Les Bourgeoises de qualité (HAUTEROCHE)

Comédie en cinq actes.

Représentée pour la première fois en 1690.

 

Personnages

 

ANSELME, père d’Angélique et de Mariane

OLIMPE, femme d’Anselme

ANGÉLIQUE, sœur de Mariane

MARIANE, sœur d’Angélique

TOINON, servante d’Olimpe

LE MARQUIS, amoureux d’Angélique

LISANDRE, amoureux de Mariane

L’ESPÉRANCE, valet de chambre de Lisandre

BELLEFLEUR, laquais d’Anselme

 

La scène est à Paris, dans la maison d’Anselme.

 

 

PRÉFACE

 

Toutes les personnes d’esprit et de bon goût qui ont vu représenter cette comédie, en ont dit tant de bien, que j’ai lieu de croire qu’elle n’est pas sans mérite. J’avoue néanmoins que, parmi l’estime qu’ils en ont faite, ils n’ont pas laissé de remarquer très judicieusement que le sujet en est trop simple, et trop peu rempli d’incidents ; mais il est vrai aussi qu’ils en ont trouvé la conduite assez raisonnable, les caractères bien soutenus, les portraits vifs et ressemblants, les situations agréables, les vers naturels, et la pièce généralement bien écrite. Après un jugement si avantageux, je ne devrais guère me mettre en peine de répondre à de certains esprits critiques qui, pour s’ériger dans le monde en grands connaisseurs, s’attachent, souvent sans raison, à reprendre les ouvrages les plus estimés. Ils ont, dit-on, répandu leur venin sur quelques endroits de ma pièce ;  mais je m’inquiète fort peu de leurs censures, parce qu’ordinairement elles ne sont autorisées que par des envieux ou des ignorants. On dit que ces censeurs se sont récriés sur le déguisement du Valet qui paffe pour son Maître, et qu’ils n’ont pas manqué de publier que ce n’était qu’une imitation de quelques autres pièces qu’on voit journellement sur le théâtre. Je demeure d’accord avec eux qu’on a mis plusieurs fois sur la scène de ces sortes de déguisements, et que ce n’est pas une nouveauté : mais, si ces connaisseurs avaient bien examiné le personnage du Valet qui passe ici pour son Maître, ils auraient connu qu’il est fort différent de ceux qui l’ont précédé, et qu’il prend une route toute opposée à celle qu’ils ont tenue. Il n’agit point, dans cette comédie, en Valet extravagant ; au contraire, il s’y soutient partout en homme de qualité, et ne fait aucune chose pour faire soupçonner qu’il ne soit pas ce qu’il feint d’être. Ses manières, ses discours et ses habits n’ont rien de ridicule ; tout paraît en lui vraisemblable ; et il ne tombe point, par ses actions, ni par ses paroles, dans des plaisanteries outrées et grossières. Il conserve toujours beaucoup de bienséance ; et, s’il en sort en quelques occasions, c’est de concert avec les gens, afin de faire mieux réussir ce qu’il entreprend. Ainsi, je puis dire sûrement qu’il y a du nouveau dans son caractère, dans ses sentiments et dans ses expressions. Ce sont des vérités que son pourra connaître, quand on voudra se donner la peine de lire cette comédie. Adieu.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

L’ESPÉRANCE, TOINON

 

L’ESPÉRANCE.

Adieu, Toinon ; je sors, puisque tu t’embarrasses :

Mais tu te souviendras que c’est toi qui me chasses ;

Et que de tes faveurs, dans mon pressant besoin,

Un peu d’avance faite eût pu me mener loin.

TOINON.

T’avancer des faveurs ! ce n’est pas là mon compte. 

L’ESPÉRANCE.

Je dois venir ici, tantôt, faire le Comte.

Si je plais, si mon air fait qu’on s’attache à moi,

Après cela, crois-tu que je veuille de toi ?

TOINON.

Tu charmeras, sans doute, et la mère et la fille.

On te donne à la Cour un mérite qui brille ;

On t’y peint comme un homme à toute heure attaché,

Qui, pour une heure, à peine en peut être arraché :

Et, depuis près d’un mois, qu’on leur est venu dire

Qu’Angélique est l’objet pour qui ton cœur soupire ;

Que, l’ayant vue un jour, tu te la fis nommer,

Et te sentis contraint, malgré toi, de l’aimer ;

Ta visite attendue, et fort souvent promise,

Les touche d’autant plus, qu’elle est toujours remise.

La cause s’en impute au service du Roi,

Qui ne te permet pas de disposer de toi.

Juge, dans leur esprit, jusques où va ta gloire.

L’ESPÉRANCE.

Je n’ai donc qu’à parler, je leur ferai tout croire.

TOINON.

Parle-leur de grandeurs ; le cœur leur volera.

L’ESPÉRANCE.

Vas, crois-moi, là-dessus on les satisfera ;

Je saurai soutenir le rôle où je m’apprête.

Mais qui, diable, leur met cette grandeur en tête ?

La mère sort d’un sang fécond en Procureurs ;

On le sait.

TOINON.

Chacun aime à nourrir ses erreurs.

L’air de Cour est son faible ; elle en est entêtée :

Aussi la nomme-t-on Bourgeoise révoltée.

Son mari, sort bon homme, est le fils d’un Marchand ;

Sa Noblesse est son bien.

L’ESPÉRANCE.

Le bien n’est pas méchant.

TOINON.

Mais tu jases toujours, et l’on peut nous surprendre :

Ton visage connu ferait tort à Lisandre.

L’ESPÉRANCE.

Hors Mariane, ici l’on ne me connaît pas.

TOINON.

D’accord ; mais il est bon d’éviter l’embarras.

Vas-t’en ; tu fais...

L’ESPÉRANCE.

Je sais ce qu’il faut que je sache ;

Au plaisir de te voir faut-il que je m’arrache ?

TOINON.

Je crains...

L’ESPÉRANCE.

Je suis entré, sans que l’on m’ait pu voir.

TOINON.

Oh ! je te quitte ; on vient.

L’ESPÉRANCE.

Jusqu’à tantôt : bon soir.

Il sort.

 

 

Scène II

 

MARIANE, TOINON

 

TOINON.

Ah ! c’est vous.

MARIANE.

Avec toi j’ai cru voir l’Espérance.

TOINON.

Lui-même. Il s’est, dit-il, exercé d’importance :

Pour bien jouer son rôle, il ne lui manque rien ;

Son train de Comte est prêt.

MARIANE.

Ah ! Toinon, je crains bien...

TOINON.

Tout ira comme il faut ; je réponds de l’affaire.

MARIANE.

Ma mère...

TOINON.

À dire vrai, c’est une étrange mère.

Votre sœur, qui vous hait, la possède si bien,

Qu’il faut, ou la tromper, ou ne s’attendre à rien :

Elle ne voit, n’entend et n’agit que par elle.

MARIANE.

Toinon, c’est son aînée ; et puis ma sœur est belle :

Sa beauté, tu le sais, a des charmes si doux...

TOINON.

Belle, tant qu’on voudra ; l’est-elle plus que vous ?

Qu’elle ait l’œil mieux fendu, la bouche plus petite ;

Ma foi, quand c’est là tout, je dis si du mérite.

Avecque ses grands airs mesurés au compas,

Qui lui font regarder les gens de haut en bas,

Elle en attrape bien !

MARIANE.

Que veux-tu ?

TOINON.

Qu’elle est sotte !

Tout le monde s’en rit.

MARIANE.

Chacun a sa marotte.

Tous ces airs Je grandeur que tu veux condamner,

Ma mère, qui les prend, a su les lui donner.

TOINON.

Elle a bien réussi d’en faire son idole :

Par ses leçons d’orgueil, elle a fait une folle,

Qui, se perdant de vue, à se trop élever,

S’est mise hors d’état de se plus retrouver.

C’est un grand bien pour vous qu’on vous ait négligée :

Dans la même folie on vous aurait plongée ;

Au lieu que, l’évitant comme vous avez pu,

Votre heureux naturel ne s’est point corrompu.

Vous êtes douce, honnête, engageante et civile ;

Grand attrait pour les cœurs ! par-là, tout est facile.

Vous le voyez ! Lisandre est si charmé de vous,

Qu’il fait tous ses souhaits de se voir votre époux :

Votre air fin et modeste a fait cette conquête.

MARIANE.

Je ne fais quel bonheur la fortune m’apprête :

Mais n’admires-tu point ce que fait le hasard ?

Pour contenter ma sœur, on me tient à l’écart,

Tandis qu’elle se fait une Cour éclatante.

On veut que tous les jours j’aille chez une tante :

Lisandre est son ami ; je le vois, je lui plais ;

Il me parle, il se rend à mes faibles attraits.

Toinon, qu’en penses-tu ? c’est tout de bon qu’il m’aime.

TOINON.

Si son cœur est touché, le vôtre l’est de même.

MARIANE.

D’autres cœurs que le mien, de son amour flattés...

TOINON.

Je le confesse, il a cent bonnes qualités ;

Généreux, obligeant : mais la plus importante,

C’est ce qu’on trouve peu, dix mille écus de rente :

Un si gros revenu rend l’esprit bien content.

MARIANE.

Quand il en aurait moins, je l’aimerais autant.

Ma tante, de l’affaire ayant pris la conduite,

De son bien avec lui, malgré moi, s’est instruite :

La bonté de son cœur, son air doux, gracieux...

TOINON.

Quoique cela soit beau, l’argent vaut encor mieux.

Ce grand train, ce carrosse, où déjà je m’enfonce...

Je prétends être à vous, au moins ; je vous l’annonce :

Peut-être vous aurez quelque brave Écuyer,

Avec qui, quelque jour, je puis me marier.

Vous mettant à votre aise, il faut que je m’en sente.

MARIANE.

Tu m’aimes, c’est assez. je suis reconnaissante.

Mais, Toinon, je crains...

TOINON.

Quoi ? 

MARIANE.

Tu riras de ma peur.

Il faut, pour s’introduire, en conter à ma sœur ;

Ainsi Lisandre a feint de soupirer pour elle ;

Il lui dis des douceurs : cependant elle est belle ;

À ses airs de hauteur il peut s’accoutumer.

Si, la voyant souvent, il venait à l’aimer ?

TOINON.

À l’aimer ? Vous voyez qu’afin de lui déplaire,

Auprès d’elle d’un sot il prend le caractère ;

Qu’il fait l’Amant d’extase ; et, cachant son esprit,

Se sert de mots guindés dans tout ce qu’il lui dit.

D’ailleurs, par quel éclat serait-elle séduite ?

Elle aime l’air de Cour ; il vient ici sans suite,

N’a qu’un habit fort simple : et c’est un sûr moyen

Pour lui faire penser qu’il est mince et sans bien.

Pour vous, si, devant elle ou devant votre mère,

Il vous dit quelques mots, prenez un front sévère,

Témoignez qu’il vous choque ; et, surtout, affectez

De louer du Marquis les grandes qualités.

Votre sœur recevra le prix de ses folies.

Le Marquis, rebuté par ses brusques saillies,

Trouve en vous un esprit qui l’accommoderait ;

Et je crois qu’au besoin, il vous en conterait.

MARIANE.

Il ne me parle point, qu’elle n’en soit jalouse.

TOINON.

Tant mieux : s’il est ainsi, Lisandre vous épouse.

Pour se mettre à couvert de tout chagrin jaloux,

Elle voudra, par lui, se défaire de vous...

Je puis lui faire naître une pareille envie.

MARIANE.

Parle ; je te devrai le bonheur de ma vie.

TOINON.

Laissez faire ; on recueille après qu’on a semé.

Aujourd’hui l’Espérance, en Comte transformé,

Pour servir votre amour, s’est chargé de paraître.

C’est un Valet habile, et zélé pour son Maître :

Il a de quoi flatter un cœur altier et vain.

Lisandre l’a pourvu d’un magnifique train :

Le carrosse est doublé d’un velours à ramage,

Aurore et cramoisi, dont le bel assemblage

Est tel qu’on ne peut rien se figurer de mieux.

Les rideaux... il faut voir comme ils brillent aux yeux.

Ainsi que le dedans, le dehors fait connaître,

Par la peinture et l’or, la Noblesse du Maître.

Des chiffres alentour, et de grands écussons

Qui, par divers quartiers, nous marquent les Maisons

Des illustres aïeux dont est sorti Lisandre.

MARIANE.

Les chevaux ?

TOINON.

Vous prenez du plaisir à m’entendre ?

Fort bien. L’attelage est de chevaux pommelés,

Fringands, bien assortis, grands, ronds et potelés.

Six Laquais bien taillés ; la livrée admirable :

J’ai tout vu.

MARIANE.

Quand on aime, on est de tout capable.

TOINON.

Votre sœur chérissant les Amants à fracas,

Ce faux Comte, je crois, ne lui déplaira pas :

Elle attend aujourd’hui sa première visite.

Mais le Marquis...

 

 

Scène III

 

LE MARQUIS, MARIANE, TOINON

 

TOINON, bas à Mariane.

Il vient à propos. Je vous quitte :

Comme il faut, s’il se peut, rendre son cœur jaloux,

Je m’en vais l’avertir qu’il est avecque vous.

 

 

Scène IV

 

MARIANE, LE MARQUIS

 

MARIANE.

À voir le noir chagrin que vous faites paraître,

Vous n’êtes pas content.

LE MARQUIS.

Et le moyen de l’être ?

L’orgueil de votre sœur me cause tant d’ennuis,

Que, lassé de souffrir, je ne sais où j’en suis.

D’un rien mal observé sa vanité s’irrite.

MARIANE.

Aussi, vous l’avouerez, c’est un rare mérite.

Sans compter sa beauté, qui frappe, qui surprend,

Dans tout ce qu’elle fait, on trouve un air si grand,

Une élévation si noble, si bien prise !...

Allez, vous en serez une digne Marquise :

Vous êtes trop heureux.

LE MARQUIS.

Je ne le cèle point ;

Mes yeux me l’avaient peinte aimable au dernier point :

Je m’y suis attaché, la trouvant toute belle ;

Mais je ne lui croyais qu’un orgueil digne d’elle,

Une fierté réglée, et non pas ces hauteurs

Qui, parmi les Amants, font tant de déserteurs :

Je ne répondrais pas de n’être point du nombre.

MARIANE.

Vous fuiriez le grand jour, pour vous réduire à l’ombre ?

Dans quelle autre jamais pourriez-vous rencontrer

Ce brillant qui, dans elle, a su vous pénétrer ?

LE MARQUIS.

La beauté ne vaut pas toujours ce qu’on présume.

Il n’est point de brillant où l’on ne s’accoutume.

Ce qui n’a point de prix, c’est qu’on trouve dans vous

Un esprit engageant, aisé, retenu, doux :

Vous souffrez qu’on s’approche, et que l’on vous regarde.

MARIANE.

Mais, Monsieur le Marquis, vous n’y prenez pas garde

Depuis un certain temps, vous vous radoucissez ;

Et j’en prends de l’orgueil plus que vous ne pensez.

LE MARQUIS.

Je ne vous flatte point ; le portrait est fidèle ;

Hélas ! que votre sœur ne vous ressemble-t-elle !

MARIANE.

Combien elle y perdrait ! Quels soins d’elle on a pris !

Que de leçons ! Jamais on ne m’a rien appris.

Ma mère, à la former, de tout temps empressée,

À moi-même toujours, sans pitié, m’a laissée.

J’ai l’esprit tout uni, rien qui sente la Cour.

LE MARQUIS.

Que cet esprit uni me donnerait d’amour !

L’Art ne peut rien avoir qui vaille la Nature.

Elle est, en vous, sans fard, simple, sincère, pure

Un air sage, modeste et rempli de douceur...

Que n’en puis-je trouver autant dans votre sœur !

Car, enfin, je sens bien qu’en dépit de moi-même,

Toujours, quoi qu’elle fasse, il faudra que je l’aime :

Rien, de ses dures lois, ne me peut détacher ;

Je suis né pour les suivre.

MARIANE.

À ne vous rien cacher,

Ce qui vous nuit près d’elle, et dont son cœur s’alarme,

C’est de voir que la Cour ne soit point votre charme :

On vous y voit, dit-elle, aller si rarement...

LE MARQUIS.

J’admire où, pour la Cour, va son entêtement !

Mais je lis dans son cœur. Soit vérité, soit conte,

Elle ne parle plus que d’un Monsieur le Comte,

Qui s’est fait sa conquête, et qui, de jour en jour,

S’engage à lui venir déclarer son amour :

Son nom, le savez-vous ?

MARIANE.

Elle-même l’ignore.

C’est un Comte ; il suffit ; sa passion l’honore :

Et, comme elle en reçoit des messages fréquents,

Sur ses devoirs de Cour qui prennent tout son temps

Et qui font que toujours à la voir il diffère ;

Nul autre, tant que lui, n’est digne de lui plaire.

LE MARQUIS.

Son idée est bien forte ; et, si l’on aime ainsi...

 

 

Scène V

 

ANGÉLIQUE, MARIANE, LE MARQUIS, TOINON

 

ANGÉLIQUE, au Marquis, parlant toujours avec des airs dédaigneux et méprisants.

Quoi ! je suis dans ma chambre, et vous êtes ici ?

LE MARQUIS, à Angélique.

Le plaisir de vous voir étant ce qui m’amène,

J’allais vous y trouver.

ANGÉLIQUE.

Vous auriez trop de peine ;

Et, pour vous l’épargner, je viens vous avertir

Que votre heure est mal prise, et que je vais sortir.

LE MARQUIS, lui présentant la main.

Allons ; je vous conduis.

ANGÉLIQUE.

Il n’est pas nécessaire.

LE MARQUIS.

