La Fermière (Louis-Émile VANDERBURCH - Nicolas BRAZIER)
Tableau villageois en un acte, mêlé de couplets.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Gaité, le 18 mai 1822.
Personnages
CATHERINE, jeune veuve, fermière dans un village aux environs de Dammartin
LOUISON, sa filleule
MAURICE, homme de 40 ans, ayant servi, mais ne conservant rien de ses anciennes habitudes ; costume tout-à-fait bourgeois
ROQUILLARD, 50 ans, caricature, adjoint du maire, par intérim
NICOLAS, petit garçon de ferme
JACQUES, vieux laboureur, grand’père de Louison
PAYSANS
PAYSANNES
La Scène se passe dans les environs de Dammartin, à dix lieues de Paris.
Le théâtre représente, à droite, l’entrée d’une jolie ferme ; à côté, une maison appartenant à Maurice ; dans le fond, une campagne et des blés. Devant la porte de la ferme, une table sur laquelle il y a du jambon, du pain, du vin, des fruits, etc. Au lever du rideau, tous les villageois sont devant la ferme avec leurs outils de travail.
Scène première
NICOLAS, LOUISON, PAYSANS
NICOLAS.
Silence ! silence, qu’on vous dit !
UN PAYSAN.
Nous n’ parlons pas.
NICOLAS.
C’est pas pour vous que j’ disons ça ; c’est à cause des jeunes filles... et en cas que...
LE PAYSAN.
En cas que... quoi ?
NICOLAS.
Dame !... en cas qu’une, ou en cas qu’elles...
LOUISON.
En cas qu’elles... Vous êtes un malhonnête, monsieur Nicolas.
NICOLAS.
N’allez-vous pas vous fâcher ? Comme si vous n’étiez pas sujette à caution. Mais, c’est pas ça dont il s’agit : il est donc dit que nous allons aller tous à l’ouvrage, comme si de rien n’était, et puis au coup de midi, nous revenons tous ici.
LOUISON.
Vous savez que ma marraine s’appelle Louise, comme moi... eh ! ben, c’est ça.
NICOLAS.
Oui ; mais jusque-là, faut d’ la prudence. Vous connaissez madame Catherine...
Air de Préville et Taconnet.
Pour un p’tit rien, ell’ s’emporte, ell’ s’entête,
Si ben qu’ souvent ça m’a fait peur
Et comm’ c’est a jourd’hui sa fête,
I’ n’ faut pas lui donner d’humeur. (Bis en chœur.)
Qu’ chacun ici fasse le bon apôtre,
Pour que not’ plaisir soit complet ;
Car, mes amis, j’ vous le dis tout net :
En attendant que i’ lui présentions l’nôtre, }
Ell’ s’rait capabl’ de nous faire un bouquet. } (Bis en chœur.)
C’est qu’alle ne s’ gênerait pas, moi j’ lui donnerais un’ rose, all’ me rendrait une giroflée à cinq feuilles.
LOUISON.
Il est vrai d’ dire qu’elle n’est pas endurante ; mais elle n’a pas de rancune.
NICOLAS.
Ça c’est vrai ; ell’ serait femme à dire à queuqu’un : allez au diable ! et que le bon Dieu vous bénisse.
LOUISON.
Elle est si bonne !
Air : Je ne veux pas qu’on me prenne.
C’est la meilleur’ femm’ du monde,
Mais drès qu’ell’ fait sa gross’ voix,
I’ n’ faut pas qu’on lui réponde,
Ou crac, avec ses cinq doigts
Un’ giffe est bientôt donnée,
Mais j’ lui rends justic’ là d’sus,
Une fois la main tournée,
Vous êt’s sûr qu’ell’ n’y pens’ plus.
NICOLAS.
Oui, encore hier, ce soufflet qu’elle a voulu te donner, et que j’ai reçu, hein !
Aux paysans.
Allons, allons, en marche, et pas de bruit.
Air de la Sorbonne.
Qu’ les bouquets
Soient tous prêts
Pour fêler Cath’rine,
Et pour qu’ell’ ne d’vine
Rien,
Mes amis, cachons-les bien.
TOUS.
Les bouquets
S’ront tous prêts, etc.
Ils vont pour sortir, Catherine paraît.
Scène II
NICOLAS, LOUISON, PAYSANS, CATHERINE
CATHERINE, à la cantonade.
C’est bon ; c’est bon. Vous lui direz qu’il attende... n’ faut-il pas être à ses ordres ? S’il se fâche, tant pis pour lui.
Aux paysans.
Eh ! bien, qu’est-ce que vous faites là, vous autres ?... paresseux, vous n’êtes pas encore à l’ouvrage.
LOUISON, tremblante.
Ma marraine, c’est que...
NICOLAS.
Madame Catherine, c’est à cause de...
CATHERINE.
C’est à cause de... vous n’en finissez pas... si c’était pour aller à vos plaisirs, il y a longtemps que vous seriez en route ; mais le travail vous tient au cœur... Mon déjeuner est-il prêt ?
Elle voit la table.
Ah ! c’est bien heureux !
LOUISON.
Ma marraine, j’ vous assure...
CATHERINE, la poussant.
C’est bon ! partons, et dépêchons.
L’arrêtant.
Ah ! çà, ton grand père, comment se porte-t-il ? Je sais qu’il a été malade.
LOUISON.
Il va mieux, ma marraine ; il va bien mieux.
CATHERINE.
Oui, et il ne nous fait rien dire... il a besoin de mille choses ; il se laisserait mourir sans seulement nous... j’irai le voir, moi, et je lui laverai la tête.
À Nicolas.
Eh ! bien, toi, quand tu nous écouteras là, comme un grand imbécile ! et nos vignes, est-ce qu’elles ne sont pas encore taillées ?
NICOLAS.
Dam !... dame Catherine, c’est que... j’ai été... je v’nais pour... j’ai pas encore déjeuné.
CATHERINE.
Tu n’as pas encore déjeuné ? Avez-vous jamais vu un petit drôle pareil ! il a été hier trois fois à la ville... et il ne se nourrit pas ; il s’abime la santé... eh ! bien, tu ne déjeuneras pas ; ça t’apprendra à te lever plutôt... allons, prends-moi ta serpette, et aux vignes.
NICOLAS.
Comme c’est restaurant !
CATHERINE.
Une autre fois tu seras plus diligent.
Air : Vaudeville de l’Intérieur d’une Étude.
