Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (Alfred de MUSSET)

Proverbe en un acte.

Publié dans la Revue des deux mondes, en 1845, et représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Français, le 7 avril 1848.

 

Personnages

 

LE COMTE

LA MARQUISE

 

La scène est à Paris.

 

Un petit salon.

 

LE COMTE, LA MARQUISE

 

La marquise, assise sur un canapé, près de la cheminée, fait de la tapisserie, le comte entre et salue

LE COMTE.

Je ne sais pas quand je me guérirai de ma maladresse, mais je suis d’une cruelle étourderie. Il m’est impossible de prendre sur moi de me rappeler votre jour et toutes les fois que j’ai envie de vous voir, cela ne manque jamais d’être un mardi.

LA MARQUISE.

Est-ce que vous avez quelque chose à me dire ?

LE COMTE.

Non ; mais, en le supposant, je ne le pourrais pas, car c’est un hasard que vous soyez seule, et vous allez avoir, d’ici à un quart d’heure, une cohue d’amis intimes qui me fera sauver, je vous en avertis.

LA MARQUISE.

Il est vrai que c’est aujourd’hui mon jour, et je ne sais trop pourquoi j’en ai un. C’est une mode qui a pourtant sa raison. Nos mères laissaient leur porte ouverte ; la bonne compagnie n’était pas nombreuse, et se bornait, pour chaque cercle, à une fournée d’ennuyeux qu’on avalait à la rigueur. Maintenant, dès qu’on reçoit, on reçoit tout Paris ; et tout Paris, au temps où nous sommes, c’est bien réellement Paris tout entier, ville et faubourgs. Quand on est chez soi, on est dans la rue. Il fallait bien trouver un remède ; de là vient que chacun a son jour. C’est le seul moyen de se voir le moins possible, et quand on dit : Je suis chez moi le mardi, il est clair que c’est comme si on disait : Le reste du temps laissez-moi tranquille.

LE COMTE.

Je n’en ai que plus de tort de venir aujourd’hui, puisque vous me permettez de vous voir dans la semaine.

LA MARQUISE.

Prenez votre parti et mettez-vous là. Si vous êtes de bonne humeur, vous parlerez ; sinon, chauffez-vous. Je ne compte pas sur grand monde aujourd’hui, vous regarderez défiler ma petite lanterne magique. Mais qu’avez-vous donc ? Vous me semblez...

LE COMTE.

Quoi ?

LA MARQUISE.

Pour ma gloire, je ne veux pas le dire.

LE COMTE.

Ma foi, je vous l’avouerai, avant d’entrer ici je l’étais un peu.

LA MARQUISE.

Quoi ? je le demande à mon tour.

LE COMTE.

Vous fâcherez-vous si je vous le dis ?

LA MARQUISE.

J’ai un bal ce soir où je veux être jolie : je ne me fâcherai pas de la journée.

LE COMTE.

Eh bien ! j’étais un peu ennuyé. Je ne sais ce que j’ai ; c’est un mal à la mode, comme vos réceptions... Je me désole depuis midi ; j’ai fait quatre visites sans trouver personne. Je devais dîner quelque part ; je me suis excusé sans raison. Il n’y a pas un spectacle ce soir. Je suis sorti par un temps glacé ; je n’ai vu que des nez rouges et des joues violettes. Je ne sais que faire, je suis bête à faire plaisir.

LA MARQUISE.

Je vous en offre autant ; je m’ennuie à crier. C’est le temps qu’il fait, sans aucun doute.

LE COMTE.

Le fait est que le froid est odieux ; l’hiver est une maladie. Les badauds voient le pavé propre, le ciel clair, et, quand un vent bien sec leur coupe les oreilles, ils appellent cela une belle gelée. C’est comme qui dirait une belle fluxion de poitrine. Bien obligé de ces beautés-là !

LA MARQUISE.

Je suis plus que de votre avis. Il me semble que mon ennui me vient moins de l’air du dehors, tout froid qu’il est, que de celui que les autres respirent. C’est peut-être que nous vieillissons. Je commence à avoir trente ans, et je perds le talent de vivre.

LE COMTE.

Je n’ai jamais eu ce talent-là, et ce qui m’épouvante, c’est que je le gagne. En prenant des années, on devient plat ou fou, et j’ai une peur atroce de mourir comme un sage.

LA MARQUISE.

Sonnez pour qu’on mette une bûche au feu ; votre idée me gèle.

On entend le bruit d’une sonnette au-dehors.

LE COMTE.

Ce n’est pas la peine, on sonne à la porte, et votre procession arrive.

LA MARQUISE.

Voyons quelle sera la bannière, et surtout tâchez de rester.

LE COMTE.

Non ; décidément je m’en vais.

LA MARQUISE.

Où allez-vous ?

LE COMTE.

Je n’en sais rien.

Il se lève, salue et ouvre la porte.

Adieu, madame, à jeudi soir.

LA MARQUISE.

Pourquoi jeudi ?

LE COMTE, debout, tenant le bouton de la porte.

