La Fiancée du Bon Coin (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Tableau populaire en un acte, mêlé de.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais Royal, le 16 avril 1856.

 

Personnages

 

DINDARD, cabaretier

NÉPOMUCÈNE, son neveu

RAFOUINAT, charbonnier auvergnat

MOUFFLON, charretier

UN BOULANGER

UN TEINTURIER

UN MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN

CHOISE, sœur de Rafouinat

JAVOTTE, servante dé Dindard

UNE MARIÉE, nièce de Moufflon

INVITÉS DE LA NOCE RAFOUINAT

INVITÉS DE LA NOCE MOUFFLON

 

La scène est à Paris, au cabaret du Bon Coin, chez Dindard.

 

Le théâtre représente l’intérieur d’une boutique de marchand de vins. Porte au fond et grand vitrage donnant sur la rue. Portes latérales. Comptoir à droite. Rideaux rouges. Tables, tabourets et autres accessoires.

 

 

Scène première

 

RAFOUINAT, UN GARÇON BOULANGER, UN TEINTURIER, UN MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN, attablés à gauche et buvant, JAVOTTE, assise dans le comptoir et dormant

RAFOUINAT.

Air du Vin à quat’ sous.

Pour vivre bien portant,

Pour n’être jamais malades,

Chaqu’ matin de vin blanc

Buvons deux, trois rasades.

TOUS.

Chaqu’ matin de vin blanc

Buvons cinq, six rasades !

RAFOUINAT.

Un coup d’vin blanc, un an d’ santé !

C’est r’connu par la Faculté !

TOUS.

Six coups d’vin blanc, six ans d’ santé !

C’est r’connu par la Faculté !

RAFOUINAT.

L’ p’tit blanc du matin,

V’là mon méd’chin !

V’là mon apothicaire et mon méd’chin !

Dix coups d’ vin blanc, dix ans d’ santé !

C’est r’connu par la Faculté !

TOUS.

Cent coups d’ vin blanc, cent ans d’ santé !

Et l’on a l’immortalité !

LE BOULANGER, à Rafouinat.

Bigre !... vous ne cannez pas sur le vin blanc, charbonnia !

RAFOUINAT.

Mes j’enfants, ch’est pas pour moi, ch’est pour la santé du corps... ch’est connu que tout homme il vient au monde avec une chauterelle dans l’echtomac...

TOUS.

Une sauterelle !

RAFOUINAT.

Quand vous toussez et que vous crachez le matin... ch’est votre chauterelle qu’elle gigote !

LE TEINTURIER.

Tiens ! tiens ! tiens !

RAFOUINAT.

Avalez un verre de blanc... et elle est cuite !... mais avant de mourir elle pond des œufs qui font des petits... ch’est pour cha qu’il faut recommencer tous les matins !

TOUS, riant.

Ah ! farceur !

RAFOUINAT.

Ch’est de la médechine !

LE BOULANGER.

Dites donc, père Rafouinat, avez-vous entendu dire qu’on venait de trouver le moyen de faire du vin rouge avec des navets ?

RAFOUINAT.

Mes enfants... ch’est possible... À Chaint-Flour j’ai connu un fabricant de verres cassés... qui faisait du kirch avec des z’haricots... mais il ôtait la peau !

Appelant.

Javotte... elle dort, la feignante !

LE TEINTURIER.

Non... elle rêvasse au neveu du bourgeois.

RAFOUINAT.

Au beau Népomuchène... j’entends pas cha !

TOUS.

Comment ?

RAFOUINAT, allant au comptoir.

J’ai mes raijons !

Appelant plus fort et frappant sur le comptoir.

Javotte !

JAVOTTE, se réveillant en sursaut.

Quoi qu’y a ?

RAFOUINAT.

Pourquoi que tu dors ? ch’est malhonnête pour la compagnie...

JAVOTTE, baillant et étendant les bras.

Ah ! je m’embête !

RAFOUINAT.

Ah ! c’est différent, c’est une raison !... – Une bouteille !... ch’est la tournée du boulanger...

Il retourne à la table. Javotte sert la bouteille.

LE BOULANGER.

Mais du tout !... voici la mienne.

RAFOUINAT.

Alors ch’est au marchand de peaux de lapin.

LE MARCHAND.

Mais non !

LE TEINTURIER, montrant trois bouteilles.

V’là nos trois bouteilles !... c’est à vous, charbonnia !...

RAFOUINAT, se fâchant.

À moi !... dis que t’en as menti... ou je cogne !

LE BOULANGER et LE MARCHAND, cherchant à les calmer.

Voyons donc... voyous donc ! père Cogne-toujours !

LE TEINTURIER, à part.

Il est embêtant l’Auvergnat !... je ne boirai plus avec lui !

RAFOUINAT, retournant à droite et frappant sur le comptoir pour réveiller Javotte qui s’y est rendormie.

Javotte !

JAVOTTE, se réveillant en sursaut.

Encore !... mais quoi qu’y a donc ?... 

À part.

Il est sciant, ce charabia !

RAFOUINAT.

Là yoù t’est-ce qu’il est, ton bourgeois... le père Dindard ?

JAVOTTE, avec humeur.

Dans sa chemise !

RAFOUINAT.

Réponds... que je cogne !...

JAVOTTE.

Dans sa cave !... il rince des bouteilles au puits !

TOUS, se levant.

Au puits !

RAFOUINAT.

Il a un puits dans sa cave !... fichtra !...

 

 

Scène II

 

RAFOUINAT, LE GARÇON BOULANGER, LE TEINTURIER, LE MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN, JAVOTTE, DINDARD

 

DINDARD, venant de sa cave avec un panier et un bout de chandelle allumée.

Crée chandelle !...

RAFOUINAT.

Arrivez donc, père la malice !

DINDARD.

Ça vous coule dans les doigts.

Il essuie sa main à ses cheveux.

RAFOUINAT.

Paraît que vous avez un puits dans vochtre cave ?

DINDARD.

Pas vrai ! qu’est-ce qu’a dit ça ?

LE BOULANGER.

C’est Javotte !

DINDARD, à part.

Qu’elle est bête cette fille-là !

Haut.

Mes amis... je vais vous dire... d’abord ce n’est pas un puits, c’est un petit trou... où il y a de l’eau au fond.

RAFOUINAT.

Eh bien ?

DINDARD.

Eh bien ! pour un puits, faut une corde... pour un puits, faut une poulie... je veux que le vin m’étrangle si j’ai un morceau de tout ça. 

À part, finement.

J’ai une pompe !...

RAFOUINAT.

Pas moins vrai qu’il y a de l’eau au fond !

DINDARD.

Rafouinat, vous me faites de la peine... heureusement que le cabaret du Bon Coin est connu... il n’y entre jamais d’eau que pour rincer les verres... et encore ! et encore !...

RAFOUINAT.

Moi, j’aime mieux qu’on ne les rinche pas... on est plus chûr de son affaire... mais ch’est pas un reproche, père Dindard... à preuve que je vous attends pour caujer de quelque chose...

DINDARD.

Tout à vous, voisin. Ah çà ! mais où est mon neveu ?... Javotte, tu n’as pas vu Népomucène ?...

JAVOTTE, qui, pendant ce qui précède, a desservi la table de gauche.

Il est sorti ; bourgeois... il m’a dit comme ça : « Javotte, je me la casse pour une heure ! »

DINDARD.

Le gueux se la casse beaucoup depuis quelque temps !

RAFOUINAT, congédiant ses amis.

Allons, au revoir, vous autres !

DINDARD.

Et n’oubliez pas le Bon Coin.

Reprise du CHŒUR.

Un coup d’ vin blanc, un an d’ santé,

C’est r’connu par la Faculté !

Les trois clients sortent par le fond. Javotte par une porte latérale.