J’ai mon carrosse là, qui...

ANGÉLIQUE.

Je n’en ai que faire.

LE MARQUIS.

L’ayant pris tant de fois, d’où viennent ces refus ?

ANGÉLIQUE.

Je le voulais alors ; mais je ne le veux plus.

LE MARQUIS.

Si l’offre vous déplaît, j’ai tort, je me condamne.

ANGÉLIQUE.

Vous seriez obligé de quitter Mariane :

Elle a tant de mérite, un tel brillant d’esprit,

Que...

MARIANE, au Marquis.

Monsieur le Marquis, je vous l’avais bien dit.

LE MARQUIS.

Au moins, apprenez-moi quelle faute j’ai faite.

ANGÉLIQUE.

Vous ? aucune.

LE MARQUIS.

En entrant, je vois votre cadette ;

Puis-je, sans lui parler... ?

ANGÉLIQUE.

Non ; vous faites fort bien ;

Et vous pouvez poursuivre un si doux entretien.

Vous avez le goût bon, de la délicatesse.

LE MARQUIS.

J’admire, à dire vrai, de voir que tout vous blesse.

ANGÉLIQUE.

Vous me connaissez mal.

LE MARQUIS.

Mais, par ce froid courroux...

ANGÉLIQUE.

J’approuve tout, et rien ne me blesse de vous.

LE MARQUIS.

Vous me méprisez bien.

ANGÉLIQUE.

Je n’ai rien à vous dire.

On doit peu murmurer des mépris qu’on s’attire.

LE MARQUIS.

Pour vous plaire, je crois que vous avez raison ;

Mais toute autre que vous...

ANGÉLIQUE.

Point de comparaison ;

Mon sentiment, peut-être, est différent du vôtre ;

Mais je ne règle point mes droits sur ceux d’une autre ;

Et, s’il faut vous parler ici de bonne foi,

Quand une fille aimable et faite comme moi,

Ne manquant point d’esprit, ayant de la naissance,

Un éclat de beauté digne de préférence,

Un mérite à souffrir des Ducs à ses genoux,

Fait tant que d’écouter un homme tel que vous,

Il lui doit une ardeur si pure, si fidèle,

Qu’il faut qu’il n’ait plus d’yeux, plus de cœur que pour elle :

L’espoir d’en être aimé, qu’on ne lui défend pas,

Demande un sacrifice entier à ses appas :

De sa seule beauté le culte est légitime ;

Il doit seul l’occuper, et tout le reste est crime.

TOINON, au Marquis.

L’admirable leçon ! là, retenez-la bien.

Dame ! quand on est belle, on ne l’est pas pour rien.

Vous êtes effrayé de ce coup de tonnerre :

Allons, pauvre serpent, mettez-vous ventre à terre ;

À Angélique.

Achevez ; craignez-vous de le prendre trop haut ?

Il vous vole un regard, bourrez-le comme il faut.

LE MARQUIS.

Tant de fierté m’étonne et j’ai peine à comprendre...

ANGÉLIQUE.

Brisons là ; je n’ai pas le temps de vous entendre.

LE MARQUIS.

Mais une sœur, pour qui le sang et l’amitié

Devraient vous inspirer...

ANGÉLIQUE.

Vous me faites pitié.

LE MARQUIS.

Je vois ce qui me nuit, et commence à connaître

Qu’un Rival trop vanté...

ANGÉLIQUE.

Cela pourrait bien être.

LE MARQUIS.

On le dit d’un mérite à me rendre jaloux.

ANGÉLIQUE.

Il en aura bien peu, s’il n’en a plus que vous.

LE MARQUIS.

Du moins, en choisissant...

ANGÉLIQUE.

Je sais ce qu’il faut faire ;

Point de conseils.

LE MARQUIS.

J’entends ; c’est à moi de me taire.

Afin qu’à ce grand choix vous pensiez à loisir,

Je m’en vais vous laisser.

ANGÉLIQUE.

Vous me ferez plaisir.

Le Marquis sort.

 

 

Scène VI

 

ANGÉLIQUE, MARIANE, TOINON

 

TOINON, à Angélique.

Voilà ce qui s’appelle avoir soin de sa gloire !

Ces Messieurs les Marquis voudront s’en faire accroire ;

Et, sûrs de leur conquête, ailleurs impunément,

Selon l’occasion, prendront l’heureux moment !

L’orgueil les enfle assez : il faut, lorsqu’ils s’élèvent,

Les tenir sous les pieds ; qu’ils rampent, ou qu’ils crèvent.

MARIANE, à Angélique.

Vous l’avez maltraité.

ANGÉLIQUE, à Mariane.

J’ai fait ce que j’ai dû.

MARIANE.

Quoi ! parce qu’il m’a dit deux mots, tout est perdu ?

Je suis donc bien à craindre.

ANGÉLIQUE.

À craindre ! vous ? J’admire,

Et que vous le pensiez, et que vous l’osiez dire.

MARIANE.

Votre mérite, en tout, l’emporte sur le mien ;

Je le sais : mais, enfin, se fâche-t-on pour rien ?

Si vous ne craignez pas, quoi que vous puissiez faire,

De perdre le Marquis, pourquoi cette colère ?

Ce que j’en viens de voir, fait tort à vos appas.

ANGÉLIQUE.

Ce discours est si sot, que je n’y réponds pas.

MARIANE.

Vous vous abaisseriez.

ANGÉLIQUE.

Beaucoup, je le confesse.

MARIANE.

Cependant le Marquis ne croit pas qu’il s’abaisse.

ANGÉLIQUE.

Voilà comme, souvent, des termes obligeants,

Faute d’être entendus, gâtent l’esprit des gens.

Quand le Marquis vous dit quelque chose d’honnêtes

Qu’il vous parle en passant, êtes-vous assez bête

Pour ne pas voir que c’est de concert entre nous,

Et qu’en tout ce qu’il dit, il se moque de vous ?

MARIANE.

Vous n’en êtes pas bien assurée ; et, peut-être...

ANGÉLIQUE.

Non, personne jamais ne songe à se connaître.

Si vous vous connaissiez, pourriez-vous ignorer

Quels mépris vos défauts lui doivent inspirer ?

Vos allures, en tour, sont rudes, font grossières :

Vous n’avez aucun goût pour les belles manières :

À l’air bas, qui jamais ne vous peut être ôté,

Est-ce qu’on vous croirait fille de qualité ?

Trouve-t-on rien en vous qui touche, plaise, impose ?

MARIANE.

Je suis ce qu’on m’a faite, et non pas autre chose :

Je ne me pique point d’un dehors éclatant.

Mais cette qualité, que vous élevez tant,

Dites-moi, je vous prie, en quoi consiste-t-elle ?

Est-ce à rouler les yeux, pour se faire plus belle ?

À façonner sa bouche, et passer tout le jour

Dans les soins fatiguant de prendre un air de Cour ?

À se mettre en la tête un désir incommode

D’embellir son discours de termes à la mode ?

À placer, sans raison, le mot de Gros partout,

Et cent autres encor qu’on soutient de bon goût ?

À hausser sa fontange, en coquette éventée,

Et renchérir d’abord sur la mode inventée ?

À vouloir affecter, par un soin assidu,

Pour ses Marchands, Le Gras, La Frenaye et L’Égu ?

À se remplir l’esprit de la fausse chimère

D’une sotte grandeur, qui n’est qu’imaginaire ?

À se croire d’un rang d’éclat environné,

Quoiqu’en pleine roture on soit quelquefois né ?

TOINON, à Angélique.

Écoutez-la jaser !

ANGÉLIQUE, à Toinon.

Il faut la laisser dire :

Rien n’est si pitoyable ; et ce discours n’inspire...

MARIANE.

J’ai peine à vous comprendre, avec votre grand air ;

Car, enfin, êtes-vous fille d’un Duc et Pair ?

Puisqu’il faut se connaître, il est de la justice

Qu’on donne, là-dessus, quelque borne au caprice :

Les Duchesses n’auraient qu’un honneur imparfait...

ANGÉLIQUE.

Duchesse ! et n’est-on pas du bois dont on les fait ?

Nul espoir n’est trop haut, que la qualité fonde.

MARIANE.

Mon Dieu ! la qualité se donne à tout le monde ;

Et cent femmes de rien, sous un rang emprunté,

Veulent être aujourd’hui femmes de qualité :

Chacune prend un nom de Noblesse choisie ;

Examinez le fond, c’est franche Bourgeoisie.

ANGÉLIQUE.

Quand on ne serait rien, l’ardeur de s’élever

Marque un noble penchant que l’on doit approuver :

Mais la gloire, pour vous, ne sut jamais de mise.

Je ne m’étonne point, si chacun vous méprise :

Vous avez le cœur bas, de petits sentiments.

MARIANE.

Il est vrai, jusqu’ici, je n’ai point fait d’Amants ;

Mais je n’ai point encor passé le teins d’en faire ;

Et je suis dans un âge où...

TOINON.

Le tout est de plaire ;

L’âge y fait peu de chose.

 

 

Scène VII

 

LISANDRE, ANGÉLIQUE, MARIANE, TOINON

 

LISANDRE, à Angélique.

Enfin je vois le jour ;

Mon unique soleil est pour mot de retour,

La tête parsemée et de lis et de roses.

ANGÉLIQUE, à Lisandre.

Vous me dites toujours mille agréables choses :

Mais, Lisandre, aujourd’hui, grâce sur la douceur ;

Ou, pour vous écouter, je vous livre ma sœur.

MARIANE, à Angélique.

Moi ? non pas, s’il vous plaît ; je sais ce qu’il en coûte.

TOINON, à Angélique.

Bon ! à moins d’un Marquis, vous croyez qu’elle écoute ?

ANGÉLIQUE, à Mariane.

Vous êtes délicate.

LISANDRE.

Est-il rien sous les cieux

Qui dispute en lumière au brillant de vos yeux ?

Quel éclat ! c’est toujours une beauté nouvelle ;

Toujours...

ANGÉLIQUE, à Lisandre.

Une autre fois vous me trouverez belle.

LISANDRE.

Une autre fois ! Ainsi vous voulez me quitter ?

Dans quelle épaisse nuit m’allez-vous rejeter ?

Vous perdre ?...

ANGÉLIQUE.

Me perd-on, quand de moi l’on s’occupe ?

LISANDRE.

Votre image, il est vrai...

ANGÉLIQUE, s’en allant, appelle.

Laquais !

 

 

Scène VIII

 

BELLEFLEUR, LISANDRE, ANGÉLIQUE, MARIANE, TOINON

 

ANGÉLIQUE, à Bellefleur.

Prenez ma jupe.

Elle sort, suivie de Bellefleur.

 

 

Scène IX

 

LISANDRE, MARIANE, TOINON

 

TOINON.

Sa jupe, pour aller dans sa chambre ! Voilà

Ce qui fait le bel air ! et puis plantez-vous là.

LISANDRE, à Mariane, reprenant son ton naturel.

D’où vient sa sombre humeur ?

MARIANE, à Lisandre.

Elle n’est pas contente.

Le Marquis m’a parlé ; j’ai fait la suffisante,

Je m’en suis applaudie ; et c’est ce qui la tient.

LISANDRE.

Dans quels faux sentiments son orgueil l’entretient !

Tous les cœurs lui sont dus ; elle seule est aimable.

TOINON, à Lisandre.

Mettons les fers au feu ; tout nous est favorable.

L’Espérance est-il prêt ? Il faut le faire voir.

LISANDRE, à Toinon.

Il a l’air d’un vrai Comte, et fera son devoir.

MARIANE.

Il est assez bien fait ; mais, quelque soin qu’il prenne ;

Pourra-t-il soutenir...

LISANDRE, à Mariane.

N’en soyez point en peine ;

Sa figure, pour plaire, est un grand ornement ;

Et, quand il paraîtra dans tout l’ajustement...

MARIANE.

Vous n’avez point, dit-on, épargné la dépense ;

L’équipage, le train...

LISANDRE.

Je n’ai fait qu’une avance ;

Tout vous est destiné.

MARIANE.

Je ne demande rien :

Gardez-moi votre cœur ; c’est un assez grand bien.

LISANDRE.

Et le bien, et le cœur, tout est à vous, Madame ;

C’est peu, pour reconnaître une si belle flamme.

Je vous aime ; et je sors d’un assez noble sang,

Pour vous mettre en éclat, et vous donner du rang.

MARIANE.

Mais, si l’on vous connaît ?

LISANDRE.

Et qui pourra le faire ?

Le faste n’a jamais été mon caractère :

J’ai toujours dédaigné de paraître au dehors ;

Les plaisirs de l’esprit semblent mes seuls trésors.

Mon bien est en Auvergne ; et, lorsque je le cache,

À l’aller déterrer croyez-vous qu’on s’attache ?

Notre Comte, d’ailleurs, qui me reconnaîtra,

Saura faire de moi le portrait qu’il faudra :

Je lui ferai si bien jouer son personnage...       

TOINON.
Ma foi, vous dites d’or. Tout ira bien ; courage !

Mais, comme à feindre en tout vous avez intérêt,

Vous nous ennuyez trop ; détalez, s’il vous plaît.

LISANDRE, à Toinon.

Quoi ! si tôt ?

TOINON.

Oui, si tôt : il faut qu’elle aille dire

Que, vous voir un moment, c’est souffrir le martyre

Les soupçons sont à craindre.

MARIANE.

Adieu : souvenez-vous

Que rien, si vous m’aimez, ne sera contre nous.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

OLIMPE, ANGÉLIQUE, TOINON

 

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Non, Madame, avec elle on ne saurait plus vivre ;

Et, si votre bonté bientôt ne m’en délivre,

De ses grossièretés on a tant à souffrir,

Que, l’entendre ou la voir, c’est assez pour mourir.

Vous ne croiriez jamais de quel air malhonnête,

Quand je l’en ai reprise, elle m’a tenu tête.

OLIMPE, à Angélique.

L’impertinente ! à vous, qui daignez prendre soin

De lui faire l’esprit !

ANGÉLIQUE.

Toinon en est témoin :

Elle fait...

TOINON, à Olimpe.

Oh ! j’en suis en si grande colère...

OLIMPE.

Pour moi, je ne sais plus ce qu’on en pourra faire.

TOINON.

Voilà bien des façons ! Je vous l’ai dit souvent ;

Eh, mardi ! mettez-moi cela dans un Couvent.

Est-elle propre au monde ? en retraite, en retraite.

OLIMPE, à Toinon.

S’il ne tenait qu’à moi, l’affaire serait faite :

Son père, jusqu’ici, l’a toujours empêché.

C’est son trésor.

TOINON.

C’est donc un trésor bien caché.

OLIMPE.

D’ordinaire, on s’attache à ce qui nous ressemble.

Il est tout fait comme elle ; ils sont fort bien ensemble ;

Tous deux nés pour la crasse, et d’esprit démonté,

Sitôt que l’on soutient un peu sa qualité.

ANGÉLIQUE.

Il faut voir, là-dessus, jusqu’où va sa bêtise !

Madame, elle m’a dit sottise sur sottise :

« Nous prenons le grand air, sans en avoir les droits : 

« À moins qu’être Duchesse, on est dans le Bourgeois ».

OLIMPE, à Angélique.

Le Bourgeois ! Moi, Bourgeoise !

ANGÉLIQUE.

Elle a dit pis encore ;

J’en ai le cœur tout gros : elle nous déshonore,

Madame.

OLIMPE.

Là, ma fille...

ANGÉLIQUE.

Ah ! plus on se contraint...

OLIMPE.

Mais, mon Dieu ! le chagrin vous gâtera le teint.

ANGÉLIQUE.

Non, si vous me laissez davantage avec elle,

Madame, il ne faut plus songer à me voir belle.

Le moyen ! quand d’un Ange on aurait les vertus...

Dites la vérité ; j’ai les yeux bien battus.

Dès le moindre chagrin, leur brillant se relâche.

OLIMPE.

Il m’en arrive autant, sitôt que je me fâche.

TOINON, à Angélique.

Je ne sais ce qu’ils font de tout près ; mais, de loin,

C’est un éclat terrible. Attendez : dans le coin,

Il semble qu’en effet...

ANGÉLIQUE, à Toinon.

Il y paraît, sans doute.

À Olimpe. 

Madame, vous voyez ce que ma sœur me coûte :

Tant qu’on la gardera, combien je souffrirai !

OLIMPE.

Laissez-moi faire, allez ; je vous en déferai.

Ne vous fâchez donc point, ma fille ; en dépit d’elle,

Vos yeux jettent un feu qui vous rend toute belle,

Toinon, vit-on jamais un visage plus doux ?

TOINON, à Olimpe.

Bon ! les plus belles sont cent piques au-dessous.

C’est un vrai blanc de lait ; un teint si fin !... Il semble

Qu’elle n’ait que douze ans.

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Par-là, je vous ressemble :

Dans tous vos traits encore on voit tant de fraîcheur !

OLIMPE, à Angélique.

Oh !...

ANGÉLIQUE.

Tout le monde dit que je suis votre sœur.

OLIMPE.

La pauvre enfant !

TOINON, à part.

Voyez comme elles s’entregrattent !

OLIMPE.

Pour leurs filles il est des mères qui se flattent ;

Mais on ne dira pas que je m’aveugle.

TOINON, à Olimpe.

Non.

Je vous dirai pourtant, si vous le trouvez bon,

Que, lorsque la fierté se met trop en usage,

Elle rebute plus que la beauté n’engage ;

Et que notre Marquis, de ses froideurs lassé,

À lui faire la cour n’est plus guère empressé.

Toute sotte qu’elle est, Mariane l’attire ;

Il aime sa douceur.

ANGÉLIQUE.

