La Fermière (Christophe-Barthélémy FAGAN DE LUGNY)

Comédie en trois actes et en vers, et un prologue.

Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 18 Janvier 1748.

 

Personnages du prologue

 

CLITON

ARLEQUIN

 

Le Théâtre représente le bord de la Mer.

 

Personnages de la Comédie

 

MADAME ROGER, fermière

COLIN

TOINON, fille de Madame Roger

AGATHE, fille de Madame Roger

SCAPIN

ARLEQUIN

LE PRÉVÔT

 

La Scène est à Bezons.

 

Le Théâtre représente un Village ; on voit la rivière dans l’enfoncement.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

CLITON, assis sur un rocher, et après avoir regardé fixement la Mer

 

Vaste Élément dont tant de Philosophes n’ont pu comprendre la nature, je contemple, sans effroi, ton immensité. À tous les trésors que tu renfermes dans ton sein, je vais en ajouter de nouveaux. Oui, des ouvrages immortels vont périr avec moi, et vont être à jamais ensevelis sous ton onde. Puisque, parmi les hommes, je ne puis plus trouver de douceur, que je serve au moins de pâture aux animaux redoutables qui t’habitent.

Tirant un cahier de sa poche.

Chères productions de ma veine, qui faisiez mes délices : oui, vous suivrez mon destin. Il vaut mieux que vous soyez pour toujours ignorées que d’essuyer des outrages.

Se levant sur le rocher.

C’en est fait, allons...

 

 

Scène II

 

ARLEQUIN, CLITON

 

ARLEQUIN, dans la mer.

Ohé ! ohé ! ohé !

CLITON, prêt à se précipiter.

Ô mer ! reçois-moi dans tes abymes.

ARLEQUIN, paraissant.

Ô terre ! quand pourrai-je te tenir ! M’y voilà. Oh ! parbleu, je viens d’avoir une belle peur.

CLITON.

Avec quel empressement cet homme se sauve des flots ! Son sort est donc bien différent du mien !

ARLEQUIN.

Quel diable d’homme est-ce là ?

CLITON.

Qui que tu sois ; regarde-moi. Je vais dans l’instant me livrer au destin que tu fuis avec tant d’ardeur.

ARLEQUIN.

Arrête, je ne te le conseille pas. Il ne fait pas bon là. Je t’en avertis.

CLITON.

Je sais...

ARLEQUIN.

Il n’y fait pas bon, te dis-je. Je puis t’en donner des nouvelles. Diffère, du moins, d’un instant.

CLITON.

Hélas !

Il se rassied sur le rocher, et paraît dans l’abattement.

ARLEQUIN.

Ce diable de coup de vent a fait tourner ma nacelle. J’allais, moi, à la pêche, comme j’ai coutume. Point du tout. Je fuis tout à coup renversé, et j’ai eu, ma foi, bien de la peine à m’en tirer ; mais je n’ai pas été longtemps dans la mer, et je commence à me réchauffer un peu. Parle donc, toi qui parais si fort au désespoir, quel en est donc le sujet ?

CLITON, descendant du rocher.

Ah ! que me demandez-vous ? Jugez quel parti doit prendre un homme, qui après avoir passé les premières années de sa vie dans un genre d’étude ; par un enchaînement de malheurs... peut-être par paresse, s’est exposé à perdre le bien le plus précieux, et le plus difficile à obtenir : je veux dire l’estime du Public ; qui, sans doute, a trop écouté un caractère inquiet, incommode, et qui, pour réparer tant de torts, pour se sauver de mille infortunes, n’a que l’espoir de la chose du monde la plus incertaine... mais la plus incertaine qui soit sous le Ciel !

ARLEQUIN.

Comment diable ! Tout ce que tu viens de me dire, est-il vrai ?

CLITON.

Ah ! cela n’est que trop vrai !

ARLEQUIN.

Je suis presque tenté de te laisser remonter sur ton rocher.

CLITON.

Ah ! pourquoi m’en avoir détourné ?

ARLEQUIN.

Eh ! quelle est donc cette chose incertaine dont tu parles ?

CLITON.

La réussite d’une pièce de Théâtre. Une pièce de Théâtre est...

ARLEQUIN.

Oh ! quoique je sois un pauvre habitant des côtes de la mer, je n’ignore pas ce que c’est qu’un Théâtre. Au Château voisin on représente des Comédies, et toutes les fois qu’on les joue, on me mène là, comme un animal singulier, pour voir l’effet que cela fera sur moi.

CLITON.

On a donc dû te dire que rien n’est si incertain que le succès d’une pièce.

ARLEQUIN.

Point du tout. Je vois, moi, que ceux qui sont dans l’assemblée, applaudissent volontiers à ceux qui font bien.

CLITON.

Ah ! que des Théâtres dont tu parles, et de celui dont il s’agit, la différence est grande !

ARLEQUIN.

Comment donc ?

CLITON.

Un seul homme aposté, tapis obscurément dans un coin, peut susciter injuste mène du trouble ; et ce qui fait trembler... c’est qu’en matière de plaisirs le plus honnête homme laisse surprendre sa justice La critique lui paraît fausse, mais la critique le ragoûte ; et faiblement arrêté par le peu d’importance de l’objet, sa probité et ses lumières sont entraînées par la multitude.

ARLEQUIN.

En ce cas, il faudrait...il faudrait... Ma foi, je ne sais pas trop quel remède on peut trouver à cela.

CLITON.

Ah ! si un Auteur pouvait parler au Public, combien il lui représenterait qu’après avoir fait tous ses efforts pour lui plaire, il a des droits sur son indulgence, et...

ARLEQUIN.

Mais : dis-moi un peu. Il faut que ton ouvrage soit mauvais, puisque tu marques tant de crainte.

CLITON.

Ah ! pourrais-je regarder comme mauvais un ouvrage où j’ai tant pris de soin d’étudier le goût du Public ? mais oser répondre qu’il soit sans défaut, c’est ce qui serait téméraire : une pareille perfection serait surnaturelle, et je voudrais avoir ce secret.

ARLEQUIN, d’un ton de Maxime.

Va, le meilleur de tous les secrets est d’avoir un vrai désir de bien faire.

CLITON.

En ce cas, je pourrais me flatter.

ARLEQUIN.

Sois donc plus tranquille : conçois quelqu’espérance, et retourne où tes affaires t’appellent.

CLITON, après un temps.

L’image du danger que tu as couru, et ton bon sens naturel me rappellent à moi même. Eh ! qui pourrait, aujourd’hui ne pas désirer de bien faire ? qui voudrait n’être pas digne d’un siècle où règne une si noble émulation, où tout annonce, tout respire la gloire ; d’un siècle, qui n’étant pas encore à la moitié de son cours, a déjà surpassé les temps célèbres et lumineux qui l’ont précédé ; et qui, avec plus de vérité, d’intelligence et de courage, sait par des routes nouvelles se frayer un chemin au Temple de mémoire ?

ARLEQUIN.

Va donc, et retiens bien un mot que je trouve dans mon petit génie : c’est qu’on n’est point en droit de se plaindre quand on doit être jugé par les Spectateurs les plus éclairés.

 

 

COMÉDIE

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

MADAME ROGER, seule

 

Voyons comment je puis vaincre ma destinée.

J’aime Colin avec fureur,

Et pour Toinon ma fille aînée,

Colin fait voir la plus sincère ardeur.

Seront-ce mes soins, mes promesses,

Des attentions, des caresses,

Qui changeront l’ingrat ? équivoques moyens !

Je sais former d’autres desseins,

Et je prétends, quoi qu’il arrive,

Qu’on en soit instruit aujourd’hui.

Toinon, d’abord, que je connais craintive,

Se gagnera plus aisément que lui...

Eh ! quoi ! toujours dans les familles,

Faudra-t-il qu’une veuve, au plus beau de ses ans,

Parce qu’on lui verra deux filles,

Se voie enlever les Amants ?

Les sottes vous font les gentilles,

Et la mère ira donc enterrer ses appas !

Non, parbleu ! non ; cela ne sera pas.

Aux risques de ma vie, il faut que je m’emploie

À finir un tourment que je ne puis souffrir.

Oui. Je mourrais plutôt que de lâcher ma proie ;

Et, par ma foi, je ne veux pas mourir.

Holà ! Toinon ! Toinon !

 

 

Scène II

 

MADAME ROGER, TOINON

 

MADAME ROGER.

Approchez. Quelle crainte ?

D’un ton dur.

Rassurez-vous.

TOINON, tremblante.

Ma mère...

MADAME ROGER.

Oh ! point ici de feintes,

Il faut, en ce moment,

Répondre sans déguisement.

Parlez : le mariage a-t-il de quoi vous plaire ?

TOINON.

Comment ?... sincèrement ?

MADAME ROGER.

Sincèrement.

TOINON, riant d’un air niais.

Eh ! oui, ma mère.

MADAME ROGER.

Oh ! je n’en doute nullement.

Aimeriez-vous, tout au contraire,

Objet de mon juste courroux,

À rester toujours fille, à vivre sans époux,

Et dans une triste clôture,

Du pain bis et de l’eau pour toute nourriture...

À périr, en un mot, à périr sous mes coups : 

Car je suis peu dissimulée ;

Oui, de mes propres mains à vous voir étranglée ?

Elle fait le geste.

TOINON, reculant.

Eh ! bons Dieux !...

MADAME ROGER.

Hem ! Parlez ?

TOINON.

Oh ! pour celui-là, non.

