Le Galant coureur (Marc-Antoine LEGRAND)

Comédie en un acte, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 11 août 1722.

 

Personnages

 

LUCINDE, Présidente, jeune Veuve

DORIMÈNE, Comtesse, jeune Veuve

LE MARQUIS DE FLORIBEL, Ami du Chevalier

LE CHEVALIER, Amant de Lucinde

MARTON, Suivante de Lucinde

RUSTAUT, Cocher du Chevalier, Amoureux de Marron

CHAMPAGNE, Laquais du Chevalier

CRIQUET, Laquais de la Présidente

DANSEURS et MUSICIENS, Acteurs du  Divertissement

 

La Scène est dans le Château de la Présidente.

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER, LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, déguisée en Suivante sous le nom de Finette

 

LA PRÉSIDENTE.

En vérité, Comtesse, tu es folle de t’être déguisée de la sorte ; je ne souffrirai point absolument que tu passes ici pour ma Femme de Chambre.

LA COMTESSE, en Suivante.

Ma chère Présidente, tu sais que j’ai mes raisons. Le Marquis de Floribel que mes parents me veulent donner pour Époux doit arriver ici dans ce jour, nous ne nous sommes jamais vus ni l’un ni l’autre ; et si sa figure et ses manières ne me conviennent pas, sans lui déclarer mes sentiments, sans lui rien dire, j’irai d’abord me jeter dans un Couvent ; je lui veux épargner la honte d’être refusé, et à moi l’embarras de lui faire un mauvais compliment.

LE CHEVALIER.

Madame, le Marquis de Floribel, comme je vous ai dit, est mon ami ; je le connais depuis longtemps : il est un peu folâtre à la vérité, mais d’ailleurs très brave Cavalier et très riche.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je le veux croire, mais la réputation qu’il a de courir de Belles en Belles sans s’attacher à aucune, me le fait déjà haïr sans le connaître ; il ne peut aller à ma Terre qu’il ne passe par ici, et vous m’avez assuré, Chevalier, que vous aviez donné ordre à la Poste, qu’à son arrivée on lui dit que vous étiez dans ce Château.

LE CHEVALIER.

J’ai envoyé un de mes gens qui le connaît, et qui l’amènera en droiture ici.

LA COMTESSE, en Suivante.

C’en est assez : Parlons maintenant de tes affaires, ma chère Présidente. Quand épouses-tu le Chevalier ?

LA PRÉSIDENTE.

Ce jour même. J’ai envoyé Marton à Paris pour nous amener un Notaire, et pour s’informer quel était l’Époux que mon vieux fou d’Oncle me vouloir obliger d’accepter, et en même temps lui déclarer les engagements que j’ai avec le Chevalier.

LE CHEVALIER.

En vérité, Mesdames, vous prenez trop de précautions, Veuves l’une et l’autre, il me semble...

LA PRÉSIDENTE.

Oh ! je dois ménager le bon homme, je suis son unique héritière.

LA COMTESSE, en Suivante.

Elle a raison, Chevalier.

 

 

Scène II

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante, LE CHEVALIER, CRIQUET

 

CRIQUET.

Madame, voilà le Notaire que vous ayez fait venir de Paris.

LA PRÉSIDENTE.

Qu’il passe dans mon Cabinet. Viens, ma chère Comtesse, m’aider à lui dicter les articles du Contrat. Ne vous embarrassez de rien, Chevalier, il sera plus à votre avantage que si vous le dictiez vous-même, et je veux vous surprendre agréablement.

LE CHEVALIER.

Ah Madame !

LA PRÉSIDENTE.

Donnez ordre au reste, et surtout à ce petit Divertissement dont vous m’avez parlé ; si ce Coureur que l’on vous a promis se présente, je vous prie de le recevoir.

LE CHEVALIER.

Madame, vous serez obéie ponctuellement.

 

 

Scène III

 

LE CHEVALIER, seul

 

Je ne sais pas si elle sera bien contente du Divertissement qu’elle demande étant surtout exécuté par des Violons de Village. Après tout quand on ne peut avoir du parfait, dans ces occasions le tout-à-fait mauvais réjouit souvent plus que le médiocre, et d’ailleurs c’est l’Ouvrage d’un Moment.

 

 

Scène IV

 

LE CHEVALIER, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

Monsieur, Monsieur le Marquis de Floribel vient d’arriver, et je vous l’amène comme vous me l’avez commandé.

 

 

Scène V

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, CHAMPAGNE

 

LE MARQUIS.

Que de joie, mon cher Chevalier, de te revoir après un an d’absence !

LE CHEVALIER.

Je croyais n’avoir jamais ce plaisir. Il y a six mois que tes gens et ton bagage sont à Paris, je craignais que le péril que tu as couru à l’armée...

LE MARQUIS.

Laissons-là le péril que j’ai couru ; mon Oncle m’en veut faire courir un bien plus dangereux, il veut me marier.

LE CHEVALIER.

Je sais qu’il te veux faire épouser la Comtesse Dorimène.

LE MARQUIS.

Il n’est plus question de cette Comtesse, il y en a maintenant une autre sur le tapis.

LE CHEVALIER.

La connais-je ?

LE MARQUIS.

Je ne sais, mais pour moi je ne l’ai jamais vue ; on la dit belle et riche.

LE CHEVALIER.

Hé bien, que veux-tu davantage ?

LE MARQUIS.

Quoi ! je renoncerais aux douceurs de conter des fleurettes à tout ce que je rencontrerais d’aimable ? Non, non, tu connais mon humeur, et tu ne me conseillerais pas de devenir raisonnable à mon âge.

LE CHEVALIER.

Moi, je te conseillerai toujours de ne te point brouiller avec ton Oncle ; le bien est préférable à toutes choses ; nous ne sommes pas toujours jeunes : tu restes seul de ta maison, et ton Oncle considère...

LE MARQUIS.

Oh trêve à ta morale, et me dis seulement ce que tu fais dans ces cantons.

LE CHEVALIER.

Je suis près de m’y marier.

LE MARQUIS.

Ah voilà ce que c’est ; tu ne veux pas courir le risque tout seul ; cela est plaisant : parce que Monsieur se marie, il faut que les autres en fassent de même. Et qui épouses-tu ?

LE CHEVALIER.

Une riche Veuve, jeune et aimable.

LE MARQUIS.

Parbleu nous sommes faits l’un et l’autre pour consoler les affligés : c’est aussi une Veuve que mon Oncle me veut faire épouser.

LE CHEVALIER.

Que tu nommes ?

LE MARQUIS.

Lucinde, la Veuve d’un Président.

