Hortense a dit : « Je m’en fous ! » (Georges FEYDEAU)

Pièce en un acte.

Représentée pour la première fois sur la scène du Palais-Royal, le 14 Janvier 1916.

 

Personnages

 

FOLLBRAGUET

M. JEAN

VILDAMOUR

LEBOUCQ

ADRIEN

MARCELLE FOLLBRAGUET

HORTENSE

MADAME DINGUE

LA CUISINIÈRE

 

Chez Follbraguet, cabinet de dentiste.

 

Au fond, portes à droite et à gauche. Entre les deux portes, au centre de la cloison, un lavabo.

À droite, deuxième plan, porte sous tenture. Au premier plan, contre le mur, sur une petite table, un autoclave. À gauche, la cheminée. Au-dessus, porte donnant chez Mme Follbraguet.

Comme mobilier, à droite de la scène, une table-bureau placée perpendiculairement à la rampe. Entre le mur et la table, le fauteuil de bureau. Mobilier ad libitum. En plein milieu de la scène, devant le trou du souffleur et face au public, le fauteuil opératoire. À gauche du fauteuil, un petit meuble à tiroirs, haut sur pieds, dans lequel sont les instruments et les médicaments. À proximité, la roue du dentiste. À droite du fauteuil, le crachoir avec son tuyau à tube de verre pour pomper la salive des patients.

Au lever du rideau, Vildamour est assis sur le fauteuil opératoire, une serviette autour du cou, la bouche bâillonnée par un carré de caoutchouc noir, au centre duquel émerge seule la dent à soigner. Ce morceau de caoutchouc est fixé de chaque côté de la bouche par une pince reliée à une sorte de jarretelle en caoutchouc qui fait le tour de la nuque. Pour compléter le supplice, dans le coin à gauche de la bouche, la pompe-salive indiquée plus haut.

 

 

Scène première

 

FOLLBRAGUET, VILDAMOUR, puis ADRIEN, puis MARCELLE, puis MONSIEUR JEAN, puis HORTENSE

 

Follbraguet est à droite (n° 1) de Vildamour (n° 2) et lui travaille dans la bouche avec la roue.

VILDAMOUR, rongeant son frein.

Ooooon-on-on !

FOLLBRAGUET, tout à son travail.

Un peu de patience ! Il n’y en a plus pour longtemps ! Ouvrez la bouche !

VILDAMOUR, douloureusement.

Oon-on-on !

FOLLBRAGUET, tout en travaillant.

Faites pas attention ! Pensez à quelque chose de gai !

VILDAMOUR, incompréhensible dans son bâillon.

Ah !... i...é... o-o-à ie !

(Ce qui signifie, autant qu’on peut savoir : « Ah ! oui, c’est commode à dire ! « )

FOLLBRAGUET.

Bougez pas, s’il vous plaît ! Ouvrez la bouche... Je ne vous fais pas de mal, je vous dis, je ne vous fais pas de mal.

VILDAMOUR, geignant.

Ooon-on-on !

FOLLBRAGUET.

Mais non, mais non ; quand ça devra vous faire du mal, je vous préviendrai.

VILDAMOUR, angoissé.

Oha !

FOLLBRAGUET.

Soyez tranquille !

Il s’arrête pour changer d’instrument.

VILDAMOUR.

E en ! e ein o-ésses e ou ites a !

(Eh bien ! c’est plein de promesses ce que vous dites-là !)

FOLLBRAGUET, qui a pris un autre instrument.

Là !... Ouvrez la bouche !... bien !... attention !

VILDAMOUR, pâlissant.

Oua ?

(Quoi ?)

FOLLBRAGUET.

N’ayez pas peur... ça va vous faire un peu de mal...

VILDAMOUR, inquiet.

Ah ?...

Brusquement.

Oh !...

FOLLBRAGUET.

Là !... je ne vous ai pas pris en traître ! Non, non, ne tournez pas la tête... oh !

VILDAMOUR, épuisé.

A-en-ez !... a-en-ez un o-ment.

(Attendez, attendez un moment.)

Ah ! on eu ieu ! ah ! on eu ieu !

(Ah ! nom de dieu, ah ! nom de Dieu !)

FOLLBRAGUET.

Là, c’est plus rien ! c’est plus rien.

VILDAMOUR.

Ah ! on eu ieu ! oun a ez à c e est, ous ! e é é ant on i ait on ou ille a é-elle ! an ! an ! a ou en an eu... é oi !...

(Ah ! nom de Dieu, vous ne savez pas ce que c’est, vous ! C’est effrayant... on dirait qu’on vous vrille la cervelle. V’lan, v’lan ! ça vous prend au cœur... c’est horrible !)

FOLLBRAGUET, machinalement.

Oui, oui, monsieur, oui.

VILDAMOUR.

Eun’ai a i a in-en-é e al e en, ai e-ni a é un ude ochon !

(Je ne sais pas qui a inventé le mal de dents, mais celui-là c’est un rude cochon !)

ai é a eu om a, i a eu ans une age e ents, ai ou ème cette oi à...

(J’ai déjà eu, comme ça, il y a deux ans, une rage de dents, mais tout de même, cette fois-là.)

FOLLBRAGUET, approchant avec son instrument au bout de sa roue.

Là ! ouvrez la bouche.

VILDAMOUR.

Oh ! en o a oue !

(Oh ! encore la roue !)

FOLLBRAGUET.

Un petit rien !... histoire de rire !...

Il opère.

Là ! je ne vous fais pas de mal.

VILDAMOUR, avec conviction.

Hi !

(Si !)

FOLLBRAGUET.

C’est pour votre bien... là... là..., vous voyez, vous vous y faites ; ouvrez la bouche ! Si vous faisiez ça seulement huit jours de suite, vous ne pourriez plus vous en passer.

VILDAMOUR, geignant.

Oon ! oon ! oon !

FOLLBRAGUET.

Non, non, c’est une idée. Là, c’est fini !

Continuant tout de même.

C’est fini...

VILDAMOUR.

Oon ! oon !

FOLLBRAGUET.

C’est fini, là !

Il s’arrête.

VILDAMOUR, se levant.

Ah !

FOLLBRAGUET.

Attendez ! attendez ! je n’ai pas fini !

VILDAMOUR, se rasseyant.

Ou ite ou e en « est ini » et ou en in-i-ez as !

(Vous dites tout le temps que « c’est fini » et vous n’en finissez pas !)

FOLLBRAGUET, qui pendant ce qui précède a allumé une petite lampe à alcool et y chauffant sa poire à air chaud.

C’est plus rien, maintenant. N’ayez pas peur ! Ouvrez la bouche !

VILDAMOUR, à chaque coup de soufflet.

Hha ! hha ! hha ! hha !

FOLLBRAGUET.

Là !

VILDAMOUR.

Oh ! eè éa-é-ae.

(Oh ! que c’est désagréable.)

FOLLBRAGUET, vivement.

Fermez pas la bouche !... restez grand ouvert.

Il a tourné un coton autour d’une tige d’acier, et, après l’avoir imbibé d’un produit médicamenteux, contenu dans une petite fiole, il l’introduit dans la dent qu’il vient de soigner.

Là ! ça n’est pas si terrible que ça !

Il défait le caoutchouc, enlève le pompe-salive, en tendant un verre au quart plein d’un mélange de dentifrice et d’eau.

Crachez !

VILDAMOUR obéit et après s’être rincé la bouche.

Merci... vous êtes bien aimable... ce que vous avez pu me torturer !

FOLLBRAGUET, se dirigeant vers son bureau.

Mais non, mais non ! C’est en se disant ça qu’on a mal ! Alors, voilà : vous allez me garder ce pansement un jour ou deux, après quoi, vous reviendrez pour que je vous aurifie.

Feuilletant son agenda.

Voyons, quels sont mes rendez-vous ? Attendez... après demain, cinq heures, vous êtes libre ?

VILDAMOUR.

Après-demain cinq heures ?... Non, j’ai un rendez-vous !

FOLLBRAGUET.

Aha !

Il s’apprête déjà à chercher un autre jour.

Alors, voyons...

VILDAMOUR.

Oh ! mais ça va très bien ! c’est avec un créancier ! il se cassera le nez ! c’est pain béni !

FOLLBRAGUET.

Parfait ! alors,

Inscrivant.

onze février, cinq heures, M. Vildamour. N’oubliez pas !

VILDAMOUR.

Vous voyez bien que je n’oublie rien, puisque je me rappelle un rendez-vous avec un créancier.

Un temps.

Voilà !

Un temps.

Ça me fait toujours mal, vous savez.

FOLLBRAGUET, indifférent.

Oui, oui.

VILDAMOUR.

Ça a l’air de vous laisser froid.

FOLLBRAGUET.

Ça me laisse froid, parce que c’est dans l’ordre. Vous souffrirez comme cela encore un quart d’heure, et puis ça ira en diminuant. Je viens de pratiquer l’orifice, il faut le temps que ça se dégage.

VILDAMOUR.

Aha !

FOLLBRAGUET, tout en parlant, allant appuyer sur un bouton de sonnette électrique.

Cependant, si vous continuez à avoir mal, eh bien, revenez. Je m’arrangerai pour vous faire passer entre deux rendez-vous.

VILDAMOUR.

Oui, oh ! vous êtes le plus exquis des dentistes. D’ailleurs c’est pas d’aujourd’hui. Quand je parle de vous, vous savez... vous pouvez demander... je dis toujours : ah ! mon dentiste, c’est une perle ! et une main ! c’est un plaisir, on ne sent rien !

