La Mariane (François TRISTAN L’HERMITE)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du jeu de Paume du Marais, en 1636.

 

Personnages

 

HÉRODE, Roi de Jérusalem

THARÉ, son Capitaine des Gardes

PHÉRORE, Frère d’Hérode

SALOMÉ, sa sœur

MARIANE

ALEXANDRA, mère de Mariane

DINA, dame d’honneur, et confidente de Mariane

L’ÉCHANSON

LE GRAND PRÉVÔT

DEUX JUGES

SŒSME

L’EUNUQUE

LE CONCIERGE

NARBAL, gentilhomme, qui raconte la mort de Mariane

 

La Scène est en Jérusalem.

 

 

À MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLÉANS

 

MONSEIGNEUR,

 

Après l’estime que vous avez faite de cette Peinture parlante de MARIANE, je croirais diminuer beaucoup de son prix, si je n’avais l’honneur de la présenter à VOTRE ALTESSE. Vous avez payé trop prodigalement une si petite rareté, l’ayant appelée merveilleuse, et certes cette louange de la bouche d’un si grand Prince, m’invitera à de plus dignes reconnaissances que celle-ci. Je ne prétends pas aussi MONSEIGNEUR, m’acquitter par un si petit hommage, des honneurs que je dois à VOTRE ALTESSE : ce serait user d’actions de grâces trop communes, vers une Divinité si propice. J’espère bien de présenter quelque jour à vos Autels des offrandes plus recevables. Les Muses dispensatrices de la gloire, n’auront qu’à me fournir assez d’industrie pour ce beau dessein, je m’assure que vos illustres actions m’en donneront assez de matière. L’Ange qui veille pour le salut de la France, et qui travaille si glorieusement pour sa prospérité, ne l’a pas encore conduite jusqu’à la grandeur où elle doit arriver. Si la Justice et la Piété, accompagnées de la Valeur, ne promettent aux nobles projets du Roi, que des succès bien favorables ; les limites de cet État s’étendront au moins aussi loin sous le règne du victorieux LOUIS, que sous celui de CHARLEMAGNE : Et VOTRE ALTESSE servira sans doute beaucoup à ce digne établissement. Soit que vous commandiez une armée au-delà des Alpes, pour aller rechercher dans l’Italie les droits de vos prédécesseurs ; soit qu’avec de plus grandes forces, vous alliez ôter le joug à la Grèce, pour le donner à toute l’Asie, selon la loi des Oracles, MONSEIGNEUR ; Vous ferez des choses plus qu’humaines et qui feront entreprendre de beaux effets aux excellents esprits de ce siècle, afin de les immortaliser. Il ne faudra guère d’invention pour donner après ces emplois, beaucoup de splendeur à l’image de votre vie, il suffira si l’on peut représenter naïvement les lauriers dont vous serez Couronné. Je n’ai pas tellement vieilli au service de VOTRE ALTESSE, que je ne puisse encore espérer de voir ces progrès, et de produire même alors quelque Œuvre, qui rende témoignage de votre gloire, et de mon très humble zèle à votre service ; vous faisant avouer qu’après le plaisir qu’on sent à faire de belles actions, il n’y en a point d’égal à celui de s’entendre louer de bonne grâce. Je suis,

 

MONSEIGNEUR,

 

DE VOTRE ALTESSE

 

Le très humble, et très obéissant Serviteur,

 

TRISTAN L’HERMITTE.

 

 

À MONSEIGNEUR FRÈRE DU ROY,

allant en Picardie commander l’Armée de Sa Majesté

 

Ingrate cause de mes veilles,
J’ai trop écrit de désespoirs,
Sur les cruautés sans pareilles,
Dont tu rebutes mes devoirs.
GASTON qui va porter la guerre,
Aux extrémités de la Terre,
Me porte à changer de discours ;
Et j’aime mieux dans nos alarmes,
Chanter la gloire de ses armes,
Que la honte de mes amours.

Ce jeune et glorieux Achille,
À qui tant d’honneur est promis,
A déjà repris une Ville,
Et repoussé les Ennemis.
Le voilà déjà qui s’apprête,
Pour aller faire la conquête
D’une précieuse Toison,
Suivi de cent Héros d’élite,
Qui ne cèdent pas en mérite,
À ceux qui suivirent Jason.

Poursuit, GASTON, prends une pique,
Et va combattre à coups de main
Le ravissant lion Belgique,
Et le superbe Aigle romain,
Portant tes armes invincibles,
Contre des monstres si nuisibles ;
Par qui nos champs sont désolés.
Fais sortir après tant de Guerres,
De leurs ongles et de leurs serres,
Les États qu’ils nous ont volés.

Suis la Victoire qui t’appelle,
Écartant de toi le malheur,
Et gagne une Palme immortelle,
Qu’elle propose à ta valeur ;
L’Artois soupire en sa misère,
Sous une puissance étrangère,
Qui le tient en captivité :
Aujourd’hui ta fatale Épée,
Ne peut être mieux occupée,
Qu’à lui rendre sa liberté.

Milan dont l’horrible couleuvre,
Nous a tant dévoré d’Enfants,
Doit être le second chef-d’œuvre,
De tous ces exploits triomphants :
Le Pô dessus son lit humide,
Prédit de toi qu’un jeune Alcide,
Est sur le point de l’écorner ;
Et que de ta juste colère,
La Sicile aura le salaire,
Des Vêpres qu’elle fit sonner.

L’Art dont j’écris les belles choses,
N’attend que tes gestes guerriers ;
Comme je t’ai donné des roses,
Je te veux offrir des lauriers :
Fends les escadrons comme un foudre,
Et nous fait voir dessus la poudre,
Un nouvel Hector atterré.
Je dépeindrai si bien l’image,
Des merveilles de ton courage,
Qu’Alexandre en aurait pleuré.

Mais sois jaloux de cette gloire,
Que le temps ne pourra finir ;
Témoigne aux Filles de mémoire,
Qu’elles sont en ton souvenir,
GASTON, ces vierges connaissantes,
Attendent sans être pressantes,
Le bien qu’elles ont mérité ;
Et laissent aux lâches courages,
La poursuite des avantages,
Qu’on a par opportunité.

 

 

AVERTISSEMENT

 

Le sujet de cette Tragédie est si connu, qu’il n’avait pas besoin d’arguments. Quiconque a lu Josèphe, Lonare, Égésipe, et nouvellement le Politique malheureux, exprimé d’un style magnifique, par le Révérend Père Caussin ; sait assez quelles ont été les violences d’Hérode, qui furent fatales aux Innocents, et particulièrement à cette Illustre Mariane, dont il avait usurpé le lit et la liberté, avec la Couronne de Judée. Je me suis efforcé de dépeindre au vif l’humeur de ce Prince sanguinaire, à qui la Nature avait fait assez de grâces pour le rendre un des plus grands hommes de son siècle, s’il n’eût employé ces merveilleux avantages contre sa propre réputation, en corrompant des biens si purs par le débordement d’une cruauté sans exemple, et des autres vices qu’on a remarqués en sa vie. Vois cette peinture en son jour, et n’y cherche pas des finissements qui pourraient affaiblir en quelque sorte la hardiesse du dessein. Je ne me suis pas proposé de remplir cet ouvrage d’imitations Italiennes, et de pointes recherchées ; j’ai seulement voulu décrire avec un peu de bienséance, les divers sentiments d’un Tyran courageux et spirituel, les artifices d’une femme ennuyeuse et vindicative, et la constance d’une Reine dont la vertu méritait un plus favorable destin. Et j’ai dépeint tout cela de la manière que j’ai cru pouvoir mieux réussir dans la perspective du Théâtre ; sans m’attacher mal à propos à des finesses trop étudiées ; Et qui font paraître une trop grande affectation, en un temps où on fait plus d’état des beautés qui sont naturelles, que de celles qui sont fardées.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

HÉRODE, s’éveillant en sursaut

 

Fantôme injurieux qui trouble mon repos,

Ne renouvelle plus tes insolents propos ;

Va dans l’ombre éternelle, ombre pleine d’envie,

Et ne te mêle pas de censurer ma vie :

Je suis assez savant en l’art de bien régner,

Sans que ton vain courroux me la vienne enseigner ;

Et j’ai trop sûrement affermi mon Empire,

Pour craindre les malheurs que tu me viens prédire ;

Je donnerai bon ordre à tous les accidents,

Qui n’étant point prévus, perdent les imprudents.

Mais quoi ? Le front me sue, et je suis hors d’haleine !

Mon âme en ce repos a trouvé tant de peine,

Phérore paraît avec le Capitaine des gardes.

À se désabuser d’une fâcheuse erreur,

Que j’en suis tout ému de colère et d’horreur !

Holà...

 

 

Scène II

 

THARÉ, Capitaine des gardes, HÉRODE, PHÉRORE

 

THARÉ.

Que vous plaît-il, Sire ?

HÉRODE.

Ah ! voici Phérore.

PHÉRORE.

On me disait ici que vous dormiez encore.

HÉRODE.

Tu m’as bien entendu quand j’ai parlé tout haut ;

Je me suis éveillé tout à l’heure en sursaut,

Après la vision la plus mélancolique,

Qui puisse devancer un accident tragique.

PHÉRORE.

Les songes les plus noirs que l’on puisse inventer,

Seraient-ils suffisants de vous épouvanter,

Vous qui savez braver les forces indomptables,

Et qui craignez si peu les périls véritables ?

Ce sont des visions qui n’ont jamais d’effet.

HÉRODE.

Mon esprit est troublé du songe que j’ai fait :

Il m’en revient sans cesse une idée importune,

Qui ne doit m’avertir que de quelque infortune :

C’est un avant-coureur de quelque adversité.

PHÉRORE.

On ne doit pas en faire une nécessité ;

Ces apparitions sont comme les images

Qu’un mélange confus forme dans les nuages ;

C’est un sombre tableau d’hommes et d’animaux,

Qui ne fait arriver ni des biens ni des maux.

HÉRODE.

Quand tu nous fus ravi par un destin contraire,

Mon généreux aîné, brave et fidèle Frère,

J’appris ton accident par un même rapport :

Je fus par même voie averti de ta mort :

J’eus aux bords du Jourdain des visions cruelles,

Qui prévinrent le bruit de ces tristes nouvelles.

PHÉRORE.

Pour moi j’ai mille fois des songes observé,

Sans que de leur présage il soit rien arrivé ;

Et selon qu’un rabbin me fit un jour entendre ;

C’est les prendre fort bien que de n’en rien attendre.

HÉRODE.

Quelles fortes raisons apportait ce Docteur,

Qui soutient que le songe est toujours un menteur ?

PHÉRORE.

Il disait que l’humeur qui dans nos corps domine,

À voir certains objets, en dormant nous incline :

Le flegme humide et froid, s’élevant au cerveau,

Y vient représenter des brouillards et de l’eau :

La bile ardente et jaune, aux qualités subtiles,

N’y dépeint que combats, qu’embrasements de villes :

Le sang qui tient de l’air, et répond au Printemps,

Rend les moins fortunés en leurs songes contents :

Sa douce exhalaison ne forme que des roses,

Des objets égayés et d’agréables choses :

Et la mélancolie à la noire vapeur,

Où se logent toujours la tristesse et la peur,

Ne pouvant figurer que des images sombres,

Nous fait voir des tombeaux, des spectres et des ombres.

C’est ainsi que chacun aperçoit en dormant,

Les indices secrets de son tempérament.

HÉRODE.

Ainsi l’on songerait toujours les mêmes choses ?

PHÉRORE.

Les songes quelquefois viennent par d’autres causes ;

De même que les uns expriment nos humeurs,

Les autres bien souvent représentent nos mœurs.

L’âme d’un homme noble, encore qu’il repose,

Méprise la fortune, et l’honneur se propose :

Et celle du voleur, prévenant son destin,

Rencontre des Prévôts, ou fait quelque butin.

De même l’usurier en sommeillant repasse,

Et les yeux et les mains sur l’argent qu’il amasse :

Et l’amant prévenu de crainte ou de désirs,

Éprouve des rigueurs, ou goûte des plaisirs.

HÉRODE.

Ces expositions ne me contentent guères,

Ces principes communs ont des effets vulgaires ;

Et tu sais qu’autrefois l’Égypte remarquait

Aux songes importants que Joseph expliquait ;

Salomé entre.

Qu’il en est, dont l’image est heureux ou funeste ;

Nous annonçant la grâce, ou le courroux céleste ;

Quoiqu’il en soit, Phérore, écoute un peu le mien,

N’importe qu’il promette, ou du mal ou du bien.

 

 

Scène III

 

SALOMÉ, HÉRODE, PHÉRORE, SŒSME

 

SALOMÉ.

Vous plaît-il que j’entende aussi cette aventure,

Qui n’est à bien parler qu’une vaine peinture ;

Qu’un Énigme confus sur le sable tracé ?

HÉRODE.

Ne m’interromps donc pas quand j’aurai commencé.

La lumière et le bruit s’épandaient par le monde :

Et lorsque le Soleil qui se lève de l’onde

Élevant au cerveau de légères vapeurs,

Rend les songes qu’on fait plus clairs et moins trompeurs :

Après mille embarras d’espèces incertaines,

De rencontre sans suite, et de chimères vaines,

Je me suis trouvé seul dans un bois écarté,

Où l’horreur habitait avec l’obscurité,

Lorsqu’une voix plaintive a percé les ténèbres,

Appelant MARIANE avec des tons funèbres.

J’ai couru vers le lieu d’où le bruit s’épandait,

Suivant dans ce transport l’amour qui me guidait ;

Et qui semblait encor m’avoir prêté ses ailes,

Pour atteindre plutôt ce miracle des Belles :

Mes pas m’ont amené sur le bord d’un étang,

Dont j’ai trouvé les eaux toutes rouges de sang ;

Il est tombé dessus un éclat de tonnerre,

J’ai senti sous mes pieds un tremblement de terre,

Et dessus ce rivage, environné d’effroi,

Le jeune Aristobule a paru devant moi.

SALOMÉ.

Ô Cieux ! je serais morte étant en votre place,

Le sang à ce récit dans mes veines se glace.