LE CHEVALIER.

Qu’entends-je ! ah Marquis, je ne te dis plus rien tu fais fort bien de désobéir à ton Oncle.

LE MARQUIS.

Pourquoi ?

LE CHEVALIER.

Lucinde est justement la Veuve que j’adore, et que je dois épouser ce soir ou demain, nous sommes ici dans son Château.

LE MARQUIS.

Fort bien. Voilà de mes donneurs de conseils à la mode, pourvu que leurs intérêts n’en soient point dérangés. Oh bien, pour te punir je l’épouserai.

LE CHEVALIER.

Ah Marquis, au nom de notre amitié, ne songe plus à ce mariage, ne parais pas même devant Lucinde que mes affaires ne soient terminées : je craindrais...

LE MARQUIS.

Hé fi donc ! me crois-tu capable de ce donner ce chagrin ?

LE CHEVALIER.

Ah, tu me rends la vie ; mais pour m’obliger jusqu’au bout, parts dès ce moment, et songe...

LE MARQUIS.

Oh pour le coup tu te moques de moi, je t’ai retrouvé, je ne te quitte plus.

LE CHEVALIER.

Mais il ton Oncle vient à savoir...

LE MARQUIS.

C’est à toi à me déguiser si bien que personne ne puisse me reconnaître ici.

LE CHEVALIER.

Et comment te déguiser, à moins que tu ne veuilles passer pour le Coureur que la Présidente m’a demandé ? Nous avons encore l’habit de celui qu’on à renvoyé, tu n’auras qu’à le prendre.

LE MARQUIS.

Cela ira à merveille, et je serai charmé d’apprendre sous ce déguisement ce qu’on pense ici de moi ; je veux même aller demain à la Terre de la Comtesse en cet équipage.

LE CHEVALIER.

Tu ne seras pas mal. Champagne, va promptement l’habiller dans ta chambre, et prends garde que personne ne le voie en passant.

CHAMPAGNE.

Monsieur n’a qu’à me suivre.

LE MARQUIS.

Je te suis. Mais, Chevalier, dis-moi par parenthèse, les Femmes de Chambre de la Présidente sont-elles jolies ?

LE CHEVALIER.

Pourquoi ?

LE MARQUIS.

C’est que c’est un gibier de Coureur.

LE CHEVALIER.

Elle en a deux qui sont payables. Une Marton assez jolie, et une Finette assez belle.

LE MARQUIS.

Commençons par la jolie. Les jolies sont les plus piquantes, et celles qui se passent le plutôt.

LE CHEVALIER.

C’est Marton, elle n’est pas ici.

LE MARQUIS.

Commençons donc par la belle ; car je ne veux point rester oisif.

LE CHEVALIER.

Je te le conseille ; aussi bien Marton a pour Amant mon Cocher, qui est une espèce de Manant qui n’entend pas trop raison.

LE MARQUIS.

Nous lui serons bien entendre ; il me semble que les Coureurs doivent avoir le pas sur les Cochers.

LE CHEVALIER.

Va donc promptement changer de figure, tandis que je donnerai mes ordres pour le Divertissement que je fais préparer pour la Présidente.

LE MARQUIS.

Laisse-moi faire, je ferai bientôt fagoté, et je veux même t’aider à ton Divertissement ; je versifie et chante assez cavalièrement.

 

 

Scène VI

 

LE CHEVALIER, seul

 

Je ne suis pas sans inquiétude ; le Marquis a deux yeux, la Présidente est aimable ; peut-être que quand il la verra ; Mais, non, je suis trop sûr du cœur de Lucinde, et même je ne dois pas, aux termes où nous en sommes, lui cacher longtemps le déguisement du Marquis ; cependant attendons l’occasion favorable pour lui en faire confidence.

 

 

Scène VII

 

LE CHEVALIER, LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante

 

LA PRÉSIDENTE.

J’ai déclaré au Notaire mes intentions, Chevalier sur lesquelles il va achever seul le Contrat ; mais je viens d’apprendre que Marton était arrivée de Paris, je suis impatiente de savoir quelles nouvelles elle nous apporte, qu’on la fasse monter. Mais la voici.

 

 

Scène VIII

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante, LE CHEVALIER, MARTON

 

LA PRÉSIDENTE.

Hé bien, Marron, qu’as-tu à nous apprendre ?

MARTON.

Un peu de patience. J’ai d’abord déclare à Monsieur votre Oncle les engagements que vous aviez avec Monsieur le Chevalier.

LA PRÉSIDENTE.

Hé bien ?

MARTON.

Hé bien, il m’a dit qu’il estimait fort Monsieur, mais qu’il n’en voulait point : Que cependant s’il n’avait pas jette les yeux sur un autre...

LA PRÉSIDENTE.

Et quel est-il cet autre ?

MARTON.

Oh pour le coup devinez.

LA PRÉSIDENTE.

Quelqu’homme de Robe apparemment ?

MARTON.

C’est bien pis, Madame ; un Petit Maître, le Marquis de Floribel, qui dévoie épouser cette folle de Comtesse, dont vous m’avez si souvent parlé.

LA PRÉSIDENTE.

Il faut que mon Oncle ait perdu l’esprit. Le Marquis de Floribel !

MARTON.

Comment donc ? on dit que c’est le plus joli homme de France, et de la meilleure humeur ; il arrivera aujourd’hui. Mais que vois-je ? Quelle est cette jeune personne ?

LA PRÉSIDENTE.

C’est une Femme de Chambre que j’ai arrêtée aujourd’hui ; tu te plains toujours qu’il y a ici trop de besogne pour toi, je l’ai prise pour te soulager.

MARTON.

Et vous arrêtez ainsi des Domestiques sans me consulter ? cela n’est pas bien : cette Fille là me paraît bien neuve. Voyons un peu, ma mie, que je te considère ; comment te nommes-tu ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Finette.

MARTON.

Où as-tu servi ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Je sors de chez la Comtesse Dorimène dont vous parliez tout à l’heure.

MARTON.

Quoi ! cette folle de Comtesse, qui demeure depuis peu dans ces quartiers ? Tu étais dans une mauvaise Boutique, ma pauvre Enfant.

LA COMTESSE, en Suivante.

Est-ce que vous la connaissez ?

MARTON.

Non, mais j’en ai entendu parler ; et sa réputation...

LA PRÉSIDENTE.

Doucement, Marton.

MARTON.

Hé ! Madame, ne m’avez-vous pas dit cent fois vous-même que c’était la plus extravagante créature ?...

LA PRÉSIDENTE.

Moi, je vous ai dit cela, insolente ?

