Frétillon (Jean-François BAYARD - Alexis DECOMBEROUSSE)

Vaudeville en cinq actes.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 13 décembre 1834.

 

Personnages

 

CAMILLE ou FRÉTILLON

LUDOVIC

MARENGO, soldat

GODUREAU, courtier

M. DE CÉRAN, jeune élégant

AUGUSTA, danseuse

ERNEST

JOSEPH, porte-clés

M. LEGROS, huissier

JOHN, jockey de M. de Céran

ANASTASIE, femme de chambre

JEUNES ÉLÉGANTS (3e acte)

DAMES (3e acte)

JEUNES GENS détenus pour dettes

DEUX GARÇONS de fournisseurs

 

La scène se passe à Paris.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une mansarde ; au fond, à gauche, une fenêtre ; à droite, la porte d’entrée. Porte latérale. Une armoire, une table, chaises, etc.

 

 

Scène première

 

AUGUSTA, CAMILLE

 

CAMILLE, seule, en jupon et en train de s’habiller.

Que c’est ennuyeux de s’habiller toute seule... là !... voilà mon lacet parti.

Se retournant et regardant par la fenêtre.

Ah ! mon Dieu ! ce petit monsieur à sa fenêtre... toujours là !... il me salue.

Elle croise ses bras sur sa poitrine en saluant.

Monsieur, j’ai bien l’honneur... Il est gentil ! Allons, en voilà un autre qui se met à sa lucarne. Ah ! l’horreur !... par exemple, si je veux qu’il me regarde, celui-là !...

Elle prend un châle et rattache en guise de rideau.

J’en suis bien fâchée pour le petit.

AUGUSTA, entrant pendant qu’elle est montée sur une chaise.

Camille ! Camille ! Eh bien ! est-ce qu’il n’y a personne ici ?

CAMILLE, descendant.

Si fait... Bonjour, Augusta. Tu arrives à propos... agrafe-moi donc ma robe.

AUGUSTA.

Tiens ! qu’est-ce que tu faisais-là ?

CAMILLE.

Je tirais le rideau ; il y a en face, des gens qui, sous prétexte qu’ils sont plus élevés que moi... ont toujours les yeux sur ce qui ne les regarde pas.

AUGUSTA.

Ça te contrarie ?

CAMILLE.

Certainement, quand ils sont laids. Et il y en a un...

AUGUSTA, ôtant le châle.

Voyons... Le grand... je sais, il m’envoie aussi des douceurs. Un garçon apothicaire.

CAMILLE.

Vrai !

Air : De sommeiller encor ma chère,

Les sentiments d’apothicaire
Ne me tentent pas, j’en conviens,
Et pourtant, j’en ai vu, ma chère,
Qui devaient aimer assez bien.
Mais, avec eux, j’ai des scrupules,
Cet état-là me fait trembler,
Et leurs amours sont des pilules
Que je ne peux pas avaler !

Et l’autre, sais tu ce que c’est ? Non... Il a un petit air éveillé... j’aime mieux ça...

AUGUSTA, l’aidant.

Là ! c’est fini... et je m’assois, car, je ne puis plus me tenir sur mes jambes...

CAMILLE.

Est-ce que tu as couru ce matin ?

AUGUSTA.

Il y a deux heures que je fais des battements et des pirouettes, car, tu ne sais pas... je débute la semaine prochaine dans le Dieu et la Bayadère... M. Véron me l’a promis... je n’ai pas dormi de la nuit... Quand je pense que je vais paraître devant ces messieurs de l’orchestre, qui ont le coup d’œil si difficile ! Heureusement, j’ai le cou-de-pied délicieux.

Elle se met à danser.

CAMILLE.

Tu as beau dire, c’est un état que je n’aime pas... se démancher le corps devant tant de monde...

AUGUSTA.

C’est là qu’est l’vantage.

CAMILLE.

J’aime mieux danser à la Chaumière... avec quelqu’un tout seul.

AUGUSTA.

Là ! encore ! M. Alfred peut-être... il faut avouer que tu as des attaches bien singulières. Un garçon qui avait mauvais genre...

CAMILLE.

Oh ! tu dis ça parce qu’il n’avait pas un tilbury.

AUGUSTA.

Tiens ! un tilbury... c’est aimable... et, situ voulais, je connais quelqu’un qui ne demanderait pas mieux que de t’en donner un... il te trouve si gentille ! M. Godureau.

CAMILLE.

Ce gros pataud ! il a l’air bête !

AUGUSTA.

Il roule sur l’or, ma chère... c’est le neveu d’un marchand de comestibles.

CAMILLE.

Dieu ! moi qui aime tant les dindes truffées.

AUGUSTA.

Et le vin de Champagne donc ! À propos de ça, je viens te demander à déjeuner, et j’apporte mon plat... un fromage de Neuchâtel qui est délicieux !

Elle le tire de son panier.

CAMILLE.

Ça se trouve bien... j’en ai un là qui est tout frais.

AUGUSTA.

Ça fait deux plats... Mais est-ce que M. Godureau ne t’a pas écrit ?

CAMILLE.

Je n’ai rien reçu.

AUGUSTA.

Il doit te faire part de ses intentions... Quelque cadeau, j’en suis sûre... il fait très bien les choses.

CAMILLE, mettant le couvert.

Ça m’est égal... je n’y tiens pas ; ce que je veux, c’est un sentiment.

AUGUSTA, faisant des battements.

Un sentiment... mon Dieu ! Camille, tu ne pourras donc jamais avoir de l’ordre ! Tu es d’un décousu, ma chère, qui me fait trembler pour toi... comme me dit mon excellente mère : Quand on est jeune, il faut penser à l’avenir... mettre de côté... le sentiment tout seul, ça passe et ça ne laisse rien mais, quand il y a quelque chose avec quinze, vingt, quarante mille livres de rente, il en reste toujours un peu... c’est ce qui s’appelle plumer l’amour ! et avec ces plumes -là, on a des rentes, un hôtel, une voiture... voilà comme on fait son chemin. Tra, la, la, la.

Elle danse.

CAMILLE.

Oh ! je sais... tu fais de l’arithmétique... Eh bien ! moi, je ne peux pas... le cœur emporte la tête... je partage avec ceux qui n’ont rien... les autre partagent avec moi, j’ai des hauts et des bas... tantôt en indienne, tantôt en mousseline...

Air de Partie et revanche.

L’or, vois-tu bien, je n’y tiens guère,
Je m’en passe, mais de l’amour !
Il m’en faut, il m’est nécessaire ;
Par malheur, les amants du jour
Sont perfides, pleins de détour ;
Ils nous trahissent ; il me semble
Que c’est tous les jours plus commun,
Et j’en aime plusieurs ensemble,
Pour qu’il m’en reste toujours un !

Oh ! tu ne comprends pas ça, toi !

AUGUSTA.

Si fait ! si fait ! et tiens, il vient quelquefois ici un militaire qui a fini son temps...

CAMILLE.

Marengo...

AUGUSTA.

Eh bien, ma chère, il me plaît... il me plaît beaucoup... j’y pensais encore ce matin, en répétant mon pas de deux toute seule, mais il ne me ferait pas faire des bêtises... oh ! ben oui...

CAMILLE.

Tu te possèdes, toi... tu es bien heureuse.

Un billet jeté par la fenêtre tombe sur la scène.

AUGUSTA.

Tiens, qu’est-ce qu’on jette là ? un billet, c’est pour toi.

CAMILLE.

Ça vient d’en face, pourvu que ce soit du petit. Voyons...

Elle l’ouvre et lit.

« Tant pis, m’am’zelle, je ne sais pas qui... mais c’est égal... je vous aime, je n’y tiens plus... ça m’étouffe !... je vous l’écris, et je vas chercher la réponse...

S’interrompant.

Ah ! mon Dieu ! il va venir.

AUGUSTA.

Eh bien, comme il y va !

CAMILLE, lisant.

« Je porte avec moi mon déjeuner, que je vous offre comme un à-compte sur les sentiments d’estime que je vous voue pour tout le temps de votre existence et de la mienne.

S’interrompant.

Il écrit bien.

Lisant.

« Ludovic » Oh ! le joli nom ! je n’en ai pas encore rencontré comme celui-là.

AUGUSTA.

Es-ce que tu vas le recevoir, ma chère ?

CAMILLE.

Je n’ai jamais refusé à déjeuner à personne.

 

 

Scène II

 

AUGUSTA, CAMILLE, LUDOVIC

 

LUDOVIC, entrant.

Me voilà !

CAMILLE.

C’est lui !

LUDOVIC, s’arrêtant à la vue d’Augusta.

Tiens ! elle n’est pas seule... tant mieux !

Air : Vivent les grisettes !

Vive un tête-à-tête,
Lorsque content et joyeux,
Au lieu d’un’ grisette
On en trouve deux !

À Camille.

Bonjour, ma voisine...
Qu’d’attraits, quel trésor,
Et ce qu’on devine
Vaut bien mieux encor.
Vive un tête-à-tête. etc.

CAMILLE.

Il est un peu leste !

LUDOVIC.

Vous avez reçu ma lettre, n’est-ce pas ?

AUGUSTA.

Elle est arrivée d’une drôle de manière, est-ce qu’on jette ainsi, par la fenêtre ?

LUDOVIC.

Tiens ! tant qu’on ne casse pas les vitres ! et du moment que mademoiselle Camille ne s’en fâche pas. Je viens chercher la réponse.

CAMILLE, allant chercher un couvert dans l’armoire et le mettant sur la table.

La voilà, M. Ludovic.

LUDOVIC.

Mon couvert !... vrai !... c’est pour moi !... vous n’en attendiez pas un autre ?... je vais déjeuner avec vous ?... Dieu ! que vous êtes bonne !... que vous êtes gentille !

CAMILLE.

Dam !... notre déjeuner n’est pas à deux service, vous concevez... une jeunesse qui travaille de son aiguille...

AUGUSTA.

Et une danseuse qui travaille de ses...

Elle fait des battements.

LUDOVIC.

Et moi, qui ne travaille pas du tout... comme ça se trouve !... Voilà mon plat... un Neuchâtel... et puis... tiens !... il y en a déjà deux...

Il rit.

Ah ! ah ! ah !

AUGUSTA, riant.

Ah, ah, ah !... c’est drôle !

CAMILLE, riant.

Ah, ah, ah ! ça fait trois plats variés.

LUDOVIC.

Moi, j’adore le fromage ; j’avais bien envie de monter quelque chose de mieux avec moi ; une dinde, une volaille, un pâté ; mais j’étais si pressé d’arriver... avec ça que je n’avais pas le sou...

AUGUSTA.

Vous n’aviez...

LUDOVIC.

Pas le sou...

Frappant sur sa poche.

Personne !

CAMILLE.

Et bien ! il ne prend pas en traître au moins.

LUDOVIC.

Moi, jamais ! je suis franc comme l’or... que je n’ai pas... et quand je vous dirais que je suis millionnaire, vous me croiriez joliment, moi qui demeure dans la mansarde en face, au cinquième au-dessus de l’entresol... cent soixante- trois marches.

CAMILLE.

Dix de plus que chez nous.

LUDOVIC.

Bah ! vous me faite l’effet d’être logée comme une banquière... et meublée...

AUGUSTA.

C’est bien mesquin !

LUDOVIC.

Et moi donc !

Air du petit corsaire.

Une table à trois pieds boiteux,
Un coffre où mon linge est à l’aise,
Un lit de sangle où l’on tient deux,
Et pas de chaise...

CAMILLE.

Pas de chaise...
Comment faites-vous donc asseoir
Ceux, qui, chez vous, peuvent se rendre ?

LUDOVIC.

C’est mon secret... venez me voir,
Et je jure de vous l’apprendre.

AUGUSTA.

Ah ! si vous faites de l’esprit de Gymnase ! Et le déjeuner...

LUDOVIC, à part.

Elle n’aime pas les phrases, la danseuse...

Haut.

Oui, oui, déjeunons, ça donne des idées.

Il place des chaises autour de la table.

AUGUSTA, demi-voix.

Dis donc, c’est bien commun !

CAMILLE, id.

Tiens ! il est amusant...

Haut.

Attends, j’ai là une bouteille de vin blanc ; c’est encore de la provision de Ferdinand ; tu sais...

LUDOVIC.

Ferdinand, ce grand fat que je voyais toujours à votre fenêtre... avec des moustaches blondes ?

CAMILLE.

Non, non.

LUDOVIC.

Ah ! c’est un autre... Dieu ! que ce déjeuner a bonne mine ! À table, mesdemoiselles, pendant que c’est chaud !

Ils se mettent à table, Ludovic toujours entr’elles.

Dam ! je vous préviens que je suis pressé... excusez-moi, il faudra que je vous quitte bientôt pour aller chez monsieur le maire. Voulez-vous du fromage ?

CAMILLE.

Qu’est-ce que vous avez à faire avec les autorités ?

LUDOVIC.

Ah ! voilà... je suis conscrit.

CAMILLE.

Ah ! mon Dieu !

LUDOVIC.

J’ai tiré il y a six mois, et comme j’ai la main heureuse, j’ai attrapé le numéro trois, sur deux cent cinquante-six. Voulez-vous du fromage ?

AUGUSTA.

Comme ça, vous pourriez parti ?

LUDOVIC.

Je crois qu’oui ; il en faut cent cinquante... alors... mais nous n’en sommes pas là, je l’espère bien !... Par exemple ! m’en aller à présent... pas si bête !

CAMILLE.

Vous n’aimez peut-être pas l’état militaire ?

LUDOVIC.

Je le déleste ! je ne fais pas mon service de garde national, ainsi... je voulais bien acheter un remplaçant à crédit... je n’en ai pas trouvé à ce prix-là... j’ai pourtant un oncle qui pourrait m’avancer des pièces de cent sous... un oncle qui roule sur l’or, et qui nage dans les pâtés de foies gras... un fameux marchand de comestibles, qui enfonce M. Corcollet.

CAMILLE.

Vous le nommez ?

LUDOVIC.

Godureau... M. Godureau.

CAMILLE.

Le parent de ce jeune Godureau qui fait des affaires à la Bourse ?

LUDOVIC.

Juste ! c’est le neveu de mon oncle.

CAMILLE.

Nous le connaissons.

LUDOVIC.

Mon oncle ?

AUGUSTA.

Non, votre cousin, et on pourrait peut-être lui parler...