PHÉRORE.

Je sens la même horreur dans mes os se couler.

HÉRODE.

Écoutez donc le reste, et me laissez parler.

Il n’avait point ici la Tiare à la tête,

Comme aux jours solennels de notre grande fête ;

Où tirant trop d’éclat d’un riche vêtement,

Il obligeait les Juifs à dire hautement,

Qu’une si glorieuse, et si noble personne,

Méritait de porter la Mitre et la Couronne,

Je ne l’ai reconnu qu’à la voix seulement ;

Il semblait retiré de l’onde fraîchement,

Son corps s’était enflé de l’eau qu’il avait bue,

Ses cheveux tous mouillés lui tombaient sur la vue,

Les flots avaient éteint la clarté de ses yeux,

Qui s’étaient en mourant tournés devers les Cieux ;

Il semblait que l’effort d’une cruelle rage,

Avait laissé l’honneur peinte sur son visage ;

Et que de sang meurtri tout son teint se couvrit,

Et sa bouche était morte encor qu’elle s’ouvrit.

Ses propos dès l’abord, ont été des injures,

Des reproches sanglants : mais tous pleins d’impostures.

Il a fait contre moi mille imprécations,

Il m’est venu charger de malédictions,

M’a parlé des rigueurs sur son père exercées,

M’imputant tous les maux de nos guerres passées :

Bref voyant qu’il osait ainsi s’émanciper,

À la fin j’ai levé le bras pour le frapper :

Mais pensant de la main repousser cet outrage,

Je n’ai trouvé que l’air au lieu de son visage :

Ainsi de violence, et d’horreur travaillé,

Avec un cri fort haut je me suis éveillé.

Voilà quel est mon songe : hé bien que vous en semble ?

Salomé, qu’en dis-tu ?

SALOMÉ.

Moi ? je dis que j’en tremble.

PHÉRORE.

Je ne cèlerai pas que j’en suis effrayé.

SALOMÉ.

C’est quelque avis du Ciel qui vous est envoyé.

HÉRODE.

L’avis à déchiffrer est si fort difficile,

Qu’il n’eût pu m’obliger d’un soin plus inutile.

SALOMÉ.

L’État d’un changement peut être menacé.

HÉRODE.

Ce qu’écrit le destin, ne peut être effacé,

Il faut bon gré, mal gré, que l’âme résolue,

Suive ce qu’a marqué sa puissance absolue :

De ses pièges secrets on ne peut s’affranchir,

Nous y Courons plus droit en pensant les gauchir.

L’homme à qui la fortune a fait des avantages,

Est comme le vaisseau sauvé de cent orages ;

Qui sujet toutefois aux caprices du sort,

Peut se perdre à la rade, ou périr dans le Port.

Mais qui me peut choquer ? et qu’ai-je plus à craindre ?

Au faîte du bonheur où l’on me voit atteindre ?

Rien n’est assez puissant pour me perdre aujourd’hui,

Si le Ciel en tombant ne m’accable sous lui :

Je ne puis succomber que par une aventure,

Dont le coup soit fatal à toute la Nature.

Tous les Asmonéens sont dedans le tombeau,

On voit dessus le Trône un Monarque nouveau,

Qui tient sous les Lauriers sa Couronne et sa Tête,

Pour jamais à l’abri des coups de la tempête.

Je sais bien quel support Auguste m’a promis,

Me voulant recevoir au rang de ses amis ;

Et j’ai tant de faveur auprès de son génie,

Que j’y suis assuré contre la calomnie :

Ceux qu’il aime le mieux d’entre ses Courtisans

Font cas de ma vertu, comme de mes présents ;

Et j’ai mille secrets par où le Jourdain libre,

N’a point à redouter la colère du Tibre.

De tout autre côté, pour braver le malheur,

Je suis assez muni de force et de valeur :

Que l’Arabe, le Parthe, et l’Arménie entière,

De trente légions menacent la frontière,

Avec un camp volant j’irai les affronter,

Et ferai leurs desseins à leur honte avorter.

J’irai les repousser au fond de leurs Provinces,

Et par tant de progrès humilier leurs Princes,

Qu’ils viendront confesser en recevant ma loi,

Qu’on ne profite guère à s’attaquer à moi.

SALOMÉ.

Les Princes vos voisins savent votre courage ;

Ils en ont fait l’essai dès votre plus bas âge :

Ils prêteront l’oreille à des conseils meilleurs,

Et leur ambition prendra son cours ailleurs.

HÉRODE.

Je n’avais pas quinze ans lorsque je pris les armes,

Lorsque j’allai chercher la mort dans les alarmes ;

Et si dès ce temps-là mon bras par mille exploits,

Domptait les Nations, et soumettait les Rois.

Que j’ai fait de combats, et gagné de batailles !

Que j’ai surpris de forts, et forcé de murailles !

Dans un champ spacieux, quand le fruit de Cérès

De ses tuyaux dorés enrichit les Guérets,

On ne voit guère plus de javelles pressées,

Que j’ai vu contre moi de piques hérissées,

Qui volaient en éclats partout où je donnais,

Dans la brûlante ardeur dont je les moissonnais.

PHÉRORE.

Vos belles actions se trouvent sans pareilles,

Jules, quoi que l’on die, avec plus de merveilles,

Et par moins de combats et de travaux divers,

S’était fait appeler Maître de l’Univers.

Vous avez surmonté mille fâcheux obstacles,

Et toute votre vie est pleine de miracles.

HÉRODE.

Dans ma condition, je serais trop heureux,

Si je n’étais pressé d’un tourment amoureux ;

D’un feu continuel, d’une ardeur sans mesure,

Qui tient incessamment mon âme à la torture :

Ou si je pouvais vaincre une sévérité,

Qui s’oppose au courant de ma prospérité.

Ô bonheur imparfait ! ô rigueur importune !

J’ai pour mes compagnons l’Amour et la fortune,

Ils ne me quittent point, ils suivent tous mes pas :

Mais l’un m’est favorable, et l’autre ne l’est pas.

L’un fait qu’à tout un peuple aujourd’hui je commande,

Et l’autre me refuse un cœur que je demande :

Un cœur que je ne puis ranger sous mon pouvoir,

En possédant le corps où je le sens mouvoir.

Aveugles Déités, égalez mieux les choses,

Mêlez moins de lauriers avecque plus de roses,

Faites qu’avec plus d’heur, je sois moins renommé,

Et n’étant point si craint, que je sois plus aimé.

C’est avecque raison que mon humeur est sombre,

Ma gloire n’est qu’un songe, et ma grandeur qu’une ombre :

Si lorsque tout le monde en redoute l’effet,

Je brûle d’un désir qui n’est point satisfait.

SALOMÉ.

Depuis qu’en votre lit Mariane est entrée,

Et par tant de soins elle est idolâtrée,

Votre Maison sans cesse est ouverte aux douleurs ;

On observe en vous deux que plaintes et que pleurs.

HÉRODE.

Mes plaintes sont toujours plus justes que ses larmes,

Pourquoi me parut-elle avecque tant de charmes,

Tant de rares vertus, et de divins appas,

Pour entrer dans ma couche, et pour ne m’aimer pas,

Faut-il que deux moitiés soient si mal assorties ?

Qu’un tout soit composé de contraires parties ?

Que je sois si sensible, elle l’étant si peu ?

Que son cœur soit de glace, et le mien soit de feu ?

PHÉRORE.

Après avoir acquis des honneurs à la guerre,

Qui vous font envier aux deux bouts de la terre,

Succombant dans la paix à d’invisibles coups,

Vous voulez que partout on ait pitié de vous.

HÉRODE.

L’erreur dont on m’accuse a troublé de grands hommes,

Soit aux siècles passés, soit au temps où nous sommes,

L’amour est tellement fatal à la valeur,

Qu’il n’est point de Héros exempts de ce malheur,

Celui qui de son poil tirait toute sa force,

Ne sut se détourner de cette douce amorce.

Et ce petit Berger qui devint un grand Roi,

Fut en ses derniers jours plus insensé que moi :

Antoine sous ce joug abaissant son courage,

À de moindres clartés s’éblouit davantage,

Pour suivre Cléopâtre il quitta son bonheur,

Et s’embarquant ainsi, fit naufrage d’honneur.

De moi tous mes desseins sont sans honte et sans crime :

Le feu qui me consume, est un feu légitime ;

Je n’ai pas des désirs que l’on puisse blâmer :

Car j’aime seulement ce que je dois aimer.

PHÉRORE.

Si dans la passion d’une amour conjugale,

De la Reine et de vous, l’ardeur était égale :

Qui pourrait condamner votre ressentiment ?

Ou voudrait s’opposer à cet embrasement ?

Mais quoi ? votre raison est vraiment endormie ;

Vous faites vanité d’aimer une ennemie,

Qui pour récompenser un traitement si doux,

N’applique son esprit qu’à médire de vous.

SALOMÉ.

Sans mentir cette erreur est digne de reproche ;

Quel plaisir prenez-vous de chérir une roche,

Dont les sources de pleurs coulent incessamment,

Et qui pour votre amour n’a point de sentiment ?

HÉRODE.

Si le divin objet dont je suis idolâtre,

Passe pour un rocher, c’est un rocher d’albâtre,

Un écueil agréable, où l’on voit éclater,

Tout ce que la nature a fait pour me tenter.

Il n’est point de rubis vermeils comme sa bouche,

Qui mêle un esprit d’ambre à tout ce qu’elle touche,

Et l’éclat de ses yeux veut que mes sentiments

Les mettent pour le moins au rang des diamants.

PHÉRORE.

La beauté toutefois doit être dédaignée.

Qui de bon naturel n’est point accompagnée.

HÉRODE.

Toute sa rigueur vient de sa chasteté,

Mais son humeur hautaine est pleine de bonté,

Quand le Parthe inhumain prit Hyrcane et Pharselle,

Je dus ma délivrance à son conseil fidèle ;

Sans cet insigne effet de sa secrète amour,

Je perdais à la fois, et le Sceptre et le jour ;

C’était fait de ma vie, et le traître Antigone

En me foulant aux pieds, remontait sur le Trône.

Cette obligation me touche tendrement,

Et me fait excuser ses dédains aisément ;

Je vois beaucoup d’orgueil en ses beautés divines :

Mais on voit rarement des roses sans épines.

Et puis il est bien juste à dire vérité,

Qu’elle garde entre vous un peu de majesté.

Mille Rois glorieux sont ses dignes Ancêtres,

Et on peut la nommer la fille de nos Maîtres.

SALOMÉ.

Elle en use donc bien, car on sait au Palais,

Qu’elle parle de nous comme de ses valets.

Et c’est de quoi pourtant nous ne ferions que rire,

N’était mille discours que l’on nous vient redire ;

Par où son cœur ingrat, avec émotion,

Témoigne contre vous sa noire intention.

HÉRODE.

Nous ne pouvons jamais, avecque bienséance,

Aux rapports des valets, donner tant de créance :

Ainsi que l’intérêt les a rendus flatteurs,

Notre facilité les peut rendre menteurs ;

Et même le mensonge est assez ordinaire,

À ces petites gens dont l’âme est mercenaire.

SALOMÉ.

Les miens n’ont pas le cœur, ni l’esprit d’inventer,

Tout ce que de la Reine ils me viennent conter.

HÉRODE.

Apprends-nous quelque trait de cette violence.

SALOMÉ.

Elle parle de vous avec une insolence,

Que sans beaucoup d’horreur on ne peut révéler,

Et que sans crime aussi l’on ne saurait celer,

Vous nomme à tous propos l’auteur de ses misères ;

Le tyran de l’État, le meurtrier de ses pères,

Et de mille raisons anime son courroux,

Pour faire soulever le peuple contre vous.

HÉRODE.

La Judée aujourd’hui soumise à ma puissance,

Ne trouve son bonheur qu’en son obéissance.

On ne peut l’émouvoir ainsi facilement,

Et je ne crois pas tout aussi légèrement.

Je connais Mariane, et sais qu’elle est trop sage,

Pour s’être abandonnée à tenir ce langage.

Si les Grands s’arrêtaient à tout ce qu’on leur dit,

L’imposture auprès d’eux aurait trop de crédit ;

On verrait dans les Cours une guerre éternelle,

Il faudrait chaque jour faire maison nouvelle.

SALOMÉ.

En cas de ces avis, pour se gouverner bien,

Il ne faut pas tout croire, et ne négliger rien.

HÉRODE.

Je la verrai bientôt cette belle indiscrète,

Je lui reprocherai cette injure secrète ;

Et sa bouche pourtant, avec un seul baiser,

Quand elle aura tout dit, pourra tout apaiser.

Sœsme écoute un mot.

Il appelle Sœsme et lui parle à l’oreille.

SALOMÉ.

Ô faiblesse indicible !

Parlant à Phérore.

Il est ensorcelé, le charme est tout visible !

Mais il faut s’employer à faire adroitement,

Dissiper la vertu de cet enchantement.

PHÉRORE.

Madame, cette amour est une maladie,

À laquelle il faudra que le temps remédie.

Nos avis aujourd’hui ne sont pas de saison.

Ce mal envenimé résiste à la raison.

HÉRODE, achevant d’instruire Sœsme.

Observe bien surtout en faisant ce message,

Et le ton de sa voix, et l’air de son visage :

Si son teint devient pâle, ou s’il devient vermeil,

J’en saurai la réponse en sortant du Conseil.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MARIANE, DINA

 

MARIANE.

Je croirais ton conseil, s’il était raisonnable :

Mais quoi ? Veux-tu que j’aime un monstre abominable ?

Qui du trépas des miens me parait tout sanglant ?

DINA.

Si vous ne l’aimez pas, faites-en le semblant ;

En cette occasion vous devez vous contraindre,

C’est un art excellent que de savoir bien feindre :

Lorsque l’on est réduit à cette extrémité,

De ne pouvoir agir avecque liberté.

MARIANE.

Moi ? que je me contraigne ? étant d’une naissance,

Qui peut impunément prendre toute licence ;

Et qui sans abuser de cette autorité,

Ne règle mes désirs que par l’honnêteté ?