MADAME ROGER.

Décidez cependant. Si vous gardiez dans l’âme

Un sentiment hors de saison :

Si de Colin vous écoutiez la flamme ;

Si vous osiez songer à devenir sa femme,

Ce dernier sort vous est tout préparé.

Vous rougissez, et je vois votre peine ;

Mais sachez que je dois vous pourvoir à mon gré.

Du fort qui vous attend, vous voilà bien certaine.

Pour en douter : le fait est trop bien éclairci.

Une autre est pour Colin. Pour vous un autre aussi.

TOINON.

J’entends. Vous prendrez donc pour vous Colin, ma mère ?

MADAME ROGER, ironiquement.

Pour moi ! pour moi, Colin ! pour moi ! quelle chimère !

La sotte ! J’ai bientôt trente-cinq ans, je crois :

Colin en a vingt-huit. Avec cette distance,

Colin serait pour moi !

Colin m’engagerait sa foi !

On nous verrait d’intelligence,

Nous unir et passer les jours les plus heureux !

Plein d’amour, de reconnaissance,

Il me rendrait mille soins amoureux !

Juste Ciel ! quelle impertinence !

Mais, mais voyez un peu, voyez quelle apparence !

TOINON.

Quel mal vous a-t-il fait pour me le refuser ?

MADAME ROGER.

Quel mal ? Il ne m’a fait ni bien ni mal, je pense ;

Mais, allons, c’est assez causer.

Faites ce que je vous commande :

Si Colin vient ici, renvoyez-le aussitôt.

Dites-lui qu’au plutôt,

Près de moi, je veux qu’il se rende,

Et que je le demande.

Elle fait un air sévère en se retirant.

TOINON.

Hélas !

 

 

Scène III

 

AGATHE, TOINON

 

AGATHE.

Qui la fait donc, ma sœur, parler si haut ?

TOINON.

Ah ! tu me vois désespérée,

Et voici bien du changement.

Elle réforme mon Amant,

Je n’étais guère préparée

À ce cruel événement.

Oui, de Colin, me voilà séparée.

AGATHE.

Que me dis-tu ? mais... qu’elle n’aille pas,

Dans cette réforme nouvelle,

Songer au mien. Ma frayeur est mortelle.

S’agit-il de Scapin ? tire-moi d’embarras.

TOINON.

Non. C’est de Colin seul. Elle prétend, dit-elle,

Que j’en épouse un autre.

AGATHE.

Ah ! plutôt le trépas,

Que d’obéir ainsi ! la chose est impossible.

TOINON.

Mais si tu la voyais, avec un air terrible,

Te menacer du sort le plus affreux,

Te serait-il permis de consulter tes feux ? 

Je suis, autant que toi, sensible,

Et je vois que malgré mes soupirs, mes regrets,

Je perdrai Colin pour jamais.

AGATHE.

Eh ! quel est donc l’époux qu’on te destine ?

TOINON.

Ah ! tel qu’il soit, je le hais à la mort.

AGATHE.

Attends un peu, que je devine.

Calculons. Je trouve, d’abord,

Le Maître de la grande Auberge,

Alain, Simon, Guillot, Thibault,

Le Neveu du Concierge,

Et le Fils du Prévôt.

Presque cous ont voulu te plaire,

Sans doute que l’un d’eux ce sera réservé.

TOINON.

Puisse mon cœur en être préservé !

Je vois Colin. Je tremble. Hélas ! que faut-il faire ?

 

 

Scène IV

 

COLIN, TOINON, AGATHE

 

TOINON, continuant.

Agathe, va pour moi

Lui dire qu’il s’éloigne, et qu’il aille à ma mère ;

Car, à présent, je dois

Ne lui marquer que haine et que colère,

Et mon amour pourrait bien me trahir.

Je ferais, sans doute, indiscrète.

Tu penses bien qu’à le haïr

Je ne suis pas encore faite.

Parle-lui doucement.

COLIN, éloigné.

Que veut dire ceci ?

Toinon me voit et détourne la tête.

AGATHE.

Mon cher Colin. Éloigne-toi d’ici.

Va vite chez ma mère.

COLIN, à Toinon, en s’approchant d’elle.

Ouais ! ça n’est guère honnête.

AGATHE, le caressant.

Mon ami...

COLIN.

L’an dirait que je lui fais piquié.

AGATHE.

Non.

COLIN.

Agathe me fait cent fois plus d’amiquié.

AGATHE.

Eh ! ne te fâche pas.

COLIN, se fâchant davantage.

Qu’est-ce qu’ça signifie ?

AGATH E.

Elle t’aime : tu le sais bien.

COLIN.

Sans doute ; mais, par la jarnie,

On ne doit point bouder tout à propos de rien.

 

 

Scène V

 

MADAME ROGER, TOINON, AGATHE, COLIN

 

MADAME ROGER.

Ah ! ah ! près de Toinon, Monsieur Colin s’amuse !

À Toinon.

N’ai-je pas ordonné qu’on me le fît parler ?

TOINON.

Il arrive à l’instant.

MADAME ROGER.

Toujours elle s’excuse !

COLIN.

Tout doux, Madam’Roger. Faut pas la quereller.

C’est nous qui n’avons pas voulu nous en aller.

MADAME ROGER.

Et pour quelle raison ?

COLIN.

Oh ! toute naturelle.

C’est qu’jons plus d’plaisir avec elle.

MADAME ROGER.

Cela n’est point obscur... Mais, c’est fort bien penser.

La jeunesse toujours a droit de nous fixer ;

Cela vient au projet dont je veux vous instruire,

À ses filles.

Lorsque nous serons seuls... Allons, qu’on se retire.

Elles se retirent lentement. À part.

C’en est fait, commençons à remplir mon dessein.

Rappelant Agathe.

Agathe ! Dites donc quelque chose à Colin.

AGATH E.

Adieu, Colin.

COLIN.

Adieu.

 

 

Scène VI

 

MADAME ROGER, COLIN

 

COLIN, à part.

Que de çarimonie !

MADAME ROGER.

Toinon vous plaît toujours ? Voyez quelle manie.

Et ce que c’est que le destin !

Agathe, cependant, est cent fois plus jolie.

COLIN.

Plus jolie ! oh ! nennin, nennin.

MADAME ROGER.

Agathe vous paraît si fort désagréable ?

COLIN.

Je ne dis pas cela : mais l’autre est plus aimable.

MADAME ROGER.

Ah ! chacun a son goût. Cependant tous mes vœux

Seraient que vous fussiez pour elle.

COLIN.

Non, Madame Roger. C’est Toinon que je veux :

C’est elle, entendez-vous ?

MADAME ROGER.

Fatalité cruelle !

Encore un coup, je ne vois pas pourquoi.

Elle est plus jeune, et bien plus caressante.

COLIN.

N’importe. Ça n’fait rien.

MADAME ROGER.

La jeunesse vous tente...

COLIN.

Eh ! vous vous moquez. Tatiguoi !

Quand on aime, c’est maugré soi.

C’est en dépit de tout. Je le sais bien peut-être.

De mon amour, moi, je ne sis pas maître ;

Pis qu’c’est li qu’est maître de moi.

MADAME ROGER.

Je suis au désespoir, et j’ai l’âme saisie

D’un noir chagrin.

COLIN.

Ça fait un’ drôl’ de fantaisie !

Pourquoi ne pas vouloir que je sois pour Toinon.

MADAME ROGER, tendrement.

J’en ai, je vous assure, une bonne raison.

Je désirais de vous avoir pour gendre.

Par-là, je n’y puis plus prétendre.

COLIN.

Plaît-il ?

MADAME ROGER.

Eh ! vraiment non.

Je dois deux mille écus au Concierge. Il me presse

Pour en avoir le payement ;

D’Arlequin son neveu je connais la tendresse,

Il adore Toinon. Dans cet événement

Je compte la donner par accommodement.

COLIN.

Qu’est-ce à dire ? Comment ! Ne peut-il pas attendre ?

MADAME ROGER.

Non.

COLIN.

Si vous lui devez, vous pouvais bien lui rendre.

MADAME ROGER.

L’argent me manque.

COLIN.

Eh ! tant qu’il vous plaira.

Faut-il donc que Toinon pâtisse pour cela ?

MADAME ROGER.

Pâtir ! oh ! point du tout, c’est un garçon fort sage.

COLIN.

Morgué !

MADAME ROGER.

Fort doux.

COLIN.

Sanguoi !

MADAME ROGER.

Fort entendu.

COLIN.

J’enrage !

Ah ! ma pauvre Toinon, adieu donc notre amour !

MADAME ROGER.

Mais qu’avez-vous tant à vous plaindre,

Quand vous pouvez trouver le plus tendre retour ?

Car Agathe, entre nous, a toujours voulu feindre ;

Mais j’ai su remarquer son secret désespoir,

Quand votre attachement pour Toinon s’est fait voir.

COLIN.

Eh ! non, non, s’il vous plaît, alle rit, me caresse ;

Mais tout ce qu’elle en fait, c’n’est que par politesse.

Le cœur ne ly dit rien. Ce n’est pas com’Toinon ;

C’est froid. Ce n’est pas là de l’amour, tout de bon.

MADAME ROGER.

Eh ! que vous savez mal comme une femme pense !

Un amour sérieux se donne un air badin.

On couvre un vrai penchant d’une faible apparence.