N’est-ce pas votre jour aux Italiens ? J’irai vous faire une petite visite.

LA MARQUISE.

Je ne veux pas de vous ; vous êtes trop maussade. D’ailleurs, j’y mène M. Camus.

LE COMTE.

M. Camus, votre voisin de campagne ?

LA MARQUISE.

Oui ; il m’a vendu des pommes et du foin avec beaucoup de galanterie, et je veux lui rendre sa politesse.

LE COMTE.

C’est bien vous, par exemple. L’être le plus ennuyeux ! on devrait le nourrir de sa marchandise. Et, à propos, savez-vous ce qu’on dit ?

LA MARQUISE.

Non. Mais on ne vient pas : qui avait donc sonné ?

LE COMTE, regardant par la fenêtre.

Personne, une petite fille, je crois, avec un carton, je ne sais quoi, une blanchisseuse. Elle est là, dans la cour, qui parle à vos gens.

LA MARQUISE.

Vous appelez cela je ne sais quoi ; vous êtes poli, c’est mon bonnet. Eh bien, qu’est-ce qu’on dit de moi et de M. Camus ? Fermez donc cette porte ; il vient un vent horrible.

LE COMTE, fermant la porte.

On dit que vous pensez à vous remarier, que M. Camus est millionnaire, et qu’il vient chez vous bien souvent.

LA MARQUISE.

En vérité ? pas plus que cela ? Et vous me dites cela au nez tout bonnement ?

LE COMTE.

Je vous le dis, parce qu’on en parle.

LA MARQUISE.

C’est une belle raison. Est-ce que je vous répète tout ce qu’on dit de vous aussi par le monde ?

LE COMTE.

De moi, madame ? Que peut-on dire, s’il vous plaît, qui ne puisse pas se répéter ?

LA MARQUISE.

Mais vous voyez bien que tout peut se répéter, puisque vous m’apprenez que je suis à la veille d’être annoncée madame Camus. Ce qu’on dit de vous est au moins aussi grave, car il paraît malheureusement que c’est vrai.

LE COMTE.

Et quoi donc ? Vous me feriez peur !

LA MARQUISE.

Preuve de plus qu’on ne se trompe pas.

LE COMTE.

Expliquez-vous, je vous en prie.

LA MARQUISE.

Ah ! pas du tout ; ce sont vos affaires.

LE COMTE, se rassoit.

Je vous en supplie, marquise ; je vous le demande en grâce. Vous êtes la personne du monde dont l’opinion a le plus de prix pour moi.

LA MARQUISE.

L’une des personnes, vous voulez dire.

LE COMTE.

Non, madame, je dis : la personne, celle dont l’estime, le sentiment, la...

LA MARQUISE.

Ah ! ciel ! vous allez faire une phrase.

LE COMTE.

Pas du tout. Si vous ne voyez rien, c’est qu’apparemment vous ne voulez rien voir.

LA MARQUISE.

Voir quoi ?

LE COMTE.

Cela s’entend de reste.

LA MARQUISE.

Je n’entends que ce qu’on me dit, et encore pas des deux oreilles.

LE COMTE.

Vous riez de tout ; mais, sincèrement, serait-il possible que, depuis un an, vous voyant presque tous les jours, faite comme vous êtes, avec votre esprit, votre grâce et votre beauté...

LA MARQUISE.

Mais, mon Dieu ! c’est bien pis qu’une phrase, c’est une déclaration que vous me faites là. Avertissez au moins : est-ce une déclaration, ou un compliment de bonne année ?

LE COMTE.

Et si c’était une déclaration ?

LA MARQUISE.

Oh ! c’est que je n’en veux pas ce matin. Je vous ai dit que j’allais au bal, je suis exposée à en entendre ce soir ; ma santé ne me permet pas ces choses-là deux fois par jour.

LE COMTE.

En vérité, vous êtes décourageante, et je me réjouirai de bon cœur quand vous y serez prise à votre tour.

LA MARQUISE.

Moi aussi je m’en réjouirai. Je vous jure qu’il y a des instants où je donnerais de grosses sommes pour avoir seulement un petit chagrin. Tenez, j’étais comme cela pendant qu’on me coiffait, pas plus tard que tout à l’heure. Je poussais des soupirs à me fendre l’âme, de désespoir de ne penser à rien.

LE COMTE.

Raillez, raillez, vous y viendrez.

LA MARQUISE.

C’est bien possible ; nous sommes tous mortels. Si je suis raisonnable, à qui la faute ? Je vous assure que je ne me défends pas.

LE COMTE.

Vous ne voulez pas qu’on vous fasse la cour.

LA MARQUISE.

Non. Je suis très bonne personne, mais quant à cela, c’est par trop bête. Dites-moi un peu, vous qui avez le sens commun, qu’est-ce que signifie cette chose-là : faire la cour à une femme ?

LE COMTE.

Cela signifie que cette femme vous plaît, et qu’on est bien aise de le lui dire.

LA MARQUISE.

