La Jeune épouse (Michel de CUBIÈRES-PALMÉZEAUX)

Comédie en trois actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Français, le 4 juillet 1788.

 

Personnages

 

TERVAL

MÉLITE, sa femme

LA BARONNE, mère de Terval

LE CHEVALIER

CLÉANDRE

GERMON, valet du Chevalier

ROSETTE, suivante de Mélite

DORINE, suivante de la Baronne

UN DOMESTIQUE

 

La Scène est à Paris, dans la Maison de Terval.

 

 

REMERCIEMENT À MESSIEURS DE L’ACADÉMIE DE DIJON

 

MESSIEURS,

 

Pour peu qu’on soit versé dans l’Histoire Littéraire de la France, on sait que la Bourgogne est une de ses Provinces qui a produit le plus de grands Écrivains. C’est là que naquit l’illustre Bossuet ; c’est que la Monnoye, le Président Bouhier, Saumaise et Longepierre virent le jour ; l’Auteur de Rhadamiste et celui de la Métromanie y ont puisé avec la flamme de la vie celle qui brûle dans leurs écrits. La Bourgogne, en un mot, a donné l’être à ce génie sublime, qui nous a découvert tous les secrets de la nature, dans la production la plus éloquente, dont les Sciences puissent s’honorer, et ce qui met le comble à votre gloire Messieurs, Montbard le possède encore dans son enceinte solitaire ; c’est là que respire un homme qui même en mourant ne cessera point de vivre. La Ville de Mithylène mettait au rang de ses plus précieux avantages la naissance de Pittacus, un des sages de la Grèce ; combien Dijon doit l’emporter sur Mithylène ! Ses Citoyens sont presque tous des Savants ou des Sages.

Il est impossible, je ne dis pas d’aimer les Lettres, je ne dis pas de les cultiver ; mais d’en être aux premiers éléments sans connaître bientôt les hommes célèbres que je viens de nommer ; ce sont leurs ouvrages que les pères un peu instruits donnent à leurs enfants à cette époque, où les Romains donnaient aux leurs la robe virile, c’est dans leurs ouvrages que le mien me fit apprendre à lire ; je sortais à peine des mains de la nature que l’Histoire de la nature me fut confiée, et j’étais initié dans tous les mystères de l’organisation de l’homme avant d’être un homme moi-même ; que dis-je, à peine échappé du berceau, je m’élevais déjà avec Bossuet à la hauteur des Régions célestes, et je n’étais encore qu’un enfant que j’allais par la pensée me reposer dans le sein d’un Dieu. Instruit que je devais ces jouissances à des hommes presque tous nés à Dijon, à des hommes formés et élevés dans cette nouvelle Athènes ; j’osai dès ce moment travailler non avec le projet d’atteindre jamais à leur renommée ; mais avec un vif désir d’attirer leurs regards sur moi, le succès a passé mes espérances ; un de vos membres qui, par ses talents et sa naissance, a ressuscité la Fare parmi nous ; un de vos membres qui nous rappelle, sur tout cet ami d’un grand Prince par l’amitié, dont l’honore un Prince non moins vertueux qu’éclairé, et que le Ciel vous a donné pour protecteur et pour modèle, M. le Comte de la T... enfin n’a point hésité à vous porter mes vœux ardents, mais timides, et grâces à la recommandation et grâces à l’esprit d’indulgence qui vous anime, vous m’avez reçu parmi vous.

Je tenterais en vain d’exprimer quelles ont été ma reconnaissance et ma joie, en apprenant cette agréable nouvelle ; il est impossible de peindre ce que l’on sent si vivement ; en effet, Messieurs, quels sont mes titres pour mériter la distinction flatteuse dont vous venez de m’honorer ? Quelques Poésies aussi fugitives que les évènements qui les ont fait naître, d’autres qui n’étant inspirées que par l’effervescence de mes jeunes ans, n’ont pas même eu le bonheur de leur survivre, un Essai[1] sur la Comédie, où proposant de purger le Théâtre des mauvaises mœurs qui l’infectent, j’ai risqué une théorie estimable sans doute ; mais qu’on n’a point adoptée, parce qu’il n’est permis qu’au génie de faire des innovations dans les Arts, et que de bonnes intentions ne suppléent pas toujours le génie. Quelques Comédies enfin, qui n’ayant été représentées sur aucun Théâtre de la Capitale, languissent dans l’obscurité qui semble faite pour elles. Soyons de bonne-foi, Messieurs ; ces productions que le Public connaît à peine étaient-elles · suffisantes : pour me faire adopter par une des Compagnies les plus savantes de l’Europe ? Ces bagatelles sont-elles à comparer aux ouvrages que l’on a vus et que l’on voit encore tous les ans sortir de vos doctes plumes ? Mes ouvrages, supposé qu’ils méritent ce nom, ne visent qu’à l’agrément ; tout leur but est d’amuser ou de distraire, et vos travaux ne tendent jamais qu’à l’utilité publique ; vous n’avez cueilli que des fruits dans le vaste champ, où après tant d’autres j’ai ramassé à peine quelques heurs, et pour ne citer qu’un exemple, quelle pièce de vers, quel poème ou quel drame peuvent valoir aux yeux du Citoyen la découverte que vient de faire un de vos Membres en travaillant sur un Élément jusqu’à ce jour indompté ? Livrés dans Paris à un tourbillon de plaisir ou de délassements que nous qualifions quelquefois du grave nom d’affaires, il nous est impossible d’approfondir une Science quelconque, et de sonder l’abime impénétrable de la nature, ce n’est que dans les Provinces où rien ne distrait d’une étude suivie, et d’une application soutenue ; ce n’est, dis-je, que dans les Provinces que, l’on peut quelquefois enchaîner le protée, et le forcer à révéler les secrets. Vous en avez donné la preuve, Messieurs, et je doute fort que dans le Domaine immense des Arts, et que dans l’empire de la Science, quelque chose vous soit inconnu ; vous avez pénétré partout, et partout vous avez fait des conquêtes ; pourquoi donc, je le répète, m’avoir reçu parmi vous ; moi, qui ignore tout ce que vous savez si bien ! Moi, qui n’ai d’autre mérite que d’admirer de très loin des Cieux que vous touchez avec vos têtes ! C’est pour m’encourager, sans doute, c’est pour m’engager à tenter des efforts qui vous justifient, semblable à la Secte éclectique qui faisait un choix des opinions innombrables des anciens, et se composait des meilleures ; votre Académie n’a admis dans son sein que des hommes qui se font distingués, soit dans les Lettres, soit dans les Sciences, soit dans les Arts ; vous avez cru ou feint de croire, sans doute, que je pourrais un jour égaler ces derniers pour me porter à les suivre de plus près dans la carrière, et la bonté, pour la première fois vous a fait déroger à la justice. Eh bien ! Messieurs, croyez que je n’abuserai pas de votre indulgence ; moins je m’en trouve digne et plus je vais tâcher de la mériter ; le prix du bien fait me fait sentir à quoi les Bienfaiteurs m’obligent, et pour remplir tous mes devoirs envers vous, je vais surtout m’attacher à suivre vos exemples.

J’ai l’honneur d’être, etc...

 

LE CHEVALIER DE CUBIÈRES.

Le 15 Juillet 1785.

 

P. S. Il y a trois ans, Messieurs, que j’ai eu l’honneur de vous envoyer à Dijon le Remerciement que vous venez de lire ; vous le reçûtes avec votre indulgence ordinaire ; mais vous trouvâtes que je vous y avais trop loués, un tribut simple et nécessité par la reconnaissance vous parut un hommage, dicté par l’adulation, et votre modestie vous empêcha de le publier ; je n’aime point à flatter, et je le publie moi-même. Il est si doux d’ailleurs, de remplir un devoir, en vous rendant ce qui vous appartient à tant de titres, et ce que je ne pouvais plus longtemps vous dérober sans passer pour ingrat. Je dois tout dire néanmoins, Messieurs, ce remerciement n’aurait jamais vu le jour, si je n’avais pas pu l’accompagner de la jeune Épouse. Cette Pièce a réussi, le Public l’a accueillie malgré ses nombreux défauts, et comme un succès peut du moins me rendre plus digne de vos suffrages, j’ai cru de voir faire marcher ensemble un titre qui justifiât votre choix et le témoignage public de ma gratitude.

J’ignore, si en lisant cette petite Comédie vous partagerez l’opinion de quelques critiques modernes, ou si votre bonté encourageante vous aveuglera sur ses imperfections ; quoiqu’il en soit, permettez-moi d’en raisonner quelques instants avec vous, non pour vous occuper de l’ouvrage, mais, pour m’instruire des secrets de l’Art ; les questions que je vais vous faire, ne pourront que m’éclairer si vous voulez bien y répondre ; et qui, plus que vous, a le droit de me diriger dans la carrière périlleuse que je me dispose à parcourir ?