Tenez, Monsieur Colin, Épanouissez une rose ;

Le tissu délicat qu’elle enferme en son sein,

Est plus vif en couleur, et d’un plus beau carmin,

Que ce qu’au dehors elle expose ;

Notre cœur est la même chose.

COLIN.

Mais le cœur de Toinon est encor plus...

MADAME ROGER.

Cessez ;

Ou soyez pour Agathe, ou rompons ; finissez.

COLIN.

Non, il n’ia rien à faire.

MADAME ROGER.

Faites réflexion sur ce que je vous dis.

COLIN.

Vous ne gagnerais rian.

MADAME ROGER.

Je vous en avertis.

Songez-y.

COLIN.

Non, non, non. Mais, je n’saurais m’en taire.

Voyais la plaisante raison !

Parce que vous devez, moi, je perdrai Toinon !

En agissant comme vous faites,

C’est sur moi que tombent les coups ;

Et c’est-il bian juste, entre nous,

De me faire payer vos dettes ?

MADAME ROGER.

Vous voulez raisonner, eh ! bien, n’en parlons plus.

Il ne faut pas tant de mystère :

Je vous laisse y penser ; ce sera votre affaire.

S’il faut qu’Agathe encore excite vos refus,

Cherchez fortune ailleurs ; nos liens sont rompus.

Elle rentre.

 

 

Scène VII

 

COLIN, seul

 

Mais qu’alle est inhumaine !

Où diantre a-t-elle été s’imaginer tout ça ?

Aimez, et n’aimez pas. Est-c’ que l’amour se mène

De cette façon-là ?

Agathe est plus jolie, Agathe vous estime ;

C’est un mauvais discours, ça n’est pas légitime.

Ah ! quelle trahison ! Je me sens transporter ;

Queu parti prendre ? Allons, il faut nous consulter.

On entend le tambour.

J’aperçois le Prévôt. Palsangué, c’est un drôle

Qu’est savant, qu’est bien avisé,

Et qui sait tourner la parole ;

Il faut qu’à nous servir je l’rendions disposé.

 

 

Scène VIII

 

LE PRÉVÔT, passant précipitamment sur le Théâtre, COLIN

 

COLIN.

Hai ! M. le Prévôt, arrêtais, je vous prie.

LE PRÉVÔT.

Que veut Colin ?

COLIN.

Venais.

LE PRÉVÔT.

Allons, parle, expédie.

Dis ton affaire promptement,

Car voici le moment

Où tout le Village s’assemble.

Je vais donner le prix de mille soins ensemble ;

Je suis occupé.

COLIN.

Bon ! vous m’avais cent fois dit

Qu’ous aviais de l’esprit.

LE PRÉVÔT.

Parbleu ! je le crois bien.

COLIN.

Nous l’allons voir paraître.

Tirez-moi d’embarras.

LE PRÉVÔT.

Qu’est-ce que ce peut être ?

Un rien, sans doute.

COLIN.

Acoutez-moi.

LE PRÉVÔT.

Je gagerais presque avec toi

Que ce que tu te mers dans ta faible cervelle

N’est qu’une bagatelle.

COLIN.

Vous l’allais voir.

LE PRÉVÔT.

Voyons.

COLIN.

Ça regarde, Toinon.

LE PRÉVÔT.

Soit.

COLIN.

J’avons de l’amour pour elle.

LE PRÉVÔT.

Après.

COLIN.

J’avions compté l’épouser.

LE PRÉVÔT.

Pourquoi non ?

COLIN.

V’là qu’Madame Roger vient me chercher querelle.

LE PRÉVÔT.

Fort bien !

COLIN.

Al’ne veut plus parmettre notre amour :

Faut y renoncer dès ce jour.

Et ç’qui rend ma tendresse encor plus malheureuse,

C’est que comme voilà nos projets renvarsés,

Toinon se refroidit, alle devient boudeuse.

LE PRÉVÔT.

Eh ! bien, est-ce là tout ?

COLIN.

Morgué ! c’est bian assez.

LE PRÉVÔT.

Quoi ! voilà donc ce qui t’attriste ?

Va, je calmerai ton chagrin.

Ce n’est pas à moi qu’on résiste.

Quoiqu’occupé d’ailleurs, j’entreprends ton destin.

Dès que j’aurai parlé, je prétends que soudain

Madame Roger se désiste

D’un semblable dessein.

De même qu’un torrent qui descend des montagnes,

Dans son rapide cours, traversant les campagnes,

Renverse en même temps les frêles arbrisseaux,

Entraîne les cailloux par le poids de ses eaux,

Et semblant n’écouter qu’une aveugle furie,

Fertilise, en passant, une tendre prairie,

De même, par deux mots, je prétends réformer

Tous les projets divers qui peuvent t’alarmer.

COLIN.

Morguoi !...

LE PRÉVÔT.

Point de plainte importune.

Oui, deux mots de ma part changeront ta fortune.

COLIN, tristement.

Vous le comptais ainsi : mais il reste à savoir

Si vous en aurais le pouvoir.

LE PRÉVÔT.

C’est une chose faite. Et qui, par parenthèse,

Sera donc l’Époux de Toinon ?

COLIN.

Arlequin.

LE PRÉVÔT.

Arlequin ! Comment donc, ce glouton,

Ce balourd ?

COLIN.

Oui, lui-même.

LE PRÉVÔT.

Ah ! ne leur en déplaise,

Cela ne sera pas. Un tel choix est fort bon !

Le bel époux ! le plaisant mufle !

Avec son air grossier, son visage de truffe !

Pour de galants desseins, le croira-t-on formé,

Lui qui jamais n’a rien aimé,

Et sur qui l’estomac eut toujours trop d’empire,

Pour qu’un pareil sujet ait un cœur qui soupire ?

Va, dans l’occasion, tu m’entendras parler.

Tu verras si quelqu’autre y peut mieux exceller ;

Et dans le plus fort de l’orage,

Je prétends écarter jusqu’au moindre nuage.

COLIN.

Ah ! tout ce biau jargon

Ne nous garantit pas que j’obtiendrons Toinon.

 

 

Premier Divertissement

 

Air.

Apprenez par ma voix le vrai moyen de plaire.
Il faut, par mille soins, enchaîner sa Bergère.
Un jour le jasmin amoureux
Disait à l’humble violette :
Je t’aime ; élève-toi, Brunette.
Viens. Formons d’agréables nœuds.
La jeune fleur lui dit : ta tendresse m’est chère :
Mais, fais pencher sur moi,
Ta feuille légère,
Si tu prétends m’unir à toi.
Apprenez par ma voix le vrai moyen de plaire.
Il faut par mille soins, enchaîner sa Bergère

Vaudeville.

Un Amant agile
Remporte le prix :
On n’est point épris
D’un Amant tranquille.
Aimer gaiement, et faire un saut
Bien haut ;
Voilà ce qu’il faut.

Mon père et ma mère.
S’inquiètent fort
Quel sera mon sort. 
Pour me satisfaire,
Qu’on me marie avec Thibaut,[1]
Bientôt ;
Voilà ce qu’il faut.

On danse.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

TOINON, AGATHE

 

AGATHE.

Ah ! ma sœur, j’en frémis encore.

Tu me l’avais bien dit. Dieux ! quel air menaçant !

A-t-on jamais donné quelqu’ordre plus pressant ?

Il faut donc renoncer à tout ce que j’adore !

Je dois aimer Colin : le caresser ! hélas !

Que deviendra Scapin ? il n’y survivra pas.

TOINON.

J’éprouve une plus rude gêne,

Et cette différence est, du moins entre nous,

De caresser Colin ; cet ordre est bien plus doux,

Que de lui marquer de la haine.

AGATHE.

Comment faire pour obéir ?

J’aurai beau vouloir me contraindre,

Mes yeux ne savent pas mentir.

Mais à quoi sert-il de nous plaindre ?

Il faut nous perdre, ou consentir.

Quand on veut répliquer : j’ai mes raisons, dit-elle.

TOINON.

Et moi, quand je voulais parler, lui reprocher

Qu’elle était bien cruelle ;

Elle m’a dit, pour me toucher :

« Va, ma fille, Arlequin est un très bon partage.

« Quelque jour, de son oncle, il aura le magot.

« Tu ne sais pas tout l’avantage

« Que l’on trouve en prenant un époux un peu sot. 

Levant les épaules.

Je ne vois pas pourquoi je n’ai pu lui répondre,

Et, de toutes façons, elle a su me confondre.

 

 

Scène II

 

COLIN, TOINON, AGATHE

 

AGATHE, à Toinon.

Voilà Colin.

TOINON.

Obéissons...

COLIN, à part.

Morgué, tout ceci me tracasse.

AGATHE, s’efforçant de paraître contente.

Ah ! Colin, approchez.

COLIN.

Lorsque je paraissons,

Agathe est toujours gaie.

AGATHE, d’un air d’amitié.

Eh ! sors donc de ta place.

Viens donc ici, Colin.

COLIN, se remuant à peine.

Je venons...

AGATHE.

Dans l’instant,

Thibaut a remporté le prix : mais je t’assure

Que j’aurais eu le cœur mille fois plus content

De te voir triompher en pareille aventures.

COLIN, regardant Toinon.

Ly’en a qui, là-dessus, n’en diraient pas autant.

TOINON, s’efforçant.

Oh ! certainement, non.

COLIN.

La réponse est polie !

Tapant du pied.

Jarnonce ! faut-il donc que j’endurions ainsi,

Son himeur et sa parfidie !

Je voyons bian par tout ceci,

Qu’il gn’avait, de sa part, que de la tricherie,

Et que cet amour-là n’avait rian de certain.