FOLLBRAGUET, flatté.

Ah ! et qu’est-ce qu’on vous répond à ça ?

VILDAMOUR.

On me répond : « Le mien aussi ! »

FOLLBRAGUET, refroidi.

Ah !

ADRIEN, paraissant au fond.

Monsieur ?

FOLLBRAGUET.

C’est pour reconduire Monsieur ! En même temps, vous direz à M. Jean de venir...

À Vildamour.

À après-demain cinq heures, n’est-ce pas ?

VILDAMOUR.

Entendu.

FOLLBRAGUET.

Et puis, couvrez-vous la bouche. Faites attention de ne pas attraper froid sur votre dent. Mais vous emportez ma serviette !

VILDAMOUR.

Oh ! pardon...

Il pose la serviette sur le dossier du fauteuil opératoire. Adrien ayant ouvert la porte pour laisser passer Vildamour, on aperçoit, dans le vestibule, Marcelle se chamaillant avec Hortense. Toutes deux parlent à la fois.

MARCELLE.

Et puis, en voilà assez ! Quand je vous dis une chose, vous n’avez pas à me dire non !

FOLLBRAGUET.

Quoi, quoi, qu’est-ce qu’il y a ?

VILDAMOUR, suivi d’Adrien, en passant devant Marcelle.

Pardon, madame !

MARCELLE, vite et sèchement.

Bonjour, monsieur.

FOLLBRAGUET.

Le vestibule n’est pas un endroit pour discuter avec les domestiques, surtout à l’heure de ma consultation.

MARCELLE, faisant irruption dans le cabinet de Follbraguet et lui tendant un manchon qu’elle tient à la main.

Mon ami, veux-tu toucher ça ?

FOLLBRAGUET.

Je te dis que le vestibule...

MARCELLE.

Eh bien ! quoi, je n’y suis pas, dans le vestibule ! je suis dans ton cabinet. Veux-tu toucher ça ?

FOLLBRAGUET, touchant machinalement.

Mais pourquoi ?... Ah ! qu’est-ce que c’est ? C’est mouillé.

MARCELLE, triomphante.

Ah ! tu trouves aussi que c’est mouillé.

HORTENSE, qui est restée sur le pas de la porte.

Je n’ai jamais dit le contraire.

FOLLBRAGUET, flairant machinalement ses doigts.

Eh ben, après ?... Quoi ! c’est de l’eau.

MARCELLE.

De l’eau ! ah ! tu trouves que c’est de l’eau.

FOLLBRAGUET.

Dame ! puisque c’est mouillé !

HORTENSE.

Là !

MARCELLE.

C’est du pipi du chat !

FOLLBRAGUET, furieux.

Oh ! mais tu me dégoûtes !

MARCELLE.

Si c’est comme ça que tu t’y connais.

FOLLBRAGUET, allant se rincer au lavabo.

Et tu me fais toucher ça !

HORTENSE.

Mais non, monsieur ! C’est Madame qui veut absolument que ce soit ma chatte qui soit allée s’oublier sur son manchon. Or, comme il est universellement connu que ma chatte ne va jamais dans l’appartement, alors, je me demande comme elle aurait fait.

MARCELLE.

Mais, sapristi, il n’y a qu’à sentir !

À Follbraguet.

Tiens, sens !

FOLLBRAGUET.

Mais non !

MONSIEUR JEAN, paraissant de droite, il est en tenue de travail, veston de toile blanche.

Vous m’avez fait demander, Monsieur Follbraguet.

FOLLBRAGUET, tout en s’essuyant.

Oui !

MARCELLE, lui tendant son manchon.

Monsieur Jean, voulez-vous me dire ce que ça sent ?

FOLLBRAGUET.

Ah ! non, je t’en prie !

MARCELLE.

Je t’en prie aussi, n’influence pas !

MONSIEUR JEAN, flairant complaisamment.

Je n’aime pas beaucoup cette odeur.

MARCELLE.

Ce n’est pas ce que je vous demande. Qu’est-ce que ça sent ?

FOLLBRAGUET, pendant que M. Jean flaire longuement.

Elle est folle !

MONSIEUR JEAN.

C’est de l’eucalyptus.

MARCELLE, retirant vivement son manchon, qui balaie le nez de M. Jean.

Non, monsieur, c’est du pipi de chat.

MONSIEUR JEAN, tout en s’essuyant le nez.

Je n’aime pas beaucoup cette odeur-là.

MARCELLE, à Hortense.

Vous voyez que tout le monde est d’accord. Vous ne me direz plus maintenant...

FOLLBRAGUET, les poussant dehors.

Oui, eh bien ! pipi ou pas pipi, je vous serais obligé de vider vos querelles ailleurs que dans mon cabinet. J’ai des clients à recevoir, et ils n’ont que faire d’assister à vos histoires !

MARCELLE, discutant, tout en se laissant pousser dehors, ainsi qu’Hortense.

Vous ne me direz plus que ce n’est pas votre chatte...

HORTENSE.

Oh ! pardon, madame ! Madame ne me fera pas dire une chose qui est contraire à la vérité.

MARCELLE.

Je vous prie de vous taire ! Je n’admets pas qu’on réplique quand je dis une chose...

FOLLBRAGUET.

Enfin, allez-vous me laisser travailler tranquillement, nom d’un chien !

Il les pousse dehors et referme la porte sur elles. On entend la discussion, derrière la porte, continuer en s’éloignant.

FOLLBRAGUET.

Oh ! c’est effrayant qu’on ne puisse pas avoir la paix !

À M. Jean.

Qu’est-ce que je voulais dire ?... oui... Vous avez du monde par là ?...

MONSIEUR JEAN.

Plus personne. J’ai eu Madame Otéro tout à l’heure ; une dent de sagesse qui lui pousse.

FOLLBRAGUET.

Tiens !... tiens !

MONSIEUR JEAN.

J’ai incisé la gencive pour faciliter l’éclosion.

FOLLBRAGUET.

Parfait ! Toujours jolie ?

MONSIEUR JEAN.

Dame !

FOLLBRAGUET.

Pourquoi ne m’avez-vous pas dit ?... j’aurais aimé la voir.

MONSIEUR JEAN.

Vous étiez occupé avec un client, alors je l’ai prise.

FOLLBRAGUET.

Vous ne vous refusez rien !

MONSIEUR JEAN.

Oh ! Monsieur Follbraguet, Madame Otéro et moi n’y avons pensé... ni l’un, ni l’autre.

FOLLBRAGUET, ironique.

Oh !

MONSIEUR JEAN, solennel.

Je vous jure !

FOLLBRAGUET.

Allons ! ça va bien... Je voulais vous dire ! il faudra que vous passiez chez Chose... qui nous fournit l’amalgame...

MONSIEUR JEAN.

Bringuet.

FOLLBRAGUET.

Oui, pour lui dire que son dernier envoi ne vaut rien. Toutes mes dernières obturations se désagrègent et tombent ; ce n’est pas sérieux, il faut qu’il me le change.

MONSIEUR JEAN.

Bien, monsieur.

FOLLBRAGUET.

Voilà, c’est tout.

MONSIEUR JEAN.

Bon, monsieur.

 

 

Scène II

 

FOLLBRAGUET, MONSIEUR JEAN, MARCELLE, puis HORTENSE

 

MARCELLE.

Mon ami, je te prie...

FOLLBRAGUET.

Oh ! encore toi !

MARCELLE.

Quoi ! tu n’as personne...

FOLLBRAGUET.

Je te demande pardon, il y a du monde qui attend.

MARCELLE.

Eh bien ! il attendra ! quand on a mal aux dents, on attend. Je te prie de mettre Hortense à la porte, séance tenante.

FOLLBRAGUET.

Oh ! quoi encore ?

MARCELLE.

Je lui fais une observation, elle me répond : « Je m’en fous ! »

FOLLBRAGUET.

Eh bien ! fais-en autant.

MARCELLE.

Tu admets ça ! Tu admets qu’elle me réponde : « Je m’en fous ! »

FOLLBRAGUET.

Ça prouve qu’elle a de la philosophie.

Petit rire étouffé de M. Jean.

MARCELLE.

Qu’est-ce que vous avez à rire ; vous ?

MONSIEUR JEAN.

Oh ! rien, madame.

MARCELLE, à son mari.

Oh ! très spirituel ! d’ailleurs, ça ne m’étonne pas ! tout le monde sait que ça t’est égal qu’on m’insulte ! c’est même parce qu’on sait que je n’ai personne pour me faire respecter qu’on se permet...

FOLLBRAGUET.

Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher ? Si tu ne l’embêtais pas, cette fille...

MARCELLE.

Je l’embête, je l’embête, ça, c’est admirable !

MONSIEUR JEAN.

Je peux m’en aller, monsieur ?

FOLLBRAGUET.

Oui, monsieur Jean. Je comprends que cette discussion ne vous intéresse pas !

MONSIEUR JEAN.

Oh ! c’est pas ça !

FOLLBRAGUET.

Ne vous excusez pas... allez, monsieur Jean, allez !...

M. Jean sort.

MARCELLE.

Voilà ! voilà ! le genre ! comment veux-tu qu’il me respecte aussi, celui-là, si tu as l’air de te moquer devant lui.

FOLLBRAGUET.

Quoi, il ne t’a pas manqué de respect !

MARCELLE.

Non, mais ça viendra ! Aller défendre cette fille !

FOLLBRAGUET.

Mais je ne la défends pas !

MARCELLE.

C’est bien, je saurai dorénavant que j’ai des manchons pour servir de plats aux chattes de ma femme de chambre.