Vous n’avez point oublié, Messieurs, ce que dit Horace, en parlant de la Comédie : interdum vocam Comœdia tollit ; vous savez que le grand Corneille l’a répété, et qu’il a avancé même que le haut comique ou la Comédie attendrissante était plus utile aux mœurs que la Tragédie ; on a beau le dire aux Rédacteurs des Journaux ; on a beau leur crier que l’immortel Térence a fait des Comédies attendrissantes et même pathétiques ; que, le Molière d’Italie, M. Goldoni, la imité ; que l’intéressant la Chauffée à ressuscité en quelque sorte, et a fait fleurir ce genre estimable parmi nous ; que Voltaire l’a adopté, et qu’il l’a traité avec presqu’autant de succès que la Tragédie ; on a beau leur prouver, par des faits et des raisonnements, que ce genre est bon, qu’il est excellent, et qu’il n’est contraire ni aux règles de l’Art, ni à celles de la nature, quelques Rédacteurs de Journaux s’obstinent à soutenir que ce genre est détestable, et qu’il choque à la fois le sens commun, la vérité, et même la vraisemblance ; ils lui donnent sans cesse dans leurs feuilles le nom dérisoire de comique larmoyant, le nom même de bâtard, indigne de se dire le fils de Thalie, et s’appuyant fièrement de quelques jolies Épigrammes de Piron, qui, lui-même, a travaillé dans ce genre, et de quelques préceptes de Boileau, qui fut le plus intolérant des Législateurs, ils poussent l’injustice et l’aveuglement jusqu’à prétendre qu’il n’apporte aucune utilité avec lui : je ne m’aviserai point de chercher à les dissuader, j’y perdrais mon temps et ma peine, et j’y gagnerais sûrement quelques injures ; mais pour ne répondre qu’à leur dernier reproche, qui me paraît être le plus essentiel, n’avez-vous pas observé, Messieurs, que les Comédies les plus gaies sont presque toujours les plus immorales, et qu’en général il n’y a rien de si innocent et de si pur que les Comédies de sentiment ? N’avez-vous pas observé que des fripons qui se tendent des pièges, et qui se trompent les uns les autres ; que des escrocs, des fourbes et des libertins font, pour l’ordinaire, les héros de ces farces scandaleuses qui plaisent le plus sur nos Théâtres ; que la vertu y paraît triste et monotone, et que ce ne sont jamais les honnêtes gens qui font rire. La raison en est simple, et je n’ai pas besoin de vous l’expliquer ; l’homme est naturellement bon, mais ce sont des hommes corrompus par la société qui vont à nos Spectacles, et l’image du vice qui prospère doit les égayer bien plutôt que celle du triomphe de la vertu ; je ne crois pas non plus avoir besoin de vous expliquer comment l’effet le plus pernicieux pour les mœurs résulte de cette victoire du vice : le Légataire Universel, l’Avocat Patelin, les Folies Amoureuses, le Chevalier à la mode, et mille autres Pièces ne l’ont que trop prouvé : en est-il de même des Pièces de la Chaussée, de Nanine, du Dissipateur, etc... ? Non, sans doute : on y rit moins, à la vérité qu’aux farces de Dancourt, de Regnard, de Legrand, ou de Hauteroche ; mais l’Auteur, en n’y présentant que des personnages vertueux, n’y donne guères que des leçons de vertu ; et ce n’est pas sa faute si, après l’avoir entendu, on ne cherche point à ressembler au Sainville de la Gouvernante, au Damon du Préjugé à la mode, et au généreux et sage Comte d’Olban : où pourraient, les Spectateurs, trouver de plus beaux modèles ?

Les Comédies de sentiment ne sont donc pas aussi inutiles pour les mœurs que le prétendent certains esprits sévères et entêtés, qui, trop savoir pourquoi, s’obstinent à les proscrire, et ce genre ne fut-il en effet ni moral, ni immoral, faudrait-il hésiter à lui donner la préférence ? Une autre raison milite en sa faveur, et celle-ci me paraît être des plus importantes, ce sont presque toujours des valets, vous ne l’ignorez pas, Messieurs, qui nouent et dénouent les farces que l’on admire, et vous savez ce que c’est qu’un Valet de Comédie ; semblable à celui du bon Marot, il sent la hart d’une lieue à la ronde : on s’en passe assez volontiers dans le haut comique, et n’est-ce pas un autre avantage qu’il a sur le comique de situation ?

J. J. Rousseau s’applaudit à la fin de la nouvelle Héloïse de l’intérêt pur et sans mélanges de peine qui règne dans son Roman ; il s’applaudit surtout de ce que cet intérêt n’est excité ni par des noirceurs, ni par des crimes. J’ai voulu jouir du droit de m’applaudir à mon tour ; j’ai voulu goûter le plaisir pur et sans mélange de peine de reposer mes regards sur un tableau, dont aucun personnage ne put me les faire baisser, et voilà pourquoi j’ai fait une Comédie plus attendrissante que joyeuse. J’aime beaucoup, et j’aimerai toujours les Comédies où l’on rit ; je ne suis point l’ennemi de la gaieté et des saillies. Le Médecin malgré lui, la Métromanie et les Précieuses m’enchantent ; mais ces Pièces nous offrent des personnages ridicules, et non pas odieux ; le rire qu’elles excitent est avoué par la décence, et s’il n’y en avait sur notre Théâtre que de cette espèce, je ne me plaindrais point de ce qu’il est trop souvent une école de corruption : me pardonnerez vous, Messieurs, de ne vous avoir point fait rire aux dépens de l’honnêteté ? Et imiterez-vous dans vos critiques, Messieurs les Rédacteurs des feuilles hebdomadaires ?

L’Auteur très ingénieux de la Feinte par amour et du Célibataire, Dorat a dit quelque part que le rire était bon à la santé, et je le crois, ainsi que lui ; le rire fait oublier les chagrins ; il les adoucit du moins pour quelques instants, et verse dans l’âme des infortunés un baume de consolation ; mais qu’il est loin d’avoir jamais produit les mêmes effets que le pathétique, et pour n’en citer d’abord qu’un exemple, vous vous rappelez, sans doute Messieurs, la malheureuse affaire de Syracuse, où sept-mille Athéniens furent faits Prisonniers. Ceux-ci furent d’abord fort maltraités par les vainqueurs, qui se ressouvenant bientôt d’avoir versé des larmes aux Tragédies d’Euripide, engagèrent leurs Captifs à en réciter les plus belles Scènes. « Les Captifs obéirent et affectant de représenter les malheurs de leurs anciens Rois et de leurs Héros fabuleux, ils n’exprimèrent que trop fidèlement ce qu’ils ressentaient eux-mêmes, leur goût et leur sensibilité charmèrent les Syracusains, qui rompirent leurs chaînes, les reçurent avec amitié dans leurs familles, et après les avoir traités avec toutes les distinctions honorables de l’ancienne hospitalité rendirent aux vœux de leur patrie affligée les restes peu considérables, mais précieux, de l’armement le plus formidable, qui fut jamais sorti d’aucun Port grec. »[2]

Croyez-vous, Messieurs, qu’avec des turlupinades on remportât jamais une aussi difficile victoire ? Et que les Scènes les plus gaies d’Aristophane eussent amolli de la sorte le cœur des Syracusains ; croyez-vous qu’un Français en captivité, soit à Alger, soit à Tripoli, n’aurait besoin que de réciter quelques Scènes d’Opéra-Comique, pour obtenir sa liberté, et qu’il pourrait payer sa rançon avec des bouffonneries ? Croyez-vous enfin, qu’un genre dramatique, qui substitue dans les âmes la douce pitié à l’amour de la vengeance, n’apporte aucune espèce d’utilité avec lui ?

Certains Auteurs modernes, un peu différents du Citoyen de Genève, s’applaudissent de leur succès lorsqu’ils ont fait une Comédie, où triomphent les mauvaises mœurs, et que le Public l’a applaudie ; qu’ils sachent, que non-seulement ils insultent à la vertu, mais qu’ils s’éloignent encore de l’intention respectable de nos Rois, qui ont voulu que te Théâtre amusât innocemment leurs sujets, et qu’il égayât leur esprit sans gâter leur cœur ; voici un fragment d’une Déclaration de Louis XIII, qui prouve ce que je viens d’avancer.

« La crainte que nous avons que les Comédies qui se représentent utilement pour le divertissement des Peuples, ne soient quelquefois accompagnées de représentations peu honnêtes, qui laissent de mauvaises impressions sur les esprits, fait que nous sommes résolus de donner les ordres requis pour éviter tels inconvénients. »

« À ces causes, nous avons fait et faisons très expresses inhibitions et défenses par ces présentes, lignées de notre main, à tous Comédiens, de représenter aucunes actions malhonnêtes, ni d’user d’aucunes paroles lascives, ou à double entente, qui puisse blesser l’honnêteté publique, sous peine d’être déclarés infâmes, et autres peines qu’il y échoira, en joignons à nos juges ; chacun dans son district de tenir la main à ce que notre volonté soit religieusement exécutée, etc. »

C’est ainsi que s’exprimait le Prédécesseur de Louis XIV, le 15 Avril 1641, et l’on sait que de tels sentiments ont toujours été dans le cœur de tous nos Rois ; ne croyez-vous donc pas, Messieurs, que le genre de la Chaussée est un bâtard qu’il faudrait légitimer ? Et n’êtes-vous pas surpris qu’on veuille absolument le déshériter, et lui enlever les droits à la succession glorieuse de Thalie ? 

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER, GERMON

 

GERMON.

Rien, en ces lieux, Monsieur, ne peut me retenir.

Quel est votre projet en m’y faisant venir ?

Mélite vous plaît fort. Plus je vous examine,

Et plus j’en suis certain.

LE CHEVALIER.

Tu le crois ?

GERMON.

Je devine.

LE CHEVALIER.

Moi ! l’Amant de Mélite ! Ô ciel ! y penses-tu ?

Non, non ; depuis longtemps je connais la vertu,

Et je me plais toujours à lui rendre justice.

GERMON.

Depuis que j’ai l’honneur d’être à votre service,

Je vous ai vu souvent, sans beaucoup de raison,

Changer d’amour, Monsieur, comme de garnison ;

Et prodiguant partout vos banales tendresses,

Faire peu de Soldats et beaucoup de Maîtresses.

Mélite est jeune, elle a le plus joli minois.

LE CHEVALIER.

Que d’autres à l’envi se rangent sous ses lois !

J’aime sa belle-sœur, que l’on nomme Sophie.

GERMON.

Peut-être pour deux jours.

LE CHEVALIER.

Non, ma philosophie

Est de ne plus changer : je l’aime pour toujours.

De mes galants exploits elle arrête le cœurs.

Elle a tant de vertus ! Jeune, sensible et belle,

L’avoir vue un instant, c’est devenir fidèle ;

C’est jurer qu’à jamais...

GERMON.

Mais elle est au Couvent,

À que dit Rosette, et n’en sort pas souvent.

LE CHEVALIER.

Je ne le fais que trop. Voilà ce qui m’irrite.

Je l’ai vue en ces lieux, depuis que de Mélite

L’époux est en campagne.

GERMON.

Et très certainement

Vous avez déclaré votre amoureux tourment ;

Car vous êtes habile en ces sortes d’affaires.

LE CHEVALIER.

J’ai vainement voulu par mes aveux sincères,

Lui prouver l’ascendant qu’ont sur moi ses appas.

La Baronne partout accompagne ses pas.

Du feu que je ressens Mélite veut l’instruire.

Je sais qu’incessamment elle lui doit écrire ;

Et je t’ai fait venir avec moi dans ces lieux,

Pour lui porter la lettre au plutôt.

Peut-on mieux Concilier l’amour ensemble et la prudence ?

GERMON.

Non, Monsieur, et je vois toute votre innocence.

Pardonnez ! les absents ont tort ; et les maris,

Moins que d’autres devraient déserter leur logis.

J’avais cru que Terval, ayant laissé sa femme,

Vous veniez en ces lieux pour consoler Madame ;

Mais j’aperçois Rosette.

LE CHEVALIER.