À la bonne heure ; mais cette femme, cela lui plaît-il, à elle, de vous plaire ? Vous me trouvez jolie, je suppose, et cela vous amuse de m’en faire part. Eh bien, après ? Qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce une raison pour que je vous aime ? J’imagine que, si quelqu’un me plaît, ce n’est pas parce que je suis jolie. Qu’y gagne-t-il à ces compliments ? La belle manière de se faire aimer que de venir se planter devant une femme avec un lorgnon, de la regarder des pieds à la tête, comme une poupée dans un étalage, et de lui dire bien agréablement : Madame, je vous trouve charmante ! Joignez à cela quelques phrases bien fades, un tour de valse, et un bouquet, voilà pourtant ce qu’on appelle faire sa cour. Fi donc ! Comment un homme d’esprit peut-il prendre goût à ces niaiseries-là ? Cela me met en colère, quand j’y pense.

LE COMTE.

Il n’y a pourtant pas de quoi se fâcher.

LA MARQUISE.

Ma foi, si. Il faut supposer à une femme une tête bien vide et un grand fonds de sottise, pour se figurer qu’on la charme avec des pareils ingrédients. Croyez-vous que ce soit bien divertissant de passer sa vie au milieu d’un déluge de fadaises, et d’avoir du matin au soir les oreilles pleines de balivernes ? Il me semble, en vérité, que, si j’étais homme et si je voyais une jolie femme, je me dirais : Voilà une pauvre créature qui doit être bien assommée de compliments. Je l’épargnerais, j’aurais pitié d’elle, et, si je voulais essayer de lui plaire, je lui ferais l’honneur de lui parler d’autre chose que de son malheureux visage. Mais non, toujours : Vous êtes jolie, et puis : Vous êtes jolie, et encore jolie. Eh ! mon Dieu ! on le sait bien. Voulez-vous que je vous dise ? vous autres, hommes à la mode, vous n’êtes que des confiseurs déguisés.

LE COMTE.

Eh bien, madame, vous êtes charmante, prenez-le comme vous voudrez.

On entend la sonnette.

On sonne de nouveau ; adieu, je me sauve.

Il se lève et ouvre la porte.

LA MARQUISE.

Attendez donc, j’avais à dire... je ne sais plus ce que c’était... Ah ! passez-vous par hasard du côté de Fossin, dans vos courses ?

LE COMTE.

Ce ne sera pas par hasard, madame, si je puis vous être bon à quelque chose.

LA MARQUISE.

Encore un compliment ! Mon Dieu, que vous m’ennuyez ! C’est une bague que j’ai cassée ; je pourrais bien l’envoyer tout bonnement, mais c’est qu’il faut que je vous explique.

Elle ôte la bague de son doigt.

Tenez, voyez-vous, c’est le chaton. Il y a là une petite pointe, vous voyez bien, n’est-ce pas ? Ça s’ouvrait de côté, par là ; je l’ai heurté ce matin je ne sais où, le ressort a été forcé.

LE COMTE.

Dites donc, marquise, sans indiscrétion, il y avait des cheveux là-dedans.

LA MARQUISE.

Peut-être bien. Qu’avez-vous à rire ?

LE COMTE.

Je ne ris pas le moins du monde.

LA MARQUISE.

Vous êtes un impertinent ; ce sont des cheveux de mon mari. Mais je n’entends personne. Qui avait donc sonné encore ?

LE COMTE, regardant à la fenêtre.

Une autre petite fille, et un autre carton. Encore un bonnet, je suppose. À propos, avec tout cela, vous me devez une confidence.

LA MARQUISE.

Fermez donc cette porte, vous me glacez.

LE COMTE.

Je m’en vais. Mais vous me promettez de me répéter ce qu’on vous a dit de moi, n’est-ce pas, marquise ?

LA MARQUISE.

Venez ce soir au bal, nous causerons.

LE COMTE.

Ah ! parbleu ! oui, causer dans un bal ! Joli endroit de conversation, avec accompagnement de trombones et un tintamarre de verres d’eau sucrée. L’un vous marche sur le pied, l’autre vous pousse le coude, pendant qu’un laquais tout poissé vous fourre une glace dans votre poche. Je vous demande un peu si c’est là...

LA MARQUISE.

Voulez-vous rester ou sortir ? Je vous répète que vous m’enrhumez. Puisque personne ne vient, qu’est-ce qui vous chasse ?

LE COMTE, fermant la porte, et venant se rasseoir.

C’est que je me sens, malgré moi, de si mauvaise humeur, que je crains vraiment de vous excéder. Il faut décidément que je cesse de venir chez vous.

LA MARQUISE.

C’est honnête ; et à propos de quoi ?

LE COMTE.

Je ne sais pas, mais je vous ennuie, vous me le disiez vous-même tout à l’heure, et je le sens bien ; c’est très naturel. C’est ce malheureux logement que j’ai là en face ; je ne peux pas sortir sans regarder vos fenêtres, et j’entre ici machinalement, sans réfléchir à ce que j’y viens faire.

LA MARQUISE.