LUDOVIC.

Lui ! ah ! bien oui, il a encore sur le cœur un coup de poing que je lui ai donné sur l’œil

CAMILLE.

Vous l’avez battu ?

LUDOVIC.

À plate couture. Pif ! paf ! Dieu ! lui en ai-je donné ce jour-là !

CAMILLE.

Et à cause ?

LUDOVIC.

À cause, parce que c’est un capon, un câlin ; il fait la cour à mon oncle pour lui faire avaler des couleuvres... Voulez vous du fromage ?

CAMILLE.

Comme ça vous êtes brouillé avec votre oncle aussi ?

LUDOVIC.

Moi, je suis brouillé avec personne, c’est lui qui m’a mis à la porte, pour une bêtise. Figurez-vous, mesdemoiselles... Si nous buvions un peu, pour faire passer... Dieu ! que ça bourre le pain et le fromage ! j’étouffe !...

Il boit.

Figurez-vous que mon oncle était en voyage... du côté d’Amiens... pour des pâtés... et il m’avait confié sa boutique, parce que je suis homme d’ordre et d’économie... alors, moi j’ai profité de ça pour donner un dîner aux amis, un grand dîner : en avant les volailles, le gibier, les truffes, les vins fins et les liqueurs.

AUGUSTA.

Ah ! si nous vous avions connu !

LUDOVIC, à part.

Est-elle gourmande, la danseuse !

Haut.

Bref ! il y avait trois services, sans compter le dessert ; aussi, ça c’est prolongé indéfiniment, et le lendemain, nous étions encore à table, c’est-à-dire dessous... pendant trois jours, les amis sont venus manger les restes, et on entamait toujours du nouveau... si bien, qu’à son retour, mon oncle n’a plus trouvé que des caisses vides et des bouteilles cassées ; il a eu la petitesse de s’en fâcher, comme si un oncle qui a des entrailles devait tenir à quelques dindes truffées. Moi, je n’y tiens pas, je donne tout aux amis.

CAMILLE.

C’est dans mon genre.

Air nouveau.

Fair’ des heureux, c’est ma devise :
Tu n’as lien, moi j’ai ; touche là !
Compter toujours c’est d’la bêtise ;
Bonn’fille, on donne ce qu’on a.
Quand d’un peu d’or je suis maîtresse,
Ou qu’l’amour seul fait ma richesse,
À celui qui souffle, soudain,
Moi, l’ouvre mon cœur ou ma main.
Prendre ou donner toujours gaiment,
Voilà comm’ j’entend
L’sentiment.

TOUS TROIS.

Prendre ou donner, etc.

LUDOVIC. Parlé.

Eh ben, v’là une femme qui me comprend.

CAMILLE.

Le fortune est comm’ la jeunesse,
C’est un beau jour qui doit passer,
Un bien du ciel, et la sagesse
Est de savoir le dépenser.
J’trouv’ plus d’un ingrat sur ma route,
Mais qu’importe !... coûte qui coûte,
Mais un heureux... ce bonheur là
Quelqu’ jour, un autre me l’rendra.
Prendre ou donner, etc.

TOUS TROIS.

Prendre ou donner, etc.

 

 

Scène III

 

AUGUSTA, CAMILLE, LUDOVIC, MARENGO, en habit bourgeois

 

MARENGO, entrant.

Bonjour tout le monde... bon appétit !...

AUGUSTA.

Ah ! M. Marengo !

MARENGO.

Je vous dérange, peut-être ?

CAMILLE.

Du tout ! du tout ! Encore une visite ; il paraît que je suis dans mon jour de réception.

MARENGO.

Encore un olibrius !

LUDOVIC.

Qu’est-ce que c’est que ce monsieur ?

CAMILLE.

Un de mes amis, M. Marengo, un brave soldat qui a fini son temps.

LUDOVIC.

Il est bien heureux !

AUGUSTA.

Approchez, M. Marengo ; les vieilles connaissances ne gênent jamais !

CAMILLE.

Avez-vous déjeuné ?

MARENGO.

Non, je n’ai plus de faim.

CAMILLE.

Ah ! mon Dieu ! est-ce que vous êtes malade ?

MARENGO.

Au contraire, je crève de santé ; mais il est des temps où l’estomac ne fait pas ses fonctions.

AUGUSTA.

Allons, allons, mettez-vous là, je vais vous servir.

LUDOVIC.

Voulez-vous du fromage ?

CAMILLE.

Asseyez-vous donc.

MARENGO, s’asseyant.

Merci, mademoiselle Frétillon.

LUDOVIC.

Hein ? comment qu’il vous qu’il vous appelle ?

MARENGO.

Mademoiselle Frétillon.

À part.

qu’est-ce qu’il a donc ce pékin-là !

LUDOVIC.

Frétillon ! est-ce que c’est votre nom de famille ou votre nom de baptême ?

CAMILLE.

Non, c’est un petit nom d’amitié que son régiment m’avait donné.

LUDOVIC.

Tiens ! est-ce que vous avez servi ?

CAMILLE.

Eh non ! est-il bête ! c’est quand je demeurais en face de la caserne ; c’était à qui serait de faction à la porte, pour me voir plus longtemps à ma croisée : je ne sortais pas de fois qu’on ne me portât les armes ; et la musique en rentrant à la tête du régiment, ne manquait jamais de me régaler de sa plus jolie fanfare ; il n’y avait pas jusqu’à ces imbéciles de tambours qui battaient au champ à me fendre la tête !

Air du Carnaval.

Lors, Frétillon fut le nom de baptême
Dont au quartier gaiement on m’appela ;
Et Marengo, cet autre nom que j’aime,
Comme le mien, date de ce temps-là.
À ces deux noms d’amour et de victoire
Dans la caserne on devait s’attendrir ;
Car, si le sien rappelait une gloire,
Le mien, toujours, rappelait un plaisir.

MARENGO, la bouche pleine.

Dam ! vous étiez si gentille ! si bonne ! souriant à tout le monde.

LUDOVIC.

Pour un estomac qui ne fait pas ses fonctions, il a une mâchoire qui ne travaille pas trop mal, le soldat.

AUGUSTA.

Buvez donc un coup, M. Marengo.

MARENGO.

Merci ! il est des temps où le gosier n’est pas avide d’être humecté.

LUDOVIC.

C’est ça, comme l’estomac tout à l’heure ; farceur de soldat, va !

CAMILLE.

Ah ! c’est égal, vous ne refuserez pas de boire à ma santé.

MARENGO, tendant son verre.

Ceci équivaut au commandement de porter armes ! pourrons obéir, purement et simplement ?...

Après avoir bu.

Et de rechef.

Il tend son verre.

AUGUSTA.

Décidément, M. Marengo, vous avez pris votre retraite ?

MARENGO.

J’ai fait mon temps, et comme mon sabre se rouillait dans le fourreau, j’ai fait demi-tour à droite, et je suis rentré dans la vie civilisée.

CAMILLE.

Et vous avez bien fait.

Marengo se sert encore à boire.

LUDOVIC.

Vous serviez dans les pompiers ?...

MARENGO, après avoir bu.

Troisième de ligne... grenadier... mais il y a un autre régiment où c’que je voudrais servir sous le commandement d’un aimable capitaine.

LUDOVIC.

C’est comme moi... et ça me fait penser que monsieur le maire attend l’honneur de ma visite... Dieu ! que c’est vexant !

Il se lève.

CAMILLE, se levant aussi.

Moi, j’ai de l’ouvrage à reporter... Je vous laisse avec Augusta...

Bas.

Dis donc, il va te faire sa déclaration.

Haut.

Voulez-vous me donner votre bras, M. Ludovic ?

LUDOVIC.

Avec ravissement, mademoiselle... mademoiselle Frétillon.

CAMILLE.

Eh bien, va pour Frétillon !... Adieu M. Marengo... je reviens bientôt.

LUDOVIC et CAMILLE.

Air des gascons.

Est-il heureux qu’on l’ laisse ainsi ?
Avec un’ belle
Demoiselle !
Est-il heureux qu’on l’laisse ainsi,
Hein ! quelle campagne pour lui !

MARENGO.

Ça m’est bien égal !

CAMILLE.

C’est dommage !

LUDOVIC.

Laissez donc !... c’est comm’ l’appétit,
Il n’en avait pas, il l’a dit...
Mais, il ne reste plus d’fromage !

Ils rient.

Ensemble.

CAMILLE et LUDOVIC.

Est-il heureux, etc.

MARENGO.

Ça m’est égal qu’on m’laissse ainsi
Tête-à-tête avec une belle...
J’aime mieux qu’elle,
Dieu merci !

AUGUSTA.

Qu’à-t-elle donc à rire ainsi ?
Mieux qu’elle
Et sans être infidèle,
Je ne trahis personne ici,
Je puis bien l’aimer, Dieu merci !

Camille et Ludovic sortent.

 

 

Scène IV

 

AUGUSTA, MARENGO

 

MARENGO, à part.

Encore un ! d’où sort-il, celui-là ?

AUGUSTA, à part.

Il a l’air bon enfant, M. Marengo, et un bel homme... il me fait l’effet de M. Albert dans le Dieu Mars...

S’approchant.

Comme vous paraissez triste ?

MARENGO.

C’est possible, mam’selle... j’ai là, sur le cœur un pain de munition qui m’étouffe !

AUGUSTA.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce donc ! Pardon, c’est un secret peut être.

MARENGO.

Non, mamzelle... c’est de l’amour et du fromage.

AUGUSTA, minaudant.

De l’amour !... eh bien, il n’y a pas de mal... si vous avez bien choisi.

MARENGO.

Oui, mamzelle, et vous pourriez m’aider tout de même.

AUGUSTA.

Oui ! En ce cas, voyons, qu’est-ce que je puis faire pour vous ?

MARENGO.

Vous pouvez parler en ma faveur, à Frétillon

AUGUSTA.

Camille !...

À part.

Allons, elle n’en manquera pas un !

MARENGO.

Oui, mademoiselle, c’est elle que j’aime, que j’idole... si bien que je n’en dors ni jour ni nuit... et la nourriture aussi que je m’en prive... enfin, faut qu’elle le sache... faut qu’elle corresponde à mon sentiment ou je deviendrai fou... et si vous vouliez...

AUGUSTA.

Mais, dam ! vous êtes assez grand pour parler de vous-même, naturellement et en personne.

MARENGO.

Je ne peux pas... Non, parole !... quand je m’adresse à une particulière, l’histoire de rire et de causer, ça va-t-encore ; mais quand le cœur est pris, là, sérieusement, je suis timide, ainsi que l’enfant qui vient de naître.

AUGUSTA.

C’est étonnant, près d’elle, surtout... Oh ! ce n’est pas pour dire du mal de Camille, nous sommes amies intimes... mais, elle est d’une légèreté, d’un laisser-aller...

MARENGO.

Le fait est qu’elle est furieusement volatile !...

AUGUSTA.

Et quand on est aussi aimable que vous, il me semble qu’on pourrait trouver mieux que ça.

MARENGO.

Mieux que Frétillon !... mille z’yeux !... une fille si bonne, si obligeante, qui n’a rien à elle absolument rien !... Dès qu’on souffre... dès qu’on est malheureux, elle est là, près de vous, et pour obliger les gens, elle donnerait jusqu’à ses bardes... Oui, mademoiselle, oui, elle les a mises en gage une fois, pour un camarade qui était à l’hôpital...dont il a été si reconnaissant que ça fendait le cœur... pourquoi il en est mort ainsi !... et je pourrais trouver mieux que ça... moi, Marengo !... jamais ! jamais !...

AUGUSTA.

Écoutez donc M. Marengo... ce que je vous en dit est par intérêt, par amitié pour vous... car j’en ai beaucoup.

MARENGO.

Oui... Eh bien je vas vous demander un service... Dites moi, là, en conscience, si je peux me déclarer... C’est-à-dire, si je peux espérer...

AUGUSTA.

Rien du tout.

MARENGO.

Ah mon Dieu !... il y en a donc un autre ?...

AUGUSTA.

Il ne faut plus y penser.

MARENGO.

Vrai !... Alors, si fait, j’y penserait toujours !... mais je ne la verrai plus, ça fait trop de mal... Je m’en irai.

AUGUSTA.

Qu’est-ce que vous dites ?

MARENGO.

Qu’on me presse de reprendre du service. Il y a même des brocanteurs de chrétiens qui m’offrent de me payer comme remplaçant... Eh bien, c’est dit !...

AUGUSTA.

Y pensez-vous, M. Marengo ! Vous êtes trop sensible...

MARENGO.

Et quel est donc celui qui est là en pied ? Dieu !... si je pouvais rafraîchir mon vieux briquet !... Serait-ce par hasard ce gringalet qui était ici tout à l’heure... Il ne me revenait pas.

AUGUSTA.

Non, non... c’est un autre, un Crésus qui est dans les comestibles...

MARENGO.

Celui qui a payé le déjeuner ? En ce cas je conçois l’avantage ; moi qui n’ai rien !... rien du tout ! enfant de troupe !... Il y a bien un vieux général qui me veut du bien. On a même prétendu... Le fait est qu’il avait commencé par être soldat, et que ma mère tenait la cantine ous qu’il allait souvent... Je lui ressemble comme deux gouttes de cassis.

AUGISTA.

Il fera peut-être quelque chose pour vous.

MARENGO.

Ma mère me l’a toujours dit. Bonne et vertueuse femme, va ! En attendant je vas écrire que, moyennant un bon prix... Y a-t-il de l’encre, du papier, quelque part ?

AUGUSTA.

Dans la chambre, là ; mais ne prenez pas ce parti... Il y a mieux à faire, et je sais quelqu’un...

MARENGO.

Merci, mademoiselle, merci. Oh mais ! patience... il y a quelque chose qui me dit d’espérer.

Air : Ah ! si mon mari me voyait !

Quand mon régiment partira,
Au Crésus ell’ sera fidèle ;
Mais bientôt, préféré par elle,
Un autre lui succédera,
Quand mon régiment marchera.
Riche ou pauvre, commis ou maître,
Au train dont Frétillon y va,
Mon tour sera venu, peut-être,
Quand mon régiment reviendra !

AUGUSTA.

C’est possible !

MARENGO, sortant.

Adieu ! je vas écrire.

Il entre à gauche.

 

 

Scène V

 

AUGUSTA, puis CAMILLE

 

AUGUSTA, seule.