Elle arrive à propos :

J’étais impatient de lui dire deux mots.

 

 

Scène II

 

ROSETTE, LE CHEVALIER, GERMON

 

LE CHEVALIER.

Ton aimable Maîtresse est dans ces lieux, j’espère.

ROSETTE.

Elle dans la maison ! Que pourrait-elle y faire ?

Si vous venez ici pour lui parler, ma foi !

Vous serez attrapé.

LE CHEVALIER.

Comment ? Explique-toi.

ROSETTE.

Et ne savez-vous pas, qu’au tourbillon fidèle,

Madame suit partout le plaisir qui l’appelle ?

Qu’elle sort le matin, ne rentre que le soir ?

Et qu’excepté chez elle, on peut partout la voir ?

LE CHEVALIER.

Le grand monde en effet l’amuse et l’intéresse,

Où donc est-elle enfin ?

ROSETTE.

Elle est chez la Duchesse,

Où je crois qu’on répète un Opéra nouveau.

LE CHEVALIER.

Tant pis ! Certain projet roule dans mon cerveau,

Et je venais ici pour traiter d’une affaire...

ROSETTE.

J’imagine un moyen qui peut vous satisfaire.

Allez chez la Duchesse, et vous l’y trouverez.

Vous ferez plus, Monsieur. Là, vous l’entretiendrez

De ce qui vous regarde.

LE CHEVALIER.

Elle y sera peut-être

Avec beaucoup de monde.

ROSETTE.

Oh ! oui ; cela doit être.

Courtisée en tous lieux, souveraine des cœurs,

Elle traîne partout des flots d’adorateurs,

Dont même ses dédains ne peuvent la défendre ;

Et depuis quelque temps, certain Monsieur Cléandre

Ne la quitte jamais.

LE CHEVALIER.

Quel est cet homme là ?

ROSETTE.

Eh quoi ! vous l’ignorez ? Je n’ai pas cru cela

Ce Cléandre, Monsieur, est un grand inutile

Que l’on trouve partout. À la Cour, à la Ville,

Madame le rencontre, à ce qu’elle m’a dit.

Il vient ici par fois étaler son esprit :

Sa manie est surtout, dès qu’une femme est belle,

De se prendre aussitôt de passion pour elle ;

De lui faire essuyer mille galants propos,

Et de ne plaire enfin qu’à ses nombreux rivaux.

LE CHEVALIER.

Je craignais qu’il ne plût un jour à ma Maîtresse ;

Mais tu m’as rassuré, je vais chez la Duchesse.

ROSETTE.

Pour parler à Mélite ?

LE CHEVALIER.

Oui ; ton avis est bon,

Rosette, et je le suis. Toi, reste ici, Germon ;

Il faut que dans ces lieux tu m’attendes.

 

 

Scène III

 

GERMON, ROSETTE

 

GERMON.

Rosette !...

ROSETTE.

Germon !

GERMON.

Si tu n’étais extrêmement discrète,

Je te demanderais ce qu’au fond de ton cœur

Tu penses de mon Maître.

ROSETTE.

Avec ce ris moqueur

Crois-tu m’embarrasser ? Ton maître aime, et je gage

Qu’il veut à ma Maîtresse offrir son tendre hommage.

Qu’il s’en garde pourtant. Il est aisé de voir,

Que, sous un air léger, fidèle à son devoir,

Aux déclarations Mélite est peu sensible ;

Et puis de son mari la jalousie horrible

Doit vous faire trembler l’un et l’autre.

GERMON.

Pourquoi ?

Il n’a point de raison de m’en vouloir, à moi.

ROSETTE.

Non ; s’il te voit pourtant faire quelque message,

De lui plaire Germon n’aura pas l’avantage ;

Et je ne réponds pas que ton dos...

GERMON.

Je t’entends.

Il est un peu brutal.

ROSETTE.

Oui, pour tuer le temps,

 Il rosse quelquefois et valets et servantes :

Du reste, il a les mœurs douces, accommodantes.

Mélite se ruine en vains colifichets,

Jamais il n’y regarde, et ne s’en plaint jamais.

Il paye exactement la très grande dépense

Qu’elle fait chaque mois ; et la magnificence

Se plaît même souvent à prévenir nos goûts.

Bref, il serait parfait, s’il n’était point jaloux :

C’est là son seul défaut.

GERMON.

Il l’est donc de mon Maître ?

ROSETTE.

Il l’est de tout le monde. A-t-il grand tort de l’être ?

GERMON.

Oui certes, dans ces lieux mon Maître ne vient pas

Pour ta jeune Maîtresse. Il a vu les appas

De l’aimable Sophie, et ce n’est que pour elle...

ROSETTE.

À d’autres. Je connais son humeur infidèle.

J’entends quelqu’un. Terval qu’on attend aujourd’hui

Serait-il arrivé ? Précisément c’est lui.

GERMON.

Où diable me cacher ? Tu m’as fait de cet homme

Un si vilain portrait ! Je crains qu’il ne m’assomme.

ROSETTE.

Tu crains avec raison. Peut-être il penserait...

Mais sans perdre de temps, va dans ce cabinet.

Germon se cache dans un cabinet à gauche.

 

 

Scène IV

 

TERVAL, ROSETTE, GERMON, caché

 

ROSETTE.

Soyez le bienvenu, Monsieur. En votre absence,

Mélite a désiré souvent votre présence.

TERVAL.

Tu le crois ! cependant, ma femme a peu besoin

Qu’à la conduite ici je serve de témoin.

ROSETTE.

Sa conduite n’a rien qui soit répréhensible ;

Sous un dehors léger elle a l’âme sensible.

Elle vous aime.

TERVAL.

Moi ! moi qui suis son époux !

Rosette, que dis-tu ? Ce serait, entre nous,

S’afficher, s’exposer au plus grand ridicule.

Je puis être dupé, mais ne suis point crédule.

Mélite me supporte, et voilà tout : d’ailleurs,

Ce siècle est-il donc fait pour les vives ardeurs

Qu’autrefois inspiraient et partageaient les Dames ?

Tromper est aujourd’hui la science des femmes ;

Que dis-je ? Elles trompaient même nos bons aïeux.

ROSETTE.

Mélite peut avoir quelques torts à vos yeux ;

Mais ces torts sont communs presqu’à toutes les belles.

Elle aime à relever ses grâces naturelles,

À l’aide des rubans, des gazes, des chapeaux.

Tous ces jolis pompons, tous ces atours nouveaux

Qui des fleurs du Printemps nous retracent l’image,

Séduisent à l’envi ce papillon volage.

Ces défauts exceptés, que lui reprochez-vous ?

TERVAL.

Puis-je t’en informer sans paraître jaloux ?

Ce n’est point là mon vice, et tu croirais, peut-être...

ROSETTE.

Qui ne l’est pas du tout, craint peu de le paraître.

Parlez donc, je verrai si vous avez raison

De faire quelquefois du bruit dans la maison,

D’y gronder tout le monde, et Mélite et moi-même.

TERVAL.

Eh bien ! s’il est certain que mon épouse m’aime ;

Lorsque pour la campagne elle m’a vu partir,

Avec moi sur le champ pourquoi n’y pas venir ?

Pourquoi, sans son époux, demeurer à la ville ?

ROSETTE.

Aller s’ensevelir dans un champêtre asile ;

Et pourquoi, s’il vous plaît ? Pour voir des arbrisseaux

Fleurir et s’incliner sur le bord des ruisseaux.

Nous avons vu cela tant de fois dans la vie !

Madame aime les bals, surtout la Comédie,

Les fêtes, les soupers, les concerts...

TERVAL.

Dans les champs

On entend des oiseaux les concerts ravissants ;

Et sous un orme antique, à l’ombre d’un feuillage,

N’y voit-on pas danser les Bergers du village ?

ROSETTE.

Soit ; mais on danse mieux encore à l’Opéra.

TERVAL.

A-t elle été souvent à ce spectacle là ?

ROSETTE.

Non, Monsieur, seulement quatre fois la semaine.

TERVAL.

Quatre fois !

ROSETTE.

D’en parler, ce n’est trop la peine.

Ajoutez, lorsqu’aux champs vous étiez occupé,

Que Madame jamais chez elle n’a soupé.

TERVAL.

Je ne suis plus surpris que les chevaux malades...

ROSETTE.

Ils sont un peu lassés de tant de promenades ;

Mais Madame, demain afin de les guérir,

Chez cinq ou six Marchands doit les faire courir.

TERVAL.

Je ne suis point fâché qu’elle aime la dépense ;

Mais, Rosette, dis-moi ce qu’il faut que je pense

D’un autre évènement fait pour m’inquiéter.

À mon retour ici l’on n’est venu conter

Que ma femme avait mis ses diamants en gage.

ROSETTE.

Vous avez su cela par Dorine, je gage.

De tout vous rapporter elle a l’attention ;

Et je crois, entre nous, qu’elle est notre espion.

Ici, dans quelque coin, peut-être elle est cachée,

Et peut-être elle entend...

TERVAL.

Te voilà bien fâché !

Avec zèle pourtant elle me sert.

ROSETTE.

D’accord ;

Vous l’aimez ; et pour moi, je la hais à la mort.

TERVAL.

Elle m’a dit bien plus.

ROSETTE.

Et quoi donc, je vous prie ?

TERVAL.

Mélite, chaque jour, d’un seul laquais suivie,

Va dans une maison, assez près de ces lieux,

Où peut-être l’attire un rival odieux.

ROSETTE.

Un rival ! Ah ! cessez de tenir ce langage.

TERVAL.

Je crois bien que ma femme est vertueuse et sage ;

Mais cet air de mystère allume mon courroux.

ROSETTE.

Et si je vous en crois, vous n’êtes point jaloux ?

Ah ! que vous lisez mal dans le fond de votre âme !

Convenez-en, Monsieur. Quoi ! parce que Madame

Mystérieusement va dans une maison,

Faut-il en concevoir un odieux soupçon ?

Madame est bienfaisante. Aux malheureux sans cesse

Elle aime à prodiguer une vaine richesse.

Donner est son plaisir, et les cœurs délicats

Qui le veulent goûter, ne se cachent-ils pas ?

TERVAL.

Il le peut qu’en effet elle soit innocente,

Et que, pour contenter son humeur bienfaisante,

Elle évite avec loin l’étalage et le bruit :

Mais je veux tout savoir ; l’honneur me le prescrit

Autant que mon repos.

ROSETTE.

Ah ! quel homme !

TERVAL.