MARTON.

Ma foi, Madame, je ne l’ai pas deviné.

LA PRÉSIDENTE.

Vous êtes encore bien hardie. Si je badine quelquefois sur le compte de mes amies, c’est bien à vous à y faire attention.

LA COMTESSE, en Suivante.

Et ne vous fâchez pas, Madame, cette Comtesse en pense peut-être autant de vous, que vous en avez dit d’elle.

LA PRÉSIDENTE.

Je vous assure, Finette, que jamais...

LA COMTESSE, en Suivante.

Ah ! Madame, ce n’est pas auprès de moi que vous avez besoin de vous justifier.

À part.

Tu me payeras celle-là, je t’en assure.

LE CHEVALIER.

Hé, Madame, à quoi vous arrêtez-vous ? Songez-vous que nous avons des affaires plus importantes. Mais voici le Coureur dont je vous ai parlé.

 

 

Scène IX

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante, LE CHEVALIER, LE MARQUIS, en habit de Coureur, MARTON

 

LA COMTESSE, en Suivante, à part, regardant le Marquis.

Bon Dieu le joli homme !

LE MARQUIS, en Coureur, à part, regardant la Comtesse.

Tête-bleu l’aimable Soubrette ! C’est apparemment la Finette en question.

LA PRÉSIDENTE.

Approchez, mon Ami.

LE MARQUIS, en Coureur, à la Présidente.

Madame, je ne saurais assez m’applaudir du bonheur qui m’a conduit ici, puisque j’ai l’avantage de me voir au service d’une si charmante Maîtresse ; à quoi qu’il vous plaise m’employer jour et nuit, si ma légèreté et ma vitesse peuvent seconder mon zèle, les commissions dont vous voudrez m’honorer seront exécutées avec toute la diligence possible.

LA COMTESSE, en Suivante.

Ce Garçon-là a l’air tout-à-fait noble.

MARTON.

Il me paraît bien dératé.

LA PRÉSIDENTE.

Et il ne manque pas d’esprit.

MARTON.

Avez-vous le jarret souple, mon ami ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Je vais comme le vent, il n’y a point de cheval de poste qui me passe, on n’a qu’à me mettre à l’épreuve.

LA PRÉSIDENTE.

On ne vous fatiguera pas beaucoup ici.

LE MARQUIS, en Coureur.

Tant pis, car j’aime à courir.

LA PRÉSIDENTE.

Voilà un plaisir assez ; particulier : Comment te nommes-tu, mon ami.

LE MARQUIS, en Coureur.

Jolicœur, Madame.

LA PRÉSIDENTE.

Il me prend envie, puisqu’il aime tant à courir, de l’envoyer dès ce moment au devant du Marquis de Floribel, pour lui dire qu’il ne se donne pas la peine d’avancer, davantage, et qu’il sera ici fort mal reçu.

LE CHEVALIER.

Hé, Madame, vous n’y songez pas ? on ne sait pas par où ce Marquis doit arriver.

MARTON.

Votre Oncle m’a dit qu’il arriverait de Bayonne.

LA PRÉSIDENTE.

Hé bien, Jolicœur, tu n’as qu’à prendre la route de Bayonne, et toujours courir jusqu’à ce que tu le rencontres.

LE CHEVALIER.

Mais, Madame, il ne le connaît pas.

MARTON.

Je vais lui en faire le portrait sur le récit qu’on m’en a fait. C’est un jeune étourdi qui a l’air fou, des manières extravagantes.

LE MARQUIS, en Coureur.

Le voilà bien désigné, il n faudrait pas courir bien loin pour trouver mille jeunes gens, qui lui ressemblent.

LA PRÉSIDENTE.

N’importe, tâche de le découvrir : et dis lui que je le hais à la mort, sans l’avoir jamais vu ; que je le trouve bien téméraire de vouloir m’épouser, sans savoir quels sont mes sentiments sur sa personne ; et que s’il s’obstine à vouloir passer outre, il s’en trouvera mal. Adieu, parts, cours, vole dans le moment.

LE CHEVALIER.

Madame, ce Garçon-là doit être fatigué, il sort de faire une longue course.

LA PRÉSIDENTE.

Bon, bon, ces sortes de gens-là sont infatigables.

LE CHEVALIER.

Il y a plus de cent Portes d’ici à Bayonne.

MARTON.

Voilà une belle affaire. Combien coures-tu par heure, mon ami ?

LE CHEVALIER.

En vérité, Madame, c’est se moquer que...

LA PRÉSIDENTE.

Tout ce qu’il vous plaira, je veux qu’il parte dans ce moment ; mais pour lui laisser prendre haleine, je vais écrire un mot qu’il rendra à ce Marquis. En attendant, Marton, menez ce Garçon à l’Office, et qu’il boive deux coups, cela lui donnera courage.

MARTON.

Allons, suivez-moi, Monsieur Jolicœur.

LE MARQUIS, en Coureur, à part, regardant tendrement la Comtesse.

Ah ! pourquoi envoie-t-elle plutôt Marron que Finette ? Morbleu, Chevalier, tire-moi de ce mauvais pas.

 

 

Scène X

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, LE CHEVALIER

 

LA COMTESSE, en Suivante.

Je ne sais ce que cela signifie, mais il me semble que ce Coureur me fait les yeux doux : avez-vous entendu comme il a soupiré en me regardant ?

LA PRÉSIDENTE.

Il faut lui pardonner, il te croit Suivante, et ces sortes de gens-là on le cœur tendre comme d’autres.

LA COMTESSE, en Suivante.

C’est dommage qu’un si joli homme soit né dans un rang si bas.

LE CHEVALIER.

À ce que je vois, Madame, si le Marquis de Floribel qu’on vous destinait avait été de cette figure, malgré sa réputation, vous ne vous seriez pas tant déclarée contre lui.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je vous avoue qu’un homme de qualité qui serait fait ainsi, nous ferait fermer les yeux sur bien des choses ; et que du moment que je l’ai vu...

LA PRÉSIDENTE.

Je crois que tu prends la chose sérieusement.

LA COMTESSE, en Suivante.

Mais quel est cet original, il me semble qu’il me fait aussi les yeux doux ? Tout le monde m’en veut aujourd’hui.

LE CHEVALIER.

C’est mon Cocher, Madame, l’Amoureux de Marton.

 

 

Scène XI

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante, LE CHEVALIER, RUSTAUT

 

LE CHEVALIER.

Que voulez-vous, Rustaut ?

RUSTAUT.

Monsieur, c est un Notaire qui est là-dedans, qui m’a dit que votre Contrat était tout dressé, et que vous n’aviez qu’à l’aller signer.