Que mon cœur se démente, et trouve du mérite

À plaire au sentiment d’un Barbare, d’un Scythe.

Meurtrier de mes parents ?

DINA.

Madame, parlez bas.

MARIANE.

Si mon corps est captif, mon âme ne l’est pas :

Je laisse la contrainte aux serviles personnes,

Je sors de trop d’aïeux qui portaient des Couronnes,

Pour avoir la pensée, et le front différents.

Et devenir Esclave en faveur des Tyrans.

Qu’Hérode m’importune, ou d’amour ou de haine,

On me verra toujours vivre et mourir en Reine.

DINA.

Madame, le Palais est tout plein d’espions,

Qui veillent jour et nuit dessus vos actions ;

Depuis un certain temps Salomé tient à gages,

Pour cet office seul, des Filles et des Pages ;

Sans cesse à cette porte ils viennent écouter,

Quels sont tous vos propos, qu’ils lui vont rapporter.

MARIANE.

N’importe, laissons-les écouter à leur aise,

Ils n’auront pas le bien d’ouïr rien qu’il lui plaise.

DINA.

Le Roi vous a-t-il fait quelque nouvel ennui

Pour causer ces dédains que vous avez pour lui ?

MARIANE.

Quoi ? t’imagines-tu que la tragique histoire

De mes plus chers parents sorte de ma mémoire ?

Toujours les vieux Hyrcane et mon Frère meurtris

Me viennent affliger de pitoyables cris ;

Soit lorsque je repose, ou soit lorsque je veille,

Leur plainte à tous moments vient frapper mon oreille ;

Ils s’offrent à toute heure à mes yeux éplorés,

Je les vois tous sanglants et tous défigurés ;

Ils me viennent conter leurs tristes aventures,

Ils me viennent montrer leurs mortelles blessures,

Et me vont reprochant pour me combler d’ennuis,

Qu’avecque leur bourreau je dors toutes les nuits.

Il faut que le perfide achève ma disgrâce ;

Il en veut à mon sang, il en veut à ma race,

Il n’est pas satisfait pour avoir massacré

Un vieillard vénérable, un Pontife sacré

Qui le mit dans ses droits et dans son alliance,

Logeant en son appui toute sa confiance :

Ni pour avoir éteint d’une étrange façon,

Un innocent beau-Frère, un aimable garçon,

Le jeune Aristobule, hélas ! lorsque j’y pense,

Le cours de ma douleur emporte ma constance ;

J’ai le cœur si serré que je ne puis parler,

Et mon âme affligée est prête à s’envoler.

À peine il arrivait en son quatrième lustre,

Et l’on voyait en lui je ne sais quoi d’illustre,

Sa grâce, sa beauté, sa parole, et son port,

Ravissaient les esprits dès le premier abord.

Il était de mon poil, il avait mon visage,

Il était ma peinture, ou j’étais son image.

Puis les Cieux en son âme avaient mis des trésors,

Qui répondaient encore à ceux d’un si beau corps,

Et leurs grâces sur lui semblaient être tombées,

Pour relever l’honneur des braves Maccabées.

Celui qui vers le Nil emporta les portraits

Confessait tout ravi de ses charmants attraits,

Que dans la Palestine on élevait un homme

Qui valait bien les dieux qu’on adorait à Rome.

Le peuple que sa vue au Temple ravissait,

Admirant ses appas tout haut le bénissait,

Et ce Tyran cruel en conçut tant d’envie,

Qu’il fit soudain trancher le beau fil de sa vie ;

Ce clair soleil levant adoré de la Cour,

Se plongea dans les eaux comme l’Astre du jour,

Et n’en ressortit pas en sa beauté première,

Car il en fut tiré sans force et sans lumière.

Et puisque après cela je flatte l’inhumain

Qui ne vient que d’ôter la vie à mon germain ?

Plutôt le feu me brûle, ou l’onde son contraire,

Rende mon sort pareil à celui de mon Frère.

DINA.

Tous ces traits de malheur depuis longtemps passés,

De votre souvenir doivent être effacés :

Faut-il qu’à tous propos cette triste peinture,

Renouvelle vos pleurs sur une vieille injure ?

Que toujours votre esprit en vos ans les plus beaux,

Erre si tristement à l’entour des tombeaux ?

Madame, faites trêve avecque ses pensées,

Vos célestes beautés y sont intéressées,

Votre teint composé des plus aimables fleurs,

Sert trop longtemps de lit à des ruisseaux de pleurs.

Le temps et la raison sans doute vous invitent

À bannir ces ennuis qui vos jours précipitent :

On vous a fait des maux, mais pour ne rien celer,

On prend beaucoup de soin pour vous en consoler.

MARIANE.

Comment !

DINA.

Le Roi vous aime.

MARIANE.

Il m’aime, ô l’innocente !

DINA.

Il soupire toujours quand vous êtes absente,

Il vous nomme à toute heure, il compte tous vos pas ;

N’est-ce pas vous aimer ?

MARIANE.

Hé quoi ? ne sais-tu pas

Que cette âme infidèle est pleine d’artifices ;

Que ma perte dépend de ses premiers caprices ?

Et qu’au moindre hasard qu’il s’attend de courir,

Il ordonne aussitôt qu’on me fasse mourir ?

C’est le soin principal de cette amour extrême,

Et c’est à quoi naguère il obligeait Sœsme,

Lorsque tout effrayé pour Rhodes il partait,

Redoutant d’y trouver la mort qu’il méritait.

DINA.

Ce trait est sans mentir cruel et tyrannique,

Je ne demande plus quelle chose vous pique ;

Les ordres inhumains de cet esprit jaloux,

Font voir en cet endroit qu’il s’aime mieux que vous.

Mais quoi ? vous trouvant hors de ce péril extrême,

Vous aimant mieux que lui, dissimulez de même ;

Vous verrez quelque jour vos aimables enfants,

Les Tiares au front, heureux et triomphants ;

Au moins si par un trait de mauvaise conduite,

Votre mépris ne rend leur fortune détruite,

Ne perdez pas le soin qui les doit conserver :

Si le Roi vous attend il faut l’aller trouver.

Salomé se montre à l’entrée de la chambre.

MARIANE.

J’irai, mais ce sera pour lui faire paraître,

Qu’il est un parricide, un scélérat, un traître,

Et que je ne sais point de loi, ni de devoir,

Qui me puisse obliger désormais à le voir :

Le conseil en est pris.

DINA.

Ô Cieux ! je tremble toute.

MARIANE.

Pourquoi ?

DINA.

Tout est perdu, Salomé, nous écoute,

Que je hais ces esprits méchants et curieux !

 

 

Scène II

 

MARIANE, SALOMÉ

 

MARIANE.

Approchez-vous plus près, vous nous entendrez mieux.

SALOMÉ.

Je m’allais retirer vous croyant empêchée,

Et l’on dirait aussi que vous êtes fâchée.

MARIANE.

Une juste colère animait mon discours.

SALOMÉ.

C’est une passion qui vous émeut toujours.

MARIANE.

Je souffre aussi toujours une rigueur insigne.

SALOMÉ.

Vous avez des malheurs dont vous n’êtes pas digne.

MARIANE.

Je crois qu’on ne voit rien dans mes déportements,

Qui puisse mériter ces mauvais traitements.

SALOMÉ.

Vous êtes fort à plaindre en l’état où vous êtes,

Mais toutes les beautés ne sont pas satisfaites.

MARIANE.

Pour vous en vos destins vous n’avez que du bien.

SALOMÉ.

Vous sentez votre mal, et moi je sens le mien.

MARIANE.

Votre cœur relevé se plaint de la fortune ?

SALOMÉ.

J’ai bien d’autres ennuis dont le cours m’importune.

Mais ainsi que j’entrais, que disiez-vous du Roi ?

MARIANE.

Je me plaignais de lui comme il se plaint de moi.

SALOMÉ.

Je ne puis deviner ces grands sujets de plainte.

MARIANE.

C’est que ses Espions me tiennent en contrainte.

SALOMÉ.

L’innocence partout peut avoir des témoins.

MARIANE.

J’aurais plus de repos s’ils m’importunaient moins.

SALOMÉ.

Vous devriez dire au Roi combien cela vous blesse.

MARIANE.

Vous devriez l’avertir aussi de sa faiblesse.

SALOMÉ.

S’il a de la faiblesse, à votre jugement,

On ne l’aperçoit guère à son Gouvernement.

MARIANE.

Le déplorable état où l’on me voit réduite,

Est le plus rare effet de sa grande conduite.

SALOMÉ.

Vous y remarqueriez moins d’imperfection,

Si vous n’aviez pour lui beaucoup d’aversion.

MARIANE.

Je n’ai d’aversion que pour l’horreur du crime,

Mais tous les gens de bien l’ont en la même estime.

SALOMÉ.

S’ils ont ces sentiments ils en parlent bien bas.

MARIANE.

C’est qu’ils craignent la mort, et je ne la crains pas.

SALOMÉ.

C’est en dire un peu trop ; vous devez ce me semble,

Portez plus de respect au nœud qui vous assemble.

MARIANE.

Les respects qu’on lui doit me sont assez connus,

Car je n’ignore pas d’où vous êtes venus.

SALOMÉ.

Moi, j’ignore d’où vient cette haine apparente.

MARIANE.

Cette mauvaise humeur vous est indifférente.

SALOMÉ.

Si vous aviez pourtant quelque division,

Je m’offrirais à vous à cette occasion,

Et vous présenterais mes très humbles services.

MARIANE.

Vous me rendez toujours assez de bons offices.

SALOMÉ.

Je vous en rends bien moins que vous ne méritez.

MARIANE.

Le Ciel reconnaîtra toutes ces charités.

SALOMÉ.

L’honneur de vous servir m’est trop de récompense.

MARIANE, se lève.

Chacune de nous deux sait bien ce qu’elle en pense.

SALOMÉ.

Vous allez voir le Roi.

MARIANE.

Oui, j’y vais de ce pas,

Lui tenir un discours qui ne lui plaira pas.

SALOMÉ.

Vous ne lui direz rien qui lui puisse déplaire,

Il aime tout de vous jusqu’à votre colère.

MARIANE.

Et moi qu’il a rendue un objet de pitié,

J’abhorre tout de lui, jusqu’à son amitié.

SALOMÉ, seule.

Superbe, dédaigneuse, au courage invincible,

Ne t’imagine pas que je sois insensible :

Non, non, je ne suis pas de ces lâches esprits,

Qui peuvent aisément supporter un mépris ;

Souviens-toi que le mien ne reçoit point d’injure,

Qu’il ne rende aussitôt avec beaucoup d’usure :

Salomé sait fort bien comme il faut obliger,

Et n’est pas ignorante en l’art de se venger :

Nous n’aurons pas longtemps à souffrir ses caprices,

Mon intrigue est fatale à tous ses artifices,

J’ai gagné depuis peu le premier Échanson,

Qui doit lancer contre elle un trait de ma façon ;

Un trait noir qui portant la tristesse et la crainte,

Donne à l’âme crédule une mortelle atteinte,

Trouble les sentiments, et fait qu’en un instant,

L’ardente amour se change en courroux éclatant.

Cet homme en est capable, il est ma créature,

Et veut mettre pour moi sa vie à l’aventure :

Il faut hâter l’effet de ce juste dessein,

De peur que ce secret lui pèse sur le sein,

Qu’il en aille avertir un tiers qui nous trahisse,

Ou qu’en raisonnant trop il ne se refroidisse :

Mais ne le vois-je pas qui s’en vient droit à moi,

Déjà sur ce projet la peur lui fait la loi ;

Il porte sur le front une morne tristesse.

 

 

Scène III

 

L’ÉCHANSON, SALOMÉ

 

L’ÉCHANSON.

Pourrais-je dire encore un mot à votre Altesse,

Sur l’exécution de son commandement.

SALOMÉ.

Oui je l’écouterai ; parle donc hardiment.

L’ÉCHANSON.

Madame, en vous servant j’affronte des supplices,

Je m’en vais me conduire entre des précipices,

Dans un sentier glissant, où faisant un faux pas,

Je suis tout assuré d’arriver au trépas.

Il ne faudrait au Roi qu’une seule pensée,

Pour rallumer le feu de son amour passée,

Un doux ressouvenir de sa tendre amitié,

Un regard tout chargé de traits de la pitié,

La moindre émotion qui vienne à la traverse,

Une larme, un soupir, me choque et me renverse,

J’y vois mille périls : mais je les brave tous,

Car mon obéissance est aveugle pour vous :

Et puis vous m’assurez que par cette industrie,

Je m’expose à la mort pour sauver ma patrie.

SALOMÉ.

Si tu fermes les yeux pour m’exprimer ta foi,

Je le veux reconnaître ouvrant la main pour toi ;

Mais tu fais ta fortune, et t’acquiers une gloire,

Qui pourrait égaler l’honneur d’une victoire,

Tu préserves ton Roi d’un funeste accident,

Tu nous retires tous d’un naufrage évident.

Et dans cette entreprise où je te sers de guide,

Le labeur est léger et le prix est solide,

Tu vas en cet exploit par ma commission,

Tu n’avances du tien que sous ma caution :

C’est moi qui te présente, et c’est moi qui t’avoue,

Qui vais donner le branle et pousser à la roue.

Tu sais bien que le Roi croit assez de léger,

Et que c’est un esprit que je sais ménager.

Ton rapport va surprendre une âme défiante,

Crédule, furieuse, et fort impatiente,

Dans ce trouble excité, si tu fais ton devoir,

Il mordra l’hameçon sans s’en apercevoir,

C’est un appas subtil que je lui ferai prendre,

Sans qu’il ait le moyen de s’en pouvoir défendre.

Puis, pour ta sûreté tu seras averti,

Que Mariane même est de notre parti.

Son cœur envenimé d’une rage nouvelle,

S’entend avecque nous pour conspirer contr’elle :

Tout à l’heure en deux mots elle m’a fait juger,

Qu’elle va voir le Roi pour le désobliger :

Tu sais de quelle sorte il supporte une injure,

Sers-toi donc à propos de cette conjecture ;

Tout rit à nos desseins, tout répond à nos vœux,

L’occasion paraît, prends-la par les cheveux.

