La Mère coquette (Jean DONNEAU DE VISÉ)
Comédie en trois actes et en vers
Représentée pour la première fois, à Paris, par la Troupe du Roi, en 1666.
Personnages
GÉRONTE, père d’Arimant
ARIMANT, Amant de Belamire
LUCINDE, Mère de Belamire
JACINTHE, Servante de Lucinde
BELAMIRE, Fille de Lucinde
LE MARQUIS
ERGASTE, Valet de Lucinde
La Scène est dans une Salle, chez Lucinde.
PRÉFACE
Tout Paris a vu jouer en même temps sur deux Illustres Théâtres, deux Comédies qui portaient le nom de la Mère Coquette, ou des Amants Brouillés. L’une est d’un fameux Auteur, qui a déjà mis plusieurs Ouvrages au jour, avec beaucoup d’applaudissement : et l’autre, celle qui a été représentée par la Troupe du Roi. Si je dois retirer quelque gloire de cette dernière, c’est d’avoir été assez heureux pour inventer un Sujet qui ait pu servir d’Idée à un Auteur dont la réputation est si bien établie. Il a lui-même avoué que je lui en fis confidence chez une Personne de Qualité, qui s’en souvient encor aussi bien que lui. C’est une vérité qui passe pour constante ; et je ne dois pas me mettre en peine de la prouver, puisque des Personnes de Naissance et dignes de Foi, ont vu ma pièce, longtemps avant que cet illustre Auteur eût commencé de travailler à la sienne, et l’ont même dit à sa Majesté, lors que notre guerre a fait le plus de bruit, et qu’elle en était importunée. Depuis, il s’est avisé de dire pour se justifier, qu’il avait tiré sa pièce, d’un sujet Espagnol ; et dans celle qu’il rapporte, on voit une Tante qui élève une Nièce, et qu’il dit lui avoir fourni l’Idée de la Mère Coquette. Mais il est bien plus vraisemblable que c’est la mienne, puisqu’il n’y a pas tant de différence de Mère à Mère, que d’une Tante à une Nièce. Peut-être qu’il me dira que la Tante est vieille : mais cela ne doit produire aucun bel effet, puisqu’il n’est pas impossible qu’elle soit aussi jeune que sa Nièce, et que le Caractère de la Mère que nous avons fait paraître sur la Scène, n’est plaisant qu’en ce qu’elle veut paraître aussi jeune que sa Fille, et que l’on est persuadé du contraire. Car on en pourrait douter, si c’était une Tante, puisque l’on paraît quelquefois plus jeune que l’on est : mais il est impossible que l’on ait cette pensée pour une Mère, quand même elle paraîtrait aussi jeune que sa Fille. C’est ce qui rend le Caractère de la Mère, ridicule, et ce qui fait voir qu’il n’y a rien de commun entre la Tante de l’Espagnol, et la Mère dont je lui ai fourni l’Idée. Pour ce qui est des autres pensées, où nous nous sommes rencontrés, qui ne regardent point la Mère Coquette, je crois être obligé de dire qu’elles sont dans le Berger Extravagant, et en d’autres lieux, et que je les ferai voir s’il en est besoin. Quant au Caractère de la Servante que l’on peut dire qui fait tout dans cette Pièce, puisqu’en faisant agir tous les autres, elle agit aussi toujours Elle-même, je ferai voir à cet Auteur, la même chose dans le Roman de Cassandre, et une Lettre qui produit les mêmes Effets que la nôtre de la Mère Coquette. Il est vrai que c’est parmi des Personnes relevées : mais cela ne fait rien à notre Dispute. Voilà à peu près, les endroits où nous pouvons nous être rencontrés par la lecture de ces Livres-là : mais pour ce qui regarde le Caractère de Mère Coquette, je crois en être le seul inventeur, et que rien n’a pu lui en fournir l’Idée, que les Vers que je lui ai dits sur ce sujet. Au reste, comme ma Pièce a cabalé toute seule, et que je ne me suis point mis en peine de la faire réussir, ainsi que font quelques Auteurs, que la cabale rend illustres, elle n’a pas ressemblé à celles qui font grand feu d’abord, puisqu’elle a été plus suivie à la dix-huitième Représentation qu’à la première.
ACTE I
Scène première
JACINTE, LUCINDE
JACINTE.
Madame, d’où vous vient cette langueur mortelle ?
Vous êtes, quoique Veuve, et jeune, et riche, et belle,
Votre Fille est bien faite, elle a beaucoup d’esprit.
LUCINDE.
Ah ! c’est de sa beauté que vient tout mon dépit.
Les Mères, tu le sais, qui sont encore belles,
Ne doivent point avoir de Filles auprès d’elles.
Nos attraits sont toujours effacés par les leurs.
Ils savent, malgré nous, l’Art de vaincre les Cœurs,
Souvent, lorsque l’on voit la Fille avec la Mère,
J’entends certains discours qui ne me plaisent guère,
Et des Gens qui tout bas, disent autour de moi,
Cet Objet rangera bien des Cœurs sous sa Loi.
Quand sa Mère était Fille, elle était aussi belle,
Ah ! discours trop piquants ! louange trop cruelle !
Laissons là le Passé, si le Présent est beau,
Mes Appas, avant moi, n’iront point au Tombeau.
Si l’on examinait les traits de mon Visage,
Qui ne démentent point ceux de mon plus bas âge,
On verrait le sujet qui cause mon ennui ;
Mais ayant près de moi Belamire, aujourd’hui
Sans paraître plus vieille, on dirait que mon âge
Se voit dans sa grandeur plus que sur mon Visage ;
Je tâche, vainement, de flatter ma douleur,
En me représentant que je parais sa Sœur,
Et que dessus mon Front, tant de jeunesse brille,
On la connaît trop bien, l’on sait qu’elle est ma Fille.
JACINTE.
Mais quoi ! la marier, c’est l’éloigner de vous,
Et je ne comprends point, je l’avoue entre nous,
Pourquoi vous prétendez rompre son mariage,
Ni pour quelle raison j’entreprends cet Ouvrage.
LUCINDE.
Quoi, tu ne connais pas, toi qui sais mes Secrets,
Pourquoi j’agis ainsi, ni pour quels intérêts ?
Apprends que ma douleur deviendrait bien amère,
Si par ce triste Hymen je devenais Grand’Mère.
Quoi, Grand’Mère ! Ah ce nom m’effraie au dernier point.
Sois sûre qu’Arimant ne l’épousera point :
Et puis si j’ose, enfin, te l’avouer sans honte,
Je crois bien mériter les douceurs qu’il lui conte.
Comme tu me connais, tu l’as pu soupçonner,
Et m’as désobligée à ne pas deviner.
JACINTE.
Je devinais fort bien, et n’osais vous le dire ;
Mais je veux qu’Arimant lui laisse Belamire,
Qu’il n’adore que vous : croyez assurément,
Que dans peu cette Belle aura quelque autre Amant.
LUCINDE.
J’y vais mettre bon ordre, et je veux que ma fille
Suive mes volontés, en épousant la Grille.
J’agirai doucement, va la faire venir,
Et viens voir de quel air je vais l’entretenir.
Jacinte entre dans la chambre de Belamire.
Scène II
LUCINDE, seule
Je l’aime, mais aussi je m’aime un peu plus qu’elle,
Je ne la puis souffrir, pour ce qu’elle est top belle.
Plût au Ciel qu’Arimant lui trouvât moins d’Appas,
Je pourrais me résoudre à ne l’éloigner pas.
Scène III
LUCINDE, BELAMIRE, JACINTE
LUCINDE.
Ma Fille, approchez-vous ?
BELAMIRE.
Que voulez-vous, ma Mère ?
LUCINDE.
Ma Fille, de ce nom tâchez de vous défaire,
Vous le dites souvent, et sans nécessité :
Mais sachez que les Gens qui sont de qualité,
Ne disent point ma Mère, et qu’ils disent Madame.
Mais que je sens pour vous de trouble dans mon Âme !
Vous grandissez, ma Fille, et c’est pourquoi je dois,
Du Monde, ou du Couvent, vous faire faire choix.
Quand j’y songe un moment, ma peine est sans seconde,
Vous souffririez beaucoup, si vous restiez au Monde.
Eût-on de grands Trésors, fût-on d’un noble Sang,
Sans être mariée, on n’y tient point de rang.
Il faut donc s’embarquer dedans le Mariage ;
Mais l’on sait trop que c’est un pompeux Esclavage,
Un Charme dangereux qui sait nous éblouir,
Une Prison ouverte, et dont on ne peut fuir,
Un Plaisir sans appas, une Douceur amère,
Bref, le plus grand des Maux, et le plus ordinaire.
La Femme doit être humble, et servir son Époux,
Endurer son chagrin, endurer son courroux ;
Lorsqu’un Mari le veut, malgré nous il faut rire,
Manger sans avoir faim, pleurer quand il soupire,
Et par une rigueur pire que le Trépas,
Ne se point ajuster quand il ne lui plaît pas.
On souffre encor beaucoup dedans le Mariage,
Des Enfants qui nous font vieillir plutôt que l’âge ;
Un Époux, en mourant, peut laisser des Procès,
Qui nuisent à nos Biens, ainsi qu’à nos Attraits.
Tel est le Mariage : et par l’expérience,
On voit que ses Plaisirs n’ont rien que l’apparence,
Que tous les Hommes sont perfides, inconstants,
Et que leur plus grand feu ne dure pas longtemps.
On mène dans un Cloître, une plus douce vie,
De l’embarras du Monde, elle n’est point suivie,
Et c’est celle, à mon sens, que vous devez choisir.
BELAMIRE.
Je voudrais, de bon cœur, suivre votre désir,
Mais...
LUCINDE.