LA PRÉSIDENTE.

Allons, Chevalier.

RUSTAUT.

Je vous prie de vous dépêcher, car je lui ai donné ordre de m’en fagoter aussi un pour Marton et pour moi ; mais il est juste que vous passiez les premiers.

LA PRÉSIDENTE.

Ah, Monsieur le Cocher, nous vous sommes obligés de la préférence ; mais il me semble que vous regardez-bien Finette.

RUSTAUT.

C’est que je la trouve jolie ; et si je n’allais pas épouser Marton, je crois que je l’épouserais. Tétiguenne que je ferions ensemble un bel attelage !

LA COMTESSE, en Suivante.

Cela est fâcheux pour moi.

RUSTAUT.

Va, va, console-toi, friponne, je te retiens pour ma seconde.

LA PRÉSIDENTE.

Allons, Chevalier, passons dans mon Cabinet.

 

 

Scène XII

 

RUSTAUT, seul

 

Quand j’y songe, cela est pourtant bien incommode, ces Contrats ; quand on a mis là sa pataraphe, il n’y a plus moyen de s’en dédire ; on a beau être ennuyé de sa femme, il faut toujours la garder pour foi, et quelquefois pour les autres. Tout ce qu’il y a de consolant dans notre métier, c’est que quand une femme fait la diablesse, on la peut étriller tout son saoul, sans que le Contrat vous contredise. Mais qu’est-ce que c’est que ce drôle-là ? Ah ! c’est apparemment ce Coureur qu’on vient de recevoir.

 

 

Scène XIII

 

LE MARQUIS, en Coureur, RUSTAUT

 

LE MARQUIS, en Coureur, à part.

Par ma foi je croi que la Présidente est folle. La plaisante idée de vouloir m’envoyer au devant de moi-même, et surtout dans le moment que je suis enchanté de Finette. Son premier coup d’œil m’a percé jusqu’au cœur, et je me trouve dans un état où je ne me suis jamais trouvé. Mais voici apparemment le Cocher dont Marton me vient de parler, et qui est, dit-elle, si jaloux. Je veux un peu l’intriguer, en attendant le moment de revoir ma chère Finette.

RUSTAUT.

Voici un Coureur qui me paraît bien alerte, et je voudrais aussi peu lui donner ma Maîtresse à garder que mon déjeuner à porter.

LE MARQUIS, en Coureur.

Qu’avez-vous donc, Monsieur le Cocher, il semble que vous soyez fâché que je fois entré dans cette maison.

RUSTAUT.

Tout franc, Monsieur le Coureur, je ne sais pas si j’aurai bien sujet d’en être content dans la suite.

LE MARQUIS, en Coureur.

Il ne tiendra qu’à vous que nous vivions en bonne intelligence ensemble.

RUSTAUT.

C’est à savoir. Es-tu de complexion amoureuse ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Pourquoi ?

RUSTAUT.

C’est que je suis de complexion jalouse, et les gens comme toi sont bien du chemin en peu de temps : j’en juge par celui qui était auparavant toi, il m’a bien donné du fil à retordre.

LE MARQUIS, en Coureur.

Que voulez-vous dire ?

RUSTAUT.

Je veux dire que j’aime une certaine Marton dans cette maison-ci, et que j’ai bien peur...

LE MARQUIS, en Coureur.

Allez, mon cher, ne craignez rien, vous ne me verrez point courir sur vos brisées...

RUSTAUT.

Oh sur, ce pied-là, je te reçois dans mon amitié, car d’ailleurs ta physionomie me revient assez.

LE MARQUIS, en Coureur.

Cela est heureux pour moi.

RUSTAUT.

Comment t’appelles-tu ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Jolicœur.

RUSTAUT.

Hé bien, Jolicœur mon enfant, il ne tiendra qu’à toi que je vivions comme frères, mais il ne faut avoir rien de cache l’un pour l’autre. Premièrement je commencerai par te dire tout ce que je sais de mal de mon Maître. C’est un sot, un benêt que je mené par le nez plus facilement que mes chevaux par la bride.

LE MARQUIS, en Coureur.

Fort bien.

RUSTAUT.

Je le sers depuis un an à deux cens livres de gages, dont je n’ai pas encore reçu un sol ; mais je me dédommage sur le tour du bâton.

LE MARQUIS, en Coureur.

Et comment cela ?

RUSTAUT.

Il manque toujours quelque chose à ses chevaux et à son Carrosse, quoiqu’il n’y manque rien ; et je m’entends avec le Sellier, le Charon et le Maréchal pour lui faire payer toujours le double de ce que les choses valent.

LE MARQUIS, en Coureur.

Je ne m’étonne pas de te voir en si bon équipage... Comment diable des chemises de toile d’Hollande ! des dentelles !

RUSTAUT.

Elles ne sont pas à moi.

LE MARQUIS, en Coureur.

J’entends. Ce sont celles du Chevalier.

RUSTAUT.

Peste que je ne suis pas si sot, il les reconnaîtrait. Ce sont les chemises d’un certain Marquis de Floribel, dont Champagne et moi usons le linge, tandis que les gens du Marquis usent celui de notre Maître.

LE MARQUIS, en Coureur, à part.

Voilà d’effrontés Maroufles !

RUSTAUT.

Cela n’est pas mal imaginé, n’est-ce pas ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Non vraiment.

À part.

Ah les mauvaises canailles !

RUSTAUT.

Qu’as-tu donc ? il semble que tu n’approuves pas notre commerce ? Va, va, nous te serons aussi user de ce linge-là, à condition que tu ne seras pas flatteur ; et surtout comme je te l’ai dit, que tu ne t’arrêteras pas à mes amours, car avec moi il ne faut pas broncher.

LE MARQUIS, en Coureur, à part.

Il faut que je punisse un peu ce coquin-là.

À Rustaut.

Vos amours sont donc quelque chose de bien délicat, que l’on n’ose y toucher.

RUSTAUT.

Oh ! c’est la perle des Soubrettes, des yeux, une bouche, un poitrail, une croupe, une encolure qui vous ravissent en extase.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah !

RUSTAUT.

Qu’as-tu donc ? Est-ce que tu te trouves mal ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Non, c’est que je me sens ravir en extase. Ah !

RUSTAUT.

Comment donc, je crois que tu soupires.

LE MARQUIS, en Coureur.

Oui, mon cher ami, sur votre seul récit je me trouve charmé, je ne me connais plus, et je sens qu’il me fera impossible de voir cette Marton sans l’aimer.

RUSTAUT.