L’ÉCHANSON.

Ces puissantes raisons mettraient en assurance,

L’âme la plus timide et la plus en balance,

Mais puisque votre Altesse et les Cieux l’ont voulu,

Mon cœur sur ce sujet est assez résolu,

Tout ce qui me retient, c’est que je vais paraître,

Et devant un grand prince, et devant un grand Maître,

Qui sait ce qu’on veut dire avant qu’on ait parlé,

Et qui peut découvrir un cœur dissimulé.

Madame, en peu de mots vous plaît-il de m’apprendre,

La meilleure façon dont je puis le surprendre,

Ajoutez à mon ordre un peu d’enseignement,

Afin que mon effort succède heureusement.

SALOMÉ.

Il faut dans ce rapport par une adresse extrême,

Que pour le mieux tromper tu te trompes toi-même,

Figure-toi un fait d’un penser ingénu,

Comme si sans mensonge il était advenu ;

Puis ayant en ton âme imprimé cette image,

Laisse agir là-dessus ta langue et ton visage.

Je ne puis te donner de meilleur leçon :

Mais dis toujours le fait de la même façon ;

Crois toi-même l’horreur que tu veux faire croire,

Et prends garde en parlant de manquer de mémoire.

Dis ces mots à peu près. « Sire, de jour en jour,

« La Reine m’entretient sur un Philtre d’amour,

« Qu’elle voudrait mêler parmi votre breuvage,

« Afin de vous porter à l’aimer davantage :

« Mais connaissant assez l’excès de votre ardeur,

« Je trouve que ce philtre est de mauvaise odeur ;

« Vu même que tandis qu’elle m’en sollicite,

« Elle est mal assurée, et paraît interdite :

Là-dessus, mu de zèle et de fidélité,

J’en viens donner avis à votre Majesté,

De peur que par l’emploi de quelque autre Ministre,

Vous soyez prévenu d’un accident sinistre.

L’ÉCHANSON.

Je trouve ce discours fort propre à l’émouvoir,

Et j’espère, Madame, y faire mon devoir.

SALOMÉ.

La Reine en son quartier se sera retirée,

Porte donc ce propos d’une voix assurée.

Je m’y rencontrerai, feras-tu cet effort ?

L’ÉCHANSON.

Oui, Madame, dussé-je y rencontrer la mort.

 

 

Scène IV

 

HÉRODE, MARIANE

 

HÉRODE, chassant Mariane de sa chambre.

Va, va, je te tiendrai ce que je te promets,

Sors vite de ma chambre, et n’y rentre jamais.

Te rendre inexorable alors que je te prie !

Ingrate, mon amour se transforme en furie ;

Et déjà tous ses traits qui sortent de mon cœur,

Se changent en serpents pour punir ta rigueur.

Ce mépris me découvre un désir de vengeance,

Que je veux observer avecque diligence.

Désormais de ta part tout me sera suspect,

Je n’aurai plus pour toi ni bonté ni respect,

Et s’il advient jamais que dans cette humeur noire,

Tu lances quelque trait qui ternisse ma gloire,

Je le repousserai d’un air qui fera foi,

Qu’on ne doit pas manquer de respect à son Roi.

Salomé entre.

 

 

Scène V

 

SALOMÉ, HÉRODE

 

SALOMÉ.

Quel est donc le sujet qui vous met en colère ?

HÉRODE.

Celui qui tous les jours ne fait que me déplaire.

SALOMÉ.

C’est possible la Reine avec sa cruauté,

Car ces traits de rigueur n’ont point de nouveauté.

HÉRODE.

Tu l’as bien deviné, oui c’est cette cruelle,

Et le dernier affront que je recevrai d’elle.

SALOMÉ.

Vous en direz de même encore au premier jour.

HÉRODE.

Nullement, son mépris a détruit mon amour,

Je la hais maintenant à l’égal de la peste,

Et trouve que pour moi c’est un fléau céleste.

SALOMÉ.

Puis-je savoir quel est ce mécontentement.

HÉRODE.

Je m’en vais te l’apprendre, assieds-toi seulement.

Désirant de la voir, non sans impatience,

Je l’avais demandée avec beaucoup d’instance,

Quand cet esprit ingrat qui s’est senti presser,

M’a rendu ce devoir afin de m’offenser :

En vain je l’ai traitée avec toute l’adresse,

Dont un parfait amant oblige une Maîtresse :

Car travaillant sans fruit dans le soin que j’ai pris,

Mes faveurs ont toujours irrité ses mépris.

Toutes mes passions n’ont fait que lui déplaire,

Ses yeux étincelaient d’une injuste colère,

Et dans ses mouvements cruels et furieux,

Elle m’a dit des mots si fort injurieux,

Que ne pouvant souffrir une telle insolence,

Enfin je l’ai chassée avecque violence.

Voilà ce qui me pique, et me trouble si fort,

Vois quelle est sa manie, et me dis si j’ai tort.

SALOMÉ.

Oui, vous avez grand tort, et son ingratitude,

Devait vous affliger d’un traitement plus rude,

Puisque sans redouter ses dangereux effets,

Vous l’irriter sans cesse à force de bienfaits.

C’est un monstre d’orgueil et de méconnaissance,

À qui votre bonté donne trop de licence,

Si la faveur du Ciel ne détourne ses coups,

Sa malice à la fin se défera de vous.

HÉRODE.

Étant assez instruit de sa mauvaise envie,

Je l’empêcherai bien d’attenter sur ma vie.

SALOMÉ.

J’en doute ; notre sexe est fort vindicatif,

Et dans ses trahisons se rend bien inventif :

La tigresse qui voit enlever sa portée,

Est moins à redouter qu’une femme irritée.

Veuillez considérer que dans un juste effroi,

Pour votre sûreté je parle contre moi.

HÉRODE.

Je mettrai tant de gens à veiller autour d’elle,

Que son âme offensée, après cette querelle,

N’aura pas le moyen de prendre aucun parti,

Sans que tout à l’instant on m’en tienne averti :

L’huissier s’avance vers la chaire d’alcôve.

Son meilleur est d’avoir toujours la bouche close,

L’Huissier s’avance vers la chaise d’Hérode.

Autrement, qu’est-ce ?

SALOMÉ.

On vient vous dire quelque chose.

 

 

Scène VI

 

L’HUISSIER, HÉRODE, SALOMÉ, L’ÉCHANSON et LE CAPITAINE DES GARDES

 

L’HUISSIER.

Un de vos échansons à la porte arrêté,

Désire de parler à votre Majesté ;

Et proteste que c’est un avis d’importance,

Dont il doit tout soudain vous donner connaissance.

HÉRODE.

Un avis d’importance ? hé bien, fais-le avancer,

Quel serait cet avis ?

SALOMÉ.

Je n’en sais que penser.

HÉRODE.

Il est tout interdit ; qu’as-tu donc à me dire ?

L’ÉCHANSON.

Un complot qui regarde, et vous, et votre Empire.

HÉRODE.

Viens me conter ici le tout distinctement.

SALOMÉ, à part.

Si la fin se rapporte à son commencement,

La victoire est à nous, et pour cette orgueilleuse,

Cette nouvelle ruse est assez périlleuse,

Nous Courons dans la lice, et nos fronts à peu près,

Ont, le mien du laurier, et le sien du cyprès.

HÉRODE.

Ô noire perfidie ! ô trahison damnable !

Ô femme dangereuse ! ô peste abominable !

Elle t’a pratiqué pour me faire périr,

Moi qui voulais tout perdre afin de l’acquérir.

Il t’en faut assurer, ou bien tu te hasardes,

Holà ! qu’on vienne à moi,           

Parlant à part à son Capitaine des Gardes.

Capitaine des Gardes,

Prenez vos Compagnons, sans bruit et promptement,

Allez trouver la Reine en son appartement ;

Dites-lui qu’il s’agit au Conseil d’une affaire,

Où je tiens sa présence être fort nécessaire,

Phérore entre.

N’oubliez pas cet ordre, allez-y de ce pas,

Conduisez-la vous-même, et ne la quittez pas :

Car si vous y manquez, vous me répondrez d’elle.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Je ferai le devoir d’un serviteur fidèle.

 

 

Scène VII

 

PHÉRORE, SALOMÉ, HÉRODE

 

PHÉRORE.

Madame, qu’a le Roi, qui paraît interdit ?

SALOMÉ.

Nous le saurons tantôt, il ne m’en a rien dit.

PHÉRORE.

Voilà qu’il vient à nous tout changé de visage.

HÉRODE.

La Reine pour me perdre a mis tout en usage.

SALOMÉ.

Vous rebutiez toujours nos fidèles avis.

HÉRODE.

J’ai beaucoup de regret qu’ils n’ont été suivis.

Mais voyant le péril j’ose bien me promettre,

Que vous approuverez l’ordre que j’y vais mettre.

Il faut prévenir ceux qui se veulent venger,

Et courir de bonne heure au-devant du danger,

Assistez au procès qu’aujourd’hui je veux faire :

Toi

Se tournant vers l’Échanson.

ne t’éloigne pas, car tu m’es nécessaire.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

HÉRODE, au Conseil

 

Observant de l’État la blessure inhumaine,

Ôtons-en la partie où paraît la gangrène,

Opposons sagement l’antidote au poison,

Et gardons la rigueur contre la trahison.

Quoi n’amène-t-on point encor ma criminelle ?

Pour la faire hâter, qu’on aille au devant d’elle.

En cette occasion je veux l’interroger,

Et mettre son procès en état de juger.

Mais la voici qui vient avec autant d’audace,

Que si je l’attendais pour implorer sa grâce,

On dirait que l’altière en mesurant ses pas,

Dépite ma justice, et brave le trépas.

 

 

Scène II

 

HÉRODE, MARIANE, L’ÉCHANSON, PHÉRORE, SALOMÉ, DEUX JUGES, LE GRAND PRÉVÔT et LE CAPITAINE DES GARDES

 

HÉRODE.

Avance, malheureuse, hé bien méchante femme,

À qui j’avais donné la moitié de mon âme,

Et qui par le seul droit de cette sainte ardeur,

Partageais avec moi ma gloire et ma grandeur :

Dès sa conception ta race est avortée,

Ton piège est découvert, ta mine est éventée,

Et m’ayant pris pour but, par une juste loi,

La pointe de tes dards retourne contre toi ;

Voudrais-tu pallier ce crime manifeste,

Que nous a découvert la justice céleste ?

MARIANE.

Ces discours angoissés ont des obscurités,

Qui se rapportent fort au sang dont vous sortez.

HÉRODE.

Insolente, oses-tu me dire ces paroles ?

MARIANE.

Osez-vous m’accuser de ces crimes frivoles ?

HÉRODE.

Ce n’est que sur son Roi simplement attenter.

MARIANE.

Ce crime est fort nouveau, l’on vient de l’inventer :

Mais jamais votre esprit n’a manqué d’artifice,

Pour perdre l’innocent sous couleur de justice.

HÉRODE.

La mort émoussera tous ces piquants propos,

Qui blessant mon honneur, traversent mon repos,

Au lieu de s’excuser l’ingrate en sa défense,

Ne saurait proférer un mot qui ne m’offense :

Mais voici le témoin de ce noir attentat,

Montrant l’Échanson.

Formé contre ma tête et le corps de l’État.

Pour sa confusion il faut qu’on lui confronte ;

Déjà l’apercevant, elle rougit de honte.

Viens confirmer ici ton fidèle rapport,

Et dis de quelle adresse on dessinait ma mort.

Mais que la vérité se montre toute nue,

Ne fais pas que le crime, ou croisse ou diminue.

L’ÉCHANSON.

Sire, que sur ma tête un foudre soit lancé,

Si je n’ai dit le tout ainsi qu’il s’est passé.

HÉRODE.

Viens donc lui soutenir, et mettre en évidence

Un fait qu’elle dénie avec tant d’impudence.

Parle.

L’ÉCHANSON.

Si le devoir d’un fidèle sujet,

Permettait de celer cet important projet,

Madame, je serais encore à me produire :

Mais le salut du Roi me force de vous nuire,

Veuillez me pardonner si j’ai tout révélé

MARIANE.

Quoi, méchant ?

L’ÉCHANSON.

Le poison dont vous m’avez parlé.

MARIANE.

Monstre issu de l’enfer pour nuire à l’innocence,

Oses-tu bien mentir avec tant d’assurance ?

De ta noire action tu recevrais le fruit,

Si tu n’étais porté par ceux qui t’ont instruit :

Ce témoignage faux est digne du supplice,

Mais pour t’en garantir mon juge est ton complice ;

De bon cœur je pardonne à ta mauvaise foi,

Tu sers par intérêt de plus méchant que toi,

Cette injure est contrainte et n’a rien qui me fâche,

De tous mes ennemis tu n’es pas le plus lâche.

HÉRODE.

Tu devrais t’efforcer de te défendre mieux,

Sur un crime abhorré de la terre et des Cieux :

Car répondant au fait que ce témoin dépose,

Il faut ou dénier, ou confesser la chose.

MARIANE.

Par force ou par adresse il sera malaisé,

Qu’on me fasse avouer un crime supposé,

Et n’était mes malheurs, je suis assez bien née,

Pour n’appréhender pas d’en être soupçonnée :

Mon esprit que le sort afflige au dernier point,

Souffre les trahisons, mais il n’en commet point,

Encore qu’il en eût un sujet assez ample,

S’il était obligé de faillir par exemple.

HÉRODE.

Quels exemples as-tu de ces déloyautés ?

MARIANE.

J’ai mille trahisons, et mille cruautés,

Le meurtre d’un Aïeul, l’assassinat d’un Frère.

HÉRODE.

À peine en cet endroit je retiens ma colère.

Ah Cerbère têtu, fatal à ma maison,

Tu sais bien contre moi produire du poison :

Mais inutilement ta bouche envenimée,

Jette son aconit contre ma renommée ;

Elle est d’une candeur que rien ne peut tacher,

Et sans impiété l’on n’y saurait toucher.