Il remonte.

FOLLBRAGUET.

Ah ! non, je t’en prie ! assez avec cette histoire de chatte ! Qu’on en fasse une gibelotte ; et qu’on n’en parle plus.

MARCELLE.

Enfin, veux-tu la mettre à la porte, oui ou non ?

FOLLBRAGUET.

Oh ! que tu m’embêtes !

MARCELLE, remontant et appelant.

Hortense ! Hortense !

FOLLBRAGUET.

Allons ! je t’en prie ! je t’en prie !

MARCELLE.

Hortense !

Voix d’HORTENSE.

Madame ?

FOLLBRAGUET.

Oh ! quelle existence !

MARCELLE, à Hortense qui paraît.

Entrez ! que Monsieur vous mette à la porte !

FOLLBRAGUET.

Mais pas du tout ! du tout !

MARCELLE.

Mais si, quoi !

FOLLBRAGUET.

Oh !

MARCELLE.

Je viens de dire à Monsieur la façon dont vous vous êtes permis de me parler. Il est indigné.

FOLLBRAGUET, rongeant son frein.

Non, c’est exaspérant !

MARCELLE.

Là ! vous l’entendez ! Monsieur dit que c’est exaspérant !

HORTENSE.

Est-ce bien pour moi que Monsieur dit ça ?

MARCELLE.

Vous n’allez pas insinuer que c’est pour moi ?

HORTENSE.

Je ne sais pas.

MARCELLE.

Tu entends ! Tu entends comme elle me parle ! mais enfin, dis donc quelque chose, toi ! aie donc le courage de parler aux gens en face !

FOLLBRAGUET.

Mais qu’est-ce que tu veux que je dise ?

MARCELLE.

Voilà une fille qui me répond à une observation : « Je m’en fous ! », tu admets ça ?

FOLLBRAGUET, sans conviction.

Non.

MARCELLE.

Eh ! bien, alors, si tu ne l’admets pas, prouve-le en la mettant à la porte !

Un temps.

Eh bien ?

FOLLBRAGUET.

Ben ! attends... quoi !

HORTENSE.

Je serai évidemment désolée de quitter la maison à cause de Monsieur, qui a toujours été bon, mais si Monsieur l’exige.

FOLLBRAGUET.

Aussi, ma fille, comment avez-vous dit à Madame : « Je m’en fous » ?

MARCELLE.

Mais il n’y a pas à savoir comment elle l’a dit ! il n’y a pas plusieurs façons de dire : « Je m’en fous ! » Je n’admets pas qu’une femme de chambre se serve vis-à-vis de moi d’expression de charretier ! elle m’a dit : « je m’en fous » ! eh bien ! fous-la dehors ! Un point, c’est tout.

FOLLBRAGUET, à Hortense.

Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez, ma fille, puisque Madame y tient absolument, je vous fous dehors.

HORTENSE.

C’est bien, Monsieur.

Un temps.

Je regretterai Monsieur qui a toujours été bon pour les domestiques.

MARCELLE.

Oui, c’est bon ! allez chercher votre livre, que l’on vous règle.

Hortense sort.

 

 

Scène III

 

FOLLBRAGUET, MARCELLE, puis ADRIEN, puis MADAME DINGUE, puis MONSIEUR JEAN

 

FOLLBRAGUET, adossé au bureau.

Pourquoi brusques-tu cette fille parce qu’elle me dit un mot aimable ?

MARCELLE.

Oui, oh ! naturellement ! tu te laisses prendre à ça, si tu ne vois pas que c’est encore une impertinence à mon égard... par déduction...

FOLLBRAGUET.

Oh ! tu vois toujours du machiavélisme dans tout !

MARCELLE.

Et toi, tu es mou ! tu es mou ! ah ! quelle chiffe !

FOLLBRAGUET.

C’est entendu ! quand on est pas de ton avis, on est une chiffe.

Entendant frapper.

Entrez !

ADRIEN.

Monsieur n’oublie pas qu’il a toujours une personne qui attend au salon.

FOLLBRAGUET.

Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez ? Madame ne veut pas me laisser tranquille un moment.

MARCELLE.

Voilà qui est du tact ! Voilà qui est du tact !

FOLLBRAGUET.

Mais c’est vrai !

À Adrien.

Faites entrer la personne.

MARCELLE.

Quelle chiffe !

Elle sort à gauche.

FOLLBRAGUET.

Oui, oui, c’est convenu.

Voyant entrer Mme Dingue.

Entrez, madame !

MADAME DINGUE, à Adrien qui s’efface.

Pardon !

Adrien sort.

FOLLBRAGUET.

Vous ne venez pas sur rendez-vous ?

MADAME DINGUE.

Non, Docteur. C’est la première fois que je viens. Mon dentiste habituel est malheureusement décédé. Je n’ai d’ailleurs pas de chance avec les dentistes, c’est le troisième que je perds !

FOLLBRAGUET.

Ah ! ...ce n’est pas encourageant.

MADAME DINGUE.

Oh ! ça ne prouve rien ! d’ailleurs, nous verrons bien !

FOLLBRAGUET.

Merci, madame.

MADAME DINGUE.

Je sais que vous êtes le dentiste d’un de mes bons amis. C’est de lui que je me recommande, Monsieur Bienassis.

FOLLBRAGUET.

Certainement, je suis en procès avec lui.

MADAME DINGUE.

Ah ! il ne me l’avait pas dit.

FOLLBRAGUET.

Oh ! il me doit de l’argent, voilà tout !

MADAME DINGUE.

Oh ! alors, ça n’est pas grave ! l’argent ne fait pas le bonheur.

FOLLBRAGUET.

Oui, c’est même à se demander pourquoi les riches y tiennent tant !

MADAME DINGUE.

Ah ! ça ! mais, nous bavardons, je vous prends votre temps ! Voici, mon cher docteur, ce qui m’est arrivé. Oh ! un petit accident, en mangeant des lentilles, les domestiques sont si peu consciencieux dans leur travail. On avait laissé une petite pierre, je me suis cassé une dent.

FOLLBRAGUET.

Ah ! c’est dommage ! si vous voulez prendre la peine de vous asseoir.

MADAME DINGUE.

Très volontiers.

Elle s’assied sur le fauteuil opératoire.

FOLLBRAGUET, s’apprêtant à regarder.

Quelle est la dent cassée ?

Il monte le fauteuil.

MADAME DINGUE.

Je vais vous montrer ça.

Tirant un râtelier de son réticule.

Tenez, voici !

FOLLBRAGUET.

Aha !

MADAME DINGUE.

Bien entendu, tout ça entre nous !

FOLLBRAGUET.

Oh ! secret professionnel !

MADAME DINGUE, contemplant son râtelier.

Elles sont jolies, n’est-ce pas ?

Geste approbatif de la tête chez Follbraguet.

C’est le dernier travail du pauvre défunt.

FOLLBRAGUET.

Ah, oui ! le dernier dentiste...avant moi

MADAME DINGUE.

Oui. Je lui avais demandé de l’extra, parce que je ne sais pas si vous êtes de mon avis, je trouve que le premier attrait d’une femme, c’est d’avoir de jolies dents.

FOLLBRAGUET.

Du moment qu’on peut y mettre le prix.

MADAME DINGUE.

N’est-ce pas ?

FOLLBRAGUET.

Ce n’est pas un dentiste qui vous dira le contraire.

Il baisse le fauteuil.

MADAME DINGUE.

Oh ! où vais-je ?

FOLLBRAGUET.

Ne vous inquiétez pas ! Vous êtes arrivée.

MADAME DINGUE.

C’est exquis !

FOLLBRAGUET.

Eh bien ! mon Dieu, madame, c’est une dent à remettre. Seulement ça demandera quelques jours. En êtes-vous pressée ?

MADAME DINGUE.

Oh ! j’ai mon numéro deux, celui de tous les jours, et en attendant...

FOLLBRAGUET.

Oui, celui-là, c’est les dents du dimanche.

MADAME DINGUE.

Oh ! non, j’ai horreur de m’endimancher, mais quand je vais en soirée ou dans un grand dîner... Je n’ai pas de soirée ni de grand dîner en perspective.

FOLLBRAGUET.

Parfait, alors !

Ouvrant la porte sous tenture.

Monsieur Jean, s’il vous plaît.

Voix de MONSIEUR JEAN.

Voilà Monsieur, tout de suite.

FOLLBRAGUET, derrière son bureau ouvrant son agenda.

Si vous voulez me donner votre nom et votre adresse.

MADAME DINGUE.

Madame Dingue... Iza... Iza Dingue... 8, rue Bugeaud.

FOLLBRAGUET, achevant d’écrire.

Mme Iza Dingue... 8, rue Bugeaud... « Mniam, mniam, mniam » à réparer.

MADAME DINGUE.

Comment « Mniam, mniam, mniam » à réparer ?

FOLLBRAGUET.

Oui, c’est pour moi que je mets ça ; je me comprends. Vous ne tenez pas, n’est-ce pas, à ce que si quelqu’un ouvre mon livre par hasard, il trouve : « Mme Dingue, râtelier à réparer. »

MADAME DINGUE.

Ah ! non !...

FOLLBRAGUET.

Alors « mniam, mniam, mniam », je sais ce que ça veut dire, et les profanes ne comprennent pas.

MADAME DINGUE.

Ah ! c’est très ingénieux.

FOLLBRAGUET.

Oui, toujours dans ces cas-là !... Il n’y a pas que vous comme ça.

Feuilletant son agenda.

