et OLGAR.

Hein ?

FABIEN.

Moi !

DOROTHÉE, continuant vivement.

Sans cet honnête jeune homme qui m’a dit : Dorothée, ma sœur, il faut déjouer le complot de ce Lovelace !... sauver une fille charmante !... rendre un enfant à son père... à son respectable père !...

MONTGIBAUT, s’attendrissant.

Merci ! merci !...

Caroline paraît à droite et s’approche lentement sans être vue.

DOROTHÉE, continuant.

Enlève-la à ses ravisseurs... donne-lui ta chambre pour asile... moi, qui l’aime, je ne la verrai pas, j’aurai ce courage !...

MONTGIBAUT, plus attendri.

C’est bien ! ah ! sapristi ! c’est bien !

OLGAR.

Mais, quand je vous dis !...

MONTGIBAUT.

Tais-toi !

DOROTHÉE.

Et la preuve... c’est que je l’ai sauvée... je vous la rends !... la voici !

CAROLINE.

Mon père !

MONTGIBAUT.

Ah ! mon enfant !

Il la serre dans ses bras en pleurant.

OLGAR.

Mais, Virginius de province, mon bonhomme, on vous fourre dedans !... bien ne l’aime pas !...

DOROTHÉE.

Il ne l’aime pas !...

FABIEN.

Permettez !

OLGAR.

Non ! non !

FABIEN.

Si fait... et je la demande à son père... oui, monsieur, vous pouvez douter de moi peut-être ; mais je vous prouverai, je le jure, que j’étais digne de votre bonté et de l’amour de votre fille !

DOROTHÉE.

Allons donc !

Air : faut l’oublier.

C’est un honnêt’ garçon, mamzelle !

CAROLINE.

Oh ! oui, mon papa... je le crois !

OLGAR.

Et tout ça se dit devant moi !

FABIEN, à Caroline.

Oui, mon cœur vous sera fidèle !

MONTGIBAUT, à lui-même.

Faut-il le croire... l’estimer !...

DOROTHÉE.

Pour leur bonheur et pour le votre,
Ces nœuds-là doivent se former,

À part.

Vouloir qu’il rende heureuse une autre,
Ah ! mon Dieu ! comme il faut l’aimer !

OLGAR, à Montgibaut.

Mais vous avez promis...

MONTGIBAUT.

Tais-toi ! tu ne me fourreras pas dans tes filets... comme un brochet, une carpe, un simple goujon, un...

OLGAR.

Mais...

MONTGIBAUT.

C’est assez !... quant à ma fille chérie... qui m’embarrasse beaucoup... on ne me l’enlèvera plus !... je la donne à cet honnête M. Fabien... mon gendre !

Muller a remonté la scène et se trouve à droite, 2e plan.

CAROLINE.

Oh ! mon papa, que je suis contente !

OLGAR, furieux.

Mais c’est indigne !... mais...

Riant tout-à-coup.

Ah ! ah ! ah !... une idée... c’est moi qui ai fait la pêche... et c’est lui qui la mange !...

À Dorothée.

Intrigante !... dis donc, veux-tu être ma gouvernante ?... nous pêcherons ensemble !

DOROTHÉE, tendant la main à Muller qui s’approche.

Voici mon mari... qui vous demande votre pratique.

MULLER, à Olgar.

On paye comptant !

MONTGIBAUT.

Ah ! ah ! ah ! friponne !... tu feras une bonne maison !

CHOEUR.

Air du chœur final du Poisson d’avril.

Ô moment rempli de douceur !
Heureux qui peut, dans cette vie,
Trouver, sur sa route, une sœur,
Une amie !

DOROTHÉE, au public.

Air : Vaudeville du Baiser au porteur.

J’attends, messieurs, pour me croire en famille,
Un mot de vous... ailleurs ou vous dira,
Que je suis franche artiste, bonne fille,
Que j’ai du zèle, et du cœur... et voilà !
C’est peu... c’est tout !... On donne ce qu’on a.
Que, du public, la bonté m’environne,
Qu’il me soutienne, et, plus tard, j’ai l’espoir
D’avoir aussi ma petite couronne...
Mais il faudrait la commencer ce soir,
Allons, messieurs, commencez-là ce soir !

CHŒUR, reprise.

Ô moment rempli de douceur ! etc.

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