 

 

Scène III

 

DINDARD, RAFOUINAT

 

DINDARD.

Nous voici dans le plus doux tête à tête... mais d’abord prenons-nous une goutte ?...

RAFOUINAT.

Ch’est y vous qui paye ?...

DINDARD.

Au contraire... mais je vous tiendrai compagnie...

RAFOUINAT.

Merchi !... je n’ai pas choif !...

DINDARD.

Alors, causons à sec... ça ne tachera pas la nappe ! 

À part.

Les Auvergnats c’est tous crassosus !

RAFOUINAT.

Voyons, père Dindard, êtes-vous un homme, fichtra ?...

DINDARD, méfiant.

Mais... c’est selon... 

À part.

Il prend son air bon enfant... c’est pour me tirer une carotte.

RAFOUINAT.

On m’a dit que vous pensiez à marier vochtre neveu Népomuchène...

DINDARD.

Ah ! ne m’en parlez pas !... voilà au moins dix femmes que je lui présente... Voyez-vous, Népomucène... c’est une grande coquette !... il abuse de sa beauté et de sa distinction... il fait des pentes mines aux femmes... il leur paye même jusqu’à des oranges !... Mais quand il s’agit d’allumer les torches de l’hyménée... Fust !... il plonge comme un goujon !... J’ai été comme ça, moi !

RAFOUINAT.

Vous ?...

DINDARD.

J’ai eu normément d’aventures... j’herborisais surtout parmi les écaillères de mon époque !...

RAFOUINAT.

Et ch’est comme ça que vous êtes resté vieux garçon !

DINDARD.

Oui... les huîtres m’ont perdu !... Mais Népomucène ne fera pas comme moi... je veux un héritier... je veux qu’il reste un Dindard sur la terre !...

RAFOUINAT.

Ch’est bien naturel !...

DINDARD.

Je suis riche... j’ai une maison à Pantin... avec une bassecour et un bûcher... Je voudrais aller respirer tout ça !... Je suis prêt à céder mon fonds à mon neveu...

RAFOUINAT.

Pour rien ?

DINDARD.

Absolument... je ne me réserve que mon gobelet quand je viendrai à Paris... mais avant, il faut que le gredin se marie.

RAFOUINAT.

Eh bien !... j’ai peut-être votre affaire ?...

DINDARD.

Vous ?... ah ! sapristi !... qu’est-ce que vous me dites là ?... quel service vous me rendriez !... prenons donc une goutte ?...

RAFOUINAT.

Ch’est y vous qui payez ?...

DINDARD.

Eh !... oui !...

RAFOUINAT.

Alors, j’ai choif !

Dindard passe derrière le comptoir ; il y pose un carafon et deux petits verres.

DINDARD, versant dans les petits verres.

Voyons... est-elle... là... bien... mais bien jolie ?

RAFOUINAT.

Un bijou, mon brave !... sobre comme un âne et forte comme une bûche !

DINDARD.

Oui ; mais je vous demande si elle est jolie ?...

RAFOUINAT.

Énorme !

Air : Pour vivre cent ans.

C’est une carrure

Comme un marronnier ;

Dedans sa ceinture

Tiendrait un pompier.

Et quels pieds ! des pieds

Comme on n’en a jamais vu d’autres !

Et dans son soulier

Vous pourriez mettre les deux vôtres !

Enfin, sa tournure...

DINDARD.

Assez, car je vois

Que cette future

Peut compter pour trois !

DINDARD.

Mâtin !... ça me pique !...

RAFOUINAT.

Et riche !... et d’une famille !...

DINDARD.

Noble ?...

RAFOUINAT.

Ch’est ma sœur !

DINDARD, à part, revenant en scène.

Patatras ! une Auvergnate !... il n’en voudra jamais !...

RAFOUINAT.

Vous êtes content, n’eche pas ?

DINDARD, refroidi.

Oui... oui... oui...

RAFOUINAT.

Alors reprenons une goutte.

DINDARD, vivement.

Un instant... c’est y vous qui paye ?

RAFOUINAT, hésitant.

Mais... ch’est que...

Se décidant.

Eh ! oui... ch’est moi qui paya.

DINDARD.

Alors je boiva !

RAFOUINAT, remplit deux verres et en apporte un à Dindard ; ils boivent debout au milieu de la scène.

Pour vous en revenir à ma sœur... elle s’appelle Françoise... mais dans l’Auvergne on dit Choise tout court.

DINDARD.

C’est économique !

RAFOUINAT.

Quand j’ai vu vochtre pétrin pour marier vochtre neveu, j’ai écrit tout de suite au pays qu’on m’emballe Choise pour Paris...

DINDARD.

Oh ! ce n’est peut-être pas la peine d’emballer cette aimable demoiselle !... Népomucène est si difficile !...

Il boit.

RAFOUINAT.

Elle est arrivée ce matin.

DINDARD, avalant de travers et à part.

Ah ! sapristi !...

RAFOUINAT.

Et elle travaille déjà au commerce !... je l’ai envoyée à Grenelle porter du poussier et du charbon chez une de mes pratiques... Vous verrez la belle fille... et six cents francs de dot... en robinets de fontaine.

DINDARD.

Comment !... en robinets de fontaine ?...

RAFOUINAT.

Oui... le père Rafouinat... notre père à nous !

Criant comme s’il n’était pas compris.

Le père Rafouinat !!!

DINDARD.

J’entends bien.

RAFOUINAT.

Il travaillait dans le chaudronnage... Il achetait dans les ventes, cet homme... et tous les robinets de fontaine, il les mettait de côté... pauvre brave !...

S’attendrissant.

en disant : « Che chera la dot de Choise !... »

Il essuie une larme.

DINDARD.

Mazette ! six cents francs de robinets !...

RAFOUINAT.

Moins quatorze sous !...

Avec grandeur.

Mais je les donne, môa !...

DINDARD, le serrant dans ses bras.

Vous !... 

À part.

Cet homme a du bon !

RAFOUINAT.

Et je ne demande rien pour cha... que mon gobelet... quand je passerai le matin...

DINDARD, à part.

Ah !

RAFOUINAT.

Et le soir...

DINDARD, à part.

Ah ! ah !

RAFOUINAT.

Et dans la journée...

Il pose son petit verre et celui de Dindard sur le comptoir.

DINDARD, à part.

Ah ! bigre ! ça va faire bien des gobelets.

RAFOUINAT.

Allons, ch’est convenu !... ch’est arrangé !...

DINDARD.

Un instant...

RAFOUINAT.

Je vous amène ma sœur... et quand vochtre neveu l’aura vue... il faudra qu’il l’épouje... ou qu’il dije pourquoi... fichtrra !...

DINDARD.

Dame !... si ça peut s’arranger... je ne demande pas mieux.

RAFOUINAT.

Il faudra bien que cha s’arrange !... crrrrr !...

Ensemble.
Air des Diamants (ce projet).

RAFOUINAT.

Sans adieu !

Avant peu,

Votre beau neveu

Fichtra !

La verra,

L’aimera

Et l’épousera !

DINDARD.

Sans adieu !

Et dans peu

À mon beau neveu,

Fichtra !

Montrez-là :

On verra

Ce qu’il en dira !

Rafouinat sort par le fond.

 

 

Scène IV

 

DINDARD, puis JAVOTTE, puis NÉPOMUCÈNE

 

DINDARD, seul.

Après ça, comme dit c’t’ autre... les Auvergnates c’est tout de même des femmes !... pourvu qu’elle soit vertueuse et qu’on me laisse aller humer la rosée sous mes ombrages de Pantin...

Apercevant Javotte qui entre de la droite.

Ah ! te v’là, toi !... approche, que je te lave la tête...

JAVOTTE.

Quoi que j’ai fait ?

DINDARD.