Tenez là... Madame Rethel Pajon. « Mniam, mniam »... une incisive à ajouter.

MADAME DINGUE.

Mme Armand Rethel-Pajon ?

FOLLBRAGUET.

Oui.

MADAME DINGUE.

Oh ! mais je la connais très bien. Comment, elle a un râtelier ?

FOLLBRAGUET, affolé.

Oui...hein ? non ! non !

MADAME DINGUE.

Comment, mais « mniam, mniam, mniam » ?

FOLLBRAGUET, vivement.

C’est une erreur, ce n’est pas elle.

MADAME DINGUE.

Oh ! n’ayez crainte, je serai discrète.

FOLLBRAGUET.

Oh ! je vous en prie, n’abusez pas d’une étourderie. D’ailleurs, discrétion pour discrétion ... vous entendez bien.

MADAME DINGUE.

Oui, oui ! ah bien ! je n’aurais jamais cru, moi qui admirais toujours ses dents !...

FOLLBRAGUET, s’inclinant.

Vous êtes vraiment trop indulgente.

MADAME DINGUE.

Ah ! elles sont de vous ?

FOLLBRAGUET.

Elles sont de moi.

MADAME DINGUE.

Quel artiste !

MONSIEUR JEAN.

Vous me demandez, Monsieur Follbraguet ?

FOLLBRAGUET, tout en pressant sur le bouton électrique.

Oui, c’est pour madame, où les ai-je donc mises ?

MADAME DINGUE.

Quoi ?

FOLLBRAGUET.

Vos dents...

Il cherche dans ses poches.

Ah ! je les avais dans ma poche.

Présentant le râtelier à M. Jean.

Voici !

MONSIEUR JEAN, sans aucune malice.

Aha ?

MADAME DINGUE.

Quoi « aha » ?

FOLLBRAGUET.

Deuxième molaire supérieure gauche à remettre...

MONSIEUR JEAN.

Parfait !

FOLLBRAGUET.

Et quelque chose de soigné, n’est-ce pas ? C’est le dentier de gala.

MONSIEUR JEAN.

Bien, monsieur. Madame n’a pas un jour spécial pour son bridge ?

MADAME DINGUE.

Mon bridge ! quel bridge ?... je ne joue pas au bridge...

MONSIEUR JEAN.

Non, c’est pour le...

FOLLBRAGUET, à Mme Dingue.

Oui, cela s’appelle aussi un bridge.

MADAME DINGUE.

Ah ! je ne savais pas.

FOLLBRAGUET, le renvoyant.

C’est bien, monsieur Jean...Je prendrai jour avec Madame...

M. Jean sort en emportant le dentier.

ADRIEN, entrant.

Monsieur m’a sonné ?

FOLLBRAGUET, à Adrien qui paraît à la porte de gauche.

C’est pour accompagner Madame.

ADRIEN.

Bien Monsieur.

MADAME DINGUE.

Merci, Docteur.

Elle va prendre son manchon sur le bureau.

FOLLBRAGUET.

Encore du monde par là ?

ADRIEN.

Personne pour le moment, mais Hortense attend dans le vestibule pour parler à Monsieur.

FOLLBRAGUET, avec un geste d’humeur.

Ah !...

Après un temps.

C’est bien, quand Madame sera partie.

MADAME DINGUE.

Et alors, docteur quand l’aurai-je ?

FOLLBRAGUET.

Quoi donc, madame ?

MADAME DINGUE.

Mon « mniam, mniam, mniam ».

FOLLBRAGUET, comprenant.

Ah !

ADRIEN, entre ses dents, ironiquement.

Tiens !

FOLLBRAGUET.

Oh ! il faut compter sept ou huit jours, je vous l’enverrai chez vous.

MADAME DINGUE.

C’est ça, docteur, au revoir.

FOLLBRAGUET.

Mes respects, Madame.

Sur le pas de la porte.

Entrez, vous !

 

 

Scène IV

 

FOLLBRAGUET, HORTENSE

 

HORTENSE.

J’apporte mon livre à Monsieur.

FOLLBRAGUET.

C’est bien, donnez !

Il prend le livre et va s’asseoir à sa table.

HORTENSE.

Monsieur verra. Il est arrêté au 30 janvier, alors il y a le compte du 1er au 9.

FOLLBRAGUET, tout en parcourant le livre.

Bon, bon !

HORTENSE.

Plus, alors, mon mois, qui part du 16, ça fait un mois moins sept jours, plus mes huit jours auxquels j’ai droit, ça fait un mois et un jour, en tout soixante deux francs...

FOLLBRAGUET.

C’est effrayant, ce qu’il y a de choses inutiles là-dedans.

HORTENSE, pincée.

Dame ! c’est des dépenses pour Madame.

FOLLBRAGUET.

Oui, oh ! je sais bien...

HORTENSE.

Oh ! je sais bien que Monsieur sait bien !

FOLLBRAGUET.

Regardez-moi ça ! tulle, tulle, voilettes, tulle, tulle, tulle, voilettes, tulle, tulle. Mais qu’est-ce qu’elle peut faire de tout ce tulle ?

HORTENSE.

Des affutiaux !

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce qu’il y a là ?

HORTENSE, allant près de Follbraguet.

Pardon...

Lisant.

Eaudanum.

FOLLBRAGUET, un peu ironique.

Ah !

HORTENSE.

Je n’ai pas une très belle écriture.

FOLLBRAGUET.

Oh ! c’est pas ça !

HORTENSE.

Dans ma condition, n’est-ce pas ?...

FOLLBRAGUET.

Laudanum, oui, oui. Pourquoi en a-t-on acheté, il y en a ici.

HORTENSE.

C’est un soir que Monsieur était sorti. Madame avait un cataplasme à faire, alors, comme elle n’avait pas d’eaudanum, elle m’a envoyée chez le pharmacien.

FOLLBRAGUET.

Oui, enfin.

Lisant.

Lavande 75 centimes ; amidon, 80 ; euh quoi ?... qu’est-ce que vous avez mis là ?

HORTENSE, jetant les yeux.

Son.

FOLLBRAGUET.

Ah !... ça s’écrit avec un S !

HORTENSE.

Ah ?... C’est possible.

FOLLBRAGUET.

En tout, ça fait quatre-vingt-six francs vingt plus soixante-deux, cent quarante-huit francs vingt. Écrivez : « Reçu pour solde de tout compte, cent quarante-huit francs vingt ; pour acquit » et votre signature.

HORTENSE.

Oh ! oh ! si Monsieur voulait écrire ça lui-même, avec tous ces mots étrangers... jamais je n’en sortirai.

FOLLBRAGUET.

Soit...

Il écrit.

HORTENSE.

Est-ce que Monsieur pourra me faire mon certificat ?

FOLLBRAGUET, tout en écrivant.

Oh ! pas aujourd’hui, vous le ferez prendre demain.

Achevant d’écrire.

Cent quarante-huit francs vingt ! Neuf février 1915. Là, écrivez en dessous, « pour acquit », et signez.

HORTENSE, prenant la plume.

Oui, Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Non, non, « pour acquit », pas en trois mois, c’est pas une interrogation.

Épelant.

P-o-u-r, plus loin... a-c-q-u-i-t !...

HORTENSE.

J’ai oublié de mettre les traits d’oignon.

FOLLBRAGUET.

Ce n’est pas utile. Signez.

HORTENSE, elle signe.

Voilà.

FOLLBRAGUET, se levant.

Je vais vous chercher ce qui vous est dû.

HORTENSE.

J’espère que Monsieur ne me gardera pas rancune.

FOLLBRAGUET.

Oui... ah ! vous aviez bien besoin de m’amener toute cette histoire !

HORTENSE.

Je le regrette bien, mais si Madame ne m’avait pas dit...

FOLLBRAGUET.

Ne vous avait pas dit quoi ?

HORTENSE.

Que c’était ma chatte qui avait fait...

FOLLBRAGUET.

Ah ! votre chatte. Qu’est-ce que ça vous fait, votre chatte ? Vous n’allez pas avoir de l’amour-propre pour votre chatte ! Ce n’est ni votre mère, ni votre sœur. Vous n’allez pas nous en faire une affaire Dreyfus !

HORTENSE.

Qu’est-ce que Monsieur veut ! Ce n’est pas parce qu’on est domestique qu’on doit se laisser dire n’importe quoi !

FOLLBRAGUET.

La belle affaire ! mais non, c’est plus fort que vous ! Il faut toujours que vous répondiez.

HORTENSE.

Enfin, Monsieur sait pourtant bien comment est Madame. Elle a toujours un ton pour vous parler.

FOLLBRAGUET.

Je ne dis pas...

HORTENSE.

On dirait que Monsieur ne le sait pas par lui-même. Quand on voit la façon dont souvent elle traite Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Oui, oh ! ben, moi...

HORTENSE.

Et cela devant nous, vrai, qu’on en est gêné.

FOLLBRAGUET.

Oui, oh ! je sais bien...

HORTENSE.

Nous en parlions encore dernièrement à l’office : Adrien était indigné.

FOLLBRAGUET.

Ah !

HORTENSE.

Il disait – parce qu’Adrien, c’est un homme qui ne dit rien comme ça, mais qui voit très juste – il disait : « Vraiment, j’admire Monsieur. Avec une femme comme Madame, je ne serais pas resté vingt-quatre heures. »

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce que vous voulez...

HORTENSE.

Cette façon, encore hier, à table, pendant le service, d’appeler Monsieur de tous les noms... de le traiter de chapon...

FOLLBRAGUET.