Si je vous ai dit que vous m’ennuyiez ce matin, c’est que ce n’est pas une habitude. Sérieusement, vous me feriez de la peine ; j’ai beaucoup de plaisir à vous voir.

LE COMTE.

Vous ? Pas du tout. Savez-vous ce que je vais faire ? Je vais retourner en Italie.

LA MARQUISE.

Ah ! qu’est-ce que dira mademoiselle ?...

LE COMTE.

Quelle demoiselle, s’il vous plaît ?

LA MARQUISE.

Mademoiselle je ne sais qui, mademoiselle votre protégée. Est-ce que je sais le nom de vos danseuses ?

LE COMTE.

Ah ! c’est donc là ce beau propos, qu’on vous a tenu sur mon compte ?

LA MARQUISE.

Précisément. Est-ce que vous niez ?

LE COMTE.

C’est un conte à dormir debout.

LA MARQUISE.

Il est fâcheux qu’on vous ait vu très distinctement au spectacle avec un certain chapeau rose à fleurs, comme il n’en fleurit qu’à l’Opéra. Vous êtes dans les chœurs, mon voisin ; cela est connu de tout le monde.

LE COMTE.

Comme votre mariage avec M. Camus.

LA MARQUISE.

Vous y revenez ? Eh bien, pourquoi pas ? M. Camus est un fort honnête homme ; il est plusieurs fois millionnaire ; son âge, bien qu’assez respectable, est juste à point pour un mari. Je suis veuve, et il est garçon ; il est très bien quand il a des gants.

LE COMTE.

Et un bonnet de nuit ; cela doit lui aller.

LA MARQUISE.

Voulez-vous bien vous taire, s’il vous plaît ? Est-ce qu’on parle de choses pareilles ?

LE COMTE.

Dame, à quelqu’un qui peut les voir !

LA MARQUISE.

Ce sont apparemment ces demoiselles qui vous apprennent ces jolies façons-là.

LE COMTE, se lève et prend son chapeau.

Tenez, marquise, je vous dis adieu. Vous me feriez dire quelque sottise.

LA MARQUISE.

Quel excès de délicatesse !

LE COMTE.

Non ; mais, en vérité, vous êtes trop cruelle. C’est bien assez de défendre qu’on vous aime, sans m’accuser d’aimer ailleurs.

LA MARQUISE.

De mieux en mieux. Quel ton tragique ! Moi, je vous ai défendu de m’aimer ?

LE COMTE.

Certainement, de vous en parler, du moins.

LA MARQUISE.

Eh bien, je vous le permets ; voyons votre éloquence.

LE COMTE.

Si vous le disiez sérieusement...

LA MARQUISE.

Que vous importe ? pourvu que je le dise.

LE COMTE.

C’est que, tout en riant, il pourrait bien y avoir quelqu’un ici qui courût des risques.

LA MARQUISE.

Oh ! oh ! de grands périls, monsieur ?

LE COMTE.

Peut-être, madame ; mais, par malheur, le danger ne serait que pour moi.

LA MARQUISE.

Quand on a peur, on ne fait pas le brave. Eh bien, voyons. Vous ne dites rien ? Vous me menacez, je m’expose, et vous ne bougez pas ? Je m’attendais à vous voir au moins vous précipiter à mes pieds comme Rodrigue ou M. Camus lui-même. Il y serait déjà, à votre place.

LE COMTE.

Cela vous divertit donc beaucoup de vous moquer du pauvre monde ?

LA MARQUISE.

Et vous, cela vous surprend donc bien qu’on ose vous braver en face ?

LE COMTE.

Prenez garde ; si vous êtes brave, j’ai été hussard, moi, madame, je suis bien aise de vous le dire, et il n’y a pas encore si longtemps.

LA MARQUISE.

Vraiment ! Eh bien, à la bonne heure : une déclaration de hussard, cela doit être curieux ; je n’ai jamais vu cela de ma vie. Voulez-vous que j’appelle ma femme de chambre ? Je suppose qu’elle saura vous répondre. Vous me donnerez une représentation.

On entend la sonnette.

LE COMTE.

Encore cette sonnerie ! Adieu donc, marquise. Je ne vous en tiens pas quitte, au moins.

Il ouvre la porte.

LA MARQUISE.

À ce soir, toujours, n’est-ce pas ? Mais qu’est-ce donc que ce bruit que j’entends ?

LE COMTE, regarde à la fenêtre.

C’est le temps qui vient de changer. Il pleut et il grêle à faire plaisir. On vous apporte un troisième bonnet, et je crains bien qu’il n’y ait un rhume dedans.

LA MARQUISE.

Mais ce tapage-là, est-ce que c’est le tonnerre ? en plein mois de janvier ! Et les almanachs ?

LE COMTE.

Non ; c’est seulement un ouragan, une espèce de trombe qui passe.

LA MARQUISE.

C’est effrayant. Mais fermez donc la porte ; vous ne pouvez pas sortir de ce temps-là. Qu’est-ce qui peut produire une chose pareille ?

LE COMTE, ferme la porte.