Encore une passion pour elle, et celle-là, j’en ai le cœur serré. Un si brave homme, que j’avais la faiblesse d’aimer contre mes principes, puisqu’il n’a rien. Par exemple, parler à Camille... non ! J’aime mieux qu’il s’en aille... Ça me fera moins de mal. D’ailleurs c’est une bêtise que cet amour-là ! ça me détournerait de mon état.

Elle fait des battements.

Une danseuse doit viser à quelque chose de plus élevé.

Elle saute.

CAMILLE, entrant.

C’est affreux ! c’est une indignité !

AUGUSTA.

Quoi donc !... Qu’est-ce que tu as ?

CAMILLE.

C’est une lettre de M. Godureau... d’une inconvenance...

AUGUSTA.

Bah ! qu’est-ce qu’il te dit ?... montre un peu.

CAMILLE.

Oh ! mon Dieu !... ce qu’ils disent tous. Il m’aime... il me demande un rendez-vous.

Lisant.

« Ce soir, un souper fin que je fais porter chez votre amie Augusta. »

AUGUSTA.

Chez moi, c’est charmant !

CAMILLE.

« Une dinde et du vin de Champagne mousseux pour griser nos amour. »

S’interrompant.

Jusque-là il n’y a pas grand mal, c’est même délicat.

Lisant.

« Je ne veux pour réponse, qu’un mot à mon domestique : Oui, ou non. »

S’interrompant.

Il est là !

AUGUSTA, prenant la lettre.

Ah ça, je ne vois pas ce qui a pu te déplaire... Ah ! le post scriptum... Je joins ici un faible à-compte sur les sentiments respectueux avec lesquels je suis... Tiens !...

Ouvrant la lettre.

Des billets de banque ! des billets de 1 000 francs. Il y en a deux...

CAMILLE.

De l’argent ! de l’agent ! S’imaginer qu’il obtiendra de moi, avec ces deux chiffons de papier...

AUGUSTA.

Et voilà ce qui te met en colère ?

CAMILLE.

Certainement l’argent est agréable, je ne le dédaigne pas, au contraire. C’est gentil d’en manger ensemble, mais s’annoncer par là, c’est insultant !... C’est d’un Crésus qui n’a pas d’autre moyen d’arriver.

AUGUSTA.

Par exemple ! écoute donc, il y a des endroits où ça commence toujours ainsi.

CAMILLE.

C’est possible... Mais moi je n’ai pas le cœur dans les jambes.

AUGUSTA.

Aussi tu iras loin. Et qu’est-ce que tu vas faire à présent ?

CAMILLE.

Lui renvoyer son argent.

AUGUSTA.

Tu refuses la dinde et le Champagne ?...

CAMILLE.

Je ne regrette que ça... D’ailleurs je crois que j’aime quelqu’un.

AUGUSTA.

Bah ! M. Ludovic, peut-être.

CAMILLE.

Ce n’est pas lui qui débuterait par de l’argent !

AUGUSTA.

Je crois bien, il y a de bonnes raisons pour ça. Mais songe donc, un jeune homme qui n’a rien... qu’un mauvais ton et des manières très lestes. Et puis tu peux le réconcilier avec sa famille... Et si tu l’aimes, c’est un service à lui rendre.

CAMILLE.

Laisse donc !

Air des Scyhes.

Mon Ludovic s’en passera, j’espère
Et je m’en vais lui renvoyer son bien,
Ses deux billets.

AUGUSTA.

Y penses-tu, ma chère ?

CAMILLE.

Ne donnant rien, moi je n’accepte rien. (bis)

AUGUSTA.

Mais c’est un trait digne d’une vestale !
En fait d’argent, de bijoux, de billets,
À l’Opéra voilà notre morale :
On prend toujours et l’on ne rend jamais !
Oui l’on prend et l’on ne rend jamais !

CAMILLE.

C’est égal ; son jockey attend là sur l’escalier, et je vais...

Elle va pour sortir et se trouve en face de Ludovic qui entre.

Ah ! mon Dieu ! quelle figure !

 

 

Scène VI

 

AUGUSTA, CAMILLE, LUDOVIC

 

LUDOVIC, jetant sa casquette.

Que le diable emporte le maire, les adjoints, la mairie et la municipalité !

CAMILLE.

Qu’est-ce que vous avez donc, Ludovic ?

LUDOVIC.

J’ai... que j’ai du malheur ! Je suis abîmé, assommé, assassiné.

CAMILLE.

Ludovic ! Ô ciel ! il se trouve mal !

Augusta approche un siège. Il s’assied.

LUDOVIC.

Le fait est que je me trouve pas bien. Une tuile, une cheminée, tout ce que vous voudrez, qui vient de me tomber sur la tête !

AUGUSTA.

Ah ! ça, est-ce qu’il fait du vent, aujourd’hui ? C’est peut-être un pot de fleurs ?

LUDOVIC.

Un pot de fleurs... Est-elle bête, la danseuse. Je parle au figuré, ma chère.

Riant.

Ah ! ah ! ah !

CAMILLE.

Allons, le voilà qui rit, à présent.

LUDOVIC.

Je ris, je ris... Oui je ris, mais de rage, de désespoir. Je ris jaune... Il faut que je rejoigne un régiment.

CAMILLE.

Pourquoi ça ?

LUDOVIC.

Pardine !... par ce que je suis conscrit... Imbéciles de numéro trois, va !

Il se lève.

AUGUSTA.

Et il faut que vous partiez bientôt ?

LUDOVIC.

Demain... rien que ça.

CAMILLE.

Demain !... non, ce n’est pas possible ! ça me fait trop de peine !

LUDOVIC.

Et à moi donc !

CAMILLE.

Vous ne partirez pas.

LUDOVIC.

Moi, qui espérais cultiver votre connaissance.

CAMILLE.

Vous la cultiverez.

AUGUSTA, à demi-voix.

Dam !... il n’aurait tenu qu’à toi... si tu avais amadoué sa famille.

LUDOVIC.

Quoi donc ?

AUGUSTA.

Ça ne vous regarde pas.

 

 

Scène VII

 

AUGUSTA, CAMILLE, LUDOVIC, MARENGO, puis LE JOCKEY

 

MARENGO.

Ma foi, au petit bonheur !...

CAMILLE.

Monsieur Marengo, d’où sortez-vous donc par là ?

MARENGO.

D’écrire ma correspondance, avec votre permission, mademoiselle.

AUGUSTA.

Tiens ! ça se trouve bien... il part aussi M. Marengo... vous ferez route ensemble.

LUDOVIC.

Oh ! lui... c’est son métier, ça lui est bien égal.

CAMILLE.

Comment, vous partez ?

LUDOVIC.

Sans y être forcé... il est bien bon, toujours.

CAMILLE.

Ah ça, mais vous disiez que vous étiez amoureux.

MARENGO, avec intention.

Je voulais me donner, mademoiselle... et maintenant je veux me vendre !... et dès que j’aurai trouvé un petit bourgeois à remplacer...

LUDOVIC.

Gratis ?

MARENGO.

Quelle bêtise ! puisque je pars, autant que ça me rapporte.

CAMILLE.

Ah ! mon Dieu !... Ludovic !... quelle idée !... M. Marengo...

MARENGO.

Mademoiselle Frétillon ?...

CAMILLE.

Vous voulez partir ?

MARENGO.

Dam !... à moins que ça ne vous fasse de la peine.

CAMILLE.

Non... au contraire, et ça vous arrangerait de trouver quelqu’un à remplacer ?... seriez-vous bien cher ?

MARENGO.

Dam !... c’est selon le tarif... douze, quinze cents francs.

CAMILLE, lui donnant les billets qui sont dans la lettre.

En voilà deux mille.

TOUS.

Deux mille francs !

Air : Il ne peut s’en défendre. (Bayadère amoureuse. Premier acte des Trois maîtresses.)

AUGUSTA.

Quel est donc ce mystère !...
Que veut dire ceci ?...
Deux mille francs, ma chère...
Te dépouiller ainsi !

LUDOVIC.

Quel est donc ce mystère ?
Que veut dire ceci,
Souffrirai-je, ma chère,
Qu’on me rachète ainsi !

MARENGO.

Quel est donc ce mystère ?
Expliquez-nous ceci.
Et pour qui, pourquoi faire,
Me payez-vous ainsi ?

CAMILLE.

Que viens-je donc de faire
Qui les surprenne ainsi ?
Je suis heureuse et fière
De sauver un ami !

AUGUSTA.

Elle est folle, vraiment !

MARENGO.

Pour qui donc ces billets.

CAMILLE.

Ils sont à Ludovic... et je vous les remets.

LUDOVIC, à part.

Deux mille francs !... jamais je ne les eus en caisse !

CAMILLE, à Marengo.

Prenez, prenez...

AUGUSTA.

Mais c’est d’une faiblesse !...

CAMILLE.

Partez pour lui... voulez-vous ?

MARENGO.

J’y consens,
Puisqu’ils sont au conscrit, volontiers je les prends,
Marché conclu... je pars !

À Camille

Vous, pensez aux absents.

Le Jockey entre et reste au fond.

AUGUSTA.

Eh ! mais... le Jockey... il attend...

FRÉTILLON.

Ah ! la réponse... je n’y pensais plus !...

AUGUSTA.

Les billets... et le souper qu’il a promis... c’est fini... décide-toi...

FRÉTILLON, hésitant.

Dam !...

AUGUSTA, élevant la voix, au Jockey.

Le dindon peut venir !

Mouvement de Marengo et de Ludovic.

Ensemble.

LUDOVIC.

Quel est donc ce mystère ?
D’où vient cet argent-si ?
Ma foi ! laissons-le faire.
Je reste, Dieu merci !

MARENGO, passant près de Ludovic.

Me voilà militaire !
Il faut partir d’ici,
Mais, quelque jour, j’espère
Avoir mon tour aussi !

CAMILLE.

Il restera j’espère !
Je donne tout pour lui !
Je suis heureuse et fière
De sauver un ami !

AUGUSTA.

Du courage, ma chère ;
Allons, prends ton parti,
Pour ton bonheur, j’espère,
Et pour le sien aussi !

Le Jockey sort. Le rideau tombe.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente un petit salon. Appartement à droite, entrée au fond. Sur le premier plan, à droite, un cabinet ; à gauche, une armoire à porte-manteau, table couverte d’un tapis, du même côté, canapé, fauteuils, etc.

 

 

Scène première

 

CAMILLE, puis LUDOVIC

 

CAMILLE, entrant par la droite une lettre à la main.

Encore une lettre du comte de Céran... pauvre jeune homme... il n’y a pas à dire, il m’aime véritablement, c’est sûr ! cette idée qu’il a été se mettre dans la tête, lui si riche, si joli garçon !... à qui toutes les femmes font des avances... Eh bien ! non, il ne pense qu’à moi... il ne veut que moi, il s’ennuie de faire sa cour dans le grand monde.

Air : J’ai vu le Parnasse des dames.

Parmi les dames à la mode,
L’usage est de perdre du temps,
Pour moi, ce n’est pas ma méthode,
J’ai des principes différents :
Pourquoi si longtemps faire attendre
Ce qu’un jour on accordera !
Puisqu’on doit finir par se rendre,
Il vaut mieux commencer par là !

Ah ! ce n’est pas lui qui se conduirait comme M. Ludovic ! l’ingrat, il m’a oubliée !

LUDOVIC, dans le fond, à la cantonade.

Voulez-vous bien me laisser tranquille... pas un mot où je vous fais chasser...

CAMILLE, se retournant.

Ludovic ! enfin c’est lui ! mais, comment osez-vous vous présenter ici, chez-moi ?...

LUDOVIC.

C’est que je ne peux plus y tenir... c est que je suis rongé d’amour et de jalousie... quand je songe au bonheur de ce Godureau !...

CAMILLE.

C’est ça !... faites-moi des reproches, il valait peut-être mieux vous laisser partir !

LUDOVIC.

Ah ! les maudits billets !

CAMILLE.

J’avais accepté... fallait bien tenir compte...

LUDOVIC.

Pauvre Camille ! j’ai eu tort de te bouder... mais, ça n’a pas duré longtemps !... voilà quinze jours que je rôde autour d’ici, que je passe devant tes fenêtres... Enfin, j’ai su que mon cousin était parti pour Rouen, et je me suis dit : Vite, c’est le moment... chez ma cousine... car, tu es ma cousine, ou c’est tout comme, de la main gauche.

CAMILLE.

Et je ne la serai pas longtemps... décidément, Godureau est trop bête !... et sans son tilbury qui est assez commode, et sa table dont je fais part à mes amis.

LUDOVIC.

À tes amis... ah ! bien, fais-moi donc faire un joli dîner aujourd’hui... mais, pas de fromage...

Ils rient.

Ah ! ah ! ah ! ainsi, tu as du moins pour te consoler toutes les jouissances de la vie...

CAMILLE.

Il faut bien se rattraper un peu, et pourtant, je ne serais plus ici, si je ne m’étais pas mis dans la tête de te faire faire une pension par ta famille.

LUDOVIC.

Comment, tu aurais pensé... es-tu aimable, donc !... Ah ! va... que mon oncle me fasse seulement l’amitié de me laisser sa succession... je te rendrai ça, et avec les intérêts... les ferons-nous danser, les écus !... à propos, sais-tu comment il se porte mon respectable oncle ?

CAMILLE.

On dit qu’il ne va pas bien.

LUDOVIC.

Tant mieux !... c’est-à-dire, non... tant pis !... mais, tâche donc que ma pension ne tombe pas dans l’eau, hein ?... vois-tu, je suis pressé qu’elle vienne et mon propriétaire aussi... et mon restaurateur aussi, et mon estaminet aussi, et mon tailleur idem, et une foule de gens ennuyeux que j’envoie à tous les diables et qui ne veulent pas y aller... quand recevrai-je le premier quartier ?

CAMILLE.

Nous verrons à son retour... pourvu qu’il ne sache pas que tu es venu ici... Dieu ! avec les idées qu’il a...

LUDOVIC.

Il a des idées, mon cousin Godureau...

CAMILLE.

Oui, par extraordinaire... et des idées de jalousie encore !...

LUDOVIC.

Vrai ! il est jaloux !... c’est stupide à lui !... mais, j’y pense... ça ne peut pas être de moi... il y en a donc un autre ?

CAMILLE.

