La Fête de la nymphe Lutèce (DESTOUCHES)

Troisième divertissement pour S. A. S. Madame la Duchesse du Maine.

Représenté pour la première fois au château de Sceaux, en 1714.

 

Personnages

 

LA NYMPHE LUTÈCE

UN DÉPUTÉ DE LA VILLE

L’ORDONNATEUR

SUITE DE LA NYMPHE

SUITE DE L’ORDONNATEUR

CHŒUR

UN VIEILLARD

UNE VIEILLE

LA NYMPHE DE SCEAUX

 

La scène est à Paris.

 

 

Scène première

 

LA NYMPHE LUTÈCE, à S. A. S.

Quoi ! vous vous préparez à sortir de ces lieux !

Arrêtez, auguste princesse !

Daignez sur moi jeter les yeux,

Et combler les désirs de la nymphe Lutèce.

On vient avec ardeur, des plus lointains climats,

Pour admirer l’éclat de ma superbe ville ;

Mais tant d’honneurs ont pour moi peu d’appas ;

Et je jouis d’une gloire stérile,

Lorsque dans ce séjour je ne vous retiens pas.

Ah ! que n’a-t-il de quoi vous plaire !

Vous en seriez le plus bel ornement !

Je n’aurais plus de vœux à faire,

Et le bruit de mon nom croîtrait incessamment.

Quelle honte pour moi, princesse,

Si, pour vous retenir, mon zèle en vain s’empresse !

 

 

Scène II

 

LA NYMPHE LUTÈCE, UN DÉPUTÉ DE LA VILLE

 

LE DÉPUTÉ.

Nymphe, je viens me joindre à vous,

Et seconder votre entreprise.

Si nous pouvons fléchir l’auguste LUDOVISE,

De tous vos habitants que le sort sera doux !

Pour vous offrir leur tendre hommage,

Ils m’ont tous envoyé vers ce palais charmant ;

Princesse, répondez à leur empressement.

Les Dieux, dont vous êtes l’image,

Des mortels exaucent les vœux,

Quand les cœurs les portent vers eux.

De nos cœurs, en ce jour, écoutez le langage ;

Ils se donnent à vous, daignez les recevoir,

Et laissez-nous jouir du charmant avantage

De vous aimer, et de vous voir.

LA NYMPHE.

De votre aïeul comblé de gloire,

L’univers attentif admirait autrefois

Les célèbres exploits ;

Et nous honorerons à jamais sa mémoire.

LE DÉPUTÉ.

Vous avez ses vertus, son esprit et son cœur ;

Il aimait ce séjour, il en goûtait les charmes.

Quand vous voulez partir, vous voyez nos alarmes.

Par vos bontés pour nous, imitez ce vainqueur.

LA NYMPHE et LE DÉPUTÉ.

À nos tendres respects LUDOVISE est sensible ;

Elle accepte nos cœurs, elle exauce nos vœux :

Efforçons-nous, s’il est possible,

À mériter un bien si précieux.

 

 

Scène III

 

LA NYMPHE LUTÈCE, LE DÉPUTÉ, L’ORDONNATEUR

 

On entend une symphonie fort vive et fort gaie.

LA NYMPHE.

Quel bruit interrompt de ces lieux

Le silence paisible ?

L’ORDONNATEUR, à S. A. S.

On vient de vous offrir l’hommage de nos cœurs ;

Et moi, pour vos plaisirs, je ferai cent miracles.

Je suis l’ordonnateur des jeux et des spectacles ;

Et les nôtres pour vous auront mille douceurs.

Vous verrez sur la scène,

De nos anciens héros les surprenants exploits ;

Et la tragique Melpomène

Y versera le sang des princes et des rois.

Ici, la riante Thalie

Se raille plaisamment des modes et des mœurs ;

Et sa fine plaisanterie

Corrige et divertit de nombreux spectateurs.

TOUS TROIS.

Que d’efforts désormais l’une et l’autre vont faire,

Pour vous amuser et vous plaire !

LA NYMPHE.

Dans un palais superbe et somptueux[1],

Qu’habitent les neuf Sœurs et le Dieu du Parnasse,

Vous entendrez des sons plus gracieux

Que les tendres accords du Chantre de la Thrace.

L’ORDONNATEUR.

Vous y verrez des héros langoureux,

Jurer des flammes éternelles ;

Neptune, Jupiter, et tous les autres Dieux

Soupirer tendrement pour des beautés mortelles.

LE DÉPUTÉ.

Vous y verrez cent prodiges divers,

Le palais éclatant du maître du tonnerre,

Le noir séjour du tyran des enfers,

Les charmes de la paix, les horreurs de la guerre,

Des campagnes, des prés, des fleuves, et des mers.

L’ORDONNATEUR.