Madame, c’est la colère céleste qui châtie les carreaux de vitre, les parapluies, les mollets des dames et les tuyaux de cheminée.

LA MARQUISE.

Et mes chevaux qui sont sortis !

LE COMTE.

Il n’y a pas de danger pour eux, s’il ne leur tombe rien sur la tête.

LA MARQUISE.

Plaisantez donc à votre tour ! Je suis très propre, moi, monsieur, je n’aime pas à crotter mes chevaux. C’est inconcevable : tout à l’heure il faisait le plus beau ciel du monde.

LE COMTE.

Vous pouvez bien compter, par exemple, qu’avec cette grêle vous n’aurez personne. Voilà un jour de moins parmi vos jours.

LA MARQUISE.

Non pas, puisque vous êtes venu. Posez donc votre chapeau qui m’impatiente.

LE COMTE.

Un compliment, madame ! Prenez garde : vous qui faites profession de les haïr, on pourrait prendre les vôtres pour la vérité.

LA MARQUISE.

Mais je vous le dis, et c’est très vrai, vous me faites grand plaisir en venant me voir.

LE COMTE, se rassoit près de la marquise.

Alors laissez-moi vous aimer.

LA MARQUISE.

Mais je vous le dis aussi, je le veux bien ; cela ne me fâche pas le moins du monde.

LE COMTE.

Alors laissez-moi vous en parler.

LA MARQUISE.

À la hussarde, n’est-il pas vrai ?

LE COMTE.

Non, madame ; soyez convaincue qu’à défaut de cœur j’ai assez de bon sens pour vous respecter ; mais il me semble qu’on a bien le droit, sans offenser une personne qu’on respecte...

LA MARQUISE.

D’attendre que la pluie soit passée, n’est-ce pas ? Vous êtes entré ici tout à l’heure sans savoir pourquoi, vous l’avez dit vous-même ; vous étiez ennuyé, vous ne saviez que faire, vous pouviez même passer pour assez grognon. Si vous aviez trouvé ici trois personnes, les premières venues, là, au coin du feu, vous parleriez, à l’heure qu’il est, littérature ou chemins de fer, après quoi vous iriez dîner. C’est donc parce que je me suis trouvée seule que vous vous croyez tout à coup obligé, oui, obligé, pour votre honneur, de me faire cette même cour, cette éternelle, insupportable cour, qui est une chose si inutile, si ridicule, si rebattue. Mais qu’est-ce que je vous ai donc fait ? Qu’il arrive ici une visite, vous allez peut-être avoir de l’esprit ; mais je suis seule, vous voilà plus banal qu’un vieux couplet de vaudeville ; et vite, vous abordez votre thème, et si je voulais vous écouter, vous m’exhiberiez une déclaration, vous me réciteriez votre amour. Savez-vous de quoi les hommes ont l’air en pareil cas ? De ces pauvres auteurs sifflés qui ont toujours un manuscrit dans leur poche, quelque tragédie inédite et injouable, et qui vous tirent cela pour vous en assommer, dès que vous êtes seul un quart d’heure avec eux.

LE COMTE.

Ainsi, vous me dites que je ne vous déplais pas, je vous réponds que je vous aime, et puis c’est tout, à votre avis ?

LA MARQUISE.

Vous ne m’aimez pas plus que le Grand Turc.

LE COMTE.

Oh ! par exemple, c’est trop fort. Écoutez-moi un seul instant, et si vous ne me croyez pas sincère...

LA MARQUISE.

Non, non, et non. Mon Dieu ! croyez-vous que je ne sache pas ce que vous pourriez me dire ? J’ai très bonne opinion de vos études ; mais, parce que vous avez de l’éducation, pensez-vous que je n’aie rien lu ? Tenez, je connaissais un homme d’esprit qui avait acheté, je ne sais où, une collection de cinquante lettres, assez bien faites, très proprement écrites, des lettres d’amour, bien entendu. Ces cinquante lettres étaient graduées de façon à composer une sorte de petit roman, où toutes les situations étaient prévues. Il y en avait pour les déclarations, pour les dépits, pour les espérances, pour les moments d’hypocrisie où l’on se rabat sur l’amitié, pour les brouilles, pour les désespoirs, pour les instants de jalousie, pour la mauvaise humeur, même pour les jours de pluie comme aujourd’hui. J’ai lu ces lettres. L’auteur prétendait, dans une sorte de préface, en avoir fait usage pour lui-même, et n’avoir jamais trouvé une femme qui résistât plus tard que le trente-troisième numéro. Eh bien, j’ai résisté, moi, à toute la collection. Je vous demande si j’ai de la littérature, et si vous pourriez vous flatter de m’apprendre quelque chose de nouveau.

LE COMTE.

Vous êtes bien blasée, marquise.

LA MARQUISE.

Des injures ? J’aime mieux cela ; c’est moins fade que ces sucreries.

LE COMTE.

Oui, en vérité, vous êtes bien blasée.

LA MARQUISE.

Vous le croyez ? Eh bien, pas du tout.

LE COMTE.