Petite serine !... pourquoi que tu vas brailler que j’ai un puits dans ma cave ?... est-ce de la conduite, ça ?...

JAVOTTE, pleurant.

Ah ! ah ! je vois bien que vous êtes fâché... ah ! ah !...

DINDARD, à part, la regardant.

C’est drôle comme cette petite s’est développée depuis un an !

Haut.

Voyons... ne pleure pas... je t’amnistie !...

JAVOTTE, pleurant.

Si... vous êtes en colère... ah ! ah !...

DINDARD.

Mais non... je ne suis pas en colère... à preuve...

Il l’embrasse.

À preuve...

Il l’embrasse de nouveau ; à part.

Mais s’est-elle développée depuis un an !

Haut, avec effusion.

Noue-moi ma cravate ! Je te ferai des avantages.

Népomucène entre par le fond, costume de garçon marchand de vin très prétentieux, et de très mauvais goût ; les cheveux fortement bouclés.

NÉPOMUCÈNE, au fond, voyant Dindard qui fait des agaceries à Javotte.

Eh ben ! eh ben ! mon oncle.

DINDARD.

Ah ! te voilà grand enjôleur ? d’où viens-tu ?

NÉPOMUCÈNE.

Je viens de chez mon coiffeur... il y avait des dames... on a dit des bêtises... ça m’a retardé !...

JAVOTTE, le flairant.

Oh ! qu’il sent bon, mon Dieu !...

DINDARD, flairant aussi.

Oh ! oui !...

NÉPOMUCÈNE.

C’est une pommade que je me suis fait faire avec de l’huile de pieds de veau... et du seringat !

DINDARD.

On dirait une pastille de menthe... au pied de veau !... et a-t-il de beaux cheveux !...

JAVOTTE, à part, soupirant.

Oh ! oui !

DINDARD, passant la main dans les cheveux de son neveu, avec admiration.

Et comme c’est frisé !... un Terre-Neuve, avec un coup de fer...

NÉPOMUCÈNE.

Ne touchez pas !...

DINDARD.

Coquette, va !...

Montrant une fleur que Népomucène tient à la main.

À qui as-tu encore dérobé cette rose ?

NÉPOMUCÈNE.

C’est la marchande de tabac qui m’a forcé de l’accepter... Comme elle vient de perdre son mari je n’ai pas osé refuser... vous savez... ces veuves... ça demande toujours l’aumône aux jeunes gens.

DINDARD, à part.

Il me flatte, ce gamin-là !...

Haut.

Mais, grand Richelieu ! tu n’en finiras donc pas de papillonner de la brune à la blonde ?

NÉPOMUCÈNE.

Dieu m’est témoin que je ne les cherche pas !

DINDARD, incrédule.

Ah ! ouat ! ah ! ouat !

NÉPOMUCÈNE.

Il paraît que j’ai un œil qui agite les femmes.

JAVOTTE.

Oh ! c’est bien vrai !... vous êtes si bel homme !

DINDARD, sévèrement.

Javotte !

NÉPOMUCÈNE.

Laissez-la dire... elle est femme... elle est comme les autres !...

Lui caressant le menton.

Bonjour, petite !... mais n’y pense plus, va ça ne se peut pas !... ça ne se peut pas !

DINDARD, avec sévérité.

Mademoiselle, descendez à la cave... dont vous n’auriez jamais du sortir !

JAVOTTE.

Mais... père Dindard...

Elle sort à droite.

DINDARD.

À la cave !... tout de suite ! 

À part.

Ah ! mais oui, elle s’est développée depuis un an !

 

 

Scène V

 

DINDARD, NÉPOMUCÈNE

 

DINDARD.

Maintenant, parlons sérieusement...

NÉPOMUCÈNE, tirant une lime à ongle et s’arrangeant les doigts.

Je vous écoute, mon oncle.

DINDARD, avec solennité.

Népomucène, je serai peut-être long et ennuyeux... mais mon titre d’oncle m’en fait un devoir...

NÉPOMUCÈNE.

Allez !

DINDARD.

Népomucène... j’ai été jeune... j’ai eu normément d’aventures... je suis peut-être l’homme de tout Paris qui ai le plus mangé d’huîtres... pas des fraîches... on les gardait pour la vente...

NÉPOMUCÈNE, à part.

Qu’est-ce qu’il me chante ?

DINDARD, ému.

Népomucène, je vais m’adresser à ton cœur...

Apercevant Népomucène qui se lime les ongles.

Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là ?

NÉPOMUCÈNE.

Vous voyez... je me fais les ongles.

DINDARD, prenant la lime.

Tiens ! c’est gentil ça !

NÉPOMUCÈNE.

C’est une lime.

DINDARD.

Une lime pour se couper les ongles !... galopin !... moi, je prends mon couteau. – Combien que ça coûte ?

NÉPOMUCÈNE.

On me l’a donnée.

DINDARD.

Encore une femme !

NÉPOMUCÈNE.

Non, c’est une actrice.

DINDARD.

Népomucène, crois-en ma vieille expérience... un beau jour tu te feras casser la margoulette...

NÉPOMUCÈNE.

Allons donc !

DINDARD.

J’ai entendu parler d’un certain charretier dont tu as compromis la nièce...

NÉPOMUCÈNE.

La petite Moufflon ?

DINDARD.

Son oncle te cherche.

NÉPOMUCÈNE.

Oui, mais il ne sait pas mon adresse, il me croit pharmacien...

DINDARD.

Pharmacien ! est-il roué, mon Dieu ! est-il roué !... Dis donc, il paraît que tu as été vif avec la demoiselle ?

NÉPOMUCÈNE.

Non, vrai !

DINDARD, incrédule.

Ah ! ouat ! ah ! ouat !

NÉPOMUCÈNE.

Deux sous de galette et une paire de chaussons de lisière... voilà tout ce qu’elle a obtenu de moi... J’ai respecté son honneur !

DINDARD.

Elle a de l’honneur ?... alors, épouse-la !...

NÉPOMUCÈNE.

Impossible !

DINDARD.

Pourquoi ?

NÉPOMUCÈNE.

Elle n’a pas de sourcil !

DINDARD, tirant de sa poche une longue tresse de cheveux rouges.

À propos de sourcils, veux-tu me dire quelle est cette queue de cheval que j’ai trouvée dans le tiroir de ta commode ?

NÉPOMUCÈNE, lui arrachant la mèche et la baisant.

Une queue de cheval !... ce sont les cheveux de la femme aimée !...

DINDARD, examinant les cheveux.

C’est une blonde.

NÉPOMUCÈNE.

Oui.

DINDARD.

Qui ça ?

NÉPOMUCÈNE.

Je ne peux pas la nommer... c’est une femme du monde !

DINDARD, flatté.

Voilà qu’il séduit les duchesses à présent !

NÉPOMUCÈNE.

J’ignore son blason... J’en fis la rencontre un soir de pluie dans le passage du Grand-Cerf, où elle avait l’air d’attendre sa voiture... Je lui offris mon modeste robinson... elle eut la bonté de s’accrocher à mon bras... sans faire de manières ; ce qui est un signe de haute aristocratie...

DINDARD, faisant l’entendu.

On sait ça ! on sait ça !

NÉPOMUCÈNE.

Et je la reconduisis jusqu’à sa porte... rue de la Chaussée-d’Antin... un hôtel superbe... six becs de gaz !... dont elle habite le premier...

DINDARD.

Elle habite un bec de gaz ?

NÉPOMUCÈNE.

Non ! le premier étage !... Au moment de la quitter... j’étais fort ému et j’osai lui demander une mèche de ses cheveux...

DINDARD.

Et elle t’a donné une corde à puits !... généreuse enfant !

NÉPOMUCÈNE.

En ajoutant d’une voix... que la flûte seule pourrait imiter...