Je me ris de ta rage, et par ces vains blasphèmes,

En pensant me piquer, tu te blesses toi-même,

Ce reproche insolent choque la vérité,

Et fait voir clairement ton animosité ;

Par là ta perfidie est assez découverte,

Cette confession suffira pour ta perte.

Mes amis,                

Il fait signe au Capitaine des Gardes d’éloigner Mariane, tandis qu’il recueille les voix.

prononcez ce qu’ordonnent les lois

Contre les attentats qui regardent les Rois.

Dépêchez, c’est un droit qu’il faut que l’on me rende,

La Justice le veut, et je vous le demande.

PHÉRORE.

Je trouve que ce crime est sans rémission.

SALOMÉ.

C’est trop peu qu’une mort pour sa punition.

PHALEG, premier juge.

Si votre Majesté ne lui fait point de grâce,

Le crime est capital, la loi veut qu’elle passe.

SADOC, second juge.

Ou qu’elle soit au moins confinée en prison,

En cas que l’on ne puisse avérer le poison.

HÉRODE.

Il semble que la chose est assez avérée ;

Quoi ! N’en avons-nous pas une preuve assurée ?

Regardant en colère le second juge.

Les attentats passés, et les discours présents,

Pour éclaircir ce fait, sont-ils pas suffisants ?

Le témoin qui l’accuse est homme irréprochable,

C’est un vieux officier qui me sert à la table,

Quel ministre plus propre eût-elle pu choisir,

Pour faire exécuter son horrible désir ?

Fallait-il pour tramer cette lâche pratique,

Qu’elle en parlât tout haut sur la place publique ?

Et n’avait-elle pas assez de cet agent,

Si sa rage l’eût pu corrompre par argent !

MARIANE.

Poursuis, poursuis barbare, et sois inexorable,

Tu me rends un devoir qui m’est fort agréable,

Et ta main obstinée à me priver du jour,

M’oblige beaucoup plus que n’a fait ton amour.

Ici ta passion répond à mon envie,

Tu flattes mon désir en menaçant ma vie,

Je dois bénir l’excès de ta sévérité,

Car je vais de la mort à l’immortalité,

Ma tête bondissant du coup que tu lui donnes,

S’en va dedans le Ciel se charger de Couronnes,

Dont les riches brillants n’ont point de pesanteur,

Et que ne peut ravir un lâche usurpateur.

Si je me plains encor d’un Arrêt si sévère,

C’est à cause que j’ai des sentiments de mère ;

Je laisse des Enfants, et m’afflige pour eux ;

Ces malheureux Enfants d’un père malheureux,

Ils sortent d’une souche en gloire si féconde,

Qu’elle a fait de l’ombrage aux quatre coins du monde :

Ces petits orphelins sont dignes de pitié,

Ces aimables objets de ma tendre amitié,

Qu’une rude marâtre ainsi qu’il est croyable,

Maltraitera bientôt d’un air impitoyable.

HÉRODE.

Au point que mon courroux était le plus aigri,

Par le cours de ses pleurs mon cœur s’est attendri ;

Il semble que l’amour qui se rend son complice,

Déchire le bandeau que porte ma justice ;

Afin qu’en la voyant je lui puisse accorder,

Le pardon que pour elle il me vient demander :

Déjà mon âme incline à la miséricorde.

Tu demandes sa grâce, amour, je te l’accorde :

Mais veuille agir près d’elle, et me faire accorder,

Un bien qu’en même temps je lui veux demander ;

Fais qu’à jamais son cœur repentant de son crime,

Réponde à mes bontés avecque plus d’estime ;

Qu’elle quitte pour moi cet insolent orgueil,

Qui pourrait quelque jour nous ouvrir le cercueil ;

Fais-lui voir que je l’aime à l’égal de moi-même,

Et s’il se peut encore, Amour, fais qu’elle m’aime.

Il fait signe à ceux qui sont du Conseil qu’ils se retirent.

Veuille essuyer tes yeux, objet rare et charmant,

La qualité de Roi cède à celle d’Amant,

Ma justice pouvait à mes lois te soumettre,

Mais mon affection ne le saurait permettre :

Je me sens trop touché de tes moindres douleurs,

Je trouve que mon sang coule parmi tes pleurs,

J’interromps cet Arrêt, car ma colère extrême,

Te faisant ton procès, me le fait à moi-même ;

Et si dans un moment je n’arrêtais ton deuil,

Je sens bien qu’avec toi j’irais dans le cercueil.

Je mourrais de ta mort, et les mêmes supplices,

Traiteraient ta partie ainsi que tes Complices.

Vois de quelle façon mon sort dépend du tien,

Et si je t’importune en te voulant du bien ;

Si tu conçois pour moi quelque cruelle envie,

N’use plus de poison pour abréger ma vie :

S’il te prend un désir d’avancer mon trépas,

Tu n’as rien qu’à montrer que tu ne m’aimes pas ;

Tu n’as qu’à m’exprimer cette haine secrète,

Et bientôt mes ennuis te rendront satisfaite.

Mais confesse-moi tout, afin de faire voir,

Que tu veux aujourd’hui rentrer en ton devoir,

Et que ton cœur touché d’un remords véritable,

Déteste avec horreur un crime détestable.

MARIANE.

On connaît à ce style, et doux, et décevant,

Comme en l’art de trahir ton esprit est savant,

C’est avec trop de soin m’ouvrir la sépulture,

Pour me perdre il suffit d’une seule imposture.

HÉRODE.

Mauvaise, tu crois donc que je sois un trompeur,

Et toute cette audace est l’effet de ta peur.

Ne crains point, pour ta grâce, elle est entérinée,

Je tiendrai ma parole après l’avoir donnée ;

Cesse de m’affliger avecque tes douleurs :

MARIANE.

Mais fais plutôt cesser ma vie et mes malheurs,

Tous les miens sont passés, je brûle de les suivre.

HÉRODE.

Comment ? veux-tu mourir pour m’empêcher de vivre ?

Et violant encor toutes sortes de droits,

Attenter sur ton Roi pour la seconde fois ?

Bien que tu sois de glace, et que je sois de flamme,

Les Cieux ont attaché mon esprit à ton âme,

Le beau fil de tes jours ne peut être accourci,

Sans que du même temps le mien le soit aussi.

MARIANE.

Lorsque ta vie au moins finira sa durée,

La mienne il est certain sera mal assurée,

Car les précautions de ta soigneuse amour,

Me feront, s’il se peut, partir le même jour :

Certes ce sont des traits d’une amitié bien tendre.

HÉRODE.

Ce propos est obscur, je ne saurais l’entendre.

MARIANE.

Ne perdons point le temps en discours superflus,

La chose est trop récente.

HÉRODE.

Il ne m’en souvient plus.

MARIANE.

Quand tu crains lâchement la justice d’Auguste,

Ma mort est résolue, et tu la trouves juste ?

HÉRODE.

D’AUGUSTE ? Ah ! par ce mot je suis assez instruit,

Et de ce qui t’anime, et de ce qui me nuit,

Je connais les raisons qui tes dédains aigrissent,

Et l’ingrate façon dont mes gens me trahissent,

Sœsme t’en a fait un secret entretien ?

MARIANE.

Il ne m’en a rien dit, mais je le sais fort bien.

HÉRODE.

Ah ! Perfide Sœsme, avoir trompé ton Maître.

Allez 

Se tournant vers le grand Prévôt.

diligemment vous saisir de ce traître,

Que tout chargé de fers il me vienne trouver,

Mais ne lui donnez pas le temps de se sauver,

Qu’en de divers cachots à même heure on dévale,

Ceux qui seront suspects d’être de sa cabale,

Vite, et que les Bourreaux ne les épargnent point.

LE GRAND PRÉVÔT.

Sire, j’accomplirai le tout de point en point.

HÉRODE.

L’Eunuque de la Reine est de l’intelligence,

Faites qu’on me l’amène avecque diligence,

Ce fut à sa faveur que je fus offensé,

Mais il me répondra de ce qui s’est passé.

Ô maudite aventure ! ô dures destinées !

Pourquoi ne suis-je mort en mes jeunes années

Voyant pour mon malheur tant de maux assemblés,

De colère et d’horreur tous mes sens sont troublés,

La fureur me saisit, et ce cruel outrage,

Me mettant hors de moi m’abandonne à la rage.

Parlant à Mariane.

Sœsme sur ce point t’a dit la vérité,

Mais quel prix a reçu son infidélité ?

Il était dans ma Cour en fort bonne posture ;

Il n’a pas mis pour rien sa vie à l’aventure,

Tu n’as pu l’éblouir par l’éclat des trésors,

Tu n’as pu le tenter que par ceux de ton corps ;

Il en fut possesseur, comme dépositaire,

Lorsqu’il te révéla cet important mystère,

Tes faveurs ont été les biens qu’il a reçus,

Ne lève point les yeux, et réponds là-dessus,

L’aurais-tu satisfait par d’autres récompenses ?

MARIANE.

Crois tout ce que tu dis, et tout ce que tu penses.

HÉRODE.

Oui, oui, je le veux croire, et te faire sentir,

De cette perfidie un cuisant repentir.

MARIANE.

Tu peux m’ôter la vie, et non pas l’innocence.

HÉRODE.

Ah ! je suis assuré de cette jouissance ;

Tu ne te riras plus de m’avoir outragé,

J’en ai reçu l’affront, mais j’en serai vengé,

Tu m’as mis dans les fers, tu m’as mis dans la flamme,

Tu m’as percé le cœur, tu m’as arraché l’âme,

Mais ne te flatte pas de cette vanité,

D’avoir fait tant de maux avec impunité,

La mort pour t’enlever est déjà préparée.

MARIANE.

Elle viendra plus tard qu’elle n’est désirée,

Et me la proposant pour finir ma langueur,

Je n’en puis redouter que la seule longueur.

HÉRODE.

On verra ta constance au milieu des supplices :

Mais voici ton amour et tes chères délices,

Je m’en vais réjouir avec lui de ce pas,

Parlant au Capitaine des gardes.

Conduis la dans la tour, et ne la quitte pas.

 

 

Scène III

 

HÉRODE, SŒSME, LE GRAND PRÉVÔT

 

HÉRODE.

Exécrable sujet de mon impatience,

Qui t’a fait lâchement trahir ma confiance,

Et porté ton audace au mépris de la mort,

Découvrant un secret qui m’importait si fort ?

Réponds, tu connais bien l’attente qui me blesse.

SŒSME.

Hé Sire, je commis ce crime par faiblesse !

Ce fut par imprudence et par légèreté,

Que je fis cette offense à Votre Majesté.

Mais le vif repentir qui dans mon cœur s’imprime,

Devrait bien effacer l’image de mon crime.

Prince rare en clémence, aussi bien qu’en valeur,

Excusez un défaut arrivé par malheur.

HÉRODE.

Ce n’est donc pas un trait d’une âme déloyale,

Que semer le divorce en la Maison Royale :

Et porter une femme à perdre son époux,

N’est qu’une erreur légère indigne de courroux :

Oses-tu dire encore un mot pour ta défense ?

Ton excuse perfide aggrave ton offense,

Tu ferais mieux pour toi de n’en rien déguiser.

SŒSME.

Sire, j’ai trop failli pour vouloir m’excuser,

Je suis trop criminel, ayant pu vous déplaire ;

Je n’ai point de raisons contre votre colère :

Aussi dans le péril où je me suis jeté,

Je n’attends mon salut que de votre bonté.

HÉRODE.

Oui, mais par un moyen qui n’est pas ordinaire,

J’ai bien su le secret de toute cette affaire.

Si tu veux excuser cet acte plein d’horreur,

Confesse que l’amour a causé ton erreur :

On sait de quels appas Mariane est pourvue,

L’éclat de sa beauté te donna dans la vue ;

Tu ne peux soutenir ses regards tous puissants,

Et voilà le sujet qui te troubla le sens :

C’est ainsi que la Reine est cause de ton crime ;

Mais afin que ma grâce en ta faveur s’exprime,

Apprends-moi bien au long par ta confession,

La naissance et le cours de cette passion,

Trouvas-tu dans son âme un peu de résistance ?

Et quels progrès fis-tu devant la jouissance.

SŒSME.

Cet étrange propos m’étonne tellement,

Que j’en pers la parole avec le sentiment,

J’y voudrais répartir, mais il m’est impossible.

HÉRODE.

Pour un amant discret cette atteinte est sensible ;

Mais reprends tes esprits, et m’en fait le discours.

SŒSME.

Ô Prince ! la merveille et l’honneur de nos jours,

Peut-on croire qu’une âme et si noble et si belle,

Conçoive des soupçons qui sont indignes d’elle ;

Et qu’un Roi dont l’esprit agit si sagement,

Pour troubler son repos trompe son jugement ?

Ce qui m’est imputé rend mon sort pitoyable,

Puis-je m’en accuser, et me rendre croyable ?

Sœsme à ces desseins peut-il avoir pensé,

Sans être devenu tout à fait insensé ?

Et s’il était tombé dans cette maladie,

Qui croira qu’un esclave eût l’âme assez hardie,

Pour aimer une Reine, et pour lui découvrir,

Une témérité qui le ferait mourir ?

Mais une Reine encore, si chaste et si sage,

Qu’elle sert de miroir à celles de cet âge ;

Vous lui faites grand tort de prendre ces soupçons.

HÉRODE.

Traître je suis lassé d’entendre tes leçons :

Crois-tu donc t’excuser en louant ta complice ?

Et d’un charme subtil endormir ma justice ?

SŒSME.

Si je parle autrement je paraîtrai menteur.

HÉRODE.

Que l’on aille égorger ce fâcheux Orateur.

SŒSME.

On répandra du sang qui doit crier vengeance.

HÉRODE.

Dépêchez ce perfide avecque diligence ;

Et l’Eunuque est-il là ?

LE GRAND PRÉVÔT.

Oui Sire, le voici.

HÉRODE.

Il faut qu’en même temps on l’expédie aussi,

Il était du complot cet animal infâme,

Qui ne saurait passer pour homme, ni pour femme.

 

 

Scène IV

 

HÉRODE, L’EUNUQUE, LE GRAND PRÉVÔT

 

HÉRODE.