Rosette,

Lorsqu’elle sortira, qu’avec soin on la guette ;

Je le veux, et c’est toi que j’en charge, entends-tu ?

ROSETTE.

Soit. Vous serez certain de toute sa vertu.

TERVAL.

Tu m’instruiras après du but de ses visites.

ROSETTE.

Volontiers. Je ferai tout ce que vous me dites :

Je suis pourtant surprise et le suis justement.

Puis-je vous faire part de mon étonnement ?

TERVAL.

Parle.

ROSETTE.

Puisque toujours sur votre jeune épouse

S’étendent les soupçons de votre humeur jalouse,

Pourquoi la quittiez-vous ? et pourquoi si longtemps

Rester à la campagne ?

TERVAL.

Une maison aux champs

M’a jusqu’ici manqué. Je reviens d’en voir une

Qui convient à mon rang ainsi qu’à ma fortune ;

Et ne fallait-il pas, la voulant acheter,

Qu’un jour ou deux au moins j’allasse l’habiter ?

À la maison est jointe une superbe terre...

Mais tu me fais penser qu’à son propriétaire

Il faut que j’aille écrire, et dans ce cabinet

Je trouverai, je crois...

ROSETTE, voulant l’arrêter.

Écoutez, s’il vous plaît ;

Mais il n’écoute point, et déjà sur la tête

De ce pauvre Germon éclate la tempête.

TERVAL, tenant Germon au collet, et le conduisant sur la scène.

Qu’est-ce que tu faisais caché dans ce réduit ?

Parle, maraud, de tout qu’à l’heure même instruit...

GERMON.

Ah ! Monsieur, pardonnez ! je ne suis pas un traitre,

Encor moins un voleur, et j’attendais mon Maître.

TERVAL.

Ton Maître, quel est-il ?

GERMON.

Monsieur le Chevalier.

TERVAL.

Et jusques à ce point il a pu s’oublier ?

Mais je sais comme il faut punir de tels coupables.

GERMON.

Ah ! Monsieur, tous les deux nous sommes incapables...

TERVAL.

Sors, maraud. Je saurai te châtier aussi,

S’il t’arrive jamais de reparaître ici.

Germon sort.

 

 

Scène V

 

TERVAL, ROSETTE

 

TERVAL.

Tu vois si j’ai raison de blâmer la conduite.

Le Chevalier peut-être est ainé de Mélite,

Et par de ses gens il envoie en ces lieux

Savoir s’il peut bientôt lui parler de ses feux.

Je veux m’en éclaircir. Elle est ici sans doute ?

ROSETTE.

Qui, Monsieur ?

TERVAL.

Qui, Mélite ? Il faut, quoi qu’il m’en coûte,

Que nous nous expliquions. Ne pourrai-je la voir ?

ROSETTE.

Je ne crois pas, Monsieur, ce n’est que vers le soir

Qu’elle revient.

TERVAL.

Ô Ciel ! allons trouver ma mère,

Et savoir d’elle enfin ce qui me reste à faire.

 

 

Scène VI

 

ROSETTE, seule

 

Que je le plains ! Il croit ne pas être jaloux,

Et ce triste défaut, si commun aux époux,

Qui se peint dans ses yeux comme dans son langage,

Tôt ou tard finira par troubler le ménage.

Quel malheur pour Mélite... Elle ne s’attend pas...

Mais je crois qu’en ces lieux elle porte ses pas

Avec le Chevalier... Quelle est son imprudence !

Si Terval revenait !... Il est tout près, je pense.

Quoi ! Madame, c’est vous !

 

 

Scène VII

 

MÉLITE, LE CHEVALIER, ROSETTE

 

MÉLITE.

C’est moi-même. Pourquoi

Montrer de la surprise et presque de l’effroi ?

ROSETTE.

Terval est arrivé.

MÉLITE, avec joie.

Mon époux !

ROSETTE.

Oui, Madame.

MÉLITE.

La joie à ce doux nom pénètre dans mon âme ;

Comment se porte-t-il ? Je le veux embrasser

À l’instant, et je vais...

LE CHEVALIER.

Pourquoi tant vous presser ?

Avez-vous oublié l’objet qui nous rassemble ?

Et qu’ici nous venons pour conférer ensemble.

MÉLITE.

Depuis une semaine il était hors d’ici.

LE CHEVALIER.

L’on a toujours le temps de revoir son mari.

Permettez donc...

MÉLITE, à Rosette.

Il faut l’aller trouver sur l’heure,

Et lui dire... mais non, j’irai bientôt... demeure.

Lorsque j’étais absente, est il venu céans

Au Chevalier.

Quelqu’un me demander ? Encore deux instants,

Et puis, je suis à vous.

ROSETTE.

Certaine Dame âgée,

Qui de ne pas vous voir paraissait affligée,

M’a dit que ce soir même elle aurait ce plaisir,

Et qu’elle reviendrait.

MÉLITE.

Il faudra m’avertir,

Et sur le champ. Allez.

 

 

Scène VIII

 

MÉLITE, LE CHEVALIER

 

MÉLITE.

Avec quelle vitesse

Vous m’avez ramenée ici ! De la Duchesse

Au moins nous aurions dû prendre congé.

LE CHEVALIER.

Comment !

Vous imaginez-vous, Madame, qu’un Amant

Sente si peu le prix d’un moment favorable ?

Vous connaissez mes feux, et l’objet adorable

Qui me les inspira. Vous savez que mon cœur

Ne peut que de vous seule attendre son bonheur.

De vous le répéter il n’est pas nécessaire.

MÉLITE.

Cet aveu me surprend, et je n’y comptais guère.

Je n’aurais jamais cru qu’avec cet air léger,

Sous le joug de l’amour vous pussiez vous ranger.

LE CHEVALIER.

Est-ce à vous de douter d’un semblable miracle ?

Vous qui nous présentez l’intéressant spectacle

Des plus rares attraits aux vertus réunis ?

D’un jeune homme, d’abord, le cœur, erre indécis

Entre mille beautés qui s’offrent à la vue ;

Mais frappé tout-à-coup d’une atteinte imprévue,

Par degrés il se rend : son vainqueur est trouvé,

Et voilà justement ce qui m’est arrivé.

MÉLITE.

Je vous crois ; cependant, malgré cette assurance,

Vous fûtes si longtemps sujet à l’inconstance !

LE CHEVALIER.

Autrefois j’ai pu l’être, et même j’en conviens ;

Mais de moi, désormais, ne redoutez plus rien.

Celle que j’idolâtre est si sage et si belle !

MÉLITE.

Ainsi vous me jurez de lui rester fidèle ?

LE CHEVALIER.

Jusqu’à la mort.

MÉLITE.

Eh bien ! reposez-vous sur moi

De tous vos intérêts.

LE CHEVALIER.

Quelle bonté ! Je crois

Que, dans cette maison mon léger caractère

Pourrait, sans votre appui, me devenir contraire.

Dites qu’il est changé ; que, ferme dans mes vœux,

Je resterai fidèle à l’objet de mes feux.

MÉLITE.

De tous vos sentiments, véridique interprète,

Je dirai ce qu’il faut. Vous ayez vu Rosette

M’annoncer à l’instant le retour d’un époux,

Et pour l’aller trouver je m’éloigne de vous.

LE CHEVALIER.

Encore un mot, de grâce ! Il faut que la Baronne

Approuve mon amour. Elle a l’âme si bonne,

Qu’aisément vous saurez m’obtenir sa faveur.

MÉLITE.

Je l’espère, partez.

LE CHEVALIER.

Pour hâter mon bonheur,

Si vous daigniez aussi me donner une lettre,

N’imaginez-vous pas, que, sans vous compromettre ?...

MÉLITE.

Mon Dieu ! que de discours inutiles ! Adieu.

Comptez sur moi, vous dis-je, et sortez de ce lieu.

Il l’accompagne jusqu’à la porte de son appartement lui baise la main, et sort par un côté opposé.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LA BARONNE, DORINE

 

LA BARONNE.

Il aimerait ma Bru ! Le trait est singulier.

Que lui disait encor Monsieur le Chevalier ?

Je prétends tout savoir.

DORINE.

Qu’elle était informée

Du secret de son cœur... Que son âme charmée

D’elle seule attendait le bonheur de ses jours,

Et qu’en dépit de tout, il l’aimerait toujours.

Ce n’est pas tout.

LA BARONNE.

Comment ! Achevez-moi le reste.

DORINE.

Il a baisé sa main, et de l’air le plus leste,

Avant que de sortir, je l’ai vu de mes yeux,

Qui lui faisait ainsi les plus tendres adieux.

LA BARONNE.

Mon fils de tout cela ne fait rien ?

DORINE.

Non, Madame.

LA BARONNE.

Il ne soupçonne point la vertu de la femme ?

DORINE.

Je ne le pense pas ; mais pour me conformer

À ses ordres, de tout je le vais informer.

LA BARONNE.

Ah ! gardez-vous-en bien. Écoutez-moi, Dorine,

On se trompe souvent plus qu’on ne l’imagine ;

Mélite est jeune et belle, et mille adorateurs

La viennent étourdir de leurs propos flatteurs ;

Mais à tous leurs discours son oreille est fermée,

Et sans aimer d’ailleurs ne peut-on être aimée ?

À Mélite sans cesse on adresse des vœux,

Sans cesse rejetés par son cœur vertueux.

Vous prenez, je le vois, pour un coupable hommage,

Ce que le monde appelle un compliment d’usage.

Ainsi je vous défends d’en parler à mon fils.

DORINE.

Ses ordres néanmoins doivent être suivis ;

Pourriez-vous me blâmer de chercher à lui plaire ?

Son épouse...

LA BARONNE.

Arrêtez... Ce rapport téméraire,

Loin de la vraisemblance et de la vérité,

Prouverait tout au plus votre malignité.

De quel droit osez-vous, sans en être bien sûre,

Croire ma belle-fille infidèle ou parjure ?

DORINE.

Madame...

LA BARONNE.

Je hais fort toute délation

Qui peut de deux époux altérer l’union ;

Et quiconque se plaît dans la tracasserie,

Est un monstre à mes yeux. Ainsi donc, je vous prie,

Sortez de la maison : je vous donne congé.

DORINE.

À moi, Madame ?

LA BARONNE.

À vous ; c’est un point arrangé.

Vous êtes dans ces lieux pour épier Mélite,

Et vous y resteriez pour noircir la conduite

Dans l’esprit de mon fils. Sortez, et sans le voir.