Suivez mes conseils, croyez que je vous aime,
Quand malgré mon amour, qui pour vous est extrême,
Malgré les Déplaisirs qu’en secret j’en ressens,
Je me fais violence alors que je consens
À vous laisser aller dans des Lieux où votre Âme
Ne doit jamais brûler que d’une sainte flamme :
Et quand je vous le dis, le juste Ciel connaît
Si c’est pour votre Bien, ou pour mon Intérêt.
BELAMIRE, en se reprenant.
Mais ma Mère... Excusez le trouble de mon Âme,
Me faisait oublier qu’il faut dire Madame.
LUCINDE.
Je connais que le Monde a pour vous des appas,
Vous vous perdez, ma Fille, et vous n’y pensez pas.
BELAMIRE.
Ne peut-on pas partout...
LUCINDE.
Plût à Dieu qu’à cet âge
Mon Bonheur m’eût offert un pareil avantage !
BELAMIRE.
Mais, mon Père, Madame, était-il Homme ?...
LUCINDE.
Oui ;
Mais l’on en trouve peu de pareils aujourd’hui.
BELAMIRE.
Peut-être que le Ciel à mes vœux favorable,
Pourra dans Arimant, m’en donner un semblable.
LUCINDE.
Le Ciel dans vos Amours ne prendra point de part.
BELAMIRE.
Madame, il faut donner quelque chose au hasard.
LUCINDE.
Vous y serez trompée.
BELAMIRE.
Il est vrai, je puis l’être.
Mais quoi, ne faut-il pas qu’un Mari soit le Maître ?
LUCINDE.
Rentrez, impertinente, et ne répondez pas,
Ôtez ces Mouches-là, mettez des souliers bas,
Les hauts Talons pour vous ne sont pas à la mode,
Et puis cette chaussure est beaucoup incommode.
BELAMIRE.
Mais...
LUCINDE.
Mais rentrez, vous dis-je, et ne répliquez pas,
Faut-il qu’auprès de moi je voie tant d’appas ?
Scène IV
LUCINDE, JACINTE
LUCINDE.
Vois qu’elle paraît grande, et regarde, Jacinte,
Si mon Âme a sujet d’être ouverte à la plainte ?
Elle n’a pas quinze ans, et tu sais toutefois,
Que tout le monde veut qu’elle en ait vingt et trois.
Quoique je sois encor dans un assez jeune âge,
Je verrai, devant moi, chacun lui rendre hommage,
De ses brillants Appas connaître le pouvoir.
Ah ! devais-je souffrir qu’elle prît l’habit noir ?
Ce Penser me chagrine, et me rend inquiète.
JACINTE.
Madame, vous deviez lui laisser la Bavette ;
Mais puisque vous voulez lui ravir Arimant,
Je veux dès aujourd’hui, vous gagner cet Amant ;
Et je le vais convaincre à vous venir, lui-même,
Déclarer, que pour vous, son amour est extrême.
Je veux que ces Amants ne se puissent souffrir,
Que de leur Jalousie ils ne puissent guérir,
Et que leur peine enfin soit et forte, et durable.
Ne croyez pas, au moins, Belamire coupable,
Quand vous verrez tantôt l’amoureux Arimant
L’appeler inconstante, avec emportement.
Querellez-la pourtant, paraissez en colère,
Et laissez-moi le soin de conduire l’affaire.
LUCINDE.
Je te le laisse entier : mais sois sûre pourtant
Que je reconnaîtrai ce service important.
Scène V
JACINTE, seule
Pour moi, je veux toujours bien servir ma Maîtresse,
Elle a pour tous ses Gens une grande tendresse,
Et n’en met point dehors, sans les récompenser ;
Mais en servant sa Fille, elle peut me chasser.
Non, il ne faut jamais servir contre son Maître,
Puisqu’enfin, tôt ou tard, il peut le reconnaître :
Toujours au gros de l’Arbre on se doit attacher,
Et c’est le seul Appui que l’on doit rechercher,
Qui n’en tient qu’une branche, est mal en assurance,
Et la crainte pour lors, surpasse l’espérance.
Mais ce n’est pas assez des desseins que j’ai faits,
Il faut trouver moyen d’en venir aux effets.
Je tiens de Belamire, à propos une Lettre,
Qu’aux mains de son Amant je dois tantôt remettre ;
Comme elle est sans dessus, je puis facilement...
Mais jouons notre Rôle, et plaignons Arimant.
Scène VI
ARIMANT, JACINTE
JACINTE, feignant de ne le pas voir.
Qui l’aurait pu prévoir !
ARIMANT.
Mais qu’as-tu donc, Jacinte ?
Réponds-moi.
JACINTE.
La douleur dont mon âme est atteinte
Ne saurait s’exprimer... Ciel ! quelle lâcheté !
Faire pour le Marquis cette infidélité !
Quoi, trahir Arimant !
ARIMANT.
Hé ! quoi donc, Belamire...
JACINTE.
J’avais bien résolu de n’en jamais rien dire,
Mais vous m’avez surprise.
ARIMANT.
Hélas ! j’aurais juré
Qu’elle eût eu du mépris pour cet Évaporé,
Dont tout le Marquisat n’est rien qu’une Chimère,
Un Songe décevant, un Titre imaginaire ;
Et quoique mon Parent, j’avouerai qu’aujourd’hui
L’on voit fort peu de Gens qui soient plus fous que lui.
Cependant, il sait l’Art de divertir mon Père,
Et comme il a trouvé le secret de lui plaire,
Le bon Homme qui sait qu’il n’a pas trop de Bien,
Pour en rire souvent, ne lui refuse rien.
Il s’est mis depuis peu le bel air dans la tête.
JACINTE.
Je crois que c’est par là qu’il a fait la conquête
Du Cœur de Belamire.
ARIMANT.
Est-il possible hélas !
JACINTE.
L’Éclat, pour le beau Sexe, a de puissants appas ;
Et Belamire a cru, du moins je le présume,
Que l’on lui porterait la Queue en grand volume.
ARIMANT.
Quoi, d’elle tout à fait serai-je abandonné ?
JACINTE.
Voilà pour le Marquis ce qu’elle m’a donné.
Billet de Belamire.
Je croyais occuper une place en votre âme :
Mais qui peut bien passer un jour
Sans voir l’objet de son amour,
Montre trop qu’il a peu de flamme.
C’est assez vous faire savoir
Que je désire de vous voir,
Et ce que peut l’Amour dans le Cœur d’une Femme.
JACINTE, à Arimant.
Donnez.
ARIMANT.
Quoi, te la rendre !
JACINTE.
Ah ! gardez d’en parler :
Hé quoi, voudriez-vous bien me faire quereller ?
Si jamais Belamire en avait quelque indice,
Je n’aurais plus de lieu de vous rendre service.
ARIMANT, lui jetant la Lettre.
Dis-lui que désormais je ne veux plus la voir,
Que ses yeux sur mon cœur n’ont plus aucun pouvoir,
Que je la veux haïr, puisqu’elle est infidèle,
Et que je ne veux plus entendre parler d’elle.
Oui, dis-lui, que... Mais quoi ! mon cœur n’y consent pas.
Non... Va, dis-lui pourtant...
JACINTE.
Quoi ?
ARIMANT.
Je l’ignore hélas !
Dépeint-lui mon dépit, mon amour, et ma haine,
Parle-lui de mon feu, parle-lui de ma peine,
Dis-lui qu’elle est encor dedans mon souvenir,
Fais-lui bien voir sa faute, et la fais revenir,
Dis-lui que je l’adore, et que je lui pardonne.
Quoi, donc, lui pardonner lorsqu’elle m’abandonne !
JACINTE.
Ah ! vous l’aimer encor, et ce trouble d’esprit...
ARIMANT.
L’Amour ne peut régner avec tant de dépit.
Quoi, l’Ingrate, au mépris de ma persévérance.
Après m’avoir promis dès sa plus tendre enfance,
De ne changer jamais, et de n’être qu’à moi,
Cesse enfin de m’aimer, et me manque de foi !
Montre à tous, que son cœur est rempli d’autres flammes,
Et ne peut être exempt des faiblesses des Femmes.
JACINTE.
Savez-vous ce qui peut la faire revenir ?
ARIMANT.
Non.
JACINTE.
Je pourrai demain vous en entretenir.
Adieu, je suis pressée.
ARIMANT.
Encor un mot, de grâce,
Dis-moi, si tu le sais, ce qu’il faut que je fasse ?
JACINTE.
En feignant que sa Mère a su vous enflammer,
Et que votre dessein est enfin de l’aimer,
Vous jetterez bientôt le trouble dans son Âme,
Et la ferez songer à sa première flamme.
ARIMANT.
Pour lui faire dépit, je crois que dès ce jour,
Je pourrais bien passer de la Feinte à l’Amour.
JACINTE.
Ce serait un peu trop, gardez-vous de le faire,
On revient à l’Amour, en quittant la Colère.
ARIMANT.
L’Ingrate ! qui l’eût cru ?
JACINTE.
J’ai dit la vérité
Mais pour connaître mieux son infidélité,
Chez elle, tous les jours, ayez soin de vous rendre,
Avecque le Marquis, vous la pourrez surprendre.
Il vient, vous perdrez tout, si vous vous découvrez ;
Quand vous aurez tout vu, pour lors vous parlerez.
Scène VII
ARIMANT, LE MARQUIS
LE MARQUIS.
Hé bonjour, donc, Cousin.
ARIMANT.
Pourquoi ces révérences ?
Quand vous déferez-vous de vos impertinences ?
Tant de contorsions, de signes, et de cris,
Font de cinquante pas, reconnaître un Marquis.
LE MARQUIS, lui prenant la main.
La Joie, en te voyant, tellement me transporte...
ARIMANT.