TOINON.

Mais, après tout, écoutez donc Colin,

Quand la fortune est rigoureuse,

Il faut bien se soumettre et changer de desseins

L’amour est fait pour rendre heureuse.

J’ai bien affaire, moi, de gémir, de pleurer.

Peut-être de mourir : cessez de l’espérer.

COLIN.

Mais, c’est penser fort bien ! rian n’est plus raisonnable !

Et vous nous apprenais ce que je n’savions pas.

AGATHE.

Te fais-je un traitement semblable ?

Que ne me parles-tu ? suis-je donc sans appas ?

COLIN.

Vous ? non, morgué !

TOINON, à Colin.

Suivez les ordres de ma mère.

Pouvez-vous empêcher ce qu’elle a résolu ?

COLIN, outré.

Non, je ne pouvons pas, et v’là qu’est donc conclu ?

Quoi ! c’est donc tout de bon qu’ous faites la sévère ?

AGATHE.

Mais que gagneras-tu de te tant tourmenter ?

Devrais-je si fort te déplaire ?

Faisant à Colin un regard, auquel il fait attention.

TOINON.

Agathe assurément sur moi doit l’emporter.

COLIN.

Oh ! dans ce moment-ci, je n’ons plus de résarver.

Tenais, y g’ny a qu’un mot qui sarve.

M’aimais-vous, Toinon ?

TOINON, s’efforçant.

Point du tout.

COLIN.

Et vous Agathe ?

AGATHE, s’efforçant.

Moi, beaucoup.

COLIN.

Point du tout, et beaucoup : ça fait un différence : 

Dame ! à la fin, Toinon, je pardrai patience.

TOINON.

Tout comme vous voudrez.

AGATHE, raccommodant son bouquet.

Ah ! cela s’est défait !

Colin, ne peux-tu pas rattacher mon bouquet ?

COLIN, à part.

Agathe, en vérité... Je vois bian qu’alle m’aime,

Alle voudrait m’avoir.

AGATHE.

Viens donc.

COLIN, à part.

Je serais bian ennemi de moi-même,

Si je la rebutais.

AGATHE, raccommodant toujours son bouquet.

Eh ! bien, j’ai beau vouloir...

Je ne puis...

COLIN, s’approchant un peu d’Agathe.

Rattacher ?...

AGATHE.

Oui.

COLIN, à part.

Sa mine est piquante.

Se rapprochant encore plus.

Rattacher ?

AGATHE.

Oui.

COLIN, riant un peu.

Hai ! hai !...

À part.

Sa taille est bian charmante.

Rattachant le bouquet.

Voyons... Çà, v’là qu’est fait...

Après un grand soupir.

Eh ! bien, Mam’sell’ Toinon.

Faut pas gémir, pleurer ; ça vous f’rait du dommage.

Je trouve qu’ous avais raison :

N’en faut pas parler davantage.

TOINON.

Tant mieux.

COLIN.

Tant mieux aussi.

TOINON.

Tant mieux assurément.

COLIN.

Je ne m’en dédis pas.

TOINON.

Je me sens soulagée.

COLIN.

Je ne m’en repens nullement.

AGATHE, à part.

Quels efforts il faut faire ! où me suis-je engagée !

COLIN, faisant une cabriole.

Morgué ! c’est s’en tirer assez gaillardement !

Il fait des caresses à Agathe

 

 

Scène III

 

MADAME ROGER, ARLEQUIN, TOINON, AGATHE, COLIN

 

MADAME ROGER, tenant Arlequin par la main.

Venez, mon cher, venez.

Regardant Toinon et Agathe qui paraissent rêver.

Hein ?

Elles reprennent aussitôt un air gai.

Paraissez, mon gendre.

TOINON.

Bonjour, cher Arlequin.

AGATHE, donnant le bras à Colin.

Voilà mon cher Colin.

COLIN.

Eh ! oui, j’nous en moquons ; j’n’irons pas nous en pendre.

Montrant Arlequin.

Velà, parguienne, un beau bijou !

ARLEQUIN, à Toinon d’un air niais.

Mademoiselle, en venant devant vous,

Vous savez le bonheur auquel j’ose prétendre.

Je m’embarrasse peu des discours des jaloux ;

Je crois qu’avec plaisir vous voudrez bien vous rendre,

Et suivre aujourd’hui votre Époux.

TOINON, avec une joie sincère.

Le joli compliment !

ARLEQUIN, riant.

Oui, je viens de l’apprendre.

MADAME ROGER, bas à Arlequin.

Paix donc. Agathe, allez avec Colin.

J’irai vous retrouver tous deux dans le jardin.

Ironiquement.

Quand on doit s’épouser, on peut causer ensemble.

AGATHE.

Allons.

COLIN, en montrant Arlequin.

Ah ! qu’en galant ! à qu’est-ce qu’il ressemble ?

Par ma foi, ça serait bian manquer de çarviau,

Si nous étions jaloux d’un semblable musiau !

Agathe et lui s’en vont en riant.

 

 

Scène IV

 

MADAME ROGER, ARLEQUIN, TOINON

 

MADAME ROGER.

Le dépit fait parler ; mais il n’en faut que rire,

Et le cher Arlequin vaut cent fois mieux que lui.

Toinon, vous le savez : ce n’est pas d’aujourd’hui,

Que pour vous Arlequin soupire.

ARLEQUIN.

Ce n’est pas d’aujourd’hui : non. Attendez... Je vais

Vous dire le temps à peu près...

MADAME ROGER, à Toinon.

Vous devez là-dessus être reconnaissante.

TOINON.

Ma mère, il faut en convenir.

Colin m’était promis, nous devions nous unir.

Dans cet espoir j’étais contente,

Et votre ordre, d’abord, m’a semblé rigoureux :

Mais que servirait-il d’écouter ma tendresse ?

Vous me feriez passer des jours trop malheureux.

Mon fort est d’obéir ; vous êtes la maîtresse :

Et s’il faut, au surplus, m’expliquer sur ce cas ;

Oui, sans déguisement, s’il faut que je m’exprime,

Arlequin... ne me déplaît pas.

ARLEQUIN, sautant de joie.

Je ne vous déplais pas ? Oh ! tenez, ça m’anime.

MADAME ROGER, à part.

Bon !...

À Toinon.

C’est parler très sagement,

Et comme une fille bien née.

Aimez-vous, mes enfants, aimez-vous constamment.

Je prendrai toujours soin de votre destinée.

À part.

Mais je dois voir en ce moment

Ce que devient Agathe auprès de son Amant.

En souriant.

Et pour cause, il n’est pas honnête

De les laisser trop longtemps, tête à tête.

Elle rentre.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, TOINON

 

ARLEQUIN.

Jr vous plais ?

TOINON.

Vraiment, oui.

ARLEQUIN.

Je ne me connais plus,

Et ce mot-là m’enchante.

Oh ! le petit minois ! quand je me représente.

TOINON.

Oh ! je veux laisser-là les regrets superflus.

Que j’aurai de plaisir qu’on m’appelle Madame !

ARLEQUIN.

C’est fort bien dit. Ah ! ça : quand vous serez ma femme,

Vous m’aimerez encor ?

TOINON.

Plus encor qu’à présent.

Je compte vous aimer, et de toute mon âme.

ARLEQUIN.

Et vous aurez aussi l’esprit doux, complaisant ?

TOINON.

Oui.

ARLEQUIN.

Quand un mari parle...

TOINON.

Il faut que l’on l’écoute.

ARLEQUIN.

Et du respect ? Je veux du respect.

TOINON.

Oh ! sans doute.

Vous avez bien raison.

ARLEQUIN.

Par exemple ; le soir, je rentre à la maison.

Il fait comme s’il arrivait.

Dès que vous me voyez, d’abord la révérence.

TOINON, faisant la révérence.

Oh ! oui, comme cela.

ARLEQUIN.

Plus bas, plus bas, plus bas.

Bon ! Ensuite, on commence

À manger... là-dessus, je ne badine pas :

Il faut toujours un grand repas,

Si vous voulez avoir la paix dans le ménage.

TOINON.

Vous aurez bonne chère et toujours de bon vin.

ARLEQUIN.

Et Colin viendra-t-il ?

TOINON.

Non, jamais de Colin.

ARLEQUIN.

Ainsi, je ne dois pas craindre le colinage ?

TOINON.

Oh ! non, très sûrement.

ARLEQUIN.

En ce cas, tout va bien.

Oh ! qu’elle a de beaux yeux ! oh ! la petite Reine !

Avec moi soyez bien certaine

Que vous ne manquerez de rien ;

Car je suis riche au moins !

TOINON.

Qu’importe la richesse !

ARLEQUIN.

Oh ! si fait, si fait ; il en faut :

Et comme je crois que bientôt,

Mon oncle aura la politesse

De me laisser tous ses écus.

Se réjouissant.

Oh ! Dame ! c’est alors...Dites-moi, je vous prie ;

Aimeriez-vous à voir Paris ?

TOINON.

J’ai là-dessus,

Puisqu’il faut l’avouer, une très forte envie.

ARLEQUIN, d’un air important.

Je vous y mènerai.

TOINON.

C’est un lieu tour charmant,

Où l’on voit le plaisir régner incessamment,

Où l’on fait, m’a-t-on dit, d’agréables parties.

ARLEQUIN.

Je compte y dépenser considérablement.

TOINON.