Avec sentiment.

Air : Un Castel d’antique sculpture.

« Nous nous reverrons, beau jeune homme,

Dans quelque jours, loin des jaloux :

Dites-moi comment on vous nomme,

Pour que j’ vous donne un rendez-vous. »

– J’osai lui répondre : « Ô ma reine !

C’est bien aimabl’ de votre part :

Je me nomme Népomucène,         }

Numéro dix, rue du Regard ! »    } (bis.)

DINDARD.

Intrigant !... tâche donc de me procurer la fourniture des vins fins...

NÉPOMUCÈNE.

Des vins fins ?... mais vous ne tenez que de l’Argenteuil !...

DINDARD.

Oui, mais en vieillissant... l’Argenteuil... ça fait du Mâcon... du Mâcon jeune, par exemple !

NÉPOMUCÈNE.

Tromper cette femme, jamais !... Vous parlez de mariage ? en voilà une que j’épouserais sans hésiter !... quel chic !... Elle est coiffée, gantée, chaussée... chaussée !!!

DINDARD.

Chaussée-d’Antin, quoi !

NÉPOMUCÈNE.

Juste ! – Et un mouchoir !...

DINDARD.

En tapisserie ?

NÉPOMUCÈNE.

Non !... mais qui vous sent le jasmin d’un bon !... ce qui est un signe de haute aristocratie...

DINDARD, faisant l’entendu.

On sait ça !... Au fait, pourquoi ne l’épouserais-tu pas ?... tu es le neveu du Bon Coin !...

NÉPOMUCÈNE.

À sa démarche pleine de crinoline, je la crois mariée...

DINDARD.

Ah ! sapristi !... alors ça ne finira pas !... Sais-tu que voilà un an que tu me fais poser !

NÉPOMUCÈNE.

Ce n’est pas ma faute... jusqu’à présent vous ne m’avez étalé que des petites machines maigres et noires... moi, je veux une belle femme... une femme carrée par la base.

DINDARD, se frappant le front.

Une femme carrée ?... attends donc... j’ai justement quelque chose qui rentre dans ton programme.

NÉPOMUCÈNE.

Bah !

DINDARD.

C’est une enfant de la blonde Auvergne.

NÉPOMUCÈNE.

Une charabiate !...

DINDARD.

Oui ; mais comme elles sont belles ! Interroge les peintres... Quand Raphaël voulait faire un tableau, il écrivait : « Envoyez-moi une Auvergnate ! » C’est comme ça qu’il est devenu célèbre.

NÉPOMUCÈNE.

Tiens ! tiens ! tiens !

DINDARD, à part.

Il y mord !

Voix de RAFOUINAT, au-dehors.

Oh là !... oh !... o... o... oh !... par ichi !... à dia !!

NÉPOMUCÈNE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

 

 

Scène VI

 

DINDARD, NÉPOMUCÈNE, RAFOUINAT, CHOISE

 

Choise, attelée par une bretelle à une petite voiture, dans laquelle est Rafouinat assis sur des sacs de charbon.

CHŒUR.

Air : Accourez, tretous, c’est ici qu’on danse.

Entre sans regret,

Petite sournoise :

Et d’un pas coquet,

Traîne ton haquet.

DINDARD et NÉPOMUCÈNE.

Entrez sans regret,

Jeune villageoise !

À part.

Pourquoi ce haquet ?

J’en suis stupéfait !

RAFOUINAT, sautant à bas de sa voiture et présentant sa sœur attelée.

Voilà le morceau !

DINDARD.

Mâtin !

NÉPOMUCÈNE.

Comment ! c’est là ma prétendus ?

Il salue.

CHOISE.

Moi, j’ai honte de tout che monde... allons-nous-en !

RAFOUINAT.

Ne bouge pas ! – J’ose dire que ch’est solide !

DINDARD.

Et carré par la base !

NÉPOMUCÈNE.

Ah ! pour une belle créature... voilà une belle créature, à la bonne heure !... 

À Choise, avec galanterie.

Mademoiselle s’attèle ?

RAFOUINAT.

À volonté.

CHOISE.

Depuis l’âge de chix ans !...

DINDARD.

C’est commode... elle est à deux fins !

RAFOUINAT.

Allons, schœur ! une belle révérence à tout le monde.

CHOISE.

Non... j’ose pas !

RAFOUINAT.

Grande bête !

Lui montrant Népomucène.

Chelui-là, ch’est ton futur.

NÉPOMUCÈNE, la saluant.

Mademoiselle...

CHOISE.

Non... j’ose pas...

NÉPOMUCÈNE, à part.

C’est égal, voilà une drôle de présentation.

RAFOUINAT.

Comment que tu le trouves, hein ?

CHOISE, baissant les yeux et avec pudeur.

Ch’est un beau merle tout de même !

NÉPOMUCÈNE, à part.

Elle trouve que je suis un beau merle ! 

À Choise avec galanterie.

Vous aussi, Mademoiselle, vous aussi. 

À Rafouinat.

Dételez-là !

RAFOUINAT, à Choise.

Veux-tu qu’on te dételle !

CHOISE.

Perqué cha ?... Ch’est pas l’heure de manger la choupe.

RAFOUINAT.

Cha n’est pas fatigué... cha revient de Grenelle vendre son poussier et son charbon... trois heures de promenade.

DINDARD.

Attelée ?

RAFOUINAT.

Pardi !... et vous croyez qu’elle a chaud ?.. rien du tout !... touchez !

DINDARD, la touchant au col.

Voyons... Fraîche comme la rose.

CHOISE, se cabrant sous l’attouchement de Dindard et poussant une espèce de hennissement en manière de rire.

Hrrr !

DINDARD, se jetant de côté.

Ah ! bigre ! elle rue !!!

RAFOUINAT.

Pas de danger ! elle n’est pas méchante ! Faites le tour ! faites le tour !

Tournant autour de Choise en lui passant la main sur l’épaule.

Holà ! ho !

DINDARD, même jeu.

Holà ! ho !

NÉPOMUCÈNE, même jeu.

Holà ! ho !

CHOISE, regimbant.

Vous me chatouillez !

DINDARD.

C’est magnifique !

RAFOUINAT, tapant fortement sur les épaules de Choise.

Du moellon, de la pierre de taille !... ça traîne ses deux mille.

CHOISE.

J’en traînerais bien quatre !

RAFOUINAT.

Et c’est tout jeune : vingt-deux ans. Regardez ses dents !

NÉPOMUCÈNE.

Si Mademoiselle voulait se rafraîchir ?

DINDARD, saisissant un seau d’eau.

C’est, ma foi, vrai... holà ! ho !

RAFOUINAT.

Pas la peine... cha dormirait dans ches brancards, sans boire ni manger.

DINDARD.

Laborieuse et sobre...

NÉPOMUCÈNE, avec courtoisie.

Tout au moins, chère... accordez-moi la faveur de vous dételer.

CHOISE.

Perqué cha ?

NÉPOMUCÈNE, poétiquement.

Mais, pour causer d’amour, est-il besoin d’un haquet ?

CHOISE.

Pour une demoijelle, ch’est un maintien !...

RAFOUINAT.

Cha habille !

CHOISE.

Mais, chi cha vous fait plaijir, décrochez-moi.

NÉPOMUCÈNE, la dételant avec prudence.

Holà ! ho ! holà ! ho !

Il range la voiture au fond.

DINDARD.

Laissons-les se faire un doigt de cour... passons dans le cabinet... nous boirons la bouteille des fiançailles.

RAFOUINAT.

Ch’est y vous qui payez !

DINDARD.

Oui, je suis dans le ravissement !

Chœur.

Air des Trovatelles.

DINDARD et RAFOUINAT.

Tous deux sont émus, il me semble !