Je n’en voulais rien dire ;

Mais, tout à l’heure encore, ils se parlaient tout bas ;

Et je les ai surpris qui ne m’attendaient pas.

OLIMPE.

Le Marquis ! Vous verrez, comme elle est toute bête.

Qu’elle ose le prier, et se jette à sa tête.

À se plaindre de vous il peut se hasarder :

C’est trop d’honneur pour lui, que de vous regarder.

ANGÉLIQUE.

Madame, il ne faut pas en recevoir la honte.

Tantôt, nous devons voir ici Monsieur le Comte ;

Il passe pour un homme à pouvoir raffiner

Sur les airs les plus fins qu’on se puisse donner ;

Ma résolution en sa faveur est prise ;

Il ne m’importe d’être ou Comtesse ou Marquise ;

Te veux bien le choisir : mais me promettez-vous

Que ma sœur n’aura point le Marquis pour époux ?

OLIMPE.

Elle ? Pour lui payer l’ennui qu’elle vous donne,

Je la mettrai si bas...

ANGÉLIQUE.

Hé ! que vous êtes bonne !

OLIMPE.

Il est juste, après tout, quoique de même sang,

Que l’on voie, entre vous, différence de rang.

Elle aurait le Marquis !

TOINON.

Vous vous moquez, je pense.

Comme il paraît qu’elle a fait vœu d’incontinence,

Il faut la marier à quelque Campagnard,

Qui, dans un vieux château, vous la tienne à l’écart ;

Et qui, pour lui donner une charge éclatante,

D’un troupeau de dindons la fasse Gouvernante.

 

 

Scène II

 

OLIMPE, ANGÉLIQUE, MARIANE, TOINON

 

TOINON, apercevant Mariane.

Mais elle entre.

OLIMPE, à Mariane.

Approchez.

TOINON, à Olimpe.

Comme elle marche doux !

OLIMPE.

J’aime assez à savoir ce qu’on m’apprend de vous !

Vous aimez le Marquis, et voulez qu’il vous aime ?

MARIANE, à Olimpe.

Moi ? je ne le veux point, s’il ne le veut de même.

Est-ce ma faute à moi, s’il me trouve à son gré ?

OLIMPE.

Vous ? il faudrait qu’il eût l’esprit bien égaré.

Quand on voit votre sœur, est-ce qu’on vous regarde ?

MARIANE.

Si ma sœur l’aime tant, hé bien ! qu’elle le garde.

ANGÉLIQUE, à Mariane.

Que je le garde, ou non, il n’est pas fait pour vous. 

MARIANE, à Angélique.

Quelque autre, par hasard, pourra vouloir de nous.

Je sais ce que je sais ; j’ai certaine parole...

TOINON, à Olimpe.

Voyez-vous l’arrogance !

OLIMPE, à Toinon.

Elle est folle, archifolle.

Où donc trouver un homme assez sot, qui voudra... ?

TOINON.

Sot ? il faut en chercher, et l’on en trouvera.

OLIMPE.

Comme elle est aujourd’hui ! certain air de Soubrette...

MARIANE, à Olimpe.

Je suis sans nul apprêt, telle que Dieu m’a faite.

ANGÉLIQUE.

Vous croyez, toutefois, être jolie ?

MARIANE, à Angélique.

Hé bien !

Que vous en coûte-t-il, quand je le croirai ?

ANGÉLIQUE.

Rien.

MARIANE.

Pour vous, dont les attraits...

ANGÉLIQUE.

Sans vanité, je pense

Que l’on met entre nous un peu de différence.

OLIMPE, à Mariane.

C’est la nuit et le jour.

MARIANE, à Olimpe.

J’aime l’obscurité.

OLIMPE.

Sa taille promettait d’abord quelque beauté ;

Une autre, par ses soins, s’en fût accommodée :

Mais, voyez ! elle l’a toute dégingandée ;

On ne fait ce que c’est : point d’air, point de façon.

MARIANE.

Tout cela changera, quand j’aurai pris leçon.

OLIMPE.

Les leçons n’y font rien ; à moins que la nature

N’aide à faire les gens, sottise toute pure.

Qui m’a donné la grâce, et ces je ne sais quoi

Qui sont, de tous côtés, jeter les yeux sur moi ?

Les exemples de Cour, que j’ai tâché de suivre.

Et votre sœur, d’où vient qu’elle sait si bien vivre ?

Elle a vu que partout mes airs étaient reçus,

Les a pris pour modèle, et s’est faite dessus.

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Madame, assurément, grâce à ma destinée,

Je vous dois ce que j’ai d’une fille bien née ;

Mais le soin et l’étude à tout sont arriver,

Quand on a le cœur bon, et qu’on veut s’élever.

Lorsqu’on s’est mis en tête un certain caractère,

On observe le monde, on fait ce qu’on voit faire.

Qu’il entre dans l’Église une femme à carreau,

Je vois, en un moment ce qu’elle a de nouveau :

D’abord, je la parcours des pieds jusqu’à la tête :

Souris, geste, regard, tout en elle m’arrête ;

Rien n’est à copier, dont je ne vienne à bout ;

Sa façon de tousser, son hem, j’attrape tout.

TOINON, à Mariane.

Voilà comme on parvient : depuis que je vous prêche,

Je rougis...

OLIMPE.

Tu perds temps, Toinon.

TOINON.

Elle est revêche.

MARIANE, à Toinon.

Non ; mais chacun n’a pas un talent si parfait...

OLIMPE.

C’est par-là qu’un Couvent ferait votre vrai fait.

Quelle figure au monde espérez-vous de faire ?

On ne voit rien, en vous, de tout ce qui peut plaire ;

Nul agrément d’humeur, l’esprit peu complaisant.

MARIANE, à Olimpe.

Et pourquoi faire au Ciel un si vilain présent ?

Pour moi, je l’avouerai, je n’en suis point capable ;

Et ma sœur, plus que moi, lui ferait agréable ;

Elle est toute charmante.

TOINON, à Olimpe.

Hé bien ! le croirait-on !

La sournoise ! elle voit plus bas que son menton.

OLIMPE.

Ce qui n’est pas de gré, de force on le fait faire ;

Nous verrons.

MARIANE.

Je suivrai les ordres de mon père :

Il fait ce qui m’est propre, et cherchera mon bien.

OLIMPE.

Donc, votre père est tout, et moi, je ne suis rien ?

MARIANE.

Vous n’aimez que ma sœur, et la croyez si belle,

Qu’en vain...

TOINON.

Lisandre vient.

Mariane sort.

OLIMPE, à Mariane.

Demeurez : où va-t-elle ?

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Eh ! laissez-la sortir ; Lisandre l’ennuierait.

TOINON, suivant Mariane.

Si c’était le Marquis, elle demeurerait.

 

 

Scène III

 

OLIMPE, ANGÉLIQUE, LISANDRE

 

ANGÉLIQUE, à Lisandre.

Lisandre aime à me voir.

LISANDRE, à Angélique.

Brillante, toute aimable,

Trouve-t-on rien ailleurs qui vous soit comparable ?

Vos beautés sont le centre où tout cœur bien sait tend.

ANGÉLIQUE.

Aucun autre, aujourd’hui, ne m’en a dit autant :

Aussi, j’en jurerais, le fidèle Lisandre

Est de tous mes Amants, le plus vrai, le plus tendre.

LISANDRE.

Cent Amants ne pourraient vous fournir, en eux tous

Que l’ombre de l’amour que mon cœur sent pour vous.

ANGÉLIQUE.

Les grands mots qu’il vous met, tous les jours, à la bouche,

Me font assez paraître à quel point je vous touche.

OLIMPE.

Les grands mots peignent bien un amoureux transport.             

LISANDRE.

Je sais comme le cygne ; il chante avant sa mort :

Tout doit hâter la mienne, et l’heure en sera prompte.

À Monsieur le Marquis on joint Monsieur le Comte.

ANGÉLIQUE.

M’aimez-vous assez peu, pour voir avec chagrin

Les honneurs que m’attire un glorieux destin ?

Je vous croirais, pour moi, l’âme plus généreuse.

LISANDRE.

Pour aimer qui la tue, elle est trop amoureuse.

Mais ne peut-on savoir quel est ce Comte ?

OLIMPE, à Lisandre.

Non :

Vous le verrez, ensuite on vous dira son nom.

LISANDRE.

Voilà bien du secret. Hélas ! que j’appréhende,

S’il faut de ses regards que l’un sur moi s’étende,

Qu’ainsi qu’un basilic, il n’ait, pour mon malheur.

Des yeux à me lancer du poison dans le cœur !

ANGÉLIQUE.

Courage ; en résistant, tout ennemi se dompte.

 

 

Scène IV

 

TOINON, ANGÉLIQUE, LISANDRE, OLIMPE

 

TOINON, à Olimpe.

Enfin, préparez-vous à voir Monsieur le Comte.

OLIMPE, à Angélique.

Ma fille...

TOINON.

Son carrosse est entré dans la cour :

Je l’en ai vu descendre ; il est comme l’amour.

OLIMPE, à Toinon.

Et c’est lui ?

TOINON.

C’est lui-même.

OLIMPE.

En es tu bien certaine.

TOINON.

De reste : il n’en est pas quatorze à la douzaine.

Madame, il m’a parle. Qu’il est beau ! qu’il est frais !

J’en suis folle.

ANGÉLIQUE.

Toinon, a-t-il bien des Laquais ?

TOINON, à Angélique.

Il en a, je crois, douze : enfin, un si grand nombre,

Bien faits, bien découplés...

OLIMPE, à Angélique, lui rajustant les cheveux.

Son visage est à l’ombre ;

Éloignez cette boucle. Allons, l’air radouci.

Votre miroir de poche.

 

 

Scène V

 

OLIMPE, ANGÉLIQUE, LISANDRE, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

OLIMPE, voyant entrer le Comte.

Et vite ; le voici.

LE COMTE, à Olimpe.

J’entre ici sans façon ; excusez la franchise :

C’est une liberté que la Cour autorise.

OLIMPE, au Comte.

Vous nous faites honneur ; et votre qualité

Fait applaudir sans peine à cette liberté.

LE COMTE, regardant Angélique et Olimpe.

Que d’éclat en ce lieu ! que de jeunesse brille !

Je confonds, Dieu me damne ! et la mère et la fille :

Ce brillant si fleuri, qu’en toutes deux je vois...

OLIMPE.

Ah ! non, Monsieur ; ma fille est plus jeune que moi.

LE COMTE.

Vous avez fait, en elle, une digne copie ;

L’original s’y trouve, et rien ne l’estropie.

Que de beautés ! ses yeux portent d’étranges coups.

À Angélique.

Ah ! belle Enchanteresse, où me réduisez-vous ?

Toute cette parure ajoutée à vos charmes,

Est un vrai guet-apens ; vous êtes sous les armes.

OLIMPE, bas à Angélique.

Qu’il parle joliment ! sous les armes !

ANGÉLIQUE, au Comte.

Mes yeux

Auraient fait un exploit bien grand, bien glorieux,

Si, par vous, à me voir, leur force ressentie,

M’avait de votre cœur conquis une partie.

LE COMTE.

C’est trop peu : je le sens qui prêt à me quitter,

Se fend, se liquéfie. Ah !

ANGÉLIQUE.

Sur quoi m’en flatter ?

Quoi ! vous, dont le mérite est sans nulle mesure... ?

LE COMTE.

J’en fais serment ; si j’ai quelque don de nature,

L’usage, désormais, n’en fera que pour vous.

À Lisandre.

Hé ! bon jour, notre ami : comment nous portons-nous ?

Touchez.

LISANDRE, au Comte.

Ce m’est, Monsieur, un fort grand avantage,

Que vous vous remettiez les traits de mon visage.

OLIMPE, au Comte.

Quoi ! vous le connaissez ?

LE COMTE.

Si je le connais ? tant :

C’est un de mes Vassaux ; des plus petits, s’entend.

ANGÉLIQUE, au Comte.

C’est donc même pays ?

LE COMTE, à Angélique.

Auvergne toute pure.

Son père de mon père était la créature.

À Lisandre.

Vous vous en souvenez, quand, le bonhomme et vous,

Vous veniez, chapeau bas... Il faisait bon chez nous :

À Olimpe. 

Diable ! l’or y roulait. Madame, en confidence,

Est-il votre Écuyer ?

Lisandre sort.

 

 

Scène VI

 

L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE, OLIMPE, ANGÉLIQUE, TOINON

 

TOINON, au Comte.

Il est fâché, je pense ;

Le voilà qui s’en va, sans rien dire.

LE COMTE.

Ah ! ma foi,

Je crois qu’il n’attend pas de grands égards de moi ;

Nous nous connaissons trop. S’il a l’honneur si tendre, 

Lisandre et moi font deux ; serviteur à Lisandre.

OLIMPE, au Comte.

Vous voudrez bien, Monsieur, achever le tableau :

Quel est-il, ce Lisandre ?

LE COMTE, à Olimpe.

Un petit hobereau,

D’une Noblesse aisée à casser comme un verre,

Et qui, pour tout potage, a trente arpents de terre.

Franchement, le bien aide à façonner les gens :

On prend, quand on en a, certains airs voltigeants.

Le plus impertinent, à force de dépense,

Devient, dans le grand monde, un homme d’importance ;

Ses défauts de terroir sont bientôt dissipés ;

Il trouve à se fourrer parmi les plus huppés ;

Et, prenant un port noble, une mine hautaine,

Le mérite lui vient, sans qu’il s’en mette en peine.

OLIMPE.

Je l’ai bien éprouvé. Pour réussir, il faut

Cheminer en avant, tendre toujours en haut,

Ne souffrir que les gens de la belle volée ;

Point de société de canaille mêlée :

Les personnes de peu vous donnent, malgré vous...

LE COMTE.

Fi ! malgré qu’on en ait, on hurle avec les loups.

La plus pure Noblesse, en les voyant, se rouille :

C’est comme un sanglier, qui se tient dans la souille.

Par exemple, on veut bien rendre à ma qualité

Tout l’honneur qu’un vrai Comte a toujours mérité ;

Si ma Maison n’est noble, il n’en est point en France

Mais, malgré ce bonheur d’une haute naissance,

Si j’étais demeuré dans l’un de mes châteaux,

À compter mes moutons, mes vaches et mes veaux,

Visitant mes moulins, mettant somme sur somme,

Je serais Gentillâtre, et non pas Gentilhomme.

Croyez-moi ; pour tous ceux dont la gloire est le but,

Vive la Cour ; hors d’este, il n est point de salut.

OLIMPE.

Oh ! sans doute : la Cour est une grande école.

LE COMTE.

Tout s’y met bien en œuvre ; un double y vaut pistole.

Qu’on danse, saute, rie ; un air libre, un air fin

Entre dans tout cela, qui vous enchante : enfin,

Rien n’est à contretemps ; c’est la Cour, tout y passe.

Dites une sottise, elle a son prix, sa grâce ;

Le meilleur trait bourgeois ne la peut égaler.

TOINON, à Angélique.

Hé bien ?

ANGÉLIQUE, à Toinon.

Il me ravit, à l’entendre parler :

C’est une liberté noble, point façonnière...

LE COMTE, à Angélique.

Avant que de vous voir, je l’avais toute entière ;

Mais, ici, pour la perdre, il ne faut qu’un moment.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Quand, pour vous, mon visage aurait quelque agrément,

Ayant peu vu le monde, il serait difficile

Que mes airs...

LE COMTE.

Tout, en vous, est de Cour ; rien de Ville, 

Hors un petit défaut...

ANGÉLIQUE.

Hé, mon Dieu ! dites-moi...

LE COMTE.

C’est, dans un droit trop grand, certain je ne fais quoi ;

Il faut, dans votre corps, un mouvement qui fauche ;

C’est-à-dire, prenant de la droite à la gauche.

Angélique fait des contorsions.

Bon ! fort bien ! À la Cour, on ne veut rien d’uni :

C’est par-là que de tout on doit être muni ;

Et que, souvent, parmi des choses très bien prises,

Qui sont du meilleur goût, on lâche des sottises.

 

 

Scène VII

 

ANSELME, LE COMTE, OLIMPE, ANGÉLIQUE, TOINON

 

LE COMTE.

Mais on entre. Quel est cet homme favori

À qui tout est ouvert ?

OLIMPE, au Comte.

C’est, Monsieur, mon mari.

Bas, à Angélique. 

Où vient donc votre père ? il va nous faire honte :

Tenons ferme.

À Anselme. 

Monsieur, voilà Monsieur le Comte.

LE COMTE, à Anselme.

Ayant cherché toujours à voir ce qu’en tous lieux

On trouve de plus rare et de plus curieux,

J’ai, sur votre personne, appris tant de merveilles,

Que, voulant contenter mes yeux et mes oreilles,

Je veux dire, par-là, vous entendre et vous voir,

J’accours : vous voudrez bien, Monsieur, me recevoir.

Mon admiration déjà pour vous s’apprête.

ANSELME, au Comte.

Monsieur...

OLIMPE, bas à Anselme.

Répondez-lui quelque chose d’honnête ;

C’est un Comte.

ANSELME, au Comte.

Vous voir, est un honneur fort grand ;

L’ayant peu mérité, son excès me surprend.

Mais je ne sais, de moi, ce qu’on vous a fait croire :

Il semble, à vous ouïr, qu’on me montre à la Foire.

Vos admirations ne me conviennent pas :

Je suis un homme simple, ennemi du fracas.       

LE COMTE.

Quand on est, comme vous, d’une naissance illustre,

Qu’on a, par son mérite, un véritable lustre,

On peut... Je vous ai vu, c’est vous, je vous remets,

Fort souvent à la Cour.

ANSELME.

Non ; je n’y vais jamais.

OLIMPE, au Comte.

