La Foire aux places (Jean-François Alfred BAYARD)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 25 septembre 1830.

 

Personnages

 

MONSIEUR DARRAINE, ancien chef de division

MONSIEUR DÉGOURDIS, solliciteur

NOIROT, chef de division

DESRUBANS, grand seigneur

BROSSET, ouvrier

ROBERT, garçon de bureau

PERROCHEL, solliciteur

MADAME ROBERT, vieille femme 

MADAME DARMAIN, grande dame

JOSÉPHINE, jeune ouvrière, blanc, rubans noirs

SOLLICITEURS

 

La Scène se passe à Paris.

 

Le Théâtre représente une antichambre ouverte des deux côtés. Au fond une porte. Une autre à droite, sur laquelle sont écrits ces mots : Secrétaire général.

 

 

Scène première

 

SOLLICITEURS, pressés à une porte de droite, et ensuite PERROCHEL, ROBERT

 

CHŒUR DE SOLLICITEURS.

Qu’on nous place, (bis.)
Et que justice se fasse ;
Qu’on nous place
Tous en masse !
Que les places
Soient chassés.

PREMIER SOLLICITEUR.

Je dois être un des élus,
Je suis ami de la femme
D’un libéral qui réclame
L’héritage des ventrus.

DEUXIÈME SOLLICITEUR.

Je suis fils d’un doctrinaire.

TROISIÈME SOLLICITEUR.

Moi, favori d’un banquier.

QUATRIÈME SOLLICITEUR.

Un Monsieur du ministère
Est parrain de mon dernier.

CHŒUR.

Qu’on nous place, etc.

PERROCHEL, se glissant.

J’aimais l’empereur jadis,
Sans qu’il m’ait rien voulu faire,
Et, sans toucher de salaire,
J’adorais Charles et Louis.
La liberté vient... J’essaie
D’être enfin moins malheureux...
Il est juste qu’elle paie
L’amour que j’avais pour eux.

CHŒUR.

Qu’on nous place, etc.

ROBERT, entrant.

Silence donc !... On ne doit pas s’entendre dans le cabinet du secrétaire général, ni dans celui du ministre, qui est un peu plus loin.

La porte du secrétaire s’ouvre, on entre. Perrochel veut entrer, on ferme la porte.

PERROCHEL.

Mais, M. le garçon de bureau, est-ce que je n’entrerai pas ?

ROBERT.

Monsieur, avec des titres on arrive toujours.

PERROCHEL.

Des titres... des titres... Quand on n’en a pas...

 

 

Scène II

 

ROBERT, DARRAINE, PERROCHEL, SOLLICITEURS

 

DARRAINE.

Ah ! mon dieu ! quelle cohue !

ROBERT.

Eh ! M. Darraine ! notre ancien chef de division !... Quel bonheur de vous revoir !

DARRAINE.

Bonjour, Robert, bonjour... Le ministre est-il arrivé ?

ROBERT.

Pas encore, Monsieur ; mais si vous voulez l’attendre... Vous paraissez fatigué...

Il lui offre une chaise.

DARRAINE.

Merci, merci... C’est que j’ai eu toutes les peines du monde à pénétrer jusqu’ici !... Il paraît que les solliciteurs ne manquent pas.

ROBERT.

Comme vous voyez... depuis un mois cela dure... et loin de diminuer, la foule augmente tous les jours... À tous les ministères, c’est de même... Chacun vient y parler de ses droits, des services qu’il a rendus, de son dévouement à la bonne cause.

DARRAINE.

Oui... il n’y a que le désintéressement dont on ne parle pas.

ROBERT.

Ah ! bien, oui ! c’est à qui se fera payer... ce qu’il n’a pas fait... Il paraît qu’à la justice ce sont les avocats qui se partagent le gâteau... À la marine et à l’extérieur, on s’arrache les consulats et les ambassades... Les ambassades ça cloche... Aux finances, on ne fait pas grand’ chose ; on dort... Et à l’intérieur, c’est le quartier-général... Il y pleut des commis, des préfets !... mais des sous-préfets !... Dieu ! y en a-t-il !... tout le monde veut en être : c’est une épidémie !

Air du Charlatanisme.

Puisque dans tout, en ce moment,
On cherche de l’économie,
Puisqu’il faut avoir du talent,
Pour servir son roi, sa patrie...
Les sous-préfets sont menacés ;
Car, depuis qu’on les nomme en masses,
On voit, à ceux qui sont placés,
Comme à ceux qui sont déplacés,
Qu’on peut se passer de leurs places.

LES SOLLICITEURS, dans le fond.

Encore !... On n’entre pas ! on n’entre pas !

ROBERT.

Silence donc !

PERROCHEL, descendant avec colère.

Monsieur, je porterai plainte... Que diable ! on ne fait pas attendre ainsi des citoyens qui se sont exposés à la mitraille.

DARRAINE.

Eh ! mais, je ne me trompe pas... Monsieur...

PERROCHEL, avec embarras.

Monsieur... permettez... je ne reconnais pas...

DARRAINE.

Comment ! vous ne reconnaissez pas votre compagnon de voyage ?

PERROCHEL.

Ah ! Monsieur... j’ai bien l’honneur...

À part.

Que le diable l’emporte !...

Haut, remontant.

C’est à moi, à moi ?...

Il entre chez le secrétaire, malgré la foule des solliciteurs.

DARRAINE.

Ah ! il sollicite !

ROBERT.

Mais vous, Monsieur, comment ne vous a-t-on pas revu au ministère ?

DARRAINE.

Oh ! moi, j’ai appris les événements à cinquante lieues d’ici.

ROBERT.

Comment, Monsieur, vous n’étiez pas à Paris à la fin de juillet.

DARRAINE.

Non, mon ami ; et j’en suis désolé... mais je ne veux pas avoir le travers à la mode.

Air de la Sentinelle.

Nous avons trop de ces prudents guerriers
Qui, sans péril, affrontent la mitraille,
Et bravement se donnent des lauriers
Le lendemain de la bataille.
Dans son héroïque fureur,
Le peuple a sauvé notre France !
Qu’il en ait au moins tout l’honneur,
Puisque, pour prix de sa valeur,
Il n’a pas d’autre récompense.

Quant à moi, envoyé par la société Aides-toi, le ciel t’aidera... je jetais aussi sur ma route les germes d’une glorieuse résistance à l’oppression.

ROBERT.

Ah ! ça, Monsieur, on va sans doute vous rendre votre place.

DARRAINE.

Eh ! mon ami, il y en a tant qui l’ont mieux gagnée que moi !

ROBERT.

Air : Ces Postillons.

Rassurez-vous, des places que l’on donne,
Au Moniteur, consultez le tableau ;
L’intrigue est là, c’est elle qui moissonne...
Les droits n’sont rien, et dans plus d’un bureau,
Dix-huit cent quinze est revenu sur l’eau ;
Mais vous du moins, par vot’ noble conduite,
Par vot’ disgrâc’ vous fûtes éprouvé,
R’prenez vot’ plac’, qu’ell’ revienne au mérite,
C’est toujours ça d’sauvé.

Et puis, Monsieur, ça nous débarrasserait de ce gros escogriffe qui vous a remplacé... Ah ! quel homme ! il nous prêchait comme un missionnaire ! il voulait faire de nous des congréganistes ! avec son air câlin, ses yeux baissés et sa voix traînante... Il ne parlait que du ciel, et ses bureaux étaient un enfer.