Vivre d’ l’air en rêvant sur l’herbe,
Des amoureux, voilà l’ régal
Qui dort dîne, dit le proverbe,
Désormais sois plus matinal.
NICOLAS.
Vous qui raisonnez, dam’ Cath’rine,
D’ vous entendre j’ suis étonné,
Je sais comme vous que qui dort dîne,
Mais qui dort n’a pas déjeuné.
CATHERINE.
Je suis sûre que tu en contais à Louison ; tu lui parlais de ton amour.
LOUISON.
Non, ma marraine, au contraire.
NICOLAS, aux paysans.
Ah ! n’est-ce pas, les autres, que j’ lui en parlais pas ? C’est pas qu’ j’en avions bonne envie ; mais comme nous allons nous marier...
CATHERINE.
Vous marier !... pr... pr... je n’ m’en occupe pas... vous n’en êtes pas là, vraiment... nous avons bien autre chose à penser.
NICOLAS.
Cependant...
CATHERINE, très vivement.
À l’ouvrage !... Nous verrons ça plus tard.
Air : Tôt, tôt, tôt.
Ne babillez pas tant ;
Sans perdre un seul instant,
Qu’on s’en aille
Et que l’on travaille ;
C’ n’est pas en restant là
Que le bled mûrira
Et que la vigne poussera.
Toi, Jean, va-t’en dans l’ clos
Fair’ la chasse aux
Oiseaux ;
Toi, Pierr’, va-t’en là-bas
Chercher des échalas.
Ne babillez pas tant, etc.
Ils sortent tous.
Scène III
CATHERINE
Ils sont gentils, ces petits enfants... ils s’aiment, et ça s’rait vraiment dommage de ne pas les marier. Louison est bonne fille, sage, rangée... Nicolas est un peu bêle, mais il fera un bon mari... il est actif, laborieux... sa femme le mènera ; c’est ce qu’il faut. Je crie comme ça après eux parce que je ne veux pas qu’ils perdent leur temps à se cajoler. J’ai l’air d’un diable, mais je n’ suis pas méchante au fond, ah ! mon pauvre mari défunt le savait bien.
Air de Marianne.
Quand l’ matin j’étais en colère,
Ça me durait jusqu’à midi...
P’tit à p’tit dev’nant moins sévère,
Je rudoyais moins mon mari.
F’sant ma tournée
L’ long de la journée,
Dans la maison
J’ radoucissais mon ton.
Le pauvr’ cher homme
Savait bien comme,
Quand nous boudions,
Nous nous raccommodions.
Ayant ainsi calmé ma tête,
À la fin le soir arrivait ;
On s’ rapprochait,
On s’embrassait,
Et la paix était faite.
Tiens, voilà monsieur Roquillard, le greffier de la commune, et faisant l’adjoint par intérim. Qu’est-ce qu’il me veut donc si matin.
Scène IV
CATHERINE, ROQUILLARD
ROQUILLARD.
Salut à la belle Fermière.
CATHERINE, brusquement.
Bonjour, monsieur Roquillard, avez-vous quelque chose à me dire ? Je suis pressée. Dépêchez-vous.
ROQUILLARD.
Un moment, un moment, belle Fermière !... Vous êtes d’une vivacité...
CATHERINE.
Et vous, d’une lenteur... voyons, m’apportez-vous l’acte de mariage de ma filleule Louison avec Nicolas.
ROQUILLARD.
Non. Je veux vous faire quelques observations sur ce point... et puis j’ai considérablement d’affaires. Vous sentez que me voilà par événement à la tête d’une mairie conséquente.
CATHERINE.
Mais ils sont pressés ces enfants ; ils s’aiment, et en paraphant leur bonheur le jour de ma fêle, c’est un bouquet que je veux me donner.
ROQUILLARD.
Votre fête !... mais c’est juste... et moi qui oubliais... que voulez-vous que je vous souhaite ?
CATHERINE.
D’abord une bonne fête.
ROQUILLARD.
Ça va sans dire. Je vous la souhaite bonne et heureuse.
CATHERINE, riant.
Avec un mari.
ROQUILLARD.
Accompagnée de plusieurs autres.
Il veut l’embrasser.
CATHERINE, le repoussant.
Non, ce n’est pas la peine. L’intention suffit.
ROQUILLARD.
Vous ne diriez pas ça si c’était le voisin Maurice, dont la maison touche à votre ferme, c’est un drôle de corps.
CATHERINE, sévèrement.
Ne vous avisez pas d’en dire du mal, au moins ; c’est un brave homme.
ROQUILLARD.
Qui est-ce qui vous dit le contraire ? Mais il n’a pas de fortune.
CATHERINE.
Qu’est-ce que ça fait.
Air : Si Pauline est dans l’indigence.
Mauric’ fut un bon militaire,
J’aim’ sa franchise, son humeur,
Et j’en conviens, je serais fière
Si j’ pouvais faire son bonheur ;
Pour son pays il sut combattre ;
Nous nous conv’nons on ne peut mieux,
Et s’il a de la gloir’ pour quatre,
J’ dois avoir de l’argent pour deux.
ROQUILLARD.
Ah ! Fermière ! si vous eussiez voulu... si vous vouliez encore... si vous vouliez toujours...
CATHERINE.
Eh ! bien, quoi ?
ROQUILLARD.
Monsieur Maurice a quarante ans ; moi, quarante-cinq.
CATHERINE.
Après ?
ROQUILLARD.
J’ai un petit avoir assez rond ; vous avez de votre côté une fortune assez rondelette, et nous nous serions arrondis mutuellement.
CATHERINE.
Allons, laissez-moi donc tranquille.
ROQUILLARD.
Si c’est le grade de Maurice, ou sa décoration qui vous séduisent, je puis vous offrir mieux que cela... Le nouvel adjoint va être nommé ; je suis sur les rangs... vous entendez ?... mon intérim est une réalité... mais chut !
CATHERINE.
Vous maire !... ça ferait une commune bien administrée !... Monsieur Roquillard, je n’ai pas de penchant pour vous, par ainsi...
ROQUILLARD.
C’est clair... Eh ! bien, écoutez, partageons le différent par la moitié ; donnez-moi Louison.
CATHERINE.
Par exemple, en v’là une bonne !
Air : Va-t’en voir s’ils viennent.
Quoi ! vous venez tout de bon
Me parler mariage,
Puis ensuite pour Louison
Vous changez d’ langage.
Dans mon esprit, jarnigoi !
Vos affair’s sont faites ;
J’ n’aime pas les girouettes
Moi,
J’ n’aime pas les girouettes.