Pour être, chez le Roi, dans un poste honorable,

Monsieur avait traité d’une charge admirable :

À trois cents mille francs on conclut le marché ;

La brigue le rompit. Monsieur en fut fâché ;

Et, pour ne plus voir ceux qui lui portaient envie,

Il jura qu’à sa Cour il n’irait de sa vie.

LE COMTE, à Olimpe.

C’est grand dommage.

ANSELME.

Eh ! non, Monsieur ; ce quelle dit

D’une charge, jamais ne m’a frappé l’esprit.

Donner cent mille écus, moi !

LE COMTE.

Monsieur est modeste :

Par-là, ce qu’il est né bien mieux se manifeste.

À quoi Monsieur son père a-t-il passé ses jours ? 

Il avait bouche à Cour ?

ANSELME.

Non ; il était de Tours,

Bon Marchand.

OLIMPE.

Il vous faut expliquer s’aventure.

On établit à Tours une manufacture :

Il fallait, pour cela, beaucoup d’argent comptant ;

Alors Monsieur son père, homme rare, important,

Qui tenait un gros train, faisait belle dépense,

De cinq cents mille écus aux Facteurs fit l’avance,

Entra dans le parti, qui n’était pas méchant ;

Et, retirant sa somme, il se disait Marchand.

ANSELME, à part.

Que va-t-elle conter ?

OLIMPE.

Voilà le fait.

TOINON, bas à Angélique.

Madame...
ANGÉLIQUE, bas à Toinon.

Ah ! qu’elle sa bien pris !

LE COMTE.

N’en craignez point de blâme ;

Rien n’est plus usité. Nous autres Courtisans,

À trafiquer ainsi, passons nos plus beaux ans.

Je suis Carrossier, moi.

OLIMPE.

Vous.

LE COMTE.

J’ai bien des émules ;

Je trafique en chevaux, en carrosses, en mules.

D’ailleurs, si de la Cour on n’avait quelque don,

L’équipage irait-il, et subsisterait-on ?

On n’en est pas moins noble, et la dépense augmente.

OLIMPE.

Dieu merci, la Noblesse est, chez nous, éclatante 

Parlant d’Anselme.

Monsieur s’en peut promettre un honneur éternel.

LE COMTE.

On me l’a dit.

OLIMPE.

Il est, du côté maternel

Par une incontestable et directe alliance,

Arrière-petit-fils d’un Maréchal de France.

ANSELME, bas, à part.

La folle !

OLIMPE.

Avec cela, je crois qu’on a raison...

LE COMTE.

Quand de pareils honneurs sont dans une Maison,

La Noblesse est doublée ; elle n’est plus commune.

Mais je ne songe pas que je vous importune.

Il va pour sortir. Anselme reconduit le Comte.

LE COMTE, retenant Anselme.

Hé ! Monsieur, à la Cour, est-ce qu’on reconduit ?

ANSELME, au Comte, insistant.

De ce qui vous est dû je suis trop bien instruit,

Pour ne vous rendre pas...

LE COMTE.

Non ; ce n’est plus l’usage ;

Et, me reconduisant...

ANSELME, de même.

J’aurai cet avantage.

LE COMTE.

Oh ! je serais plutôt, tout le reste du jour...

OLIMPE, à Anselme.

Demeurez, puisque c’est l’usage de la Cour.

À Angélique.

Ma fille...

LE COMTE, à Olimpe.

Ah ! s’il vous plaît, ni le chef, ni le membre...

OLIMPE.

Accompagnez Monsieur jusques dans l’antichambre.

LE COMTE.

Je vais donc profiter de ces derniers instants,

Et marche à reculons, pour la voir plus longtemps.

Le Comte sort : Angélique le reconduit.

OLIMPE.

Qu’il est galant, Toinon !

TOINON, à Olimpe.

Il fait fort bien son monde.

 

 

Scène VIII

 

ANSELME, OLIMPE, TOINON

 

OLIMPE, à Anselme.

En vérité, Monsieur, il faut que je vous gronde.

Vous-dites, contre vous, certaines pauvretés

Qui, me faisant rougir...

ANSELME, à Olimpe.

Je dis des vérités,

Et ne vous comprends point, avecque vos sots contes.

OLIMPE.

Il est bon, ce me semble, étant avec des Comtes...

ANSELME.

Non ; chaque chose doit paraître ce qu’elle est.

Vos Comtes, vos Marquis, tout cela me déplaît.

Angélique se perd, vous prenant pour modèle ;

Vos leçons de grandeur lui tournent la cervelle :

Mais, une bonne fois, écoutez bien cela,

Ma femme...

OLIMPE.

Le beau nom que vous me donnez là !

ANSELME.

Comment vous appeler ? n’êtes-vous pas ma femme ?

OLIMPE.

Je vous nomme Monsieur ; appelez-moi Madame.

Ma femme est si bourgeois !

ANSELME.

Que diable sommes-nous ?

Voilà l’entêtement qui produit tant de fous.

Chacun de qualité se pique, ose y prétendre.

OLIMPE.

On soutient ce qu’on est ; pourquoi vouloir descendre ?

ANSELME.

Mais mon père, par vous, dans les Nobles rangé,

Qu’était-il que Marchand ?

OLIMPE.

Il avait dérogé.

On vous l’a dit cent fois ; vous êtes Gentilhomme.

TOINON, à Anselme.

Oh ! vous l’êtes, Monsieur.     

ANSELME, à Toinon.

Crains que je ne t’assomme,

Maraude, qui lui vas sottement applaudir

Sur la démangeaison qu’elle a de s’agrandir.

OLIMPE.

Puisque pour Gentilhomme on peut vous reconnaître...

ANSELME, à Olimpe.

Non, je ne le suis point, et ne le veux pas être :

Mais, quand je le serais, comme beaucoup s’en faut,

Je vous prie, à quel droit le portez-vous si haut ? 

Fille d’un Procureur...

OLIMPE, d’un ton colère.

D’un Procureur !

TOINON, à Olimpe.

Madame,

Hé ! ne voyez-vous pas que...

OLIMPE, à Toinon.

Merci de mon âme ! 

Il doit appréhender de me pousser à bout.

ANSELME.

En quoi vous fais-je tort ?

OLIMPE, à Anselme.

En tout, Monsieur, en tout.

ANSELME.

Comment ! Monsieur Trigaud n’était pas votre père ? 

OLIMPE.

Non.

ANSELME.

Que me faites-vous penser de votre mère ?

OLIMPE.

Oh ! vous en penserez tout ce qu’il vous plaira.

ANSELME.

Son honneur...

OLIMPE.

Son honneur ira comme il pourra.

Un père Procureur me blesse, m’assassine ;

Je ne puis avouer une telle origine ;

Envers et contre tous j’en maintiendrai l’erreur,

Et je ne serai point fille de Procureur.

TOINON, à Anselme.

Oh ! Madame a raison ; ses airs...

ANSELME, à Toinon.

Tais-toi.

TOINON.

Peut-elle

Avoir une fierté si louable, si belle,

À moins qu’un père Noble...

ANSELME.

À ce conte, il faudrait

Qu’avec moi sa vertu n’eût pas marché bien droit :

Angélique, son singe, ainsi qu’elle, trop fière...

OLIMPE.

Hé bien ?

ANSELME.

Ne me ressemble en aucune manière :

Puisqu’elle a des hauteurs qui ne font pas de moi,

Elle n’est pas ma fille.

OLIMPE.

Elle ne l’est pas ? Quoi !...

TOINON, à Olimpe.

Vous allez vous fâcher ?

OLIMPE, à Toinon.

Je suis honnête femme.

TOINON.

Sans doute.

OLIMPE.

Qu’il le dise ; autrement...

TOINON.

Hé ! Madame.

ANSELME.

Quel esprit !

OLIMPE.

L’honneur est mon plus sensible endroit.

TOINON, à Anselme.

Vous avez tort : faut-il dire ce que l’on croit ?

OLIMPE.

Il me soupçonnera, moi qui, sur la sagesse,

Pourrais, sans craindre rien, tenir tête à Lucrèce !

Moi qui, sur la réserve... !

TOINON, à Olimpe.

On le connaît assez :

Allez, le mal n’est pas si grand que vous pensez.

Sur votre honneur, enfin, aucun mortel ne glose ;

Et quand, sur la conduite on dirait quelque chose,

Du moins, il est d’un goût plus haut et plus exquis,

D’assembler, comme vous, les Comtes, les Marquis,

(Au hasard qu’il en coûte un peu. pour l’assemblage)

Que de s’encanailler, et paraître trop sage.

OLIMPE.

M’encanailler ! jamais...

ANSELME, à Olimpe.

Il faut vous excuser, 

Quand sur votre noblesse on vous entend jaser ; 

Car la tête vous tourne.

OLIMPE, à Anselme.

Outragez-moi ; courage :

Allons, continuez. Est-il d’un homme sage... ?

ANSELME, s’en allant.

Vous perdez le bon sens.

 

 

Scène IX

 

OLIMPE, TOINON

 

TOINON.

Il nous quitte.

OLIMPE.

Suis-moi

Il faut qu’il se démente, ou qu’il dise pourquoi. 

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, TOINON

 

TOINON.

L’ordre est donné ; je viens d’envoyer chez Lisandre ;

Ici, dans un moment, vous le verrez se rendre :

Mais, quoique vous ayez tout pouvoir sur son cœur,

Prétendez-vous qu’il veuille épouser votre sœur ?

Se sacrifiera-t-il au désir de vous plaire ?

ANGÉLIQUE.

Je connais son esprit, Toinon ; laisse-moi faire.

Quand il saura qu’à moins de remplir mes souhaits,

Il faut qu’il se résolve à ne me voir jamais ;

Ne crois pas qu’il balance ; il fera tout : il m’aime ;

Et je l’obligerais à t’épouser toi-même.

TOINON.

Dieu m’en garde ! En Auvergne aller me renfermer,

Pour trente arpents de terre ! Oh ! si l’on veut m’aimer

Il faut que dans Paris on ait son domicile,

Quelque bonne maison, des rentes sur la Ville ;

Sans cela, mon cœur est un roc sur la douceur.

ANGÉLIQUE.

L’Auvergne est justement ce qu’il faut à ma sœur.

TOINON.

Mais elle hait Lisandre : à moins que votre père

N’use d’autorité pour conclure l’affaire,

Je doute qu’aisément nous en venions à bout.

ANGÉLIQUE.

Afin de l’y porter, ma mère emploiera tout.

Lisandre lui paraît un homme raisonnable ;

Il est fait comme lui, simple, aisé, sociable,

Sans nulle ambition ; c’est de quoi le charmer.

TOINON.

Mais il aime sa fille, et voudra s’informer :

S’il apprend qu’il est gueux...

ANGÉLIQUE.

Toinon...

TOINON.

Vous voilà prise :

Ses trente arpents connus, adieu notre entreprise.

Attendez. J’imagine un assez sur moyen,

Pour nous mettre en état de n’appréhender rien.

ANGÉLIQUE.

Et c’est ?

TOINON.

Monsieur le Comte a pour vous le cœur tendre ; 

Priez-le de donner de grands biens à Lisandre ;

Qu’il tâche d’éblouir votre père ; il le peut :

Le bonhomme est facile, et croit tout ce qu’on veut ;

Sur le rapport du Comte ; il tiendra véritable...

ANGÉLIQUE.

Tu l’as trouvé, Toinon ; la chose est admirable.

Nous la proposerons, quand le Comte viendra :

Il fera, là-dessus, tout ce que l’on voudra :

Ma mère l’en priant, c’est une affaire faite.

TOINON.

Mais, sur votre dessein, vous êtes bien secrète.

Le cœur ; assez souvent, suit le conseil des yeux :

Du Comte ou du Marquis, lequel vous plaît le mieux ?

ANGÉLIQUE.

Le Marquis a l’air bon ; rien, en lui, ne travaille :

Mais le Comte est encor plus libre dans sa taille ;

Ce qu’il dit, ce qu’il fait, sent plus l’homme de Cour.

TOINON.

Il est vrai qu’à des riens il donne un certain tour

Qui fait, dès qu’on le voit, qu’on l’estime, qu’on l’aime.

Pour les airs, les grands airs, c’en est la fine crème :

Tout ravit, tout enchante ; il ne lui manque rien.

ANGÉLIQUE.

Franchement, si j’apprends qu’il ait autant de Bien,

Pour laisser le Marquis avec sa courte honte

D’applaudir à ma sœur, je préfère le Comte.

 

 

Scène II

 

LISANDRE, ANGÉLIQUE, TOINON

 

ANGÉLIQUE, à Lisandre.

Vous venez à propos ; je voulais vous parler.

LISANDRE, à Angélique.

Auprès de vos beautés vous daignez m’appeler ;

Dès que l’ordre est reçu, je ne viens pas, je vole.

ANGÉLIQUE.

Vous connaissez le Comte ?

LISANDRE.

Ô fatale parole !

Votre cœur est touché, je le vois dans vos yeux :

Voilà déjà, voilà le Comte dans les cieux.

ANGÉLIQUE.

Lisandre, expliquons-nous. Vous m’aimez ; je l’avoue ;

Vos sentiments pour moi sont tendres ; je m’en loue :

Mais je ne pente pas que cette passion

Vous ait jamais souffert nulle prétention.

LISANDRE.

Quand l’Amour...

ANGÉLIQUE.

Rendons-nous justice l’un à l’autre :

Vous n’êtes pas mon fait, je ne suis pas le vôtre.

Je suis née en un rang que je veux soutenir :

J’aime l’éclat ; il faut du bien, pour y fournir.

D’ailleurs, quand vous voyez qu’à l’envi, pour me plaire,

Les Comtes, les Marquis font tout ce qu’on peut faire,

À moins d’un Duc et Pair, vous pouvez bien juger

Que c’est à quelqu’un d’eux que je dois m’engager.

LISANDRE.

Tout s’égale, en aimant : le sceptre, la houlette...

ANGÉLIQUE.

C’est ainsi que l’Amour dans les Romans se traite ;

Mais un hameau serait un fort vilain séjour

Pour qui se trouve en place à briller à la Cour :

Je m’y sens appelée, et c’est où je dois vivre.

Suivons donc, vous et moi, le chemin qu’il faut suivre ;

Et, tâchant de remplir la carrière où je cours,

Je ne laisserai pas de vous aimer toujours ;

Et de cette amitié, qui fera de durée,

Je prétends vous donner une preuve assurée.

Dites-moi, cependant : le Comte a-t-il du bien

Qui d’un gros équipage assure l’entretien ;

Parlez ; de mon bonheur, faites ici le vôtre :

Car, enfin, que j’épouse ou le Comte, ou quelqu’autre,

Vous me perdez toujours.

LISANDRE.

Quel coup à supporter !

Il me va... Mais n’importe, il faut vous contenter.

Le Comte est possesseur, par titres authentiques,

De trois terres, qui font des terres magnifiques :

Chacune a son château ; grand pays en dépend ;

Et, quand vous mettriez bout à bout chaque arpent,

Vous ne pourriez encor, qu’avec beaucoup de peine,

Parcourir, en trois jours, ce qu’il a de domaine.

TOINON, à Angélique.

Ô comme en ces châteaux, en ayant le pouvoir,

Vous serez la Princesse !

ANGÉLIQUE, à Toinon.

Il faudra bien les voir.

Mais, Lisandre, apprenez ce qu’une amitié tendre, 

Pour vous récompenser, m’oblige d’entreprendre.

N’étant rien l’un à l’autre, on pourrait murmurer

De voir avec chaleur cette amitié durer ;

Ainsi, pour prévenir les contes qu’on peut faire,

Il faut prendre les noms et de sœur et de frère.

LISANDRE.

Ah ! que ces noms pour moi seraient charmants et doux !

Quel honneur ! Mais comment nous les donnerons-nous,

Tous ces noms d’amitié ? souvent on les condamne.

ANGÉLIQUE.

Il faut les rendre vrais. Épousez Mariane ;

Alors il me sera permis, en tour honneur,

De voir, quand je voudrai, le mari de ma sœur.

TOINON, à Lisandre.

Elle est jolie, au moins.

ANGÉLIQUE, à Toinon.

Hé ! ne l’a-t-il pas vue ?

LISANDRE.

Non ; rempli des beautés dont vous êtes pourvue,

Ou, plutôt, absorbé dans vos divins appas,

Je puis vous le jurer, je ne la connais pas.

TOINON.

On se connaît bientôt, quand on doit vivre ensemble. 

Vous la verrez ; elle est plus belle qu’il ne semble :

Quand de ses yeux, du vert un peu trop approchants,

On a pris l’habitude, ils sont assez touchants.

LISANDRE.

Mais, sans me marier, ne pourrez-vous pas faire... ?

ANGÉLIQUE, à Lisandre.

Quoi ! vous refuseriez de devenir mon frère ?

Je voudrais l’avoir vu !

LISANDRE.

C’est une douce loi ;

Mais...

ANGÉLIQUE.

Mais, si vous m’aimez, n’êtes-vous pas à moi ?

LISANDRE.

Tout entier.

ANGÉLIQUE.

Cependant, quand de vous je dispose,

Votre peu de tendresse à mes désirs s’oppose.

LISANDRE.

Hé bien ! faites de moi tout ce que vous voudrez ;

Liez, enchaînez-moi comme vous l’entendrez ;

Pourvu que de mon cœur vous conserviez l’empire,

Que toujours sous vos lois...

ANGÉLIQUE.

Cela s’en va sans dire ;

L’alliance rendra ce commerce plus doux.

 

 

Scène III

 

MARIANE, ANGÉLIQUE, TOINON, LISANDRE

 

ANGÉLIQUE, à Mariane.