DORINE.

Mais...

LA BARONNE.

Vous êtes à moi : faites votre devoir.

Sortez, vous dis-je.

 

 

Scène II

 

LA BARONNE, seule

 

Ainsi je préviendrai des scènes

Qu’accompagnent toujours les chagrins et les peines.

Il faut tant que l’on peut, avec précaution,

D’un ménage écarter toute division,

En bannir les soupçons, les débats, les alarmes.

Pour les cœurs vertueux la paix a tant de charmes !

Ce que Dorine ici vient de me confier

Peut être vrai pourtant, et pour le Chevalier

Je crains bien que Mélite en effet ne ressente

Une flamme secrète. Elle est vive, imprudente ;

Peut-être à la séduire on a trop réussi.

Comment le découvrir ?

 

 

Scène III

 

MÉLITE, LA BARONNE

 

MÉLITE, à part.

Bon ! elle est seule ici : 

Je vais du Chevalier lui porter la demande.

À nos vœux réunis il faut qu’elle se rende.

Haut.

Je l’espère du moins. Un devoir important

M’attire auprès de vous, Madame, en cet instant...

Le Chevalier m’envoie...

LA BARONNE.

Un moment : votre gloire

Me touche infiniment, et vous pouvez le croire :

Pourquoi donc l’exposer aux soupçons ?...

MÉLITE.

En effet,

D’écouter la raison j’ai toujours le projet,

Et je fais, malgré moi, toujours quelque imprudence.

LA BARONNE.

Écoutez-moi, ma bru ; j’ai cette expérience

Qu’on acquiert avec l’âge, et je veux une fois,

Si vous le permettez, user de tous mes droits.

MÉLITE.

Un guide me manquait, Madame. Ah ! daignez l’être.

LA BARONNE.

Votre mari se plaint avec raison ; peut-être !

Que livrée au grand monde, à son vain tourbillon,

Vous n’aimez point assez à vivre en sa maison ;

Que le goût des plaisirs trop souvent vous entraîne

Loin de votre famille, et que l’ennui, la gêne

Semblent vous obséder, sitôt qu’une heure ou deux

Vous êtes obligée à rester en ces lieux.

Mélite, je n’ai point l’humeur dure et sauvage

Que souvent on reproche aux femmes de mon âge,

Et mon défaut n’est point trop de sévérité.

S’il vous faut néanmoins dire la vérité,

Je crains pour vous, je crains l’ardeur qui vous domine,

Je crains surtout votre âge, et que votre ruine

Ne soit enfin la suite et l’effet malheureux

Des désordres cruels que l’on nomme des jeux.

Je crois à vos vertus, et j’en ai mille preuves ;

Mais pour les conserver, à de rudes épreuves,

Vous les exposez trop, et plus d’un sage a dit :

Qui brave le danger, tôt ou tard y périt.

MÉLITE.

Ô combien ces leçons, dont la douceur me touche,

Sont chères à mon cœur ! Je crois par votre bouche

Entendre la raison elle-même exprimer

Tout ce qui peut conduire à se faire estimer.

Je veux en profiter, n’en doutez point, Madame.

LA BARONNE.

Ne laissez donc jamais approcher de votre âme

Un penchant qui devient l’ennemi du bonheur,

Aussitôt qu’il n’est point dirigé par l’honneur.

Vous êtes mère enfin depuis près d’une année.

D’accord avec l’Amour le propice hyménée,

D’un époux fortuné reproduisant les traits,

Vous offre dans un fils le plus beau des portraits.

Cette tige naissante a besoin de culture.

Satisfaites en tout le vœu de la nature.

Les devoirs maternels font si doux à remplir !

MÉLITE.

Je veux dans ces devoirs mettre tout mon plaisir ;

Vous y pouvez compter.

LA BARONNE.

Mais on dit qu’ici même

Le Chevalier, tantôt de son ardeur extrême,

Est venu vous parler : il a donc des projets ?

MÉLITE.

Apprenez tout ; pour vous je n’ai point de secrets,

Madame, il est venu me prier de vous dire,

Que de Sophie épris à la main il aspire,

Et qu’il n’aurait enfin plus rien à souhaiter,

Si vous vouliez bientôt pour gendre l’accepter.

LA BARONNE, à part.

Me serais-je trompée aussi bien que Dorine ?

MÉLITE.

Le Chevalier est riche et d’illustre origine.

LA BARONNE.

Il ne me paraît pas vraisemblable, entre nous,

Qu’à ma fille appartienne un triomphe si doux ;

Elle est bien jeune encor, bien timide et peu faite

Pour conquérir un cœur ou tourner une tête :

Ne serait-ce point vous, parlons de bonne foi,

Qui sente au Chevalier donnez ici la loi ?

MÉLITE, avec surprise.

Qui ! moi ! Madame !

LA BARONNE, d’un air bon et tendre.

Vous ! quelle autre est plus jolie ?

Il peut vous adorer sous le nom de Sophie

Et de ce voile heureux couvrant ses feux discrets,

Vous ouvrir de son cœur tous les replis secrets,

On sait que les Amants usent de stratagème.

MÉLITE.

Non, non, détrompez-vous, ce n’est pas moi qu’il aime,

Il s’est plus d’une fois clairement expliqué ;

Je connais sa candeur, j’ai même remarqué

Entre Sophie et lui certaine intelligence ;

Et puis je ne crois pas, que sur mon indulgence

Il ose assez compter pour jamais concevoir

Un projet qui serait contraire à mon devoir ;

Il ne peut ignorer que le nœud qui m’engage,

Sitôt qu’il est formé n’admet point de partage ;

Que depuis notre hymen Terval est tout pour moi,

Qu’à Terval je conserve et mon cœur et ma foi,

Et qu’on peut tout ensemble être étourdie et sage.

LA BARONNE.

Le Chevalier, dit-on, a l’humeur très volage,

Et je crains...

MÉLITE.

À Sophie il brûle de s’unir ;

Et par elle fixé...

LA BARONNE.

Ne pourrait-il venir,

S’expliquer avec moi ? Je connais sa naissance,

Et l’on peut s’honorer d’une telle alliance.

Cette affaire pourtant intéresse mon fils,

Et je vais de ce pas lui demander avis.

 

 

Scène IV

 

MÉLITE, seule

 

À quel point la Baronne aujourd’hui s’est méprise !

Je ne l’aurais pas cru. Puisse mon entremise

Du Chevalier pourtant avancer le bonheur !

Je crois que de Sophie il a touché le cœur.

 

 

Scène V

 

MÉLITE, ROSETTE

 

ROSETTE.

Cléandre est là, Madame, avec impatience

Il délire, il attend un moment d’audience.

D’un objet important il voudrait vous parler.

MÉLITE, à part.

Qu’il entre. De fadeurs il me vient accabler,

Et je me passerais d’une telle visite ;

Mais je ne puis...

 

 

Scène VI

 

CLÉANDRE, MÉLITE

 

CLÉANDRE, d’un air léger.

Bonjour adorable Mélite !

On m’a dit qu’aujourd’hui vous ne sortiriez pas :

Eh ! quoi ! vous dont le monde admire les appas,

Vous faites pour lui plaire !... Ah ! c’est être coupable...

MÉLITE.

Terval est de retour.

CLÉANDRE.

Il est trop vraisemblable

Qu’au lieu de s’occuper à vous rendre des soins,

À prévenir vos goûts et vos moindres besoins,

Ce Terval, dont l’humeur tient de la défiance

Et qu’on dit très jaloux...

MÉLITE.

Vous plaisantez, je pense.

Ce sourire l’annonce...

CLÉANDRE.

Oui ; mais comprenez-vous ?...

MÉLITE.

Je vous entends, Monsieur ? On dit que mon époux

Par ses jaloux soupçons trouble ma destinée.

Quelle preuve en a-t-on ? Du joug de l’Hyménée

Me suis-je jamais plainte ? Et quand même, en effet,

Avec quelque rigueur Terval me traiterait,

Serait-ce une raison pour ne pas me défendre

Des pièges où souvent un cœur se laisse prendre ?

Et pour vous faire croire enfin, que vos avis

Seraient par moi sur l’heure approuvés et suivis,

Qui vous a tout-à-coup rendu si téméraire ?

CLÉANDRE.

Née avec mille attraits et tous les dons de plaire,

Et le front couronné des roses du Printemps ;

Dans les bals, dans les jeux vous passez votre temps.

Qu’un sage, tristement se consacre à l’étude,

Rien ne vous pèse tant qu’un jour de solitude.

Vous avez l’air enfin de n’aimer qu’à saisir,

Ou le plaisir lui-même, ou l’ombre du plaisir ;

Et j’ai cru, pardonnez ! qu’une tendre folie

Embellissait encore une femme jolie.

MÉLITE.

D’un semblable discours, j’ai droit de m’offenser,

Et mon étonnement...

CLÉANDRE.

Daignez n’y plus penser.

MÉLITE.

Et qui donc, s’il vous plaît, vous a mis dans la tête,

Qu’on ne peut s’amuser, sans cesser d’être honnête ?

Que le goût des plaisirs, d’où le vice est exclus,

Ne saurait s’allier à celui des vertus ?

J’aime les bals, les jeux, et je cours le spectacle,

Au bonheur de quelqu’un est-ce là mettre obstacle ?

Est-ce à la Comédie où l’on gâte ses mœurs ?

Et faut-il qu’à mon âge, écoutant les Censeurs,

Qui voudraient sur la leur réformer ma conduite

J’aille dans un désert vivre comme un Hermite ?

Non, défiez-vous moins des dehors spécieux

Qui vous font présumer qu’un cœur est vicieux

Sitôt qu’il s’abandonne au tourbillon du monde :

C’est quelquefois sur eux que la vertu se fonde.

Une prude, à coup sûr, aime l’obscurité,

Et quand on est honnête, on craint peu la clarté.

CLÉANDRE.

J’en conviens ; mais trompé par votre caractère,

J’ai cru que tous vos vœux le bornaient à nous plaire.

MÉLITE.

Eh bien ! connaissez-moi. Je vais avec candeur

Vous instruire à l’instant des secrets de mon cœur

Je ne suis point coquette. Avec raison, peut-être,

On croit que je la fuis : je n’ai que l’air de l’être.

Sous un extérieur frivole, inconséquent,

Puisqu’il faut l’avouer, je cache un sentiment

Aussi tendre que vis, dont mon âme est ravie,

Et qui fera toujours le bonheur de ma vie.

CLÉANDRE.