Afin qu’il se fasse la cour,

Un instant laissons-les ensemble,

Et qu’ils parlent de leur amour !

NÉPOMUCÈNE.

Tous les deux on nous laisse ensemble !

Tendrement faisons-lui ma cour ;

Son cœur est ému, ce me semble !

Ah ! disons-lui propos d’amour.

CHOISE.

Tous les deux on nous laisse ensemble !

Il va me faire un doigt de cour ;

Moi, je suis timide et je tremble,

Car il va me parler d’amour.

Dindard et Rafouinat passent dans le cabinet de gauche.

 

 

Scène VII

 

NÉPOMUCÈNE, CHOISE

 

NÉPOMUCÈNE, à part, considérant Choise qui tire une carotte de sa poche et la croque.

Elle est belle comme l’antique !... soyons doucereux.

Haut.

Mademoiselle paraît aimer tendrement les carottes ?

CHOISE.

Cha nourrit tout de même.

NÉPOMUCÈNE, naturellement.

Je comprends, l’avoine est si chère...

Se reprenant vivement.

C’est-à-dire le foin ! le foin !

CHOISE.

Ch’est le lard qu’est cher, mon brave !

NÉPOMUCÈNE.

Ah ! vous aimez aussi le lard ?

CHOISE, avec un élan impétueux.

Oh ! v’oui !... oh ! v’oui !...

NÉPOMUCÈNE, à part.

Elle doit aimer vivement !

CHOISE, à part.

Il a l’air brave garchon tout de même !... et puis l’oncle lui donne son fonds... ch’est du lard, cha !

NÉPOMUCÈNE.

Choise... le moment est solennel !... sur le point de nous unir, il serait peut-être opportun d’étudier un peu nos caractères...

CHOISE.

Dépêchez-vous, que j’ai de l’ouvrage !

NÉPOMICÈNE.

Nous avons le temps !

Avec fatuité.

Dans vos montagnes, est-ce qu’on n’aime pas à causer avec les beaux hommes ?

CHOISE.

Oh ! que chi !...

NÉPOMUCÈNE.

Et à quoi les reconnaît-on ?

CHOISE.

Dame !... le plus bel homme c’est celui qui pèse le plus lourd.

NÉPOMUCÈNE.

Mais à c’ compte-là le bœuf gras serait un fort joli cavalier.

CHOISE.

Farceur !...

Elle le pousse fortement ; il trébuche jusqu’à l’avant-scène de gauche.

Dans notre pays, plus un homme il porte sur son dos... plus il traîne avec ses épaules... plus il est beau !

NÉPOMUCÈNE, à part.

Elle est pour la beauté musculaire... je vais l’épater.

Il ôte sa veste, retrousse sa manche et lui montre sou bras.

Qu’est-ce que vous dites de ça ?...

CHOISE, retroussant vivement sa manche.

Et chelui-chi, comment que vous le trouvez ?

NÉPOMUCÈNE, comparant les deux bras.

Mâtin ! 

À part.

Pour le bras elle m’enfonce, mais j’ai un moyen de la pincer.

Il place une chaise au milieu, y pose son pied, et relève son pantalon jusqu’au dessus du mollet. Haut.

Que pensez-vous de ce petit mollet-là ?...

CHOISE, mettant aussi son pied sur la chaise.

Attendez !

NÉPOMUCÈNE, vivement.

Voyons !

CHOISE.

Ne regardez pas !... que je noue mon choulier !

Elle enlève la chaise à bras tendu, la pose près du comptoir et noue son soulier.

NÉPOMUCÈNE, à part.

Il n’y a pas à dire... il faut que je l’étonne.

Il prend un poids de vingt dans chaque main et les enlève avec de grands efforts, en disant.

Ah ! Mademoiselle ! quel plus beau spectacle que celui de deux cœurs véritablement épris !...

CHOISE.

Ah ! que ch’est ben vrai, cha !...

Elle prend deux autres poids semblables et les enlève avec le petit doigt de chaque main, en tenant ses bras tendus.

NÉPOMUCÈNE, qui ne la voit pas, passe à droite en se pavanant avec ses poids. Choise passe à gauche.

Car l’amour est un frêle enfant... dont la puissance musculaire ne connaît pas de bornes !... À bras tendus ! à bras tendus !

CHOISE.

Et moi donc ! et moi donc !

NÉPOMUCÈNE, se retournant et la voyant ; stupéfait.

Hein !... à doigts tendus !

 

 

Scène VIII

 

NÉPOMUCÈNE, CHOISE, DINDARD, RAFOUINAT

 

DINDARD et RAFOUINAT, sortant du cabinet et les apercevant.

Tiens !

Choise et Népomucène laissent tomber les poids.

DINDARD.

Qu’est-ce que vous faites-là ?

NÉPOMUCÈNE.

Vous voyez... nous marivaudons.

RAFOUINAT, à Népomucène.

Ah chà ! j’espère que cha vous convient ?

NÉPOMUCÈNE.

J’avoue que c’est une magnifique pâte d’Auvergne !

RAFOUINAT.

Et que vous faites bien, fichtra !...

Se montant.

Et que le premier qui dira que che n’est pas une belle fille, première qualité, bon poids et bonne mesure !... que je vous le pile ! que je vous l’échine, que je vous l’escarbouille comme un vieux liard, crrrr !

Il gesticule avec fureur.

DINDARD, s’interposant.

Voyons donc ! voyons donc !

NÉPOMUCÈNE, à part.

Qu’est-ce qui lui prend ?

CHOISE, bas, à son frère.

Pas plus de forche qu’un pigeon !

RAFOUINAT, bas.

Cha fait rien... qu’il est riche... bête !...

DINDARD, avec expansion.

Rafouinat, je puis vous le dire maintenant... votre sœur sera le plus bel ornement du Bon Coin ! Allons nous habiller... et dans un quart d’heure nous irons à la mairie pour les publications.

RAFOUINAT.

Et j’amènerai des témoins. 

À Choise.

Viens-nous-en, petite !

Il se met dans les brancards de la charrette, après avoir donné à Choise son fouet qu’elle passe autour de son cou.

CHOISE, serrant de chaque main la main de Dindard et de Népomucène.

À bientôt, vous autres !

NÉPOMUCÈNE et DINDARD, la main écrasée par Choise.

Aïe ! oïe !

RAFOUINAT.

En route !

Ensemble.

Air : Escouta Jeannetto.

RAFOUINAT et CHOISE.

Hâtons ch’ mariage,

Et puis, vivement

À l’ouvrage !

Car dans un ménage

Le temps ch est d’ l’argent.

DINDARD et NÉPOMUCÈNE.

Heureux mariage !

Cet hymen charmant,

Je gage,

T’ promet en ménage

M’ promet en ménage

Beaucoup d’agrément.

Rafouinat sort par le fond traînant la charrette, et suivi de Choise. Dindard sort à droite.

 

 

Scène IX

 

NÉPOMUCÈNE, puis JAVOTTE

 

NÉPOMUCÈNE, en extase devant les poids.

Dire qu’elle a enlevé ça avec ses petits doigts ! c’est un ange... de la force de quarante chevaux ! Est-ce qu’elle serait plus forte que moi ?... ah ! je suis humilié !

JAVOTTE, qui vient d’entrer.

Monsieur, v’là une lettre pour vous.

L’admirant.

Est-il bâti !... est-il bâti !...

Voix de DINDARD, dans la coulisse.

Javotte !... Javotte !... ma cravate abricot !

JAVOTTE.

Voilà !... voilà !

Elle sort à droite, en admirant Népomucène.

Est-il bâti !

Elle entre chez Dindard.

 

 

Scène X

 

NÉPOMUCÈNE, seul

 

Une lettre !... au jasmin !...