DARRAINE.

Ah ! ça, mais aujourd’hui il doit être embarrassé...

ROBERT.

Chut ! le voici.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, NOIROT, BROSSET, se tient dans le fond

 

NOIROT, son portefeuille sous le bras.

Oui, mes amis, vive la liberté ! vive la charte !... Ah ! Robert, pourquoi n’avez-vous pas les trois couleurs à votre boutonnière ?

ROBERT.

Monsieur...

NOIROT.

Je veux que vous les ayez... Je veux que dans mes bureaux tout le monde prenne part à notre grande régénération... Et puis hier, qu’est-ce que j’ai entendu près de votre logement ?... des cris séditieux...

ROBERT.

Comment, Monsieur ?... Ah ! oui, je sais, c’est une de mes tantes... une pauvre femme qui est devenue folle, grâce aux canons, aux fusillades... et surtout à la Quotidienne, son journal favori... et le vôtre...

DARRAINE.

En vérité !

ROBERT.

C’est au point que dans son délire, elle se croit aujourd’hui la Quotidienne elle-même.

DARRAINE.

La singulière folie !

NOIROT.

Que cela finisse... prenez-y garde.

Air des Maris ont tort.

Ici de la Quotidienne,
Les discours seraient indécents.

DARRAINE.

Pour une âme comme la sienne,
Voilà de bien beaux sentiments.

ROBERT, à demi-voix.

Oui... s’il nous reste encor longtemps,
Il nous demandera, j’espère,
Des billets d’civisme profond,
Comme il nous demandait naguère
Des billets de confession.

 

 

Scène IV

 

KNIFF, NOIROT, DARRAINE, ROBERT

 

KNIFF.

Ah ! ah ! ah !... Mon place !

NOIROT.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

ROBERT.

Eh ! mais... c’est Kniff... l’ancien suisse du ministère.

NOIROT.

Kniff ! je connais ce nom-là.

KNIFF.

Ya, Monsir Robert, c’être moi... un homme pien malheureux !... che havre perda mon place... et ce qui est plus pire... che havré perdu mon traitement.

DARRAINE.

Ah ! mon dieu !... est-ce que vous étiez soldat ?

KNIFF.

Non... che n’avré jamais porté un fusil... ché n’étais pas pour le bravoure... che être pour le bouteille.

ROBERT.

Lorsqu’il est sorti de l’hôtel, on l’avait placé à l’Opéra.

KNIFF, s’égayant un peu.

Ya... pour promener mon individu dans les coulisses, au milieu des tanseuses... parce que les petits Messieurs ils voulaient venir leur parler... et mon consigne il me défendait de laisser faire, à cause des mœurs.

Air : Comme il m’aimait !

Je voyais tout,
Quand on sautait avec scandale,
Je voyais tout,
En sentinel’ toujours debout.
Quand ine amoureux immorale
Prenait la taille d’in’ vestale,
Je voyais tout.

Je voyais tout,
Quant à l’orchestre on faisait signe,
Je voyais tout,
Le vicomte y tenait beaucoup.
Quand les jupons, fut-ce d’un’ ligne,
N’étaient pas selon la consigne,
Je voyais tout.

Aussi les temoiselles étaient en colère ; tarteiff !... elles me donnaient des coups de pied, en faisant des pattements... comme ça... je ne bougeais pas... c’être gentil...

Pleurant.

Ah ! ah ! ah ! mon place !...

DARRAINE.

C’est donc celle-là que vous avez perdue ?

KNIFF.

J’y être plus depuis longtemps... le vicomte me trouvait trop bel homme pour les coulisses ; il m’avré placé dans une église pour être suisse... avec un habit rouge, une épée, un pantoulière, et mon hallebarde à la main... c’être pas si amusant que l’Opéra, à cause des sermons... aussi, je bufais beaucoup, le timanche, pour étourdir mon tête ; mais on m’a renvoyé depuis le petite révolution.

DARRAINE.

C’est que vous vous êtes mal montré.

KNIFF.

Ché m’havré pas montré du tout ; j’havré brafement caché moi dans le cave du vicaire.

ROBERT.

Pour goûter le vin ?

KNIFF.

Ya... pendant trois jours... j’avais peur, et je pufais... et à chaque coup de canon, je pufais encore.

DARRAINE.

Enfin vous êtes sorti de là ?

KNIFF.

Non... on m’a tiré par les jambes... alors ché avré pris ine grande cocarde,

Montrant Noirot.

comme ce Monsir ; ché havré crié : fife la liberté ! comme le vicaire... et le vicaire il avré renvoyé moi de mon place... Ah ! ah ! 

NOIROT, à part.

Il a bien fait.

DARRAINE.

Et pourquoi ?

KNIFF.

Par prudence, à cause de la tournure et du petit accent... pour l’acccent, je ne dis pas... ça ne change pas si vite que les sentiments ; vrai... pour la tournure, c’est pas chuste ; ché avré ine tournure française pour le grâce et le fifacité... voyez...

Il se retourne tout d’une pièce, et il marche.

Et pour la légèreté donc... j’ai été suisse à l’Opéra.

Il saute. Pleurant.

Ah ! ah ! ah ! mon place.

DARRAINE.

Eh bien ! mon pauvre garçon, il faut retourner dans vos montagnes.

KNIFF.

Pour boire du lait ! merci... heureusement une grante Matame di faubourg Saint-Germain m’avre dit que je trouverais ici un protecteur... qui être français comme moi, ni plus ni moins.

NOIROT, à part.

Ah ! mon dieu !

DARRAINE.

Et son nom ?

KNIFF.

Son nom, à lui... je savais bien ; mais dans mon désespoir, je être entré tout à l’heure dans ine petite cabaret... et le nom y être resté.

NOIROT.

C’est bien, c’est bien ; puisque vous ne savez à qui vous adresser, sortez.

KNIFF.

Hélas ! Monsir, je demande qu’on rende mon place d’autrefois à la porte.

NOIROT.

Un suisse au ministère !... ça ne se peut pas.

KNIFF.

Mon grante Madame n’avre dit qu’il y en avait déjà... j’effacerai in suisse sur la porte, je mettrai à la place : parlez au concierge... avec un petit drapeau tricolore.

NOIROT.

Bah ! si cela suffisait.

Air.

Pour garder son rang, son emploi,
On prendrait un autre langage,
Une autre enseigne.

KNIFF.

Mais je crois
Que dans les bureaux c’est l’usage.
Pour être importants,
Je vois bien des gens
Qui n’en ont pas fait davantage.

C’est comme les excellences, qu’on appelle monsir le ministre... on m’appellera monsir le concierge.

DARRAINE.

C’est vrai, mon garçon ; mais ces places-là, sans doute, on les donnera à de pauvres français.

NOIROT.

Certainement... Sortez d’ici, il n’y a plus rien pour vous en France.

KNIFF.

Pas possible.

Air.

Juge éclairé de nos services,
L’autre gouvernement prenait
D’excellents Français chez les Suisses,
Un pair de Franc’ nous le disait.
Mais on nous met sous la remise...
Que deviendrons-nous désormais,
Si pour les port’s et pour l’église
On prend les Suiss’s chez les Français.