J’entends. Le Chevalier est peut être celui

Dont les feux...

MÉLITE

Vous croyez ?

CLÉANDRE.

Parions qu’aujourd’hui

Il est venu vous voir.

MÉLITE.

Oui, la chose est certaine.

CLÉANDRE.

Quoiqu’il ait fait sans doute une démarche vaine,

Qu’il est heureux ! chez vous il trouve un libre accès,

À toute heure du jour il vient...

MÉLITE.

De ses succès

Vous paraissez avoir une pleine assurance ;

Il peut vaincre d’un cœur la longue indifférence,

C’est d’un autre pourtant que le mien a fait choix ;

Un autre me tient seule asservie à ses lois.

CLÉANDRE.

Un autre ! se peut-il ?

À part.

Si c’était moi !

MÉLITE, souriant.

Peut-être

Que vous ne serez point fâché de le connaître.

CLÉANDRE.

Qu’il faut se défier d’un sourire aussi doux !

Vous venez à l’instant de vous mettre en courroux,

Madame, et tout-à-coup jouant un nouveau rôle,

S’il faut vous dire tout, je crois, sur ma parole,

Que vous vous proposez de rire à mes dépens.

N’importe ! nommez-moi cet autre.

MÉLITE.

J’y consens :

Sur mon cœur enflammé son image est si forte,

Qu’en tous lieux, qu’en tout temps, avec moi je la porte.

CLÉANDRE.

Parbleu ! si le portrait ressemble, apparemment

Je le reconnaîtrai. Voyons.

MÉLITE, lui montrant un portrait.

Il est charmant ;

Mais n’allez pas au moins divulguer ma folie.

Le voilà !

CLÉANDRE.

Votre époux ! qu’ai-je vu ?

MÉLITE.

La copie

Exprime-t-elle bien l’aimable original ?

À part.

Il paraît confondu.

Haut.

Parlez.

CLÉANDRE.

Il n’est pas mal ;

Un peu flatté pourtant.

MÉLITE.

Que n’a-t-on pu le rendre

Comme il est dans mon cœur !

CLÉANDRE.

Son air n’a rien de tendre.

MÉLITE.

À vos yeux ; mais aux miens... Après de tels aveux,

Jugez-vous que mon cœur puisse écouter vos vœux ?

TERVAL, au fond du Théâtre.

Quel est donc ce portrait que regardait Cléandre ?

D’un désir curieux je ne puis me défendre ;

D’un désir curieux je ne puis me défendre !

Mais non, temporisons pour mieux être éclairci.

MÉLITE.

Il n’a rien qui vous plaise, et moi je trouve ici

Moins de perfection que n’en a le modèle.

CLÉANDRE.

À votre époux ainsi vous resterez fidèle ?

MÉLITE.

En pouvez-vous douter ? Supposons néanmoins

Que mon cœur aujourd’hui fût sensible à vos soins,

Que vous reviendrait-il d’une telle victoire ?

Faire des malheureux, le beau titre à la gloire !

Terval a des vertus, et, quoiqu’il soit jaloux,

Ensemble nous coulons les moments les plus doux.

La concorde, la paix filent nos destinées.

Pour mille autres les jours ressemblent aux années ;

Elles ne sont pour nous que de légers instants,

Et des nœuds de l’hymen nous enchaînons le temps.

CLÉANDRE, à part.

Que je me suis trompé ! qu’entends-je ? et quel langage !

MÉLITE.

Beaucoup de jeunes gens, pour troubler un ménage,

Nous prouvent aujourd’hui qu’ils ne respectent rien.

Que je les trouve à plaindre ! Ah ! souvenez-vous bien

Qu’ils sont infortunés autant que leurs victimes,

Tant qu’ils ont devant eux l’image de leurs crimes ;

Qu’il n’est point de plaisir pour qui sent des remords.

La honte vous punit déjà de vos transports.

Je vois sur votre front un repentir sincère...

Mais voici mon époux : il est très nécessaire

Qu’il ignore à jamais ce que vous m’avez dit.

Votre aspect le surprend et le rend interdit.

De ses soupçons jaloux songez à vous défendre.

TERVAL, au fond du Théâtre.

Que disaient-ils tous deux ? Il est temps de l’apprendre.

CLÉANDRE, à part.

Cherchons quelque prétexte.

 

 

Scène VII

 

TERVAL, MÉLITE, CLÉANDRE

 

CLÉANDRE.

Un bruit court dans Paris

Que vous cherchez partout une terre...

TERVAL.

J’ai pris

Quelques arrangements pour m’en procurer une.

À part.

Malheureux ! je vais donc savoir mon infortune.

CLÉANDRE.

J’en sais une assez belle à vendre en cet instant.

TERVAL.

Pour cela, s’il vous plaît, voyez mon Intendant :

De mes conditions il pourra vous instruire.

CLÉANDRE, à Mélite.

Je vais donc le trouver : adieu. Je me retire

Charmé de vos vertus ; mais de mon souvenir,

Croyez que rien jamais ne pourra les bannir ;

Et qu’au fond de mon cœur, emportant votre image

C’est là que chaque jour je veux lui rendre hommage.

MÉLITE, à part.

Je ris de la frayeur qui vient de le saisir.

 

 

Scène VIII

 

TERVAL, MÉLITE

 

TERVAL.

L’image dont il parle avec tant de plaisir,

Serait-ce le portrait, que d’une main furtive,

Vous venez de soustraire à ma vue attentive ?

Cette image paraît avoir charmé les yeux :

Ne pourrais-je la voir ?

MÉLITE.

Vous êtes curieux.

TERVAL.

J’en conviens ; ce défaut aux époux ordinaire,

Ne doit point vous fâcher : daignez me satisfaire.

MÉLITE.

Dispensez-m’en de grâce.

TERVAL.

Et pourquoi, s’il vous plaît ?

Que craignez-vous de moi ?

MÉLITE, souriant.

Je crains tout. Ce portrait

Est celui de quelqu’un...

TERVAL.

Qui vous plaît fort, je gage.

MÉLITE.

Je l’avoue, il m’est cher, on ne peut davantage.

À part.

Est-ce une vérité qu’elle dit en riant ?

Haut.

Vous allez me trouver un peu contrariant,

N’importe : dussiez-vous me trouver haïssable,

Voyons, que je connais le un rival redoutable.

Je ne suis pas surpris, qu’éloigné de ces lieux,

Et que ne pouvant plus avoir sur vous les yeux,

Vous ayez vu des gens qu’à votre âge on doit craindre.

MÉLITE.

Mais si vous vouliez bien attendre, pour vous plaindre,

Que vous fussiez certain de mes torts...

TERVAL.

On m’a dit Que ne rentrant jamais qu’au milieu de la nuit,

Que cherchant tous les jours à faire des conquêtes

Vous les avez passés dans les jeux, dans les fêtes.

Que me faut-il de plus ?

MÉLITE.

Ainsi donc fermement

Vous croyez que je tiens le portrait d’un Amant.

TERVAL.

Non, vous pouvez avoir la conduite légère,

Maison n’accepte point d’une main étrangère

Un semblable présent ; et c’est pour plaisanter,

Pour m’intriguer, peut-être, ou m’impatienter,

Que vous avez sur l’heure inventé cette Fable.

MÉLITE.

Non, Terval, soyez vrai : vous me croyez coupable.

Vous venez, un instant, de feindre, je le vois

Que vous étiez certain de mon cœur, de ma foi ;

Mais jusqu’où ne va point une jalouse flamme ?

Vous me cachez en vain le trouble de votre âme :

J’y lis mieux que vous-même.

TERVAL.

Eh bien ! il est aisé

Que par vous promptement je sois désabusé.

Montrez-moi ce portrait, objet de mes alarmes ;

Et sûr de vos vertus, je rends soudain les armes.

MÉLITE.

Soit ; mais promettez-moi de n’être plus jaloux.

Ce défaut désunit les plus tendres époux,

Et sème de chagrins le cercle de la vie.

Une crainte par lui, d’une crainte est suivie :

Il chasse les plaisirs, les jeux et les amours,

Et des plus doux moments empoisonne le cour.

TERVAL.

Eh bien ! je le promets : remplissez mon attente.

MÉLITE.

Tenez ! La voilà donc, cette image charmante.

TERVAL.

Que vois-je ? mon portrait !

MÉLITE.

Vous le voyez, Terval

C’est soi-même qu’on a quelquefois pour rival.

Quoiqu’il ne parle point, sa muette éloquence

Prouvera mieux que moi toute mon innocence.

Je vous laisse avec lui.

 

 

Scène IX

 

TERVAL, seul

 

Je reconnais le don

Qu’à Mélite j’ai fait depuis notre union.

Il me prouve en effet qu’elle n’est point coupable :

Oui ; mais elle en a deux peut-être. Elle est capable

De me donner le mien pour mieux cacher celui

D’un rival, qui, sans doute... Ah ! je dois aujourd’hui,

Dussé-je m’exposer à me perdre moi-même !

M’assurer, à la fin, si c’est moi que l’on aime.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ROSETTE, seule

 

Terval m’a commandé de l’attendre en ces lieux,

Il va bientôt venir. Un doute injurieux

Aigrit incessamment sa jalouse tendresse ;

Terval fait le malheur de ma jeune Maîtresse.

Que me veut-il ? Sans doute il veut m’interroger

Sur sa femme. Que vois-je ? un visage étranger !

 

 

Scène II

 

UN DOMESTIQUE, ROSETTE

 

ROSETTE.

Que demande Monsieur ?

LE DOMESTIQUE.

Rien : j’apporte une lettre

Qu’à Madame Terval on m’a dit de remettre.

ROSETTE.

Et qui vous a donné cette commission ?

À part.

Elle est du Chevalier peut-être.

LE DOMESTIQUE.

C’est Germon.

ROSETTE, à part.

Je ne me trompais pas.

Haut.

Il n’a donc pu lui même

L’apporter en ces lieux ? Quelle paresse extrême !

LE DOMESTIQUE.

Il y serait venu ; mais il a craint...

ROSETTE.

J’entends.

Il a tantôt ici fort mal passé son temps.

Apparemment Germon est votre camarade,

Et vous êtes pour lui chargé de l’ambassade.

LE DOMESTIQUE.

Oui, nous servons tous deux dans la même maison.

ROSETTE.

La lettre est sans adresse, et pour quelle raison ?

LE DOMESTIQUE.

Je n’en sais rien ; voilà comme on me l’a remise.

ROSETTE.

J’aurais tort, après tout, d’en être si surprise.