Il l’ouvre vivement.

d’elle !... de ma femme du monde !... elle m’offre un lunch pour ce soir, à cinq heures !

Lisant.

« M. le comte vient de partir pour la campagne. »

Parlé.

Une comtesse !... je m’en doutais à son jasmin !

Lisant.

« J’ai des ménagements à garder... ne parlez pas au concierge... qui est mon ennemi... montez par l’escalier de service. »

Parlé d’un ton chevaleresque.

Comment donc, noble damoiselle... mais je passerais par le tuyau de la gouttière pour vous épargner le moindre émoi !... Ah ! fichtra !... et l’Auvergnate... qui va revenir pour le mairie... Je me suis trop pressé... c’est la faute de mon oncle !... Comment me dépêtrer du charbonnia ?... il est brutal... l’animal !...

 

 

Scène XI

 

NÉPOMUCÈNE, puis MOUFFLON

 

MOUFFLON, dans la coulisse, parlant à ses chevaux.

Arrrri !... arrrri !!! dia ! oh !...

NÉPOMUCÈNE.

Serait-ce déjà ma fiancée ?...

Le charretier Moufflon paraît au fond un fouet à la main.

MOUFFLON, appelant.

Ho ! garçon ! garçon !...

Il s’assied à la table à gauche, sans regarder Népomucène.

NÉPOMUCÈNE.

Une pratique !

MOUFFLON.

Allons, houste ! un canon... et vivement !... que mes bêtes se battent !

NÉPOMUCÈNE, allant au comptoir sans le regarder et remplissant un verre.

Allons ! houste !... est-il commun cet homme-là !...

MOUFFLON.

Eh ben ?...

NÉPOMUCÈNE, lui portant le verre.

Voilà !

Le reconnaissant.

Ah ! crelotte !...

MOUFFLON, se levant.

Ah ! nom d’une pipe !

NÉPOMUCÈNE.

L’oncle de la petite Moufflon !

MOUFFLON.

L’enjôleur de la nièce !... ah ! je te retrouve !... nous allons causer !

Il fait claquer son fouet.

NÉPOMUCÈNE, sautant en tenant le verre plein.

Prenez garde ! vous allez me faire renverser !

MOUFFLON.

Ah ! tu t’as fichu de nous ! ah ! galopin !

Coup de fouet.

NÉPOMUCÈNE.

Attendez !

Il avale le verre de vin.

Allez maintenant !

MOUFFLON.

Ainsi tu n’es qu’un garçon de cabaret ?

Coup de fouet.

NÉPOMUCÈNE.

Je suis le neveu du patron !

MOUFFLON.

Hein ?... le neveu du Bon Coin ?

NÉPOMUCÈNE.

Et j’en hérite !

MOUFFLON, passant son fouet sur son cou.

Ah ! c’est différent... l’affaire peut s’arranger.

NÉPOMUCÈNE.

Parbleu !...

MOUFFLON.

Tu as dévasté ma nièce...

NÉPOMUCÈNE.

Permettez...

MOUFFLON.

À preuve, qu’elle ne peut plus trouver d’épouseur dans tout le faubourg Saint-Martin.

NÉPOMUCÈNE, avec ménagement.

Mais, charretier... nous avons d’autres faubourgs !

MOUFFLON, le menaçant.

Tais-toi, blondin !

NÉPOMUCÈNE.

Je vous promets de lui chercher un mari.

MOUFFLON.

J’y en ai trouvé un !

NÉPOMUCÈNE, joyeux.

Ah !...

MOUFFLON.

Et cet un-là... c’est toi !!!

NÉPOMUCÈNE, désappointé.

Moi ?... ah ! permettez !

MOUFFLON, menaçant.

De quoi !... as-tu qué’que chose à lui reprocher, à c’te petite ?

NÉPOMUCÈNE.

Non... je vous ferai seulement observer qu’elle a bien peu de sourcils.

MOUFFLON, levant son fouet.

Tu refuse ?...

NÉPOMUCÈNE, vivement.

Au contraire, seulement...

MOUFFLON, l’interrompant brusquement.

Pas de mots !... à quand la noce ?

NÉPOMUCÈNE.

Êtes-vous bien pressé ?... Voyons, nous sommes en novembre...

MOUFFLON.

Oui !

NÉPOMUCÈNE.

Eh bien ! après la moisson.

MOUFFLON.

En juillet ?... merci... c’est trop long !... et puisque je t’ai retrouvé...

Criant à ses chevaux.

Oh là... ho !!... encore mes bêtes qui se battent !

NÉPOMUCÈNE.

Courez vite !

MOUFFLON.

Oh ! là ! ho !... 

À Népomucène, de la porte.

Je vas revenir, et si tu bronches !...

Il lui lance un coup de fouet, et sort en criant.

Oh ! là ! ho ! ho !...

Il disparaît.

 

 

Scène XII

 

NÉPOMUCÈNE, JAVOTTE, puis DINDARD

 

NÉPOMUCÈNE, seul, se frottant la jambe.

Eh bien ! en voilà une manière de demander un jeune homme en mariage !... On a bien tort de se familiariser avec la basse classe !... Je ne veux plus cultiver que le jasmin !... Mon rendez-vous est pour cinq heures, et si mon inconnue est demoiselle... ou veuve... je l’aimerais mieux demoiselle...

Bruit dans la chambre de Dindard.

JAVOTTE, dans la chambre.

Allez-vous me laisser !

DINDARD, de même.

Ne fais donc pas la bête !

JAVOTTE, sortant de chez Dindard.

Mais finissez donc !... finissez donc !

NÉPOMUCÈNE.

Qu’est-ce que c’est ?

JAVOTTE.

C’est votre oncle qui veut toujours m’embrasser à cause que je me développe.

DINDARD, appelant.

Javotte !

NÉPOMUCÈNE.

Encore un qui se galvaude !

DINDARD, entrant ébouriffant de toilette. Il a des gants. Sa cravate n’est pas nouée. Apercevant Népomucène.

Comment, pas encore habillé !... il est cinq heures !

NÉPOMUCÈNE.

Ah ! sapristi ! j’y cours !

Avant de sortir.

Mais croyez-moi, mon oncle, ne vous galvaudez pas... ne vous galvaudez pas !...

Il sort à gauche.

 

 

Scène XIII

 

DINDARD, JAVOTTE

 

DINDARD, à part.

Qu’est-ce qu’il chante ?

Appelant.

Javotte !

JAVOTTE.

Bourgeois ?

DINDARD, avec autorité.

Tu vas me nouer ma cravate.

JAVOTTE.

Non !

DINDARD.

Sans murmurer !

JAVOTTE.

Non !

DINDARD.

Méfie-toi. Tu gagnes cent vingt francs... je vas te diminuer. 

À part.

Il faut prendre les femmes par le numéraire.

JAVOTTE, s’approchant.

Mais vous ne m’embrasserez pas.

DINDARD, despotiquement.

Pas de conditions ! je ne veux pas de conditions !

JAVOTTE, à part.

Nous allons voir !

Elle lui noue sa cravate. Dindard cherche à l’embrasser ; elle serre les deux bouts et l’étrangle.

DINDARD.

Aïe ! aïe !... prends donc garde !...

Il tire la langue.

JAVOTTE, le quittant.

Vous êtes noué.

DINDARD, à part.

Elle étrangle les hommes !... S’est-elle développée depuis un an !

RAFOUINAT, au dehors.

Arrivez donc, les autres, fichtrra.

DINDARD.

Ah ! voici l’Auvergne et ses témoins.

 

 

Scène XIV

 

DINDARD, JAVOTTE, RAFOUINAT, CHOISE, LE BOULANGER, LE MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN, LE TEINTURIER, TROIS JEUNES FILLES

 

Ils sont tous endimanchés. Choise est en blanc avec une grosse couronne de fleur d’oranger ; elle porte un grand parapluie rouge fermé.