Oh si cela est, ne la vois donc pas.

LE MARQUIS, en Coureur.

Hé pourquoi ?

RUSTAUT.

Parce que je te le défends.

LE MARQUIS, en Coureur.

Hélas ! c’est le moyen de m’en donner plus d’envie, que de me le défendre.

RUSTAUT.

Comment, Monsieur l’impertinent, je crois que vous voulez regimber contre moi ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Hé ! doucement, point d’injures.

RUSTAUT, levant la main.

Oh je ne m’en tiendrai pas aux injures, et si j’avais mon fouet.

LE MARQUIS, lui donnant un soufflet.

Halte là.

RUSTAUT.

Est-ce que tu me prends pour un Fiacre, de me frapper d’abord ? Oh nous allons voir...

 

 

Scène XIV

 

LE CHEVALIER, LE MARQUIS, en Coureur, RUSTAUT

 

LE CHEVALIER.

Quel bruit est-ce là ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Monsieur, c’est votre Cocher qui fait l’insolent, et qui ose lever la main sur moi.

LE CHEVALIER, frappant Rustaut.

Comment, coquin, vous osez maltraiter les gens que je prends à mon service ! Oh je vous montrerai...

RUSTAUT.

C’est lui-même qui m’a baille un soufflet.

LE CHEVALIER, frappant toujours Rustaut.

Je n’entends point de raison, et je frapperai également sur l’un et sur l’autre ; je vous apprendrai, Marauds que vous êtes, à vous battre dans cette maison, et surtout dans la situation où sont mes affaires.

RUSTAUT.

Mais je ne me bats point ; c est moi qui suis battu.

LE MARQUIS, en Coureur.

Je vous assure, Monsieur...

LE CHEVALIER, frappant Rustaut.

Taisez-vous, insolent.

RUSTAUT.

Fort bien. Il est un insolent, et c’est moi que l’on châtie de son insolence. C’est être bien injuste.

LE CHEVALIER.

Moi ! je suis injuste.

RUSTAUT.

Parbleu, si vous n’êtes pas injuste, vous êtes donc bien maladroit, car aucun des coups n’a porté sur lui.

LE CHEVALIER.

Apprenez à respecter les lieux où vous êtes.

 

 

Scène XV

 

LE MARQUIS, en Coureur, RUSTAUT

 

LE MARQUIS, en Coureur.

Tu es bienheureux que je ne lui aie pas appris toutes tes friponneries.

RUSTAUT.

Ah ! ne lui en dites rien, je vous prie.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ce sera pour un autre temps, en cas que tu fasses encore l’insolent ; maintenant il me prend envie de te rendre tous les coups que j’ai reçus.

RUSTAUT.

Vous n’aurez pas grande restitution à faire.

LE MARQUIS, en Coureur.

J’ai pourtant idée d’en avoir reçus quelques-uns.

RUSTAUT.

En aucune façon, et mes épaules vous assurent du contraire.

LE MARQUIS, en Coureur.

Je veux bien les en croire sur ta parole, mais prends bien garde à l’avenir comme Monsieur frappera, car je remettrai sur ton dos tous les coups qui seront tombés sur le mien.

RUSTAUT.

Tout ce qu’il vous plaira, je ne suis pas à deux ou trois coups de bâton près.

LE MARQUIS, en Coureur.

Adieu. Je m’en vais trouver cette Marton que tu m’as peinte si aimable, et que je te défens désormais de regarder en face.

À part.

Allons bien plutôt chercher la belle Finette, et lui déclarons ce que je sens pour elle.

 

 

Scène XVI

 

RUSTAUT, seul

 

Me voilà bien chanceux. Qui diable nous a amené ici ce maudit Coureur ? J’enrage. Et si Marton... Mais la voici.

 

 

Scène XVII

 

RUSTAUT, MARTON

 

MARTON.

Comment, Monsieur Rustaut, vous savez mon arrivée, et vous ne venez pas au-devant de moi ?

RUSTAUT.

J’étais occupé à recevoir ici...

MARTON.

De l’argent ?

RUSTAUT.

Non, un soufflet et quelques coups de bâton que l’on m’a baillé pour l’amour de toi.

MARTON.

Comment donc ?

RUSTAUT.

J’ai pris querelle contre un impertinent qui a la hardiesse de vouloir t’aimer ?

MARTON.

Il n’y a pas tant de mal à cela. Est-ce un garçon bien fait encore, un homme de bonne mine ?

RUSTAUT.

Oh que nenni ; il n’est pas seulement des trois quarts aussi gros que moi. C’est ce Coureur qu’on a reçu ce matin.

MARTON.

Et tu dis qu’il m’aime ?

RUSTAUT.

Il s’en pâme, et le tout sans te connaître. Tu irais que c’est un sot.

MARTON.

Oh que non. Il m’a déjà vue.

RUSTAUT.

Ah j’enrage ! il ne m’avait pas dit cela. Je ne m’étonne pas s’il m’a défendu de te jamais regarder en face ; et moi, je te commande de lui tourner le dos quand tu le verras.

MARTON.

Adieu donc.

RUSTAUT.

Où vas-tu ?

MARTON.

Je vais le fuir.

RUSTAUT.

Et il n est pas ici.

MARTON.

Il pourrait venir, et je ne veux pas t’exposer à sa fureur.

RUSTAUT.

Ah traîtresse ! tu le suis pour l’aller chercher.

MARTON, voyant venir le Marquis.

Je resterai donc, puisque tu le veux.

RUSTAUT.

Fort bien, parce que le voilà.

 

 

Scène XVIII

 

LE MARQUIS, MARTON, RUSTAUT

 

LE MARQUIS, en Coureur, à part.

Finette est apparemment auprès de la Présidente, et je ne puis lui parler ; j’en suis au désespoir. Oh, oh, quel est donc ce petit tête-à-tête ? N’est-ce point-là cette charmante Marton dont tu m’as parlé.

RUSTAUT.

Non, je vous assure.

À part.

Je le savais bien, qu’il ne la connaissait pas.

LE MARQUIS, en Coureur.

Quoi tout de bon, ce n’est point elle ?

RUSTAUT.

Non, où le diable m’emporte.

LE MARQUIS, en Coureur.

Parbleu tu es bienheureux. Tu peux te guérir désormais de ta jalousie, car quelques appas que puisse avoir ta Marron, je te proteste que voilà la seule personne à qui je veux adresser mes vœux.

RUSTAUT.

Oh pour le coup je ne sais plus où j’en suis.

LE MARQUIS, en Coureur.

Et de quoi te plains-tu, mon pauvre Cocher ?