Et c’est faux !

HORTENSE.

Mais je n’en sais rien, Monsieur, je n’ai pas à le savoir.

HORTENSE.

Chapon ! est-ce que c’est des choses à dire devant les domestiques ?

FOLLBRAGUET.

Ça... !

HORTENSE.

Comment monsieur veut-il que les domestiques le respectent après ça : « chapon » !

FOLLBRAGUET.

Oui, ça va bien...

HORTENSE.

Ah ! si les maîtres savaient le tort qu’ils se font comme ça !... Est-ce que les domestiques s’en vont parler de leurs petites affaires devant leurs patrons ?... ah ! non ! pas si bêtes !

FOLLBRAGUET.

Oui. Ah ! c’est malheureux, tenez, que vous ne puissiez pas dire ça à ma femme.

HORTENSE.

C’est difficile !

FOLLBRAGUET.

Ce que je me suis tué à le lui répéter... Mais c’est plus fort qu’elle... Dès qu’il y a de la galerie, on dirait que ça l’aiguillonne... Si j’ai le malheur de lui dire une chose qui lui déplaît, je ne sais pas, que je n’aime pas sa robe ou qu’elle est mal coiffée. Ah ! là là, ce qu’elle peut m’en sortir sur moi, sur les miens : « Ah ! naturellement, tu aimerais mieux que j’aie l’air d’une grue, comme ta sœur ! »

HORTENSE.

Et Dieu sait que la sœur de Monsieur...

FOLLBRAGUET.

Enfin, vous étiez là, l’autre jour, quand elle m’a fait cette scène...

Sans transition.

Asseyez-vous donc !

HORTENSE.

Oui, Monsieur.

FOLLBRAGUET.

À propos de sa toilette... que je ne lui donnais jamais d’argent pour s’habiller, qu’elle n’avait rien à se mettre.

HORTENSE.

C’est insensé !

FOLLBRAGUET.

Enfin, vous en savez quelque chose. Vous savez tout ce que je paie, à tous moments, toutes les factures... et pourquoi ?... pour des futilités, des fanfreluches, comme dans votre livre.

HORTENSE.

Tulle, tulle, tulle, voilettes, tulle, tulle, tulle.

FOLLBRAGUET.

Oui.

HORTENSE.

Mais aussi, pourquoi Monsieur se laisse-t-il faire ?

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?

HORTENSE.

Dire une bonne fois : « En voilà assez ! je te donne tant pour ta toilette, et pas un sou de plus ! »

FOLLBRAGUET.

C’est très joli, mais quand les notes arrivent, les choses sont achetées.

HORTENSE.

Eh bien ! on dit : « Je regrette, je ne paie pas. » À la seconde fois, Madame se le tiendra pour dit.

FOLLBRAGUET, rêveur.

Évidemment...

HORTENSE.

Monsieur est trop bon, alors il est mangé !

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce que vous voulez ? Pour avoir la paix, vaut encore mieux y mettre du sien...

HORTENSE.

Ah ! à ce compte-là !...

FOLLBRAGUET.

Eh bien ! c’est ce que vous auriez dû faire aussi... au lieu de vous entêter à discuter.

HORTENSE.

Évidemment, Monsieur a meilleur caractère que moi.

FOLLBRAGUET.

Madame, au fond, elle est soupe au lait, mais si on ne lui tient pas tête... Je suis persuadé que demain... elle vous verra là, à votre service... elle ne se rappellera même pas qu’elle vous a congédiée.

HORTENSE.

Oui, mais que Monsieur comprenne... servir dans ces conditions-là...

FOLLBRAGUET.

Non, écoutez ! écoutez ! là, vous avez tort ! C’est vous, en ce moment qui avez la mauvaise tête !

HORTENSE.

Sentir qu’on ne vous est reconnaissant de rien ! Enfin, un exemple, Monsieur ; quand je suis entrée au service de Madame, je demandais soixante-dix francs... Madame m’a dit : « Non, soixante et, si, au bout de six mois, je suis contente de vous, je vous augmenterai de dix francs. » Pour ne pas discuter, j’ai accepté.

FOLLBRAGUET.

Eh bien ?

HORTENSE.

Eh bien, il y a huit mois que je suis ici et Madame ne m’a pas augmentée.

FOLLBRAGUET.

C’est qu’elle a oublié.

HORTENSE.

Non, non ! je le lui ai rappelé, elle m’a répondu : « Bon, bon, nous avons le temps d’en parler ! »

FOLLBRAGUET.

Oh ! bien, si c’est pour une affaire de dix francs.

HORTENSE.

Oh ! je sais bien que ce n’est pas Monsieur qui me les refusera !

FOLLBRAGUET.

Évidemment. Dix francs, ce n’est pas une somme.

HORTENSE.

Merci, bien, Monsieur.

FOLLBRAGUET.

De quoi ?

HORTENSE.

Pour les dix francs.

FOLLBRAGUET.

Ah ! oui... enfin... Seulement, je vous en prie, observez-vous !... évitez-moi les scènes ; ça me met en colère, et j’aime mieux tout que ça !

HORTENSE.

Oui, Monsieur !

FOLLBRAGUET.

Je vais toujours vous chercher votre argent, puisque vous avez acquitté votre livre...

HORTENSE.

Si Monsieur veut... On frappe à la porte.

FOLLBRAGUET, au moment de sortir.

Entrez !

 

 

Scène V

 

FOLLBRAGUET, HORTENSE, LA CUISINIÈRE

 

LA CUISINIÈRE.

C’est moi, Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce que vous faites dans l’appartement ? Pourquoi n’êtes-vous pas dans votre cuisine ?

LA CUISINIÈRE.

Parce que je viens d’habiller Madame, comme elle n’a personne. C’est Madame qui m’envoie...

FOLLBRAGUET.

Oui, bon, tout à l’heure.

Il sort, porte sous tenture, à droite.

LA CUISINIÈRE, une fois Follbraguet sorti.

Alors ?

HORTENSE.

Quoi ?

LA CUISINIÈRE.

Comme ça, tu t’en vas !

HORTENSE.

Non.

LA CUISINIÈRE.

Je croyais qu’on t’avait mise à la porte ?

HORTENSE.

Oui.

LA CUISINIÈRE.

Pour avoir dit à Madame : « Je m’en fous ! »

HORTENSE.

Oui.

LA CUISINIÈRE.

Eh ben, alors ?

HORTENSE.

Monsieur m’a augmentée de dix francs.

LA CUISINIÈRE, établie.

Bah !

FOLLBRAGUET, rentrant.

Eh bien, vous êtes encore là ?

LA CUISINIÈRE.

C’est Madame qui m’a chargée de demander à Monsieur...

FOLLBRAGUET.

Quoi encore ?

LA CUISINIÈRE.

De lui demander comme ça : « Si c’était fait ? »

FOLLBRAGUET, regardant Hortense avec un hochement de tête, comme pour dire : « Hein, croyez-vous ? » puis à la cuisinière.

Bon, ça va bien. Dites à Madame que je lui répondrai moi-même.

LA CUISINIÈRE.

Bien, Monsieur.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

HORTENSE, FOLLBRAGUET, puis MARCELLE

 

FOLLBRAGUET, dans un rictus.

Elle ne lâche pas !

Hortense a un geste de femme depuis longtemps édifiée.

Tenez ma fille... nous disons cent quarante-huit francs vingt... Voici d’abord vingt centimes... et puis cent quarante-huit ; de 48 à 60... Avez-vous à me rendre sur 60 francs ?

HORTENSE.

Oui, Monsieur.

Tirant son porte-monnaie et en extrayant deux francs.

Voici deux francs, Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Non, non ! de quarante-huit à soixante, ça fait douze francs.

HORTENSE.

Mais il y a les dix francs d’augmentation.

FOLLBRAGUET.

Ah ! les... oui... oui... en effet, les...

HORTENSE.

Merci, Monsieur.

MARCELLE, faisant irruption et voyant Hortense qui, assise, se lève à son entrée.

Ah ?... eh bien, quoi ? vous faites salon, maintenant ?...

FOLLBRAGUET.

Hein ?... non !... J’étais en train de lui faire mes observations.

MARCELLE.

Et tu la fais asseoir pour ça ?

FOLLBRAGUET.

Parce que, comme c’était un peu long... À tout prendre, tu sais, c’est une brave fille... et au fond de son cœur...

MARCELLE.

C’est pas tout ça... l’as-tu réglée ?

FOLLBRAGUET, troublé.

Oui... oui, je l’ai réglée... Ça, je l’ai réglée...

À Hortense.

N’est-ce pas ?

HORTENSE.

Oui, Monsieur.

MARCELLE.

Eh bien ! Qu’est-ce qu’elle attend pour s’en aller...

FOLLBRAGUET.

Ce qu’elle attend... oui, oui, évidemment : qu’est-ce qu’elle attend ? Justement, nous parlions... elle me disait grand bien de toi... que tu étais une dame très distinguée.

MARCELLE.

Elle est bien bonne. Qui est-ce qui lui demande son opinion ?

FOLLBRAGUET.

Non, personne... c’est pas pour ça qu’elle me disait... Seulement, il faut reconnaître que tu as souvent le mot cassant.

MARCELLE.

Quoi ?

FOLLBRAGUET.

Par exemple, avec moi... Évidemment, au fond, tu n’es pas méchante... Mais, comme elle me disait : Il y a des choses qu’on ne dit pas devant les domestiques.

MARCELLE.

Hein ? Tu vas demander leur avis sur moi, aux domestiques ?

FOLLBRAGUET.