Horreur de la nature et le mépris des Cieux !

Monstre sans jugement, dragon pernicieux,

Je t’avais confié le trésor le plus rare,

Dont avecque raison je pouvais être avare.

Tu donnas cependant assistance au voleur,

Tu servis de ministre à mon dernier malheur.

Tu fus le confident de cruel adultère,

Tu connus cette intrigue et me la sus bien taire.

Quand Sœsme en mon lit contentait son amour,

Tu fermais les rideaux et veillais à l’entour :

Ainsi tu ménageais le temps de mon absence ?

L’EUNUQUE.

Sire, un Dieu tout-puissant qui connaît l’innocence,

Pourra faire connaître à Votre Majesté,

Comme je l’ai servie avec fidélité.

HÉRODE.

Avec fidélité, méchant ? Que l’on l’entraîne,

Et que jusqu’à la mort on l’applique à la gêne :

Il découvrira tout au plus fort du tourment,

S’il n’est fortifié par quelque enchantement.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

HÉRODE, SALOMÉ, PHÉRORE

 

HÉRODE.

Un démon diligent qui sans cesse regarde,

Les dépôts que le Ciel a commis à sa garde,

Veille pour mon salut, et me fait dissiper,

Les malheurs où le sort me veut envelopper :

Ce Ministre céleste à toute heure m’inspire,

Ce qui doit résulter au bien de mon empire,

Et lorsque je me trouve au plus fort d’un danger,

Il s’avance à mon aide, et me vient dégager.

Il préserve ma tête, il soutient ma couronne,

Au milieu des combats son aile m’environne ;

Et d’un secours fatal qui n’est point attendu,

Me fait voir triomphant lors qu’on me tient perdu.

Oui, le fidèle soin qu’il a de me conduire,

Me garantit toujours lorsqu’on me veut détruire,

Soit par la guerre ouverte ou par la trahison,

À Rome, à la campagne, ou bien dans ma Maison.

Mais j’ai nouvellement des grâces à lui rendre,

Sur ce lâche attentat que vous venez d’apprendre,

C’est le plus rare effet du soin qu’il a de moi ;

Sans lui vous n’auriez plus de frère ni de Roi.

S’il n’eût point inspiré cet Officier fidèle,

Je me trouvais surpris d’une embûche mortelle,

L’amour qui m’aveuglait m’aurait fait ignorer

Cet autre embrasement qui m’allait dévorer ;

Et riant de ma mort, une méchante femme,

Eût partagé mon Sceptre avecque son infâme,

Sans cet heureux avis, Hérode était perdu.

SALOMÉ.

Déjà pour cet effet le piège était tendu.

PHÉRORE.

Si l’avertissement eût tardé davantage,

Mariane eut fini son malheureux ouvrage.

HÉRODE.

Ah ! que je suis piqué de ce cruel affront,

J’en ai la rage au cœur comme la honte au front,

Et de quelque façon que ma rigueur la traite,

Jamais ma passion n’en sera satisfaite.

Cependant le désir que j’ai de me venger,

Va mettre mon salut dans un autre danger,

Je m’aigris contre moi lorsque je la menace,

Ma perte est enchaînée avecque sa disgrâce,

Je puis bien m’assurer qu’éteignant ce flambeau,

Je ne verrai plus rien d’aimable ni de beau,

Bien que l’on me console, et qu’on me divertisse,

Mon âme en tous endroits portera son supplice,

À toute heure un remords me viendra tourmenter,

Un vautour sans repos me viendra becqueter.

Ô Cieux ! pourquoi faut-il qu’elle soit infidèle !

Vous deviez la former moins perfide et moins belle,

Et les traits de sa grâce, ou ceux de sa rigueur,

Ne devaient point trouver de place dans mon cœur :

Je ne devais point voir au fort de ces misères,

Mes pensers divisés en deux partis contraires.

Je voudrais que mon nom fût encor inconnu,

Ne me voir point au rang où je suis parvenu,

Être encore à monter au temple de la gloire,

Être encore à gagner la première victoire,

Me trouver en l’état où j’étais en naissant,

Et que ce cœur ingrat se trouvât innocent.

SALOMÉ.

Ce vif ressentiment d’une amour véritable,

Aggrave son offense et la rend plus coupable,

Et son ingratitude est une lâcheté,

Pire que l’homicide et l’impudicité.

Apprenant la noirceur de cette âme infidèle,

Tout le monde vous plaint et murmure contr’elle :

Mais sans vous consommer en tous ses vains regrets,

Il faut l’ôter du monde, et la raison après,

Vous faisant voir sa rage et son hypocrisie,

Ôtera ces ennuis de votre fantaisie.

HÉRODE.

Je suis à la punir justement animé :

Mais quoi, faire périr ce que j’ai tant aimé ?

Pourrai-je me résoudre à foudroyer un Temple,

Que j’ai tenu si cher, et qui n’a point d’exemple ?

Mon esprit y résiste, et se trouve étonné.

SALOMÉ.

Respectez-vous si fort un temple profané ?

Le meurtre, l’adultère, et l’ingrate arrogance,

N’en ont-ils pas ôté toute la révérence ?

HÉRODE.

L’adultère n’est pas trop bien vérifié,

Sœsme en expirant s’en est justifié.

PHÉRORE.

Il a cru le niant avoir plus d’espérance,

De recevoir de vous quelque trait de clémence.

SALOMÉ.

Quoi, ce trait déloyal ne peut vous étonner ;

Vous ne l’examinez que pour le pardonner ?

Elle fait semblant de pleurer.

Vous voulez que sa haine enfin se satisfasse,

Et qu’elle vous détruise, et toute votre race :

Suivez vos sentiments, nous les approuvons tous,

Il faut bien se résoudre à périr avec vous.

PHÉRORE.

Votre esprit est contraint par un charme effroyable,

De prendre contre vous ce dessein pitoyable.

HÉRODE.

Nullement, le biais que j’y voudrais tenir,

Ne la conserverait que pour la mieux punir.

En lui donnant la mort je finis sa misère ;

Une longue prison lui serait plus sévère,

Là, toujours le dépit, la honte et le regret,

Donneraient à son âme un châtiment secret ;

À jamais sa mémoire offrant à ses pensées,

Sa disgrâce présente et mes faveurs passées,

Et lui représentant son crime et mon amour,

La tiendront à la gêne, et la nuit, et le jour.

PHÉRORE.

Avec cette pitié qui vous paraît suspecte,

Vos tentez des bontés dignes qu’on les respecte :

Croyez-vous qu’à jamais les desseins qu’elle fait,

Pour vous priver du jour demeurent sans effet ;

Et que toujours le Ciel y mettant des obstacles,

Pour votre sûreté produise des miracles ?

Sachez que bien souvent ses avis négligés,

Lui font abandonner ceux qu’il a protégés.

SALOMÉ.

Puisque de vos malheurs vous aimez tant la cause,

Vous ne deviez donc pas faire éclater la chose,

Ce procédé nouveau ne fait rien qu’animer,

Un esprit qui flatté, n’avait pu vous aimer :

Que ne fera-t-il point après ce grand outrage,

Si même vos bontés ont excité sa rage ?

PHÉRORE.

Lorsque l’on veut choquer un puissant ennemi,

Il ne faut pas penser le détruire à demi.

En ces occasions l’indiscrète indulgence,

Expose notre vie au cours de sa vengeance,

Si dès lors qu’on offense on ne pardonne point,

Lorsqu’on est offensé l’on hait au dernier point,

Et sous quelque serment qu’on se réconcilie,

L’affront demeure au cœur, jamais on ne l’oublie,

Hyrcane le parjure a pu vous l’enseigner,

Ce malheureux vieillard inhabile à régner,

Ce dernier déshonneur de cette race ingrate,

Qui vivait relégué sur les bords de l’Euphrate,

Et que votre bonté par un pieux souci,

Avecque tant d’honneur fit revenir ici,

Tous vos bons traitements le peuvent-ils distraire,

Du désir de venger ses neveux et son frère ?

Et si quelqu’un des siens ne vous eût averti,

Comme avec Malicus il formait un parti,

N’aurait-il pas enfin d’une embûche traîtresse,

Impitoyablement payé votre tendresse ?

SALOMÉ.

Pourriez-vous conserver sans appréhension,

Ce levain de révolte, et de sédition,

Dont le cœur offensé ne pense qu’à vous nuire,

Et dont le cœur outré brûle de vous détruire ?

S’il arrivait qu’Auguste entrât au monument,

Que le peuple vit jour à quelque changement,

Ce serait un prétexte à sa mutinerie,

Il viendrait de vos mains tirer cette furie ;

On la verrait marcher avecque le flambeau,

Pour brûler le Palais, et vous mettre au tombeau.

Quand pour votre malheur cette Érynne infernale

Aurait fait dans l’État une forte cabale,

Vous auriez du regret de voir que vous deviez

Prévenir ces desseins lorsque vous le pouviez,

Vous vous repentiriez d’en avoir fait la faute,

Mais ce serait trop tard.

HÉRODE.

Bien, qu’on l’ôte, qu’on l’ôte,

Il sera nécessaire incontinent après,

D’en avertir César par un Courrier exprès,

De crainte que l’envie avec ses artifices,

Me rende près de lui quelques mauvais offices,

Et me fasse passer, la vérité celant,

Pour un prince ombrageux, injuste et violent.

 

 

Scène II

 

MARIANE, en prison

 

Pour augmenter l’affront que l’injuste licence,

A fait à l’innocence,

Un absolu pouvoir rend mon corps prisonnier :

Mais en quelque péril que le malheur m’engage,

J’aurai cet avantage :

Que mon cœur pour le moins se rendra le dernier.

 

Ce jour s’en va borner la longueur de ma vie,

Je vois bien que l’envie,

Travaille puissamment à creuser mon tombeau ;

Et que la cruauté du tyran qui m’opprime,

Ne me suppose un crime,

Que pour avoir sujet d’en commettre un nouveau.

 

Qu’il en use à son gré, me voilà toute prête,

De payer de ma tête,

Afin de contenter ce cœur dénaturé,

Quelque horreur qu’en la mort on puisse reconnaître,

Elle n’a qu’à paraître,

J’irai la recevoir d’un visage assuré.

 

Il est temps désormais que le Ciel me sépare,

D’avecque ce barbare,

Son humeur et la mienne ont trop peu de rapport,

La vertu respirant parmi l’odeur du vice,

Éprouve le supplice,

Du vivant bouche à bouche attaché contre un mort.

 

Auteur de l’Univers, souveraine puissance,

Qui depuis ma naissance,

M’as toujours envoyé des matières de pleurs,

Mon âme n’a recours qu’à tes bontés divines,

Au milieu des épines,

Seigneur, fais-moi bientôt marcher dessus des fleurs.

 

Mais j’entends quelque bruit suis-je point exaucée,

De ce dernier espoir je flatte ma pensée,

Après m’avoir passé les plus beaux de mes ans,

À porter des liens si durs et si pesants.

 

 

Scène III

 

LE CONCIERGE, MARIANE

 

LE CONCIERGE, pleurant.

Madame, on vous attend dedans la Salle basse,

C’est de la part du Roi.

MARIANE.

Mon Dieu ! je te rends grâce,

D’où vient qu’en me parlant tu parais si troublé ?

LE CONCIERGE.

D’avoir vu là dehors tout le peuple assemblé,

Dont les cris et les pleurs sont de mauvais présage,

Pour Votre Majesté.

MARIANE.

Le peuple n’est pas sage,

D’affliger son esprit et de se tourmenter,

D’un bien que mes amis me doivent souhaiter.

Mais ils pourraient là-bas s’ennuyer de m’attendre,

Dis-leur donc de ma part que je m’en vais descendre.

Avant que de les voir je veux parler aux miens,

Et départir entre eux si peu que j’ai de biens.

 

 

Scène IV

 

ALEXANDRA et SON CHEVALIER D’HONNEUR

 

ALEXANDRA.

On te mène égorger innocente Victime !

Tu vas donc au supplice, et n’as point fait de crime ?

On t’a donc vu sortir du sang de tant de Rois,

Pour te voir opprimer par ces injustes lois ?

Ô sentence cruelle ! ô jugement inique !

Ô dure violence ! ô pouvoir tyrannique !

Lâche et cruel Arabe, aujourd’hui sans pitié,

Tu fais sentir ta rage à ta chaste moitié.

Mais la bonté du Ciel en courroux convertie,

Saura dans peu de temps frapper l’autre partie :

Un Dieu qui de là-haut voit les secrets des cœurs,

Te punira bientôt de ces grandes rigueurs.

Un jour qui n’est pas loin sa justice animée,

Vengera dessus toi l’innocence opprimée ;

S’il a les pieds de laine, il a le bras de fer,

Et c’est pour tes pareils qu’il a bâti l’enfer.

Ô grand dieu ! je t’invoque au fort de ma misère,

Veuille prendre la fille, et conserver la mère.

LE CHEVALIER D’HONNEUR.

Madame, c’est ici qu’on la fera passer.

ALEXANDRA.

J’aperçois bien l’endroit où je me dois placer.

Prends garde seulement que tes yeux ne produisent,

Voyant ce triste objet des larmes qui me nuisent,

Ayons à sa rencontre un visage assuré,

Et qui ne montre pas que nous ayons pleuré ;

Car il faut aujourd’hui pour éviter l’orage,

Trahir ses sentiments, et cacher son courage.

 

 

Scène V

 

LE CAPITAINE DES GARDES, MARIANE, DINA

 

LE CAPITAINE DES GARDES.

Madame, à contre cœur je sers à cet office,

Je vous rends à regret ce funeste service :

Mais mon obéissance et ma fidélité,

Me tiennent ici lieu d’une nécessité.

MARIANE.