RUSTAUT.

Morgue ça me ferait jurer comme un Chartier.

LE MARQUIS, en Coureur.

Et pourquoi ? puisque je te laisse ta Marton.

RUSTAUT.

Et c’est là Marton elle-même, puisqu’il faut vous le dire.

LE MARQUIS, en Coureur.

En ce cas là je te plains.

RUSTAUT.

Palsembleu je ne le suis pas tant que vous pensez ; et puisqu’elle est assez perfide pour vous écouter, voilà qui est fait, je prends mon parti. Madame a reçu ce matin une Finette qui vaut toutes les Martons du monde, je vais lui débrider de ce pas ma passion amoureuse.

LE MARQUIS, en Coureur.

Et attends, mon ami, attends.

RUSTAUT.

Non morbleu, j’ai pris le mords aux dents, et il n’y a plus moyen de me retenir.

 

 

Scène XIX

 

LE MARQUIS, en Coureur, MARTON

 

MARTON.

Bon, bon, laissez-le aller ; dut-il enrager, vous me plaisez mieux que lui.

LE MARQUIS, en Coureur.

Oui, mais il va trouver Finette, et je crains...

MARTON.

Pour moi je ne crains rien, et je ferai trop contente de vous avoir.

LE MARQUIS, en Coureur, à part.

Mais encore un coup, s’il va déclarer à Finette... Ah ! la voici, je respire.

 

 

Scène XX

 

LA COMTESSE, en Suivante, LE MARQUIS, en Coureur, MARTON

 

LA COMTESSE, en Suivante.

Mademoiselle Marton, Madame vous demande.

MARTON.

Oh qu’elle attende, j’ai ici d’autres affaires.

LA COMTESSE, en Suivante.

Elle veut absolument vous parler, et tout à l’heure.

MARTON.

Elle prend bien mal son temps. Monsieur Jolicœur, attendez-moi je vous prie, je reviens dans un moment ; et vous Finette, allez trouver Rustaut qui vous cherche.

LA COMTESSE, en Suivante.

Rustaut ?

MARTON.

Allez, allez, ne craignez point ma colère, je n’en serai pas jalouse, et je vous l’abandonne de tout mon cœur.

 

 

Scène XXI

 

LE MARQUIS, en Coureur, LA COMTESSE en Suivante

 

LA COMTESSE en Suivante, à part.

Que veut-elle par-là me faire entendre ?... Mais je n’ai pas de curiosité de m’en éclaircir, j’ai bien une autre inquiétude depuis que le Chevalier nous a appris que ce Coureur était le Marquis de Floribel. Il m’aime me croyant Soubrette ; peut-être ne m’aimera-t-il plus quand il saura qui je suis. Jolicœur, Madame, m’a chargé de vous dire que vous ne partiriez point.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah, belle Finette, vous ne pouviez m’annoncer une plus agréable nouvelle.

LA COMTESSE, en Suivante.

Comment donc ? vous disiez tantôt que votre plus grand plaisir était de courir.

LE MARQUIS, en Coureur.

Il est vrai, mais, charmante Finette, je suis maintenant retenu par deux beaux yeux, dont le pouvoir arrête tous mes autres plaisirs.

LA COMTESSE, en Suivante.

Marton a donc bien des charmes pour vous ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Marton ? Ô Ciel qu’allez vous penser ! Partout où vous êtes, en peut-on aimer d’autres que vous ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Quoi, c’est de moi que vous êtes amoureux ? En vérité vous vous adressez mal, car je ne sais pas encore ce que c’est que l’amour.

LE MARQUIS, en Coureur.

Quoi, serait-il possible ? Et c’est ce qui m’a fait tant courir jusqu’ici vainement, que la découverte d’un cœur qui n’eut jamais aimé. Mais il n’est pas naturel, que belle comme vous êtes, on ait été si longtemps à vous le dire, encore moins vraisemblable que vous n’ayez pas pris plaisir à entendre vanter votre beauté.

LA COMTESSE, en Suivante.

Quel plaisir voulez-vous que j’aie pris à entendre dire que j’étais aimable, si ceux qui me l’ont dit ne l’étaient pas ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Une belle doit être toujours charmée de faire des conquêtes.

LA COMTESSE, en Suivante.

Cela peut contenter son ambition, mais cela ne l’engage pas à être sensible.

LE MARQUIS, en Coureur.

Et quel mérite faudrait-il avoir pour vous plaire ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Il faudrait être fait à peu près comme vous êtes, mais en même temps sincère.

LE MARQUIS, en Coureur.

Oh je le suis.

LA COMTESSE, en Suivante.

Il faudrait de plus, qu’un Amant fût en état de faire ma fortune, ou que je fusse en état de faire la sienne.

LE MARQUIS, en Coureur.

Quoi si vous étiez dans un rang, élevé, vous vous feriez un plaisir de faire le bonheur d’une personne que vous aimeriez ? Par exemple un malheureux Coureur...

LA COMTESSE, en Suivante.

J’en voudrais faire un Marquis.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah ! pourquoi faut-il avec ces sentiments, qu’une si charmante personne soit réduite à servir ! La Fortune est bien aveugle.

LA COMTESSE, en Suivante.

Trouvez-vous que la Fortune m’ait plus mal traitée que vous ? et la condition de Coureur vous semble-t-elle beaucoup au dessus de celle de Soubrette.

LE MARQUIS, en Coureur.

Quoiqu’il en soit, je voudrais être au-dessous de ce que je suis, ou que vous fussiez au dessus de ce que vous êtes.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je ne comprends rien à ce que vous me voulez dire.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah, que ne puis-je m’expliquer !

LA COMTESSE, en Suivante.

Qui vous empêche ?

LE MARQUIS, en Coureur.

L’amour que vous m’inspirez. Tant que j’ai été indifférence, jamais personne n’a débité la fleurette avec plus de facilité que moi auprès des Belles que je n’aimais point ; maintenant que j’aime véritablement, je n’ai plus d’éloquence pour le persuader.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je ne haï pas cet aveu, et je m’expliquerai à mon tour, quand je vous connaîtrai tout à fait sincère.

LE MARQUIS, en Coureur.

Que voulez-vous dire ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Rien davantage pour le présent. Je veux vous laisser faire vos réflexions et reprendre vos sens, vous en avez besoin, s’il est vrai que vous aimiez pour la première fois. Adieu.

LE MARQUIS, en Coureur.

Je n’ai point de réflexions à faire ; je sens que je vous aime, et que je vous aimerai toujours.

LA COMTESSE, en Suivante.