Vous me rompez la main, en serrant de la sorte.
LE MARQUIS.
Que je t’embrasse donc.
ARIMANT.
Ah ! tout beau, c’est assez.
LE MARQUIS.
Souffre qu’encor un coup...
ARIMANT.
Cousin, vous me blessez,
Ce rude embrasement trop fortement m’oblige,
Je suis estropié, vous m’étouffez, vous dis-je.
LE MARQUIS.
Je ne te puis par là faire voir la moitié...
ARIMANT.
On peut plus sagement exprimer l’amitié.
Ces saluts du bel air, sentent trop les gourmades,
Vous étouffez les Gens avec vos embrassades.
Quand vous déferez-vous de toutes ces façons ?
LE MARQUIS.
À moi, Cousin, à moi, me faire des Leçons !
Tu veux railler, je crois.
ARIMANT.
C’est un avis sincère ;
Comme votre Parent, je ne me saurais taire.
LE MARQUIS.
Tu ne connais pas bien les Gens de qualité,
Quand tu crois que leur air n’a rien que d’éventé.
La liberté du Corps, loin d’être au rang des vices,
Fait voir que l’on sait bien faire ses exercices,
Et rien ne charme plus qu’un Homme bien dispos.
ARIMANT.
Mais pourquoi se voûter, et faire le gros dos ?
LE MARQUIS.
Cette habitude-là se prend auprès des Dames,
Lorsque l’on veut surprendre une place en leurs Âmes,
Et qu’on leur parle bas, pour faire des Jaloux.
ARIMANT.
Je le crois, mais adieu.
LE MARQUIS.
Cousin, que faites-vous ?
Sachez que votre Père est avec Belamire,
Et depuis ce matin, on a dû vous le dire.
Je dois l’y venir prendre, et je vais l’y trouver.
ARIMANT.
Son inhumanité me fait ici rêver.
Vous savez qu’au retour d’un funeste Voyage,
On me vint rapporter qu’il avait fait naufrage ;
Vous me vîtes alors, et vous n’ignorez pas
Avec quel déplaisir j’appris ce faux Trépas.
Cependant, vous savez qu’usant de violence,
Depuis ce grand retour, il règle ma dépense,
Et prétend m’obliger d’étouffer une ardeur
Que par son ordre exprès, j’ai fait naître en mon cœur.
LE MARQUIS.
Il voudrait t’empêcher d’adorer Belamire.
ARIMANT.
Il ne me veut plus voir vivre sous son Empire,
Et dit que je pourrai rencontrer aisément
Un plus illustre Objet, plus riche, et plus charmant.
LE MARQUIS.
Il est vrai, tu devrais quitter cette Coquette.
ARIMANT, à part.
Oui bien pour satisfaire à ta flamme secrète,
Lâche.
LE MARQUIS.
Que dis-tu là ?
ARIMANT.
Que même contre Toi,
Je la disputerais, qu’elle a reçu ma foi.
LE MARQUIS.
Si son Père avait pu se tirer du naufrage,
Déjà, depuis longtemps, tu serais en ménage.
Le tien à soixante ans, fut plus adroit que lui.
ARIMANT.
Quand j’y songe, je sens redoubler mon ennui.
LE MARQUIS.
La Mère craint de voir marier Belamire.
Mais votre père vient.
ARIMANT.
Et moi je me retire,
Et vous laisse avec lui.
LE MARQUIS.
Vous ne ferez pas mal.
Il ne sait pas qu’il a son Père pour Rival.
Scène VIII
LE MARQUIS, GÉRONTE
LE MARQUIS.
Vous avez à loisir, conté votre martyre.
GÉRONTE.
Déjà, depuis longtemps, j’ai quitté Belamire,
Et j’ai, voulant t’attendre, été chez Clidamis,
Qui loge, tu le sais, en ce même Logis.
LE MARQUIS.
Vous avez tantôt fait votre Cour à merveille.
GÉRONTE.
Belamire, il est vrai, n’eût jamais de pareille.
Comme Ami du Logis, par un heureux Destin,
On m’a laissé chez elle, entrer dès le matin :
Elle sortait du Lit, et se chaussait encore,
Et j’ai vu des Beautés dignes qu’on les adore.
Je n’y saurais songer qu’avec mille transports,
Son habit laissait voir la forme de son Corps,
Car rien ne le couvrait qu’une Jupe légère,
Comme au sortir du Lit, elle en met d’ordinaire.
C’est alors qu’en mon Cœur, imprimant ses Appas,
Mon œil se figurait ce qu’il ne voyait pas.
J’ai moins senti de feu, pendant tout mon jeune âge,
Car je le sentais lors, monter sur mon Visage ;
Et dans la forte ardeur de mes désirs brûlants,
Je sentais que mes yeux étaient étincelants,
Et répandaient un feu qui lui faisait connaître,
Que de ma passion je n’étais plus le Maître :
Et cependant qu’ainsi je me sentais brûler,
Quand je ne disais mot, je croyais lui parler.
J’avais lors des plaisirs mêlés de douces peines,
Je sentais tout mon sang bouillir dedans mes veines,
Je sentais ce qu’on sent lorsque l’on ne sent rien,
Ou que pour trop sentir, on ne se sent pas bien.
LE MARQUIS.
Peste ! tous ces transports marquaient peu de vieillesse !
GÉRONTE.
Aussi je sens encor un reste de Jeunesse,
Mais si fort, que sans cesse, il trouble mon repos.
LE MARQUIS.
Vous avez de l’ardeur jusques au fonds des os.
GÉRONTE.
Ce n’est pas tout encor, cette Beauté parfaite,
Un peu de temps après, s’est mise à la Toilette ;
Tant qu’elle s’est tenue assise à son Miroir,
J’ai goûté doublement, le plaisir de la voir ;
J’en voyais deux pour une, et sa Glace fidèle
M’en présentait encor une Image si belle,
Que je suis assuré qu’elle ne saurait voir
Un Objet aussi beau, que dedans son Miroir.
Ensuite, elle a défait, pour croître mon martyre,
Ses beaux et blonds cheveux que tout le monde admire :
La Nature jamais n’en a fait de si longs,
Puisqu’on les voit tomber jusques à ses talons.
Pendant qu’on les peignait, prenant bien mes mesures,
J’en ai, sans être vu, ramassé ces peignures.
Il les tire d’un papier qu’il a dans sa poche, et les brise.
Que voilà qui contente un Cœur bien amoureux !
Souvent, lorsqu’elle avait sa main à ses cheveux,
J’ai vu jusques au coude, un Bras incomparable.
LE MARQUIS.
Sans l’autre, ce beau Bras n’aurait point de semblable.
GÉRONTE.
J’en admirais le tour, quand, contre son dessein,
Une Épingle, en tombant, m’a fait voir son beau Sein.
Je n’en saurais parler, qu’aussitôt dans mon Âme,
Ce penser qui me plaît, ne réveille ma flamme.
Dès qu’on le voit paraître, on est tout hors de soi,
On eût dit qu’il voulait soupirer avec moi,
Et qu’il prenait pitié de mon secret martyre.
Ah ! qu’il est doux de voir un beau Sein qu’il soupire !
Un doux saisissement, un frisson plein d’ardeur,
À cette vue, a mis le trouble dans mon cœur ;
Je suis resté sans force, et même sans parole :
Mais ce qui fait qu’à peine encor je me console,
Est qu’en l’admirant trop, je suis à ses genoux,
Tombé tout interdit, sans vigueur, et sans pouls.
Mais comme elle ignorait d’où venait ma faiblesse,
Elle a su l’imputer d’abord à ma vieillesse,
Et cependant c’était d’un grand excès d’amour.
LE MARQUIS.
Vous avez dû par là, faire bien votre Cour.
GÉRONTE.
Je n’ai pu lui parler du Feu qui me dévore,
Je tremblais, en voyant cet Objet que j’adore,
Et l’Amour m’imposant de trop sévères Lois,
J’ai commis à mes yeux, l’office de ma voix.
Mais comme tu peux voir cette adorable Belle,
Et qu’elle aime à te voir venir souvent chez elle,
Pour dire qu’elle voit les Gens de qualité,
Car tu sais que le Sexe a cette vanité,
Découvre adroitement les Secrets de son Âme ;
Écoute si mon Fils parle encore de sa flamme,
Car tu sais, entre nous, l’ordre qu’il a de moi,
Et tu sais même enfin, qu’il ignore pourquoi.
LE MARQUIS.
Savez-vous qu’à moi-même il est venu s’en plaindre.
GÉRONTE.
Vois, si je n’aurais point d’autre Rival à craindre ;
Et crois que si je viens à bout de mes souhaits,
Toujours du Marquisat j’entretiendrai les frais.
LE MARQUIS.
Je vous pourrai dans peu donner quelque lumière,
Et je vous servirai de la belle manière ;
J’écarterai tous ceux qui voudront lui parler,
Tout le Monde fait jour aux Galants du bel air.
ACTE II
Scène première
LUCINDE, JACINTE
LUCINDE.
Je connais que Jacinte est Fille de parole.
JACINTE.
D’un mari trépassé, le futur vous console :
Mais ne craignez-vous point qu’il ne revienne ?
LUCINDE.
Hélas !
Je crois qu’il est bien mort.
JACINTE.
Oui, s’il n’en revient pas :
Mais on revient souvent, d’un aussi long Voyage ;
On peut ressusciter, quand on a fait naufrage ;
Quoiqu’un Homme ait été blessé mortellement,
Et qu’un Ami l’ait vu porter au Monument,
Il en revient encor, et souvent dans l’Histoire
On voit des incidents moins faciles à croire.
LUCINDE.
Quand il mourut, Géronte était avecque lui :
Mais ne m’en parle plus, car je mourrais d’ennui.