Monsieur le Chevalier est si vif ! Sa vertu

N’est point la patience : il aime l’impromptu ;

Sa marche, la pensée, à chaque instant varie ;

Et je l’ai vu souvent, dans son étourderie,

Allant sans savoir où, parlant sans réfléchir...

Mais le jaloux revient.

 

 

Scène III

 

TERVAL, ROSETTE, UN DOMESTIQUE

 

TERVAL, à part.

Je vais donc m’éclaircir !

Que fais-tu dans ces lieux, et pour qui cette lettre ?

Répondras-tu ?

LE DOMESTIQUE.

Monsieur, je venais la remettre...

TERVAL.

À qui ?

Rosette lui fait signe, en le tirant par son habit, de ne point nommer Mélite.

LE DOMESTIQUE.

Pardonnez-moi ! je ne m’en souviens plus,

Et mon Maître d’ailleurs n’a point mis le dessus.

À part.

Sortons ; il ne faut pas exciter la colère.

TERVAL, prenant la lettre et la regardant.

Est-ce du Chevalier encore un émissaire ?

Je le crains.

 

 

Scène IV

 

TERVAL, ROSETTE

 

TERVAL.

Cependant, sous le sceau du secret,

Peut-être il t’a nommé l’auteur de ce billet.

ROSETTE, à part.

Je ne puis l’avouer, sans exposer Mélite.

Haut.

Non, Monsieur, je l’ignore.

TERVAL, à part.

Un doute affreux m’agite.

ROSETTE.

Rendez-le-moi. Peut-être il me fut destiné,

Et je voudrais savoir...

TERVAL.

Quoi !

ROSETTE.

Si j’ai deviné.

TERVAL.

Non, je le garderai puisqu’il est sans adresse.

N’en parlons plus ; passons à ce qui m’intéresse.

ROSETTE, à part.

Il va recommencer les longues questions.

TERVAL.

Rosette, avez-vous pris les informations

Que j’attendais de vous ?

ROSETTE.

Au sujet de Madame ?

TERVAL.

Oui, rendez-vous enfin le repos à mon âme.

ROSETTE.

Pour vous le procurer, je n’ai rien négligé.

Son Cocher et ses gens j’ai tout interrogé ;

Mais aucun d’eux, Monsieur, ne connaît la personne

Qu’elle voit en secret ; et pour moi je soupçonne

Qu’en la soupçonnant vous, il se pourrait fort bien,

Qu’à la fin vous n’eussiez à vous plaindre de rien.

TERVAL.

Plus que jamais pourtant Mélite m’inquiète.

Tu connais la maison, où, souvent en cachette,

D’un seul Laquais suivie elle va...

ROSETTE.

Non, Monsieur.

TERVAL.

Tâche donc, sur ce point, d’avoir quelque lueur.

Si, pour mieux le savoir, l’argent t’est nécessaire,

En voilà.

Il lui offre une bourse.

ROSETTE.

De l’argent ! oh ! je n’en ai que faire.

Le mensonge s’achète et non la vérité.

De Mélite d’ailleurs, si la fidélité

Par mes soins est prouvée, et si j’ai l’avantage

De voir votre bonheur devenir mon ouvrage,

Je serai trop payée ; et tout ce que je veux

C’est que toujours la paix habite avec vous deux.

 

 

Scène V

 

TERVAL, seul

 

Puisqu’elle ne sait rien, voyons si cette lettre

M’instruira du secret que je cherche à connaître.

Elle n’a point d’adresse, et, sans blâmer l’honneur,

Je puis... Mais quel effroi s’empare de mon cœur !

 Il lit.

« Pourquoi donc, charmante Mélite, me tenir rigueur à ce point, après m’avoir fait les plus belles promesses du monde ? Vous savez qui j’aime avec autant d’ardeur que d’impatience ; et si, dès ma lettre reçue, vous ne me donnez point de vos nouvelles, je la suis de près, et je vole renouveler, à vos pieds, les transports de la tendresse la plus vive ».

Le Chevalier D’ORSAI.

Après avoir lu.

Me voilà donc certain qu’elle a trahi ma flamme.

La perfide se plaît à déchirer mon âme ;

Et c’est le Chevalier, c’est lui qui, dans ces lieux,

La séduit, me l’enlève et sous mes propres yeux.

Ah ! que ma mère encor vienne de la traîtresse

Me peindre la constance et la délicatesse !

Qu’elle ose me vanter son ingénuité,

Et pour tous ses devoirs son assiduité !

Que Rosette, à son tour, par ses dehors séduite,

Prétende que j’ai tort de blâmer la conduite.

Elles verront comment j’écoute leurs discours.

Mon honneur cependant, le bonheur de mes jours,

Ma joie et mon repos, et ma gloire et ma vie,

J’ai tout perdu par elle, et de sa perfidie

Je ne chercherais point à me venger ! Holà !

Faites venir ma femme... Avec ce billet-là,

Il me sera sans doute aisé de la confondre.

L’infidèle, à coup sûr, n’aura rien à répondre.

Je la vois.

 

 

Scène VI

 

TERVAL, MÉLITE

 

TERVAL.

Approchez, et lisez cet écrit.

MÉLITE.

De tout ce qu’il contient vous paraissez instruit,

TERVAL.

Oui, je le suis, Madame.

MÉLITE, après l’avoir lu.

Ah ! que j’en suis fâchée !

Trop curieux d’apprendre une chose cachée,

Et que je savais seule avec le Chevalier,

Vous m’ôtez le plaisir de vous la confier.

TERVAL.

De me la confier ! Eh quoi ! votre prudence

Vous eût-elle permis d’en faire confidence ?

MÉLITE.

Pourquoi non, s’il vous plaît ? Je connais mon devoir ;

Ce que la femme fait l’époux doit le savoir.

On ne doit lui cacher que les Secrets des autres.

TERVAL.

Ils m’inquiètent peu, mais je fais tous les vôtres :

Vous les tairiez en vain. Il faut nous séparer,

Et je vous avertis de vous préparer.

MÉLITE.

Ciel ! que me dites-vous ? Est-ce du fond de l’âme

Que vous me prononcez cet arrêt ?

TERVAL.

Oui, Madame

La chaîne qui nous lie a pour vous peu d’attraits.

Elle vous pèse ; il faut la briser à jamais.

Livrez-vous sans réserve au tourbillon du monde.

Puisque sur ses plaisirs votre plaisir se fonde.

Loin de vous et de lui, moi je veux habiter,

Et vous fuir l’un et l’autre.

MÉLITE.

Ah ! daignez m’écouter,

Cher époux ! que ce nom vous fléchisse et vous touche !

TERVAL.

Comment peut-il encor sortir de votre bouche,

Quand vos devoirs par vous sont tous mis en oubli ?

Vous l’avez profané, vous l’avez avili.

Montrant la lettre.

Je n’écoute plus rien. D’après ce témoignage

Mon malheur est certain, ainsi que mon outrage.

MÉLITE.

L’apparence vous trompe, et c’est pour votre sœur

Qu’on m’écrit ce billet. Sortez de votre erreur.

TERVAL.

Ah ! la bonne défaite ! et l’heureux stratagème !

MÉLITE, pleurant presque.

Je dis la vérité.

TERVAL.

Ce n’est pas vous qu’on aime.

Ce Valet qui tantôt dans ces lieux est venu ;

Qui, dans ce cabinet, pour n’être point connu,

S’est peut-être caché par l’ordre de son Maître,

Ce n’est point vous ici, vous que cherchait le traître ?

Que ces détours sont bas, honteux, humiliants !

Les femmes ont toujours d’adroits expédients

Pour se tirer d’affaires, et leur esprit fertile

Au lieu d’un quelquefois en pourrait trouver mille ;

Mais je connais leur ruse ; et dans votre devoir

Pour vous faire rentrer, employant mon pouvoir,

Vous verrez si je sais démasquer l’imposture

Punir une infidèle et venger mon injure.

MÉLITE, se rassurant et d’un ton noble et ferme.

Eh bien ! Monsieur, suivez vos aveugles transports,

Puisque vous vous plaisez à ne trouver des torts.

À m’en justifier je ne veux plus descendre.

Vous avez durement refusé de m’entendre ;

Je ne répondrai plus, je vous en fais serment,

Que par un froid silence à votre emportement ;

Mais que dis-je ? Ah ! Terval, lisez mieux dans mon âme.

Vous est-il donc permis de douter de ma flamme,

Parce qu’à mon insu l’on m’écrit un billet

Dont le sens est obscur.

TERVAL.

Obscur ! ah ! s’il vous plaît,

N’exigez point de moi que, par un commentaire,

J’en explique les mots d’une façon trop claire.

MÉLITE.

Eh bien ! en supposant qu’il me soit adressé,

Est-ce un titre assez fort pour vous croire offensé ?

Pour en prendre le droit de blâmer ma conduite,

Et par de vains dehors si votre âme est séduite,

N’ai-je pas celui moi de vous désabuser ?

Est-ce assez d’une lettre enfin pour m’accuser ?

TERVAL.

Non ; mais si d’une erreur elle me rend capable,

J’ai tant d’autres raisons de vous croire coupable.

Le monde seul vous charme ; à tous ses vains plaisirs

À ces amusements qui flattent vos désirs,

Si vous m’aimez encor, renoncez, et sur l’heure

Vous viendrez habiter la champêtre demeure

Dont j’aurai promptement fait l’acquisition.

MÉLITE.

Cette offre me ravit, et mon intention

Était, au même instant, j’en parlais à Rosette,

D’aller avec vous seul vivre dans la retraite.

Du monde, j’en conviens, mon esprit est charmé ;

Mais que ne fait-on pas pour un époux aimé ?

Prononcez, voulez-vous partir à l’heure même ?

TERVAL, à part.

Oui, sa douleur est-elle un nouveau stratagème ?

Haut.

Oui, Mélite, à l’instant je veux quitter ces lieux,

Où m’obsède un concours de rivaux odieux ;

Mais avant de partir pour notre solitude,

De grâce tirez-moi d’une autre inquiétude.

Ce billet, dites-vous, ne vous fut point écrit ;

Il faut bien y compter, puisque vous l’avez dit.

Mais pourquoi si souvent avec l’air du mystère

Aller dans un réduit obscur et solitaire,

Où, près d’une heure au moins, vous demeurez, dit-on ?

Encore cet aveu, je n’ai plus de soupçon.

MÉLITE.