Non, non, c’est venu comme ça, dans la conversation... C’est... c’est comme, n’est-ce pas ? tu lui avais promis une augmentation de dix francs... Alors comme tu lui avais promis...

MARCELLE.

Eh bien ?

FOLLBRAGUET.

Eh bien, je lui ai dit que je les lui donnerais.

MARCELLE, bondissant.

Hein ?

FOLLBRAGUET.

Je pense que tu m’approuves...

MARCELLE.

Non ! c’est admirable ! Je te dis de la mettre à la porte, et tu l’augmentes de dix francs !

FOLLBRAGUET.

Écoute !...

MARCELLE.

Non, non, ça suffit ! Puisque je ne suis plus maîtresse chez moi !... Puisque entre ma femme de chambre et moi, tu donnes raison à ma femme de chambre... ça va bien ; je sais ce qui me reste à faire.

FOLLBRAGUET.

Mais ne t’emballe donc pas tout de suite, mon Dieu ! Ah !

MARCELLE.

Oh ! je ne m’emballe pas... Seulement, je prends le parti que ma dignité me commande, je quitte la maison.

FOLLBRAGUET.

Voyons, Marcelle...

MARCELLE.

Non, non, c’est inutile ! Je m’en vais...

FOLLBRAGUET.

Ah ! Et puis, va-t’en, après tout, je ne te retiens pas...

MARCELLE, remontant.

N’aie pas peur, tu n’auras pas à me le dire deux fois. Ah ! non, par exemple !

FOLLBRAGUET, à Hortense.

Quel caractère !

Hortense approuve d’une levée des yeux vers le ciel.

HORTENSE.

Monsieur est un saint !

MARCELLE, redescendant.

Et même, je te laisse ma chambre... Tu pourras y installer Hortense, comme cela, tu seras plus près pour coucher avec ta bonne !

FOLLBRAGUET.

Quoi !

HORTENSE.

Qu’est-ce que Madame dit ?

MARCELLE.

Au revoir !

Elle sort à gauche.

FOLLBRAGUET.

Elle est folle ! Elle est complètement folle !

HORTENSE.

Ah ! mais non ! Ah, mais non ! Je n’admets pas qu’on me parle comme ça.

FOLLBRAGUET.

Mais ne faites pas attention...

HORTENSE.

Ce n’est pas parce qu’on n’est qu’une femme de chambre qu’on a le droit de tout lui dire.

FOLLBRAGUET.

Oui !... Et voilà ma vie, ma fille, voilà ma vie...

HORTENSE.

C’est possible que ce soit la vie de Monsieur, mais ce ne sera pas la mienne ! Je m’en vais, monsieur ! Je m’en vais !

FOLLBRAGUET.

Quel enfer, mon Dieu ! quel enfer !

On frappe à la porte.

Entrez !

 

 

Scène VII

 

HORTENSE, FOLLBRAGUET, ADRIEN, LEBOUCQ, puis MONSIEUR JEAN

 

ADRIEN.

Monsieur, il y a là un monsieur qui vient pour une fluxion.

FOLLBRAGUET.

Ah ! il m’embête !

ADRIEN, voyant Hortense qui remonte en pleurnichant.

Qu’est-ce que tu as ?

HORTENSE, le repoussant légèrement, mais avec humeur, tout en passant devant lui pour sortir.

Rien, laisse-moi !

ADRIEN.

Mais si, quoi ?

Voix d’HORTENSE.

Mais rien...

FOLLBRAGUET.

Oh ! oh ! oh !

Il remonte jusqu’à la porte du fond dont le battant est resté ouvert.

Qu’est-ce que vous voulez, Monsieur ?

LEBOUCQ, la figure entourée d’un bandeau.

Monsieur, je souffre... J’ai une fluxion !

FOLLBRAGUET, rageur.

Eh bien, oui, ça se voit !... Asseyez-vous là !... et enlevez votre bandeau...

Il remonte au lavabo et remplit le verre d’un mélange de dentifrice et d’eau.

LEBOUCQ, obéissant.

Oui, monsieur !

Il s’assied. Après un temps.

Je crois que j’ai attrapé ça hier au théâtre, il y avait un courant d’air.

FOLLBRAGUET.

Oui, monsieur, ça n’a aucun intérêt dans l’espèce.

LEBOUCQ.

Ah !... bien !

FOLLBRAGUET, posant le verre sur le meuble qui est près du fauteuil.

Ouvrez la bouche !

Rongeant son frein, tandis que Leboucq obéit.

Oh ! mais, en voilà assez ! Il faudra que ça cesse !

LEBOUCQ.

Comment ?

FOLLBRAGUET.

Non ! rien ! Ouvrez la bouche !

LEBOUCQ, indiquant sa dent.

C’est là !

FOLLBRAGUET.

Oui, eh bien, c’est une mauvaise dent !

LEBOUCQ, avec angoisse.

Ah ! alors...

FOLLBRAGUET.

Il faut l’extirper.

LEBOUCQ.

Vous ne voulez pas la conserver ?

FOLLBRAGUET.

Pourquoi ? Je n’en fais pas collection...

LEBOUCQ.

Me la conserver à moi.

FOLLBRAGUET.

Oh ! si vous y tenez, vous n’avez qu’à la garder !

LEBOUCQ.

Oh ! mais, comme vous êtes maussade !

FOLLBRAGUET, cherchant un instrument dans son meuble.

Ah ! bien si vous étiez à ma place !... Ouvrez la bouche !...

Il lui introduit l’instrument dans la bouche ; pendant que Follbraguet lui arrache la dent.

LEBOUCQ.

Ah ! ah ! ah !

FOLLBRAGUET, tout en tirant.

Mais ne criez donc pas ! Je suis déjà assez énervé ! Aïe donc !

LEBOUCQ.

Oh !

FOLLBRAGUET.

Oh, bien ! il est joli, votre chicot ! Je vous conseille d’y tenir.

Il met la dent dans une toute petite boîte comme une boîte de pilules.

LEBOUCQ, haletant.

Oh ! nom d’un chien ! Oh ! nom d’un chien !

FOLLBRAGUET.

Tenez ! rincez-vous la bouche !

LEBOUCQ, défaillant à moitié.

Ah !

Il avale le contenu du verre.

FOLLBRAGUET.

Mais c’est pas pour boire, voyons !

LEBOUCQ, idem.

Ah ! laissez-moi... Ah ! laissez-moi !

FOLLBRAGUET.

Allons ! allons ! vous n’allez pas vous trouver mal ?

LEBOUCQ.

Ah ! je sens que je m’en vais...

FOLLBRAGUET.

Ne vous laissez pas aller... Tenez, vous allez vous étendre un moment !

Allant à la porte, deuxième plan droit.

Monsieur Jean ! Monsieur Jean !

MONSIEUR JEAN, paraissant.

Monsieur !

FOLLBRAGUET, qui est redescendu vers Leboucq.

Tenez, emmenez Monsieur se reposer sur la chaise longue.

MONSIEUR JEAN.

Oui, monsieur.

Il prend Leboucq que lui passe Follbraguet.

Venez, monsieur !

FOLLBRAGUET.

Attendez !

LEBOUCQ, d’une voix mourante.

Quoi ?

FOLLBRAGUET, lui tendant la petite boîte qui contient la dent.

Voici votre dent, monsieur ! Vous teniez à la conserver...

LEBOUCQ, prenant la boîte par acquit de conscience.

Oh ! maintenant, je n’y tiens plus ! Je m’en vais !... Je sens que je m’en vais.

FOLLBRAGUET.

C’est ça, allez !...

MONSIEUR JEAN, emmenant Leboucq...

Par ici, monsieur, par ici.

Ils sortent de droite.

FOLLBRAGUET, allant s’asseoir à son bureau.

Quelle journée, mon Dieu ! quelle journée !

On frappe.

Entrez !

 

 

Scène VIII

 

FOLLBRAGUET, ADRIEN, puis HORTENSE, puis MARCELLE

 

ADRIEN, froid et digne, s’arrêtant sur le pas de la porte.

C’est moi, monsieur.

FOLLBRAGUET.

Quoi, c’est vous ?

ADRIEN.

Je souhaiterais avoir une conversation avec Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Quoi ? quoi ? qu’est-ce que c’est encore ?

ADRIEN.

J’ai attendu que Monsieur ait achevé son client. Quand j’ai entendu que Monsieur le faisait emmener par M. Jean, j’ai frappé.

FOLLBRAGUET.

Bon, bon, ça va bien, parlez !

ADRIEN, descendant.

Soit ! Monsieur n’ignore pas que Madame vient de gravement offenser Hortense ?

FOLLBRAGUET.

Ah ! non ! non ! vous n’allez pas encore venir me réembêter avec ça !

ADRIEN.

Je regrette de réembêter Monsieur, mais ce n’est pas pour mon plaisir. Monsieur sait sans doute que je fréquente avec Hortense ?

FOLLBRAGUET.

Quoi ?

ADRIEN.

Enfin, on s’est cédé.

FOLLBRAGUET.

Ah !

ADRIEN.

Oh ! pour le bon motif, car, malgré ça, je compte l’épouser.

FOLLBRAGUET.

Ah !... Eh bien ?

ADRIEN.

Eh ben ! en tant que mari, je ne puis admettre que Madame dise d’Hortense qu’elle couche avec Monsieur, ce qui est infamant !

FOLLBRAGUET.

Infamant ! infamant ! D’abord, je suppose que vous n’avez pas cru !

ADRIEN.

Oh ! non, je connais Hortense.