Comme une vieille Anglaise, mère de quatorze enfants.

LA MARQUISE.

Comme la plume qui danse sur mon chapeau. Vous vous figurez donc que c’est une science bien profonde que de vous savoir tous par cœur ? Mais il n’y a pas besoin d’étudier pour apprendre ; il n’y a qu’à vous laisser faire. Réfléchissez ; c’est un calcul bien simple. Les hommes assez braves pour respecter nos pauvres oreilles, et pour ne pas tomber dans la sucrerie, sont extrêmement rares. D’un autre côté, il n’est pas contestable que, dans ces tristes instants où vous tâchez de mentir pour essayer de plaire, vous vous ressemblez tous comme des capucins de cartes. Heureusement pour nous, la justice du Ciel n’a pas mis à votre disposition un vocabulaire très varié. Vous n’avez tous, comme on dit, qu’une chanson, en sorte que le seul fait d’entendre les mêmes phrases, la seule répétition des mêmes mots, des mêmes gestes apprêtés, des mêmes regards tendres, le spectacle seul de ces figures diverses qui peuvent être plus ou moins bien par elles-mêmes, mais qui prennent toutes, dans ces moments funestes, la même physionomie humblement conquérante, cela nous sauve par l’envie de rire, ou du moins par le simple ennui. Si j’avais une fille, et si je voulais la préserver de ces entreprises qu’on appelle dangereuses, je me garderais bien de lui défendre d’écouter les pastorales de ses valseurs. Je lui dirais seulement : « N’en écoute pas un seul, écoute-les tous ; ne ferme pas le livre et ne marque pas la page ; laisse-le ouvert, laisse ces messieurs te raconter leurs petites drôleries. Si, par malheur, il y en a un qui te plaît, ne t’en défends pas, attends seulement ; il en viendra un autre tout pareil qui te dégoûtera de tous les deux. Tu as quinze ans, je suppose ; eh bien, mon enfant, cela ira ainsi jusqu’à trente, et ce sera toujours la même chose. » Voilà mon histoire et ma science ; appelez-vous cela être blasée ?

LE COMTE.

Horriblement, si ce que vous dites est vrai ; et cela semble si peu naturel que le doute pourrait être permis.

LA MARQUISE.

Qu’est-ce que cela me fait que vous me croyiez ou non ?

LE COMTE.

Encore mieux. Est-ce bien possible ? Quoi ! à votre âge, vous méprisez l’amour ? Les paroles d’un homme qui vous aime vous font l’effet d’un méchant roman ? Ses regards, ses gestes, ses sentiments vous semblent une comédie ? Vous vous piquez de dire vrai, et vous ne voyez que mensonge dans les autres ? Mais d’où revenez-vous donc, marquise ? Qu’est-ce qui vous a donné ces maximes-là ?

LA MARQUISE.

Je reviens de loin, mon voisin.

LE COMTE.

Oui, de nourrice. Les femmes s’imaginent qu’elles savent toute chose au monde ; elles ne savent rien du tout. Je vous le demande à vous-même, quelle expérience pouvez-vous avoir ? Celle de ce voyageur qui, à l’auberge, avait vu une femme rousse, et qui écrivait sur son journal : Les femmes sont rousses dans ce pays-ci. 

LA MARQUISE.

Je vous avais prié de mettre une bûche au feu.

LE COMTE, mettant la bûche.

Être prude, cela se conçoit ; dire non, se boucher les oreilles, haïr l’amour, cela se peut ; mais le nier, quelle plaisanterie ! Vous découragez un pauvre diable en lui disant : Je sais ce que vous allez me dire. Mais n’est-il pas en droit de vous répondre : Oui, madame, vous le savez peut-être ; et moi aussi, je sais ce qu’on dit quand on aime, mais je l’oublie en vous parlant ! Rien n’est nouveau sous le soleil ; mais je dis à mon tour : Qu’est-ce que cela prouve ? 

LA MARQUISE.

À la bonne heure, au moins ! vous parlez très bien ; à peu de chose près, c’est comme un livre.

LE COMTE.

Oui, je parle, et je vous assure que, si vous êtes telle qu’il vous plaît de le paraître, je vous plains très sincèrement.

LA MARQUISE.

À votre aise ; faites comme chez vous.

LE COMTE.

Il n’y a rien là qui puisse vous blesser. Si vous avez le droit de nous attaquer, n’avons-nous pas raison de nous défendre ? Quand vous nous comparez à des auteurs sifflés, quel reproche croyez-vous nous faire ? Eh ! mon Dieu ! si l’amour est une comédie...

LA MARQUISE.

Le feu ne va pas ; la bûche est de travers.

LE COMTE, arrangeant le feu.

Si l’amour est une comédie, cette comédie, vieille comme le monde, sifflée ou non, est, au bout du compte, ce qu’on a encore trouvé de moins mauvais. Les rôles sont rebattus, j’y consens ; mais, si la pièce ne valait rien, tout l’univers ne la saurait pas par cœur ; et je me trompe en disant qu’elle est vieille. Est-ce être vieux que d’être immortel ?