D’ailleurs j’ai promis Louison à Nicolas ; vous le savez, il a beaucoup de qualités.
ROQUILLARD.
Bah ! ce qui ne sonne pas ne compte pas.
CATHERINE.
Assez causé de ça.
ROQUILLARD.
Cependant...
CATHERINE, frappant du pied.
Assez, vous dis-je. Je n’aime pas à être contrariée.
ROQUILLARD.
Là ! là !
CATHERINE.
Il me faut l’acte que je vous ai demandé aujourd’hui.
ROQUILLARD.
J’y songerai. Mais avec votre brusquerie accoutumée, vous m’avez fait oublier le motif pressant de la visite matutinale que je vous rends ce matin.
CATHERINE, avec intérêt.
Qu’est-ce que c’est donc ?
ROQUILLARD.
C’est Jacques, le grand-père de votre filleule ; il est dans un grand embarras.
CATHERINE.
Que lui est-il arrivé ?
ROQUILLARD.
J’ai fait tout mon possible pour arranger l’affaire.
CATHERINE, vivement.
Après ?
ROQUILLARD.
Mais je n’ai pas pu.
CATHERINE, le poussant.
Allez donc !
ROQUILLARD.
Ni le juge de paix non plus ; c’est de l’argent qu’il faut.
CATHERINE.
De l’argent ! pour qui ?
ROQUILLARD.
Pour le père Jacques... on parle de l’arrêter pour une dette de quatre vingt francs.
CATHERINE, s’emportant.
Là ! j’étais sûre que cette somme lui retomberait sur le dos ! qui répond paie : je le lui avais prédit... et puis il est si insouciant, si crédule... pas d’ordre, pas d’arrangement... c’est bien fait pour lui !... qu’il aille en prison ; ça lui apprendra à être moins confiant... il n’a que ce qu’il mérite.
Air ; Au clair de la lune.
J’ sais qu’ Jacque est honnête,
Mais c’est un benêt,
Il n’a pas de tête,
Je vous l’ dis tout net.
Elle réfléchit.
Mais qu’ dis-je ? on l’entraine,
Avec attendrissement.
Et j’oubli’ déjà
Qu’il est dans la peine,
Attendez-moi là.
Elle rentre dans la ferme.
Scène V
ROQUILLARD, la regardant s’en aller
La singulière femme ! vive comme la poudre, et bonne comme le bon pain !
Air du Verre.
Chaque jour, du pauvre honteux,
Elle soulage la misère ;
Elle aime à faire des heureux
Autant qu’à se mettre en colère ;
Elle tempête et rend soudain
Service à tout ce qui l’approche,
Car elle a le cœur sur la main,
Et la main toujours à la poche.
Elle aime son monsieur Maurice, C’est dommage, sa main mirait comme un gant... belle femme ! une superbe ferme ! un œil vif !... un enclos magnifique !... une taille charmante... et une prairie ! enfin, tout ce qu’il faut pour rendre un mari... cinq arpents de bois !... Je comptais me retourner du côté de la filleule... charmante enfant, cette petite Louison !... et qui aura au moins dix mille francs de dot de sa marraine... mais je ne me tiens pas encore pour battu... quand ma nomination sera authentique... D’ailleurs je veux me venger de ce drôle de Nicolas, aujourd’hui même... et j’espère bien...
Scène VI
ROQUILLARD, CATHERINE, ensuite NICOLAS
CATHERINE, remettant une petite bourse à Roquillard.
Allez, monsieur Roquillard... les moments sont précieux.
ROQUILLARD.
Je vous comprends, bonne Catherine.
CATHERINE.
Surtout, le plus grand secret.
ROQUILLARD.
Cela suffit.
Ici, Nicolas paraît, et écoute derrière un arbre.
CATHERINE.
Ensuite vous penserez à l’acte en question. Je veux que ce mariage se fasse promptement ; ça fait que vous ne m’en étourdirez plus les oreilles.
NICOLAS, à part.
Un mariage ! un acte !...
CATHERINE.
Je veux que tout soit arrangé ce soir.
NICOLAS, à part.
Ce soir !... ah ! le vieux sournois ! y a longtemps que je me doutais qu’il voulait de Louison.
ROQUILLARD.
Vous serez obéie.
À part.
Nous verrons, nous verrons, tu ne la tiens pas, mon petit Nicolas.
NICOLAS, à part.
Je ne la tiens pas !
Roquillard sort.
CATHERINE.
Le sort de ma Louison sera fixé... allons, maintenant voir la mère Brigitte... pauvre femme ! elle est aveugle, et je suis sa seule consolation.
Scène VII
NICOLAS
Le sort de Louison sera fisqué... un act’ de mariage... me v’là joli garçon !... je gage qu’on va la marier à ce vieux monsieur Roquillard... y a longtemps qu’il tourmente madame Catherine pour ça... V’là-t-il pas un joli nom que Louison aurait là ! madame Roquillard !... il me semble que madame Nicolas lui irait aussi bien. Jarni ! suis-je assez malheureux ?
Il se met à pleurer.
Scène VIII
NICOLAS, LOUISON
NICOLAS, s’essuyant les yeux.
Dieu ! la v’là ; ça me remet un petit brin.
LOUISON, tristement.
Vous v’là, monsieur Nicolas !
NICOLAS.
Comme vous me dites ça gaiement... ça me fend le cœur !...
Il s’approche.
Mademoiselle Louison !
LOUISON, se reculant.
Ah ! ne me parle pas, ne me regarde pas. Tu sais bien que ma marraine te l’a défendu.
Elle met la main devant ses yeux.
NICOLAS.
Eh ! bien, tu te caches ?
LOUISON.
J’obéis à ma marraine.
NICOLAS.
Tu te bouches les yeux ?
LOUISON.
Oui.
NICOLAS.
Risques-en un.
LOUISON.
Non.
NICOLAS, avec humeur.
D’ailleurs, à présent que madame Catherine va te marier à un autre, je me moque bien de sa défense, moi.
LOUISON, se rapprochant.
À un autre, dis-tu ?
NICOLAS.
Oui, à monsieur Roquillard, parce qu’il a des écus.
LOUISON.
À monsieur Roquillard, c’est donc ça qu’il est encore venu hier soir ?
NICOLAS.
Et à ce matin... il sort d’ici.
LOUISON.
Je m’en doutais... avec ça que ma marraine me prend en grippe depuis queuqu’s temps.
NICOLAS.