FOLLBRAGUET.

Merci pour moi.

ADRIEN.

Et puis, n’y a qu’à se souvenir de la façon dont Madame appelait Monsieur quand elle traitait Monsieur de chapon.

FOLLBRAGUET.

Ah ! mais dites donc !

ADRIEN.

Ce n’est pas pour froisser Monsieur, c’est pour lui montrer l’illogisme des femmes.

FOLLBRAGUET.

Je ne vous dis pas, mais...

ADRIEN.

Bref, Monsieur, étant donné les choses, j’ai le regret d’annoncer que je serai obligé de quitter le service de Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Eh bien, quittez-le ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise.

ADRIEN, digne.

C’est bien, Monsieur. Désormais, je reprends mon rang dans la société et je parle d’égal à égal.

FOLLBRAGUET.

Quoi !

ADRIEN.

Je ne suis qu’un mari qui défend l’honneur de sa femme. Ou Madame retire ce qu’elle a dit et fera des excuses à Hortense...

FOLLBRAGUET, pouffant nerveusement.

À Hortense !...

ADRIEN.

Ou bien, je n’oublie pas que je suis ancien prévôt d’armes au régiment, j’aurai l’honneur d’envoyer mes témoins à Monsieur.

FOLLBRAGUET.

Vos témoins ! Ah, çà ! vous vous fichez de moi ! Vous ne pensez pas que je vais me battre avec mon domestique ?

ADRIEN.

Je ne suis plus domestique.

FOLLBRAGUET, allant à lui.

Mais je les ficherai à la porte, vos témoins.

ADRIEN.

En ce cas, il sera établi qu’après avoir offensé les gens, Monsieur refuse de se battre, et il sera carencé.

FOLLBRAGUET, se tordant rageusement.

Je serai carencé !... je serai carencé !... c’est admirable ! Eh bien ! qu’on me carence ! qu’est-ce que ça me fiche ?

ADRIEN.

Ça, c’est affaire à Monsieur !

FOLLBRAGUET, s’arrachant les cheveux.

Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mais pourquoi est-ce que c’est sur moi que tout le monde tombe, est-ce que je suis pour quelque chose dans tout ça ?

ADRIEN.

Oh ! je sais bien que ce n’est pas Monsieur. Mais étant donné que le mari répond pour la femme !... j’attendrai jusqu’à ce soir la décision de Monsieur !... Ou Madame fera des excuses...

FOLLBRAGUET.

Ah ! non, vous ne voyez pas ça !

ADRIEN.

Ou alors demain, j’envoie à Monsieur deux de mes amis.

FOLLBRAGUET.

D’abord, si vous croyez que Madame consentirait...

ADRIEN.

Oh ! ça, c’est parce que Monsieur le veut bien, parce qu’enfin c’est Monsieur qui commande de par la loi, Monsieur n’a qu’à faire acte d’autorité, qu’à dire : « En voilà assez ! je suis le maître et j’exige ! »

FOLLBRAGUET.

Ah ! oui... Vous en parlez à votre aise.

ADRIEN.

Enfin, Monsieur a jusqu’à ce soir avant que je lui envoie mes témoins.

HORTENSE, qui devait écouter depuis un moment à la porte restée contre, surgissant et se précipitant sur Adrien.

Qu’est-ce que tu dis ? Des témoins ? Tu veux te battre ?

ADRIEN, se dégageant de son étreinte.

Ah ! je t’en prie, toi, c’est affaire entre hommes : tais-toi !

HORTENSE.

Ah ! non, tu ne vas pas te battre avec ces gens-là !

ADRIEN.

En voilà assez, je te dis ! Je suis le maître ! Et j’exige !

Hortense se le tient pour dit. À ce moment, on sonne dans l’antichambre, sur un tout autre ton, à Follbraguet.

Jusqu’à ce soir, je continue mon service. Je vais ouvrir.

MARCELLE, sortant de sa chambre en avalanche.

Voil...

En rencontrant Hortense, elle s’arrête, toise les domestiques qui sortent dignement. Une fois les personnes sorties, jetant une clé sur la table.

Voilà ma clé !... ma chambre est libre, tu peux en disposer !

FOLLBRAGUET.

Oui, eh bien ! voilà ce que j’en fais de ta clef, je la fiche au feu !...

Il l’envoie à toute volée dans la cheminée.

MARCELLE.

À ton aise !...

FOLLBRAGUET.

Tu sais ce que tu m’amènes avec tes histoires ?

MARCELLE.

Je ne suis pas curieuse de le savoir.

FOLLBRAGUET.

J’ai un duel avec mon domestique !

MARCELLE, ironique.

Voyez-vous ça ?

FOLLBRAGUET.

Il n’y a pas de « voyez-vous ça » !... Comme Adrien est fiancé à Hortense et que tu l’as insultée, il m’en demande raison.

MARCELLE.

Très bien ! C’est très bien ! ça prouve qu’il n’est pas comme certaines gens. Quand on insulte sa femme, il prend fait et cause pour elle ! ce n’est pas un pleutre !

FOLLBRAGUET.

Oui, eh bien ! en attendant, tu as offensé Hortense, tu vas me faire le plaisir de lui faire des excuses.

MARCELLE.

Moi ? eh ben !

FOLLBRAGUET.

Et séance tenante.

MARCELLE.

Pourquoi ? T’as peur !

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce que tu dis, espèce d’idiote ? Et puis, en voilà assez. Je suis le maître et j’exige.

Paraît Adrien qui s’arrête sur le pas de la porte.

MARCELLE.

Ah ! « tu exiges » ! tiens !

Elle lui envoie un soufflet.

FOLLBRAGUET.

Oh !

MARCELLE.

Monsieur exige !

Elle sort de gauche.

FOLLBRAGUET, à Adrien.

Eh bien ! voilà, mon ami, quand je montre de l’autorité. Voilà !

ADRIEN.

Ah ! évidemment... quand il faut remonter un courant...

FOLLBRAGUET, exaspéré.

Oh ! non ! non !

ADRIEN.

Ah ! mais, Monsieur a toute la journée devant lui...

FOLLBRAGUET.

Ah ! fichez-moi la paix !...

ADRIEN.

Y a le monsieur que Monsieur a déjà soigné aujourd’hui qui revient.

FOLLBRAGUET.

Quel monsieur ?

ADRIEN.

Celui qui était là juste avant la dame qui venait pour son « mniam, mniam, mniam ».

FOLLBRAGUET.

Ah !

ADRIEN.

Il paraît qu’il a toujours mal.

FOLLBRAGUET.

Bon ! bien !... eh ! bien !...

 

 

Scène IX

 

FOLLBRAGUET, ADRIEN, MARCELLE, LA CUISINIÈRE

 

MARCELLE, entrant du fond à gauche.

Et maintenant je t’amène la cuisinière.

FOLLBRAGUET.

Quoi ? quoi ? la cuisinière.

MARCELLE, à la cuisinière qui, dans le vestibule, est visible, dans l’embrasure de la porte.

Allez, allez, entrez, ma fille !

À son mari, pendant que la cuisinière entre.

Puisqu’il est entendu que je ne suis plus rien dans la maison...

FOLLBRAGUET, rongeant son frein.

Oh !

MARCELLE.

Que les domestiques sont plus que moi ici...

FOLLBRAGUET.

Mais non, non.

MARCELLE.

Si, si ! Eh bien, je te passe mes pouvoirs ! Désormais, tu voudras bien t’occuper de la cuisinière, de ses comptes et de ses menus !

À la cuisinière.

Désormais, vous voudrez bien vous adresser à Monsieur, moi je démissionne ! Au revoir !

Elle sort en bourrasque.

FOLLBRAGUET, courant après elle.

Marcelle ! Marcelle !

Voix de MARCELLE.

Fiche-moi la paix !

LA CUISINIÈRE.

Alors qu’est-ce que Monsieur veut manger pour dîner ?

FOLLBRAGUET, furieux.

Je m’en fous !

LA CUISINIÈRE, aussi fort que lui.

Et moi aussi.

FOLLBRAGUET.

Qu’est-ce que vous dites ? C’est à moi que vous dites : « Je m’en fous ! »

LA CUISINIÈRE, dont l’aplomb tombe.

Mais, Monsieur...

FOLLBRAGUET.

Allez ! allez ! je vous fiche dehors. Allez faire vos malles. Vous partirez séance tenante...

LA CUISINIÈRE.

Oh ! mais, monsieur, je n’ai pas dit cela pour offenser Monsieur...

FOLLBRAGUET.

Allez ! filez ! vous partirez tout de même !

LA CUISINIÈRE.

C’était pour une augmentation... comme Hortense.

FOLLBRAGUET.

Allez ! allez ; et plus vite que ça !

Il la pousse dehors et referme la porte en la faisant claquer.

Ah ! mais, tout le monde se fiche de moi, ici !

ADRIEN, qui a assisté à tout cela, effacé dans un coin.

Faut-il faire entrer le client ?

FOLLBRAGUET.

Oui ! non !... zut ! si...

 

 

Scène X

 

FOLLBRAGUET, VILDAMOUR, ADRIEN

 

ADRIEN, ouvrant la porte fond droit.

Si Monsieur veut entrer !

VILDAMOUR, descendant en scène.

Oh ! oui !

À Follbraguet, pendant qu’Adrien sort.

Oh ! monsieur, j’ai pas pu y tenir... J’ai plus mal qu’avant...

FOLLBRAGUET, indiquant le fauteuil.

C’est bien, asseyez-vous là !

VILDAMOUR.

Oui, monsieur.