JACINTE.
Parlons, donc, d’Arimant, peut-être que votre Âme...
Mais qu’avez-vous encor ? Vous soupirez, Madame ;
Gardez que le chagrin ne ternisse vos yeux ;
Qui prend un Mari neuf, doit oublier le vieux,
Puisqu’en se mariant, on promet...
LUCINDE.
Ah ! Jacinte,
La douleur dont je sens mon Âme est atteinte,
Est de ne pouvoir pas oublier Arimant :
Quand le défunt mourut, je crus absolument,
Que pour d’autre jamais, je n’aurais le cœur tendre ;
Cependant, Arimant me force de me rendre.
JACINTE.
Ne songer qu’aux vivants, laissez les morts en paix.
Quand j’examine bien, tant d’aimables attraits,
Et que je jette l’œil dessus votre Visage,
Je vois que vous pouvez songer au Mariage.
LUCINDE.
Ma Fille est aussi jeune, et plus belle que moi.
JACINTE.
Eh !
LUCINDE.
L’on n’en peut douter.
JACINTE.
Il est vrai, je le crois.
Faut-il que la Nature ait des Lois si sévères,
Et que les Filles soient plus jeunes que les Mères,
Lorsque les Mères sont aussi belles que Vous ?
C’est un cruel abus, et j’en suis en courroux :
Car enfin si le Sort voulait que Belamire
Ne fût point votre Fille, on pourrait fort bien dire,
Que vous êtes plus jeune, et vos brillants Appas,
Persuaderaient bien qu’on ne se trompe pas.
Allez, consolez-vous, vous êtes au bel âge,
Une Mère a toujours plus d’esprit en partage,
Cela console assez, d’une douzaine d’ans.
Votre Fille est encore au nombre des Enfants,
Et vous avez enfin l’avantage sur elle,
D’être avec votre esprit, plus formée et plus belle.
Que vous avez d’éclat ! que vos charmes sont doux !
Je suis, ma foi, Madame, amoureuse de Vous.
Que vos Mouches sont bien ! que vous êtes bien mise !
Qui pourrait près de Vous, conserver sa franchise ?
Que vos yeux sont brillants ! que votre teint est clair !
Outre tous vos appas, vous avez le bon air,
Vous charmez tout le Monde, et jamais Belamire
Ne verra tant que vous, de Cœurs sous son Empire.
LUCINDE.
Elle est, toutefois, belle.
JACINTE.
Et vous l’êtes aussi.
LUCINDE.
Mon âge, plus que tout, me donne du souci.
Pour le persuader, quelque effort que je tente,
Avouant mes trente ans, on en croira quarante.
Mais je vois Arimant.
JACINTE.
La Dupe est-elle à nous ?
Il vient vous assurer, qu’il n’adore que Vous.
Scène II
LUCINDE, ARIMANT, JACINTE
ARIMANT.
Madame, je sais bien que je vais vous surprendre ;
Mais quand l’Amour commande, on ne s’en peut défendre ;
Qui choisit bien le temps, pour découvrir son feu,
Fait ordinairement savoir qu’il en a peu ;
Le trouble sied bien mieux, quand l’amour est extrême,
Et trop de jugement, ne prouve pas qu’on aime ;
Comme pour Vous mon cœur brûle depuis longtemps,
On ne me doit pas mettre au rang des Inconstants.
Avant qu’on m’eût jamais parlé de Belamire,
Je vous aimais, Madame, et n’osais vous le dire.
Je sais que cette Belle a des charmes bien doux ;
Mais ils paraissent peu, quand elle est près de Vous.
LUCINDE.
Ma Fille n’est pas laide, et chacun le confesse,
Mais cet éclat lui vient de sa grande jeunesse,
Et tout le Monde dit, qu’on n’a vu de longtemps,
Une Mère aussi jeune, et de si grands Enfants.
Je n’avais que quinze ans, lors de mon Hyménée,
Et je la mis au jour dès la première année :
Elle a crû depuis peu, mais furieusement,
Et je n’y puis penser qu’avec étonnement.
ARIMANT.
Et la Mère, et la Fille, ont d’invincibles charmes,
Et l’on ne peut les voir, sans leur rendre les armes ;
Vos yeux, avec les siens, disputent de douceur,
Et je vois qu’on la prend toujours pour votre Sœur.
LUCINDE.
Bien d’autres, tous les jours, disent la même chose,
Et font, sans y penser, cette métamorphose :
Mais je crois n’avoir pas encor si peu d’esprit,
Que...
ARIMANT.
Toujours là-dessus, croyez ce qu’on vous dit ;
Cela n’est pas nouveau, dans beaucoup de Familles,
Les Mères sont souvent plus belles que les Filles :
Et pour moi, quand, quand je vois vos attraits surprenants,
Je crois ne voir en Vous, qu’un Objet de quinze ans.
LUCINDE.
Vous me faites rougir avec cette louange.
JACINTE, à part.
Qu’il sait bien lui gratter l’endroit qui lui démange !
ARIMANT.
Quand de vos yeux, Madame, on a senti les coups,
On peut avec raison, parler aussi de Vous :
Et voulant vous aimer d’une ardeur éternelle,
Vous êtes à mes yeux, aussi jeune que belle.
JACINTE, à part.
Voyez qu’il est adroit, de dire tout cela,
Et comme il la fait rire, en la prenant par là !
ARIMANT.
On voit dedans vos yeux un certain feu qui brille,
Qu’on ne saurait trouver dans ceux de votre Fille ;
Et vous avez, Madame, outre tous vos Appas,
Un certain air du monde, encor, qu’elle n’a pas.
LUCINDE.
Ne me déguisez rien, vous aimez Belamire,
Votre cœur a longtemps reconnu son empire ;
Mais, voyant, aujourd’hui, son infidélité,
Il a cru qu’il devait pencher de mon côté.
Je ne le puis nier, sa lâcheté m’irrite,
Et je n’estimerais pas moins votre mérite ;
Quand ses yeux vous auraient fait sentir leur pouvoir,
Comme elle a la première oublié son devoir,
Vous pouvez la quitter, sans montrer d’inconstance.
ARIMANT.
Je veux bien l’avouer, je l’aimai dès l’enfance.
Cependant, vous voyez comme je suis traité
De cette impérieuse et volage Beauté :
Non, je n’eusse jamais pu le soupçonner d’elle.
Ô Ciel ! qui l’eût pensé ! Belamire infidèle !
Belamire sans cœur, et sans amour pour moi !
Belamire perfide, inconstante, et sans foi !
LUCINDE.
Si vous la nommez tant, vous ferez bientôt croire...
ARIMANT.
Ah ! c’est pour la chasser plutôt de ma mémoire ;
Mon cœur plein de dépit, cesse de l’adorer,
Et je sens que l’Amour n’y saurait plus rentrer.
Est-il rien de plus noir que la lâche inconstance ?
Elle m’avait promis, dès sa plus tendre enfance,
D’être toujours fidèle, et de perdre le jour,
Plutôt que d’étouffer une si forte amour.
Cependant, aujourd’hui, la même Belamire...
Madame, obligez-moi de ne m’en plus rien dire.
LUCINDE.
Mais vous n’y songez pas, c’est vous qui m’en parlez.
JACINTE, à part.
L’Amour, assez souvent, rend les Amants troublés.
ARIMANT.
Comme elle me promit ici d’être fidèle,
Tout m’en fait souvenir, et tout me parle d’elle :
Mais voulant oublier un Objet si léger,
Je devrais fuir ces lieux, pour n’y jamais songer.
LUCINDE.
Ah ! vous l’aimez encor, et vous n’osez le dire.
Scène III
LUCINDE, ARIMANT, BELAMIRE, JACINTE
BELAMIRE, d’un peu loin.
Mais je vois Arimant.
ARIMANT.
J’aperçois Belamire.
Sa mère lui fait signe de rentrer, et elle se retire. Il l’arrête.
Quoi, faut-il, pour me fuir, abandonner ce lieu ?
Savez-vous que mon cœur brûle d’un autre feu ?
BELAMIRE.
Je dois vous excuser, si l’Objet est aimable.
ARIMANT.
Que malgré mon dépit, je vous trouve adorable !
LUCINDE, à Belamire, par derrière Arimant.
Sortez donc.
ARIMANT.
Ah ! souffrez qu’elle demeure ici.
LUCINDE.
Puisque vous le voulez, je le veux bien aussi.
BELAMIRE.
Je ne saurais vous voir, et je sens que mon Âme...
ARIMANT.
Quoique vous ayez fait, ne craignez rien, Madame.
Quand malgré le mépris qu’il doit avoir pour Vous,
Mon cœur sent encor plus d’amour, que de courroux,
La dois-je ainsi traiter, à cause qu’elle est belle ?
En se tournant vers Lucinde.
Non, je veux vous aimer d’une ardeur éternelle.
En se retournant peu à peu, vers Belamire.
Je l’ai juré, Madame, et toutefois hélas !
Que malgré mon dépit, je lui trouve d’Appas !
LUCINDE.
Lorsque vous me parlez, vous pensez à ma Fille.
ARIMANT.
Mon cœur veut demeurer dedans votre famille.
Il dit les six Vers suivants en se retournant toujours devers l’une, et devers l’autre.
En quittant Belamire, il vole devers Vous ;
Je trouve vos Appas plus charmants et plus doux,
De votre Esprit divin, la beauté me désarme,
Et la douceur m’en plaît, me ravit et me charme ;
Et je dois avouer que je l’aime beaucoup mieux...
Devers Belamire.
Mais il faut que toujours je rencontre ses yeux ?
LUCINDE.
Entrons dedans ma Chambre.
ARIMANT, à Belamire.
Entrons. Adieu, Madame.