Ah ! qu’est-ce qu’un endroit nommé les Tuilleries ?

Et dont ici l’on parle à tout moment ?

ARLEQUIN.

C’est un très grand jardin.

TOINON.

On dit qu’il est superbe ?

ARLEQUIN.

Dans l’été, l’on y va sitôt qu’on a dîné.

Après s’être bien promené,

On va s’asseoir, et l’on cause sur l’herbe.

Puis on passe le pont, on va le long de l’eau.

À la collation ensuite on se prépare.

On mange du croquet, on mange du gâteau,

On boit du cidre... Enfin...

TOINON.

Une autre chose rare

Que j’aurais grand désir de voir

Serait la Comédie.

ARLEQUIN.

Oh ! rien n’est plus facile.

Cela se voit au Faubourg de la Ville.

D’abord, quand vous entrez, c’est un endroit tout noir :

Mais on allume après, on entend la musique ;

Un violon ou deux, quelquefois jusqu’à trois.

Tout au fond l’on découvre un tableau magnifique.

On fait jouer une pièce comique

Par des Comédiens... petits, qui sont de bois ;

Mais qui parlent très bien ; qui font venir pratique.

Oh ! dès que vous voudrez, nous n’aurons qu’à partir,

Je n’épargnerai rien pour vous bien divertir.

TOINON.

Ah ! de tous ces plaisirs je me fais une image

Qui, de votre côté, de plus en plus m’engage.

Vous me semblez tout fait pour être un bon Époux ;

Colin causait mes pleurs, et je ris avec vous.

 

 

Scène VI

 

MADAME ROGER, AGATHE, COLIN, ARLEQUIN, TOINON

 

MADAME ROGER.

De vous voir tous d’accord ma joie est sans pareille ;

J’ai toujours bien compté trouver des cœurs soumis.

COLIN.

Morgué ! Madam’Roger, je som’de vos amis :

Vous avez tourné çà tout comme une marveille.

J’ons voulu résister d’abord au premier choc,

Et j’avions de la répugnance ;

Mais je ne pardons pas au troc ;

Agathe vaut bian mieux, elle a de la constance ;

Avec Mam’sel’Toinon, gny a pas de sûreté.

Son cœur est un peu trop porté

Du côté de l’obéissance.

Toinon caresse Arlequin.

Voyez-vous les façons ? queulle infidélité !

ARLEQUIN, à Colin.

Museau !

TOINON, à Colin.

Sur mes façons tout droit vous est ôté.

ARLEQUIN, à Colin.

Museau ! museau ! notre museau sait plaire.

COLIN.

Oh ! tu peux, à présent, lui plaire en liberté.

MADAME ROGER.

Et vous ! que dites-vous, Agache ?

AGATHE, se contraignant.

Moi ! ma mère ?

Ah ! mon cœur est charmé ! demandez à Colin,

Si, sur mes sentiments, il peut être incertain ?

COLIN, prenant le bras d’Agathe.

Moi ! je suis trop joyeux. J’n’ons rian que je regrette ;

Et tous deux je vivrons d’une union parfaite.

 

 

Scène VII

 

LE PRÉVÔT, MADAME ROGER, COLIN, TOINON, AGATHE, ARLEQUIN

 

LE PRÉVÔT, tout essoufflé.

Hé ! Madame Roger, vous me faites courir !

Où vous cachez-vous donc ? Je suis prêt à périr,

Tant je suis essoufflé. Vous craignez ca censure,

Vous comptez m’échapper ; mais, non, je vous assure.

MADAME ROGER.

Comment donc ! quel sujet peut si fort vous aigrir ?

LE PRÉVÔT.

Quel sujet ?

MADAME ROGER.

Oui, n’en faites point mystère. 

LE PRÉVÔT.

Quel sujet ?

MADAME ROGER.

Oui ; d’où vient votre colère ?

LE PRÉVÔT.

Quoi ! vous le demandez ?

Avec Colin, quels sont vos procédés ?

Toinon...

MADAME ROGER, riant.

C’est cela !

COLIN, riant.

Bon !

MADAME ROGER, riant.

Tempérez votre bile.

TOINON, riant.

Il fallait paraître plutôt.

ARLEQUIN, riant.

Ha, ha, ha !

LE PRÉVÔT, les regardant tous.

Qu’est-ce donc ?

COLIN.

Oui, Monsieur le Prévôt.

Votre aloquence est inutile.

Si Toinon a beaucoup d’appas,

J’en trouvons, pour le moins, autant à sa cadette.

Un article d’ailleurs que je ne savions pas ;

Agathe avait pour nous une amitié secrète.

Cela fait bian des changements.

Je rompons nos engagements.

Las de poursuivre une volage,

Las des soupirs et des tourments,

Tout franchement, je me dégage,

Et ça devrait sarvir de leçon aux Amants.

LE PRÉVÔT.

En ce cas, c’est toute autre chose.

MADAME ROGER, au Prévôt.

Oui, je donne Agathe à Colin.

Toinon sera pour Arlequin.

ARLEQUIN.

Pour le museau.

LE PRÉVÔT.

Comment ! tout exprès je compose

Un discours suivi !... mais enfin

Bien mieux que moi vous savez vos affaires.

Chacun est maître de son choix.

Mes soins n’étant plus nécessaires,

Je vais trouver nos autres Villageois

Qui veulent préparer une fête nouvelle.

Voyez si le cœur vous en dit,

L’assemblée en sera plus belle.

MADAME ROGER, au Prévôt.

Au défaut du discours si beau, si plein d’esprit,

Nous acceptons cette partie.

LE PRÉVÔT.

Jamais je n’employai tant d’adresse en ma vie ;

Jamais discours ne fut plus rempli de génie ;

J’ai du regret, en vérité,

Qu’on n’ait pas pu juger de ma subtilité.

Il rentre.

 

 

Scène VIII

 

MADAME ROGER, TOINON, COLIN, AGATHE, ARLEQUIN

 

MADAME ROGER

Il faut se préparer pour paraître à la fête.

Vous, Colin, demeurez. Laissez-nous un instant,

Nous nous verrons.

ARLEQUIN, donnant la main à Toinon.

Pour moi, glorieux et content,

Je m’en vais, sur le poing, emmener ma conquête.

 

 

Scène IX

 

COLIN, seul

 

Qui l’aurait pu penser que j’irais quelque jour

Laisser Toinon pour prendre Agathe ?

Oh ! Dame ! on charche ce qui flatte.

On sait corriger son amour.

L’une est agriable, mutine :

Al’ plaît par sa vivacité.

L’autre, toujours sombre et chagrine,

À si bian fait qu’alle m’a rebuté.

Car, pour parler avec franchise,

Depis longtemps, au fond du cœur,

Je crois que, pour Toinon, j’n’avions plus tant d’ardeur.

Je n’ons pas fait une sottise :

Non, pargué. J’allons obtenir

Un objet plein d’appas, bian digne qu’on le prise ;

Et qui déjà voudrait, de bon cœur, nous tenir.

Pendant les derniers Vers, Madame Roger passe au fond du Théâtre avec Scapin, et rentre.

 

 

Scène X

 

SCAPIN, COLIN

 

SCAPIN, tenant un gros bâton à la main.

Parle donc, certain bruit, qui court dans le Village,

Est venu jusqu’à moi.

J’entends parler de mariage ;

Et de qui ? D’Agathe avec toi ?

COLIN.

Oui, sans doute.

SCAPIN.

Avec toi !

COLIN.

C’est une chose sûre.

Eh ! oui, Monsieur Scapin, c’est la vérité pure ;

J’allons engager notre foi.

Regardant le bâton.

Pourquoi donc ce gourdin ?

SCAPIN.

Pour te fendre la tête.

COLIN.

Peste !

SCAPIN.

Il faut que tu sois bien bête.

Pour croire que, quand tous les deux,

Agathe et moi, brûlons des mêmes feux,

J’irai te la céder.

COLIN.

Votre erreur est extrême ;

Car, à présent... c’est moi qu’alle aime.

SCAPIN.

Pauvre sot ! Tiens, regarde bien ceci.

Dans la forêt la plus prochaine

Cherches-en un pareil ; oui, tel que celui-ci :

Si tu prétends encor qu’Agathe t’appartienne,

Que l’un de nous deux tombe à bas.

Par le seul effort de son bras,

Oui, que l’un de nous deux l’obtienne.

COLIN.

Vous êt’ trop mon ami. Non, ce n’est pas la peine.

SCAPIN, levant le bâton.

Ah ! tu veux plaisanter !

COLIN.

Holà donc, je soutian

Qu’Agathe est, envars vous, entièrement changée,

Et que de m’épouser alle s’est obligée.

SCAPIN.

Tu mens impunément.

COLIN.

Non, je n’ajoutons rian.

D’ailleurs, Madam’Roger n’est-elle pas Maîtresse ?

SCAPIN.

Maîtresse ?

COLIN.

Oui, de choisir le gendre qui lui plaît.

SCAPIN.

Écoutez donc raisonner ce benêt...

Plus d’explication : un tel propos me blesse.

COLIN.

Encore un coup, allais vous informer

Si c’est sa volonté ; c’est alle qui décide.

SCAPIN.

Je ne prends point sa volonté pour guide ;

Et la mienne et de t’assommer.

COLIN.

Mais il faut s’éclaircir...

SCAPIN.

Je ne veux rien entendre.

COLIN.

Tout chacun vous dira qu’alle me veut pour gendre.

SCAPIN, s’emportant.