Ça sera pas comme ça... je me plaindrai... adieu... Je retourne moi an cabaret, pour chercher ce nom que j’y avais perdu ; voyez la tournure.

Il se retourne, et sort tout d’une pièce.

NOIROT.

Défendez, à la porte, qu’on laisse rentrer cet homme là dans les bureaux.

KNIFF, revenant.

Ah ! cet protecteur, qui être français comme in Suisse, je me rappelle... c’est monsir Noirot !

DARRAINE.

Comment ! c’est Monsieur !

Robert se met à rire.

NOIROT.

Air du Maçon.

Sortez, sortez d’ici !
N’espérez pas trouver celui
Qu’on ose désigner ainsi !
Gardez-vous, en ces lieux,
De vous montrer devant mes yeux.
Oui, partez, je le veux.

Ensemble.

NOIROT.

Sortez, sortez d’ici, etc.

KNIFF.

Monsir Noirot, c’est lui
Qui doit me protéger ici ;
Des Suisses c’est le bon ami ;
Il entendra mes veux !
Dites : Où trouver en ces lieux
Cet homme généreux ?

DARRAINE et ROBERT.

Eh ! quoi, c’était donc lui ?
Cet homme si sévère ici,
Qu’on voulait désigner ainsi ?
Il est bien malheureux,
Que les Suisses seuls, en ces lieux,
Le trouvent généreux.

Kniff sort.

 

 

Scène V

 

DARRAINE, ROBERT, BROSSET, SOLLICITEURS, PERROCHEL

 

BROSSET.

Eh ! ne criez donc pas si fort.

PERROCHEL, le retenant.

On n’entre pas.

BROSSET.

Qu’est-ce qu’il a donc, ce gros là ? ne dirait-on pas qu’on lui a pris la couronne de France ?... Ils sont là une centaine de fainéants qui crient contre moi, parce que j’entre tout de suite.

ROBERT.

Et en effet, il fallait attendre votre tour.

BROSSET.

Il fallait attendre ! il est bon là, lui... quand on n’a rien à faire, je ne dis pas.

DARRAINE.

Qui êtes-vous, mon ami ?

BROSSET.

Cyprien Brosset, not’ bourgeois ; ouvrier ébéniste pour vous servir.

ROBERT.

Vous n’êtes donc pas un solliciteur ?

BROSSET.

Non, ce n’est pas mon état, dieu merci ; c’est bon pour eux, de se traîner dans l’antichambre.

Air : Je n’ai pas le sou.

Je n’suis rien,
Je n’veux rien,
J’ai des bras et du courage ;
Je n’ suis rien,
Je n’veux rien,
Mon ouvrage
Voilà mon bien !
Je m’ suis battu ;
J’ n’ai rien pris, j’ n’ai rien r’çu.
Au feu, soldat,
Ouvrier après l’combat.
Quand chacun pour s’ fair’ payer,
Vient crier, prier, piller,
Moi je r’tourn’ travailler...
Je n’ sais pas mendier !

J’en vois là qui, dans l’orage,
Faisaient le plongeon sous l’eau,
Et qui s’ trouv’nt des gens d’ courage
Depuis qu’ le temps est au beau,
Les v’là revenus sur l’eau.

Parlant.

Mon ministre, je me suis bien montré... Mon ministre, une place, une pension pour ma peine... Feignants!... Mais toi, mon garçon ?... Moi !

Je n’suis rien,
Je n’veux rien,
J’ai des bras et du courage ;
Je n’ suis rien,
Je n’ veux rien,
Mon ouvrage
Voilà mon bien !
Mon pèr’, jadis,
Comm’ moi servait son pays ;
C’ qu’il fit, j’ l’ai fait,
Avec le sang ça s’ transmet ;
Si je m’donne un héritier,
Comm’ nous, soldat-ouvrier,
Il saura travailler ;
Mais jamais mendier !

Tous les solliciteurs sortent et se promènent au fond.

PERROCHEL, à part.

Le manant !

DARRAINE.

Mais quand on a servi son pays...

BROSSET.

Tiens, est-ce que je ne l’ai pas servi ? j’ai été trois jours au feu... à telle enseigne que j’ai planté le premier drapeau... un tricolore que mon père avait conservé.

DARRAINE.

Comment ?

BROSSET.

Oui ; mon père, un ancien guernadier... de l’île d’Elbe... que les blancs ont fait mourir de chagrin... Brave homme ! il n’était plus là, pour les voir filer ; ça lui aurait fait du bien.

DARRAINE.

Si vous avez droit à quelque récompense...

BROSSET.

Moi, je ne demande rien.

PERROCHEL.

Est-il bête !

Il remonte, et resté dans le fond.

BROSSET.

Nous sommes dix mille ouvriers comme ça ; nous avons fait notre devoir... nous avons chassé les autres ; et ensuite nous sommes retournés chez nous, à nos ateliers, laissant les places à ceux qui en vivent, les secours à nos pauvres blessés, et ne demandant pour nous que deux petites choses : c’est qu’on nous donne de l’ouvrage, et que le vin soit moins cher, voilà tout. Je sais bien qu’on parle de bruits, de rassemblements ; des feignants...des têtes chaudes ; mais la masse est bonne.

Air : Je n’ai point vu ces bosquets de lauriers.

Le peuple entier retourne à ses travaux,
Aux méchants seuls sa puissance est fatale ;
Amis constants des lois et du repos,
Nous ne voulons ni trouble ni scandale.
Par le désordre, ah ! bien loin d’affaiblir
La liberté que nous savons comprendre,
Si parmi nous on voulait la flétrir,
Nous étions là tous pour la conquérir,
Nous serions la pour la défendre. 

DARRAINE.

Mon ami, vous êtes un brave garçon et je serais heureux de faire quelque chose pour vous.

BROSSET.

Tiens, pourquoi pas ; vous m’avez l’air d’un bon enfant, tout de même. Vous êtes de la maison ?

DARRAINE.

Mais à-peu-près.

BROSSET.

En ce cas, je vais vous dire pourquoi je viens ici, et, si ça se peut, vous me donnerez un coup d’épaule. D’abord c’est pas pour moi, c’est pour Joséphine Dubois... une pauvre fille, orpheline depuis le 29 juillet.

DARRAINE.

En quoi ! son père...

BROSSET.

Oui, Monsieur, il est au Louvre... c’est là qu’il se battait comme un démon, quand une balle l’a frappé... tout près de moi ; heureusement, ça ne venait pas d’an français, mais d’un habit rouge.

DARRAINE.

Elle a droit à une pension...

BROSSET.

Monsieur, Joséphine a d’autres droits.

Lui montrant un journal.

Voilà un journal qu’on l’y a donné... pour dix sous, c’est le Temps, un des bons ; il y a là un article... tenez... Trait de bravoure... là... vous y êtes.

DARRAINE.

Eh bien ?

BROSSET.

Eh bien ! ça la concerne... c’est-à-dire, son père.

Mouvement de Darraine.

Hem ! quel courage ! Ah ! c’était un homme, celui-là... prendre un canon tout chargé ! On demande que l’héros se fasse connaître, et c’est pour ça que je viens ici, moi, l’ami du père Dubois ; moi, que Joséphine regarde encore comme...

DARRAINE.

Comme son père ?

BROSSET.