N’y a plus d’espoir !
LOUISON.
Air : aussitôt que je t’aperçois. (d’Azémia.)
Monsieur Roquillard, mon mari,
Cette idée me fend l’âme !
NICOLAS.
J’ li f’rons un fier charivari,
Si jamais t’es sa femme.
LOUISON.
Mon Dieu ! (bis) quel grand malheur !
Je crois que j’en mourrai de douleur (bis).
NICOLAS.
Ma p’tit’ Louison, comm’ c’est dommage !
LOUISON.
Nous aurions fait si bon ménage !
Elle pleure.
Rien qu’ d’y penser, hélas ! (bis)
Mon cœur fait tac, tac, Nicolas !
Ils reprennent ensemble.
NICOLAS.
Son cœur fait tac, tac, Nicolas.
LOUISON.
Mon cœur fait tac, tac, Nicolas.
NICOLAS.
Ton cœur fait tac, tac ; le mien fait bien autre chose... sens donc comme il fait tic, tic... Louison, est-ce que t’auras le cœur de dire voui ?
LOUISON.
Dame... voui, si ma marraine le veut... il faudra bien que j’obéisse.
NICOLAS, furieux.
Que j’obéisse !... je vous entends... je n’ai pas la berlue. Vous faites semblant d’être fâchée ; mais au fond, vous êtes bien aise d’épouser une puissance, un greffier... vous avez toujours évu de l’ambition... dame, un adjoint, c’est plus relevé qu’un pauvre garçon de ferme.
LOUISON.
Mais, est-il bête ! qu’est-ce qu’il lui prend donc ?
NICOLAS.
Ingrate ! perfide ! vaniteuse !
LOUISON.
Mais, Nicolas, es-tu fou ?
NICOLAS.
Oui, je perds la tête... je ne sais plus ce que je fais... je ne t’aime plus... je vous déteste ! je ne veux plus de toi... laissez-moi tranquille !
LOUISON.
Air : Quand papa Lapin mourra.
Puisqu’ vous l’ prenez sur c’ ton-là,
Je vais li prendre de même ;
Puisqu’ monsieur Roquillard m’aime,
Eh ! bien, il m’épous’ra :
Ma main, bientôt,
À la sienne s’ra jointe.
Adieu, nigaud.
NICOLAS.
Adieu, madame l’adjointe.
Ensemble.
Puisqu’ vous l’ prenez sur c’ ton-là,
Je dois le prendre de même,
Et si j’ trouve un’ femm’ qui m’aime,
Eh ! bien, ail’ m’épous’ra.
LOUISON.
Puisqu’ vous l’ prenez sur c’ ton là, etc.
Elle le pince, et sort.
Scène IX
NICOLAS
Aye ! aye ! elle me pince.
Il se promette de long en large.
Il ne faut pas t’endormir, Nicolas ! il faut du sang froid, Nicolas ! de la réflexion, Nicolas ! ah ! monsieur Roquillard, tenez-vous ferme ! je m’en vas aller trouver monsieur Maurice, c’est un ancien militaire ; un brave homme, il me donnera une bonne leçon... justement, le voilà... abordons-le tranquillement.
Scène X
MAURICE, NICOLAS
NICOLAS, se composant.
Bonjour, monsieur Maurice.
MAURICE.
Qu’as-tu donc ? mon ami ? tu parais agité.
NICOLAS.
Ça ne sera rien, monsieur Maurice, j’allais chez vous pour vous prier de me rendre un service, monsieur Maurice.
MAURICE.
Parle, mon garçon.
NICOLAS.
Vous savez que j’aime Louison.
MAURICE.
Je m’en suis aperçu.
NICOLAS.
J’ai un rival ; je suis furieux ! je veux le tuer ! et j’allais vous prier d’avoir la complaisance de me montrer à avoir du courage... comme c’est une chose qui concerne votre état... voulez-vous m’enseigner ça tout de suite, tout de suite, s’il vous plaît ?
MAURICE, riant.
Te montrer à avoir du courage !...
Air : Dans la vigne à Claudine.
Apprends à mieux connaître
C’ qui fait l’homme d’honneur,
Ceux qu’ not’ sol a vu naître
N’ doiv’nt jamais avoir peur.
Le cœur fait la vaillance,
D’mande à nos jeun’s soldats,
Ils te diront qu’en France
L’ courag’ ne s’apprend pas.
NICOLAS.
Excusez.
MAURICE.
D’ailleurs, mon garçon, le courage, vois-tu ; c’est dans le sang, ça.
NICOLAS.
Ah ! c’est dans le sang !... vous croyez ?... alors, j’en ai peut-être sans m’en douter.
MAURICE.
Pourquoi pas ? je te crois aussi brave qu’un autre.
NICOLAS.
Jarni ! vous me ravigotiez... monsieur Roquillard n’a qu’à être tranquille ; son affaire est bonne.
Air de Lisbeth.
J’ m’en vais l’arranger joliment,
Maint’nant que j’ sais qu’ j’ai du courage,
Et l’ pauvre homme peut, dès c’ moment,
Fair’ ses billets d’enterrement,
Au lieu d’ ses billets d’ mariage.
Il est just’ que je m’ venge enfin
D’ celui qui caus’ mon infortune ;
Et je me sens si bien en train,
Qu’ je l’ tuerai (bis) plutôt deux fois qu’une.
MAURICE.
Tu veux te battre. Fi donc, mon ami ! ignores-tu que le duel est une action blâmable.
Air du Vaudeville de Turenne.
Jamais de t’armer contre un frère
Ne conçois le fatal dessein ;
Le fer qui laboure la terre,
Seul aujourd’hui doit briller dans ta main.
Pour ton pays réserve ta vaillance,
N’aspire pas à de honteux succès :
Souviens-toi que le sang Français,
Ne doit couler que pour la France.
NICOLAS.
Mais enfin, que faut-il que je fasse ? Louison ne m’aime plus.
MAURICE.
Comment cela ?
NICOLAS.
Elle vient de me dire que j’étais t’un monstre.
MAURICE.
C’est une preuve qu’elle t’aime.
NICOLAS.
Elle m’a dit : je te déteste !
MAURICE, riant.
C’est qu’elle t’adore.
NICOLAS.
Elle m’a dit qu’elle m’abhorrait !
MAURICE.
Alors, elle est folle de toi... mon pauvre garçon, tu ne connais pas les femmes.
NICOLAS.
Faut donc croire le contraire de ce qu’elles disent ?