LA MARQUISE.

Monsieur, voilà de la poésie.

LE COMTE.

Non, madame ; mais ces fadaises, ces balivernes qui vous ennuient, ces compliments, ces déclarations, tout ce radotage, sont de très bonnes anciennes choses, convenues, si vous voulez, fatigantes, ridicules parfois, mais qui en accompagnent une autre, laquelle est toujours jeune.

LA MARQUISE.

Vous vous embrouillez ; qu’est-ce qui est toujours vieux, et qu’est-ce qui est toujours jeune ?

LE COMTE.

L’Amour.

LA MARQUISE.

Monsieur, voilà de l’éloquence.

LE COMTE.

Non, madame ; je veux dire ceci : que l’amour est immortellement jeune, et que les façons de l’exprimer sont et demeureront éternellement vieilles. Les formes usées, les redites, ces lambeaux de romans qui vous sortent du cœur on ne sait pas pourquoi, tout cet entourage, tout cet attirail, c’est un cortège de vieux chambellans, de vieux diplomates, de vieux ministres, c’est le caquet de l’antichambre d’un roi ; tout cela passe, mais ce roi-là ne meurt pas ; L’amour est mort, vive l’amour !

LA MARQUISE.

L’amour ?

LE COMTE.

L’amour. Et quand même on ne ferait que s’imaginer...

LA MARQUISE.

Donnez-moi l’écran qui est là.

LE COMTE.

Celui-là ?

LA MARQUISE.

Non, celui de taffetas ; voilà votre feu qui m’aveugle.

LE COMTE, donnant l’écran à la marquise.

Quand même on ne ferait que s’imaginer qu’on aime, est-ce que ce n’est pas une chose charmante ?

LA MARQUISE.

Mais, je vous dis, c’est toujours la même chose.

LE COMTE.

Et toujours nouveau, comme dit la chanson. Que voulez-vous donc qu’on invente ? Il faut apparemment qu’on vous aime en hébreu. Cette Vénus qui est là sur votre pendule, c’est aussi toujours la même chose ; en est-elle moins belle, s’il vous plaît ? Si vous ressemblez à votre grand-mère, est-ce que vous en êtes moins jolie ?

LA MARQUISE.

Bon, voilà le refrain : jolie. Donnez-moi le coussin qui est près de vous.

LE COMTE, prenant le coussin et le tenant à la main.

Cette Vénus est faite pour être belle, pour être aimée et admirée, cela ne l’ennuie pas du tout. Si le beau corps trouvé à Milo a jamais eu un modèle vivant, assurément cette grande gaillarde a eu plus d’amoureux qu’il ne lui en fallait, et elle s’est laissé aimer comme une autre, comme sa cousine Astarté, comme Aspasie et Manon Lescaut.

LA MARQUISE.

Monsieur, voilà de la mythologie.

LE COMTE, tenant toujours le coussin.

Non, madame ; mais je ne puis dire combien cette indifférence à la mode, cette froideur qui raille et dédaigne, cet air d’expérience qui réduit tout à rien, me font peine à voir à une jeune femme. Vous n’êtes pas la première chez qui je les rencontre ; c’est une maladie qui court les salons ; on se détourne, on bâille, comme vous en ce moment, on dit qu’on ne veut pas entendre parler d’amour. Alors, pourquoi mettez-vous de la dentelle ? Qu’est-ce que ce pompon-là fait sur votre tête ?

LA MARQUISE.

Et qu’est-ce que ce coussin fait dans votre main ? Je vous l’avais demandé pour le mettre sous mes pieds.

LE COMTE.

Eh bien, l’y voilà, et moi aussi ; et je vous ferai une déclaration, bon gré, mal gré, vieille comme les rues et bête comme une oie ; car je suis furieux contre vous.

Il pose le coussin à terre devant la marquise, et se met à genoux dessus.

LA MARQUISE.

Voulez-vous me faire la grâce de vous ôter de là, s’il vous plaît ?

LE COMTE.

Non ; il faut d’abord que vous m’écoutiez.

LA MARQUISE.

Vous ne voulez pas vous lever ?

LE COMTE.

Non, non et non ! comme vous le disiez tout à l’heure, à moins que vous ne consentiez à m’entendre.

LA MARQUISE.

J’ai bien l’honneur de vous saluer.

Elle se lève.

LE COMTE, toujours à genoux.

Marquise, au nom du Ciel ! cela est trop cruel. Vous me rendez fou, vous me désespérez.

LA MARQUISE.

Cela vous passera au Café de Paris.

LE COMTE, de même.

Non, sur l’honneur, je parle du fond de l’âme. Je conviendrai, tant que vous voudrez, que j’étais entré ici sans dessein ; je ne comptais que vous voir en passant, témoin cette porte que j’ai ouverte trois fois pour m’en aller. La conversation que nous venons d’avoir, vos railleries, votre froideur même, m’ont entraîné plus loin qu’il ne fallait peut-être ; mais ce n’est pas d’aujourd’hui seulement, c’est du premier jour où je vous ai vue, que je vous aime, que je vous adore... Je n’exagère pas en m’exprimant ainsi ; oui, depuis plus d’un an, je vous adore ; je ne songe...