Ah ! quelle bêtise !... mieux que ça, Monsieur ; le père Dubois attendait pour me la donner, que j’eusse un état... à présent, la voilà orpheline, elle refuse toujours ma main, par respect pour les idées de son père... mais je pensais qu’avec les bonnes intentions du ministre... car il promet beaucoup, et quand un ministre donne sa parole, ça doit être solide, n’est-ce pas ?

DARRAINE, souriant.

La parole d’an ministre !... ah ! je vous en réponds 

Air : Il n’est pas temps de nous quitter.

Chaque ministre, en arrivant,
Promet du bonheur et des grâces ;
Il promet que dorénavant
Le seul mérite aura des places ;
Il promet d’avoir des talents ;
Il promet d’être sans faiblesses,
Économe... et depuis vingt ans
Ils ont tous tenus leurs promesses !

BROSSET.

Par exemple !

DARRAINE.

Mais rassurez-vous, je tiens les miennes... et je ne sortirai pas du ministère que vous n’ayez obtenu justice... Je veux vous marier, moi.

BROSSET.

Je ne demande pas mieux.

DARRAINE.

Il faut d’abord rédiger un mot de demande, et puis en suite vous m’amènerez mademoiselle Joséphine.

BROSSET.

Tout de suite, Monsieur... C’est une bonne action que vous allez faire, et ça vous portera bonheur.

 

 

Scène VI

 

LES MÊMES, ROBERT

 

ROBERT, entrant.

Ah ! M. Darraine, le ministre est arrivé ; mais il n’y a pas moyen d’approcher.

DARRAINE.

C’est bien, je le verrai... Eh ! mais quel bruit !... Ah ! Robert, quelle est donc cette personne qu’on entoure ?

ROBERT.

C’est M. le secrétaire-général.

DARRAINE.

Eh non ! c’est une dame.

ROBERT.

Justement... son beau-frère en a le titre... un petit jeune homme qu’on nous a donné provisoirement, mais c’est Madame qui fait le travail.

Darraine et Brosset sortent.

 

 

Scène VII

 

MADAME DARMAIN, DÉGOURDIS, ROBERT, plusieurs personnes l’entourent, PERROCHEL

 

CHŒUR.

Air : Au lever de la mariée.

Accourons tous sur ses traces !
Son juste choix, parmi nous
En distribuant les places,
Ne fera point de jaloux.
Toujours fidèles aux grâces,
Accourons tous sur ses traces,
Elle va nous placer tous.

MADAME DARMAIN.

C’est bien, mes amis, c’est bien ; comptez sur moi... je vous recommanderai, je vous placerai... Dieu ! qu’un ministère est lourd ! Mon beau-frère est-il arrivé ?

ROBERT.

Oui, Madame ; mais son cabinet est encombré.

MADAME DARMAIN.

Je crois bien... Pauvre garçon ! il ne sait où donner de la tête ; heureusement j’en ai pour lui.

À Robert.

Tenez, Robert, on viendra chercher cette loge pour l’Opéra.

À un jeune homme.

Jules, voilà des billets... de spectacle, de bal, de concert, vous les donnerez à ces Dames, à ces Messieurs ; s’il n’y en a pas assez, on en signera. Voilà ce que j’aime.

À un jeune homme.

Ah ! M. Dubreuil, j’ai parlé de vous ; vous êtes un ami de non frère, un peu parent du ministre... On vous casera, c’est convenu.

Air de Marianne.

Oui, nous suivons l’ancien système :
Pour le bonheur de son pays,
Un bon ministre doit... quand même,
Placer ses proches, ses amis.
Avec tendresse,
Avec adresse,
De ses parents garnissant les bureaux,
Qu’il mette en place
Toute sa race,
Fils, petits-fils, gendres, collatéraux.
Que le ministère en fourmille,
Si bien qu’ils puissent, en ces lieux,
Chanter : Où peut-on être mieux
Qu’au sein de sa famille ?

Je vous choisirai quelque chose de bon... il doit en rester encore. Eh ! M. Dégourdis, vous êtes donc des nôtres ?

DÉGOURDIS.

Oui, be... belle dame, je vous suis fi... fi... fidèle, et je vous demande votre pro... pro... tection.

MADAME DARMAIN.

Mais on disait que vous étiez un de nos ennemis ?

DÉGOURDIS.

Que... quelle horreur !... je vous appartiens, je... je le jure.

MADAME DARMAIN.

Oh ! du moment que vous le jurez, nous n’en demandons pas davantage. Mais que voulez-vous ?

DÉGOURDIS.

Je voudrais une place de pro... cureur du roi... pour l’éloquence et la facilité ; mais les avocats ont tout pris... alors je viens ici réclamer une sinécure de quinze ça vingt mille francs ; plutôt plus que moins.

MADAME DARMAIN.

C’est la moindre chose... vous l’aurez.

DÉGOURDIS.

Et tout... tout à l’heure, je vous présenterai mes amis.

Plusieurs personnes s’avancent près de madame Darmain.

MADAME DARMAIN.

Encore des placets !... c’est bien, donnez, donnez... voyons... Un directeur de spectacle qui demande un titre pour son théâtre !... ça regarde le public. Un chansonnier qui demande la croix d’honneur !... le roi ne veut pas qu’on les prodigue, c’est dommage. Un député qui exige des places pour toute sa maison... c’est trop juste. Un auteur indépendant qui nous prie de lui conserver la pension qu’il a touchée sous tous les régimes... Un doctrinaire qui veut une direction générale... Un cuisinier !... comment le cuisinier du ministère qui veut conserver sa place... Mon beau-frère le gardera.

DÉGOURDIS.

Il fera bien... c’est moral.

Air : Ce luth galant.

On veut à tort supprimer, de nos jours,
Ces grands repas qui sont d’un grand secours.
C’est par eux que souvent le zèle doit éclore !
Quel que soit son drapeau, l’éloquence dévore :
On dînait autrefois, on va dîner encore,
On dînera toujours.

ROBERT.

Voulez-vous, Madame, que je vous débarrasse de ces papiers ?

MADAME DARMAIN.

Non, j’y suis habituée ; depuis quinze jours, j’en apporte autant tous les matins. Aussi, je puis dire hardiment que, dans ces graves circonstances, personne n’a rendu des services plus réels à l’état... J’ai fait vingt préfets, six conseillers d’état, quatre maîtres des requêtes, trois chefs de division, trente commis, et cent trois sous-préfets.

PERROCHEL, sur le côté.

Ah ! l’honnête femme !... si je pouvais me faufiler par là...

MADAME DARMAIN.

Ce qui me chagrine, c’est que je reviens encore sans rapporter à mon frère les renseignements que le ministre lui a demandés, sur un brave homme qui a fait des prodiges de valeur près du Louvre.

PERROCHEL.

Ah ! mon dieu !

ROBERT.

Dam’ ! il y en avait tant... le moyen de s’y reconnaître.

MADAME DARMAIN.

Oui ; mais celui-ci s’est emparé d’un canon, au moment où on allait у mettre le feu... et par là, il a sauvé la vie à tous les braves qui l’entouraient.

TOUS.

C’est beau ! c’est superbe !

DÉGOURDIS.

Si j’avais voulu, j’en aurais fait autant.

MADAME DARMAIN.

Ah ! s’il se présentait, on n’aurait rien à lui refuser.

PERROCHEL, à part.

Oh ! la bonne occasion ! je m’y cramponne.

On entend du bruit.

MADAME DARMAIN.