Scène IV
BELAMIRE, JACINTE
BELAMIRE.
C’en est fait, le dépit s’empare de mon Âme :
Tantôt à tes discours j’ajoutais peu de foi ;
Mais je dois à présent, croire ce que je vois.
JACINTE.
Quoi, vous me soupçonniez ! J’avais tort de vous dire
Qu’il a pris votre Lettre, et qu’après, sans la lire,
Il l’a mise en morceaux, mais avec un transport
Qui me montrait assez que son amour est mort.
J’ai cru que votre nom réveillerait, peut-être,
Le feu que dans son cœur, vous sûtes faire naître,
Et je l’ai répété cinq, ou six fois...
BELAMIRE.
Hé bien,
Que t’a-t-il dit alors ?
JACINTE.
Vous le savez.
BELAMIRE.
Quoi ?
JACINTE.
Rien.
Mais ce qui vous devrait affliger davantage,
Est de voir que sur Vous, il a quelque avantage :
Car enfin votre Lettre...
BELAMIRE.
Ah ! c’est mon déplaisir.
Le mal est sans remède.
JACINTE.
Il en est à choisir.
Elle était sans dessus, et vous pouvez lui dire
Que ce n’est pas à lui que vous vous vouliez écrire,
Et lui nommer quelqu’un...
BELAMIRE.
Mais qui ?
JACINTE.
Qui vous voudrez.
BELAMIRE.
Mais encore.
JACINTE.
Cherchez, et vous en trouverez.
BELAMIRE.
Je ne puis.
JACINTE.
Quoi, de rien paraître embarrassée !
Nommez-lui le Marquis.
BELAMIRE.
J’en avais la pensée.
JACINTE.
Que de le bien punir, c’est là le vrai moyen !
On dit déjà qu’ensemble, ils ne sont pas trop bien,
Et qu’ils se veulent battre.
BELAMIRE.
Hé bien, donc, qu’ils se battent ;
Ne m’en parlent jamais, que leurs haines éclatent,
J’apprendrai, d’Arimant, la mort avec plaisir,
Elle ne peut trop contenter mon désir,
Et je dois d’autant plus blâmer son inconstance,
Que nous avions tous deux aimé dès notre enfance,
Et que presque aussitôt que nous vîmes le jour,
L’un pour l’autre, nos cœurs sentirent de l’amour.
Nous sûmes le goûter, avant que le connaître,
Nous ne savions pas bien ce que ce pouvait être ;
Il ne commença point d’abord par des soupirs,
Il nous fit, sans chagrin, goûter ses doux plaisirs ;
Et nos cœurs qui prenaient du plaisir à le suivre,
Semblaient plutôt formés pour aimer, que poursuivre.
Ce fut lui qui prit soin de former notre esprit,
On est bientôt savant, quand l’Amour nous instruit.
Dès nos plus jeunes ans, nous fûmes raisonnables,
Il nous fit mépriser les jeux de nos semblables ;
Nos plus grands soins étaient, de nous plaire tous deux,
De paraître toujours constamment amoureux ;
Au plaisir de nous voir, nous bornions notre envie,
Le plaisir nous semblait le plus doux de la vie,
Et je croyais alors, qu’on ne voyait le jour,
Que pour goûter en paix, les douceurs de l’Amour ;
Et mon cœur ayant pris cette douce habitude,
Ne croyait pas qu’on pût y trouver rien de rude.
JACINTE.
Que ce discours touchant, cause en moi de pitié !
Je prends part à vos maux, et j’en sens la moitié.
Je ne saurais pourtant m’empêcher de vous dire,
Quand même je devrais vous apprêter à rire,
Que je crois que Géronte a pour vous de l’amour :
Mais souvent le Marquis vient faire ici sa Cour !
Scène V
BELAMIRE, LE MARQUIS, JACINTE
JACINTE.
Quoi, sans votre Habit neuf ?
LE MARQUIS.
Savez-vous son histoire ?
BELAMIRE.
Non.
JACINTE.
Vous n’en aviez point, vous le faisiez accroire.
LE MARQUIS.
Comme il faut à la Cour être fort ajusté,
Et que les Courtisans ont cette vanité,
Je veux vous avouer, sans faire le modeste,
Que j’eus dernièrement, le désir d’être leste ;
Et que souhaitant fort me tirer du commun,
Faisant faire un Habit, j’en voulus avoir un
De qui l’étoffe fût aussi riche que belle :
Mais je voulus surtout, qu’elle fut bien nouvelle,
Et je souhaitais fort, s’il faut dire pourquoi,
Qu’aucun autre à la Cour, ne fût mieux mis que moi.
Mon Tailleur me promit une étoffe admirable,
Et me jura qu’aucun n’en aurait de semblable
Pour me le faire croire, il fit cent jurements ;
Et moi, de bonne foi, je crus à ses serments.
Cinq, ou six jours après, il me tint sa promesse,
Et je ne le pus voir, sans beaucoup d’allégresse ;
Car à vous dire vrai, je trouvai cet Habit
Encor cent fois plus beau qu’il ne me l’avait dit.
Je m’habillai d’abord, et je fus droit au Louvre :
Là, sitôt que de loin un chacun me découvre,
On vient pour m’admirer ; et sans être étonné,
Je me vis de cent Gens d’abord environné ;
Mon Habit les surprend, les ravit, les étonne.
Enfin, pendant une heure, il ne passe personne,
De qui cet Habit neuf ne reçoive un bonjour,
Et chaque Courtisan lui vient faire sa Cour.
L’un me prend d’un côté, puis un autre me tire,
Et me dit, qu’à loisir, il faut bien qu’il m’admire.
Je voyais de cent pas, venir des Curieux,
Qui du bout de la Cour, me dévoraient des yeux ;
L’un me prend ma Casaque, et puis un autre ensuite,
Me la tire à son tour, quand celui-là me quitte.
Je voyais des Jaloux admirer froidement,
D’autres me regarder avec étonnement ;
D’autres criaient tout haut, que cette étoffe est belle !
On n’en voit point encor, elle est toute nouvelle ;
Tout est bien entendu, voyez qu’il a d’esprit !
En saurait-on douter, en voyant son Habit ?
Enfin, de cet Habit, l’heureuse destinée
Fit qu’on parla de lui toute la matinée :
Le bruit s’en répandit dans chaque Appartement,
Et chacun s’entretint de mon ajustement.
J’en sentais un plaisir, qu’on ne peut bien décrire.
BELAMIRE.
Ce n’est pas d’aujourd’hui, que chacun vous admire.
LE MARQUIS.
Il est vrai que chacun cajola mon habit ;
Mais vous aller savoir ce qui me fit dépit.
BELAMIRE.
Vous n’en pûtes avoir, si j’en crois l’apparence.
LE MARQUIS.
Je me vantais déjà, qu’on ne pouvait en France
Trouver aucun Habit qui ressemblât au mien :
Et pour vous faire voir que je le croyais bien,
J’étais prêt de gager, alors que pour ma honte,
Avec un tout pareil, je vis entrer Oronte.
JACINTE, à part, à Belamire.
J’entends venir quelqu’un, c’est sans doute, Arimant.
BELAMIRE.
Ils se battront ici, cache-le promptement ;
Quoiqu’ils me touchent peu, je crains trop le scandale.
JACINTE, au Marquis.
Fourrez-vous là-dedans.
LE MARQUIS.
Mais...
JACINTE.
Mais que l’on détale.
BELAMIRE.
Entrez, pour m’obliger, je vais avecque vous,
Car je ne saurais voir Arimant sans courroux.
Scène VI
ARIMANT, JACINTE
ARIMANT, sortant de la Chambre de Lucinde.
Il le faut avouer, Lucinde est adorable,
On trouve en son Esprit, un charme inévitable :
Mais pour te dire tout, je sens dedans mon cœur,
Encor pour Belamire, une trop forte ardeur.
Quand on s’est une fois laissé charmer sans peine,
Ce n’est pas tout d’un coup que l’on passe à la haine ;
Et je crois, en songeant qu’elle a pu me charmer,
Que qui peut bien haïr, n’a pu savoir aimer.
J’y tâche en vain, et sens que cet effort est rude,
Que qui sait bien aimer, n’en perd point l’habitude,
Et que tout le dépit d’un cœur qui s’y résout,
Demeure au bruit qu’il fait, et n’en vient point à bout.
La haine, et le dépit, n’ont rien qui se ressemble,
Bien qu’on croie souvent, qu’ils s’accordent ensemble ;
Le dernier ne fait rien jamais de ce qu’il dit,
Et souvent l’Amour parle avecque le dépit :
Mais avant que sortir, je veux voit cette Ingrate,
Et devant elle il faut que ma colère éclate.
JACINTE, se mettant devant la porte, et faisant malicieusement les signes qu’il faut pour faire connaître qu’elle ne veut pas qu’Arimant regarde dans la Chambre.
Elle est dedans sa Chambre, et l’on ne la peut voir.
ARIMANT.
Quoi ?
JACINTE.
L’on ne peut, vous dis-je...
ARIMANT.
Au moins fais-moi savoir
Qui peut l’en empêcher.
JACINTE.
C’est qu’elle veut écrire.
ARIMANT.
Elle est en compagnie, et tu n’oses le dire :
Mais par ton action, je connais aisément...
JACINTE.
Je vois que vous allez faire un faux jugement.
ARIMANT.
Le Marquis l’entretient, il est trop véritable.
JACINTE.
Et quand cela serait, un Homme raisonnable
Qui se pique d’agir avec discrétion,
Devrait fermer les yeux, malgré sa passion.
Et ne pas témoigner, qu’il a bien su connaître,
Ce qu’on n’a pas dessein de lui faire paraître.
ARIMANT.
Ce discours est adroit, Jacinte, et je l’entends.
JACINTE.