Cette compassion m’est fort peu nécessaire,

Ma mort est à la fois contrainte et volontaire,

Mène-moi sans scrupule affronter le trépas,

Hérode le désire, et je ne le crains pas,

En cet heureux départ si quelque ennui me presse,

Il vient de la pitié des enfants que je laisse,

Qui dans la défaveur et l’abandonnement,

Seront pour mon sujet traités indignement :

Ils restent sans appui : mais ô grand Dieu j’espère,

Que tu leur serviras de support et de Père,

Et que pour les conduire en ce temps dangereux,

Ta haute providence ouvrira l’œil sur eux,

Imprime dans leurs cœurs ton amour et ta crainte,

Fais qu’ils brûlent toujours d’une ardeur toute sainte,

Qu’ils conçoivent sans cesse un résolu penser,

De mourir mille fois plutôt que t’offenser :

Que jamais nul excès de tristesse ou de joie,

Ne détourne leurs pas de ta céleste voie ;

Et s’ils sont opprimés en observant ta Loi,

Que vivant sans reproches, ils meurent comme moi.

Et toi monstre cruel, âme dénaturée,

Qui de sang innocent es toujours altérée,

Puisque ta cruauté ne saurait se fléchir,

Je m’en vais te verser de quoi te rafraîchir :

Pour étancher ta soif, et pour finir mes peines,

Je m’en vais te donner tout le sang de mes veines ;

Bois-le, tigre inhumain, mais ne présume pas,

Qu’un reproche honteux survive à mon trépas ;

Que le débordement de cette humeur si noire,

En éteignant ma vie éteigne aussi ma gloire,

Et qu’un jour nos neveux m’accusent d’un forfait,

Où je n’ai point trempé de penser ni d’effet.

Le temps qui met au jour la vérité cachée,

Fera voir ma vertu qui n’est point tachée,

Et qu’en précipitant mon funeste procès,

Ton injuste rigueur faillit avec excès.

L’aveugle cruauté dont tu me fais la guerre,

Va détruire de moi ce qui n’est rien que de terre :

Mais mon âme immortelle, et mon nom glorieux,

Malgré les mouvements de ton cœur furieux,

Et toute ta Maison contre moi conjurée,

Obtiendront un éclat d’éternelle durée.

Mais j’aperçois ma mère, elle attend en ce lieu,

Afin de m’honorer d’un éternel adieu,

Je voudrais que son cœur put borner sa tristesse,

Et que pour mon sujet elle eût moins de tendresse,

Souffre que je lui donne en l’allant apaiser,

Et la dernière larme, et le dernier baiser,

Ce sera bientôt fait.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Dépêchez donc, Madame,

Car de cette longueur je porterais le blâme,

Mon ordre est fort exprès, et doit être observé.

 

 

Scène VI

 

MARIANE, ALEXANDRA, LE CAPITAINE DES GARDES, DINA

 

MARIANE.

Tu verras ce discours en trois mots achevé.

Madame, on me contraint de changer de demeure,

Mais j’en vais habiter une beaucoup meilleure,

Où les vents ni l’envie, avecque leurs rigueurs,

N’excitent point d’orage en l’air ni dans les cœurs,

Où sans aveuglement on connaît l’innocence,

Où la main des tyrans n’étend point sa puissance ;

Où l’âme pour le prix de sa fidélité,

Goûte en repos la gloire, et l’immortalité.

Toute cette disgrâce est à mon avantage,

Je me résous sans peine à franchir ce passage ;

Consolez-vous-en donc, et veillez m’embrasser,

Adieu Madame, adieu, je m’en vais vous laisser.

ALEXANDRA.

Achève tes destins, méchante et malheureuse,

Cette mort pour ton crime est trop peu rigoureuse,

Il fallait que la flamme expiât ton péché,

Ou que sur une croix ton corps fût attaché.

Va monstre plus cruel que tous ceux de l’Afrique,

Va recevoir le prix de ta noire pratique :

Vouloir empoisonner ainsi cruellement,

Un mari qui toujours t’aima si chèrement ?

Femme sans pitié, nouvelle Danaïde,

Inhumaine, traîtresse, assassine perfide,

Qui voulût lâchement attenter sur ton Roi,

Je ne te connais point, tu ne viens pas de moi,

Car de ces trahisons je ne suis pas capable.

MARIANE.

Vous vivrez innocente, et je mourrai coupable.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Allons, Madame, allons...

MARIANE.

Par où ?

LE CAPITAINE DES GARDES.

De ce côté.

DINA.

Ô Cieux ! quelle constance, et quelle cruauté.

ALEXANDRA seule.

Ô lâche stratagème ! ô cruel artifice !

Je devais bien plutôt passer pour sa complice.

Pour éviter la mort fallait-il recourir,

À ce fâcheux secret qui me fera mourir ?

Mon cœur triste et glacé qu’une horreur environne,

Est tout meurtri des coups que la douleur lui donne,

Mon âme se va rendre à l’excès de ce deuil,

Je vais me mettre au lit, ou plutôt au cercueil.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

HÉRODE, seul

 

Serpent couvert de fleurs, dangereuse vipère,

Jaune fille d’amour qui fais mourir ton père,

Dragon toujours veillant avec cent yeux ouverts,

Qui prends tout à rebours, et vois tout de travers,

Vautour insatiable, horrible jalousie,

Qui de cent faux objets brouilles ma fantaisie,

N’as-tu pas pleinement satisfait ta rigueur ?

Et n’as-tu point encore assez rongé mon cœur ?

Ne m’importune plus, conseillère indiscrète,

Infidèle espionne, et mauvaise interprète,

Qui troubles mon repas en me troublant le sens,

Et me fais sans horreur perdre des innocents,

T’ai-je pas satisfaite en t’immolant Sœsme,

Et donnant des terreurs à Mariane même ?

Mais donné des terreurs ; ah ! Ne t’abuse pas,

Ta bouche a prononcé l’Arrêt de son trépas,

Et comme criminelle, et comme condamnée,

On l’aura promptement au supplice menée.

Elle n’est plus au monde, ou bien l’on m’a trahi,

Et c’est m’avoir perdu que m’avoir obéi.

Ma vie est en péril s’il est vrai qu’elle vive,

Et si la belle est morte, il faut que je la suive.

Ô tourment sans égal ! ô dures cruautés !

Le malheur à mes yeux s’offre de tous côtés ;

Et par quelque sentier que mon penser s’adresse,

J’y rencontre toujours la crainte ou la tristesse.

Allons nous enquérir du cours de son destin,

Et si cette beauté tire encore à sa fin,

Changeons par un effet d’une bonté célèbre,

En triomphe d’honneur cette pompe funèbre.

Mais un des miens s’avance, et je vois mes malheurs,

Tracés sur son visage avec l’eau de ses pleurs,

Il en parle tout seul.

 

 

Scène II

 

HÉRODE, NARBAL

 

NARBAL.

Ô Cieux ! cette aventure

Met de grandes vertus dans une sépulture,

La constance et l’honneur, comme la piété,

Viennent de rendre l’âme avec cette beauté.

HÉRODE.

Quel accident t’oblige à pleurer de la sorte ?

NARBAL.

Un grand sujet de deuil.

HÉRODE.

Quoi ? Mariane est morte ?

NARBAL.

Oui Sire, cette Reine est au nombre des morts,

On vient de séparer sa tête de son corps ;

Il devient tout changé, le voilà qui succombe,

Hérode tombe en faiblesse.

Le coup de cette mort le mettra dans la tombe.

Voici le triste effet qui fut prévu de tous,

Hé ! Sire, ouvrez les yeux, et revenez à vous.

HÉRODE.

Mariane a des morts accru le triste nombre ?

Ce qui fut mon soleil n’est donc plus rien qu’une ombre ?

Quoi dans son Orient cet Astre de beauté,

En éclairant mon âme a perdu la clarté ?

Tu dis que Mariane a perdu la lumière,

Et le flambeau du monde achève sa carrière ?

On le vit autrefois retourner sur ses pas,

À l’objet seulement d’un funeste repas ;

Et d’une horreur pareille il se trouve incapable,

Quand on vient devant lui d’éteindre son semblable.

Astre sans connaissance, et sans ressentiment,

Tu portes la lumière avec aveuglement ?

Si l’immortelle main qui te forma de flamme,

En te donnant un corps t’avait pourvu d’une âme,

Tu serais plus sensible au sujet de mon deuil,

De ton lit aujourd’hui tu ferais ton cercueil,

Et partout l’univers ta lumière éclipsée,

Établirait l’horreur qui règne en ma pensée.

Mariane a senti la rigueur du trépas ?

La mort n’a point d’Empire où règnent ses appas.

Je sais que cet ouvrage à son Auteur ressemble,

Et qu’il n’est pas céleste et mortel tout ensemble.

Quoi ? Dans si peu de temps aurait-on abattu,

Le Temple le plus beau qu’eût jamais la Vertu.

Aurait-on renfermé dans les moindres espaces,

La retraite d’amour, et le séjour des Grâces,

Les astres de ses yeux seraient-ils éclipsés,

Et les lys de son teint seraient-ils effacés ?

Aurait-on dissipé ce recueil de miracles ?

Aurait-on fait cesser mes célestes Oracles ?

Aurait-on de la sorte enlevé tout mon bien ?

Et ce qui fut mon Tout ne serait-il plus rien ?

Non, non, c’est un discours, qui privé d’apparence,

Ne doit jamais trouver de place en ma créance.

Dis-tu qu’on a détruit ce chef-d’œuvre des Cieux ?

NARBAL.

Sire, ce triste coup s’est fait devant mes yeux.

HÉRODE.

Viens m’en conter au long la pitoyable histoire,

Je n’en saurais douter, et je ne la saurais croire.

NARBAL.

Alors que dans la Tour on la vint avertir,

Qu’un rigoureux Arrêt la pressait d’en sortir,

Le funeste récit de sa triste sentence,

Ébranla tous les cœurs, mais non pas sa constance ;

Car bravant ses malheurs, elle fit assez voir,

Que ce choc furieux n’avait pu l’émouvoir.

Elle n’exprima point des sentiments timides,

Ses yeux restèrent secs parmi cent yeux humides,

Et des rayons de joie éclairant ses appas,

Firent voir que la mort ne lui déplaisait pas.

Après qu’elle eût fait part de quelques pierreries,

À ses filles d’honneur qu’elle a le plus chéries,

Et qu’en les embrassant, elle leur eût enjoint,

De ne la suivre pas, ou de ne pleurer point :

Elle tourna ses pas, et plus gaie et plus belle,

Où l’échafaud dressé prenait le deuil pour elle.

Jamais on ne la vit dans un plus noble orgueil,

On lisait sur son front le mépris du cercueil.

Jamais Reine amazone avecque plus de gloire,

Ne parut triomphante après une victoire ;

Le peuple en la suivant, se fondait tout en pleurs,

Admirant sa constance, et plaignant ses malheurs ;

Même beaucoup de gens disaient parmi la presse,

Qu’on perdait sans raison cette grande Princesse ;

Que son cœur sans exemple en générosité,

N’avait pu concevoir aucune lâcheté,

Que vous regretteriez l’absence de ses charmes,

Et que son sang versé vous coûterait des larmes,

Dès que de son trépas vous seriez averti.

HÉRODE.

Ah ! que n’ai-je évité ce qu’ils ont pressenti.

NARBAL.

Sa Mère l’abordant changea par quelque crainte,

Sa pitié véritable en une vigueur feinte ;

Son esprit inventif pour ôter le soupçon,

Qu’il trompât en son crime en aucune façon,

Cachant les sentiments que donne la nature,

Sembla se réjouir de sa triste aventure.

Mais notre grande Reine affligée à ce point,

Connut son artifice, et ne s’en émut point ;

Et passant, répartit à cette vaine offense,

D’un modeste souris, et d’une révérence.

HÉRODE.

Ah ! je suis tout percé des traits de la pitié,

Mon cœur à ce discours se fend par la moitié.

Quoi ? dans ce triste état sa mère la querelle ?

Et sa seule vertu se déclare pour elle.

Achève tout le reste.

NARBAL.

Étant sur l’échafaud,

Elle joignit les mains, leva les yeux en haut,

Conjurant à genoux la divine Puissance,

De rendre manifeste à tous son innocence ;

Et que jamais aux siens il ne fût reproché,

Des forfaits dont son cœur ne fut jamais taché.

Protesta que c’était par une calomnie,

Qu’on la voyait traitée avec ignominie,

Et que vous aviez cru par une aveugle erreur,

Ce dont le seul penser lui donnait de l’horreur.

Elle prit à témoin les ordres angéliques,

Qu’elle n’avait point fait de ces lâches pratiques,

S’assura que le Ciel viendrait vous inspirer,

Qu’un regret de sa mort vous ferait soupirer ;

Et que vous montreriez encor quelque tendresse,

Aux jeunes Orphelins d’une grande Princesse,

Qui dans le mauvais sort sut constamment souffrir ;

Qui vécut sans reproche, et sut fort bien mourir.

À ces mots prononcés d’un zèle plein de flamme,

Elle voulut au Ciel recommander son âme,

Qui sur mille vertus s’apprêtait d’y voler.

Puis elle offrit sa gorge, et cessa de parler.

Et lors l’Exécuteur la voyant ainsi prête,

D’un prompt éclair d’acier lui fit voler la tête.

Là-dessus un grand cri tout autour s’entendit,

Qui pénétra les airs que son âme fendit.

On vit sourdre aussitôt mille chaudes fontaines,

Des yeux de tout le Peuple ainsi que de ses veines :

Voilà comme finit votre illustre moitié,

Avec un monde entier qui mourut de pitié.

HÉRODE.

Avoir ôté la vie à des beautés si rares,

Ô rigueur inconnue aux cœurs les plus barbares !

Un Sarmate inhumain ne pourrait l’exercer,

Un Scythe sans horreur ne pourrait y penser.

Quel fleuve, ou quelle mer sera jamais capable,

D’effacer la noirceur de ce crime exécrable ?

Quelle affreuse montagne, et quel antre écarté,

Pourront servir d’asile à mon impiété ?

Trouverai-je un refuge au centre de la terre,

Où mon crime se trouve à couvert du tonnerre ?

Où je me puisse voir sans peine et sans effroi,

Où je ne traîne point mon enfer avec moi ?

Mais attends-je en mon deuil que rien me réconforte ?

Comment, je vis encore, et Mariane est morte ?