Eh ! mais quel bruit !... que se passe-t-il donc ?

ROBERT.

Ah ! Madame, ce sont deux ou trois nuées de provinciaux qui viennent d’arriver... Des Bretons, des Normands, des Picards, des Bourguignons, des Champenois, et surtout des Gascons !

MADAME DARMAIN.

Des Gascons !

DÉGOURDIS.

Comment ! il y en a encore ?

ROBERT.

Ils demandent des places... ils veulent entrer.

MADAME DARMAIN.

Qu’ils attendent... Je passe chez mon frère.

PERROCHEL, à part.

Voilà le moment de me montrer.

MADAME DARMAIN.

Air des Gascons.

Mais plus tard ils seront admis ;
Il faut qu’aujourd’hui je commence
Par recommander mes amis...
J’en ai bien assez à Paris.

On entend crier.

ROBERT.

Entendez-vous !...

MADAME DARMAIN.

De la course ils ont le talent,
En poste ils traversent la France ;
Ils gagnent bien, en voyageant,
Des places qu’ils auront, je pense.

DÉGOURDIS.

Oui, des places en diligence.

Ensemble.

MADAME DARMAIN.

Oui, plus tard, etc.

TOUS en chœur.

Oui, plus tard ils seront admis ;
Il faut qu’aujourd’hui l’on commence
Par recommander ses amis...
Vous en avez tant à Paris !

Tout le monde remonte avec Madame Darmain. Perrochel l’arrête. Elle redescend seule avec lui.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DARMAIN, PERROCHEL

 

MADAME DARMAIN.

Monsieur, pardon... je n’ai pas l’honneur...

PERROCHEL.

De me reconnaître... c’est possible ; je suis un homme obscur, et ce n’est pas dans des lieux comme celui-ci qu’on a coutume de me rencontrer.

MADAME DARMAIN.

C’est donc cela... Et en quoi puis-je vous être utile ?

PERROCHEL.

Mon dieu, Madame... je ne sais comment vous dire... je suis si modeste.

MADAME DARMAIN.

Allons, mon ami, allons, rassurez-vous, un peu de courage ; je vois que vous n’avez pas l’habitude de solliciter.

PERROCHEL.

Je ne fais que ça... je veux dire depuis hier... On m’a forcé à me mettre sur les rangs, car moi je ne voulais pas ; je pense que, lorsqu’on a fait son devoir, on n’a pas besoin d’autre récompense... et pour m’être battu pendant trois jours...

MADAME DARMAIN.

Vous vous êtes exposé...

PERROCHEL.

Si je me suis... Ah ! oui, Madame... et je puis dire qu’il y en a peu qui se soient montrés comme moi : j’ai tué douze sicaires de ma propre main ; j’ai forcé un bataillon à mettre bas les armes ; et je suis entré le premier aux Tuileries.

MADAME DARMAIN.

Ah !... vous êtes le soixante-treizième qui réclamiez cet honneur-là ?

PERROCHEL.

C’est possible... nous sommes entrés les premiers... en masse ; mais moi, Madame, j’ai des preuves, des blessures...

MADAME DARMAIN.

Vous êtes blessé !

PERROCHEL.

Ah ! grâce à des soins, il ne me reste plus qu’une douleur à la jambe.

MADAME DARMAIN.

Laquelle ?

PERROCHEL, embarrassé d’abord.

Madame, la droite.

Riant.

C’est mon côté faible... elle à été froissée par cette maudite pièce de canon.

MADAME DARMAIN.

Vous conduisiez une pièce de canon ?

PERROCHEL.

Mieux que cela, Madame... Seul, sous le feu de la mitraille, j’ai enlevé une pièce de huit à d’infâmes étrangers.

MADAME DARMAIN.

Aux suisses ?

PERROCHEL.

Au pied de la colonnade.

MADAME DARMAIN.

Près da Louvre ?

PERROCHEL.

J’ai sauvé la vie à plus de cent personnes.

MADAME DARMAIN.

Il se pourrait !... Ah ! Monsieur, ne me trompez-vous pas ?... Vous seriez ce brave...

PERROCHEL.

Je suis ce brave.

Air : Sans murmurer.

Sans vanité
J’ai fait, on peut m’en croire,
Bien des exploits qui ne m’ont rien coûté.
Quiconque a pris part à notre victoire,
Autant que moi... peut parler de sa gloire,
Sans vanité.

Et il y a huit jours qu’on me laisse dans cette antichambre...

MADAME DARMAIN.

Vous ?

PERROCHEL.

Ce n’est pas pour vous, gens obscurs et modestes que les portes sont ouvertes. Aussi, j’allais me retirer, quand je vous ai entendue parler de moi.

MADAME DARMAIN.

Nous en parlons souvent... Eh ! quoi... nous vous cherchions... nous vous demandions partout... et vous étiez là : Quel bonheur de vous avoir trouvé, pour vous présenter à mon frère, qui vous présentera au ministre... il apprécie votre conduite héroïque... il en a été témoin.

PERROCHEL.

Ah ! diable !

MADAME DARMAIN.

Et mon frère, et le ministre qui me trouvent trop légère... Cette fois, ils me rendront justice, et à vous aussi.

PERROCHEL, à part.

Dieu ! quelle tête !... me voilà lancé !

Air du Triomphe de la Muette.

Ensemble.

Ah ! je me félicite
D’avoir pris ce moyen ;
À la fin mon mérite
Trouve donc un soutien.

MADAME DARMAIN.

Par sa noble conduite,
Je serai son soutien,
Et je veux que l’on cite
Mon nom auprès du sien.

PERROCHEL.

Ah ! quel bonheur pour notre France,
Si, quand vous donnez un emploi,
Les braves que l’on récompense,
Le méritent autant que moi !

 

 

Scène IX

 

MADAME DARMAIN, PERROCHEL, DÉGOURDIS, NOIROT, DESRUBANS

 

DÉGOURDIS.

Madame, je viens vous pré... présenter mes amis.

MADAME DARMAIN.

C’est bien, c’est bien... Soyez, tranquilles, Messieurs, je penserai à vous... Mais vous n’excuserez le ministre m’attend... je lui mène un des hommes qui ont le mieux mérité de la France et de moi.

TOUS.

Comment, Monsieur ?...

PERROCHEL, saluant.

Messieurs...

Reprise du chœur.

Ensemble.

MADAME DARMAIN.

Par sa noble conduite, etc.

PERROCHEL.

Ah ! je me félicite, etc.

DÉGOURDIS, NOIROT et DESRURANS.

Honneur au vrai mérite !
Honneur au citoyen
Dont la no
ble conduite
Fut pour nous un soutien !

Perrochel entre chez le Secrétaire avec Madame Darmain.

 

 

Scène X

 

NOIROT, DÉGOURDIS, DESRUBANS

 

NOIROT.

Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?

DESRUBANS.

Parbleu ! quelqu’intriguant !

DÉGOURDIS.

Qui... qui vient nous souffler nos places.

NOIROT.

On ne voit que ça. Ce qui vous prouve, Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, qu’il faut nous entendre, et tout garder pour nous... j’ai commencé... je me suis dévoué... j’ai gardé mon emploi. Nous sommes beaucoup comme ça.

DÉGOURDIS.

Oui... i... des gens comme nous doivent tou... toujours être pla... placés.

DESRUBANS.