MAURICE, gaiement.
Presque toujours.
NICOLAS.
Ah ! bien... v’là encore qu’est bon à savoir ; à l’avenir, je ne me chagrinerai plus comme ça.
Air : Vaudeville de l’Écu de six francs.
Je serai dans un’ joie extrême,
Quand Louison m’ dira qu’ell’ n’ m’aim’ pas
Je goût’rai le bonheur suprême
Quand all’ m’ trait’ra du haut en bas.
J’ m’en vas lui fair’ dire à la ronde !
Qu’all’ me déteste, qu’all’ me hait...
Et pour peu qu’all’ m’ donne un soufflet,
J’ suis l’homm’ le plus aimé du monde.
Il sort.
Scène XI
MAURICE
Ce pauvre Nicolas !... Il aime Louison, et il l’épousera... moi, j’aime Catherine, et je ne puis espérer de m’unir à elle... Monsieur Roquillard lui donne des soins... tout à l’heure encore, il causait avec elle... d’ailleurs, j’ai réfléchi, c’est un démon que cette femme-là ! un caractère qui me ferait donner au diable ! Allons, il faut chercher un prétexte... m’éloigner d’elle, et tâcher de n’y plus penser... du courage, Maurice ! ventrebleu ! il en faut.
Air : Trouverez-vous un Parlement.
Jusqu’ici j’ n ‘avais pas r’culé,
Ni d’vant l’ennemi, ni d’vant un’ belle,
Mais puisque l’honneur a parlé,
À sa voix montrons-nous fidèle ;
À fuir Cath’rine pour jamais,
J’éprouve une douleur secrète ;
Pour un soldat, pour un Français,
Qu’il est dur de battre en retraite.
On entend Catherine du même côté par où Nicolas est sorti.
CATHERINE, sans être vue.
Nicolas ! Nicolas ! viens ici.
MAURICE.
Je l’entends... allons, Maurice, il est de ton devoir de te refroidir... jamais elle ne m’a paru plus gentille !
Scène XII
MAURICE, CATHERINE, NICOLAS
CATHERINE, faisant passer Nicolas devant elle.
Allons, imbécile, passe devant moi.
NICOLAS.
Je passe, la bourgeoise.
CATHERINE.
Il retournait aux champs sans avoir déjeuné.
À Maurice.
Ah ! bonjour, voisin.
MAURICE.
Bonjour, voisine.
NICOLAS, tremblant.
Je vous assure, madame Catherine, que je n’ai pas faim.
CATHERINE.
Je veux que tu manges, et ne me réplique pas... voyez comme il est fait ! demandez-moi de quoi il a l’air... allons, avance ici... il serait gentil comme tout, s’il avait soin de lui... mais ce Nigaud-là, l’amour lui tourne l’esprit... laisse-moi faire, j y mettrai bon ordre.
NICOLAS, à part.
Si celle-là dit aussi le contraire de ce qu’elle pense, mes affaires sont en bon chemin.
MAURICE.
Allons, voisine, ne le chagrinez pas, ce garçon ; votre ton brusque l’effraie toujours.
CATHERINE, s’emportant tout à coup.
Eh ! bien, de quoi vous mêlez-vous, monsieur Maurice ? quand vous étiez maréchal-des-logis ; vous commandiez à vos soldats ; moi, je suis le capitaine de ma ferme, et je veux qu’on m’obéisse.
NICOLAS, à part.
Tout le monde en aura sa part.
CATHERINE.
Qu’est-ce que tu dis ?
NICOLAS, à part.
Rien, rien.
MAURICE, de même.
Quelle tête !
CATHERINE, à Nicolas.
As-tu du pain ?
NICOLAS, tirant de sa poche un gros morceau de pain bis.
Oui, la bourgeoise.
CATHERINE, très durement.
Avance auprès de moi.
NICOLAS, à demi voix.
Dieu ! quoiqu’elle va me faire ?
CATHERINE, allant à la table.
Qu’est-ce que tu as fait ce matin ?
NICOLAS.
J’ai mène les chevaux à l’abreuvoir, et j’ai ébigneté deux carrés de vignes.
CATHERINE.
Dieu ! v’là une belle poussée ! t’aurais pu en faire quatre... tu es un paresseux !... tends ton pain :
Elle lui donne un morceau de jambon.
as-tu rentré les quatre charrettes de foin qui sont arrivées hier.
NICOLAS, mangeant.
Il n’en reste plus qu’une.
CATHERINE.
Comment ! tout n’est pas rentré ?... et s’il vient à pleuvoir, le foin qui restera sera perdu... je te chasserai, prends-y garde... tiens ce verre...
Elle lui verse du vin. À part.
Ça lui donnera des forces.
Haut.
Allons, avale-moi ça.
NICOLAS, boit en tremblant.
Il est bon !
CATHERINE.
Décampe, et souviens-toi que si je te prends jamais à perdre ton temps à déranger Louison de sa besogne, je te chasse sans te donner un sou.
NICOLAS, s’en allant et mangeant son lard.
Qu’elle est bonne ! qu’elle est bonne !
Scène XIII
CATHERINE, MAURICE
MAURICE, riant.
Savez-vous, Catherine, qu’à vous entendre, on vous prendrait pour une méchante femme ?
CATHERINE.
Vous croyez !... et qui est-ce qui vous dit que je ne suis pas méchante ?
MAURICE.
Le bien que vous faites dans le village.
CATHERINE.
Le bien, le bien-ça n’est pas difficile quand on a de quoi !
Air : Vaudeville du Printemps.
Ils n’ont que ce mot à la bouche,
Ell’ fait du bien, elle fait du bien.
Si vous croyez que ça me touche,
Mon cher Maurice, il n’en est rien ;
Il semblerait, tant on me vante,
Quand du pauvre j’ comble l’espoir,
Que j’ fais une chose étonnante,
Quand je ne fais que mon devoir.
MAURICE.
Là ? là ! ne vous emportez pas, belle voisine.
À part.
Le caractère perce toujours.
CATHERINE.
Savez-vous, mon voisin, que vous êtes tout drôle depuis queuqu’ jours,
MAURICE.
Moi ?... comment l’entendez-vous ?
CATHERINE.
Voulez-vous parier que je devine ce que vous penser ? je me suis aperçue que vous me reluquiez un petit brin. Pour dire vrai, votre bonne mine me revient assez... je gage que mon humeur vous donne à réfléchir ; et que vous vous dites comme ça :
Air : Eh ! ma mère, est-c’ que j’ sais ça ?