Si vous m’entendez bien, c’est ce que je prétends.
ARIMANT.
Elle vient, et je dois quereller l’infidèle :
Mais quoi ! mon dépit cesse, en la voyant si belle.
Scène VII
ARIMANT, BELAMIRE, JACINTE
BELAMIRE, en approchant de la porte de la Chambre de sa Mère.
Sa présence m’aigrit, et je dois l’éviter.
ARIMANT.
Avant que de sortir, je devrais l’écouter.
BELAMIRE, en revenant peu à peu.
Mais avant que d’entrer, écoutons ce volage.
JACINTE, à Belamire.
Quoi, vous manquez de cœur ?
À Arimant.
Vous manquez de courage ?
ARIMANT, à Jacinte.
Crois que c’est malgré moi.
BELAMIRE, à Jacinte.
Mon cœur n’y consent pas.
ARIMANT, à Jacinte.
Que vous a-t-elle dit ?
BELAMIRE, à Jacinte.
Que disait-il tout bas ?
ARIMANT.
Madame, j’ose encor, vous faire une prière,
Que j’espère de vous obtenir toute entière.
Ayant ici reçu des traitements si doux,
Mon cœur n’a pas osé sortir hors de chez Vous ;
Et votre Mère étant, et jeune, et veuve, et belle,
Il n’a pu s’empêcher de soupirer pour elle.
Je crois qu’ayant appris qu’elle a su me ravir,
Près d’elle, assurément, vous voudrez me servir ;
Et que vous pourrez me nommer infidèle,
Puisqu’enfin je croirai vous adorer en elle.
BELAMIRE.
C’est bien fait, vous savez que j’aime le Marquis,
Et tantôt mon Billet doit vous l’avoir appris ;
Et comme vous savez qu’il règne dans mon Âme,
Je vous prie, à mon tour, de servir notre flamme ;
Il veut de votre Père en obtenir l’aveu,
De grâce priez-le de souscrire à son feu.
Vous ne pouvez trouver cette demande étrange.
JACINTE, à Belamire.
Que vous avez bien fait, de lui rendre le change !
ARIMANT.
J’y donnerai les mains, autant que je pourrai !
BELAMIRE.
Je parlerai pour Vous, et je vous servirai.
ARIMANT.
Mais faites-le sortir, vous le pouvez, Madame,
Après m’avoir pour lui, découvert votre flamme.
BELAMIRE.
Et qui donc ?
ARIMANT.
Mon Cousin, d’où naît cette rougeur ?
Elle ne paraît pas, pour me tirer d’erreur :
Mais elle me fait voir, que vous êtes coupable,
Et que je n’ai rien dit, qui ne soit véritable.
BELAMIRE.
Hé quoi ! vous me croyez criminelle à ce point !
ARIMANT.
Je vous rendrai mon cœur, s’il ne s’y trouve point :
Mais pour vous montrer mieux jusques où va ma flamme,
Jurez-moi que jamais il n’a touché votre âme,
Et quand vous me devriez dire une fausseté,
Faites-moi croire, au moins, que c’est la vérité.
JACINTE, à part.
Ce n’est pas là mon compte, il faut user d’adresse.
BELAMIRE.
Vous avez, sans sujet, douté de ma tendresse ;
Mon cœur n’a jamais pu souffrir que vous d’Amant.
JACINTE, sur le pas de la porte de la Chambre de Belamire.
Ste.
LE MARQUIS.
Hé bien.
JACINTE.
Suivez-moi.
LE MARQUIS.
Mais...
JACINTE.
Venez doucement.
ARIMANT, en arrêtant le Marquis.
Quoi, se pourrait-il bien... Mais celui-ci, Madame,
N’a-t-il encor jamais, eu de place en votre Âme ?
J’aurais eu tort de croire à votre repentir.
BELAMIRE, à Jacinte.
Gardez que dans la Rue il ne puisse sortir.
ARIMANT.
Voilà de votre amour, une preuve assez forte.
BELAMIRE, à Jacinte.
Il faudrait que là-bas on fermât bien la Porte.
En se tournant devers Arimant.
Ingrat, je laisse encor agir ma passion,
Et j’oublie aisément ma résolution.
LE MARQUIS.
Je ne puis rien comprendre à toutes ces grimaces.
ARIMANT.
Ne dois-je point encor vous rendre mille grâces,
Inconstante, perfide...
Scène VIII
ARIMANT, BELAMIRE, LUCINDE, JACINTE
LUCINDE.
Hé d’où vient donc, ce bruit ?
ARIMANT.
Demandez au Marquis, il en est bien instruit :
Vous le pourriez, encor, savoir de Belamire.
JACINTE, à part.
Tout va bien.
BELAMIRE.
Je voulais...
ARIMANT.
Ah ! gardez de rien dire.
J’ai soin de votre honneur, mais adieu pour jamais.
Au Marquis, en s’en allant.
Tu t’en repentiras, et je te le promets.
LE MARQUIS, en s’en allant.
Moi, tu sauras, dans peu, si je crains ta menace.
Scène IX
LUCINDE, BELAMIRE, JACINTE
JACINTE.
Madame, ils se vont battre.
LUCINDE.
Empêchez-les, de grâce.
JACINTE, en s’en allant.
N’en appréhendez rien.
LUCINDE.
Suis-les, donc, promptement.
BELAMIRE.
Hé quoi, mon cœur, tu crains pour un perfide Amant.
ACTE III
Scène première
LUCINDE, JACINTE
LUCINDE, sortant de sa Chambre, rencontrant Jacinte.
Quoi, tu reviens déjà ?
JACINTE.
J’ai tout dit à Géronte ;
Comme il en a fait faire une recherche prompte,
Et qu’on les a trouvés, il a fait à son Fils,
Sans éclaircissement, embrasser le Marquis.
Il semblait qu’il était de notre intelligence ;
J’en rends grâces au Ciel, encore quand j’y pense :
Mais j’ai bien de la peine à deviner pourquoi
Il fait croire à son Fils, Belamire sans foi.
Ce succès répond-il, Madame, à votre attente ?
LUCINDE.
Je dois, loin de m’en plaindre, en paraître contente :
Mais s’ils peuvent se voir, tu connaîtras un jour,
Qu’un dépit éclairci, rallume un fort amour.
JACINTE.
Si vous craignez cela, je...
LUCINDE.
Je crains davantage,
Quand sérieusement je songe au Mariage ;
Et... Mais tu m’entends bien ?
JACINTE.
Quoi ?
LUCINDE.
Mon Dieu, les Enfants...
JACINTE.
Je vous entends, nous font vieillir avant le temps,
Gâtent, souvent, la Taille, affaiblissent les Charmes,
Et donnent aux Beautés, d’éternelles alarmes :
Mais si vous craignez tant de courir ce hasard,
Il faut absolument faire...
LUCINDE.
Quoi ?
JACINTE.
Lit à part.
Vous le pourrez, étant d’assez grande naissance,
Et par là vos Beautés seront en assurance.
Cela rend les Maris toujours obéissants,
Respectueux, soumis, suppliants, languissants :
Mais si vous ne pouvez en être la Maîtresse,
Et qu’enfin, vous soyez réduite à la Grossesse,
Au Couvent, de bonne heure, envoyez vos Enfants,
Et faites ce qu’Iris a fait depuis deux ans.
Sa grande Fille étant dedans un Monastère,
Voulut revenir voir et le Monde, et sa Mère.
Elle l’en fit sortir, mais savez-vous comment
Elle fit voir le Monde à cet Objet charmant ?
Elle fit promener cette belle Crédule,
Au Cours, en plein Midi, pendant la Canicule,
Pour l’obliger par là, d’en avoir du dégoût.
Elle la tint toujours, ignorante de tout,
Lui fit voir des Galants brutaux et ridicules,
Fit dedans son Esprit, jeter mille scrupules ;
Et du beau Monde, enfin, lui cachant les plaisirs,
Et lui montrant les maux, elle eût d’autres désirs.
Ainsi, fort dégoûtée, elle pria sa Mère
De la vouloir bientôt, remettre au Monastère.
Pour les Garçons, encor qu’ils soient fort beaux Enfants,
Elle ne les voit point depuis cinq, ou six ans :
Deux sont dans un Collège, et deux sont à l’Armée.
Quand ceux-ci furent grands, elle en fut alarmée,
Et ses cruels attraits la bannirent d’abord,
Croyant qu’au Lit d’Honneur, ils trouveraient la mort.
Elle ne craint pour eux, ni fièvre, ni rougeole,
Et ne blâmeraient pas la petite Vérole,
Si par là...
LUCINDE.
C’est assez, Jacinte, je t’entends.
JACINTE.
J’en sais qui n’ont jamais, voulu voir leurs Enfants,
Et d’autres qui les font nourrir chez des Parentes,
Qui pour les élever, sont assez obligeantes.
LUCINDE.
Laissons là, le Prochain.
JACINTE.
Pour moi, je le veux bien,
Et puis n’en parler point, car je n’en sais plus rien.
LUCINDE.
Je rentre dans ma Chambre, et n’ai rien à te dire.
Si tu vois Arimant... Mais j’ai tort de t’instruire,
Si tu sais mieux que moi, comment tu dois agir,
Et je ne saurais plus t’en parler, sans rougir.
Scène II
JACINTE, seule
Puisque j’ai commencé, l’on peut me laisser faire ;
Je veux à mon honneur, sortir de cette affaire.
De l’amour du Marquis, l’on pourra s’éclaircir :
Mais j’ai d’autres moyens, encor, pour réussir.
Je pense que Géronte aime un peu Belamire,
Ce Vieillard la vient voir, la courtise, l’admire ;
C’est assez, quand pour elle, il n’aurait point de feu,
Pour m’aider à jouer encor un nouveau jeu.