CHŒUR.

Air : Est-il possible ! (Philtre.)

C’est la future !

Quelle tournure !

Ah ! qu’elle est bien !

Quel doux maintien !

Son air modeste

Promet de reste

Un bonheur pur

À son futur.

RAFOUINAT.

Voichi la mariée !...

DINDARD, après avoir distribue des poignées de main, s’arrête devant Choise.

Tiens !... vous avez mis une robe blanche !

RAFOUINAT.

Et qu’elle l’a chavonnée elle-même.

DINDARD, avec beaucoup de galanterie.

Ah ! Mademoiselle, ce n’est pas pour vous faire un compliment... mais si on était poète, on pourrait vous comparera une mouche tombée dans du lait.

CHOISE, lui donnant des coups de parapluie.

Ah ! flatteur !

DINDARD, se défendant du parapluie.

Aïe donc ! aïe donc !

RAFOUINAT, montrant la couronne de sa sœur.

Et cha fleur d’oranger, voyez !...

DINDARD.

Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez faire de cette machine-là, aujourd’hui ?

RAFOUINAT.

Ch’est cha couronne, et qu’elle en est digne !...

TOUS.

Oui ! oui !

DINDARD.

Oui, mais pour les publications... c’est trop tôt !... Vous ne pouvez pas vagabonder dans les rues avec ça sur la tête.

CHOISE.

Ch’il pleut, que j’ai pris un parapluie... pas chi bête, moi.

Elle lui donne des coups de parapluie. Tous rient.

DINDARD, se défendant.

Aïe donc !... aïe donc ! 

À part.

Ma nièce manque d’usage.

RAFOUINAT.

Là ioù l’est-che qu’il est le prétendu ?...

DINDARD.

Il s’habille... Asseyez-vous, mes amis... Javotte ! du vin !

Ils prennent place autour de la table à gauche pendant que Javotte les sert.

CHOISE, à Javotte.

Je vous demanderai aussi une bouchée de pain... je n’ai pas osé manger, que je crève dans ma robe !

On lui donne un énorme morceau de pain dans lequel elle mord à même.

 

 

Scène XV

 

DINDARD, JAVOTTE, RAFOUINAT, CHOISE, LE BOULANGER, LE MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN, LE TEINTURIER, TROIS JEUNES FILLES, MOUFFLON, SA NIÈCE, TROIS TÉMOINS, TROIS JEUNES FILLES

 

Moufflon est endimanché. Il conduit sa nièce également en blanc, avec une couronne de fleur d’oranger. Ils sont suivis de trois témoins et de trois jeunes filles. Ils se rangent devant le comptoir en tournant le dos à l’autre noce.

CHŒUR.

C’est la future !

Quelle tournure !

Ah ! qu’elle est bien !

Quel doux maintien !

Son air modeste,

Promet du reste

Un bonheur pur

À son futur.

DINDARD.

Tiens ! tiens !... une autre noce !... Javotte, du vin !...

La deuxième noce se tient près du comptoir, à droite. Moufflon et Rafouinat s’aperçoivent et se reconnaissent.

RAFOUINAT, se levant.

Ah ! bigra !

MOUFFLON, de même.

Rafouinat !

RAFOUINAT.

Moufflon !... qu’eche que vous venez faire ichi ?...

MOUFFLON, riant.

Je marie ma nièce !

RAFOUINAT, riant.

Et moi, ma sœur !

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

CHOISE, donnant un coup de parapluie à Dindard.

Ch’est y drôle !... ch’est y drôle !...

DINDARD, parant.

Aïe donc ! aïe donc !

MOUFFLON, à Rafouinat.

Je ne vois pas votre prétendu.

RAFOUINAT, riant.

Je l’attends.

MOUFFLON, riant.

Moi aussi.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

CHOISE, se tordant.

Je l’attends.

RAFOUINAT, à sa sœur.

Ne ris pas que tu vas craquer ta robe !

MOUFFLON.

Alors, à la santé des deux noces !

TOUS, levant leurs verres.

À la santé des deux noces !!

 

 

Scène XVI

 

DINDARD, JAVOTTE, RAFOUINAT, CHOISE, LE BOULANGER, LE MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN, LE TEINTURIER, MOUFFLON, SA NIÈCE, TROIS TÉMOINS, JEUNES FILLES, NÉPOMUCÈNE

 

NÉPOMUCÈNE, sortant de la chambre en grande tenue.

J’ai mis du jasmin sur mon mouchoir.

Apercevant les deux noces.

Oh !...

TOUS, se levant.

Voilà le marié !

NÉPOMUCÈNE, à part, ahuri.

Pincé entre les deux !... fichtre !... que faire !...

RAFOUINAT, s’avançant d’un côté.

J’ai amené Choise.

MOUFFLON, de l’autre côté.

J’ai amené la petite.

NÉPOMUCÈNE, leur donnant à chacun une poignée de main.

Oui, bonjour ! bonjour !...

Voulant s’esquiver.

Je vais aller chercher un fiacre !...

CHOISE, mettant son parapluie sous son bras.

Pas la peine... que cha coûte...

DINDARD.

Allons ! la main à ta future...

MOUFFLON.

Et en route !

Rafouinat faut passer Choise et Moufflon sa nièce.

NÉPOMUCÈNE, très ahuri et donnant une main à chaque femme.

Bonjour !... bonjour !...

À part.

Et la troisième qui m’attend !

DINDARD, le regardant.

Qu’est-ce qu’il fait ?...

À la petite Moufflon.

Pas vous, là-bas... pas vous !...

MOUFFLON, à Choise.

Ôtez-vous, la grosse !...

RAFOUINAT.

Puisque ch’est la mariée !...

MOUFFLON.

Par exemple !... c’est ma nièce qu’il épouse !

RAFOUINAT.

C’est ma sœur !...

DINDARD et LES TÉMOINS.

Deux femmes !!...

NÉPOMUCÈNE, à part.

V’lan !...

Ensemble.

Air : Je n’en fais pas. (Précieux, scène 17.)

NÉPOMUCÈNE et DINDARD.

Quelle aventure épouvantable !

Deux femmes ! c’est un cas pendable !

De ce traquenard effrayant,

Hélas ! sortirai-je vivant ?

Hélas ! sortira-t-il vivant ?

LES AUTRES.

C’est un affront abominable !

Deux femmes ! c’est un cas pendable !

Il faut qu’il s’explique à l’instant,

Ou malheur à cet intrigant !

RAFOUINAT et MOUFFLON, à Népomucène.

Parle... parle donc !

NÉPOMUCÈNE, très embarrassé.

Oui... voilà... je vais toujours chercher le fiacre... on décidera ça après.

Il cherche à s’échapper.

MOUFFLON.

Ah ! gredin !

RAFOUINAT.

Ah ! chacripant !...

Prêt à ôter sa veste.

Je vais lui tremper une soupe !

MOUFFLON, de même.

Et moi une tripotée !...

CHOISE, levant son parapluie.

Laissez !... que j’en fais mon affaire !...

NÉPOMUCÈNE, reculant.

Ne touchez pas !

DINDARD, à part.

Ils vont l’écharper !...

Se jetant entre eux.

Arrêtez !... laissez-moi d’abord lui plaquer ma malédiction !

NÉPOMUCÈNE, à part.

J’aime mieux ça !...

Dindard lui applique un coup de pied.

Aïe !...

TOUS.

Bravo ! bravo !

DINDARD.

Je le déshérite ! je le chasse !... Il n’aura pas mon fonds !...

TOUS.

Comment ?

DINDARD.

J’en fais le serment solennel !...

Il crache par terre et met le pied gauche dessus.

Heing !...

TOUS, à part, se calmant.

Ah ! diable !... c’est bien différent...