Avez-vous bien, ma sœur, que je parfois de vous ?

Je veux vous marier.

MARIANE, à Angélique.

Moi ? l’envie est bien prompte :

À qui donc ? Auriez-vous choisi Monsieur le Comte ?

Oui, sans doute ; et j’aurai le Marquis. Ah, ma sœur !

 Que de bontés pour moi ! vous ravissez mon cœur.

Le Marquis ! le Marquis !

ANGÉLIQUE.

Vous allez un peu vite.

Ainsi que le Marquis, Lisandre a du mérite ;

Il est riche, et c’est lui que je veux vous donner.

MARIANE.

Lisandre !

TOINON, à Mariane.

Voilà bien de quoi vous étonner !

Regardez-vous tous deux : là, pourra-t-il vous plaire ?

MARIANE.

Qu’ai-je à dire, moi ? rien : je dépends de mon père.

ANGÉLIQUE.

Ah ! vous en dépendez ? Eh bien, il parlera.

MARIANE.

S’il parle, je ferai ce qu’il m’ordonnera.

ANGÉLIQUE, à Lisandre.

Lisandre, un galant-homme adoucit les plus fières.

Vous vaincrez ses froideurs.

LISANDRE.

Je n’ai pas des manières

Dignes de soutenir l’honneur de ses appas.

ANGÉLIQUE.

Priez, offrez des vœux, et ne résistez pas.

Agis, de ton côté, Toinon ; mets en usage

Tout ce que...

TOINON, à Angélique.

Laissez-moi jouer mon personnage ;

Je la ferai venir à jubé.

 

 

Scène IV

 

LISANDRE, MARIANE, TOINON

 

TOINON, à Mariane.

Par ma foi, 

Elle est drôle, et me donne un difficile emploi !

Là, pourrez-vous l’aimer ? Vous êtes malheureuse :

Allons, criez au meurtre, et faites la pleureuse ;

Dites que sur la gorge on vous tient le poignard.

LISANDRE, à Toinon.

L’affaire est en bon train.

TOINON, à Lisandre, mettant son doigt au front.

C’est de là que tout part.

J’ai dit, voyant contre elle et la fille et la mère,

Qu’au défaut du Couvent, où résiste son père,

À la prendre pour femme il fallait engager

Quelque sot Campagnard qui pourrait s’en charger.

On a parlé de vous : notre Comte postiche

Vous a fait aussi gueux que vous le faites riche ;

Et, pour la ravaler, nous avons, par complot,

Arrêté toutes trois que vous feriez le sot :

En êtes-vous fâché ?

LISANDRE.

Point du tout.

MARIANE, à Toinon.

Quel caprice !

Sans mon père, qui m’aime, et qui me rend justice,

Un bandeau, malgré moi, m’aurait serré le front ;

C’en serait fait.

TOINON.

Voilà ce que les mères sont.

À suivre un sot penchant follement entraînées,

La plupart aux grands airs élèvent leurs aînées,

Tandis qu’en un Couvent, lieu pour elles malsain,

Les cadettes, Nonnains, sont à ronger leur frein.

Cela va bien, ici ; mais gare l’autre monde.

 

 

Scène V

 

L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE, LISANDRE, MARIANE, TOINON

 

TOINON, apercevant l’Espérance.

L’Espérance est brillant, dans sa perruque blonde :

On dirait d’un Seigneur, tant il le porte beau.

L’ESPÉRANCE, à Toinon.

Tu craignais de me voir étourdi du bateau ;

Cependant j’ai charmé les yeux et les oreilles ;

Mon entrée a fait rage.

MARIANE, à l’Espérance.

On m’en a dit merveilles ;

Tout va bien.

L’ESPÉRANCE, à Mariane.

Vous voyez qu’un fils de Paysan

Peut, tout comme un Marquis, devenir Courtisan :

Pourvu qu’or» joue un peu de l’imaginative,

Que l’on sache à propos manier le qui vive...

Le métier n’est point sot, quand il est bien connu ;

Je m’accoutumerais...

TOINON, à l’Espérance.

L’appétit t’est venu ?

L’ESPÉRANCE, à Toinon.

Vas, c’est tant mieux pour toi ; si j’ai de la fortune,

Fût-ce d’une Duché, je te la rends commune.

TOINON.

C’est quelque chose.

MARIANE.

Au moins, tu te peux assurer

Que de moi, là-dessus, tu dois tout espérer :

Lisandre m’aime assez...

LISANDRE, à Mariane.

Ce que vous voudrez faire,

Sera toujours pour moi...

TOINON, à Lisandre.

Vous plaît-il de vous taire ?

Le poste n’est pas sûr, pour vous entretenir.

LISANDRE, à Toinon.

Tu me chasses encor ?

TOINON.

Songez qu’on va venir.

Un seul mot entendu, marquant l’intelligence,

Gâterait tout ; ainsi sortez en diligence.

On fait qu’il est entré.

L’ESPÉRANCE, à Lisandre.

Je suis homme à fracas :

Mon carrosse a fait bruit ; mes Laquais sont là-bas.

MARIANE.

Lisandre, elle a raison ; adieu.

LISANDRE, à Mariane.

Je me retire :

Dites-vous pour mon cœur tout ce qu’il doit vous dire. 

Il sort.

 

 

Scène VI

 

L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE, MARIANE, TOINON

 

L’ESPÉRANCE, à Mariane.

Afin que notre jeu marche plus finement,

Je m’en vais vous traiter un peu gaillardement.

MARIANE, à l’Espérance.

Dis ce que tu voudras.

L’ESPÉRANCE, mettant son chapeau.

Je me couvre d’avance.

TOINON, à l’Espérance.

Prends garde à toi.

L’ESPÉRANCE, à Toinon.

Vient-on ?

TOINON.

L’une et l’autre s’avance.

 

 

Scène VII

 

L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE, OLIMPE, ANGÉLIQUE, MARIANE, TOINON

 

LE COMTE, à Toinon, faisant semblant de ne pas voir Olimpe et Angélique.

Hé Bien ! qu’est-ce la Belle ? A-t-on eu le souci

De leur faire savoir... ?

MARIANE, au Comte.

Oui, Monsieur ; les voici.

ANGÉLIQUE.
Honneur le Comte, quoi ! vous encor ?

LE COMTE, à Angélique.

Ma Princesse.

Avec vous, tout plaisir ; sans vous, tout plaisir cesse.

OLIMPE, au Comte.

Ma fille est bienheureuse.

LE COMTE, à Olimpe.

Il faut vous l’avouer ;

Je sors d’un lieu fort propre où je devais jouer ;

C’est chez une Duchesse : on n’y respire qu’ambre ;

Mais, quelque beau qu’il soit, ce n’est point votre chambre.

J’y trouve un muse plus rare, et des parfums meilleurs.

J’y trouve... ce qu’en vain je chercherais ailleurs ;

Une bouche, des yeux, un souris fin et tendre.

OLIMPE.

Ah ! Monsieur... Mais, mon Dieu ! l’on vous a fait attendre.

LE COMTE.

Non ; je m’entretenais avec...

Montrant Mariane.

Dans quel emploi

Est-elle auprès de vous ?

OLIMPE.

Qui ?

LE COMTE.

Celle que je vois,

Cette jeune personne : est ce une Tapissière ?

OLIMPE.

Hé !...

LE COMTE.

Je connais d’abord les gens à leur manière.

En vain à se cacher on a quelque intérêt,

Certain je ne fais quoi porte aux yeux ce qu’on est ;

C’est un livre parlant.

OLIMPE.

Ah ! que j’aurais de honte

De vous dire !...

LE COMTE.

Eh ! pourquoi ? si...

OLIMPE.

Non, Monsieur le Comte

Car, enfin, croiriez-vous, quand je vous le dirais,

Que ce serait ma fille ?

LE COMTE.

Elle ? j’enragerais.

Non, non ; à d’autres ! non : vous avez l’âme grande ;

En elle, à la grandeur je ne vois trait qui tende ;

Tout est pure misère.

ANGÉLIQUE, à Mariane.

Eh bien ! vous le voyez,

L’affront que l’on reçoit !

MARIANE, à Angélique.

Pas tant que vous croyez.

LE COMTE.

Et quoi ! cette laidron...

MARIANE, au Comte.

Je pense être aussi belle

Que vous êtes bien fait.

LE COMTE.

Ah ! ah !

OLIMPE.

Quelle cervelle !

LE COMTE.

Je tombe de mon haut. Faute d’être averti,

Je vois bien que j’ai pris un fort méchant parti.

Nous autres gens de Cour, nous sommes nés sincères ;

Et la sincérité gâte bien les affaires.

MARIANE.

Chacun n’a pas les yeux de travers comme vous.

OLIMPE.

La sotte !

LE COMTE.

Laissons-lui ruminer son courroux.

Les laides ont toujours l’humeur âcre, mordante.

MARIANE.

Les fous l’ont encor plus.

OLIMPE, à Mariane.

Rentrez, impertinente.

LE COMTE.

Hé ! ne la chassez point.

MARIANE, à Olimpe.

Comment ! il me dira...

LE COMTE.

Elle me réjouit.

MARIANE, au Comte.

On vous réjouira ;

Vous le méritez bien !

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Renvoyez-la, Madame.

MARIANE, à Angélique.

Je vous fais honte ?

LE COMTE, à Angélique.

On va vous chanter votre gamme ;

Chacun aura son tour.

MARIANE, au Comte.

On doit vous divertir,

Monsieur ; j’en prendrai soin.

OLIMPE.

Toinon, fais-la sortir.

Mariane et Toinon sortent.

 

 

Scène VIII

 

LE COMTE, OLIMPE, ANGÉLIQUE.

 

OLIMPE.

Monsieur le Comte, il faut excuser sa sottise :

Tout à l’heure, en parlant, s’il lui vient, par bêtise,

D’échapper quelques mots un peu désobligeants...

LE COMTE, à Olimpe.

Bon ! est-ce qu’on prend garde à de certaines gens ?

Ma réputation est trop bien établie,

Pour craindre que jamais elle soit affaiblie.

Le Roi, qui me connaît, confond tous mes jaloux.

ANGÉLIQUE.

Quelle sœur !

LE COMTE, à Angélique.

Cette sœur ne tient guère de vous.

Mais comment se peut-il qu’étant du même père,

Une fille à tel point d’avec l’autre diffère ?

L’une est toute parfaite ; et l’autre, franchement,

À Olimpe.

(Si je vous parle ici trop naturellement,

Vous me le pardonnez ?...) c’est une hapelourde.

OLIMPE.

Trop.

LE COMTE.

Outre l’air méchant, elle a l’âme aussi gourde...

Connaissez-vous ce mot ? On l’a, depuis un jour,

(Car il est très nouveau) mis en vogue à la Cour,

Il veut dire pesant.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Il s’applique à miracle.

OLIMPE.

Elle n’a nul esprit, et se croit un Oracle.

Si vous saviez combien j’en souffre tous les jours !...

LE COMTE.

Comme elle est fort malpropre aux grâces, aux amours,

Dont on fit, de tout temps, l’apanage des Belles ;

Que toutes ses façons sont très conventuelles,

Que ne la guimpez-vous ?

OLIMPE.

Elle a, pour mes péchés,

Un père aveugle, à qui ses défauts font cachés.

Point de règle ; à sa mode il lui permet de vivre.

LE COMTE.

C’est l’étouffer.

OLIMPE.

Il faut qu’un mari m’en délivre :

J’en trouve un digne d’elle, et tout selon mes vœux.

LE COMTE.

Ce mari, c’est ?

OLIMPE.

Lisandre.

LE COMTE.

Oui ; mais il est bien gueux.

OLIMPE.

Si je la place mal, sa bêtise en est cause.

LE COMTE.

Il est vrai qu’en Auvergne on vit pour peu de chose.

A-t-on tâté Lisandre ?

OLIMPE.

Oui.

LE COMTE.

Qu’a-t-il répondu ?

C’est un petit génie.

ANGÉLIQUE.

Il s’est déjà rendu.

OLIMPE.

Tout ce qui m’embarrasse, est mon mari : peut-être ; 

Le choisissant pour gendre, il voudra le connaître,

S’informer de son bien.

LE COMTE.

Il n’en faut point douter.

OLIMPE.

Vous sachant Auvergnac, s’il vient vous consulter,

Vous pourrez l’éblouir, en le faisant fort riche.

LE COMTE.

Oh ! c’est mon naturel ; jamais je ne fus chiche.

Je lui veux, puisque c’est ce que vous souhaitez,

Donner dix mille écus de rente, bien comptés.

OLIMPE.

C’est trop ; car sa dépense est si mince et légère !...

LE COMTE.

Je dirai que l’éclat n’a jamais su lui plaire :

Et, comme il est des gens qui ne se tairaient pas,

Gens du même pays, je m’en vais, de ce pas,

Trouver toute l’Auvergne, et leur faire la bouche.

OLIMPE.

Ah ! que cette bonté sensiblement me touche !

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Monsieur le Comte agit d’un air tout engageant.

OLIMPE, à Angélique.

On voit ce qu’il est né.

ANGÉLIQUE.

Rien n’est plus obligeant.

LE COMTE, à Angélique.

Trop heureux, si l’excès de mon amour ardente,

À votre tour, pour moi, vous peut rendre obligeante !

Mon cœur, sans nul relâche, est dans l’embrasement ;

Il faut, à tant de feux, du rafraîchissement.

Et, lorsque je renonce à toutes les Duchesses,

Pour vous donner mes soins, vous livrer mes tendresses,

J’ai besoin que vos yeux, ces charmants scélérats,

Adoucissent...

ANGÉLIQUE, au Comte.

Pour vous que ne ferait-on pas ?

OLIMPE, au Comte.

Pour payer vos ardeurs tendres et délicates,

Ni ma fille, ni moi, ne serons point ingrates.

 

 

Scène IX

 

L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE, LE MARQUIS, OLIMPE, ANGÉLIQUE, TOINON

 

LE MARQUIS, à Olimpe.

Madame, en m’approchant, j’ai peur d’être indiscret ;

Chassez-moi, si je trouble un entretien secret :

Du titre d’importun je me fais tant de honte...

OLIMPE, au Marquis.

Nous parlions de la Cour avec Monsieur le Comte.

LE MARQUIS.

La Cour a bien de quoi fournir à l’entretien.       

ANGÉLIQUE, au Marquis, parlant du Comte.

Monsieur a tant d’esprit, et la connaît si bien !...

LE COMTE, à Angélique.

D’esprit, j’en ai fort peu ; mais on l’aurait bien rude,

Si l’on ne profitait d’une longue habitude.

L’esprit, vous le savez, lorsque de l’homme il sort, 

Ressemble au diamant ; il est brute[1] d’abord :

La Cour, quand on y tient une certaine place,

Le taille, le polit : ce diamant s’enchâsse,

Jette un feu qui le rend lumineux, plus parfait ;

Ce feu brille ; et voilà comment l’esprit se fait.

ANGÉLIQUE.

Qu’il parle juste ! il dit des choses sans égales. 

LE COMTE.

J’en dis, sans vanité, d’assez originales.

LE MARQUIS, au Comte.

Monsieur est délicat sur la comparaison.

LE COMTE.

Qui n’est pas délicat en tout, n’a pas raison ;

Car la délicatesse, en fait d’esprit, doit être

Le plus friand ragoût qui serve à le repaître.

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Que ces mots font choisis, Madame ! qu’ils sont forts.

Il n’avait pas, pour nous, déployé ses trésors.

Quelle montre il en fait ! Elle est si naturelle,

Que...

LE COMTE.

Vous me louez trop ; c’est une bagatelle.

LE MARQUIS.

Monsieur entre fort bien dans le raisonnement.

LE COMTE, au Marquis.

Quelquefois on s’en tire assez heureusement.

LE MARQUIS, à Angélique.

L’excès de votre joie à comprendre est facile.

LE COMTE, à Toinon.

Quel est ce Jouvenceau ?

TOINON, au Comte.

C’est un Marquis.

LE COMTE.

De ville ?

LE MARQUIS, au Comte, brusquement.

De ville ! vous pourriez...

LE COMTE, au Marquis.

De quoi vous fâchez-vous ?

La ville, d’ordinaire, a peu de jeunes fous,

Peu de ces étourdis, tels qu’à la Cour nous sommes :

Car il est, à la Cour, des hommes et des hommes ;

Et comme, pour y plaire, il faut que les barbons

Prennent la gravité qui sied bien aux Catons ;

Il ferait ridicule à tous ceux de notre âge,

D’avoir une conduite ou réglée, ou trop sage.

Chaque chose, à la Cour, doit être dans son point.

LE MARQUIS.

J’y vais de temps en temps, et ne vous y vois point.

LE COMTE.

Vous n’avez donc point d’yeux ? Ma taille est remarquable.     

Dès qu’il s’y fait un gros un peu considérable,

On m’y voit des premiers. Dans les appartements,

Il faut savoir !

OLIMPE.

Vraiment !

LE COMTE.

J’y joue à tous moments :

J’ai, d’ailleurs, par l’accès que mon crédit me donne,

Des heures de faveur qui ne sont pour personne.

À Angélique. 

Prenez soin de mon cœur, vous l’avez dans vos laqs.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Quoi ! vous sortez ?

LE COMTE.

Je vais chercher nos Auvergnats.

À Olimpe.

Vous m’entendez, Madame ?

OLIMPE, au Comte.

Oui, Monsieur ; et j’espère

Que rien ne manquera.

LE COMTE.

Suffit ; laissez-moi faire.

 

 

Scène X

 

LE MARQUIS, OLIMPE, ANGÉLIQUE, TOINON

 

LE MARQUIS, à Angélique.