Non, mais, quand cela serait... Nous recevons, ici, M. le comte de Céran, un charmant jeune homme, bien tendre, bien aimable, et bien pressant !... car les hommes !...

LUDOVIC, stupéfait.

Eh bien !... est-elle franche !

CAMILLE.

Dam !... je croyais que vous m’aviez oubliée, et demain peut-être vous seriez arrivé trop tard !

LUDOVIC.

Oui, mais, je suis arrivé aujourd’hui, et alors, attention !... pas de plaisanterie !

CAMILLE.

Oh ! moi, je n’ai jamais trompé personne... je t’aime, touche là !... tu me déplais, bonsoir !... voilà mes principes !

LUDOVIC.

Honnête fille !... alors, dis donc, comme tu as dû t’ennuyer avec mon cousin Godureau !

CAMILLE.

Je crois bien... un homme qui ne vient s’asseoir auprès de moi que pour digérer son argent et boire du Champagne.

LUDOVIC.

Du Champagne !... près de toi, quelle âme ignoble !... dis-donc, est-il bon votre Champagne ?

CAMILLE.

Excellent !

LUDOVIC.

Veux-tu m’en faire donner, seulement pour voir...

Il sonne.

Tu permets ?...

CAMILLE.

Il est temps !

LUDOVIC, à la bonne qui paraît à droite.

Du Champagne ! petite... et deux verres...

Elle sort.

CAMILLE.

Air du Charlatanisme.

Vraiment tu ne te gêne pas !

LUDOVIC.

Y penses-tu, ma chère amie ?
Se gêne-t-on en pareil cas,
Entre parents, qu’elle folie !
Pour lui faire honneur me voilà !
Il faut que la parenté brille,
Et tout ici m’appartiendra,
Son vin, sa table...

L’embrassant.

et cætera.
Ça ne sort pas de la famille !

On entend parler et rire au dehors.

CAMILLE.

Qu’est-ce que j’entends là !... quelqu’un qui entre... Ciel ! c’est Godureau !

LUDOVIC.

Mon cousin ! il est à Rouen !

CAMILLE.

Il paraît que non ; Dieu ! s’il te voit... avec sa jalousie...

LUDOVIC.

Voilà ma pension flambée. Il vient ! Je me cache !...

Il ouvre l’armoire à gauche.

CAMILLE.

C’est une armoire à porte-manteau. Tu vas étouffer !

LUDOVIC.

Bah ! qu’est-ce que ça fait... J’y suis.

CAMILLE, refermant la porte.

Ah ! il était temps.

 

 

Scène II

 

CAMILLE, GODUREAU, LUDOVIC, caché

 

GODUREAU, en riant.

Ah ! ah ! ah ! me voilà... c’est aimable, n’est-ce pas ?

LUDOVIC, dans l’armoire.

Et de deux...

CAMILLE.

Je vous croyais sur la route de Rouen.

GODUREAU.

Et je n’y suis pas... Ah ! ah ! ah !... pour une bonne raison ; ce pauvre ami, que j’allais voir pour affaires...

CAMILLE.

Monsieur Dourville...

GODUREAU.

Eh bien ? il est mort !... c’est drôle !... Ah ! ah ! ah ! Nous avions rendez-vous pour le soir ; il ne pouvait peut-être pas attendre... Ah ! ah ! ah !...

CAMILLE, à part.

Il me paraît encore plus bête, depuis que j’ai revu l’autre.

GODUREAU.

Ça m’a fait de la peine, vrai !... c’était un ami ! aussi, je me suis dit : Au diable les affaires, il faut que j’organise pour ce soir avec Camille un petit souper gentil et amusant.

CAMILLE, inquiète.

Aujourd’hui !... ça se trouve bien !

GODUREAU.

N’est-ce pas !

Riant.

Ah ! ah ! ah !

LUDOVIC, qui a entr’ouvert la porte.

Ah ! ah ! ah !

CAMILLE, vivement.

Et ce souper...

GODUREAU.

En avant, j’ai couru chez les amis, tu sais, ces jeunes gens, comme moi, si aimables, si spirituels... qui m’aiment tant, et à qui je prête de l’argent... ils viendront tous... Mous chanterons, nous rirons, nous boirons.

CAMILLE, à part.

Ah ! mon Dieu ! et Ludovic, et M. de Céran qui doit venir !

GODURE.AU.

Tiens... qu’est-ce que tu as ?

CAMILLE.

Rien, rien !... mais, ce souper me contrarie... j’ai un mal de tête affreux.

GODUREAU.

C’est égal, tu en seras ; il n’y a pas de fête sans toi... À quoi servirait d’avoir une maîtresse bien jolie et bien folle, si ce n’est pour s’en faire honneur devant ses amis et connaissances.

CAMILLE.

Comme c’est galant.

GODUREAU.

N’est-ce pas ?... Ah ! ah ! ah !

LUDOVIC, riant aussi.

Ah ! ah ! ah !

CAMILLE, effrayée.

Ah ! ah ! ah !...

GODUREAU.

Ah ! voilà ta gaîté qui revient, à la bonne heure. Quant au souper, ne t’inquiète pas, j’ai tout commandé au café Anglais ; un excellent café, où je dîne souvent ; c’est le rendez-vous de tous les gens d’esprit. Hier encore, je m’y trouvais près d’un journaliste ; un grand homme, qui m’a fait l’honneur de me passer la carte. Ah ! l’esprit, j’adore ça ! l’esprit ! c’est ma passion !

CAMILLE, à part.

C’est une passion diablement malheureuse !

GODUREAU.

Il me reste encore une invitation à faire... plus tard... À la Bourse.

CAMILLE.

Ah ! vous irez à la Bourse ?

GODUREAU.

Pour gagner de l’argent, ma chère ; l’argent et l’esprit, je ne sors pas de là !

Il rit.

Ah ! ah ! ah !

CAMILLE.

Prenez garde de vous ruiner !

GODUREAU.

Il n’y a pas de danger ; je fais des affaires d’or, ma parole d’honneur ! ça vient ! ça vient ! Tu me portes bonheur ; aussi, je suis généreux ; tu en sais bien quelque chose.

CAMILLE.

Pas pour tout le monde ; il y a dans votre famille des personnes... M. Ludovic, par exemple... un bon enfant...

GODUREAU.

Oui, un bon enfant, qui m’a crevé l’œil, et malgré ça, j’ai obtenu, pour lui, de mon oncle, une pension dont j’ai là le premier terme.

CAMILLE.

Il se pourrait !

GODUREAU.

Mais il ne l’aura pas, il a tenu des propos sur moi ; il dit partout qu’il me fera...

CAMILLE.

Quoi donc ?

GODUREAU.

Je suis sûr qu’il ment. Mais, c’est égal... il n’aura rien !

LUDOVIC, qui entrouvre la porte.

Ladre, va !

GODUREAU.

Hein !...

La bonne entre avec du Champagne.

CAMILLE.

C’est Élisa, qui apporte...

GODUREAU.

Ah ! ah ! ah ! des rafraîchissements... du Champagne... c’est aimable à toi d’y avoir pensé... dis donc... si tu venais verser toi-même...

CAMILLE.

Merci !...

GODUREAU.

Viens donc !... allons !...

Ludovic fait des signes à Camille.

Vas-tu m’en vouloir à cause de ce Ludovic ?

CAMILLE.

Oh !... ce n’est pas votre dernier mot,... je l’ai mis dans ma tête, vous lui ferez faire une pension...

GODUREAU.

Non...

CAMILLE.

Si fait !

 

 

Scène III

 

CAMILLE, GODUREAU, LUDOVIC, caché, M. DE CÉRAN

 

M. DE CÉRAN, entrant vivement.

Ma foi, je suis exact... et je viens...

Apercevant Godureau.

Ciel !...

CAMILLE, l’apercevant.

Ah !...

GODUREAU.

Eh ! monsieur le comte de Céran... par quel hasard...

M. DE CÉRAN, à part.

Et moi qui le croyais à Rouen...

Haut.

Ma foi, mon cher Godureau, je suis heureux de vous trouver... car, je n’y comptais guère !

À Camille.

Bonjour, belle Camille... je vous demande pardon, d’entrer ainsi chez vous sans être attendu... mais, j’étais pressé de parler à monsieur.

CAMILLE.

Et vous savez qu’il est toujours ici à l’heure de la Bourse.

M. DE CÉRAN.

C’est l’heure de ses amours.

GODUREAU.

C’est vrai ! vous avez besoin de mon amitié...

M. DE CÉRAN.

Oui... j’ai besoin d’argent pour me tirer d’embarras.

CAMILLE, à part.

Il devrait bien nous en tirer aussi...

LUDOVIC, dans l’armoire.

Et de trois !...

GODUREAU.

Je sais ce que c’est...

Riant.

Ah ! ah ! ah ! tenez, monsieur le comte, cette petite Lolotte vous ruinera... ces déesses de l’Opéra mangeraient le diable !

CAMILLE.

Monsieur le comte sait-il ce qu’est devenue Augusta, la débutante du mois dernier ?

M. DE CÉRAN.

Sa fortune est faite, elle vient d’entrer dans le corps diplomatique. Pour moi, j’ai quitté l’Olympe... je tourne mes vœux d’un autre côté...

Regardant Camille.

Sur la terre.

LUDOVIC.

Oui... à gauche.

GODUREAU.

Vrai !... une autre passion !... contez-nous donc cela.

CAMILLE.

Il y a peut-être de l’indiscrétion...

M. DE CÉRAN.

Non, non... il y a des gens devant lesquels l’on peut tout dire, des gens d’esprit... comme Godureau...

LUDOVIC.

Oh...

Godureau salue.

M. DE CÉRAN.

C’est une adorable fille qui m’a tourné la tête par sa franchise, son laisser-aller... la meilleure créature... aussi, je le sens, désormais, je ne pourrais pas vivre sans elle, et si je ne parviens pas à m’en faire aimer comme je l’aime, je suis capable de me brûler la cervelle...

À part.

Effrayons-là... elle est si bonne fille...

CAMILLE.

Comment, monsieur...

M. DE CÉRAN.

Oh ! mon Dieu !... c’est tout simple... je ne perdrais pas grand chose !...

GODUREAU.

Mais c’est absurde ce que vous dites-là...

Mouvement de M. de Céran.

Pardonnez-moi l’expression, il y a toujours moyen de triompher.

M. DE CÉRAN.

Oh ! celle-là, a des scrupules... elle se croit liée à un certain imbécile... un de vos confrères qu’elle pourrait tromper !...

GODUREAU.

Vraiment...

Air de la Petite-Sœur.

Mais, s’il est quelque engagement,
Des conditions qu’elle ait faites !...
Jamais de trahisons secrètes...
Rompre toujours ouvertement,
C’est la probité des grisettes...
Des grisettes.

M. DE CÉRAN.

À la bonne heure !... malgré cela,
Comme moi, vous savez sans doute,
Qu’ainsi qu’ailleurs, dans ce corps-là
On fait quelquefois banqueroute.

CAMILLE, regardant M. de Céran.

Quelquefois... ça c’est vu !

M. DE CÉRAN.

Et moi, je lui offre avec mon cœur, mon hôtel, ma voiture... ma voiture qui doit-être en route pour venir...

Il se reprend.

Pour aller la chercher.

CAMILLE, à part.

Ah ! mon Dieu !...

M. DE CÉRAN.

Nous devions faire une promenade... agréable, où j’espérais la décider...

GODUREAU.

Pendant que l’autre sera à la Bourse !...

Riant.

Ah ! ah ! ah !

M. DE CÉRAN.

C’eût été drôle, n’est-ce pas ?...

Ils rient tous les trois.

LUDOVIC, riant aussi.

Jobard de cousin, va ! Ah ! ah ! ah !

GODUREAU.

Vous la déciderez, monsieur le comte... vous la déciderez... c’est charmant !... dites donc... un de mes confrères, vous me direz son nom !... Ah ! ah ! ah !... Il vous faut de l’argent... voulez-vous passer dans mon petit boudoir... Camille va vous donner ce qu’il vous faut pour le billet... la reconnaissance...

LUDOVIC.

N’y va pas !...

CAMILLE.

Air : On prétend qu’en ce voisinage.

Mourir pour moi ?... pauvre jeune homme !

GODUREAU.

Vous allez me faire un reçu
Et je vous apporte la somme...

M. DE CÉRAN.

Cinq mille francs...

GODUREAU.

C’est convenu.
Je vous les promets et pour cause...
Un confrère qu’on dupe ainsi !
J’y veux être pour quelque chose.

Il donne la main à Camille.

M. DE CÉRAN.

Et moi, j’y compte bien aussi.

Ensemble.

GODUREAU.

Attendez-moi, je suis votre homme !
Vous allez me faire un reçu,
Et, je vous apporte la somme...
Cinq mille francs... c’est convenu.

M. DE CÉRAN.

Ne vous pressez pas... le brave homme !
Nous allons vous faire un reçu...
Comptez, recomptez bien la somme...
Cinq mille francs... c’est convenu.

CAMILLE.

Et Ludovic... pauvre jeune homme ?
Ah ! si Godureau l’avait vu !
Il le traiterait, Dieu sait comme !
Plus d’espoir, il serait perdu !

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

LUDOVIC, puis MARENGO

 

LUDOVIC, seul, sortant de l’armoire qu’il laisse ouverte.

Eh bien, elle m’écoute joliment... pourvu que le Jobard de Godureau ne les fasse pas trop attendre. La probité des grisettes... comptez là-dessus ; et cet autre aussi, qui va lui parler de se tuer, s’il ne faut que ça, je me jetterai bien par la fenêtre ; pour qu’il y ait un peu de paille dessous.

MARENGO, en soldat, entrant par le fond.

Ce doit être par ici.

LUDOVIC.

Qu’est-ce que c’est que ça... eh ! mais, je ne me trompe pas, c’est mon remplaçant !

MARENGO.

C’est mon bourgeois !

LUDOVIC.

Depuis quand à Paris ?

MARENGO.

Depuis hier...

LUDOVIC.

Et vous venez...

MARENGO.

Voir Frétillon...

LUDOVIC.

Elle vous attend ?

MARENGO.

Pas du tout !

LUDOVIC.

Vous l’aimez !

MARENGO.

Comme un fou ?

LUDOVIC.

Et de quatre.

MARENGO.

Quand j’ai su qu’elle était ici, chez monsieur...

LUDOVIC.

Godureau.