Non, c’est trop exiger ; non, je suis la maîtresse

De vous communiquer tout ce qui m’intéresse ;

Mais le secret d’autrui n’est pas en mon pouvoir,

Et vous me blâmeriez d’enfreindre mon devoir.

TERVAL.

Votre devoir, Madame, est surtout de m’instruire

Du moindre sentiment qu’un autre vous inspire,

Et ce refus m’annonce et me fait présumer

Que, par un vain détour, espérant me calmer,

Ce que vous m’avez dit au sujet de la lettre,

Est un mensonge adroit, une ruse peut-être

Qui ne doit...

MÉLITE.

Arrêtez ! soyez plus généreux,

Et par égard pour vous, pour l’objet de vos feux,

Ne me dégradez point, si je suis criminelle,

Votre épouse est à vous, respectez-vous en elle.

TERVAL.

Eh bien ! si vous voulez apaiser mon courroux,

Vous le pouvez d’un mot, je tombe à vos genoux.

MÉLITE.

Non, Terval, j’ai promis de garder le silence,

Et je le garderai. Je me fais violence

En vous parlant ainsi ; mais loin de me blâmer,

Je veux que ce refus vous force à m’estimer.

TERVAL.

Quelle obstination ! vous aggravez l’offense,

Et vous pouvez encor soutenir ma présence !

Je vous l’ai dit, longez qu’il faudra nous quitter.

MÉLITE.

Vous l’ordonnez, eh bien ! je ne veux habiter

Qu’un séjour où, vivant loin des plaisirs du monde,

Je puisse me livrer à ma douleur profonde,

Dès ce jour au Couvent je vais me renfermer,

Y pleurer sur vous seul, vous plaindre et vous aimer.

Au Couvent toutefois mon fils ne peut me suivre,

Et sa mère longtemps, sans lui, ne saurait vivre.

Ne permettez-vous pas qu’au sortir de ce lieu

J’aille as moins l’embrasser.

TERVAL.

Allez, Madame.

MÉLITE lui tend les bras, cherche à l’embrasser ; elle en est repoussée effort les larmes aux yeux.

Adieu...

 

 

Scène VII

 

TERVAL, seul

 

Faut-il que cet adieu malgré moi me déchire !

Il est là... sur mon cœur... À peine je respire,

Et je voudrais pouvoir l’empêcher de partir.

Ô faiblesse !... d’où vient ce lâche repentir ?

Elle me hait, me trompe, et dans cet instant même,

Elle vient de prouver la perfidie extrême ;

Et je pourrais...

 

 

Scène VIII

 

LA BARONNE, TERVAL

 

LA BARONNE.

Mon fils ! dissipez mes frayeurs :

Mélite fort d’ici les yeux baignés de pleurs :

J’ai voulu lui parler ; et muette, oppressée,

Elle n’a jamais pu m’expliquer la pensée ;

Mais vous-même, Terval ?

TERVAL.

Je suis au désespoir.

LA BARONNE.

D’où viennent les chagrins ? les vôtres ? J’ai cru voir

Qu’ils sont le triste effet de votre jalousie.

Pourquoi donc vous livrer à cette frénésie ?

Mélite a des vertus. Ne saurez-vous jamais

Leur rendre un juste hommage, et tous deux vivre en paix ?

Je la connais, vous dis-je ? et je répondrais d’elle.

Que lui reprochez-vous ? De vous être infidèle ?

Elle en a l’air peut-être. Au fond, son cœur est pur,

Et de ses sentiments vous devez être sûr ;

Vous devez y compter.

TERVAL.

Et le puis-je, ma mère.

Quand je la vois livrée à son humeur légère ?...

LA BARONNE.

Voudriez-vous qu’elle eût un excès de raison ?

La prudence est le fruit de la vieille saison :

Je la possède moi, c’est mon plus beau partage,

Et le plaisir, mon fils, est le Dieu de son âge.

TERVAL, lui donnant la lettre.

Eh bien ! tenez ! lisez. Vous verrez si je dois

Compter encor sur elle.

LA BARONNE.

Et pourquoi non ? Je crois

Qu’on doit se défier toujours de l’apparence.

TERVAL.

Mais, de grâce, lisez ; voyez son innocence.

LA BARONNE.

Donnez...

Lisant tout bas.

Je viens de lire avec attention.

TERVAL.

Eh bien ! est-il besoin d’autre explication ?

LA BARONNE.

Mon Dieu ! ces lettres-là ne sont pas des merveilles,

Et l’on m’en écrivit mille fois de pareilles,

Ai-je aimé pour cela de jeunes étourdis ?

Une misère, un rien alarme vos esprits ;

Le Chevalier d’ailleurs... mais le voici lui-même.

TERVAL.

Vient-il pour insulter à ma douleur extrême ?

Je sens à son aspect redoubler ma fureur.

LA BARONNE.

Modérez-vous, mon fils, j’aime assez votre honneur,

Pour éclaircir un fait qui de si près vous touche,

Je vais l’interroger ; et de sa propre bouche

J’espère tout savoir : reposez-vous sur moi.

TERVAL, à part.

Faut-il qu’elle m’impose une si dure loi ?

 

 

Scène IX

 

LE CHEVALIER, LA BARONNE, TÉRVAL

 

LA BARONNE, au Chevalier.

Sur un point important vous pouvez nous instruire.

Ce billet que je tiens et que je viens de lire,

Est-il de votre main ?

LE CHEVALIER, à part.

Oui, Madame. Je vois

Qu’ils savent tout : parlons pour la dernière fois.

Haut.

Pour un objet charmant la plus ardente flamme...

Mon billet vous a dit les secrets de mon âme.

Vous les connaissez tous.

LA BARONNE, avec surprise et sévérité.

Monsieur le Chevalier,

Il en est que jamais on ne doit confier...

Et dont l’aveu par fois a des suites cruelles ;

De quel droit osez-vous dans vos vœux infidèles...

LE CHEVALIER.

Je ne vous comprends pas, Madame, expliquez-nous

D’où peut en ce moment naître votre courroux ?

Pardonnez ; mais il faut que je vous interroge.

LA BARONNE.

De qui vous-même ici faites-vous donc l’éloge ?

LE CHEVALIER.

De Sophie. Et quelle autre aurait pu dans mon cœur

Allumer tout-à-coup une si vive ardeur ?

De vous en informer j’avais prié Mélite.

LA BARONNE.

Pardonnez, si tantôt par elle-même instruite,

J’ai douté que Sophie eût fait naître vos feux.

J’ai cru que de Bru vous étiez amoureux.

Ma Bru, par les attraits, l’emporte sur Sophie.

À Terval.

Mon fils, tout nous condamne, et tout le justifie.

TERVAL, à part, avec douleur.

Qu’ai-je fait, malheureux ?

LE CHEVALIER.

Pour en être certain,

Monsieur, de votre sœur accordez-moi la main ;

Et vous, surtout ; Madame, agréez ma demande.

LA BARONNE.

De bon cœur je l’approuve, et ma joie en est grande ;

Mais que nous veut Rosette ?

 

 

Scène X

 

LE CHEVALIER, LA BARONNE, TÉRVAL, ROSETTE

 

ROSETTE, à Terval.

Écoutez-moi, Monsieur,

De vos chagrins jaloux j’ai découvert l’auteur.

TERVAL.

Je n’en ai plus.

LA BARONNE.

Qui donc ?...

ROSETTE.

C’est une pauvre veuve

Qui tantôt est venue : à présent j’ai la preuve

Que Mélite en secret, et presque tous les jours

Va régulièrement lui porter des secours,

Et de ses diamants c’est vous dire l’histoire.

TERVAL.

Ah ! sans peine à présent je commence à le croire.

Combien je suis coupable ! Ici même, à l’instant,

Mélite, pour fléchir mon courroux insultant,

Vient en vain d’employer la prière et les larmes,

Ma mère, dissipez mes mortelles alarmes ;

Allez trouver Mélite ; obtenez mon pardon ;

Qu’elle ne sorte point surtout de la maison :

Elle doit au Couvent incessamment se rendre.

Va toi-même, Rosette.

LA BARONNE.

Ah ! que viens-je d’entendre ?

Mélite, nous quitter ! je l’empêcherai bien.

TERVAL.

Priez, pressez, ma mère, et ne ménagez rien.

 

 

Scène XI

 

TERVAL, LE CHEVALIER

 

TERVAL.

Me pardonnerez-vous, Monsieur, une méprise,

Qui vous a dû causer plus que de la surprise ?

Pour effacer mes torts que la main de ma sœur...

LE CHEVALIER.

Vous les réparez tous : je vous dois mon bonheur.

TERVAL.

Mélite ne vient point : l’aurais-je, hélas ! perdue.

LE CHEVALIER.

Je l’entends... je la vois... à votre amour rendue...

 

 

Scène XII

 

MÉLITE, LA BARONNE, ROSETTE, TERVAL, LE CHEVALIER

 

TERVAL, tombant aux genoux de Mélite.

Puis-je, hélas ! me flatter que tu pardonneras ?

MÉLITE, l’embrassant.

À mes genoux !... que vois-je ?... ah ! vole dans mes bras.

TERVAL.

Que fais-tu ? venge-toi.

MÉLITE.

Tu m’outrages encore !

Me venger ! et de qui ? d’un époux que j’adore ?

TERVAL.

Mes torts ont éclaté. Que j’expie à tes pieds...

MÉLITE.

Tes torts !... j’ai vu ton fils : ils sont tous oubliés.

LA BARONNE.

Je vous l’avais bien dit, Terval, que votre femme

À ses devoirs fidèle...

MÉLITE.

Ah ! de grâce, Madame,

Sur ce qui s’est passé point d’explication.

Il n’a jamais douté de mon affection ;

Et puis un tel coupable invite à l’indulgence,

Et mon défaut n’est pas l’amour de la vengeance.

A-t-on du Chevalier comblé les tendres vœux ?

LE CHEVALIER.

Oui, Madame.

MÉLITE.

Ainsi donc nous sommes tous heureux.

À Terval.

Que te faut-il encor ?

LA BARONNE.

Lui rappeler sans cesse

Que le goût des plaisirs n’exclu point la sagesse.


[1] Il se trouve à la tête d’un Recueil de Pièces de Théâtre, en deux volumes, intitulé : Théâtre Moral, qui se vend chez Cailleau, Imprimeur-Libraire, rue Galaude, à Paris.

[2] Ce passage est tiré de l’Histoire de l’ancienne Grèce, traduite de l’Anglais de John Gillies, par M. Carra.

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