Il faut vous applaudir ; car je ne puis douter

Qu’un triomphe nouveau n’ait de quoi vous flatter :

Pour vous de tous les cœurs la conquête est certaine.

ANGÉLIQUE, au Marquis.

Parlons sans déguiser ; celle-ci vous fait peine ?

LE MARQUIS.

J’aurais tort d’envier à vos charmants appas...

OLIMPE, au Marquis.

Ils sont assez brillants.

LE MARQUIS, à Olimpe.

On n’en échappe pas :

Quand je l’ignorerais, sa dernière victoire

M’apprendrait...

OLIMPE.

Son mérite y trouve assez de gloire.

LE MARQUIS.

Peut-être.

OLIMPE.

Quoi ! peut-être ? On n’est pas enchantés

De voir Monsieur le Comte ? Un air de qualité !

Des façons de parler !

LE MARQUIS.

Elles sont singulières.

OLIMPE.

Pour moi, je n’ai point vu de plus nobles manières :

Dans toute sa personne, il semble qu’en effet

La Nature...

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Et comment le croira-t-il bien fait ?

Ma sœur lui plaît ; par-là, son goût se fait connaître.

LE MARQUIS, à Angélique.

Vous êtes belle, aimable autant qu’on le peut être ; 

Mais le seriez-vous moins, quand vous ne croiriez pas

Qu’on a tort de se rendre à de moindres appas ?

ANGÉLIQUE.

Allez, Monsieur, allez, cherchez-en de vulgaires :

J’aurai moins d’un Amant ; mais je n’y perdrai guères ;

Nous pourrons nous passer aisément de nous voir. 

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

OLIMPE, LE MARQUIS, TOINON

 

OLIMPE, au Marquis.

Elle sort ; vous allez en être au désespoir.

Pourquoi la fâchez-vous ?

LE MARQUIS, à Olimpe.

Mais, vous, pourquoi, Madame,

Lui mettre, à tous moments, tant de fierté dans l’âme ?

OLIMPE.

Ah ! Monsieur, s’il vous plaît, d’un ton un peu moins haut.

Nous n’avons de fierté qu’autant qu’il nous en faut.

Quand on tient, dans le monde, un certain rang, je pense...

LE MARQUIS.

Votre rang m’est connu.

OLIMPE.

La beauté, la naissance !

Croyez-moi, nous voyons du monde assez poli,

Pour...

LE MARQUIS.

Madame...

OLIMPE.

Vraiment, je vous trouve joli ! 

Ma fille a des défauts !

LE MARQUIS.

Sans colère, de grâce.

OLIMPE.

Non, Monsieur.

LE MARQUIS.

Écoutez.

OLIMPE.

Si j’étais en si place ;

Je sois bien... 

LE MARQUIS.

Quoi ! Madame, on ne peut vous parler ?

OLIMPE.

Vous tâchez vainement à le dissimuler ;

Il vous est mal-aimé de trouver votre compte

Aux devoirs que lui va rendre Monsieur le Comte ;

Voilà ce qui vous tient. Si ce Rival vous nuit...

LE MARQUIS.

Adieu, Madame.

OLIMPE.

Adieu, bon soir et bonne nuit.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

OLIMPE, TOINON

 

TOINON.

Oui, cet hymen si prompt lui tient lieu de supplice.

La donnant à Lisandre, on lui fait injustice :

Elle en veut au Marquis, et s’est mis dans l’esprit

Qu’au mépris de sa sœur, pour elle il s’attendrit.

Ses larmes ont coulé, pour obliger son père

De vouloir à loisir examiner l’affaire :

Mais Lisandre, qu’il voit simple et sans vanité,

Lui paraît un trésor qui doit être acheté.

Il est doux, débonnaire, en un mot, son semblable ;

Et, pourvu qu’il lui trouve un bien un peu passable,

Fût-ce moins que le quart de ce qu’il s’est donné,

Nous verrons le bonhomme à conclure obstiné ;

Il n’en démordra point.

OLIMPE.

Pour céder, et se rendre,

Il nous fallait un homme aussi sot que Lisandre.

TOINON.

Angélique a, sur lui, fait valoir ses attraits ;

Elle l’a menacé de ne le voir jamais :

Pour ne la perdre pas, il a cru nécessaire

D’obéir sans réplique, et d’être son beau-frère.

J’ai parlé là-dessus ; et, lui faisant songer

Que hâter son hymen, ce sera l’obliger,

Quoiqu’il ait, pour sa sœur, la froideur la plus grande,

Il est allé, sur l’heure, en faire la demande.

OLIMPE.

Mais, s’il faut qu’il ait dit qu’il a fort peu de bien,

Ce que nous projetons ne servira de rien.

TOINON.

Toinon, dans le besoin, fait jouer d’artifice.

J’ai dit que tout vieillard était plein d’avarice

Et que, pour s’assurer l’hymen qu’il poursuivait,

Il devait se donner plus de bien qu’il n’avait ;

Que le bonhomme étant et crédule et facile...

OLIMPE.

Il est allé, pourtant, s’en informer en ville ;

S’il s’adresse à quelqu’un pour nous trop bien instruit ?

TOINON.

Alors nous nous serons embarqués sans biscuit.

Mais le zèle du Comte, en cela, doit suffire ;

Il aura prévenu ceux qui pourraient trop dire.

C’est fait de Mariane, et nous l’allons brider.

OLIMPE.

L’arrogante à sa sœur avait peine à céder ;

Elle mérite d’être au petit pied réduite.

Quand son aînée aura carrosse, grande suite,

Meubles d’hiver, d’été, magnifique maison,

De celles qui d’hôtel ont la forme et le nom...

TOINON.

Fort Bien : l’hôtel toujours suit les grands équipages.

OLIMPE.

Écuyer, Intendant...

TOINON.

Et peut-être des Pages.

Que fait-on ? Le Comte est d’assez bonne Maison,

Pour vouloir que la femme...

OLIMPE.

Aurait-il pas raison ?

Angélique lui plaît.

TOINON.

Lui plaît ? elle l’enchante ;

Mais je crains Mariane ; elle n’est pas contente :

C’est un esprit fâcheux qui peut se révolter.

Jusqu’au contrat signé, je voudrais la flatter.

Si son mépris éclate, et rebute Lisandre ?

OLIMPE.

Elle vient : il faut voir ce qu’on en doit attendre.

 

 

Scène II

 

OLIMPE, MARIANE, TOINON

 

OLIMPE.

Mariane, approchez. J’apprends que votre sœur

A, pour vos intérêts, fait connaître son cœur.

Quoi qu’un dépit jaloux vous ait fait croire d’elle,

Elle est bonne, et vous garde une amitié fidèle.

Elle a cru, le pouvant, vous devoir marier :

Avez-vous eu l’esprit de la remercier ?

MARIANE, à Olimpe.

Moi ? je n’ai point pressé pour être mariée.

De quoi s’embarrasser ? L’en avais-je priée ?

OLIMPE.

Voilà votre esprit aigre ! On vous cherche un époux ;

Et l’on dirait encor qu’on ne fait rien pour vous.

MARIANE.

Oui ; parce qu’on me haït, que je suis la cadette,

C’est à moi de vouloir ce que ma sœur rejette.

OLIMPE.

Lisandre peut-il être un homme à rejeter ?

Il a du bien autant qu’on en peut souhaiter,

Quantité d’argent fait.

TOINON, à Mariane.

Des meubles à revendre.

MARIANE, à Toinon.

Hé bien ! s’il est si riche, elle n’a qu’à le prendre ;

Je ne l’empêche point.

TOINON.

Écoutez ; entre nous, 

Peut-être elle fait mal d’y renoncer pour vous.

C’est vous faire paraître une tendresse insigne :

Elle vous aime trop ; vous n’en êtes pas digne.

Au lieu d’être riante, et de lui savoir gré...

OLIMPE, à Toinon.

Pour ingrate, elle l’est au suprême degré.

Tu sais, Toinon, tu sais qu’elle a forcé Lisandre

De lui donner parole ; il voulait s’en défendre,

Et n’abandonne encor qu’avec beaucoup d’ennui...

MARIANE, à Olimpe.

S’il ne veut point de moi, je ne veux point de lui.

TOINON, bas à Olimpe.

Ne lui faites point voir qu’il se rend par contrainte.

Haut.

Non, Madame, Lisandre a résisté par feinte ;

Son mérite le charme, et le fait soupirer :

Il me l’a dit lui-même, et j’en pourrais jurer.

Comme il a de grands biens, il l’en rendra maîtresse,

La mettra, s’il le peut, dans un rang de Princesse ;

Rien ne lui doit manquer.

OLIMPE, à Mariane.

Enfin, on a grand tort

D’arrêter un hymen...

MARIANE.

Cela me plairait fort ;

Mais je ne donne point dans toute cette pompe :

On a beau m’éblouir, afin que je me trompe ;

Lisandre, pour l’aimer, est trop original.

Je crois qu’en lui l’esprit, le bien, tout est égal :

Il dit si sottement les choses qu’il veut dire...

TOINON.

Elle croit se connaître en esprit.

OLIMPE, à Toinon.

Je l’admire.

MARIANE.

Quand il parie à ma sœur, c’est un certain jargon...

TOINON, à Mariane.

Oh ! la grande beauté fait perdre la raison.

Il est extasié, quand il est devant elle ;

Mais il retrouve ailleurs sa langue naturelle,

Parle comme un autre homme.

MARIANE.

Il ne me siérait pas

D’insulter mon ainée, à qui je dois le pas :

Qu’on la marie ; et puis, comme rien ne me presse, 

Si l’on juge qu’il faut...

TOINON, à Olimpe.

Voyez-vous la finesse !          

Afin que le Marquis...

MARIANE.

Quand il m’épouserait,

Ma sœur n’en voulant point, le grand mal qu’il ferait !

OLIMPE, à Mariane.

Non, ne vous flattez pas : je sais, mieux que personne,

Quel mari vous est propre ; et, celui qu’on vous donne

Ayant en divers lieux des biens fort assurés,

J’en serai la maîtresse, et vous l’épouserez.

Par cet heureux hymen, je vous mets à votre aise,

C’est tout ; et, pour vous plaire, il suffit qu’il me plaise.

MARIANE.

Vous voudrez bien, avant que de rien arrêter,

Savoir ce que mon père en pourra rapporter ;

Il est allé s’instruire.

OLIMPE.

Et qu’en peut-il apprendre

Que ce que chacun fait des grands biens de Lisandre ?

Monsieur le Comte encor nous a dit aujourd’hui...

MARIANE.

Il le connaît ?

TOINON, à Mariane.

Il est d’Auvergne, comme lui.

Il faut l’entendre : c’est une abondance extrême.

 

 

Scène III

 

L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE, OLIMPE, MARIANE, TOINON

 

TOINON, apercevant le Comte, à Mariane.

Le voici ; vous pouvez le savoir de lui-même.

LE COMTE, bas, à Olimpe.

J’ai rendu la machine exempte de défaut,

Madame ; qu’on l’essaye, elle ira comme il faut.

Un ressort mal conduit eût pu gâter l’ouvrage ;

Et, pour n’y craindre pas le plus petit dommage

J’ai vu, l’un après l’autre, avec un soin très grand,

Tous ceux qui...

OLIMPE, au Comte.

C’est assez ; le reste se comprend : 

On vous est obligé.

LE COMTE.

La paix est-elle faite ?

Mettez-moi bien, Madame, avec votre cadette ;

D’un fier que je lui vois je dois me défier.

MARIANE, au Comte.

Moi, fière ?

OLIMPE.

Savez-vous qu’on va la marier ?

LE COMTE.

Oui, Madame, à Lisandre ; il me l’est venu dire.

Pour des biens à foison, si son cœur en désire,

Elle en regorgera ; mais aussi je la plains

D’avoir à conserver ses airs durs et contraints.

Lisandre, quoique riche, est un homme sans ordre,

Qui hait, qui fuit la Cour, qui jamais n’y fut mordre.

Je vois, de son côté, qu’elle n’a pas eu soin

De prendre les leçons dont elle avait besoin :

En vous étudiant, elle eût été parfaite.

OLIMPE.

Rien n’était plus facile ; elle se serait faite.

Vous voyez que sa sœur n’a pas mal profité

De m’avoir copiée.

LE COMTE.

Elle a tout imité.

Comme son vrai portrait se trouve-dans le votre,

On peut dire des deux : qui fit l’une, a fait l’autre.

OLIMPE.

Loin que de Mariane on pût venir à bout,

Elle a toujours...

LE COMTE.

N’importe : il est remède à tout.

Qu’elle ait l’humeur docile, et l’intention bonne,

Madame, en moins de rien, si je ne la façonne...

Je veux offrir mes soins à Lisandre : aussi bien

Je le connais ; pour elle il n’épargnera rien.

OLIMPE.

C’est ce que je lui dis ; meubles, train, équipage,

Elle aura tout.

LE COMTE, à Mariane.

Déjà l’amour si fort l’engage,

Qu’afin que son hymen ne soit point retardé,

Mon carrosse est superbe, il me l’a demandé.

J’ai là-bas des Laquais qui sur six grands pieds comptent

Propres au dernier point ; si vous voulez qu’ils montent,

Vous les verrez ; ce font Laquais faits à plaisir :

Je crois, pour s’épargner la peine d’en choisir,

Qu’il les prendra de même, et qu’il vous les destine.

Pour moi, qui sur les trains, depuis longtemps, raffine,

Je prétends, en un jour, pouvoir, à peu de frais,

Remplacer, pour mon compte, et carrosse et Laquais.

Allez, vous allez être en si grande opulence...

MARIANE.

Si tout ce qu’on me dit était vrai, patience ;

Mais peut-être...

OLIMPE.

Elle veut toujours se défier.

MARIANE.

Je crains...

TOINON, à Mariane.

Sans dire mot, laissez-vous marier.

De-quoi pouvez-vous donc avoir peur ? Votre mère

Sait bien ce qu’elle fait.

MARIANE.

Il faut ouïr mon père ;

Il vient.

 

 

Scène IV

 

ANSELME, OLIMPE, TOINON, MARIANE, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

ANSELME.

Vous avez fait, ma femme, un digne choix ;

La chose est très certaine, et va tout d’une voix.

Lisandre est riche encor plus qu’on ne s’imagine :

Je viens de divers lieux...

LE COMTE, à Olimpe.

Madame, la machine...

OLIMPE, bas au Comte.

J’entends.

Haut à Anselme. 

J’étais, Monsieur, fort sûre de mon fait.

Je laisserais tromper votre fille !

ANSELME.

En effet,

Vous devez, comme moi, chercher son avantage,

La pauvre Mariane est heureuse : elle est sage ;

Et je l’ai toujours dit, que quelque bon hasard,

Pour l’en récompenser, lui viendrait tôt ou tard.

OLIMPE.

Elle eût pourtant, sans vous, refusé de me croire.

ANSELME.

Comme elle, j’ai douté qu’il nous vînt tant de gloire ;

Mais différentes gens, par le même rapport,

Ont si bien confirmé la chose...

LE COMTE, à Olimpe.

Le ressort ?

ANSELME, au Comte.

Monsieur, excusez-moi ; je ne prenais pas garde

Que vous êtes ici.

LE COMTE, à Anselme.

Tout ce qui vous regarde

Me touche trop, Monsieur, pour ne partager pas

Le plaisir d’un hymen dont je fais très grand cas.

Lisandre est mon ami, mon voisin en Province :

S’il aimait à paraître, il y vivrait en Prince ;

Mais, quoique libéral, le plaisant à donner,

La grandeur lui déplaît : il faut lui pardonner ;

C’est son humeur.

ANSELME.

J’approuve une telle conduite ;

Si l’éclat plaît d’abord, il blesse dans la suite.

La dépense a souvent un chagrinant retour.

LE COMTE.

Vous m’avouerez pourtant que la Cour est la Cour :

C’est-là...

OLIMPE.

Monsieur le Comte a raison. Est-ce vivre,

Que n’avoir pas toujours le bel exemple à suivre ?

On est si mince, on a des airs si languissants !...

ANSELME.

On conserve son bien ; c’est avoir le bon sens.

Lisandre...

LE COMTE.

Nous avons nos terres contiguës,

Des parcs d’une grandeur ! il faut voir; et des vues !...

Écoutez : en ami, je veux vous empêcher

D’avoir un crève-cœur qui pourrait vous fâcher.

Lisandre est un bonhomme, et chaud dans ses tendresses ;

Il a déjà pris feu pour cinq ou six Maîtresses.

D’abord rien ne lui coûte; il veut tout épouser :

Mais, quand il peut avoir le temps de s’aviser...

ANSELME.

Il n’en a pris aucun pour conclure l’affaire :

Lui-même il s’est chargé d’amener le Notaire ;

Je les attends tous deux.

LE COMTE.

Lisandre signera,

J’en suis sur, et demain il s’en repentira.

Plaidez ; il en sera quitte pour peu de chose.

Ainsi j’inférerais quelque petite clause,

Quand des conditions vous serez convenus :

Pour dédit, en signant, mettez vingt mille écus.

S’il s’engage, par-là, son humeur inconstante

Ne pourra plus vous nuire ; il faudra bien qu’il chante.

Diable ! vingt mille écus !

OLIMPE.

Monsieur a fort bien dit ;

Il faut, dans le contrat, employer le dédit...

ANSELME.

Nous le proposerons.

À Mariane.

Mais je te vois rêveuse :

Courage, Mariane ! on va te rendre heureuse.

Explique tes désirs ; s’ils sont ailleurs portés...

OLIMPE, à Mariane.

Une fille doit-elle avoir des volontés ?

MARIANE.

Mon, Madame ; et, par-là, j’obéis à mon père.

OLIMPE.