MARENGO.

Un banquier.

LUDOVIC.

Un imbécile.

MARENGO.

Raison de plus...

LUDOVIC.

Vous vous êtes mis en route.

MARENGO.

À marche forcée...

LUDOVIC.

Et vous arrivez...

MARENGO.

De la caserne Popincourt... peut-on parler à la bourgeoise.

LUDOVIC.

Gardez-vous-en bien.

MARENGO.

Le particulier est jaloux ?

LUDOVIC.

Comme une bête !

MARENGO.

Sortira-t-il bientôt ?

LUDOVIC.

Dans un instant.

MARENGO.

Alors, je reste.

LUDOVIC, écoutant.

Et moi aussi, silence !

Il va regarder à la porte du boudoir.

Ah ! le comte est parti.

MARENGO.

Quel comte ?

LUDOVIC, apercevant la bouteille.

Tiens ! le Champagne... voulez-vous en boire un coup ?

MARENGO.

Volontiers.

LUDOVIC.

Vous avez un congé ?

MARENGO.

Oui, par la recommandation du général.

LUDOVIC.

À qui vous ressemblez tant... à votre santé.

MARENGO.

À la vôtre ! en restant, je pouvais avoir des galons tout de suite... mais j’aime mieux aimé

LUDOVIC.

On vient, je me cache...

MARENGO.

Sauve qui peut !

Il se jette dans l’armoire que Ludovic a laissée entr’ouverte, et tire la porte.

LUDOVIC.

Dites donc, c’est mon logement ; ah !

Il gagne la porte en face.

ce cabinet.

Il entre vite et tire la porte. On entend Godureau se disputer avec Camille.

 

 

Scène V

 

LUDOVIC, MARENGO, CAMILLE, JOHN

 

CAMILLE, entrant.

Comme vous voudrez, monsieur. Allons, il a des soupçons sur le comte, à présent... il à fini par comprendre.

MARENGO, dans l’armoire à gauche.

La guérite est diablement étroite.

CAMILLE.

Ah ! sans la pension de Ludovic !

LUDOVIC, dans l’armoire à gauche.

C’est elle...

Il va pour sortir.

JOHN, entrant avec mystère.

Mademoiselle Camille, nous voilà.

LUDOVIC, rentrant.

Encore un !

CAMILLE.

Qu’est-ce que c’est ?

JOHN.

La voiture qui vient vous chercher... monsieur le comte vous attend.

CAMILLE.

Silence ! Dieu ! s’il le voyait ; après ce qu’à dit M de Céran.

GODUREAU, en dehors.

Eh bien, Camille ! Camille !

Les deux portes de l’armoire et du cabinet se referment.

CAMILLE, à John.

Va-t’en ! non, il te verrait !

Godureau entre. Elle cache le jockey en se plaçant devant lui, il se baisse et se glisse doucement sous la table.

 

 

Scène VI

 

LUDOVIC, MARENGO, CAMILLE, JOHN, GODUREAU, portant un sac d’argent

 

GODUREAU.

Où diable es-tu donc ? est-ce que tu m’en veux encore de cette idée ?

CAMILLE.

Oh ! cela m’est bien égal... croyez tout ce que vous voudrez.

GODUREAU.

Eh bien ! non, non... j’avais tort ! c’est que lorsque je suis rentré, le comte avait un air si tendre... mais je me trompais... tu n’aimes que moi ?

CAMILLE.

Je ne dis pas ça... Qu’est ce que c’est que ce sac d’argent ? la pension de M. Ludovic.

GODUREAU, posant le sac sur le fauteuil qui est près du cabinet.

Que je vais rendre à mon oncle.

LUDOVIC, à part.

Cousin marâtre... va !

GODUREAU.

Ah ! ça mais, sais-tu que tu t’intéresse bien à ce drôle-là.

CAMILLE.

Allez-vous en être jaloux aussi ?...

GODUREAU.

De Ludovic, par exemple ! je m’estime trop pour ça ; un pataud qui n’a ni ma grâce, ni mon esprit.

Ludovic cherche à prendre son sac.

Je te demande un peu s’il est bâti comme ça ; s’il a une jambe, une tournure comme la mienne.

CAMILLE, apercevant Ludovic qui retire son bras sans avoir attrape le sac.

Ah !

GODUREAU.

Quoi donc ?

CAMILLE.

Rien, rien, j’ai cru que vous alliez tomber.

GODUREAU.

Oh ! je suis solide. Dis donc, petite, je ne t’ai jamais vu si jolie que ce matin !

MARENGO, à part.

Il n’est pas beau, le particulier.

CAMILLE.

Mais partez donc, monsieur, partez donc, vous arriverez trop tard à la Bourse.

GODUREAU.

Ne crains rien... et d’abord,

Passant à la table.

un verre de Champagne, ça échauffe la conversation ; tiens la bouteille est à moitié !

CAMILLE, regardant la porte du cabinet.

Bah ! mais oui, puisque nous l’avons entamée...

LUDOVIC.

Oh !

MARENGO.

Oh !

CAMILLE, à part, regardant des deux côtés.

Tiens, il y a de l’écho !

GODUREAU.

Non ! le diable m’emporte, si je m’en souviens ; c’est égal, j’en bois encore.

Il remplit le verre qui est du côté de l’armoire.

C’est bon, le Champagne, ça rend aimable ;

Allant lui prendre la taille.

Et je veux l’être avec toi.

MARENGO, entr’ouvrant la porte.

J’étouffe !...

Il prend le verre, le vide, le remet sur la table et rentre dans sa cachette.

CAMILLE, à Godureau.

Buvez donc votre Champagne, et partez.

GODUREAU.

Sois tranquille, j’ai bien le temps.

Revenant à son verre.

Tu me boudes encore ? Tiens ! qu’est-ce qui a vidé mon verre ?

CAMILLE.

Votre verre !

À part.

Par exemple !

GODUREAU.

Allons, fais donc l’étonnée, c’est toi !

CAMILLE.

Moi !

GODUREAU.

C’est toi ! ah, ah, ah !

CAMILLE.

Ah, ah, ah ! oui, oui, c’est...

À part.

Je n’y suis plus du tout !

Haut.

En voulez-vous un autre ?

GODUREAU.

Merci, merci ! un baiser et je m’en vais.

Ludovic a fini par attraper le sac.

Ah ! et mon argent ! Eh bien, il n’y est plus...

CAMILLE, stupéfaite.

Il n’y est plus !

GODUREAU.

Camille ! Camille !

CAMILLE.

Ah ! est-ce que votre jalousie va vous reprendre ?

GODUREAU.

Du tout, du tout ! mais, il y a ici quelqu’un qui vole mon Champagne, qui boit mon argent... c’est-à-dire...

CAMILLE.

Est-ce que je sais...

Marengo ferme la porte avec bruit. On l’entend rire dans l’armoire.

GODUREAU.

C’est là... il y a quelqu’un là-dedans !

CAMILLE, étonnée.

Dam ! il paraît, c’est possible... mais, si je sais qui...

GODUREAU.

Laissez-donc... c’est quelqu’un que vous aimez...

CAMILLE.

Eh bien, quand cela serait !... est-ce que ça m’est défendu, est-ce que je ne puis pas aimer qui je veux... et d’abord ce n’est pas vous...

GODUREAU.

Ah ! vous le prenez sur ce ton-là. Eh bien, nous allons voir... Et d’abord, je veux que le misérable qui est là, en sorte sur-le-champ, qu’il me rende ce qu’il m’a volé... le scélérat... le lâche ! il a peur !

CAMILLE, entre l’armoire et lui.

Monsieur...

GODUREAU.

Laisse-moi... qu’il sorte ! ou j’enfonce l’armoire.

MARENGO, se montrant.

Air : Me voilà.

Me voilà !

GODUREAU, parlant.

Un soldat !...

CAMILLE, id.

Marengo !

MARENGO, continuant.

Me voilà !
Prêt à vous satisfaire !
Me voilà ! (bis.)
À vos ordres je suis là !

CAMILLE et GODUREAU.

Ensemble.

Il est là !
Qu’est cela !
Quel mystère
Est-ce là !

CAMILLE, courant à lui.

Marengo ! ma veille connaissance !

MARENGO.

Quel plaisir ! Mam’selle Frétillon !

GODUREAU.

Eh ! mais, voyez qu’elle insolence !
Ils s’embrassent tout de bon !
Allons, morbleu ! sans plus attendre,
Rendez ce que vous m’avez pris.

MARENGO.

C’est un baiser ! mais, entre amis,
C’ n’est pas à vous qu’ je veux le rendre.

GODUREAU.

Eh ! garde-le ! mais mon argent, voleur !

MARENGO, voulant dégainer.

Milzieux !

CAMILLE.

Ce n’est pas lui !

GODUREAU.

Qui donc ?

LUDOVIC, sortant du cabinet.

Reprise, de l’air.

Me voilà !

GODUREAU.

Ludovic !

LUDOVIC, continuant.

Me voilà !
Prêt à te satisfaire !

ENSEMBLE.

Me voilà ! (bis.)
Plus d’colère,
Je suis là !

TOUS.

Il est là ! etc.

GODUREAU.

Ah ! ça, c’est donc une caverne que cette maison !

LUDOVIC.

C’est l’argent de mon oncle, mon quartier de pension, cousin... et, si tu veux un reçu.

GODUREAU.

Pas de coups de poing !

MARENGO.

Quand vous voudrez...

GODUREAU.

Je ne vous parle pas...c’est à mademoiselle qui m’a trompé, et que je priverai de toutes mes bontés... je lui déclare.

CAMILLE.

Je vous déclare, moi, qu’il faut que ça finisse... il y a assez longtemps que je m’ennuie ici !

GODUREAU, furieux.

Me parler ainsi ! après tout ce que j’ai fait pour toi !

CAMILLE.

Ah ! c’est à cause de ton tilbury que tu fais le fier ! laisse donc, j’ai mieux que ça.

Allant à la table et appelant

John ! John !...

JOHN, sortant de dessous la table.

Reprise du chant.

Me voilà !

L’air continue en sourdine jusqu’à la fin.

GODUREAU, l’interrompant.

Eh bien, d’où sort-il celui-là !

MARENGO.

V’là l’autre !

CAMILLE.

Mon jockey, faites approcher ma voiture.

TOUS.

Sa voiture !

CAMILLE

Marengo, donnez-moi la main jusqu’à mon équipage.

À John.

À mon hôtel !

GODUREAU.

M. de Céran !

MARENGO.

Ça me recule joliment !

Marengo lui donne la main. Godureau reste stupéfait à gauche, Ludovic à droite. John s’arrête dans le fond. Le rideau tombe.

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente un riche boudoir garni de meubles élégants. La salle à manger à gauche. Entrée au fond.

 

 

Scène première

 

CAMILLE, ANASTASIE, ERNEST, plusieurs JEUNES GENS à la mode, assis sur les fauteuils et sur le divan autour de Camille, qu’Anastasie achève de coiffer devant une riche toilette

 

CAMILLE.

Non, messieurs, non... je suis plus flanche que vos dames... à présent que je suis libre et riche, ma maîtresse enfin je ne regrette pas le temps où je n’avais rien... au contraire... alors, je ne pouvais rien donner ; au lieu que, maintenant, il yen a un peu pour tout le monde.

TOUS.

Vous êtes charmante !

CAMILLE.

Ah ! ce n’est pas qu’en robe d’indienne, et quand j’arrangeais mes cheveux moi-même, je ne fusse aussi bien qu’avec cette robe de velours ; demandez à Ludovic, votre ami, qui vous fait bien attendre.

À part.

Et moi aussi !

ERNEST, debout près d’elle.

Nous ne nous en plaignons pas

CAMILLE.

Quand je paraissais à l’œil-de-bœuf de ma mansarde, au cinquième, ce n’était qu’un cri sur toutes les gouttières des environs... Dieu ! qu’elle est jolie !... aussi, c’était à qui m’offrirait, non pas son équipage... pour raison... mais son bras et son parapluie.

ERNEST.

Quoi ! ce pied si mignon...

CAMILLE.

Ah ! dam !... il n’a pas toujours été dans du satin... mais, j’étais toujours bien chaussée... j’aime ça... et en marchant un peu sur la pointe, j’arrivais au bal de la Chaumière sans avoir une mouche à mon bas de coton.

ERNEST.

Vrai ! vous alliez à la Chaumière ?... comme un étudiant en droit ?

CAMILLE.

Et au bal de Sceaux... en coucou.

TOUS, riant.

Encoueou ! Ah ! ah ! ah !

CAMILLE.

Oui, en coucou ! je suis moins secouée et moins chiffonnée dans ma voiture... mais c’était plus amusant.

ERNEST.

Dieu ! si j’avais été là, comme je vous aurais fait danser.

CAMILLE.

Mais, je le crois bien.

À Anastasie.

Non, mademoiselle... un autre bandeau, je vous l’ai déjà dit... celui-là me rappelle cet imbécile de Godureau. Ah ! celui-ci, à la bonne heure, ce sont des opales... elles me viennent d’un héros... qui me les a rapportées d’Alger, de la Casauba, où il en avait rempli ses mains et ses poches.

ERNEST.

Cela devait retourner aux infidèles.

Regardant l’écrin.

Oh ! que de bijoux ! quel éclat ! et surtout, quelle variété ! il doit y en avoir pour bien de l’argent ?

CAMILLE.

À qui le dites-vous ?

Air de la Robe et des Bottes.

Mais de mon bien j’ai le droit d’être fière,
Car, c’est à moi, moi seule, qu’il est dû...
Et, je serais, je crois, millionnaire
Si l’avarice eût été ma vertu !
Mas, au malheur je donnait sans escompte,
Jugez alors par ce qui m’est resté,
Ce que j’aurais, si je portais en compte
Tous mes actes de charité !

ERNEST.

Ah ! qu’on serait heureux de pouvoir ajouter là quelque brillant !

CAMILLE.

Ah ! vous êtes venu trop tard... comme ces lettres que je viens de recevoir... des lettres d’amour, j’en suis sûr... aussi, je ne les ai même pas ouvertes...

ERNEST.

Cela doit être curieux !

CAMILLE.

Dam ! vous pouvez voir.

TOUS, se rapprochant.

Ah ! oui ; lisons la correspondance.

CAMILLE.

Allons, Ernest... prenez les billet-doux... soyez mon secrétaire, ce matin.

Anastasie sort.