Mais Arimant paraît.
Scène III
ARIMANT, JACINTE
JACINTE.
Ma peine est sans seconde ;
Pour vous faire enrager, on aime tout le Monde,
L’on cherche à vous déplaire et l’on prend aux cheveux
La moindre occasion qui peut nuire à vos feux.
De l’amour du Marquis, je ne sais plus que dire,
Votre Père, en secret, adore Belamire,
Et comme il n’ose encor, lui découvrir ses feux,
Elle semble courir au-devant de ses vœux.
Par des souris adroits, elle enhardit sa flamme,
Et fait tout ce que peut faire une adroite Femme,
Est complaisante en tout, et je crois que dans peu,
Il doit ouvertement, lui découvrir son feu.
Il sera bien reçu, comme elle a fait connaître,
En médisant tantôt ; Arimant croit, peut-être,
Que si pour le Marquis, mon cœur n’a point d’amour,
J’irai, pour l’apaiser, le rechercher un jour :
Mais comme il a dessein d’être un jour mon Beau-Père,
Je veux en même temps, être sa Belle-mère.
Ainsi, j’aurai par là moyen de me venger,
Et n’épargnerai rien, pour le faire enrager ;
D’un Vieillard Amoureux, je saurai gagner l’Âme,
Mais il pourra bien moins sur une jeune Femme.
ARIMANT.
À tout votre discours, j’ajoute aisément foi ;
Oui, mon Père l’adore, il est vrai, je le crois.
Puisque plus de cent fois, il est venu me dire,
Qu’il saurait m’empêcher d’épouser Belamire ;
Qu’il avait fait dessein de m’engager ailleurs,
Et jetait l’œil, pour moi, sur des Partis meilleurs.
D’un si prompt changement, j’ignorais le Mystère.
Si je n’ai pas la Fille, il faut avoir la Mère.
L’incident du Marquis, a chassé de mon cœur
Les restes languissants de ma première ardeur.
Je n’y veux plus songer, j’ai l’aveu de mon Père,
Et devant qu’il soit peu, j’épouserai sa Mère ;
Elle est encore jeune, elle a beaucoup d’Appas,
Et puis, pour se venger, que ne ferait-on pas ?
JACINTE.
Si Géronte consent à votre Mariage,
Il aime Belamire, en faut-il davantage ?
ARIMANT.
Mais je vois cette ingrate, et volage Beauté,
Je ne la puis souffrir, après sa lâcheté.
Scène IV
ARIMANT, BELAMIRE, JACINTE
ARIMANT.
Vous pouvez demeurer, je vous cède la place ;
Y rester avec vous, serait vous faire grâce ;
Mon cœur, à votre exemple, est devenu léger,
Et de mon premier feu j’ai su me dégager.
Mais bien que vous ayez du pouvoir sur mon Père,
Vous n’oserez, je crois, desservir votre Mère,
Et n’empêcherez point qu’un double Hymen, dans peu,
De Lucinde, et de moi, ne couronne le feu.
Je ne déguise point, c’est tout de bon, Madame,
Et je vais, de nouveau, l’assurer de ma flamme,
Lui dire qu’elle peut choisir l’heure, et le jour,
Qui doit aux yeux de tous, faire voir notre amour
Il entre en la Chambre de Lucinde.
Scène V
BELAMIRE, JACINTE
JACINTE.
Je connais par ce trouble, et par votre silence,
Que vous l’aimez encor, malgré son inconstance.
BELAMIRE.
Ah ! c’est trop me braver, et lasser mon ardeur,
Je dois entièrement, le chasser de mon cœur :
Oui, je veux qu’aujourd’hui, tout mon amour expire,
Si je n’en viens à bout, du moins je le désire :
Mais, hélas ! ce désir, meurt presques en naissant.
JACINTE.
Je croyais que l’Amour, sur vous, fut moins puissant.
BELAMIRE.
Comme il sut me charmer même dès mon Enfance,
Je sens que mon amour a tant de violence,
Que malgré moi, mon cœur est presque de retour,
Et qu’il veut repasser de la Haine à l’Amour.
Oui, lorsque je rappelle en ma triste pensée,
La violente ardeur de sa flamme passée,
Et les tendres transports dont il sut l’exprimer,
Mon cœur consent à peine, à ne le plus aimer.
Oui, quand je songe aux soins qu’il prenait de me plaire,
De me bien divertir, d’éviter ma colère,
À la peur qu’il avait de me choquer en rien,
À l’ardeur qu’il montrait d’avoir mon entretien,
À ses vives douleurs, à ses soins, à sa plainte,
Lorsque du moindre mal, je ressentais l’atteinte ;
Et quand je songe encor, à ses tendres soupirs ;
À ses profonds respects, et que tous ses désirs...
Mais dites, se peut-il qu’il me soit infidèle ?
JACINTE.
Je voudrais qu’il trouvât votre Mère moins belle,
Et que l’on pût douter de cette vérité.
BELAMIRE.
Faites-moi, donc, bien voir son infidélité,
Étouffez dans mon cœur, ma honteuse tendresse,
Donnez m’en de l’horreur, secourez ma faiblesse :
Mais vous devez, surtout, m’empêcher de le voir,
Si toutefois, sur moi, vous avez ce pouvoir.
Je sais bien que je puis, en déguisant ma flamme,
Dire que la fureur règne seule en mon Âme.
M’emporter, quereller, et malgré mon amour,
Mettre une feinte haine, et des mépris au jour ;
Mais je sens bien aussi, que malgré ma colère,
C’est le plus grand effort que mon cœur puisse faire.
Il le voudra du moins, et je crois qu’il le peut,
Si quand on aime bien, l’on peut tout ce qu’on veut.
JACINTE.
Mais je vois devers nous, Géronte qui s’avance.
Scène VI
BELAMIRE, JACINTE, GÉRONTE
GÉRONTE.
Madame, de mon Fils, vous savez l’inconstance,
Il tousse.
Et je viens... hais, hais, hais, pour vous, hais, hais, vous, vous...
JACINTE.
Mais d’où vous vient, Monsieur, cette méchante toux ?
GÉRONTE.
C’est une toux d’Amour.
JACINTE.
Vous aimez à votre âge !
GÉRONTE.
C’est à mon âge aussi, qu’on aime davantage,
Et que l’on peut aimer même plus constamment.
JACINTE.
Et qui, donc, aimez-vous ?
GÉRONTE.
C’est...
JACINTE.
Parlez librement.
La pudeur vous retient, et vous n’osez le dire.
GÉRONTE.
Je connais que mon cœur auprès de Belamire,
Me dit par un secret et fréquent battement,
Que je dois avouer que je suis son Amant.
BELAMIRE.
À votre Fils, Monsieur, je suis déjà promise.
JACINTE.
Faire sur sa Maîtresse une telle entreprise,
Et mettre contre lui, tant de flammes au jour,
C’est justement commettre un Inceste en Amour.
GÉRONTE.
Mon Fils est un Ingrat, un Lâche, un Infidèle,
Il adore Lucinde, et la trouve plus belle.
À Belamire.
Trouvez, pour m’empêcher d’entrer dans le Tombeau,
De votre lâche Amant, le Père, aussi plus beau.
Cette belle action vous couvrira de gloire.
JACINTE.
N’avais-je pas bien dit, Madame ? Il me faut croire,
Je sens l’Amour de loin.
GÉRONTE.
Quoique d’âge avancé,
Tout ce que j’eus de beau, n’est pas encor passé,
Je puis bien me vanter d’un peu de bonne mine,
D’avoir le teint fort frais, et la taille assez fine,
Je suis gai, vigoureux, et plus plein de santé,
Qu’aucun autre jamais, à mon âge ait été.
Mes yeux vifs, et brillants, parlent de ma tendresse,
Et font voir que jamais, la plus vive jeunesse,
Dans les bouillants transports de sa plus forte ardeur,
N’a senti plus de feu que j’en ai dans le cœur.
Outre tout mon amour, j’ai l’avantage insigne
De chanter bien encor.
JACINTE.
Chantez-vous comme un Cygne ?
Vous êtes aussi blanc.
GÉRONTE.
Parmi mes blancs cheveux,
On en trouve de bruns ; mais l’ardeur de mes feux
Vous devrait, ce me semble, assez faire connaître,
Que plutôt que les ans, le chagrin les fit naître.
Je fais encor des vers, comme en mon jeune temps,
Et j’en ai fait pour vous, de plus beaux qu’à vingt ans.
Je puis vous dire enfin, que pour vous, dans mon Âme
Je sens une cruelle, et violente flamme :
Si vous ne l’écoutez, vous me ferez affront,
Puisque je fais encor, ce que les autres font.
JACINTE.
Écoutez-le, Madame, afin que cette ruse
Alarme votre Amant.
BELAMIRE.
Monsieur, je suis confuse,
Et je dois avouer, que je ne croyais pas
Que vous pussiez aimer de si faibles Appas.
Mais je vois votre Fils qui vient avec ma Mère,
Je sens que sa présence excite ma colère ;
Et vous pouvez, enfin, commencer, aujourd’hui,
À me parler d’amour, et même devant lui.
Scène VII
GÉRONTE, BELAMIRE, LUCINDE, ARIMANT, JACINTE
Il faut que dans cette scène Géronte et Lucinde séparent les deux Amants : et que Jacinte soit au milieu de tout, un peu derrière.
ARIMANT, à Lucinde.
Je vous le disais bien, voyez-vous l’infidèle ?
GÉRONTE, à Belamire.
Oui, je veux vous aimer d’une ardeur éternelle ;
Je vous ai déjà dit, mon cœur est tout à vous,
Et dans peu, je prétends devenir votre Époux.
À Lucinde.