Vous faites bien.

 

 

Scène V

 

BELLEFLEUR, OLIMPE, ANSELME, MARIANE, TOINON, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

BELLEFLEUR, à Anselme.

Monsieur, c’est Monsieur le Notaire.

ANSELME, à Bellefleur.

Et Lisandre ? Il l’amène ?

BELLEFLEUR.

Oui, Monsieur.

ANSELME.

Promptement

Fais-les entrer tous deux dans mon appartement.

 

 

Scène VI

 

OLIMPE, ANSELME, MARIANE, TOINON, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

ANSELME, au Comte.

Comme l’affaire m’est d’une extrême importance,

Permettez-moi...

LE COMTE.

Monsieur...

ANSELME, à Mariane.

Il y faut ta présence ;

Viens, suis-moi, Mariane.

OLIMPE, à Mariane.

Allez.

Anselme, Mariane et Toinon sortent.

 

 

Scène VII

 

OLIMPE, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

OLIMPE.

Vous voudrez bien

Signer ce beau contrat ?

LE COMTE.

Je ne refuse rien.

OLIMPE.

Il faut vous épargner le jargon des Notaires.

Tandis qu’on dressera les clauses nécessaires,

Je vais vous envoyer ma fille.

LE COMTE.

Trop d’honneur :

Le plaisir de la voir fait mon plus grand bonheur.

Mais songez au dédit ; il faut, surtout, le mettre.

Comme il est force sots qui s’osent tout permettre,

Il peut s’en, trouver un qui, le contrat signé,

Viendra peindre Lisandre aussi gueux qu’il est né :

Je vois votre cadette avec excès chérie,

Son père voudra-t-il alors qu’on la marie ;

À moins que le dédit, qu’il craindra de payer... ?

OLIMPE.

Oh ! pour le faire mettre, il faut tout essayer ;

J’en viendrai bien-à bout : j’y cours ; vous n’allez être

Que quelques moments seul.

 

 

Scène VIII

 

TOINON, L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE

 

L’ESPÉRANCE.

Sais-je servir mon Maître,

Toinon ?

TOINON.

Tu me ravis. Où diantre as-tu pêché

Ces figures d’un corps à demi déhanché ?

L’ESPÉRANCE.

On m’a vu, de tout temps, soit dit sans flatterie,

Copiste très exact de la minauderie :

Comme tout en est plein, je me fais des leçons

Sur ce qu’on peut nommer minaudières façons ;

Et quand, par mon moyen, quelque intrigue s’accroche,

Qu’il faut jouer un fat, j’en ai le rôle en poche.

TOINON.

Tout va bien jusqu’ici ; mais je crains...

L’ESPÉRANCE.

Que crains-tu ?

TOINON.

Je crains que quelque Esprit, qui peut être inconnu,

Poussé par un instinct à nos souhaits contraire,

Ne vienne un peu trop tôt découvrir le mystère ;

Et...

 

 

Scène IX

 

LE MARQUIS, TOINON, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

TOINON, bas au Comte.

Voici le Marquis.

LE MARQUIS.

Que m’a-t-on dit, Toinon ?

On donne Mariane à Lisandre ? Mais, non,

Cela n’est point : Lisandre a si peu l’apparence...

LE COMTE, au Marquis.

En fait de mariage, on compte la finance.

Lisandre est cousu d’or, si vous ne le savez.

LE MARQUIS.

Dis-moi, Toinon, ses vœux sont-ils d’elle approuvés

La surprise où je suis d’un pareil hyménée...

TOINON, au Marquis.

Que voulez-vous que fasse une fille bien née ?

Ce matin même encore, elle n’y pensait pas :

Mais Lisandre a du bien ; Monsieur en faisait cas ;

Madame, à le choisir, trouve de la justice ;

On veut qu’elle l’épouse, il faut qu’elle obéisse.

On dresse le contrat.

LE MARQUIS.

Ah ! Toinon, je crains bien

Que, pour plaire à sa sœur...

LE COMTE.

Allez, ne craignez rien ;

L’affaire est merveilleuse ; et, par ce mariage,

Elle va devenir Dame du haut étage.

LE MARQUIS, au Comte.

Lorsque je lui souhaite un sort heureux et doux,

J’en voudrais un garant plus assuré que vous.

LE COMTE.

On en doit pourtant croire un homme de ma forte ;

Je suis né dans un rang assez grand...

LE MARQUIS.

Que m’importe ?

LE COMTE.

Que vous importe ?

Il est des gens en quantité

À qui, me connaissant, il aurait importe.

LE MARQUIS.

Je ne vous connais point, il est vrai ; mais, peut-être,

Je viendrai, par mes soins, à bout de vous connaître.

LE COMTE.

La Cour...

LE MARQUIS.

Ma foi, la Cour n’a pas le goût exquis,

Si, pour vous son estime...

TOINON.

Eh ! Monsieur le Marquis !

LE COMTE.

Il est bon quelquefois qu’un grand cœur se surmonte ;

Ou saurait, sans cela, vous...

TOINON.

Eh ! Monsieur le Comte !

LE COMTE, à Toinon.

Quoi ! quand ma qualité le devrait empêcher...

TOINON.

Ah ! ne vous fâchez point.

LE MARQUIS, à Toinon.

Laisse-le se fâcher.

LE COMTE, au Marquis.

Moi ? si j’en faisais rien, j’aurais l’âme bien lâche.

Comment donc ! pour vous plaire, il faut que je me fâche ?

Vous avez bien trouvé votre homme !

LE MARQUIS, au Comte.

Je me tais :

Les gens vraiment polis ne se fâchent jamais.

Ailleurs qu’ici, pourtant, on saura si bien faire,

Que vous vous fâcherez.

LE COMTE.

Ah ! s’il est nécessaire,

Je ne dis pas que non : mais, enfin, ce sera

À cause seulement qu’il vous en déplaira.

J’ai, sur le point d’honneur, les manières très vives.

LE MARQUIS.

Si...

LE COMTE.

Vous ne tiendrez point mes volontés captives.

Je suis libre, et prétends pouvoir, selon le cas,

Me fâcher, malgré vous, ou ne me fâcher pas.      

TOINON.

Point de bruis, s’il vous plaît, Messieurs.

LE MARQUIS, à Toinon.

Il faut me taire ;

Mais, dans ce qui se passe, il entre du mystère.

Sa mine, ses façons, tout me le rend suspect.

LE COMTE.

Je suis, dont bien vous prend, dans un lieu de respect ;

Mais nous verrons à quoi nos devoirs nous appellent.

 

 

Scène X

 

LE MARQUIS, TOINON, ANGÉLIQUE, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

TOINON, à Angélique.

Venez mettre la paix ; ces Messieurs se querellent.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Qu’est-ce donc ?

LE COMTE, à Angélique.

Ce n’est rien.

ANGÉLIQUE.

Toinon...

TOINON.

Que voulez-vous ?

Un mot...

LE COMTE, montrant le Marquis.

C’est une affaire à vider entre nous.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Vous a-t-on offensé ?

LE COMTE.

Monsieur le Marquis jase ;

Il fait le suffisant, le patron de la case.

ANGÉLIQUE, au Marquis.

Comment ! je voudrais bien, Monsieur, savoir sur quoi 

Vous vous donnez des airs si peu dignes de moi.

LE MARQUIS, à Angélique.

Monsieur est heureux.

ANGÉLIQUE.

Là, montrez vos fantaisies.

LE MARQUIS.

Vous prenez son parti ?

ANGÉLIQUE.

Voilà vos jalousies.

LE MARQUIS.

Moi, jaloux ! si jamais j’ai ce cruel ennui,

Ce malheur me viendra d’un autre que de lui.

ANGÉLIQUE.

Vous n’auriez pas pourtant trop de tort de le craindre.

LE MARQUIS.

J’en doute.

LE COMTE.

Il ne faut point, là-dessus, vous contraindre ; 

Chassez-moi, si mes soins...

ANGÉLIQUE, au Comte.

Je m’en garderai bien.

LE MARQUIS.

Ainsi vous préférez son intérêt au mien ?

ANGÉLIQUE, au Marquis.

Me manquer de respect sur de vaines chimères,

Ce n’est pas le moyen d’avancer vos affaires.

LE MARQUIS.

J’ai toujours eu pour vous tant d’égards, que je crois.

ANGÉLIQUE.

Vous en devez avoir pour tout ce que je vois.

Surtout, Monsieur le Comte a lieu, plus que personne,

Par le rang qu’à la Cour sa naissance lui donne,

D’attendre que chacun rende à sa qualité

L’honneur qu’elle demande, et qu’elle a mérité.

LE MARQUIS.

Vos sentiments font beaux, pourvu qu’il y réponde...

ANGÉLIQUE.

Sachez qu’il ne rend pas visite à tout le monde ;

Et que, nous estimant assez pour vouloir bien

Nous distinguer des gens...

LE COMTE.

Ne parlons plus de rien :

C’est trop ; j’oublierai tout.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Je ne suis pas si bonne.

LE MARQUIS.

Il faut vous détromper, afin qu’on me pardonne :

Et comme vainement, sans être mieux instruit,

J’essaierais de combattre une erreur qui vous nuit,

Je trouverai peut-être une voie assez prompte,

Pour vous apprendre à fond ce qu’est Monsieur le Comte.

Il sort.

LE COMTE, au Marquis qui sort.

Ah, parbleu ! je n’ai pas dessein de le cacher.

 

 

Scène XI

 

ANGÉLIQUE, TOINON, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

TOINON, au Comte.

Je crois que, pour vous nuire, il aura beau chercher.

LE COMTE, à Toinon.

Qu’il cherche ; son chagrin n’a rien que je redoute.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Je rougis, en pensant à ce que je vous coûte.

Vous me haïrez bien.

LE COMTE, à Angélique.

L’insulte fait souffrir :

Mais quand un vrai mérite a su se découvrir ;

Que ce mérite, étant sans borne, sans limite,

Va, comme il fait en vous, au-delà du mérite ;

Qu’il force... Je dirai le reste une autre fois.

Vous avez un brillant qui me coupe la voix :

Ce qu’il a de lumière, au moment qu’elle éclate.

ANGÉLIQUE.

Que vous êtes flatteur !

LE COMTE.

Vous êtes une ingrate,

Qui, pour ne pas payer les peines de mon cœur.

ANGÉLIQUE.

Allons, venez signer au contrat de ma sœur.

Vous avez trop de part à ce grand mariage...

LE COMTE.

Pour vous, si j’avais pu, j’aurais fait davantage.

ANGÉLIQUE.

J’en suis très satisfaite ; on ne peut rien de mieux.

LE COMTE.

C’est-là le moindre effet du pouvoir de vos yeux.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

OLIMPE, ANGÉLIQUE

 

OLIMPE.

On croit donc que Lisandre est un homme admirable ?

ANGÉLIQUE.

Mon père trouve en tout qu’il est incomparable.

OLIMPE.

Et Mariane ?

ANGÉLIQUE.

Elle est dans le ravissement.

Je viens de la quitter ; c’est un plaisir charmant.

Elle se croit déjà dans la haute opulence,

Dit qu’elle me doit tout ; et, pour reconnaissance,

Comme elle est naturelle et de très prompte foi,

Jure de partager sa fortune avec moi.

OLIMPE.

Avec vous ? c’est vous faire un fort grand avantage !

ANGÉLIQUE.

Ne lui découvrons rien, ayant son mariage.

OLIMPE.

Qu’en arriverait-il ? le dédit arrêté

Met, selon nos souhaits, l’affaire en sûreté.

Son père voudrait-il, quoi qu’on lui pût apprendre,

Payer vingt mille écus, qu’il devrait à Lisandre ?

Le Comte, en proposant d’employer ce dédit,

Pour lier Mariane, a fait un tour d’esprit.

Ce soin, pris à propos, montre bien qu’il vous aime.

ANGÉLIQUE.

J’avais, je vous l’avoue, une frayeur extrême,

Que, s’étant vu tantôt du Marquis insulté,

Dans son amour naissant il ne fût rebuté ;

Mais ses feux ont toujours la même violence.

OLIMPE.

Le Marquis l’insulter ? voyez l’impertinence !

ANGÉLIQUE.

Il est jaloux, Madame.

OLIMPE.

Il ne le serait pas ;

S’il n’était convaincu qu’on en doit faire cas.

Rien ne nous prouve mieux le mérite du Comte.

ANGÉLIQUE.

Peut-être, à l’estimer, je suis un peu trop prompte ;

Mais, de ce que j’ai vu de personnes de Cour,

Je le tiens le plus propre à donner de l’amour.

Ce sont de certains tours que n’ont point tous les autres.

OLIMPE.

Mes sentiments pour lui se rapportent aux vôtres.

Libre en tout ce qu’il fait, il a, dans l’entretien,

Des façons de parler qui ne lui coûtent rien.

Quoique ce ne soit pas le langage ordinaire,

Cela plaît.

ANGÉLIQUE.

Ah ! Madame, il est tout fait pour plaire.

OLIMPE.

Comme de ses désirs vous pouvez disposer,

Je crois que vous devez songer à l’épouser.

ANGÉLIQUE.

Me le conseillez-vous ?

OLIMPE.

Oui ; tout vous y convie :

Son hymen vous assure une agréable vie ;

C’est pour moi, c’est pour vous une entrée à la Cour :

Vous aurez le plaisir de briller au grand jour.

Ici, dans un quartier farci de Bourgeoisie,

Qu’on ait de la beauté, ce n’est que jalousie :

Et puis, à dire vrai, les discours obligeants

Touchent peu, s’ils sont faits par de petites gens :

Mais si l’on oyait dire à la Cour : « Qu’elle est belle » !

Ce serait une joie !... Il n’en est point de telle.

ANGÉLIQUE.

Il est vrai que beaucoup s’en laisseraient flatter.

 

 

Scène II

 

LE MARQUIS, OLIMPE, ANGÉLIQUE

 

ANGÉLIQUE, bas à Olimpe.

Mais voici le Marquis.

OLIMPE, bas à Angélique.

Je le veux écouter.

ANGÉLIQUE, de même.

De son emportement il vient nous faire excuse.

LE MARQUIS, à Olimpe.

Je vois qu’il faut enfin que je me désabuse.

Madame, je croyais être de vos amis ;

C’est un nom glorieux que vous m’avez permis ;

Cependant vous pouvez conclure un mariage,

Sans vouloir que la joie avec moi s’en partage !

Un si cruel mépris se peut-il supporter ?

OLIMPE, au Marquis.

L’amour qu’on désespère est contraint d’éclater.

Mariane pour vous s’était rendue aimable ;

Je vous plains du chagrin dont elle vous accable :

On fait que vous voyez son hymen à regret.

LE MARQUIS.

Si j’ose en murmurer, ce n’est que du secret.

Mariane y rencontre un si grand avantage,

Qu’à vous en applaudir son intérêt m’engage.

Lisandre est de naissance, et riche au dernier point.

OLIMPE.

Il a de très grands biens ; nous ne signerons point ;

Et, par-là, Mariane, à qui je le marie...

ANGÉLIQUE, à Olimpe.

Eh ! ne lui dites rien, Madame, je vous prie.

LE MARQUIS.

On n’a rien à me dire, et je viens bien instruit.

Chez un homme informé le hasard m’a conduit.

Sa naissance, son bien, contre toute apparence,

Pouvaient lui procurer la plus haute alliance :

La jeune Mariane est le choix de son cœur ;

Il l’aimait...

OLIMPE.

Laissons-la jouir de son bonheur,

Et venons au chagrin dont on m’a rendu compte.

Vous osez, me dit-on, brusquer Monsieur le Comte ?

Et, sans voir que c’est moi qu’en lui vous offensez, 

Vous suivez de vos feux les transports insensés ?

Cherchez à modérer votre jalouse bile.

Des gens de qualité ma maison est l’asile.

Si quelqu’un vous y choque, il est en votre choix

D’y venir aujourd’hui pour la dernière fois.

Il ne sera point dit qu’une longue hantise,

Chez moi, vous fera prendre aucun droit de maîtrise ;

Et, malgré les projets que vous ayez conçus,

Les gens d’un certain rang y seront bien reçus.

LE MARQUIS.

Parmi ceux que chez vous votre mérite attire,

Des gens d’un certain rang je n’aurai rien à dire ;

Mais qu’un Comte inconnu vous éblouisse, au point

De vous faire penser ce qui peut n’être point...

OLIMPE.

Inconnu, dites-vous ? Vous nous la donnez bonne !

La jalousie aveugle, et je vous le pardonne.

Nous savons, pour le bien et pour la qualité,

Ce qu’est Monsieur le Comte ; et puis, sans vanité,

Je ne suis point trop dupe ; à la mine...

LE MARQUIS.

Eh, Madame !...

OLIMPE.

Je connais l’honnête homme, et je lis dans son âme :

Tel est Monsieur le Comte ; et quand, de tous côtés

On ne vanterait point ses grandes qualités,

Pour lui, dès qu’on le voit, tout est si favorable...

LE MARQUIS.

D’accord ; mais il peut être un gueux, un misérable

Un faquin...

OLIMPE.

Ah Monsieur ! trêve d’emportement, 

Il pourrait vous apprendre à parler autrement.

Si de vos gens de rien la foule ailleurs abonde,

Les femmes comme moi savent choisir leur monde ;

Et vous devez penser, lorsque je vois quelqu’un,

Que, puisque je le souffre, il est hors du commun.

Je crois vous faire honneur, en parlant de la sorte.

LE MARQUIS.

Sans doute : mais, enfin, bien loin que je m’emporte

Ce Comte si bien fait, dont on me croit jaloux,

Est, possible, un filou qui s’introduit chez vous.

Il est tant de ces gens qui, sous le nom de Comte...