Ah ! c’est trop, à la fin, m’irriter.

COLIN.

Mais...

SCAPIN.

Tais-toi.

COLIN.

Quoi ! J’ai cédé Toinon...

SCAPIN.

Eh ! que m’importe, à moi ?

Crois-tu, par ce motif, me rendre plus traitable ?

Pourquoi l’as-tu cédée ?

COLIN.

Ah ! voici bien le diable !

SCAPIN, avec emportement.

Agathe, ni Toinon, ni Madame Roger,

Rien, du feu que je sens, ne peut me déranger,

Une mère a des droits : mais si quelque faiblesse

La portait à tenir une telle promesse,

Armé de la fureur des tigres et des loups

On tâcherait, en vain, d’arrêter mon courroux.

J’exterminerais sa volaille.

Elle verrait partout ses troupeaux égorgés.

J’irais, dans ses greniers, brûler jusqu’à la paille ;

Et ses champs, en un jour, seraient tous ravagés...

COLIN.

Ah ! le plus chien de tous les enragés !

À moi. Vite au secours ! Ah ! justice, justice !

 

 

Scène XI

 

MADAME ROGER, SCAPIN, COLIN

 

MADAME ROGER, affectant un air simple.

Qu’est-ce donc ?

COLIN.

Soutenais ici votre pouvoir.

Oui, Madame Roger, faut qu’on vous obéisse.

V’là que Monsieur Scapin veut suivre son caprice.

Il dit qu’il aime Agathe, et qu’il prétend l’avoir.

MADAME ROGER.

Je sais bien que Scapin a soupiré pour elle ;

Mais j’ai toujours compté qu’il y renoncerait.

SCAPIN.

Moi ! renoncer !

COLIN.

Oh ! point.

MADAME ROGER.

Mais cela se devrait.

COLIN.

Eh ! non ; il l’aime de plus belle.

Il jure, il deviant furieux ?

De m’assommer il me menace.

MADAME ROGER.

Accordez-vous de votre mieux.

Encre vous le débat : que veut-on que je fasse ?

COLIN.

Comment, morgué !... vous prenais ce ton-là !

Eh ! quoi ! vous répondais d’un air aussi paisible !...

Eh ! que va dire Agathe à tout cela,

Elle qui, maintenant, croit qu’il est impossible

Que nos liens soyont détruits ?

SCAPIN.

Il veut s’imaginer qu’Agathe est fort sensible ;

Et que pour lui son cœur est fort épris !

COLIN.

Alle l’a fait assez paraître.

À Madame Roger.

Mais, vous-même, parlais, ne l’avais-vous pas vu ?

N’avez-vous pas charché ?...

MADAME ROGER.

Moi ? j’ai bien aperçu

Quelque chose. Au surplus, qui peut y rien connaître ?

COLIN.

Ah ! je crève, à la fin. Ah ! quel retour maudit !

SCAPIN.

Apprends mieux qui je suis, et que je te fais grâce

De ne te pas laisser, dans l’instant, sur la place.

MADAME ROGER.

Pour vous concilier, il faudrait plus d’esprit.

Dans tout cela, moi, j’agis sans finesse.

En regardant Colin.

Hélas ! comme l’on dit, Je ne veux qu’amour et simplesse.

COLIN.

Ô double trahison ! mais, j’en faisons serment,

Je ne céderons pas Agathe, assurément.

 

 

Deuxième Divertissement

 

Vaudeville.

LE PRÉVÔT, entouré des Garçons et Filles du Village

Bien souvent les Amants ont tort.
Dans leur aveugle tendresse.

LE CHŒUR.

Bien souvent, etc.

LE PRÉVÔT.

Mais, sous les cieux, rien n’est si fort
Qu’une amoureuse faiblesse.
Vouloir changer deux cours d’accord,
C’est lutter contre le sort.

LE CHŒUR.

Vouloir changer, etc.

LE PRÉVÔT.

Marinier, qui tenez à bord
Une aimable Passagère.

LE CHŒUR.

Marinier, etc.

LE PRÉVÔT.

Voulez-vous la conduire au port ?
Que votre ardeur soit sincère,
Car, si vous êtes en plein Nord,
C’est lutter contre le sort.

LE CHŒUR.

Car si vous, etc.

LE PRÉVÔT.

Colinette a beau crier fort,
Près de Lubin qui sommeille.

LE CHŒUR.

Colinette, etc.

LE PRÉVÔT.

Rien ne rappelle ce butor :
Lubin fait la sourde oreille.
Réveiller un mari qui dort,
C’est lutter contre le sort.

LE CHŒUR.

Réveiller, etc.

LE PRÉVÔT.

Qui pourra résister encor
Au Souverain de la France ?

LE CHŒUR.

Qui pourra, etc.

LE PRÉVÔT.

Des Alliés le vain effort
Est détruit par sa prudence.
Se liguer contre un Roi si fort,
C’est lutter contre le sort.

LE CHŒUR.

Se liguer contre un Roi si fort,
C’est lutter contre le sort.

 

 

ACΤΕ ΙΙΙ

 

 

Scène première

 

COLIN, AGATHE, SCAPIN

 

COLIN.

Ah ça, Monsieur Scapin, un peu de patience ;

On n’est pas fait pour s’égorger.

Agathe peut parler, qu’al’dise en conscience

Si j’n’avons pas tous deux pris soin d’nous en gager.

SCAPIN.

Soit, j’y consens, puisqu’il faut te confondre.

Agathe, allons, prononcez entre nous.

AGATHE.

Cher Scapin, vous savez ce que je vais répondre.

C’est vous que je veux pour Époux.

Je n’aimerai jamais que vous.

SCAPIN, à Colin.

L’as-tu bien entendu ?

COLIN, tout étonné.

Jamais...

AGATHE, riant.

Votre surprise,

Colin, n’est pas sans fondement ;

Mais il fallait absolument

Que de vous je parusse éprise.

COLIN.

Suis-je bien éveillé ? C’est un enchantement.

Quoi ! quand j’étions fous ce feuillage,

Et que j’voyions voltiger ces Oiseaux,

Vous ne m’avais pas dit : « leur conduite et fort sage ;

« Rian n’est tel que d’être volage.

« Il faut toujours brûler de feux nouveaux ?

AGATHE.

Lorsque je te disais que tu charmais mon âme,

Tu ne m’inspirais nulle ardeur.

Quand je te promettais de devenir ta femme,

Scapin régnait seul dans mon cœur.

COLIN.

Et lorsque vous m’avais, car il faut qu’on s’explique,

Sarré la main bian tendrement ?

Hein ?

SCAPIN.

Que dit-il, Agathe ?

AGATHE.

Il ment.

Va, mon pauvre Colin, ne fais point de réplique.

Dans tous ces faux dehors, mon cœur n’a point trempé :

Sois sûr que je t’ai bien trompé.

SCAPIN, à Colin.

Eh ! bien, d’un bonheur chimérique,

D’un fol espoir, es-tu toujours frappé ?

COLIN.

Ah ! Toinon. Ah ! Toinon.

AGATHE.

Nous allons auprès d’elle.

Pour voir tous les progrès de sa flamme nouvelle.

COLIN, en soupirant.

Mais, pisque vous feignais, me montrant de l’ardeur,

Gny a-t-il pas de feintise aussi dans sa froideur ?

AGATHE.

Oh ! non, te le jure ;

Elle a trop bien accepté la rupture.

Arlequin lui plaît trop. Va, tranquillise-toi,

Et ne compte pas plus sur elle que sur moi.

SCAPIN, à Colin.

Te voilà bien instruit de ce qui me regarde.

Oui, mais n’y reviens pas. Sans adieu. Prends-y garde.

 

 

Scène ΙΙ

 

COLIN, seul

 

Agathe m’a trompé : Toinon ne m’aime plus.

Est-il un sort plus misérable ?

Je passons donc de refus en refus !

Hélas ! ça n’est qu’trop véritable.

Ah ! Monsieur le Prévôt, cherchais votre discours.

C’est à présent qu’il serait bien utile.

Vous serais bian habile,

Si, dans mes embarras, vous me donnais secours.

 

 

Scène III

 

MADAME ROGER, COLIN

 

COLIN.

Eh ! bian, morgué ! vous êtes bian contente !

Vous nous avais conduits d’un’ façon si prudente,

Que v’là donc un amour qui va tout de travars ?

Pleurant un peu.

Sanguienne ! Faut avoir une âme bian méchante,

Pour me causer de semblables revars.

MADAME ROGER, d’un air de bonté.

Pourquoi m’accusez-vous ? Si Toinon infidèle

Depuis longtemps aimait en secret Arlequin,

Pouvais-je faire mieux, voulant vous venger d’elle,

Que vous offrir Agathe, et vous donner sa main ?

Scapin vous intimide ; Eh ! bien, est-ce ma faute ?

Je vous procure un bien : vous souffrez qu’on vous l’ôte.

Ce n’était pas mon sentiment.

En tout, pour vous, mon zèle brille,

Et je voudrais sincèrement,

Que vous fussiez de la Famille.

COLIN.

Je n’accoutons plus vos rébus.

Si Toinon a changé, qui d’nous en est la cause ?

Sont-ce pas vos discours : Morguienne ! est-ce autre chose

Que toutes vos raisons sur vos deux mille écus ?

Quand vous m’avais offert Agathe pour l’échange,

Afin que je me venge,

C’est qu’vous saviais bian que Scapin

Contredirait votre dessein ?