LA MARQUISE.

Adieu.

La marquise sort et laisse la porte ouverte.

LE COMTE, demeuré seul, reste un moment encore à genoux, puis il se lève et dit.

C’est la vérité que cette porte est glaciale.

Il va pour sortir et voit la marquise.

LE COMTE.

Ah ! marquise, vous vous moquez de moi !

LA MARQUISE, appuyée sur la porte entrouverte.

Vous voilà debout ?

LE COMTE.

Oui, et je m’en vais pour ne plus jamais vous revoir.

LA MARQUISE.

Venez ce soir au bal, je vous garde une valse.

LE COMTE.

Jamais, jamais je ne vous reverrai ! je suis au désespoir, je suis perdu.

LA MARQUISE.

Qu’avez-vous ?

LE COMTE.

Je suis perdu, je vous aime comme un enfant. Je vous jure sur ce qu’il y a de plus sacré au monde...

LA MARQUISE.

Adieu.

Elle veut sortir.

LE COMTE.

C’est moi qui sors, madame ; restez, je vous en supplie. Ah ! je sens combien je vais souffrir !

LA MARQUISE, d’un ton sérieux.

Mais, enfin, monsieur, qu’est-ce que vous me voulez ?

LE COMTE.

Mais, madame, je veux... je désirerais...

LA MARQUISE.

Quoi ? car enfin vous m’impatientez. Vous imaginez-vous que je vais être votre maîtresse, et hériter de vos chapeaux roses ? Je vous préviens qu’une pareille idée fait plus que me déplaire, elle me révolte.

LE COMTE.

Vous, marquise ! grand Dieu ! s’il était possible, ce serait ma vie entière que je mettrais à vos pieds ; ce serait mon nom, mes biens, mon honneur même que je voudrais vous confier. Moi, vous confondre un seul instant, je ne dis pas seulement avec ces créatures dont vous ne parlez que pour me chagriner, mais avec aucune femme au monde ! L’avez-vous bien pu supposer ? me croyez-vous si dépourvu de sens ? mon étourderie ou ma déraison a-t-elle donc été si loin que de vous faire douter de mon respect ? Vous qui me disiez tantôt que vous aviez quelque plaisir à me voir, peut-être quelque amitié pour moi (n’est-il pas vrai, marquise ?) pouvez-vous penser qu’un homme ainsi distingué par vous, que vous avez pu trouver digne d’une si précieuse, d’une si douce indulgence, ne saurait pas ce que vous valez ? Suis-je donc aveugle ou insensé ? Vous, ma maîtresse ! non pas, mais ma femme !

LA MARQUISE.

Ah ! – Eh bien ! si vous m’aviez dit cela en arrivant, nous ne nous serions pas disputés. – Ainsi, vous voulez m’épouser ?

LE COMTE.

Mais certainement, j’en meurs d’envie ; je n’ai jamais osé vous le dire, mais je ne pense pas à autre chose depuis un an ; je donnerais mon sang pour qu’il me fût permis d’avoir la plus légère espérance...

LA MARQUISE.

Attendez donc, vous êtes plus riche que moi.

LE COMTE.

Oh ! mon Dieu ! je ne crois pas, et qu’est-ce que cela vous fait ? Je vous en supplie, ne parlons pas de ces choses-là ! Votre sourire, en ce moment, me fait frémir d’espoir et de crainte. Un mot, par grâce ! ma vie est dans vos mains.

LA MARQUISE.

Je vais vous dire deux proverbes : le premier, c’est qu’il n’y a rien de tel que de s’entendre. Par conséquent, nous causerons de ceci.

LE COMTE.

Ce que j’ai osé vous dire ne vous déplaît donc pas ?

LA MARQUISE.

Mais non. Voici mon second proverbe : c’est qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Or, voilà trois quarts d’heure que celle-ci, grâce à vous, n’est ni l’un ni l’autre, et cette chambre est parfaitement gelée. Par conséquent, aussi, vous allez me donner le bras pour aller dîner chez ma mère. Après cela, vous irez chez Fossin.

LE COMTE.

Chez Fossin, madame ? pourquoi faire ?

LA MARQUISE.

Ma bague !

LE COMTE.

Ah ! c’est vrai, je n’y pensais plus. Eh bien, votre bague, marquise ?

LA MARQUISE.

Marquise, dites-vous ? Eh bien, à ma bague il y a justement sur le chaton une petite couronne de marquise ; et comme cela peut servir de cachet... Dites donc, comte, qu’en pensez-vous ? il faudra peut-être ôter les fleurons ? Allons, je vais mettre un chapeau.

LE COMTE.

Vous me comblez de joie ; comment vous exprimer...

LA MARQUISE.

Mais fermez donc cette malheureuse porte ! cette chambre ne sera plus habitable.

Le comte ferme la porte.

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