ERNEST, ouvrant les lettres.

Volontiers.

Lisant.

Air du pot de fleurs.

« Oh ! miss Camille, je vous aime !
« Hier, vous m’avez plus si fort !
« J’en suis d’une folie-extrême !

CAMILLE.

Eh mais, vraiment, c’est un milord !

ERNEST.

« J’ai beaucoup de sterlings, ma chère...

CAMILLE.

Eh ! que m’importe son argent !
J’accepte tout du continent,
Je ne veux rien de l’Angleterre !

Lui prenant ta lettre.

À un autre.

ERNEST.

Diable ! voilà du papier un peu gros !... et quelle écriture !

CAMILLE.

Lisez... lisez...

ERNEST, lisant.

« Mademoiselle Frétillon, c’est pourquoi je vous écris, attendu que je ne vais pas vous voir...

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

CAMILLE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

ERNEST, continuant.

« Vous êtes riche, à présent, et moi je ne suis toujours qu’un troupier, malgré les promesses de mon protecteur, le général, qui est bien malade pour le quart d’heure. La présente est donc pour vous dire que je ne vous oublie pas, et que si je n’ose pas aller vous intéresser en personne, je n’en suis pas moins toujours en ligne, en attendant le bonheur... par la grâce de Dieu... avec lequel j’ai celui de vous porter armes, et d’être votre très humble et très obéissant serviteur. Marengo.»

CAMILLE.

Marengo !

ERNEST, continuant.

« Soldat, rue de l’Oursine, à la caserne...»

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

CAMILLE, se levant.

Ce pauvre Marengo ! mais je le verrai... j’aurais tant de plaisir !...

ERNEST.

On dirait qu’il est plus heureux que moi !

CAMILLE.

Lui ! Oh ! le pauvre garçon ! il n’y a jamais songé.

DEUXIÈME JEUNE HOMME.

Cependant...

CAMILLE.

Taisez-vous, et occupez-vous de notre loge pour ce soir.

DEUXIÈME JEUNE HOMME.

À l’Opéra ?

ERNEST.

Aux Bouffes ?

CAMILLE.

Non, non, c’est trop grand seigneur tout ça, c’est ennuyeux comme les Français, Ludovic y dort toujours... au Palais-Royal, plutôt... parlez-moi de ce théâtre-là ! il n’est pas bégueule... une avant-scène...

ERNEST.

J’y vais tout de suite.

TOUS.

Attends-nous donc...

 

 

Scène II

 

CAMILLE, ERNEST, LUDOVIC, LES JEUNES GENS

 

LUDOVIC, entrant vivement une cravache à la main.

Ah ! mon Dieu ! je n’ai pas une goutte de sang dans les veines !

TOUS.

Ludovic !

CAMILLE.

Enfin, monsieur, qu’êtes-vous donc devenu depuis deux jours ?

LUDOVIC.

Moi, je ne sais pas... j’ai eu des affaires...

À part.

Il y a surtout le grand nez... je suis sûr que c’est un garde du commerce.

CAMILLE.

Hein ? qu’est-ce que tu dis !

LUDOVIC.

Rien, rien...

À part.

Arrêté ! arrêté !

ERNEST.

Mon Dieu ! vous avez la figure toute bouleversée !

LUDOVIC.

Vous trouvez ! ce sont les rideaux qui t’ont cet effet-là...

Il les tire et regarde.

Les scélérats y sont toujours !

CAMILLE.

Mon ami, ces messieurs dînent ce soir ici... après dîner, nous irons au spectacle.

LUDOVIC.

Je n’irai pas.

ERNEST, à part.

Tant mieux !

CAMILLE.

Et pourquoi ça ?

LUDOVIC.

Parce que je n’irai pas.

ERNEST, aux autres jeunes gens.

Comme c’est aimable.

CAMILLE, à part.

Il lui est arrivé quelque chose.

ERNEST.

C’est égal, allons louer la loge

LES JEUNES GENS et CAMILLE.

Ensemble.

Air : Petit Blanc.

À ce soir ! (bis.)
Que le plaisir { nous ramène
                         { vous
À ce soir ! (bis.)
Adieu reine !
Qu’on revienne...
Au revoir !

 

 

Scène III

 

CAMILLE, LUDOVIC

 

CAMILLE.

Maintenant que nous sommes seuls, dites-moi un peu, monsieur, ce que signifie cette conduite-là ? je ne te vois plus, tu n’as plus confiance en moi... ce n’est pas bien, cela me fait de la peine... est-ce que tu ne m’aimes plus, Ludovic ?

LUDOVIC.

Quelle bêtise ! est-ce que je dis ça !

CAMILLE.

Tu aurais tors, vrai ! Moi, vois-tu, je t’aime toujours comme autrefois, et même beaucoup mieux ; car, alors, la vanité, l’ambition ; mais aujourd’hui que je suis riche, ce que j’ai là, pour toi, ce n’est pas une attache de passage, c’est du solide !

LUDOVIC.

Oh ! si tu vas faire un sermon.

CAMILLE.

Voyons, monsieur, vous me négligez, vous faites le mari... prenez garde... vous deviez venir hier au soir, vous me l’aviez promis, et je ne vous ai pas vu !

LUDOVIC.

Ah bien, j’ai oublié l’heure.

CAMILLE.

Vrai ? c’est que tu avais peut-être laissé ta montre quelque part...

Elle va à sa toilette.

avec la chaîne...

LUDOVIC, à part.

Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’elle saurait...

CAMILLE.

Tenez, monsieur, n’est-ce pas celle-ci ?

LUDOVIC.

Ma montre !

CAMILLE, la lui présentant.

Prenez donc ! je vaux bien le Mont-de-Piété, pour la reconnaissance.

LUDOVIC.

Mais qui a pu le dire...

CAMILLE, la lui passant autour du cou.

Est-ce là ce qui t’inquiétait ?

LUDOVIC.

Oh ! ça... et puis autre chose.

CAMILLE.

Mais enfin quoi donc ?

LUDOVIC.

Apprends... que j’ai des dettes, qu’on me poursuit... qu’on veut me mettre à Ste-Pélagie...

À part.

Là ! coup sur coup ! ça va plus vite !

CAMILLE.

Des dettes, c’est impossible !... à moins que vous ne fassiez des folies ailleurs.

LUDOVIC.

Allons, te voilà encore avec tes idées !

CAMILLE.

Ah ! j’ai droit d’exiger que vous m’aimiez sans partage... Ce serait affreux !...

LUDOVIC.

Si tu vas faire du sentiment... à présent !

CAMILLE.

Eh bien, non, non... je te croirai sur parole, tu me conteras cela plus tard ; mais, d’abord, allons au plus pressé. Tu dois ?

LUDOVIC.

Plus que je ne puis payer.

CAMILLE.

C’est donc plus que je n’ai.

LUDOVIC.

Que dis-tu ?

Air : À soixante ans.

Rendre pour moi ta bourse plus légère,
Y penses-tu ? ma pauvre Frétillon !
Je suis bien fou, mauvais sujet, ma chère,
Je ne veux pas mériter d’autre nom.

CAMILLE.

Ah ! c’est fini, si tu parle raison !
Heureux amans, sans craindre de scandale,
Nous partagions, et jamais de refus ! (bis.)
Mais, à présent, tu fais de la morale...

Lui tendant la main.

Mon ami, vous ne m’aimez plus !

LUDOVIC.

Mais, écoute-moi donc !

CAMILLE.

Du tout ! du tout ! je me fâcherai à mon tour ! et je te déclare bien, qu’après un pareil refus, je manquerais du nécessaire que je n’accepterais pas un centime de vous... Aller en prison ! y passer ses jours et ses nuits ! mais, a-t-on vu une bêtise pareille !

LUDOVIC.

Eh bien, nous verrons ; plus tard, je ne dis pas.

ANASTASIE, annonçant.

Mademoiselle Augusta de l’Opéra descend de voiture...

CAMILLE.

Augusta ! par quel hasard !

LUDOVIC, à part.

La danseuse ! Dieu ! si elle allait bavarder !

Haut.

Est-ce que tu vas la recevoir ?

CAMILLE.

Je vais la renvoyer et te rejoins... entre là, et fais-moi ton compte, entends-tu !

LUDOVIC.

Mon compte ! Oh ben oui !...

À part.

Ne me voyant pas, elle ne songera peut-être pas à faire des cancans sur moi, la danseuse.

Camille se retourne.

J’y vais.

Il entre à gauche.

 

 

Scène IV

 

CAMILLE, AUGUSTA

 

AUGUSTA, entrant.

Eh ! bonjour, ma chère... embrassons-nous donc.

CAMILLE.

Ah ! quelle tendresse ! ça t’est donc revenu ?

AUGUSTA.

Hein !... pourquoi me dis-tu ça ?... parce que je ne viens pas te voir... Ah ! ma chère, il ne faut pas m’en vouloir, j’ai tant de travaux !... l’Opéra me tue !... tiens, je viens d’étudier, chez notre maître de ballets, un pas que je ne puis me mettre dans la tête.

CAMILLE.

C’est-à-dire, dans les jambes.

AUGUSTA.

Tu es heureuse, n’est-ce pas ? J’ai appris que tu étais riche... que tu avais une voiture, des rente...

CAMILLE.

Je ne sais pas comment cela s’est fait ; je n’ai rien pris...

AUGUSTA.

Mais, tu as accepté, c’est une autre manière, ce n’est pas la mienne... tu sais, j’ai toujours eu des principes d’économie. À propos, tu aimes toujours Ludovic ?...

CAMILLE.

Toujours !

AUGUSTA, à elle-même.

L’infâme !

CAMILLE.

Tu dis ?...

AUGUSTA.

Rien... je t’expliquerai ça... c’est un service que je veux te rendre... à charge de revanche... je viens t’en mander un.

CAMILLE.

À moi ?

AUGUSTA.

Laisse-moi le cœur de M. Malbroug ?

CAMILLE.

M. Malbroug... mais, il est mort !

AUGUSTA.

Oh ! tu sais bien ce que je veux te dire, ce n’est pas celui-là... c’est lord Malbroug, cet aimable jeune homme, attaché à l’ambassade anglaise... je sais qu’il t’a vue à ce bal d’artistes où tu as eu tant de succès... depuis cette nuit-là, il t’aime, je le sais, il te l’a écrit... Oh ! ne joue pas la surprise... avoue, ne fais pas de la diplomatie... je suis plus forte que toi... je vis là-dedans...

CAMILLE.

Ah ! sois tranquille, ce n’est pas mon genre. Mais je te jure que je n’ai rien reçu... à moins que ce ne soit le billet de ce matin.

Passant à la toilette.

AUGUSTA.

Ce billet... donne... juste !... c’est cela... une déclaration ! quand il me jurait... oh ! que ces Anglais sont perfides !

CAMILLE.

Je ne les ai jamais aimés.

AUGUSTA.

Ni moi non plus... mais, ça n’empêche pas... au contraire.

CAMILLE.

Eh bien... je te livre M. Malbroug... je n’y prétends rien... j’ai mieux que ca.

AUGUSTA.

Un prince russe ?

CAMILLE.

Mieux encore... Mon Ludovic.

AUGUSTA.

Ah ! c’est juste... mais service pour service... apprends donc qu’il te fait des traits, ma chère,

CAMILLE.

Qui ?... Ludovic !

AUGUSTA.

Avec Lolotte, une de nos demoiselles des chœurs... une petite brune, maigre et bancale qui danse comme ça, tiens...

Elle danse d’une manière ridicule.

CAMILLE.

Allons donc... c’est impossible.

AUGUSTA.

Il y a deux mois que cela dure, elle lui mange un argent fou.

CAMILLE.

Ludovic !... Ludovic !... Oh ! l’indigne !... si tu savais ce que j’ai fait pour lui... depuis le remplacement, qui m’a tant coûté !...

AUGUSTA.

Ah ! Marengo !... je l’ai vu dernièrement qui montait la garde rue Grange-Batelière.

CAMILLE.

Et pour ménager sa délicatesse, cette pension sous le nom de son oncle... tout à l’heure encore, j’allais...

Essuyant des larmes.

Oh ! les hommes !... les hommes !... moi, qui les ai tant aimés !

AUGUSTA.

Ils ont du bon !... mais ce sont des monstres ! Tiens, par exemple, ce vieux général Darcourt qui m’adorait, il devait me laisser toute sa fortune, il n’avait pas d’héritier, à ce qu’il disait... et pas du tout !... il se meurt, et j’apprends qu’il laisse sa fortune à des inconnus... des enfants naturels... un homme sans mœurs, quoi !

CAMILLE, sans l’écouter.

Ah ! il lui faut une Lolotte !...

AUGUSTA.

J’ai voulu t’ouvrir les yeux en bonne camarade... pour te prouver que je t’aime toujours.

CAMILLE, regardant la porte à gauche.

Oh ! il me tarde de le revoir !

AUGUSTA.

C’est comme moi, M. Malbroug... dis-moi donc, dînes-tu chez toi ?

CAMILLE.

Oui, oui, j’ai du monde encore...

AUGUSTA.

Eh bien ! je m’invite... je n’ai pas d’Opéra...

À part.

Je veux savoir si elle me trompe.

Elle va pour sortir par le fond.

 

 

Scène V

 

LUDOVIC, AUGUSTA, CAMILLE

 

LUDOVIC, entrant.

Oh ! ma foi, je suis pressé... et je crois qu’ils ne sont plus là !

CAMILLE.

C’est lui !

AUGUSTA, l’apercevant et rentrant.

Ah ! M. Ludovic !...

LUDOVIC, à part.

Encore la danseuse !...

AUGUSTA.

Comment ça va-t-il, depuis hier ? car, je vous ai aperçu... à l’Opéra.

CAMILLE.

Ah ! tu étais à l’Opéra... hier.

LUDOVIC.

Oui, oui, un instant...

À part.

Que le diable l’emporte !

AUGUSTA.

Oh ! nous voyons quelquefois M. Ludovic, dans les coulisses, et chez notre maître de ballets... est-ce que vous n’y allez pas, en ce moment ?...

Bas à Camille.

C’est l’heure de Lolotte.

LUDOVIC.

En ce moment... j’ai affaire.

CAMILLE.

Oui, nous avons un compte à régler.

AUGUSTA.

Tant pis ; moi j’y vais pour un pas nouveau, il est horriblement difficile, mais, je reviens bientôt... nous dînerons ensemble, adieu M. Ludovic.