Cath’rin’ pour ma ménagère
Me conviendrait assez bien :
J’ suis garçon, j’ pourrais lui plaire ;
Elle est veuve, elle a du bien :
Mais sous un’ mine agréable,
C’est l’humeur d’un lucifer,
Et si j’épousais un diable,
Not’ ménag’ s’rait un enfer.
MAURICE, souriant.
Eh ! bien, vous vous trompez, belle fermière : ce n’est pas ça.
À part.
Elle devine assez juste.
Air : Ami, dépouillons nos Pommiers.
J’ai vu les feux de cent canons,
Lancer au loin la foudre ;
J’ai vu des forts et des bastions
Qu’on réduisait en poudre :
J’ai vu le trépas
Mill’ fois sous mes pas,
Quand je faisais la guerre :
Or, sans m’émouvoir,
Voisin’, je puis voir
Une femme en colère.
CATHERINE, à part.
Il me fait rire.
MAURICE.
Écoutez, Catherine : je vais vous parler avec la franchise d’un brave homme.
CATHERINE, croisant les bras.
J’écoute.
MAURICE.
Vous ne devez pas douter que je ne vous aime de tout mon cœur.
CATHERINE.
Je le crois puisque vous me le dites.
MAURICE.
J’ai remarqué que vous n’aviez pas trop de répugnance pour moi.
CATHERINE.
Je ne vous l’avais pas dit positivement, mais c’est égal.
MAURICE.
Depuis quelque temps j’ai réfléchi.
CATHERINE, froidement.
Vous avez réfléchi ?...
MAURICE.
J’ai quarante ans...
CATHERINE.
Je le sais.
MAURICE.
J’ai fait longtemps la guerre...
CATHERINE.
Je le sais.
MAURICE.
J’ai des blessures.
CATHERINE, impatientée.
Je le sais.
MAURICE.
Vous êtes jeune.
CATHERINE.
Dieu merci.
MAURICE.
Riche...
CATHERINE.
Après ?
MAURICE.
Air : En attendant. (Des Bonnes d’Enfants.)
J’ n’ai pas assez
Pour entrer en ménage...
Sur notre hymen, au moins réfléchissez,
N’êtes-vous pas la plus rich’ du village ?
Moi j’ n’ai qu’ ma r’traite et ce p’tit ermitage,
C’ n’est pas assez. (bis.)
CATHERINE, avec tristesse.
Même air.
C’en est assez,
Ce discours m’importune,
Loin d’imiter ces cœurs intéressés,
Moi je croyais, malgré la loi commune,
Que votre honneur égalant ma fortune,
C’était assez. (bis).
MAURICE.
Catherine, ne croyez pas que je doute en rien de la noblesse de vos sentiments.
CATHERINE, avec humeur.
Il le faut bien, puisque vous ne vous trouvez pas assez riche.
Émue.
C’est mal, monsieur Maurice, très mal ; je prends cela pour un refus.
Avec dépit.
Vous avez raison ; je ne puis pas être voire femme... je suis trop riche... Adieu, monsieur Maurice.
Fausse sortie.
Je ne suis pas contente de vous, entendez-vous ?
Air : Mon cœur à l’espoir s’abandonne.
D’vez-vous me r’procher ma richesse ?
Quand j’ veux vous confier mon bonheur,
Montrez moins de délicatesse
Et sachez mieux juger mon cœur.
Je croyais que lorsqu’en mariage
L’un apportait assez de bien,
Pour être heureux dans le ménage,
L’autre n’avait besoin de rien.
Ensemble.
D’vez-vous me r’procher ma richesse.
MAURICE, à part.
Sa mauvais’ tête et sa richesse
Nuiraient peut-être à mon bonheur.
Montrons tout’ ma délicatesse,
Dussé-je affliger son bon cœur.
Elle sort.
Scène XIV
MAURICE
Allons, nous voilà brouillés... c’est morbleu dommage. Je l’aime bien... oui, je l’aime bien.
Souriant.
Mais elle me fait peur ; c’est plus fort que moi... allons, mon parti est pris ; je ne l’épouserai pas.
Air : Ne dédaignons pas les querelles. (de Colalto.)
En ce jour il faut que j’oublie
Celle que je chérissais trop ;
Que la seule amitié nous lie,
Désormais qu’elle soit mon lot.
Sur mon amour, je l’imagine,
Son intérêt doit ici l’emporter.
Et si mon cœur me parle pour Cath’rine,
L’honneur me défend d’ l’écouter.
Scène XV
MAURICE, NICOLAS, LOUISON
Nicolas et Louison arrivent en pleurant.
LOUISON et NICOLAS.
Ah ! ah ! ah ! quel malheur !
MAURICE.
Eh ! bon Dieu ! qu’avez-vous donc ?
LOUISON, pleurant.
Ah ! ah !
NICOLAS.
Monsieur Maurice, saurez-nous ; protégez-nous !
LOUISON.
Que va dire ma marraine ?
NICOLAS.
Nous sommes perdus !
MAURICE.
Mais enfin, qu’est-ce donc ?
NICOLAS, sanglotant.
Imaginez-vous que pendant que j’étais là ;
Il pleure.
ah ! ah !... à me raccommoder avec Louison ; tantôt...
Il pleure.
oh ! oh !... v’là qu’la p’tite vache a disparu...
Il pleure.
uh ! uh ! uh !
LOUISON, pleurant.
Mon Dieu ! voui... hi ! hi ! hi !
MAURICE.
Allons, consolez-vous, elle se retrouvera.
NICOLAS.
C’est précisément celle que ma’me Catherine aime tant, Blanchette, la petite vache noire.
LOUISON.
Nous l’avons cherchée partout.
NICOLAS.
Je l’app’lais, je l’app’lais ; elle ne m’a pas répondu.
LOUISON.
Air de Joseph.
Par les loups, all’ s’ra dévorée...
MAURICE.
Vous étiez donc vers la forêt ?
NICOLAS.
D’elle, même, all’ s’est égarée.
LOUISON.
Je n’ sais pas comment ça s’est fait.
NICOLAS, pleurant toujours.
Rien qu’en y pensant, ça m’arrache
De larmes un torrent nouveau,
Et d’puis qu’elle a perdu sa vache,
Vous l’ voyez, je pleur’ comme un veau.
Mon Dieu ! une si belle bête... vous savez bien, monsieur Maurice ; c’est c’te p’tite qu’est si douce ; celle qui m’a donné un coup de corne avant-z-hier.