FOLLBRAGUET, la tête ailleurs, les coudes au corps, agitant convulsivement les deux poings et sur un ton de sourde menace.

Oh ! oh ! oh ! oh ! oh !

VILDAMOUR.

Comment ?

FOLLBRAGUET.

Non, rien, je me parle.

Il lui attache une serviette autour du cou.

VILDAMOUR.

Attendez, vous me prenez le menton !

Follbraguet lui dégage le menton.

FOLLBRAGUET.

Vous n’avez qu’à faire attention !

VILDAMOUR, voyant que Follbraguet prépare le caoutchouc.

Vous allez encore me mettre tout un mobilier dans la bouche ?

FOLLBRAGUET.

Je fais ce qu’il y a à faire.

VILDAMOUR.

Oh ! j’ai une de ces rages...

FOLLBRAGUET, pensant à la sienne.

Ah ! ben... si vous croyez qu’il n’y a que vous !

VILDAMOUR.

Oui, mais les autres, ça m’est égal.

FOLLBRAGUET.

Oui... oh ! naturellement... égoïste ! Ouvrez la bouche !

VILDAMOUR.

Vous n’allez pas me faire mal.

FOLLBRAGUET.

Mais non ! mais non ! ouvrez !

Il lui fixe le caoutchouc à la dent, qu’il assujettit par derrière, et lui introduit le pompe-salive dans la bouche. Après quoi, il remonte remplir son verre au lavabo : dentifrice et eau.

VILDAMOUR, incompréhensible, sous son bâillon, seules les voyelles étant perceptibles.

Au fond, cette dent avait besoin d’être arrangée depuis longtemps, mais j’hésitais toujours, tant qu’elle ne me faisait pas mal.

FOLLBRAGUET, revenant avec son verre.

Oui ! oui ! oui !

VILDAMOUR, idem.

Mais alors, cette nuit, ce que j’ai pu souffrir...

FOLLBRAGUET, un instrument à la main pour déboucher la dent.

Oui, ouvrez la bouche !

Vildamour obéit. Il lui retire son coton qu’il jette.

VILDAMOUR, idem.

Je n’ai pu fermer l’œil un instant, il me semblait qu’on me vrillait le cerveau !

FOLLBRAGUET, énervé.

Ah ! je vous en prie, ne parlez pas tout le temps... vous m’empêchez de travailler.

VILDAMOUR, interloqué, se le tenant pour dit.

Ah !

FOLLBRAGUET, le cerveau ailleurs et tout en travaillant.

Et quand on pense qu’on a la bêtise de se marier !

Vildamour, ahuri, tourne vers lui des yeux étonnés.

Ouvrez la bouche !

Il commence à faire tourner la roue, ce qui fait faire la grimace à Vildamour.

Ouvrez !

Il lui travaille la dent.

 

 

Scène XI

 

FOLLBRAGUET, VILDAMOUR, ADRIEN, MARCELLE

 

MARCELLE, entrant en coup de vent.

Qu’est-ce que la cuisinière me dit, que tu l’as mise à la porte ?

FOLLBRAGUET, exaspéré.

Ah ! fiche-moi la paix, toi !...

S’apercevant que dans son mouvement il a éraflé la bouche de Vildamour avec son instrument toujours en rotation.

Pardon.

À sa femme.

Je suis occupé, je te prie de me laisser travailler.

MARCELLE.

Oui, eh bien ! je n’admets pas que tu mettes Noémie à la porte, attendu que je n’ai jamais eu qu’à me louer d’elle.

FOLLBRAGUET.

Et moi, quand la cuisinière me parle grossièrement, je la fiche dehors ! Et puis, en voilà assez ! Je suis avec un client, je te prie de me laisser.

MARCELLE.

C’est bon !...

À Vildamour.

Pardon, monsieur.

À Follbraguet.

Nous reparlerons de ça tout à l’heure.

Elle sort par le fond gauche.

FOLLBRAGUET.

C’est insensé !... C’est insensé, monsieur ! Depuis ce matin, monsieur, c’est comme ça !... Oh !... Ouvrez la bouche !...

Il se remet à travailler.

MARCELLE, à la cantonade.

Mais vous n’avez pas à vous faire de mauvais sang, ma fille, Monsieur n’est pas dans son état normal, il n’y a qu’à ne pas y faire attention !

Follbraguet, qui entend tout, a peine à se contenir.

Il ne se formalise pas pour sa femme, mais il sait bien se formaliser pour lui.

Id. chez Follbraguet.

En tout cas, moi je vous dis que vous resterez ! ! Je suppose que je suis la maîtresse ici ! Si quelqu’un commande, c’est moi.

FOLLBRAGUET, posant son instrument avec violence sur la tablette, et se précipitant dans l’antichambre en refermant la porte sur lui, ce qui n’empêche pas de tout entendre.

Pardon, avant toi, il y a moi !

MARCELLE.

Toi ! ah ! la la !

FOLLBRAGUET.

Il n’y a pas d’ah ! la la ! Tu n’as d’autorité ici que celle que je t’ai laissé prendre, mais tu oublies que le seul maître, c’est moi, et la preuve, c’est que j’ai mis ta cuisinière à la porte, et qu’elle va déguerpir à l’instant même.

LA CUISINIÈRE.

Mais, monsieur, c’est pas ma faute.

FOLLBRAGUET.

Oui, eh bien, vous vous en irez tout de même !

MARCELLE.

Mais laissez-le donc... il est fou !

FOLLBRAGUET.

C’est possible, mais j’entends être obéi ! et en voilà assez ! Ah ! mais !

Il rentre en faisant claquer la porte ; et redescend vers Vildamour.

Ouvrez la bouche !... Elle m’embête, à la fin...

Tendant machinalement le verre à Vildamour.

Tenez !

Entendant le colloque qui continue derrière la porte, s’élançant vers la porte qu’il ouvre.

Et puis je vous réitère d’avoir à vous en aller d’ici !... J’en ai assez de vos discussions ! Allez vous-en !

Voix de MARCELLE.

Ah ! mais, dis donc !

FOLLBRAGUET.

J’ai dit ! obéissez !

Il referme la porte sur lui et redescend.

Qu’est-ce qui m’a donné...

Sans transition, à Vildamour.

Crachez !...

Vildamour obéit.

Voix de MARCELLE.

Oh ! mais, j’en ai assez ! je quitterai la maison !

FOLLBRAGUET, ouvrant la porte.

Mais quitte-la, la maison ! Tu le répètes tout le temps, et tu ne t’en vas jamais ! Quitte-la !

Voix de MARCELLE.

Parfaitement, je la quitterai.

FOLLBRAGUET.

Eh bien ! ce sera pain bénit !

En refermant la porte sur lui.

Oh ! quel choléra !

MARCELLE, rouvrant vivement la porte.

Qu’est-ce que tu as dit ?

FOLLBRAGUET, la faisant virevolter et l’envoyant dehors.

Eh ! va au diable !

Il referme la porte et met le verrou.

MARCELLE, derrière la porte, la secouant pour ouvrir.

Veux-tu ouvrir ? Veux-tu ouvrir ?

FOLLBRAGUET.

Zut !...

À Vildamour.

Je vous demande pardon de cet intermède grotesque.

VILDAMOUR, indulgent.

Oh !

MARCELLE, surgissant du fond droit, et descendant à Vildamour.

Monsieur ! vous êtes témoin !... Vous êtes témoin qu’il m’a appelé choléra !

VILDAMOUR, sous le bâillon.

Mais, madame !...

MARCELLE.

Vous êtes témoin qu’il me chasse de chez lui ! qu’il m’a dit de quitter la maison.

FOLLBRAGUET.

Ah ! oui, alors ; ah ! oui !

MARCELLE.

Oui ? eh bien, non, je ne m’en irai pas ! Tu oublies que tu as mis le bail à mon nom... à cause de tes créanciers... Je suis ici chez moi ! C’est à toi d’en sortir !

FOLLBRAGUET.

Oui ? Eh bien, je te prends au mot ! Je la quitte, la maison ! je suis bien bête de me crever à travailler pour toi ! Tu veux avoir tous les droits ? Eh bien ! à toi aussi les charges ! Tiens, voilà mes instruments, voilà mon client, moi je donne ma démission. Va ! Va ! travaille à ma place !...

MARCELLE.

Moi !

VILDAMOUR, terrifié par la perspective.

Oh ! non !

MARCELLE.

Plus souvent ! C’est bon pour toi ! Aller fourrer mes doigts dans n’importe quelle bouche dégoûtante, ça me répugnerait trop !

FOLLBRAGUET, tout en enlevant rageusement son veston de travail qu’il remplace par son veston de ville, qu’il décroche d’un placard, ainsi que son chapeau.

Oui, n’empêche que c’est grâce à ces bouches dégoûtantes

Instinctivement il indique Vildamour.

dans lesquelles je fourre mes doigts, que je peux te payer des toilettes et des « tulle, tulle, tulle ». Désormais, tu t’arrangeras pour gagner ça toi-même, moi, je tire ma révérence !

MARCELLE.

À ton aise ! Seulement, je t’avertis, ce soir tu ne me retrouveras pas à la maison !

FOLLBRAGUET.

Et moi non plus ! Adieu !

Il sort par le fond.

MARCELLE.

Adieu !

Elle sort de gauche.

VILDAMOUR, qui a suivi avec angoisse toute cette fin de dialogue, se levant, et tout affolé de se voir abandonné à lui-même avec tout cet attirail dans la bouche.

Eh ben !... eh ben !... Eh ben !...

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