À Camille.

Adieu ma petite.

LUDOVIC, l’accompagnant.

Adieu, mademoiselle.

AUGUSTA, à part et en sortant.

Une scène, ça va être gentil !

LUDOVIC, descendant la scène.

Bavarde !...

 

 

Scène VI

 

CAMILLE, LUDOVIC

 

CAMILLE.

Enfin, nous sommes seuls... je te remercie d’être resté.

LUDOVIC.

Il faut que je sorte...

Mouvement de Camille.

mais pas avec elle.

CAMILLE.

Sortir et pourquoi donc ?... et ce mémoire que tu dois me donner.

LUDOVIC, prenant sa cravache et son chapeau.

Il est dans ta chambre, adieu !

CAMILLE, le retenant.

Où vas-tu ?

LUDOVIC.

Chez un ami.

CAMILLE.

Chez mademoiselle Lolotte...

LUDOVIC.

Lolotte !... qui ta dit... c’est Augusta !

CAMILLE.

Je le sais... ça suffit !... mademoiselle Lolotte, que tu aimes... pour qui tu fais des folies...

LUDOVIC.

Oh ! ma foi, puisque tu le sais... dam ? oui... je vais chez Lolotte, elle est drôle... mais, pour de l’amour, c’est toi seule... ainsi, sois tranquille...

Il va pour sortir.

CAMILLE.

Vous ne sortirez pas !

LUDOVIC.

Oh ! oh ! c’est du sérieux !... à ce qu’il paraît...

CAMILLE.

C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire.

LUDOVIC.

Est-ce que tu me prend pour un enfant ?

CAMILLE.

Je vous prends, je vous prends pour un ingrat !... pour un homme sans loyauté, et, c’est ce que vous êtes... vous vous ai-je jamais trompé, moi ?... dès que je l’ai pu... n’ai-je pas tout sacrifié pour vous ?... parce que je t’aime, parce que c’est plus fort que moi, et tu pourrais... mais, voyons !... qu’avez-vous à dire ?

LUDOVIC, voulant s’en aller.

Je te répondrai plus tard.

CAMILLE, le retenant.

Non !... tout de suite... il faut que tu t’expliques... tu m’appartiens... moi aussi, j’ai reçu des déclarations, des offres brillantes... j’ai tout rejeté... ce qu’il me fallait, c’était de l’amour, et le tien, surtout !... malgré tes brusqueries, j’ai résisté à tout !... je n’en avais que plus de mérite... mon cœur, ma fortune, tout est à toi, et vous, monsieur, voilà qu’au premier petit nez de travers que vous rencontreriez, vous pourriez !... non pas, non pas, s’il vous plaît !... te céder, te perdre !... c’est impossible !...

Elle se jette dans ses bras.

LUDOVIC.

Frétillon !... que c’est bête de s’attendrir comme ça !

CAMILLE.

Oh ! oui, c’est bien bête !... Voyons, monsieur... mettez-là votre cravache et votre chapeau, je vous le pardonne pour cette fois... mais ne recommencez plus... car ça se gâterait !

LUDOVIC, tirant sa montre.

C’est bien !... c’est bien... parbleu !... entre nous, est-ce qu’on doit se tourmenter comme ça quand je te dis que je dînerai avec toi...

Il l’embrasse.

mais je suis pressé...

CAMILLE.

Ludovic !... je tous défends de sortir !...

Elle remonte.

LUDOVIC.

Allons donc... tu vas finir par m’impatienter...

CAMILLE.

Ludovic... tu resteras...

LUDOVIC.

Non...

CAMILLE.

Si fait...

LUDOVIC.

Ah, c’est comme ça !...

Il se dispose à sortir.

CAMILLE.

Je fermerai plutôt la porte...

Elle retire la clé.

LUDOVIC, remontant.

M’enfermer me traiter comme un esclave !... un valet ! donnez-moi cette clef.

CAMILLE.

Non, monsieur.

LUDOVIC.

À l’instant, je la veux !...

CAMILLE.

Vous ne l’aurez pas !

LUDOVIC.

Si fait !...

CAMILLE.

Non !...

LUDOVIC, levant sa cravache.

Frétillon !...

CAMILLE, le fuyant.

Ah !

LUDOVIC, jetant avec violence sa cravache par terre.

Aussi, tu me fais sortir de mon caractère...

CAMILLE.

Je crois, au contraire, que vous venez d’y rentrer.

LUDOVIC.

Mais enfin... ce n’est pas ma faute...

CAMILLE.

Tenez, monsieur, voilà votre clé.

Elle la jette par terre.

Prenez-là.

LUDOVIC, la ramassant.

Pourquoi aussi m’y a-t-elle forcé !...

Camille est dans un fauteuil, un mouchoir sur ses yeux. Il la regarde, fait un pas vers elle.

Allons, voyons, Frétillon.

Frétillon le fixe avec hauteur. Il va pour sortir et se retourne.

Hein...

Il se décide.

Ah ! ma foi, tant pis.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

CAMILLE, ERNEST

 

CAMILLE, regardant de côté.

Ah ! il s’en va ! il s’en va ! Ah ! c’est fini ! je ne l’aime plus !...

ERNEST.

Eh bien !... où court-il donc comme ça, M. Ludovic ? Justement, il y a en bas du monde qui le demande...

Présentant le billet à Camille.

Voici, mademoiselle, la loge que... Ah ! mon Dieu !... qu’avez vous, mademoiselle ? des larmes !

CAMILLE.

Rien, rien, M. Ernest ; je vous remercie...

Elle se lève.

 

 

Scène VIII

 

CAMILLE, ERNEST, AUGUSTA

 

AUGUSTA.

Camille, Camille ! Oh ! mon Dieu ! tu ne sais pas...

CAMILLE.

Qu’as-tu donc !... que t’est-il arrivé ?

AUGUSTA.

Oh ! ce n’est pas à moi, c’est à Ludovic...

CAMILLE.

Ludovic.

AUGUSTA.

On vient de l’arrêter...

CAMILLE et ERNEST.

De l’arrêter !

AUGUSTA.

Oui, ma chère, comme j’arrivais avec ces messieurs et ces dames qui dînent chez toi, j’ai vu des gardes du commerce, des huissiers, que sais-je, moi... des hommes affreux, le faisaient poliment monter dans un fiacre, et il n’a eu que le temps de crier en m’apercevant : « Dites à Frétillon qu’elle est vengée, et que je l’aime toujours... »

CAMILLE.

Il a dit cela...

AUGUSTA.

Oui... maintenant il roule pour la rue de la Clé...

ERNEST.

Bon voyage...

CAMILLE, dans le plus grand désordre.

Ah, mon Dieu, on va le renfermer, il sera malheureux !... mais, je ne peux pas l’abandonner ainsi ; non, c’est impossible, je ne puis pas le laisser en prison, je ne le puis pas,

Sonnant et à Ernest.

Donnez-moi votre bras.

À Anastasie qui paraît.

Eh vite ! un châle, faites approcher une voiture, une citadine...

À part.

Là, faut-il que ça lui arrive juste quand je commençais à ne plus l’aimer !

 

 

Scène IX

 

CAMILLE, ERNEST, AUGUSTA, JEUNES GENS, DAMES INVITÉES

 

CHŒUR, entrant.

Air du Camarade.

À table !... à table ! il faut qu’on la retienne...
À table... et loin de la laisser partir,
Il faut qu’ici Frétillon appartienne
À l’amitié qui promet du plaisir.

CAMILLE.

De grâce Augusta. Mon Dieu, comment donc faire !
De ce repas, ordonne les apprêts.

AUGUSTA.

Attends, attends... réfléchis donc ma chère...

CAMILLE.

Obliger d’abord, et réfléchir après...

Reprise du chœur.

Qu’elle folle... il faut qu’on la retienne, etc.

Un domestique paraît à gauche, la serviette sous le bras. Elle met son châle et son chapeau, prend le bras d’Ernest, et sort précipitamment. Les Jeunes gens donnent la main aux dames et se dirigent du côté de la salle à manger. Le rideau tombe.

 

 

ACTE IV

 

Le théâtre représente une cour de Sainte-Pélagie. Dans le fond, un mur de clôture et une guérite au milieu. À droite du spectateur, le quartier de la dette, avec un perron ; à gauche, celui de la politique. L’entrée du dehors, à gauche.

 

 

Scène première

 

MARENGO, JOSEPH, M. DE CÉRAN, GARÇONS DE FOURNISSEURS

 

Au lever du rideau, un factionnaire se promène dans le fond. On entend des éclats de rire du côté de la dette.

LUDOVIC, en dehors, côté de la dette.

Air de E. Thénard.

Joyeux prisonnier, comme nous,
Champagne qui pétilles,
Fais-nous oublier les verrous,
Les geôliers et les grilles.
Des créanciers, le verre en main,
Nous bravons la colère !
Au diable regrets et chagrin !
Amis, chantons jusqu’à demain,
Et buvons à plein verre,
À plein verre !

CHŒUR.

Au diable regrets et chagrin ! etc.

JOSEPH, faisant sortir M. de Céran du quartier de la politique.

Ils n’engendrent pas la mélancolie, les prisonniers !...

À M. de Céran.

Par ici, monsieur, puisqu’on vous permet de passer à la dette pour déjeuner.

M. DE CÉRAN.

Merci, Joseph.

JOSEPH, le conduisant, après avoir fermé la porte.

Passez là, au n° 6.

Ils passent du côté de la dette ; pendant ce temps, on relève la sentinelle. Joseph rentre, une lettre à la main. À la cantonade.

Tout de suite, monsieur, elle va être portée... allons, qu’est-ce qui nous arrive ?...

Se retournant.

Ah ! c’est la sentinelle de l’intérieur qu’on relève.

PREMIER GARÇON, un panier de vin sur la tête.

Du Champagne pour le n° 6.

JOSEPH, à la sentinelle.

Laissez passer...

Au garçon.

À gauche, baissez la tête... vous allez casser vos bouteilles...

MARENGO, prenant la faction.

Allons, m’en v’là pour deux heures, je vas me dépêcher.

Il se promène très vite.

JOSEPH.

Quel gaillard que ce n° 6, il a mis toute la prison sens dessus dessous...

Présentant du tabac à Marengo.

En usez-vous, camarade ?...

MARENGO.

Merci geôlier...

JOSEPH.

Porte-clés !...

MARENGO.

Va pour porte-clés, il paraît qu’il y a beaucoup d’oiseaux dans la cage.

JOSEPH.

Mais oui, suffisamment... à la dette ça va assez bien, et du côté de la presse, encore mieux... ça nous amène du monde et des profits... moi, d’abord, en fait de politique, je ne connais que les gros sous.

MARENGO.

C’est la celle d’aujourd’hui.

JOSEPH.

C’est la bonne...

À un deuxième garçon qui entre avec un panier.

Qu’est-ce que tu veux, toi ?

DEUXIÈME GARÇON.

C’est une volaille, monsieur, pour le n° 6, avec un pâté.

JOSEPH, l’arrêtant et examinant le panier.

Un moment...

Il le laisse passer.

À gauche, baissez la tête. Quelle odeur... ça embaume, Oh, les truffes, je les adore... aussi, de temps en temps, je me fais truffer une oie avec des marrons.

MARENGO.

Il paraît, geôlier...

JOSEPH.

Porte-clés.

MARENGO.

Et bien, porte-clés... il paraît qu’on ne jeûne pas du côté de la dette.

JOSEPH.

On y fait bombance aujourd’hui... c’est un nouveau qui paye sa bienvenue, ils appellent ça une bienvenue... c’est un gros prisonnier pour dette qui m’a l’air d’être furieusement à son aise, et puis, aimé des dames... il y en a une qui est déjà venue hier soir, c’était trop tard... elle est revenue ce matin, c’était trop tôt.

MARENGO.

Le sexe entre donc ici ?

JOSEPH.

Considérablement... le sentiment donne beaucoup en prison, et voilà une lettre que ce monsieur envoie à l’adresse d’une demoiselle, c’est un homme à femmes... il est adoré...

MARENGO, soupirant.

Il est bien heureux.

JOSEPH.

Hein, quel soupir, est-ce que vous auriez aussi un amour...

MARENGO.

Une amour, et une fameuse encore... touché à mort, quoi.

JOSEPH.

Il n’y a pas d’affront...

MARENGO.

On s’y conformera...

JOSEPH.

Faut toujours se conformer à l’amour, troupier fini que celui-là.

On sonne au dehors.

Ah ! voilà une visite... à revoir.

MARENGO.

Bonsoir...

Il reprend son fusil.

Pas accéléré, je vas penser à elle ; marche...

Il se promène très vite dans le fond.

 

 

Scène II

 

MARENGO, JOSEPH, CAMILLE

 

CAMILLE, à la cantonade.

Merci, mon ami... tiens, voilà pour ta peine...

À Joseph.

C’est vous, Joseph ?... le geôlier, le porte-clés, n’importe, je demande Ludovic... voilà mon permis, je veux le voir...

JOSEPH.

M. Ludovic... c’est qu’il est bien occupé en ce moment.

CAMILLE.

C’est égal, dites-lui qu’il vienne, que je l’attends, moi, Camille...

MARENGO, s’arrêtant dans le fond.

Hein ?

JOSEPH.

Mademoiselle Camille... permettez, voici une lettre que j’allais envoyer...

CAMILLE.

Une lettre pour moi, donnez ; pauvre garçon, il y a pensé, il doit être bien malheureux !... allez, allez le prévenir.

JOSEPH.

J’y vais tout de suite.

MARENGO, qui s’est rapproché.

Ce nom, cette tournure...

CAMILLE, qui a ouvert la lettre, lisant.

« Ma bonne Camille, j’y suis !... des barreaux aux fenêtres, des verrous aux portes, c’est affreux, je ne conçois pas qu’on puisse vivre là-dedans... j’y mourrai, j’en suis sûr »...

Essuyant des larmes.

Oh, non, non !...

Lisant.

« Mais, j’ai mérité mon malheur. »

CHŒUR, en dehors.

J’espère
Que le vin opère,
Oui, tout est bien, même en prison !
Le vin m’a rendu ma raison.

CAMILLE, se tournant du côté de la dette.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

MARENGO, laissant tomber son fusil.

C’est elle !...

CAMILLE, qui s’est retournée du côté de Marengo.