Je ne demande pas mieux... mais, moi, j’avais des scrupules pour le nouveau serment.

DÉGOURDIS.

Quelle bé... bêtise !

NOIROT.

Il faut le prêter... Est-ce que c’est un serment qui vous coûte, M. Desrubans ?... on fait des phrases.

DÉGOURDIS.

Ou... ou... des restric... ti... des restrictions ; on en est quitte pour quelques sifflets... On dit je ju... jure... en hai... haine de lanar... l’anar... narchie... et ça... ça n’engage à rien.

Air : Vos Maris en Palestine.

La république, ô délire !
De moi reçut trois serments,
J’en prêtai deux à l’empire,
Et deux aux Bourbons rentrants.
Philippe aura le huitième !
Et, comme ses devanciers,
S’il avait des héritiers,
Je leur tiendrais le neuvième,
Comme je tiens les huit premiers.

DESRUBANS.

C’est comme ça que j’ai toujours fait.

DÉGOURDIS.

Eh bien ! alors... qu’est-ce que vous dites donc ?

DESRUBANS.

C’est que je vois beaucoup des nôtres qui ne prêtent pas serment.

NOIROT.

Ils ont tort. On ne gagne rien à avoir de ces scrupules-là.

DÉGOURDIS.

On y ga... gagne qu’on perd sa place... voilà... là tout.

NOIROT.

Oui, mes frères... c’est un grand tort que de se retirer ; car on laisse ainsi la porte ouverte à des hommes nouveaux... à des jeunes gens mal disposés pour la compagnie.

DESRUBANS.

La jeunesse est si mauvaise !

DÉGOURDIS.

On a eu tort de ne pas la supprimer pendant qu’on y était.

NOIROT.

L’essentiel, c’est d’occuper tous les postes... nous en avons déjà beaucoup... on nous ménage ; pour nous sou tenir, emparons-nous des sots, des enfants et des femmes...

DÉGOURDIS.

Oh ! les femmes ! c’est mon f... fort.

NOIROT.

Il faut biaiser.

DÉGOURDIS.

C’est ça, bi... biaisons.

NOIROT.

C’est ainsi qu’en levant tous la main, nous aurons des amis partout... dans l’administration...

DÉGOURDIS.

Dans les tri... tribunaux.

DESRUBANS.

Dans la pairie.

DÉGOURDIS.

Je vous en réponds... J’ai mon petit cousin Dubriage, qui sera pair de France un jour... c’est mon élève.

DESRUBANS.

On dit que c’est un imbécile.

DÉGOURDIS.

Parbleu !

NOIROT.

Ça ne le regarde pas... La pairie, c’est comme la noblesse...

Air du Vaudeville de Fanchon.

C’est le chef de sa race
Il est sûr de sa place ;
Et pour les lois sans goût,
Devant un ministère,
Il ne sera jamais debout...
Mais c’est héréditaire,
Ça dispense de tout.

DÉGOURDIS.

C’est co... commode.

Même air.

Il poursuit les grisettes,
Il est criblé de dettes,
Et l’exemple l’absout.
Toujours sans caractère,
Il est bête à dormir debout...
Mais c’est héréditaire,
Ça dispense de tout.

NOIROT.

Il sera des nôtres... De cette manière, il nous reste toujours de la ressource... Nous obtiendrons de bonnes places.

DESRUBANS.

Des cordons...

DÉGOURDIS.

Des pen... pensions...

NOIROT.

Des titres...

DÉGOURDIS.

Avec ça, nous prendrons notre mal en pa... patience.

NOIROT.

Ainsi, c’est convenu.

Air des Scythes.

Pour mieux tromper ce qui nous environne,
En longs rubans portons les trois couleurs ;
Vieux champions de l’autel et du trône,
Conservons-les dans le fond de nos cœurs,
Sans renoncer aux nouvelles faveurs.
Se retirer, c’est perdre la partie,
Jurons bien haut, par de nouveaux serments,
Comme autrefois de servir la patrie,
Et de palper nos traitements.

Ils sortent.

 

 

Scène XI

 

PERROCHEL, entrant, puis DARRAINE, ROBERT, BROSSET, JOSÉPHINE

 

PERROCHEL.

Quel bonheur !... Enfin la route m’est ouverte... c’est délicieux... Voyez un peu, avec de l’esprit... je suis préfet, chef de division ; ce que je voudrai.

DARRAINE.

Eh non ! vous dis-je, non... je ne veux pas accepter.

ROBERT.

Comment, Monsieur, vous refusez d’être secrétaire-général ?

DARRAINE.

Eh oui !... il y a là un jeune homme qu’il faudrait renvoyer... D’ailleurs le nombre des solliciteurs m’effraie.

BROSSET, entre avec Joséphine.

Venez, mam’zelle Joséphine, venez... Comme vous tremblez.

JOSÉPHINE.

Dam’ ! quand on n’a pas l’habitude...

BROSSET.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il y a donc ? vous ne venez pas demander le bien des autres... Ah ! voilà notre protecteur.

DARRAINE, à Robert.

Et puis il y a tant d’intrigants !... Ce que je viens d’apprendre...

JOSÉPHINE.

Entrer comme ça chez un ministre.

BROSSET.

Ne craignez rien, je suis là... Monsieur, Monsieur...

DARRAINE.

Qu’est-ce ?... Ah ! c’est vous.

BROSSET.

Comme vous voyez, avec la jeune fille... Joséphine Dubois.

DARRAINE.

Oui, je sais... Mais mon ami, ou l’on vous trompe, ou vous cherchez à me tromper.

BROSSET.

Comment, qu’est-ce que ça veut dire ?

DARRAINE.

Cela veut dire que le brave dont vous n’avez parlé venait de sortir de chez le ministre, quand j’y suis entré.

PERROCHEL, à part.

Ah ! mon dieu, c’est moi.

BROSSET.

Par exemple, en voilà une solide.

JOSÉPHINE.

Vous voyez bien à quoi vous m’avez exposée.

BROSSET.

Eh non ! Mam’zelle, non, ça ne se peut pas... je suis là... j’ai vu l’acte de courage du père Dubois... C’est quelque brave du lendemain qui se met à sa place... mais si je le trouve, il m’a qu’à se bien se tenir.

JOSÉPHINE.

M. Brosset, ne vous emportez pas.

PERROCHEL, à part.

Ah ! le butor !

BROSSET.

Non, non, je l’assommerai, et après nous verrons.

Perrochel s’esquive et sort.

DARRAINE.

Allons, si l’on nous a trompés, comptez encore sur mon intervention.

JOSÉPHINE.

Non, Monsieur, non, je me demande rien... Si je venais ici, ce n’était pas pour moi ; c’était pour voir honorer la mémoire de non père...

BROSSET.

Laissez donc, mam’zelle Joséphine, ne parlons plus de cela... retournons chez nous... je travaillerai, et vous aussi ; avec ça, voyez-vous, on peut être heureux... Vous êtes seule ; eh bien ! je vous reste, moi, je serai votre frère, votre ami... mieux que ça encore, si vous voulez bien.

JOSÉPHINE.

Ah ! que je suis fâchée d’être venue.

DARRAINE.

Rassurez-vous, Mademoiselle ; si vous avez droit à des secours...

BROSSET.

Gardez-les pour ces gens-là... mais nous.

Air.