Nicolas et Louison recommencent à pleurer.
MAURICE.
Allons, allons, ne pleurez pas.
NICOLAS, pleurant plus fort.
La bourgeoise va joliment rire.
MAURICE.
Eh ! bien, mes amis, ne perdons pas de temps... Catherine est sortie ; elle ne se doute de rien... courons battre encore une fois la forêt... venez avec moi.
Air : Ah ! ne craignez pas que j’oublie.
Mes enfants mettons nous en route ;
Parcourons
Tous les environs,
Et dans peu d’instants, je me doute,
Qu’ici nous la ramènerons. (ter.)
À part.
Souvent au bois, fille amoureuse,
Perd bien des chos’s par ci par là,
Louison est encor fort heureuse
D’en être quitte pour cela (bis.)
Tous les trois mettons-nous en route.
NICOLAS et LOUISON.
Allons remettons-nous en route, etc.
Ils sortent tous les trois. Roquillard entre du côté opposé.
Scène XVI
ROQUILLARD
Bon ! bon ! voilà le commencement du remue ménage... parbleu ! j’ai eu une bonne idée de détourner la vache de Louison ; cela va retomber sur ce drôle de Nicolas... je rarangerai tout cela à mon avantage, et les choses prendront sans doute une meilleure tournure.
Apercevant Catherine.
Bon, voilà Catherine... allons, Roquillard, pousse au scandale.
Scène XVII
ROQUILLARD, CATHERINE
Catherine arrive en chantant et en se frottant les mains.
CATHERINE, dans le fond.
« Et quand on a la paix du cœur,
« Notre fortune est faite. »
ROQUILLARD, la saluant.
C’est encore moi, belle Fermière ; je viens vous annoncer une assez mauvaise nouvelle.
CATHERINE, brusquement.
Mais vous ne venez donc que pour cela ?
ROQUILLARD.
Ne vous emportez pas.
CATHERINE, vivement.
Non, non ; je ne m’emporterai pas ; mais parlez, voyons.
ROQUILLARD.
C’est un malheur... mais enfin...
CATHERINE.
Enfin, quoi ? vous me faites bouillir !
ROQUILLARD.
Votre petite vache noire se trouve égarée.
CATHERINE, en colère.
Ma petite vache noire !... par exemple !
ROQUILLARD, appuyant.
Et c’est votre monsieur Nicolas qui en est cause.
À part.
j’appuie exprès sur Nicolas.
CATHERINE.
Nicolas !... voilà longtemps que je dis que ce petit drôle là n’est bon à rien.
ROQUILLARD, à part.
Poussons, poussons !
Haut.
Il a été trouver Louison, malgré votre défense ; ils ont causé fort longtemps ensemble... et puis Blanchette a pris la clef des champs.
Air : V’là c’ qu’ c’est que d’aller au bois.
On y va deux, on en r’vient trois,
V’là c’ qu’ c’est qu’ d’aller au bois,
C’est assez la règle ordinaire ;
Mais dans cette affaire,
C’est tout le contraire,
Ils étaient trois, ils en r’vienn’nt deux,
V’là c’ qu’ c est qu’ d’être amoureux.
CATHERINE, furieuse.
Comment, c’est possible !... allons, allons, je ferai maison nette... je les mettrai tous à la porte... le drôle ! le paresseux ! je lui apprendrai... qu’il vienne... qu’il se présente seulement devant moi !
ROQUILLARD, à part.
Bravo ! bravo ! j’ai réussi.
CATHERINE, calme et avec sensibilité.
Au fait, il vaut bien mieux que cette perte-là tombe sur moi que sur de pauvres gens que cela ruinerait. Morgué !... des vaches, j’en ai quarante, et ceux qui n’en ont qu’une... allons, allons, cela ne valait pas la peine de s’emporter... le bon Dieu fait bien tout ce qu’il fait.
ROQUILLARD.
Comment, vous prenez cela aussi tranquillement ?
CATHERINE, sévèrement.
Mais Nicolas est un mauvais sujet, il me le payera. Je veux.
Riant.
Ce pauvre garçon ! je suis sûre qu’il est plus chagrin que moi, et que le tourment que ça lui donne le punit assez.
ROQUILLARD.
Mais ce n’est pas tout ; votre vache a causé un dégât notoire dans le pré de maître Georges ; elle a été effrayée, cette bête... Je me mets à sa place... Elle s’est sauvée jusque sur la grande route, et vous voilà avec deux procès-verbaux sur le corps.
CATHERINE, brusquement.
Eh ! bien, c’est bon, on les payera, laissez-moi tranquille.
ROQUILLARD.
C’est que ça ne badine pas, vous le savez, les bêtes à cornes sur la voie publique.
CATHERINE.
On ne fait pas payer toutes celles qui s’y promènent. Vous étiez donc là, vous.
ROQUILLARD.
Moi ?
CATHERINE.
Dame !... D’où savez-vous ?...
Scène XVIII
ROQUILLARD, CATHERINE, LE PÈRE JACQUES, un bouquet à la main
JACQUES.
Air : Il faut, il faut quitter Golconde.
Ousqu’elle est donc, c’te bonn’ Cath’rine ?
Ell’ s’ cache en vain, mon cœur la d’vine ;
C’est elle qui sèche nos pleurs.
Je vois la fin de mes malheurs.
Ah ! que je presse sur mon cœur,
Cell’ qu’est mon ang’ consolateur !
CATHERINE, étonnée.
Qu’est-ce que ça veut dire ? paix, paix.
Scène XIX
ROQUILLARD, CATHERINE, LE PÈRE JACQUES, NICOLAS, LOUISON avec des bouquets
Même air.
Que j’ la fêtions c’te bonn’ Catherine.
Pour nous surprendre, all’ nous chagrine ;
Puis elle assur’ notre bonheur.
Plus de chagrin, plus de douleur.
Ah ! pressons tous sur notre cœur,
Cell’ qu’est notre ang’ consolateur !
CATHERINE, ne sachant si elle doit se fâcher ou paraître contente.
Voulez-vous vous taire ?
Scène XX
ROQUILLARD, CATHERINE, LE PÈRE JACQUES, NICOLAS, LOUISON, MAURICE, tout le village avec des bouquets
CHŒUR.
Même air.
Allons fêter la bonn’ Cath’rine ;
C’ bouquet qu’ notre amour lui destine
Plaira sans doute à son bon cœur ;
Ell’ nous consol’ dans la douleur ;
Du pauvre ell’ soulag’ le malheur ;
De tout l’ monde ell’ fait le bonheur,
Oui, le bonheur.