CHOISE.

Du moment qu’il n’a plus le fonds je n’épouse plus... pas si cherine !...

RAFOUINAT.

On vous le laisse !

MOUFFLON.

Nous n’en voulons plus !... Parbleu !... nous en trouverons un autre.

RAFOUINAT et MOUFFLON, ôtant la couronne de fleurs d’oranger de dessus la tête des fiancées.

Allons, houste !

Ils la mettent dans leur chapeau.

NÉPOMUCÈNE, à part, avec mélancolie.

Ô amour !... C’était pour mon cuivre !...

Il remonte avec Dindard.

MOUFFLON, à Rafouinat.

Ça n’empêche pas de boire bouteille, ça ?

RAFOUINAT.

Ch’est y vous qui payez ?

MOUFFLON.

Oui !...

RAFOUINAT.

Javotte ! du vin !

Chœur.

Air de la Ronde des Auvergnats (Mangeant.)

DINDARD et NÉPOMUCÈNE.

Voyez donc comme leur colère,

Sur un mot se calme à souhait.

Elles voulaient, la chose est claire,

L’épouser pour son cabaret

M’épouser pour mon cabaret.

RAFOUINAT et MOUFFLON.

Dans ce salon, venez compère !

Je veux vous parler d’un projet :

Le verre en main, bientôt, j’espère,

Nous nous entendrons à souhait.

CHOISE et LA NIÈCE DE MOUFFLON.

Ne pensons plus à cette affaire ;

Moi, j’y renonce sans regret !

Le futur ne peut plus me plaire

Puisqu’il n’a plus de cabaret.

LES TÉMOINS.

Dans ce salon, allons, compère,

Vider un broc de vin clairet :

Ne pensez plus à cette affaire,

Puisqu’il n’a plus de cabaret.

Moufflon, Rafouinat, Choise, la petite Moufflon et les six témoins entrent à gauche.

 

 

Scène XVII

 

NÉPOMUCÈNE, DINDARD

 

NÉPOMUCÈNE.

Adieu, mon oncle !

Portant la main à ses reins.

Vous m’avez maudit... il ne me reste plus qu’à faire mon paquet !

DINDARD, d’un air malin.

Mais non !... grand Dindonneau !... tu ne comprends donc pas ? ma malédiction était une frime pour te sauver !...

NÉPOMUCÈNE.

Cependant vous avez craché et marché dessus !...

DINDARD.

Du pied gauche, du pied gauche !... ça ne compte pas !...

NÉPOMUCÈNE.

Ingénieuse gredinerie !...

DINDARD.

Maintenant tu es libre... quand le charretier sera parti, tu retomberas aux genoux de l’Auvergnate.

NÉPOMUCÈNE, vivement.

Merci !... je n’en veux plus de ses genoux.

Avec passion.

J’aime une autre rotule !

DINDARD, se fâchant.

Ah ! mon neveu !

NÉPOMUCÈNE.

Elle m’a donné rendez-vous par l’escalier de service. Tenez, tenez, voilà sa lettre au jasmin.

DINDARD.

Au jasmin !... mais, j’en ai une pour toi qui empoisonne ma poche depuis un quart d’heure.

NÉPOMUCÈNE.

Donnez, donnez !

À Dindard, en décachetant la lettre.

Vous allez voir...

Lisant.

« Tous les maîtres sont des rats... madame Lecomte m’a mise à la porte. »

Parlé.

Madame Lecomte, ce n’est donc pas une comtesse ?...

Lisant.

« m’a mise à la porte parce que j’avais pris son chapeau et sa robe de velours pour-vous recevoir... Prêtez-moi trente francs ! »

« VICTOIRE, cuisinière. »

Une cuisinière !... une laveuse de vaisselle !... je n’en veux pas !...

DINDARD.

Alors, retourne à l’Auvergnate... où je prends Javotte.

NÉPOMUCÈNE.

Javotte !...

DINDARD.

Et je me ferai des héritiers moi-même !... du pied droit !...

Il crache par terre et met le pied dessus.

Heing !

NÉPOMUCÈNE.

Sapristi ! sapristi !

 

 

Scène XVIII

 

NÉPOMUCÈNE, DINDARD, RAFOUINAT, CHOISE, MOUFFLON et SA NIÈCE, JAVOTE, LES TÉMOINS

 

Les deux mariées ont remis leurs couronnes. Ils sortent joyeux du salon de gauche.

RAFOUINAT, tapant dans la main de Moufflon.

En ben ! cha va !

MOUFFLON.

Tope !

CHOISE.

Et capon qui che dédit !

NÉPOMUCÈNE, courant à l’Auvergnate.

Belle Choise, à vous mon cœur et ma foi !

CHOISE, le repoussant.

Ôtez-vous !... que j’ai pas besoin de vous... et que j’épouse ce brave charretier...

Montrant sa couronne.

Et que j’ai remis l’ornement !

NÉPOMUCÈNE.

Fichtre !

Se retournant avec passion vers l’autre.

Nièce Moufflon !... à vous ma main !

RAFOUINAT, l’écartant.

Exchuser !... que ch’est ma femme... que je chuis son homme !...

NÉPOMUCÈNE.

Mariées toutes deux !...

DINDARD, au milieu.

Ah ! c’est comme ça.

Appelant.

Javotte !

NÉPOMUCÈNE, prenant la main de Javotte.

Non, moi !... moi !... je la prends !

JAVOTTE.

Quoi ?...

NÉPOMUCÈNE.

Ça ne te regarde pas... je t’épouse !...

JAVOTTE.

Ah ! Monsieur !... vous me dites ça trop tard... je viens de m’engager avec un pompier !

DINDARD.

Allons, bon !

NÉPOMUCÈNE.

Engagée !... comment ça ?

JAVOTTE.

Dam ! Monsieur, il m’a donné un baiser !...

NÉPOMUCÈNE.

Quelle est bête !... ça n’empêche pas de s’épouser... tu le lui rendras, son baiser !

JAVOTTE.

Bien, Monsieur... je dois le voir ce soir.

DINDARD.

Enfin, le voilà marié !... je vais pouvoir me retirer dans mes montagnes de Pantin !

RAFOUINAT.

Nous ferons les trois noches au Bon Coin.

DINDARD, attendri.

Merci, mes amis, merci !

CHOISE.

Et que chi mon homme il tombe sous la table... je vous le flanque sur mon épaule... et que je vous l’emporte dans son lit comme un cotret, fichtrrrra !!!

NÉPOMUCÈNE, à part.

Décidément je ne la regrette pas !... elle est trop forte pour un homme seul !

CHŒUR.

Air : Escouta, Jeannetto.

Heureux mariages !

Ces couples charmants

Ont des gages

De voir leurs ménages

Remplis d’agréments.

DINDARD, au public.

Air du Vin à quat’ sous.

Si l’esprit qu’on vous sert,

Messieurs, dans not’ boutique,

Ne paraît pas trop vert

Au goût de la critique,

Le comptoir est ouvert

Et le prix est modique.

NÉPOMUCÈNE.

Revenez tous, de près, de loin,

Vous désaltérer au Bon Coin.

TOUS.

Revenez tous, etc.

DINDARD.

Le rire est très sain

Contre l’ chagrin !

RAFOUINAT.

Pour tous les maux c’est l’ meilleur méd’cin !

CHOISE.

Y rend l’ cœur joyeux et l’ front serein !

NÉPOMUCÈNE.

Y guérit de la goute et du splin !

DINDARD.

Revenez donc, de près, de loin,

Avec nous trinquer au Bon Coin.

TOUS.

Venez, Messieurs, de près, de loin,

Avec nous trinquer au Bon Coin.

Reprise du CHŒUR.

Heureux mariages, etc.

On danse un pas auvergnat sur le chœur final.

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