ANGÉLIQUE, au Marquis.

Vous l’attaquez absent, craignez qu’à, votre honte,

Pour prouver sa noblesse, il ne fosse éclater...

LE MARQUIS, à Angélique.

Eh ! je ne le crois pas si fort à redouter.

ANGÉLIQUE.

Quelquefois on se flatte.

LE MARQUIS, voyant venir le Comte.

Il vient ; c’est mon affaire.

OLIMPE.

S’il vous échappe un mot qui puisse lui déplaire,       

Je vous en avertis, dans mon juste courroux,

Je ne garderai plus de mesures pour vous ;     

Nous romprons sans retour.

LE MARQUIS, à Olimpe.

Vous serez satisfaite ;

J’aurai tous les égards...

 

 

Scène III

 

L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE, LE MARQUIS, OLIMPE, ANGÉLIQUE

 

LE COMTE.

Hé bien ? notre cadette

A-t-elle le cœur gai, dans son état nouveau ?

À son âge, un époux est un friand morceau.

ANGÉLIQUE, au Comte.

Le parti l’accommode ; elle en est fort contente.

LE MARQUIS.

La fortune pour elle est assez éclatante.

OLIMPE, au Marquis.

Nous savons quel éclat elle peut lui donner.

LE MARQUIS, à Olimpe.

Si vous le savez bien, il doit vous étonner.

Lisandre, avec splendeur, soutient ses avantages :

Il a, le croirait-on ? des Comtes à ses gages,

À qui, pour le servir selon ses intérêts,

Il fournit équipage, et carrosse, et Laquais.

Montrant le Comte.

Monsieur peut vous le dire, il en fait des nouvelles.

LE COMTE, au Marquis.

J’en fais ; mais, franchement, elles sont telles quelles ;

Et l’on ne doit pas trop s’en rapporter à moi.

LE MARQUIS, au Comte.

Monsieur le Comte, il faut parler de bonne foi :

Si vous ne répondez...

LE COMTE.

Répond qui veut.

OLIMPE.

De grâce,

Monsieur, ne venons point à des tons de menace.

Monsieur le Comte est libre, et peut ne point parler.

LE COMTE.

Jamais le droit des gens ne se doit violer ;

Et c’est un attentat, que vouloir me contraindre...

LE MARQUIS.

Vous parlerez pourtant ; il n’est plus temps de feindre.

LE COMTE, à Olimpe.

Cet air d’autorité que l’on prend avec moi

Me peut faire manquer à ce que je vous doi ;

Ainsi je me retire. Une autre fois, Madame...

Au Marquis.

Ailleurs qu’ici, mon cher... Nous portons une lame...

OLIMPE.

Je m’étonne, Monsieur, qu’avec tant de fierté,

Vous insultiez, chez moi, les gens de qualité.

Vous perdez le bon sens.

LE COMTE, à Olimpe.

La chose vous regarde ;

Je suis homme d’honneur, et l’on n’y prend point gardes

Madame, souffrez-vous...

ANGÉLIQUE.

Voilà pour s’égorger.

LE COMTE.

Ici, par pur respect, je me laisse outrager ;

Mais...

OLIMPE, à tous deux.

Je veux entre vous accommoder l’affaire.

LE MARQUIS, à Olimpe.

Il n’est pas dangereux; on peut le laisser faire,

Un homme tel que lui jamais a-t-il osé... ?

LE COMTE, au Marquis.

Croyez-vous... ?

LE MARQUIS, au Comte.

Je te crois un Comte supposé.

Le faux nom que tu prends, et qui veut qu’on te rende...

LE COMTE.

Ah ! vous me tutoyez ; c’est ce que je demande.

OLIMPE, au Marquis.

En vérité, Monsieur...

LE COMTE.

J’aurai raison du toi.

À Olimpe.

Madame, s’enhardir à me tutoyer, moi !

Un Gentilhomme ! un Comte !

ANGÉLIQUE, au Comte.

Eh, Monsieur !

LE COMTE.

Patience.

OLIMPE, au Comte.

Il faut...

LE COMTE.

Non, par-devant les Maréchaux de France...

Quand nous nous y verrons, on lui dira comment

Leur prudente équité punit un tutoiement.

À ces petits Marquis il faut apprendre à vivre.

LE MARQUIS.

Ce discours est si fou...

OLIMPE, au Marquis.

Doucement.

LE COMTE.

Il est ivre.

Par moi-même, j’aurais un assez court chemin

De lui faire sentir... Mais je pardonne au vin.

Un vrai Noble est toujours au-dessus de l’outrage.

LE MARQUIS.

Noble ?

LE COMTE, au Marquis.

Ah ! s’il est besoin d’en rendre témoignage, 

De noblesse avec vous je m’offre à faire assaut,

Et suis fort assuré de vous donner le faut.

ANGÉLIQUE, au Marquis.

Le défi qu’il vous fait...

LE COMTE.

Je le tiendrai de même.

Des Comtes de mon sang je suis le dix-huitième,

Qui tous, de père en fils, en faisant parler d’eux,

Ont fait une Comtesse, et beaucoup même deux.

Dès que l’une était morte, ennemis de la crasse,

Ils allaient illustrer une seconde race :

C’est à moi de marcher dignement sur leurs pas.

OLIMPE, au Comte.

Ce que l’on voit de vous ne dégénère pas :

À soutenir leur rang vous êtes fort fidèle.

LE MARQUIS, à Olimpe.

Vous croyez donc...

LE COMTE.

Du temps de Jeanne la nucelle,

Un Comte, mon aïeul au septième degré,

Fit maintes actions dont le Roi lui sut gré :

L’Histoire en dit le fin, et vous n’avez qu’à lire :

C’est un garant fort sûr ; l’en voudrez-vous dédire ?

ANGÉLIQUE, au Marquis.

Vous voyez qu’il vous pousse.

LE MARQUIS, au Comte.

Il est vrai qu’en ce temps

Des Comtes, en exploits, furent fort éclatants ;

Mais quand, sous ce faux titre, on ose...

LE COMTE.

C’est un conte.

Il est cent faux Marquis, contre un demi-faux Comte

Et si j’examinais vos aïeux, par hasard,

N’y trouverais-je point un peu de sang bâtard ?

Allez ; je suis discret, je tais les circonstances.      

LE MARQUIS, à Olimpe.

Il veut vous amuser par des impertinences.

LE COMTE.

Tout beau.

OLIMPE, au Marquis.

Vous avez tort ; l’insulte va trop loin.

LE MARQUIS.

Puisque je suis suspect, Lisandre est un témoin

Qu’on peut ouïr.

OLIMPE.

Lisandre !

LE MARQUIS.

Oui ; c’est lui qui l’emploie.

LE COMTE.

Lisandre réemployer ! Ah ! j’en ai de la joie.

Lui, mon vassal très mince, et dont l’humble devoir...

ANGÉLIQUE.

Là-dessus de Lisandre on n’a rien à savoir.

Par lui nous connaissons, avec pleine assurance,

Ce que Monsieur le Comte a de bien, de naissance.

LE COMTE.

Ce qu’il a pu vous dire est partout bien connu.

Mon rang, je l’ai prouvé : quant à mon revenu...

LE MARQUIS.

Suffit : je vois Lisandre ; il va vous en instruire.

LE COMTE.

L’éclat non faux, mon cher, a toujours droit de luire :

Je garderai mon lustre, en dépit des jaloux.

 

 

Scène IV

 

OLIMPE, ANGÉLIQUE, LISANDRE, LE MARQUIS, L’ESPÉRANCE, faisant le personnage de COMTE

 

OLIMPE, à Lisandre.

Vous venez à propos, quand nous parlions de vous.

Sur un grand différend on vous prend pour arbitre.

Chacun croit soutenir son avis à bon titre ;

Vous en déciderez, sur le fait rapporté.

LE MARQUIS, à Lisandre.

Je vous ai peint fort riche, homme de qualité

Qui, négligeant l’éclat où vous pouviez paraître

N’avez pris aucun soin de vous faire connaître.

Qu’ai-je dit en cela que vous n’avouiez pas ?

OLIMPE, au Marquis.

Sa naissance et son bien ne font nul embarras.

La contestation est sur Monsieur le Comte.

LE COMTE.

Qu’il dise ce qu’il sait ; je n’en crains nulle honte.

Je sors d’une maison qui vaut plus qu’un trésor.

LE MARQUIS.

J’ai dit, je le confesse, et je le dis encor,

Que ce Monsieur le Comte, avec sa suffisance,

Est un de vos Valets, qu’on nomme l’Espérance.

LE COMTE, au Marquis.

Vous êtes lunatique, entendez-vous ?

Bas à Lisandre.

Gardez

De vous perdre avec moi, si vous me dégradez

Au Marquis. 

Tous vos efforts ici deviendront inutiles.

LE MARQUIS.

Tantôt, pour l’épier, j’ai mis des gens habiles ;

Ils l’ont suivi partout. Son bien, sa qualité,

Ses grands airs font l’effet d’un rôle concerté.

Lisandre, dis-je vrai ?

OLIMPE, à Lisandre.

Vous semblez vous confondre.

LISANDRE, à Olimpe.

Madame, sur cela, je n’ai point à répondre ;

Et, si vous m’en croyez, sans rien examiner ;

Nous conclurons en paix ce qu’il faut terminer.

Vous m’avez fait l’honneur de me choisir pour gendre ;

Peut-être suffit-il que je vous fasse entendre

Que, par tous les endroits qui pourront vous flatter,

Par le rang, par le bien, s’il peut vous contenter,

Je puis donner sujet à plus d’une famille

D’envier la fortune où sera votre fille.

OLIMPE.

Je vois, s’il est ainsi, que son bonheur est grandi

Je croyais autre chose, et cela me surprend.

LISANDRE.

Dans ce que je vous dis, qu’est-ce qui vous étonne ?

OLIMPE.

Vous avez, en effet, tout le bien qu’on vous donne ?

LISANDRE.

Oui, Madame j et peut-être en trouverez-vous plus.

OLIMPE.

Votre hymen est certain, par les vingt-mille écus ;

Ce dédit, qui nous lie, et le rend nécessaire,

De vos pièges secrets m’explique le mystère.

Vous m’avez fait donner dans le piège.

LISANDRE.

Et sur quoi

Vous former des sujets de vous plaindre de moi ?

Voyez la fin de tout.

OLIMPE.

Je ne vois que ma honte.

On me dupe, on me joue, on m’amène un faux Comte ; 

Car je pénètre tout, sans plus douter de rien. 

Ce qu’il m’a dit d’abord de votre peu de bien ;

Le dédit, qu’il m’a fait vouloir contre moi-même...

LISANDRE.

Pardonnez à l’amour ce faible stratagème.

J’ai de bonnes raisons ; et, quand vous les saurez,

Le faux Comte est un fait que vous approuverez.

OLIMPE.

Ne vous en flattez point.

L’ESPÉRANCE, sous l’habit de Comte, à Olimpe.

Madame...

OLIMPE, à l’Espérance.

C’est toi, traître,

Qui m’as su...

L’ESPÉRANCE.

Je devais obéir à mon Maître.

Si vous me commandiez, et que je fusse à vous...

OLIMPE.

Tais-toi.

L’ESPÉRANCE.

Je me tairai ; n’ayez plus de courroux.

LE MARQUIS, à Angélique.

Madame, vous voyez si c’est par jalousie...

ANGÉLIQUE.

Le cruel déplaisir dont mon âme est saisie

Sur tout ce que j’entends m’empêche de parler.

Du chagrin où je suis qui peut me consoler ?

OLIMPE, à Angélique.

Le Marquis a pour vous un cœur fidèle et tendre ;

Donnez-lui votre main, sans plus le faire attendre.

ANGÉLIQUE, au Marquis.

L’honneur, l’amour, tout veut que je me donne à vous ;

Oui, Monsieur le Marquis, je vous prends pour époux.

Vous ne répondez rien ? Ah ! votre froid silence

Me reproche en secret ma lâche complaisance.

Mais, pour venger sur vous les affronts qu’on m’a faits, 

Adieu, je vous défends de me revoir jamais.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

OLIMPE, LE MARQUIS, LISANDRE, L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE

 

OLIMPE, au Marquis.

De votre procédé j’ai lieu d’être surprise.

LE MARQUIS, à Olimpe.

Si j’ose vous parler avec pleine franchise,

Je vous dirai, Madame, en vous ouvrant mon cœur,

Que vous vous oubliez dans vos airs de grandeur.

OLIMPE.

Et quels airs ai-je donc que je n’ai pas dû prendre ?

LE MARQUIS.

Je sais tout le respect qu’aux Dames on doit rendre ;

J’en ai beaucoup pour vous ; et, sur la qualité,

Je consens qu’aucun rang ne vous soit contesté :

Mais votre exemple a mis au cœur de votre aînée

Un orgueil qui n’est point d’une fille bien née.

Je renonce au bonheur de me voir son époux :

Je n’ai plus rien à dire, et prends congé de vous.

Il sort.

OLIMPE.

Cent Amants, à l’envi, soupirent pour ma fille ;

Vous ne méritez pas d’être dans ma famille.

 

 

Scène VI

 

OLIMPE, LISANDRE, L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE

 

LISANDRE, à Olimpe.

Par mes soumissions, ne pourrai-je obtenir... ?

OLIMPE, à Lisandre.

Je ne le cache point, je n’en puis revenir.

Vous me faites passer pour une ridicule.

Quoi donc ! on publiera que je suis si crédule,

Qu’un homme de néant...

LISANDRE.

Eh ! moquez-vous de tout ;

Aisément des sots bruits on peut venir à bout :

Pour leur couper chemin, concluons l’hyménée.

OLIMPE.

Je vois, par le dédit, la chose terminée.

À l’Espérance, allant pour le frapper.

Mais toi, coquin, apprends ce que pèse mon bras.

L’ESPÉRANCE, l’évitant.

Oh, parbleu ! ces transports ne m’accommodent pas.

LISANDRE.

Madame, pardonnez...

OLIMPE, à Lisandre.

Non : vous m’avez trompée ;

Jamais... 

 

 

Scène VII

 

ANSELME, OLIMPE, LISANDRE, TOINON, L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE

 

ANSELME, à Olimpe.

De quel chagrin êtes-vous occupée ?

Vous querellez déjà votre gendre ! Du moins,

Quand on s’emporte, il faut que ce soit sans témoins.

En vous abandonnant à votre humeur trop prompte,

Vous oubliez que c’est devant Monsieur le Comte :

Les égards qu’on lui doit...

L’ESPÉRANCE, à Anselme.

Monsieur, votre bonté

M’honore plus cent fois que je n’ai mérité.

ANSELME, à l’Espérance.

Pardonnez-lui, Monsieur...

L’ESPÉRANCE.

Monsieur...

OLIMPE.

Qu’il me pardonne !

Lui ! la plus misérable et plus vile personne...

ANSELME.

Comment ?

OLIMPE.

C’est un faux Comte ; il nous a trompés tous :

Voilà ce qui me fait...

ANSELME.

J’en suis fâché pour vous.

Vous voyez tant de gens du grand air, que peut-être

Est-ce une honte à vous de vous y mal connaître.

Pour moi, Comtes, Marquis, qu’ils soient vrais, qu’ils soient faux,

Pour ce que j’en veux faire, ils me sont tous égaux.

Vous qui, de la grandeur un peu trop entêtée,

Croyez...

 

 

Scène VIII

 

MARIANE, ANSELME, OLIMPE, LISANDRE, TOINON, L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE

 

OLIMPE, à Mariane qui entre.

Ah ! vous voilà, Madame l’effrontée, 

Qui faites la modeste, et qui secrètement,

Sans prendre nos avis, choisissez un Amant.

LISANDRE, à Olimpe.

Madame, c’est de moi que vous...

OLIMPE, à Lisandre.

L’affaire est faite.

Vous jouirez du bien que votre amour souhaite,

Monsieur ; à votre hymen je ne puis m’opposer :

Mariane est à vous ; vous pouvez l’épouser :

Mais, tant que je vivrai, j’aurai gravé dans l’âme

Le complot outrageant qui la rend votre femme.

Adieu.

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

ANSELME, MARIANE, LISANDRE, TOINON, L’ESPÉRANCE, sous l’habit de COMTE

 

MARIANE, à Anselme.

Daignez, de grâce, adoucir son courroux,

Mon père : il ira loin, s’il se répand sur nous.

ANSELME, à Mariane.

Elle s’apaisera; n’en soyons point en peine.

Pour toi, l’hymen te met à couvert de sa haine.

Mais par quelle aventure un faux Comte introduit... ?

L’ESPÉRANCE, à Anselme.

Lisandre m’employait ; vous en voyez le fruit.

Sagesse, esprit, rang, biens, tout se trouve en Lisandre ;

Et, pour m’avoir fait Comte, il devient votre gendre.

LISANDRE, à Anselme.

S’il vous faut des raisons sur ce déguisement...

ANSELME, à Lisandre.

Non : je suis satisfait ; plus d’éclaircissement.

Allons pourvoir au reste.

TOINON, à Mariane.

Enfin l’hymen s’achève :

Vous n’aurez avec moi repos, ni paix, ni trêve,

Si je ne suis à vous; vous me l’avez promis.

LISANDRE, à Toinon.

M’en veux-tu pour garant ? Je suis de tes amis.

L’ESPÉRANCE, à Lisandre.

Monsieur, si vous vouliez, Toinon serait Comtesse,

Il nous faut, pour cela, faire quelque largesse ;

Car le ménage étant...

LISANDRE, à l’Espérance.

Je suis content de toi ;

Et tu peux, ainsi qu’elle, attendre tout de moi. 

 


[1] Il faudrait brut.

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