CATHERINE, brusquement.
Eh ! bien, qu’est-ce que c’est que tout ça ?... des cris, des fleurs... Sont-ils fous ?... Suis-je une princesse, moi, pour qu’on me fête comme ça ? c’est vrai...
Attendrie.
Ils viennent me surprendre, ils me font pleurer de plaisir !
Elle embrasse Louison qui lui présente un bouquet.
TOUS.
Vive Catherine !
ROQUILLARD.
Oui, mes amis, en ma qualité d’adjoint, je m’adjoins à vous... Vive la bonne Catherine ! l’excellente Catherine !
À part.
Elle est méchante comme un diable.
LOUISON, embrassant Catherine.
Ma bonne marraine ! le notaire nous l’a avoué.
NICOLAS.
Oui, il nous l’a-t-avoué. Nous savons que vous sortez de chez lui.
LOUISON, sautant.
Et que vous avez signé notre contrat de mariage.
NICOLAS.
Mais vous ne savez pas une grande nouvelle, Blanchette est retrouvée, et le meilleur de tout, c’est que monsieur Maurice, qui ne dit rien là bas, est nommé adjoint du maire.
TOUS.
Monsieur Maurice.
CATHERINE, à part.
Je le savais déjà.
ROQUILLARD, à part.
Aie, aie, aie, voilà du déficit pour moi.
NICOLAS, très joyeux.
Ah ! queue joie, queu plaisir.
LOUISON.
Air du Vaudeville de Fanchon.
J’espère que la fête
À présent est complète.
Amis, réjouissons-nous,
NICOLAS, dansant.
J’ n’avons plus d’ vœux à faire ;
Notre sort sera des plus doux ;
M’sieur Maurice est not’ maire ;
Il s’ra not’ père à tous,
MAURICE.
Oui, mes enfants, je vous le promets.
ROQUILLARD, à part.
Je suis fait.
Haut.
Je suis fâché, belle Catherine, de terminer mon intérim par un procès-verbal contre vous.
MAURICE.
Rassurez-vous. Celui qui a causé l’événement est seul responsable du dommage ; je le connais, et il n’est pas loin, et j’ai bien envie, en qualité d’adjoint, de le dévoiler ; mais n’étant point encore en fonction, je ne veux pas sévir contre lui.
ROQUILLARD, à part.
Diable, il sait que c’est moi qui ai égaré la vache, filons doux.
Haut.
Monsieur Maurice, vous avez bien raison, mieux vaut douceur que violence.
CATHERINE.
Ah ! çà, Louison épouse Nicolas. Nous avons un bon adjoint. J’ai fait un peu de bien pour ma fête. Tout le monde est heureux. Vous ne dites rien, monsieur Maurice.
MAURICE.
J’admire les heureux que vous faites, bonne Catherine. Je suis du nombre, car je sais que ma nomination est un peu votre ouvrage.
Lui tendant la main.
Me boudez-vous toujours ?
CATHERINE, lui donnant la sienne.
Est-ce que c’est le moment d’avoir de la rancune ?
MAURICE, avec émotion.
Je la tiens, et j’ai bien de la peine à la quitter.
À part.
Diable m’emporte, je tremble comme un enfant.
CATHERINE, souriant.
Eh ! bien, qu’est-ce que tout ça veut dire ?... Moi, je ne comprends que les choses que l’on dit bien clairement.
MAURICE, de même.
Je vous dois un aveu, Catherine... Oui, je bannis les scrupules que je montrais tantôt, ils n’étaient qu’un prétexte. Franchement, j’avais peur de vous.
CATHERINE, riant.
Là !... quand je le disais.
MAURICE, hésitant.
Maintenant, je me rétracte.
CATHERINE.
Après ?
MAURICE.
Après, ce sera à vous de prononcer.
Air : Vaudeville de l’Avare et son ami.
Vous avez un’ mine éveillée ;
Je suis encor des mieux portants ;
Vous avez été mariée,
Moi, j’ai servi pendant vingt ans ;
Vous fûtes aimable compagne,
Moi soldat franc et généreux ;
Je crois que nous pouvons tous deux,
Nous remettre encore en campagne.
CATHERINE, gaiement.
Touchez-là, monsieur l’adjoint.
MAURICE.
De tout mon cœur.
ROQUILLARD, à part.
Je lui souhaite bien du plaisir... Voilà un militaire qui peut se vanter d’épouser un dragon.
CATHERINE, regardant Roquillard sévèrement.
Qu’est-ce que vous dites, monsieur Roquillard ?
ROQUILLARD.
Rien, rien, voisine.
À part.
Dieux ! quels yeux.
CATHERINE.
À la bonne heure.
Vaudeville.
CHŒUR.
Air : Vaudeville du Château de Chambord.
Honneur à la belle fermière !
Fêtons sa bonté, ses attraits ;
Et que le bien qu’elle a su faire,
De nos cœurs ne s’efface jamais.
LOUISON.
Air de Mlle Leconte.
Nicolas, je réclame
Un aveu simple et franc :
Quand je deviens ta femme
En es-tu bien content ?
NICOLAS.
Oui si ce jour de fête,
Loin de m’ porter malheur,
N’ change rien à ma tête,
N’ change rien à ton cœur.
ROQUILLARD.
Pour la moindre équipée,
On voit nos jeunes gens,
Aller tirer l’épée
Presqu’à tous les instants.
Qu’un’ bonn’ action s’apprête,
Ils n’ont pas moins d’ardeur,
Et s’ils ont mauvais’ tête,
Ils ont aussi bon cœur.
MAURICE.
Dans les champs de bataille,
Rangés en escadrons,
Sous le feu d’ la mitraille,
Nos soldats sont des lions.
Qu’ l’ennemi batte en retraite,
Ils respect son malheur...
Ah ! s’ils ont mauvais’ tête,
Nos soldats ont bon cœur.
CATHERINE, au Public.
Si Catherin’, dans l’ parterre,
N’entend pas applaudir,
Son bouillant caractère
Va bientôt s’ refroidir.
Ne troublez pas sa fête,
Car vous lui feriez peur ;
Et pour la mauvais’ tête,
Messieurs, ayez bon cœur.
REPRISE DU CHŒUR.
Honneur à la belle fermière !
Fêtons sa bonté, ses attraits,
Et que le bien qu’elle a su faire,
De nos cœurs ne s’efface jamais.