Dans les bureaux où l’ citoyen
Retrouve encor l’ancienn’ méthode,
Notre roi Philipp’ devrait bien
Mettre ses vertus à la mode.
Tout irait mieux pour nous, je crois,
Si les répons’s venaient du trône ;
Puisqu’en ces lieux, comme autrefois,
Quand on d’mande justic’ pour ses droits,
On a l’air de d’mander l’aumône.
Venez, Mam’zelle, venez.

Il emmène Joséphine.

 

 

Scène XII

 

DARRAINE, ROBERT, DÉGOURDIS, NOIROT, DESRUBANS

 

ROBERT.

Ils ont l’air de dire la vérité, et si vous étiez secrétaire général...

DÉGOURDIS, accourant vers Noirot et Desrubans.

La voilà, la voilà, notre protectrice !

DARRAINE.

Eh ! je ne me trompe pas... M. Dégourdis.

DÉGOURDIS.

Ah ! mon dieu ! celui que j’ai fait destituer.

NOIROT.

Vrai... celui dont j’ai la place ?

 

 

Scène XIII

 

LES MÊMES, MADAME DARMAIN, PERROCHEL, FOULE DE SOLLICITEURS

 

CHŒUR.

Air : Oh ! la bonne folie !

Elle quitte son frère,
La voilà ! quel bonheur !
Je vais au ministère
Me trouver en faveur !

MADAME DARMAIN.

Oui, mes amis... oui, j’ai réussi pour tout le monde.

TOUS.

Ah ! Madame !

ROBERT, à Darraine.

Hem ! Monsieur... quelle fournée d’injustices... C’est tous les jours comme ça.

MADAME DARMAIN.

Mais un grand malheur nous menaçait... Mon beau frère voulait donner sa démission ; mais je veux qu’il garde le secrétariat, pour en faire part à ses parents, à ses amis, à ses connaissances ; et...

PLUSIEURS PERSONNES, en dehors.

J’approcherai ! je veux approcher !

ROBERT.

Ah ! Messieurs.

MADAME DARMAIN.

Qu’est-ce donc ?

 

 

Scène XIV

 

LES MÊMES, PLUSIEURS JOURNALISTES

 

ROBERT.

Madame, ce sont des journalistes qui se plaignent d’avoir été oubliés.

MADAME DARMAIN.

C’est jouer de malheur !... J’en ai tant placé dans les bureaux, aux finances, à l’intérieur, aux archives ; enfin il y en a partout.

Murmure.

Eh oui ! Messieurs.

Air.

Grand ou non, vieux ou nouveau,
Parmi vous tout sollicite ;
Vous avez même, on le cite,
Un confrère-infolio
Dont les rédacteurs en masse,
Soit mérite, soit audace,
Se sont tous fait mettre en place ;
Si bien, ou plutôt si mal,
Qu’en vain le public s’abonne,
Il ne reste plus personne
Pour rédiger le journal.

Mais c’est égal... je ferai récompenser les services réels... D’ailleurs j’aime beaucoup les journalistes, le ministre en est un. Quant à vous, M. Perrochel...

DARRAINE.

Lui aussi !

MADAME DARMAIN.

Oui, Messieurs... le voici, l’homme de courage dont je vous parlais, qui a pris la pièce de canon des Suisses, près du Louvre.

DARRAINE.

Ah ! c’est trop fort !... Viens, Robert, suis-moi !

Il remonte, et entre dans le cabinet.

MADAME DARMAIN.

Pour commencer, on vous nomme sous-préfet.

PERROCHEL.

Une sous-préfecture, à moi !... Ce n’est pas assez.

DÉGOURDIS.

Alors demandez-en deux.

MADAME DARMAIN.

Enfin Paris et la province, tout le monde sera placé, et dans un moment le secrétaire-général viendra ici répondre lui-même à toutes vos demandes.

TOUS.

Vive M. le secrétaire-général !

 

 

Scène XV

 

LES MÊMES, MADAME ROBERT, costume de vieille, mante, bonnet à barbes, cocarde blanche, éventail, lunettes et béquille

 

MADAME ROBERT.

Vive quoi ?... On a crié vive quelque chose... et moi aussi, je veux le crier.

PERROCHEL.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

MADAME ROBERT.

Hélas ! mon pauvre garçon, je suis une malheureuse qui ai tout perdu... depuis que ceux qui me soutenaient sont... votre serviteur...

MADAME DARMAIN.

Mais enfin qui êtes-vous, bonne femme ?

MADAME ROBERT.

Je ne suis pas bonne...je suis la Quotidienne, votre révérante mère.  

TOUS.

Hem ! plaît-il ? Par exemple...

MADAME DARMAIN.

C’est une folle.

MADAME ROBERT.

Air : Paris est comme autrefois.

Je suis la Quotidienne,
Et la Gazette est ma sœur ;
Hélas ! je végète à peine,
Depuis mon dernier malheur.
Fidèle à nos ennemis,
Aux cosaques j’ai jadis,
Quand mon roi fut de retour,
Prodigué tout mon amour...
J’ai, sous la chambre introuvable,
Ensanglanté mon rabat ;
Du ministère incroyable
J’appelais les coups d’état...
Je défendais les abus,
Les jésuites, les ventrus,
Les budgets, mon seul soutien,
Les Suisses qui vont si bien.
Mais c’est surtout des gendarmes
Que j’aimais la loyauté !
Ce beau corps a, sous les armes,
Tant de sensibilité !...
Pour écraser les mutins,
Je criais tous les matins,
Qu’avec le parti royal,
Je monterais à cheval...
Mais les plus forts, les plus braves,
Quand est venu le danger,
Nous nous cachions dans les caves...
Et j’en sors pour me venger.

TOUS.

Voulez-vous vous taire !

MADAME ROBERT.

Eh ! non, non, ne craignez rien... Hélas ! je suis bien bas depuis que mes chers gendarmes...

NOIROT.

Mais on ne parle plus de ça.

MADAME ROBERT.

Et moi, je veux en parler !... En ce moment-ci, je suis indépendante... c’est-à-dire que je suis à vendre. Qu’est ce qui veut m’acheter ?... Où est le ministre ?... conduisez-moi au ministre.

NOIROT.

Vous ne vous entendriez pas avec lui... votre couleur...

MADAME ROBERT.

J’en changerai... je n’y tiens pas... Oh ! le jeune ministère ne refusera pas nies faveurs... il ne peut pas se passer de moi... Je rajeunirai pour lui... je vanterai ses vertus, son économie, son courage... Me voilà, qu’il m’épouse, et je lui donnerai en dot tous les imbéciles de France... il y en a encore... il y en aura toujours. Je me ferai doctrinaire, idéologue, républicaine s’il le faut... Je crierai vive... tout ce qu’on voudra !... Mais qu’on m’achète... qu’on me paie... je ne peux pas vivre sans ça.

PERROCHEL.

Allons donc... on se passera de vous.

MADAME ROBERT.

Ah ! l’on se passera de moi ! prenez-y garde... Je ne suis que méchante... je deviendrai furieuse.

Air du chapitre second.