Tenais, Madam’Roger, faut être brave femme ;

Si tous mes maux ne sont pas réparés,

Ça vous attirera du blâme.

Vous le pouvez, si vous le désirez.

Allons, montrais-vous équitable,

Et qu’une bonne fois vous ayais d’la raison.

Laissez-là l’intérêt, et rendez-moi Toinon.

Envars elle je sais que je fis bian coupable.

Oui, je reconnaissons not tort.

Mais, je vais tant crier, je la prierai si fort,

Et je serai si lamentable,

Qu’assurément alle plaindra mon sort.

Vous devais, par honneur, me rendre ce sarvice,

Allons donc, que votre caprice

Fasse un petit effort.

MADAME ROGER, d’un air de bonté.

Eh ! bien, Monsieur Colin, voyez, voyez encore,

Suivez un tendre mouvement,

Une fille est si fort sujette au changement,

Que, quand vous lui direz que votre cœur l’adore,

Elle peut revenir ?

COLIN.

J’ons le pressentiment

Que j’aurons bonne chance ;

Et je vivons encor de ce peu d’espérance.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

MADAME ROGER, seule

 

Tout est bien préparé ; mais trouvons le moment

Ou j’ose découvrir le secret de mon âme...

Eh ! quoi ! je tremblerais ! Ah ! croyons hardiment,

Que je verrai le succès de ma flamme.

Avec un peu d’adresse, un peu d’entendement,

Qui, mon cœur me le dit, je vaincrai sûrement.

 

 

Scène V

 

COLIN, MADAME ROGER

 

COLIN, à la coulisse.

J’entends. C’en est assez. Je vous entends de reste.

S’avançant.

Ah ! pour le coup, il faut mourir,

Et cela devient trop funeste.

Je n’ons trouvé parsonne ; ils sont allés courir.

Oui, dans les champs ils sont allés tous quatre :

Voilà ce que j’apprends !

MADAME ROGER.

Mais, loin de vous abattre,

Et de céder à la douleur,

Qu’un objet plus constant occupe votre cœur.

S’approchant de Colin.

Les filles, par ma foi, sont toutes d’une espèce

Bien fausse et bien traîtresse !

Savez-vous, entre nous, ce qui vous conviendrait ?

Une veuve vous chérirait ;

Vous feriez adoré. J’en sais, dans le Village,

Plus d’une qui voudrait vous donner tout son bien.

COLIN.

Ah ! veuve ou non ; jamais le mariage

Ne me fera de rien.

MADAME ROGER.

Une veuve encor jeune...

COLIN.

Eh ! j’n’avons pas d’envie

De jamais penser à l’Amour,

Je romps avec li sans retour.

M’en v’là r’venu ; c’est pour toute ma vie.

MADAME ROGER.

Ne vous obstinez pas ; car, quoiqu’à mon égard,

Vous témoigniez une haine invincible,

Je ne saurais vous voir trahi de toute part ;

Et je prétends, s’il est possible,

Vous rendre heureux. J’ai pensé sur cela...

COLIN.

Allais, quand je m’obstine.

Soyais sûre qu’ça tiendra.

MADAME ROGER.

Et moi, je vous soutiens que l’on effacera

Ce souvenir qui vous chagrine.

Quelqu’un, à ce sujet,

M’a fait part d’un projet

Pour lequel je me détermine.

Que risquez-vous ? je vais m’en informer,

Tendrement.

Qui, je sais un objet qui s’est laissé charmer ;

Qui ne peut plus cacher sa flamme impatiente,

Et qui voudrais, d’une façon galante,

Vous instruire des nœuds qu’elle compte former.

COLIN, tournant la tête.

Toinon tient toujours là. Quoique l’âme abattue,

Son souvenir est toujours triomphant.

Mais d’où viant donc qu’ça continue ?

Je crois, comme l’on dit, q’l’Amour est un enfant.

Plus on le bat, plus on l’afflige,

Plus on le met au désespoir,

Plus on le gronde, on le corrige.

Et mieux il remplit son devoir !

MADAME ROGER.

Ce sont des visions. Une nouvelle chaîne,

D’un pareil souvenir, vous guérira sans peine.

Je ne veux qu’un instant, et, dès que je le puis,

Je cours pour m’employer à finir vos ennuis.

 

 

Scène  VI

 

COLIN, seul

 

Quand je revarrai la Parjure

Qui m’a forcé de li manquer de foi,

Oh ! toute ma fureur !... La mère, je le vois,

Veut empêcher que je murmure.

La mère, là-dessus, charche à me radoucir ;

À l’égard de cela, je n’nous plaindrons point d’elle ;

Mais qu’alle puisse y réussir :

Oh ! c’est une autre affaire.

 

 

Scène VII

 

ARLEQUIN, TOINON, COLIN

 

ARLEQUIN, passant au fond du Théâtre avec Toinon.

Oui, la soirée est belle.

COLIN.

Que vois-je ? Mon courroux redouble en ce moment.

Et celui-ci n’est pas si redoutable

Que Scapin. Je suivrons notre ressentiment.

Allant à Arlequin qui ne le voit pas, et criant très fort.

Traitre !

ARLEQUIN, le culbutant.

Holà ! Comment donc ! Va-t-on cent fois au Diable.

Est-il bien de venir ainsi me faire peur ?

COLIN.

Ah ! Monsieur l’Amoureux ! vous manquais dons de cœur !

Vous êtes donc poltron !

ARLEQUIN.

Doucement, je vous prie.

COLIN.

Le lâche !

ARLEQUIN.

Doucement. Je le fuis ; j’en conviens :

Mais de ne l’être pas si j’avais fantaisie,

Je dirais à Monsieur Colin :

Vous convient-il de barrer mon chemin,

Lorsque je suis avec ma bonne amie ?...

COLIN.

Sa bonne amie !

ARLEQUIN.

Eh ! oui. Vous êtes un coquin.

Il le bat.

COLIN, criant.

Ahi ! Ahi !

ARLEQUIN, recommençant.

Vous êtes un coquin.

Après l’avoir battu.

Je le dirais. Oh ! oui. Je le parie.

COLIN.

Quoi ! Toinon, vous souffrais, d’un esprit inhumain,

Que de la force on m’estropie ?

TOINON, froidement.

Finissez, Arlequin.

ARLEQUIN.

Je dirais à Monsieur Colin :

Vous êtes un coquin.

Il recommence.

COLIN.

Encor !

ARLEQUIN.

C’est pour montrer... c’est par plaisanterie.

COLIN.

Quoi ! Toinon, vous voyais à présent sans chagrin

Qu’on me tue et qu’on m’injurie.

TOINON, froidement.

Finissez, Arlequin.

COLIN.

Finissez, Arlequin. À peine parle-t-elle.

Ah ! cœur double et mauvais !

Alle dit, finissais, mais c’est toujours après.

ARLEQUIN.

Allons, n’ayons pas de querelle,

Et séparons-nous tous en paix.

TOINON, à Colin.

Que pourrais-je à présent vous dire ?

Si nos nœuds sont rompus, ignorez-vous pourquoi ?

De ce que vous savez faut-il donc vous instruire ?

Une mère est en droit de nous faire la loi.

COLIN, s’emportant.

Une mère ! Ah ! malgré les ordres d’une mère,

On est fidèle, on parsévère.

Se tournant du côté d’Arlequin.

Doit-on, dites-moi donc, doit-on manquer de foi ?

ARLEQUIN.

Mais ne viens point t’en prendre à moi.

Je pense, moi, qu’elle est fort sage

De se moquer de tes tourments.

À la veille du mariage,

Ne veux-tu pas que je l’engage

À te faire des compliments ?

COLIN.

Ah ! j’saurons nous passer fort bian de sa louange,

Résarver pour un autre un cœur qu’al’m’a donné.

ARLEQUIN.

Pour moi, dans tout cela, je ne vois rien d’étrange ;

Te voilà donc bien étonné,

De voir une fille qui change !

Moi seul, pour le présent, sur son cœur j’ai des droits.

COLIN.

Si vous saviais comme autrefois

Alle recharchait à me plaire !

ARLEQUIN.

Oh ! mais, pour le passé, ce n’est pas mon affaire.

COLIN, s’approchant de Toinon.

Remarquais son silence, et voyais son dédain !

Ah ! j’enrage tout à mon aise !

ARLEQUIN, le retirant.

Elle fait bien. Je veux qu’elle se taise.

Oh ! Dame ! c’est trop à la fin.

Il fait comme s’il allait le battre.

Je dirais à Monsieur Colin...

COLIN.

Ah ! laisse là ta bastonnade.

C’en est assais. Ne recommence pas.

ARLEQUIN.

Laisse donc là ta plainte fade.

Apprends à ne plus faire une telle incartade,

Et surtout garde-toi de suivre ici nos pas.

À Toinon.

Allons, mon petit cœur, donnez-moi votre bras.

Poursuivons notre promenade.

 

 

Scène VIII

 

COLIN, seul

 

Ah ! c’et donc tout de bon qu’il y faut renoncer !

Je restons sans savoir que dire et que penser.

 

 

Scène IX

 

Il paraît un Marchand Forain qui porte une petite malle. Il est suivi de deux ou trois de ses Compagnons. Ils entrent en dansant, et tournant autour de Colin, l’un d’eux présente à Colin une très riche livrée[2], et l’attache à son côté.

Colin, dans le premier moment paraît surpris En incommodé de les voir ; mais petit à petit son chagrin se dissipe. Il regarde la livrée, et en admire la richesse : il s’amuse de quelques postures des Danseurs, et enfin il va jusqu’à rire et marquer de la joie.