Cette belle est partie, et je ne la suis pas,

Comme si j’ignorais les chemins du trépas ?

Ha ! voici

Il se jette sur l’épée de Narbal.

le plus court, il faut que cette lame,

D’un coup blesse mon cœur, et guérisse mon âme.

Prête-la-moi de grâce en ce juste dessein,

Ou si tu l’aimes mieux, pousse-la dans mon sein.

NARBAL.

Hé Sire, revenez de ces transports extrêmes.

HÉRODE.

C’est empêcher l’Arrêt que tu donnes toi-même ;

Ne m’as-tu pas déjà frappé mortellement ?

Tu m’as dit que la Reine est dans le monument :

Penses-tu que sans elle ici-bas je demeure ?

Fais qu’elle ressuscite, ou souffre que je meure.

Je ne puis supporter un remords si pressant,

Je veux faire justice à son sang innocent ;

Ne me diffère point la peine qui m’est due,

Il veut encore prendre son épée.

Il faut que je me perde après l’avoir perdue.

NARBAL.

Sire...

HÉRODE.

Ah ! je suis l’auteur de ce meurtre inhumain,

Ma bouche à son bourreau mit le fer à la main :

Ma bouche complaisante à ma rage animée,

D’un seul mot pour jamais rend la sienne fermée.

Ah ! Bouche sanguinaire, et pleine de rigueur,

Mon regret te convainc d’avoir trahi mon cœur,

Funeste truchement de mon âme insensée,

Qui sus pour mon malheur exprimer ma pensée.

Sers-moi dans ton office avec plus de raison,

Et produit le remède en suite du poison.

Vous, Peuples oppressés, spectateurs de mes crimes,

Qui portez tant d’amour à vos Rois légitimes,

Montrez de cette ardeur un véritable effet,

Employant votre zèle à punir mon forfait,

Venez, venez venger sur un Tyran profane,

La mort de votre belle et chaste Mariane ;

Punissez aujourd’hui mon injuste rigueur,

Accourez me plonger des poignards dans le cœur,

Apaisez de mon sang votre innocente Reine,

Que je viens d’immoler à ma cruelle haine.

Mais vous n’en ferez rien, timide Nation,

Qui n’osez entreprendre une belle action,

Vous avez trop de peur d’acquérir de la gloire,

Vous auriez du regret de vivre dans l’histoire,

Et qu’un trait de courage et de fidélité,

Vous rendît remarquable à la postérité.

Témoin de sa bassesse, et de ma violence,

Cieux qui voyez le tort que souffre l’innocence,

Versez sur ce climat un malheur infini,

Punissez ces ingrats qui ne m’ont point puni ;

Donnez-les pour matière à la fureur des armes,

Qu’ils flottent dans le sang, qu’ils nagent dans les larmes ;

Faites marcher contre eux des Scythes, des Gelons,

Et s’il se peut encor des Monstres plus Félons,

Qui mettent sans horreur en les venant surprendre,

Et leurs troupes en sang, et leurs maisons en cendre ;

Qu’on leur vienne enlever leurs enfants les plus chers,

Et qu’une main barbare en frappe les rochers ;

Qu’on force devant eux leurs femmes et leurs filles,

Que la peste et la faim consomment leurs familles ;

Que leur Temple orgueilleux parmi ces mouvements

Se trouve renversé jusqu’à ses fondements.

Et si rien doit rester de leur maudite race,

Que ce soit seulement des sujets de disgrâce,

Des gens que la fortune abandonne aux malheurs,

Qu’ils vivent dans la honte et parmi les douleurs ;

Qu’ils se trouvent toujours couverts d’ignominie,

Qu’on les traite partout avecque tyrannie ;

Que sans fin par le monde ils errent dispersés,

Qu’ils soient en tous endroits, et maudits et chassés ;

Qu’également partout on leur fasse la guerre,

Qu’ils ne possèdent plus un seul pouce de terre,

Et que servant d’objet à votre inimitié,

L’on apprenne leurs maux sans en avoir pitié.

Faites pleuvoir sur eux de la flamme et du soufre,

De tout Jérusalem ne faites rien qu’un gouffre,

Qu’un abîme infernal, qu’un palud plein d’horreur,

Dont le nom seulement donne de la terreur.

Mariane est donc morte, on me l’a donc ravie,

Et pour mon désespoir on me laisse la vie ?

Ô mort ! en mes ennuis, j’implore ta pitié,

Viens enlever le tout dont tu pris la moitié.

 

 

Scène III

 

SALOMÉ, NARBAL, PHÉRORE, HÉRODE, THARÉ

 

SALOMÉ.

Narbal, que fait le Roi ?

NARBAL.

Madame, il se tourmente,

Sa douleur est si vive, et si fort véhémente,

Que si vos bons conseils n’en détournent le cours,

Vous le verriez bientôt à la fin de ses jours.

SALOMÉ.

Lui serait-il venu des nouvelles d’Auguste,

Ou quelque changement rendit ce trouble juste.

NARBAL.

Non, Madame...

PHÉRORE.

Quoi donc ? qui le rend affligé ?

SALOMÉ.

Le trépas de la Reine.

PHÉRORE.

Ah ! je l’ai bien jugé.

SALOMÉ.

Il conçoit trop d’ennui d’un sujet d’allégresse.

PHÉRORE.

Il faudra l’aborder avec beaucoup d’adresse,

Son courroux là-dessus doit être appréhendé.

SALOMÉ.

Nullement, son esprit veut être gourmandé.

PHÉRORE.

Le voici qui revient troublé de sa manie :

Mille tristes pensers lui tiennent compagnie,

Il a le teint tout pâle, et les yeux égarés :

Observez sa démarche, et la considérez.

SALOMÉ.

Seigneur, vos sentiments sont bien mélancoliques.

HÉRODE.

C’est que j’ai trop de soins des affaires publiques,

Mais je veux aujourd’hui prendre un peu de repos.

SALOMÉ.

Ce serait fort bien fait.

PHÉRORE.

Il serait à propos.

HÉRODE.

À parler librement, ce qui me tient en peine,

C’est que depuis hier je n’ai point vu la Reine,

Commandez de ma part qu’on la fasse venir.

SALOMÉ, à Phérore.

Son jugement s’égare, il perd le souvenir.

HÉRODE.

Envoyez-la quérir, faites-moi cette grâce.

PHÉRORE.

Hé ! Seigneur, le moyen que l’on vous satisfasse ?

HÉRODE.

Qu’on aille l’avertir que je veux lui parler,

Est-il si mal aisé, n’y veut-on pas aller ?

SALOMÉ.

Vous peut-elle parler, et vous peut-elle entendre ?

C’est un corps sans chaleur qui se réduit en cendre.

HÉRODE.

Quoi, Mariane est morte ? ô destins ennemis !

La Parque l’a ravie, et vous l’avez permis ?

Vous avez donc souffert cette triste aventure,

Sans imposer le deuil à toute la nature ?

Quoi ? Son corps sans chaleur est donc enseveli ?

Et l’Univers n’est point encore démoli ?

Vous avez donc rompu l’agréable harmonie,

Que vous aviez commise à son divin génie ?

Vous avez donc fermé sa bouche, et ses beaux yeux ?

Et n’avez point détruit la structure des Cieux ?

Cruels dans cette perte, à nulle autre féconde,

Vous deviez faire entrer celle de tout le monde,

Enlever l’Univers hors de ses fondements,

Et confondre les Cieux avec les Éléments,

Rompre le frein des Mers, éteindre la lumière,

Et remettre ce tout en sa masse première.

Mariane est en cendre, et l’ombre du tombeau,

Reçoit donc le débris d’un chef-d’œuvre si beau ?

Laisse agir ta douleur, mets tes mains en usage,

Arrache tes cheveux, déchire ton visage,

Oblige tous les tiens à te faire périr,

Ou bien meurs du regret de ne pouvoir mourir.

Ne te console point, Monarque misérable.

PHÉRORE.

Oubliez cette perte, elle est irréparable,

Et si vous employant à la considérer,

Vous ne la voudriez pas vous-même réparer.

SALOMÉ.

Vous direz quelque jour que ce trait exemplaire,

Était pour votre État un mal fort nécessaire,

HÉRODE.

Ministres de ses maux à me nuire obstinés,

Vous m’osez consoler, vous qui m’assassinez !

Vous m’avez fait donner par vos mauvais offices ;

Cette haine mortelle à toutes mes délices,

Vous m’avez inspiré ce funeste dessein,

Vous m’avez fait entrer des bourreaux dans le sein.

Allez couple infernal, sortez, race maudite,

Ou je vous traiterai selon votre mérite.

Et vous 

S’adressant à Narbal et à son Capitaine des gardes.

mes vrais amis et mes chers serviteurs,

Qui n’êtes point comme eux, ni traîtres, ni flatteurs :

Qui séparant de moi l’éclat de ma Couronne,

Attachez votre zèle à ma seule personne,

Vous qui m’avez toujours aimé sincèrement,

Joignez à ma douleur votre ressentiment ;

Mêlons nos pleurs ensemble, et regrettons sans cesse,

La mort de cette belle, et divine Princesse.

Mais elle n’est point morte, elle vit dans les Cieux,

Et ses rares vertus l’ont mise au rang des Dieux.

Il faut que l’on construise un Temple à cette belle,

Qui soit de son mérite une marque éternelle,

Un temple qui paraisse un ouvrage immortel,

Et que sa belle image y soit sur un Autel,

Oui, je veux que sa fête en ces lieux s’établisse,

Et qu’on la solennise, ou bien que l’on périsse.

NARBAL.

La douleur de ce Prince est sans comparaison,

S’adressant à Tharé.

Le trouble de son âme offusque sa raison.

THARÉ.

On voit à ces propos qu’il perd la connaissance.

HÉRODE.

Je ne saurais souffrir plus longtemps son absence :

Ce long éloignement me met au désespoir,

Dites-lui de ma part qu’elle me vienne voir,

Par sa seule présence elle cause ma joie,

Je lui pardonne tout pourvu que je la voie.

On mettra son eunuque en pleine liberté,

Quand j’aurai là-dessus appris sa volonté.

NARBAL.

L’excès de cet ennui brouille sa fantaisie.

THARÉ.

En effet l’on dirait qu’il est en frénésie.

HÉRODE.

Alors que je commande on ne m’obéit pas,

Quoi ! pour me faire entendre ai-je parlé trop bas ?

NARBAL.

Sire, que vous plaît-il ?

HÉRODE.

Qu’on aille en diligence,

Faire venir la Reine. Ah ! j’ai trop d’indulgence.

NARBAL.

Vous demandez la Reine ? Hé Sire !...

HÉRODE.

Pourquoi non ?

NARBAL.

Il ne reste plus rien d’elle que son beau nom.

HÉRODE.

Son nom seul est resté ? serait-elle expirée ?

NARBAL.

Je vous en ai porté la nouvelle assurée.

HÉRODE.

Ah ! Narbal, je commence à m’en ressouvenir,

Cet objet affligeant revient pour me punir ;

Et ma triste mémoire en m’offrant son image,

Devient en cet endroit fidèle à mon dommage.

Elle est trop diligente à me représenter,

Ce qui ne me paraît que pour me tourmenter ;

Erreurs qui me causez des remords si sensibles,

Procédés violents, vous m’êtes trop visibles,

Et faites trop bien voir à mes sens confondus,

Dans les maux que j’ai faits, les biens que j’ai perdus.

Mais j’aperçois la Reine, elle est dans cette nue,

On voit un tour de sang dessus sa gorge nue,

Elle s’élève au Ciel pleine de Majesté,

Sa grâce est augmentée ainsi que sa beauté.

Des esprits bienheureux la troupe l’environne,

L’un lui tend une palme et l’autre une couronne,

Elle tourne sur moi ses regards innocents,

Pour observer l’excès des peines que je sens.

Ô belle Mariane ! écoute ma parole,

Toi dont l’aspect divin me trouble et me console,

Sujet de mes pensers, objet de mes désirs,

Ministre de ma joie, et de mes déplaisirs,

Malgré tant d’ennemis qui te firent la guerre,

Doux et puissant esprit tu vainquis sur la terre,

Et dans un char de feu te perdant à nos yeux,

Tu vas donc aujourd’hui triompher dans les Cieux !

Goûte en paix le doux fruit que parmi tant d’alarmes,

Je te fis arroser, et de sang, et de larmes,

Mais oubliant tes maux de qui je fus l’auteur,

Ô bel Ange ! pardonne à ton persécuteur.

Je devais estimer par-dessus toutes choses,

Tu ne devais jamais marcher que sur des roses ;

Et tes grandes vertus, et tes rares beautés,

Devaient toujours régner dessus mes volontés.

Et troublé toutefois d’une aveugle furie,

Je t’ai vraiment traitée avecque barbarie.

Mais à tout l’Univers je m’en viens accuser,

Et l’ennui que j’en ai te doit bien apaiser,

Si mon forfait est grand, si mon crime est horrible,

J’en conçois un regret bien vif et bien sensible.

Merveille de beauté ! Rare exemple d’honneur !

Qui t’envolant là-haut y portes mon bonheur,

Chaste hôtesse du Ciel, cher sujet de mes plaintes,

Ne t’imaginant pas que mes douleurs soient feintes ;

Pour t’aller témoigner quel est mon repentir,

Mon âme avec mes pleurs s’efforce de sortir.

Vois l’excès de l’ennui dont elle est désolée,

Et comment pour te suivre elle prend sa volée.

THARÉ.

La force lui défaut, et le teint lui pâlit,

Il est évanoui, portons-le sur un lit,

Possible que des sens il reprendra l’usage,

Quand on aura jeté de l’eau sur son visage.

NARBAL.

Ô Prince pitoyable en tes grandes douleurs,

Toi-même es l’artisan de tes propres malheurs ;

Ton amour, tes soupçons, ta crainte et ta colère,

Ont offusqué ta gloire, et causé ta misère :

Tu sais donner des lois à tant de Nations,

Et ne sais pas régner dessus tes passions.

Mais les meilleurs esprits font des fautes extrêmes,

Et les rois bien souvent sont esclaves d’eux-mêmes.

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