Et qui me le prouvera ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Quelle preuve faut-il vous en donner ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Une fort naturelle. Il faut m’épouser dans ce moment.

LE MARQUIS, en Coureur.

Dans ce moment ! il faut du moins proposer la chose à vos parents.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je suis ma maîtresse.

LE MARQUIS, en Coureur.

Il faut pour votre sureté le consentement des miens, je ne suis pas en âge.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je vous donne une dispense, et je passe là-dessus. C’est bien entre gens comme nous que l’on y cherche tant de façons.

LE MARQUIS, en Coureur.

Vous avez raison : il faut du moins envoyer chercher un Notaire à Paris.

LA COMTESSE, en Suivante.

Nous en avons un ici.

LE MARQUIS, en Coureur, à part.

Parbleu cette petite personne là a réponse à tout.

LA COMTESSE, en Suivante.

Ah, vous commencez à réfléchir ! je veux bien vous en donner le temps ; mais ne me voyez de votre vie, que pour faire dans le moment ce que je vous demande. Adieu.

 

 

Scène XXII

 

LE MARQUIS, en Coureur, seul

 

Hé bien, Marquis, ce voilà pris comme un sot. Tu as refusé jusqu’ici les partis les plus considérables ; tu fuyais le mariage ; tu croyais toujours badiner avec l’amour, et dans un moment il t’a réduit à choisir, ou d’épouser une Soubrette, ou de mourir de chagrin ; car enfin je sens bien que je ne puis vivre sans Finette. Mais que diront mes amis ? Que dira mon Oncle ? S’il voulait me déshériter, pour n’avoir pas voulu épouser la Comtesse Dorimène, que ne fera-t-il point quand il saura que je lui désobéis une seconde fois, pour épouser une personne d’un rang si bas ?

 

 

Scène XXIII

 

LE MARQUIS, en Coureur, LE CHEVALIER

 

LE MARQUIS en Coureur.

Ah, mon cher ami. Je méprisais tantôt tes conseils, mais j’ai besoin maintenant que tu m’en donnes dans le triste état où je suis ; mais surtout, ne me conseille que ce que j’ai envie de faire.

LE CHEVALIER.

C’est bien mon intention.

LE MARQUIS, en Coureur.

Quoi ! tu pourrais me conseiller d’épouser Finette.

LE CHEVALIER.

Pourquoi non, si tu l’aime ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Je l’adore.

LE CHEVALIER.

Épouse-la.

LE MARQUIS, en Coureur.

Mais mon Oncle y souscrira-t-il ?

LE CHEVALIER.

Je te répons de son consentement.

LE MARQUIS, en Coureur.

Oh, pour le coup ton amitié t’aveugle, et j’ai encore assez de raison pour n’en rien croire ; mais cela ne m’empêchera pas de passer outre.

LE CHEVALIER.

L’amour a bien fait du ravage dans ton cœur dans un moment. Mais taisons-nous, voici la Présidente.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah ! je vois aussi mon adorable Finette.

 

 

Scène XXIV

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante, LE MARQUIS, en Coureur, LE CHEVALIER

 

LA PRÉSIDENTE, à part, à la Comtesse.

Laisse moi faire, je vais mettre ton Marquis

Au Marquis.

à l’épreuve. Jolicœur, j’ai encore une fois changé de sentiment, et je trouve à propos que vous partiez tout à l’heure pour Bayonne.

LE MARQUIS, en Coureur.

Moi, Madame ?

LA PRÉSIDENTE.

Et qui donc ?

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah, Chevalier, je n’ai recours qu’à toi.

LE CHEVALIER.

Madame, je vous demande en grâce qu’il ne parce point.

LA PRÉSIDENTE.

Et pourquoi ?

LE CHEVALIER.

Une affaire sérieuse l’arrête ici ; il est amoureux.

LA PRÉSIDENTE.

Et de qui ?

LE CHEVALIER.

De Finette. Il veut l’épouser.

LA PRÉSIDENTE.

Comment donc, Chevalier, vous n’y pensez pas. Ignorez-vous que Finette est Demoiselle, et que si des raisons l’ont fait entrer à mon service, sa naissance l’empêche d’accepter un parti semblable.

LE MARQUIS, en Coureur.

Qu’entends-je ! Ah, serais-je assez heureux !

LA PRÉSIDENTE.

Comment, de quoi vous réjouissez-vous donc, Monsieur Jolicœur.

LE MARQUIS, en Coureur.

De ce que Finette, Madame, est au-dessus de ce que je la croyais.

LA PRÉSIDENTE.

Il me semble que vous devriez plutôt vous en affliger.

 

 

Scène XXV

 

LA PRÉSIDENTE, LA COMTESSE, en Suivante, LE MARQUIS, en Coureur, LE CHEVALIER, RUSTAUT, MARTON

 

RUSTAUT.

Monsieur et Madame, nous venons, Marron et moi, vous demander une petite récompense de nos services.

LA PRÉSIDENTE.

Et quoi encore ?

MARTON.

Nous voudrions nous marier.

LA PRÉSIDENTE.

Je vous en ai déjà donné la permission, mes enfants, et je vous promets une centaine de pistoles pour les frais de votre Noce.

RUSTAUT.

Nous vous sommes bien obligés ; ce n’est pas de cela dont il s’agir. Nous venions vous prier de nous empêcher de nous marier ensemble, et de permettre que je troque Marton contre Finette, et que Marton me troque contre Jolicœur.

LA PRÉSIDENTE.

Ah, ah, celui là est nouveau.

RUSTAUT.

Que voulez-vous, c’est une petite inconstance mutuelle que nous avons concerté ensemble.

LA PRÉSIDENTE.

Et sur quoi, Monsieur Rustaut, vous êtes-vous imaginé que Finette voudrait bien de vous ?

RUSTAUT.

Parce que Je la crois de bon goût, et que je me suis mis en sa place. Si j’étais fille, je ne voudrais pas choisir un mari d’une autre figure que celle que j’ai.

LA PRÉSIDENTE.

L’agréable figure !

RUSTAUT.

Je sais bien qu’elle n’est pas à la mode, mais elle n’en est pas moins rare.

LA PRÉSIDENTE.

Et vous Marton, qui vous a fait croire que Jolicœur voudrait vous épouser ?

MARTON.

L’amour qu’il m’a fait paraître, et la jalousie qu’il a donné à Rustaut.

LA PRÉSIDENTE.

Que dites-vous à cela, vous autres.

LE MARQUIS, en Coureur.

Que je n’ai jamais aimé que la belle Finette.

LA PRÉSIDENTE.