COLIN, seul, riant.

Quelle est donc cette mascarade ?

Malgré tout mon chagrin, j’les ons trouvés plaisants.

C’est singulier ; car je me persuade

Que ç’font-là des Marchands.

Ils n’ont rian demandé ! qu’est-ç’que ça signifie ?

Vendre, et ne prendre rian ! non, jamais de la vie,

J’nons rencontré de tell’gens.

 

 

Scène X

 

MADAME ROGER, COLIN

 

COLIN, riant toujours.

Oh ! rian n’est plus bouffon. La plaisante aventure !

Ah ! Madame Roger, j’suis sûr qu’ous en rirais.

Vous voyais bian cette parure :

Al’ne me cout’ra rian jamais.

MADAME ROGER, en souriant.

Cela se peut.

COLIN.

Des gens s’en viennent tout exprès.

Ils ont entouré ma parsonne.

Velà ce que l’un d’eux me donne.

Ils n’ont point pris d’argent... mais regardez de près.

C’est, morgué, fort joli ! Pour moi, j’crois qu’ç’est un rêve ;

Et n’y comprenant rian, ça fait que j’en endêve.

MADAME ROGER, affectant de rire.

Pour n’y comprendre rien, il faut être bien bon !

Et la chose est fort difficile !...

C’est un don que vous fait la veuve de Simon.

Elle s’y prend comme une femme habile.

COLIN.

Comment !

MADAME ROGER.

C’est d’elle enfin que je vous ai parlé.

Son secret vient encor de m’être révélé.

COLIN.

La veuve de Simon !

MADAME ROGER.

Oui, cette rendre femme

Cherche tous les moyens de vous prouver sa flamme.

COLIN.

C’est fort galant, mais...

MADAME ROGER.

Quoi ! seriez-vous dédaigneux,

Au point de répugner à de semblables nœuds ?

COLIN.

La veuve de Simon !... mais al’n’est guère aimable.

Al’est bian vieille au moins.

MADAME ROGER.

Vous me désespérez.

S’il s’agit d’un parti bien riche, bien sortable,

S’il s’agit d’être aimé d’un objet estimable,

Va-t-on, en écoutant des sentiments outrés,

Pour quelques ans de plus, pour une bagatelle,

Calculer, se priver de l’état le plus doux ?

COLIN.

Encore, si c’était un’ Veuve comme vous,

Qui fût fraîche, la...

MADAME ROGER.

Moi ? je suis...

COLIN.

Qu’eût été belle.

Car sitôt qu’une fois on eut de la beauté,

Il en reste toujours, par après, queuque chose.

MADAME ROGER.

Elle a vingt ans de plus que moi, sans vanité.

À l’égard des appas, je l’avouerai, je n’ose

M’imaginer que jamais j’en aie eus.

COLIN.

Si fait. pargué ! vous êtes trop modeste.

MADAME ROGER.

Mais, si je voulais, au surplus,

J’ai des occasions, à me pourvoir, de reste.

De l’Hymen tous les jours, pour la première fois,

À mon âge, on subit les lois.

COLIN.

Vous vous êtes très bien consarvée.

MADAME ROGER.

Ah ! je jure

Que si, pour quelque Amant, j’avais formé des vœux,

Cet Amant des mortels serait le plus heureux.

Dans sa félicité, toujours paisible et sûre,

Il ne connaîtrait point le trouble ni l’ennui ;

Pour le parer, mes mains iraient choisir pour lui,

Ce que de plus brillant nous offre la Nature.

Quand d’une jeune fille on recherche la foi,

On compte avoir sur elle une entière puissance.

Hélas ! quel avantage aurait-elle sur moi ?

Elle n’aurait jamais plus d’amour, de constances.

Plus d’égards, plus de soins. Oui, Colin, soyez sûr

Que mon cœur brûlerait de l’amour le plus pur ;

Que mon ardeur irait aussi loin que ma vie :

Cet Amant, en un mot, ferait tout mon désir.

COLIN.

Mais, en disant cela, je vous le çartifie,

Vous avais, dans les yeux, un feu qui fait plaist.

MADAME ROGER.

Ce feu vous fait plaisir ?

COLIN.

Sans doute.

MADAME ROGER.

D’un silence

Trop longtemps importun je vais donc m’affranchir.

Hé ! bien, apprends qu’il te doit sa naissance ;

Ce feu que, dans mes yeux ; tu viens de découvrir.

Oui, reconnais-y ton ouvrage :

Apprends ce qu’en ces lieux j’ai su mettre en usage :

Ton cœur franc et sincère avait charmé le mien :

Tu m’appartins dès lors, tu me parus mon bien ;

C’est moi qui, par degrés, de la Toinon timide

Ai su changer les sentiments.

C’est par mes soins qu’Agathe, avec un ton perfide,

Ta su tromper par des serments.

Tout est ici l’effet de ma tendresse extrême,

Et ce présent, dont tu te vois orné,

Te vient assurément d’une femme qui t’aime ;

Car c’est moi qui te l’ai donné.

COLIN.

Vous ?... Hélas !... Palsangué !... Savez-vous bian, Madame,

Que j’sens, dans ce moment, du trouble dans mon âme ?

Pourrait-on résister à des discours si doux ?

Sans balancer jamais, vous méritais ma flamme ;

C’est bian d’honneur pour moi, que d’être votre Époux.

MADAME ROGER.

Ah ! jamais la Toinon fut elle aussi constante ?

COLIN, avec exclamation.

Comment donc !... vous m’aimiez ! 

MADAME ROGER.

Tout te le représente :

Peux-tu donc encore en douter ?

COLIN.

Sur tout, aussi, vous devais l’emporter.

Toinon doit s’effacer, son cœur est trop facile ;

Je n’voulons plus tâter d’une flamme inutile :

C’en est fait... tout ç’qui n’est pas vous : n’peut plus m’tenter ;

Mais un bon tour qu’il faudrait conçarter,

Serait... Oh ! palsangué, vous en rirais vous même.

MADAME ROGER.

Hé ! bien.

COLIN.

Ils ne s’doutont de rien ;

Laissons les revenir, ils n’sav’pas que j’vous aime ;

Cela ya les surprendre.

MADAME ROGER.

Eh ! oui, nous rirons bien.

COLIN.

Parmettez-nous ce petit stratagème.

On entend les Musettes préluder.

Paix ! les voilà ; motus... Oh ! morguoi, je les tien.

 

 

Scène XI

 

MADAME ROGER, COLIN, AGATHE, SCAPIN, TOINON, ARLEQUIN, DANSEURS et DANSEUSES

 

TOINON, à Arlequin.

Ah ! qu’un nouvel Amant sèche bientôt nos larmes !

AGATHE, à Scapin.

Ah ! qu’un Amant constant pour mon cœur a de charmes !

COLIN.

Hé ! bien, Toinon, qu’est qu’c’est ? et vous, Agathe, aussi ?

Comment allons-nous donc arranger tout ceci ?

TOINON.

Je t’aimais, et je suis volage ;

Et c’est un fait bien confirmé.

AGATHE.

Moi, je n’ai pas cet avantage,

Car je ne t’ai jamais aimé.

COLIN.

Mais, ça fait un état qui n’est pas agréable,

Et je suis donc bian misérable !

AGATHE.

Sois ce que tu voudras, tous nos cœurs sont contents.

TOINON.

Oui, je l’ai dit assez, Colin, il n’est plus temps.

COLIN.

Vous m’croyais malheureux ; mais soyais détrompées ;

De tous vos mauvais cours j’avons su nous venger,

Et vous voyais l’Époux de Madame Roger :

Oh ! oh ! vous v’là bien attrapées !

AGATHE.

Nous nous réjouissons d’un tel événement.

TOINON.

Ah ! ma mère !... il suffit ; vous vouliez mon Amant.

SCAPIN.

Il manquait à nos vœux ce nouveau mariage ;

Livrons-nous aux plaisirs où l’Amour nous en gage.

ARLEQUIN, embrasant Colin.

Ah ! beau-père, pardon,

Si je vous ai lâché quelques coups de bacon.

MADAME ROGER.

Pouvais-je me flatter de remplir mon espoir ?

Quand l’Amour est constant, tout cède å son pouvoir.

 

 

Troisième Divertissement

 

Vaudeville.

MADEMOISELLE CORALINE.

Lorsque je suis devant ma mère,
Scapin sait bien se contrefaire ;
Rien n’est si doux, rien n’est si bon :
C’est un mouton.
Mais si quelque, jour sur l’herbette,
Scapin me rencontrait seulette,
J’aurais à craindre beaucoup :
C’est un lou lou, c’est un loup.

MONSIEUR ROCHARD.

Quand l’argent roule en abondance,
Quand on fournit à la dépense,
Une femme est, dans la maison
Comme un mouton.
Si quelque maligne influence
Fait un peu tarir la finance,
Qui diable on peut venir à bout ?
C’est un lou lou, c’est un loup.

ARLEQUIN.

Je ne me plains point du beau Sexe ;
Il ne me rend jamais perplexe ;
Et je trouve que Cupidon
Est un mouton.
Je suis homme å bonne fortune ;
Lorsque je reviens sur la brune,
J’entends répéter partout,
Mon p’tit loulou, mon p’tit loup.


[1] En montrant celui qui lui a donné la couronne.

[2] Rubans que l’on donne aux Paysans.

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