De nouveaux Céladons, dans un sombre bocage,

Y mêleront leur voix au murmure des eaux ;

Et, pour rimer avec les clairs ruisseaux,

Vous entendrez mille petits oiseaux,

Accorder leur tendre ramage

Au doux son des chalumeaux.

TOUS TROIS.

Que de charmes !

Que d’alarmes !

Que de soupirs !

Que de désirs !

Que de tourments ! Que de peines !

Que de constance dans les chaînes !

L’ORDONNATEUR.

Enfin, nos lyriques auteurs

Épuiseront pour vous Phœbus et les neuf Sœurs.

LE DÉPUTÉ.

D’autres amusements, que la saison présente,

Bien loin de tromper voire attente,

Vous feront bientôt voir que ces aimables lieux

Sont le digne séjour des héros et des Dieux.

LA NYMPHE.

Toute ma suite s’apprête

À vous donner une agréable fête ;

Ce n’est qu’un simple essai des spectacles charmants,

Que nous vous préparons pour vos amusements.

L’ORDONNATEUR.

Ma suite va se joindre à la troupe galante,

Qu’appelle en ce palais cette nymphe brillante.

 

 

Scène IV

 

Marche de la SUITE DE LA NYMPHE LUTÈCE et de celle de L’ORDONNATEUR

 

La suite de la Nymphe entre par une porte du salon, et celle de l’Ordonnateur par l’autre porte qui y fait face. Après que la marche est finie, le Chœur dit.

CHŒUR.

Ô l’heureux jour ! Ô l’heureux jour !

Gardons-en à jamais l’agréable mémoire.

LUDOVISE avec nous habite ce séjour.

Chantons notre bonheur, célébrons notre gloire.

Première entrée.

UNE NYMPHE.

Aimables Jeux, secondez-nous.

Accourez, brillante jeunesse ;

Tendres Amours, rassemblez-vous.

Suivons toujours cette auguste princesse.

Puisse-t-elle en ces lieux goûter mille douceurs !

Qu’en dépit de l’hiver, Zéphire anime Flore ;

Et qu’on chante avec nous, du couchant à l’aurore :

L’auguste LUDOVISE est la reine des cœurs.

CHŒUR.

L’auguste LUDOVISE est la reine des cœurs.

Seconde entrée.

UN VIEILLARD.

Sous le fardeau des ans, je plie et je succombe.

J’irai bientôt rejoindre mes aïeux ;

Et mon centième hiver me conduit sous la tombe.

Mais, puisqu’enfin j’ai pu me traîner en ces lieux,

Je quitte sans regret ma nombreuse famille.

Je ne crains plus qu’on me ferme les yeux ;

J’ai vu du grand Condé l’auguste et digne fille.

Entrée d’un Vieillard et d’une Vieille.

On entend une symphonie vive ; ce qui marque la colère de la nymphe de Sceaux, qui arrive dans ce moment pour interrompre la fête.

 

 

Scène V

 

LA NYMPHE DE SCEAUX et LES ACTEURS de la scène précédente.

 

LA NYMPHE DE SCEAUX, à la Princesse.

Quoi ! vous vous laissez éblouir !

Se peut-il qu’en ces lieux vous trouviez quelques charmes ?

Verrez-vous sans pitié mes cruelles alarmes ?

Mon éclat, mes honneurs, vont-ils s’évanouir ?

J’ai caché ma douleur profonde,

Quand vous avez quitté mon aimable séjour,

Pour aller voir le plus grand roi du monde.

Je vous vois sans regret dans sa brillante cour ;

Mais je ne puis souffrir que la nymphe Lutèce

Désormais l’emporte sur moi.

Quittez, quittez ces lieux, adorable Princesse,

Et dissipez enfin mon trouble et mon effroi.

LA NYMPHE LUTÈCE.

Nous ne prétendons pas vous ravir l’avantage

Dont vous jouissiez avant nous.

Mais souffrez du moins un partage

Qui n’a rien de honteux pour vous.

Songez, Nymphe de Sceaux, que je suis votre égale ;

Que ma superbe ville est le séjour des rois,

Qu’ils m’ont souvent honoré de leur choix,

Et qu’en moi vous avez une digne rivale.

LA NYMPHE DE SCEAUX.

Je veux bien avec vous partager mes honneurs

J’approuve vos désirs, et je les favorise.

Unissons nos soins et nos cœurs,

Pour amuser l’auguste LUDOVISE.

Ensemble.

Unissons nos soins et nos cœurs,

Pour amuser l’auguste LUDOVISE.

CHŒUR.

Ô l’heureux jour ! Ô l’heureux jour !

Gardons-en à jamais l’agréable mémoire.

LUDOVISE avec nous habite ce séjour ;

Chantons notre bonheur, célébrons notre gloire.

On danse nue entrée générale qui finit le divertissement.


[1] La salle de l’Opéra.

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