En vous donnant mon Fils, donnez-moi Belamire ;
Pour vous, avec plaisir, je consens qu’il soupire :
Mais vous devez, aussi, Madame, à votre tour,
Souffrir que cette Belle approuve mon amour.
JACINTE, à Lucinde.
Donnez-lui, vous pourrez n’être jamais Grand-Mère.
LUCINDE.
J’y consens de bon cœur.
ARIMANT.
Si quelque autre qu’un Père
M’enlevait un Objet qui cause tous mes vœux...
JACINTE.
Hé quoi, vous prétendiez vous marier à deux ?
N’aimez-vous pas Lucinde ?
ARIMANT, à Lucinde.
Il est vrai : mais, Madame,
Vous devez excuser le trouble de mon Âme.
BELAMIRE, à Arimant.
Quoi ? Vous l’épouserez ?
ARIMANT.
Ses charmes sont bien doux.
JACINTE, à Belamire.
Sachez que votre Mère est plus jeune que vous.
GÉRONTE, à Belamire.
L’aimeriez-vous encor ?
BELAMIRE.
J’oubliais son injure,
Et je ne songeais plus que ce n’est qu’un Parjure ;
Je ne puis souffrir, il m’est trop odieux.
ARIMANT, à Lucinde.
Je puis facilement trouver dedans vos yeux,
En se retournant vers Belamire.
De quoi me consoler. N’espérez pas, Madame,
Que je pense jamais à ma première flamme.
BELAMIRE, à Géronte.
De mon cœur pour jamais, je saurai le bannir.
Devers Arimant.
Croyez que mon amour ne peut plus revenir.
ARIMANT.
Eût-on pu le penser ?
BELAMIRE.
Aurait-on pu le croire ?
ARIMANT.
M’oublier !
BELAMIRE.
Me chasser sitôt de sa mémoire !
ARIMANT, à Lucinde.
Mais, Madame...
LUCINDE.
Il faudrait...
ARIMANT, à Lucinde.
Ne remarquez-vous pas,
Comme, de son amour elle lui parle bas ?
BELAMIRE, à Géronte.
Il le faut avouer, ma peine est sans pareille ;
Vous voyez que de sa Flamme, il lui parle à l’oreille.
À Arimant.
Vous serez donc mon Père ?
ARIMANT, à Belamire.
Et vous, ma Mère aussi ?
J’en ai peu de chagrin.
BELAMIRE.
Et moi, peu de souci.
ARIMANT, à Lucinde.
Je l’aimais toutefois, et malgré ma colère,
Je sens...
LUCINDE, à Arimant.
Est-ce par là que vous me voulez plaire.
ARIMANT, à Lucinde.
Ah ! Madame, excusez les transports d’un Amant.
BELAMIRE, à Géronte.
Il le faut avouer, je l’aimais tendrement,
Et sens, encor, pour lui, que mon cœur...
GÉRONTE, à Belamire.
Quoi, Madame,
Prétendez-vous par là, me prouver votre flamme ?
ARIMANT.
Pour la dernière fois, je la veux quereller.
BELAMIRE.
Pour la dernière fois, laissez-moi lui parler.
L’un passe par devant Lucinde, et l’autre par devant Géronte, et prennent tous deux le milieu, ils se trouvent l’un près de l’autre.
LUCINDE, à Arimant, en l’arrêtant.
Vous ne le devez point, gardez bien de le faire.
JACINTE, à Arimant.
Arrêtez...
ARIMANT.
Je prétends lui montrer ma colère.
GÉRONTE, à Belamire en l’arrêtant.
Que faites-vous ?
BELAMIRE.
Je veux lui montrer mon dépit.
Là ils se trouvent l’un près de l’autre.
Mais quoi ! Le cœur me bat !
ARIMANT.
Je suis tout interdit.
BELAMIRE.
Je ne saurais parler.
ARIMANT.
Je ne sais que lui dire.
BELAMIRE.
Quoi ? L’aimerais-je encor ?
ARIMANT.
Je crois que je soupire.
BELAMIRE.
Vous ne m’aimez, donc, plus ?
ARIMANT.
Vous ne m’aimez, donc, pas ?
BELAMIRE.
Parlez-vous ?
ARIMANT.
Parlez-vous ?
BELAMIRE.
Que puis-je dire, Hélas !
GÉRONTE.
Ce jeu qui me déplaît, lasse ma patience ;
J’ai voulu quelque temps, me contraindre au silence ;
Mais enfin, je connais que souvent les Amants
Se disent des douceurs dans leurs emportements,
Et que cher eux le nom d’Ingrat, et d’infidèle,
Veut dire, je vous aime, et marque trop de zèle.
À son Fils.
Cependant, est-ce ainsi que l’on doit m’obéir ?
En montrant Belamire.
Et devez-vous l’aimer, pour m’en faire haïr ?
Si vous montrez jamais d’amour à cette Belle,
Si j’apprends que jamais, vous soupiriez pour elle,
Je... Mais sortez d’ici.
ARIMANT.
Je ne veux plus l’aimer.
LUCINDE.
Il faudrait qu’elle sût un peu moins le charmer.
Scène VIII
ARIMANT, LUCINDE, BELAMIRE, GÉRONTE, JACINTE, ERGASTE
ERGASTE.
Madame, savez-vous que partout on publie
Le retour de Monsieur ?
JACINTE.
Ce n’était point folie ;
Je disais bien tantôt, qu’on pouvait le revoir.
LUCINDE, à Jacinte.
D’où peut venir ce bruit ? Va vite le savoir.
Elle sort avec Éraste.
GÉRONTE.
Las ! il n’est que trop mort, quand nous fîmes naufrage,
Il ne pût, comme moi, regagner le rivage ;
Et depuis ce malheur, dont j’ai beaucoup d’ennui,
Personne n’a reçu de nouvelles de lui.
Depuis quatre ans, je pleure un Ami si fidèle,
Et ce bruit est, sans doute, une fausse nouvelle.
Scène IX
LUCINDE, ARIMANT, BELAMIRE, GÉRONTE, JACINTE
JACINTE.
Ma foi, c’est tout de bon, il ne se trompait pas,
Et j’ai trouvé Cléon, qui l’assurait là-bas ;
Il vient, assurément, pour danser à la Noce,
Il est, peut-être, allé descendre chez Mandoce,
Croyant que le Festin se fait chez le Traiteur.
GÉRONTE.
Celui qui vous l’a dit, doit être un Imposteur.
JACINTE.
J’avais raison tantôt, Neptune le renvoie,
Pour venir prendre part à la commune joie.
Je crois que de son sort il aura pris pitié,
Ayant su qu’il avait une jeune moitié.
Scène X
LUCINDE, ARIMANT, BELAMIRE, GÉRONTE, JACINTE, LE MARQUIS
LE MARQUIS, à Lucinde.
Madame, savez-vous une grande nouvelle ?
LUCINDE.
Que serait-ce ? parlez.
BELAMIRE.
Hé bien donc, quelle est-elle ?
LE MARQUIS.
Cléante est de retour, je viens de le quitter.
Il est chez un Baigneur, et s’y fait ajuster :
Et comme il ignorait d’abord cette Demeure,
Pour l’apprendre, il voulait s’y reposer une heure.
LUCINDE, à part.
Que je crains de le voir !
GÉRONTE.
Par quel événement :
A-t-il pu se sauver ?
LE MARQUIS.
J’ai su confusément,
Qu’un Vaisseau qui passa, le sauva du naufrage :
Mais que le même, enfin, le mit en Esclavage.
GÉRONTE.
Mais puisqu’il va venir, nous saurons tout de lui.
LUCINDE.
J’en ressens de la joie, ensemble, et de l’ennui ;
De revoir un Époux, j’ai beaucoup d’allégresse,
Et de perdre un Amant, j’ai beaucoup de tristesse.
Adieu, je vais songer à mes secrets ennuis
Mais j’espère, dans peu, vous embrasser en Fils.
Belamire vous aime, et n’est point infidèle.
LE MARQUIS.
Pour moi, je m’en vais rire, ou pleurer avec elle.
Scène XI
GÉRONTE, ARIMANT, BELAMIRE, JACINTE
JACINTE, à Arimant.
C’est sur moi que devrait tomber votre courroux.
Belamire jamais, n’aima d’autres que vous.
À Belamire.
Je puis vous dire, aussi, qu’Arimant est fidèle ;
Et pour vous mieux prouver cette grande nouvelle,
Voilà votre Billet, qui n’est point déchiré.
À Arimant.
Elle vous l’écrivait, soyez-en assuré ;
L’incident du Marquis était un tour d’adresse,
Que je faisais jouer, pour servir ma Maîtresse.
GÉRONTE, à Jacinte.
Que nous viens-tu conter ? tu te moques de nous.
À son fils.
Si je vous vois, encor, lui faire les yeux doux...
ARIMANT.
Puis-je vous obéir, si l’Amour ne l’ordonne ?
BELAMIRE.
Si je n’ai votre Fils, je veux n’être à personne ;
Et puisqu’il me conserve une fidèle ardeur,
Vous n’obtiendrez jamais, ni ma main, ni mon cœur :
Mon Père de retour, voudra notre Hyménée,
Et c’est à votre Fils qu’il m’avait destinée ;
Vous savez qu’il l’aimait, et même tendrement.
ARIMANT.
Vous donnâtes alors, votre consentement.
GÉRONTE.
Que cela m’embarrasse !
BELAMIRE.
Hé quoi ! pour votre Fille,
Me refuseriez-vous ?
GÉRONTE.
Entrez dans ma Famille,
Je le veux, et ne puis en user autrement.
Je consens que mon Fils soit, encor, votre Amant ;
La Raison me l’ordonne, aussi bien que mon âge,
Et malgré mon Amour, je veux paraître sage.