Et vous ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Que si j’avais à aimer, ce ne serait pas Monsieur Rustaut.

RUSTAUT.

Parbleu tant pis pour vous : puisque vous êtes si rétive, il n’y a rien de fait, c’a n’ira pas plus loin, et je reprends Marton.

MARTON.

Et moi je te reprends de même.

LA PRÉSIDENTE.

Pour vous, Monsieur Jolicœur, je suis fâchée que vous ne soyez pas d’une condition à épouser Finette, car il me paraît qu’elle ne vous haïssait pas. Nous tâcherons de la marier au Marquis de Floribel qui m’était destiné ; quand il apprendra que je me suis donnée à un autre, et que Finette est d’une illustre famille, peut-être s’en contentera-t-il ?

LA COMTESSE, en Suivante.

Madame, permettez-moi de vous dire, que de quelqu’éclat dont puisse briller votre Marquis, je trouve l’amour de Jolicœur préférable à toutes choses.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah belle Finette, c’en est trop ; il est temps de me découvrir ; vous voyez dans Jolicœur le Marquis de Floribel lui-même.

LA COMTESSE, en Suivante.

Serait-il possible ?

RUSTAUT.

Peste, j’ai bien senti que le soufflet qu’il m’a donné était de qualité.

LE MARQUIS en Coureur.

Cette aventure a lieu de vous surprendre.

LA COMTESSE, en Suivante.

Je ne suis pas plus surprise que vous allez l’être, en apprenant que Finette n’est autre que la Comtesse Dorimène.

LE MARQUIS, en Coureur.

Ah quelle joie pour moi !

MARTON.

En voici bien d’un autre. Pardonnez-moi, Madame, si j’ai dit tantôt que la Comtesse Dorimène était une folle, je ne croyais pas que c’était vous.

LA COMTESSE, en Suivante, au Marquis.

Oui, je suis Dorimène, qui fous ce déguisement voulais connaître votre cœur et votre personne ; heureuse si le cœur est aussi sincère que la personne m’est agréable.

LE MARQUIS, en Coureur.

Votre personne m’a charmé ; et quand vous ne seriez pas ce que vous êtes, mon cœur ne dédirait point mes yeux.

RUSTAUT.

Parbleu, Marton, tu serais bien surprise, de trouver aussi un Marquis sous ma Casaque.

MARTON.

Cela serait plus extraordinaire, que de trouver un Cocher sous un habit de Marquis.

RUSTAUT.

Allons, puisque nous voilà tous d’accord, ne songeons qu’à nous réjouir. Monsieur le Marquis, au moins point de rancune ; et parce que nous avons usé votre linge, n’allez pas par vengeance vous amuser à chiffonner celui de notre Ménagère.

LE MARQUIS, en Coureur.

Tu es un effronté Maroufle !

LE CHEVALIER, à la Présidente.

Votre oncle, Madame, n’aura rien à vous dire quand il saura que le Marquis qu’il vous destinait a pris un autre parti.

LE MARQUIS, en Coureur.

Pour moi je suis sûr du consentement du mien.

LA COMTESSE, en Suivante.

Et moi de celui de ma tante.

MARTON.

Et toi, Rustaut, n’as-tu point de parents ?

RUSTAUT.

J’ai aussi un oncle, mais je ne l’irai voir que huit jours après notre mariage.

LE CHEVALIER.

Allons, mon cher Marquis, ma chère Comtesse, en attendant que le Notaire travaille à votre Contrat, prenez part au Divertissement que j’ai fait préparer ; il convient parfaitement à votre aventure, puisqu’il roule sur l’Ouvrage d’un Moment.

 

 

Divertissement

 

PLUSIEURS HABITANTS du Village, déguisés de différentes manières, entrent en dansant

 

UN MUSICIEN, chante.

Tout est dans la vie

Sujet au changement,

Tout est dans la vie

L’ouvrage d’un moment.

 

Le plaisir succède au tourment,

Au plaisir la mélancolie,

Le désordre à l’arrangement,

Et la sagesse à la folie.

 

Tout est dans la vie

Sujet au changement,

Tout est dans la vie

L’ouvrage d’un moment.

Entrée.

Rondeau.

UN MUSICIEN.

Ce moment, où je vis Lisette

Folâtrant sur l’herbette,

Hélas il s’offrit vainement,

Ce moment.

 

Trop timide Amant,

Je ne lui pris que sa houlette,

Ah ! que je regrette

Ce moment.

 

Si je la retrouve seulette,

Ah ! j’emploierai bien autrement

Avec la follette

Ce moment.

Entrée.

Vaudeville.

Ne plus aimer de la vie

Un cœur se résout vainement,

Sans savoir pourquoi ni comment,

Il en reprend bientôt l’envie,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

L’ardeur qu’on croyait éternelle

S’éteint quelquefois aisément,

Mais souvent un embrasement

Est causé par une étincelle,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Ce nouveau Parvenu qu’on loue

Nous éclabousse fièrement,

Mais au premier événement

Le voir retomber dans la boue,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Ah ! que dans l’amoureux mystère

On trouve un doux amusement.

Que le plaisir en est charmant !

Mais hélas il ne dure guère,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Aux Plumets une Prude échappe,

Aux gens de Robbe également,

Ils la poursuivent vainement,

Mais un Petit-collet l’attrape,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

C’est l’ouvrage de Pénélope

Qu’attaquer Iris sans argent,

Elle est rétive au tendre Amant ;

Mais qu’un Financier la galope,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Que l’Amour fait de diligence,

Ah ! que c’est un Coureur charmant !

Avec lui je cours hardiment ;

Quand j’ai fini je recommence,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Dans une ignorance sévère

On tient un Agnès vainement,

D’une leçon de son Amant

Elle en sait autant que sa Mère,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Qu’un Gascon fasse des emplettes,

Il achète tout doublement ;

Mais quand ce vient au dénouement,

Un beau matin paye ses dettes,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

L’Amant rebuté d’une Belle

Rarement court au changement,

Mais quand il est heureux Amant

Le voir devenir infidèle,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Si pour d’autre mon Mari penche,

J’imiterai son changement ;

Pourquoi s’affliger vainement,

Quand on peut prendre sa revanche ?

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Traversez et la Terre et l’Onde,

Les cornes vont comme le vent,

Vous les recevez promptement.

Quand vous feriez au bout du Monde,

C’est l’ouvrage d’un moment.

 

Si la Pièce vous a fait rire,

Il faut qu’elle ait quelque agrément,

Si vous en jugez autrement,

Messieurs, nous aurons à vous dire,

C’est l’ouvrage d’un moment.

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