Oui, dans ma colère,
Avant peu, j’espère
Mettre tout en feu !
Toujours intraitable,
Je ferai le diable
Au nom du bon dieu !
Ma feuille bénite
Chaque jour excite
La guerre entre nous.
Je crierai sans cesse :
Courage, jeunesse !
Ouvriers, à vous !
La presse est infâme !
Le peuple est sans âme
La loi sans vertu !
Plus de séminaires,
De missionnaires,
L’état est perdu !
J’en ai l’espérance,
La Sainte-Alliance
Un jour reviendra,
Pour éteindre en France,
L’affreuse licence
Qu’à moi l’on devra.
Oui, dans ma colère,
Avant peu j’espère
Mettre tout en feu.
Toujours intraitable,
Je ferai le diable
Au nom du bon dieu !
Je mets tout en feu,
Au nom du bon dieu !

MADAME DARMAIN.

Jetez-moi cette femme à la porte.

TOUS.

Oui, à la porte ! à la porte !

ROBERT.

Au secours ! au secours ! Gendarmes, on veut me faire violence !... gendarmes, sauvez mon honneur... tirez sur ces gaillards-là.

 

 

Scène XVI

 

LES MÊMES, BROSSET, JOSÉPHINE, ROBERT

 

BROSSET.

Eh bien ! qu’est-ce que vous nous voulez ?

JOSÉPHINE.

Pourquoi nous ramener ici ?

MADAME ROBERT, se retournant.

Ah ! mon dieu ! du peuple ! de la canaille ! Gendarmes !...

Elle tombe sur une chaise.

ROBERT.

Tiens, ma tante la Quotidienne !

BROSSET.

Qu’est-ce qu’elle a donc cette grosse mère ? Rassurez-vous, allez... nous sommes ici malgré nous.

JOSÉPHINE.

Certainement.

MADAME ROBERT.

Renvoyez-les... ça me rappelle les barricades... ça me fait mal aux perfs.

BROSSET, se mettant en défense.

Si tu approches !...

TOUS.

Voulez-vous finir !

La porte du cabinet s’ouvre.

ROBERT, annonçant au milieu du bruit.

Monsieur le secrétaire général !

TOUS, remontant.

Le secrétaire général !

MADAME DARMAIN, remontant.

Mon beau-frère !...

Elle s’arrête.

Ce n’est pas lui.

DARRAINE.

Non, Madame... c’est moi... le secrétaire général.

PERROCHEL.

C’est mon compagnon de voyage !

DARRAINE.

Votre beau-frère cède un emploi au-dessus de ses forces... j’accepte... il était temps !

TOUS.

Ah ? mon dieu !

DARRAINE.

Air des Comédiens.

Oui, ce matin, vous venez de m’apprendre
Qu’un citoyen en place doit rentrer,
Lorsqu’il y voit des services à rendre,
Et, comme ici, du mal à réparer.
Si désormais Madame sollicite
Pour ses amis... je serai leur soutien,
Je placerai tous les gens de mérite...

MADAME DARMAIN.

Les malheureux ! ils n’obtiendront plus rien.

DARRAINE, à Perrochel qui cherche à l’éviter.

Pour vous, Monsieur, vous m’apprendrez, je pense,
Par quel hasard, car je n’y comprends rien,
Quand nous courrions tous deux en diligence,
Vous, à Paris, vous vous battiez si bien ?...
Vous comprenez ; et de votre demande,
Longtemps encor vous aurez à rougir ;
Disparaissez, héros de contrebande,
Et respectez la palme du martyr.

À Joséphine.

Puisque le brave est mort pour sa défense,
Notre pays, qui seul la dotera,
À l’orpheline offre une récompense,
Qu’avec un autre elle partagera.

Joséphine tend la main à Brosset. Darraine, à Dégourdis, à demi-voix.

Vous qui m’avez destitué naguère,
Rassurez-vous, je vois votre embarras ;
Votre demande est encore un mystère ;
Reprenez-là... je n’en parlerai pas.

À Noirot et à Desrubans.

Et vous, Messieurs, un peu moins d’impudence,
Pour nous tromper vous être trop connus,
Et vos jours, j’en jure par la France,
Ils sont passés... ils ne reviendront plus.

Aux journalistes.

Vous, jeunes gens, que la presse réclame,
D’un bon journal et l’honneur et l’appui,
Du bien public si l’amour vous enflamme,
À vos travaux retournez aujourd’hui,
Que les méchants redoutent vos férules,
Que tous les sots craignent votre gaieté,
Des faux serments flétrissez les scrupules ;
Aimez ce roi, fils de la liberté.

DÉGOURDIS.

C’est dommage... ça allait si bien.

BROSSET, voulant aller à Perrochel.

Comment, c’était ce gaillard ?...

Joséphine le retient.

MADAME ROBERT, se glissant près de Darraine.

Mon amour !...

DARRAINE.

Hem ?

ROBERT, bas.

C’est ma tante, vous savez...

MADAME ROBERT.

Veux-tu m’acheter ?... je t’aimerai bien.

DARRAINE.

Oui, ma bonne, oui.

Bas à Robert.

Mets-moi cette Quotidienne là à Charenton... avec l’autre, si c’est possible.

ROBERT.

Oui, Monsieur... et comme ça tout le monde sera à sa place.

Vaudeville final.

Air de M. Doche.

PERROCHEL.

Pour moi point de sinécure,
Rien ! quand je vois tant de gens
Se gorger avec usure
De places, de traitements !
Leurs droits et leurs talents,
Qu’importe qu’on en murmure !
La France les paiera,                }
Les budgets sont toujours là !  }
(bis.)

NOIROT.

Pour nous quels destins terribles !
La police et son trésor
À nos vœux sont insensibles !
Mais le diable n’est pas mort,
Non, il nous reste encor
Des juges inamovibles :
Si Bazile s’en va,
Bridoison est toujours là.

BROSSET.

Chez nous plus d’esprits malades !
Vous, ouvriers respectez
La conquête des barricades,
Nos lois et nos libertés !
Si vos droits sont heurtés,
Parlez !... votr’ voix, camarades,
Jusqu’au trône montera...
Notre roi Philippe est là.

ROBERT.

La France républicaine
A fait briller autrefois
Des noms... qu’on vit avec peine
Vendre à l’empire nos lois,
Ou ramper sous les rois !
Mais aux deux bouts de la chaîne,
Comm’ vos droits qu’il fonda,
Lafayette est toujours là !

DÉGOURDIS.

Quand nous étions les apôtres
De la cour et des trésors,
Je criais avec les autres :
Peuple, canaille, dehors !
Nous sommes les plus forts. !
Plus d’autres droits que les nôtres !
Mais le canon tonna...
Les plus forts n’étaient plus là.

DARRAINE.

Par notre reconnaissance,
Le Panthéon illustré,
Au courage, à l’éloquence,
Rouvre un sein longtemps muré ;
Sous ce dôme sacré,
Viens, député de la France !
Ton cœur s’échauffera...
Manuel et Foy sont là !

MADAME ROBERT.

Puisque tout est calme en France,
Moi je reprends mon rabat !
Comme un éteignoir immense,
J’arrive après le combat ;
Oui, pour les coups d’État,
Pour Saint-Ignace en souffrance,
Un héros restera !...

Faisant la révérence.

La Quotidienne est là !

MADAME DARMAIN, au public.

De sa légère férule,
Le Vaudeville aujourd’hui
Frappe un bien vieux ridicule ;
Messieurs, joignez-vous à lui !
Vous, son plus ferme appui,
Applaudissez sans scrupule,
Et notre auteur dira :
L’indulgence est toujours là !

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