Un soldat !... je ne me trompe pas c’est Marengo !...

MARENGO.

Je vous ai fait peur, mam’selle Frétillon... c’est à dire, madame... je ne sais pas comment dire...

CAMILLE.

Bah ! comme vous voudrez... je n’y tiens pas. De faction ici ! ah ! j’en suis bien contente !... il y a si longtemps que je ne vous ai vu !...

MARENGO.

Dam, oui, depuis le jour de l’armoire, rue de l’Échiquier...

CAMILLE.

Air : des postillons.

Qu’avec plaisir toujours je le retrouve !
Bon Marengo !... les amants ont leur tour,
Mais, c’est pour moi d’l’amitié qu’il éprouve.

MARENGO, à part.

Et, ça ressembl’ diablement à d’l’mour ! (bis.)

CAMILLE.

Aussi j’y tiens plus qu’aux autres, peut-être,
Un seul ami, lorsqu’on a tant d’amants,
Ça change un peu... puis, on dit qu’c’est moins traître.
Et qu’ça dur’ plus longtemps !

Mais, pourquoi n’êtes-vous pas venu me voir, Marengo... c’est mal à vous.

MARENGO.

Oh, je le voulais bien, mam’selle ; en arrivant à Paris... je suis été rue de la Paix...

CAMILLE.

J’avais changé.

MARENGO.

On m’a renvoyé rue de Ménars...

CAMILLE.

J’avais changé.

MARENGO.

De là, rue de Rivoli.

CAMILLE.

J’avais encore changé...

MARENGO.

Je suis été comme ça, je ne sais où, vous aviez toujours changé, c’est pas comme mon amitié, qui était toujours logée au même numéro, invariable comme ma consigne... enfin, j’ai découvert que vous étiez dans la rue de mon pauvre général qu’est en train de partir pour l’autre monde, rue du Mont-Blanc, heureuse et riche, une grande dame enfin !... alors, je n’ai pas osé monter, moi, troupier sans conséquence, et je vous ai écrit...

CAMILLE

Ah ! c’est juste, votre lettre... je l’ai lue...

Marengo se détourne.

elle m’a fait plaisir... j’ai vu que vous ne m’aviez pas oubliée.

MARENGO.

Vous oublier ! oh, jamais ! et il paraît mamzelle que vous venez ici.

CAMILLE.

Oh, pour quelqu’un qui est bien malheureux, je viens sécher ses larmes... lui rendre l’espérance... et...

LUDOVIC, en dehors.

C’est bien, c’est bien,

CAMILLE.

Ah, c’est lui... Ludovic...

Elle court à lui.

 

 

Scène III

 

MARENGO, CAMILLE, LUDOVIC, M. DE CÉRAN, ANATOLE, FERDINAND, EDMOND

 

LUDOVIC, une serviette à sa boutonnière et un verre de Champagne à La main.

Camille,

Il s’arrête.

Attends, que je vise mon verre.

CAMILLE.

Comment monsieur...

Ludovic a vidé son verre et le jette.

MARENGO, reprenant son fusil avec humeur.

Encore lui !

Il remonte dans le fond.

LUDOVIC.

Maintenant, embrassons-nous ; tiens... voilà des amis, des connaissances... en voilà...

Ils entrent tous le verre à la main.

CHŒUR.

Air : C’est le plaisir...

C’est Frétillon ! (bis.)
Qu’elle vienne,
Qu’on nous l’amène !
C’est Frétillon ! (bis.)
Le plaisir arrive en prison !

CAMILLE.

Edmond, Frédéric, Anatole !
Ferdinand !... venez tous, venez !

M. DE CÉRAN.

Toujours aimable, toujours folle ?

CAMILLE.

Est-ce vous qui m’environnez !
Camarade, comme naguère,
Je vous revois tous... Ah, j’espère
Que j’ai du bonheur, mes amis.
J’en cherche un et j’en trouve six.

Reprise du chœur.

C’est Frétillon ! (bis.) etc.

CAMILLE.

Ma foi, je ne m’attendais pas à trouver tant de plaisir sous les verrous !

M. DE CÉRAN.

Ni moi non plus...

LES JEUNES GENS.

Ni moi... ni moi !

CAMILLE.

Jusqu’à ce bon Marengo qui est là en faction ; ces pauvre amis !... les voilà donc ruinés !... Vous, Anatole, c’est à la Bourse, je le parierais ! toi, Frédéric, à l’Opéra, dans ce qu’Augusta appelle le guêpier... et Edmond, qui est-ce qui a pu l’envoyer rue de la Clé ? à moins que ce ne soit son tailleur.

LUDOVIC.

Juste ! tu as deviné...

CAMILLE.

Mais M. de Céran, avec votre fortune ?...

M. DE CÉRAN.

Aussi, mon enfant, ce n’est pas une affaire d’argent qui m’amène ici... je suis d’un autre quartier.

CAMILLE.

Ah ! oui... vous faites des brochutes, de la politique... quelle bêtise ! de mon temps vous étiez plus drôle !

Éclatant de rire.

Ah ! ah, ah ! c’est original tout de même, de les voir tous là rassemblés autour de moi ! heureusement, ce n’est pas ma faute, car si j’accepte des riches...

M. DE CÉRAN.

Vous ne refusez rien aux autres.

CAMILLE.

Et la preuve, c’est que je viens délivrer quelqu’un.

LUDOVIC.

Allons, encore !

M. DE CÉRAN.

J’en étais sûr !

Air de Téniers.

Ô mes amis, c’est un ange adorable
Qui vient ici consoler le malheur.

CAMILLE.

Un ange... eh, mais vous êtes bien aimable...
À mes vertus vous faites trop d’honneur !
N’en croyez rien... car, si j’étais un ange,
Qu’au monde, alors, les cieux enlèveraient,
Peut-être, moi, je gagnerais au change,
Mais, à coup sûr, les mortels y perdraient.

À Ludovic.

Eh vite, monsieur, préparez-vous à me suivre, à quitter si mauvaise compagnie... L’infâme ! moi qui le croyais dans le chagrin !

M. DE CÉRAN.

Vous allez nous l’enlever ?

LES JEUNES GENS.

Ludovic !

LUDOVIC.

Moi ! est-elle drôle ! faut de l’argent pour ça !

CAMILLE.

J’attends l’huissier pour compter avec lui.

LUDOVIC.

Allons donc, Frétillon... c’est impossible... ça ne se peut pas !

CAMILLE.

Comment, tu refuses ?

LUDOVIC.

Parole d’honneur, je ne fais pas le difficile ; mais il y a des circonstances...

CAMILLE.

Ah ! si tu m’aimes encore...

LUDOVIC.

Si je t’aime ! après un trait pareil... quand tu ne m’as pas abandonné... Oui, messieurs, Frétillon est mon ange gardien... tout à elle, tout pour elle ! Ah ! si je pouvais être couché sur le testament de mon oncle, si je pouvais faire ma paix avec le cousin Godureau qui est ici !

CAMILLE.

Vrai ! Godureau... il y est aussi ? en prison ! je le croyais trop bête pour ça !

LUDOVIC, bas à Camille.

Et cette pension que je recevais sous le nom de mon oncle... tu me trompais !

CAMILLE.

Silence !

LUDOVIC.

Ah ! Frétillon ! mais il ne vient pas me voir... il me fuit ! il a refusé mon invitation...

CAMILLE.

Godureau ! où est-il ?

LES JEUNES GENS, appelant.

Godureau ! Godureau !

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, GODUREAU

 

GODUREAU, paraissant à la porte de la dette.

Hein !... qui est-ce qui m’appelle ?

CAMILLE.

Comment... est-ce qu’on ne reconnaît pas ses amis ?...

GODUREAU.

Camille !...

Éclatant de rire.

Ah ! ah ! ah !... elle aussi, en prison pour dette !... c’est charmant !

CAMILLE.

Moi, en prison !... du tout !

Air du Piège.

Je fais mieux, j’accours parmi vous,
Toujours folle et toujours légère
Quand vous êtes sous les verrous.
Égayer ce lieu de misère !...
Prodiguant d’égales bontés,
Je viens consoler, en amie,
Les fidèles que j’ai quittés,
Les volages qui m’ont trahie.

LUDOVIC.

Ne parle plus de ça...

GODUREAU.

Vous me l’appelez que je suis un des premiers...

EDMOND.

Et moi aussi.

ANATOLE.

Et moi aussi.

CAMILLE.

Bah ! quand c’est tout le monde, ce n’est personne... d’ailleurs, la constance, vois-tu, c’est une autre Ste-Pélagie ; le plaisir, c’est la liberté... fais comme les autres...Est-ce que tu me garde rancune ?

GODUREAU, lui tendant la main.

Moi !... tu es trop bonne fille pour ça.

CAMILLE.

À la bonne heure !... c’est déjà quelque chose... mais, je demande mieux encore... c’est votre amitié pour votre cousin, ce bon Ludovic.

GODUREAU.

Laissez-moi donc tranquille.

LUDOVIC.

Il me garde rancune pour les coup de poing...

CAMILLE.

Ah ! ah !... vous lui donnerez la main, vous l’embrasserez, vous ferez sa paix avec l’oncle aux dinde truffées...

GODUREAU.

Jamais !

LUDOVIC, à Camille.

Tu vois bien...

CAMILLE.

Si fait, morbleu !... qu’est-ce que ça signifie ?... La haine doit-elle désunir encore ceux que le malheur a rapprochés, et que la prison rend égaux !... ce serait d’un mauvais cœur... d’un petit esprit, et le tien est trop beau...

À part.

Il faut le flatter...

Air de la Vieille.

Allons donc, un peu de courage.
Et soyez cousins aujourd’hui ;
Vous voilà tous les deux en cage,
Qu’il soit hou pour vous, vous pour lui.

LUDOVIC.

C’est bien dit... lorsqu’on est en cage
Devrait-on se bouder ainsi ?

TOUS, excepté Godureau.

Devrait-on se bouder ainsi ?...

CAMILLE.

Imite-moi... dans ces lieux, il me semble
Que mes ingrats se trouvent tous ensemble ;
Mais je bénis le sort qui nous rassemble,
Plus de rancun’... mets ta main sur mon cœur
Il ne bat plus que de bonheur !...

Elle leur tend la main.

M. DE CÉRAN.

C’est ça... paix générale.

LUDOVIC.

Je ne demande pas mieux !

GODUREAU.

Non, Camille non !

LUDOVIC.

Il ne veut pas... Eh bien, tant pis pour lui...

CAMILLE.

Allons, morbleu ? plus de grimace !
Tous deux approchez-vous d’ici,
Et sur-le-champ que l’on s’embrasse,
Car, c’est moi qui l’ordonne ainsi !

TOUS, excepte Godureau.

Oui, sur-le-champ, que l’on s’embrasse,
C’est elle qu’il ordonne ainsi !

GODUREAU.

Y pensez-vous ?

LUDOVIC.

Non, sa haine est trop grande !

CAMILLE.

Il a beau faire, il faudra qu’il se rende !
À la prier’ faut-il que je descende ?
Refuse-t-on quand Frétillon demande !

Bien tendrement.

Oui, je demande !

Parlé.

Allons, allons !

Elle prend la main de chacun d’eux.

LUDOVIC.

Godureau !

Godureau lui tend les bras, ils s’embrassent.

CAMILLE.

Je me retrouve ! allons, point de refus,
Et j’ai fait deux heureux de plus !

TOUS.

Embrassez-vous, allons, point de refus,
Elle a fait deux heureux de plus.

CAMILLE.

Bravos, nous voilà tous amis, tous cousins !

M. DE CÉRAN.

Vite à table !... et le verre à la main, pour cimenter la paix générale.

LUDOVIC.

Avec du Champagne.

GODUREAU.

Sous la présidence de Frétillon.

CAMILLE, effrayée.

Du Champagne, non, non !

M. DE CÉRAN.

En attendant votre huissier, laissez du moins à Ste-Pélagie, pour ceux qui restent, un air de fête et de gaîté.

CAMILLE.

Eh bien, je n’ai jamais refusé de faire une bonne action... au Champagne !

LES JEUNES GENS.

Au Champagne !

Ils entrent à droite et entraînent Camille.

CHŒUR de l’entrée.

C’est Frétillon ! (bis.)
Faisons lui fête,
Tenons-lui la tête,
C’est Frétillon ! (bis.)  
Le plaisir arrive en prison.

 

 

Scène V

 

JOSEPH, MARENGO, GODUREAU, M. LEGRAS, huissier

 

MARENGO.

Milzieux ! et on n’aimerait pas cette fille-là, la crème des femmes de son sexe !... elle rapproche les ennemis... elle embrasse tout le monde, elle boit du Champagne ! créature adorée va... Ah, si jamais... Dieu de Dieu !...

JOSEPH, entrant.

Qu’est-ce qui lui prend ? est-ce qu’il est fou ?...

MARENGO.

C’est qu’elle pense à tout, elle n’oublie personne, personne, excepté moi, le pauvre soldat.

GODUREAU, revenant avec une bouteille et un verre.

Marengo, Marengo.

JOSEPH.

Marengo, qu’est-ce que c’est que ça ?

MARENGO, s’avançant.

Présent !

GODUREAU.

Eh, mais, Dieu me pardonne, c’est l’uniforme de l’armoire... Ah, ça, ils se sont donc tous donné rendez-vous ici. Tenez, mon brave, tenez... voilà ce que Frétillon vous prie de boire à sa santé.

MARENGO.

Vrai, elle a aussi pensé à moi. Suffit.

TOUS, appelant du dehors.

Godureau, Godureau.

Godureau rentre.

MARENGO.

Au milieu des prisonniers, elle envoie la goutte à l’ancienne connaissance qui a celui de les garder.

S’essuyant les yeux. Il boit.

Obéissance passive.

JOSEPH.

Dites donc, M. Marengo... c’est un beau nom de baptême que vous avez là.

MARENGO.

N’est-ce pas ? Je suis un enfant de troupes... et les anciens m’ont appelé Marengo, parce que je suis venu au monde le jour de la bataille d’Austerlitz.

JOSEPH.

C’est fameux ça... Eh, voilà M. Legras l’huissier.

LEGRAS.

Moi-même, mon ami, moi-même, je viens pour une affaire... une affaire très pressée... une dame qui m’a donné rendez-vous pour la créance de M. Ludovic.

MARENGO.

C’est elle... toujours elle... du Champagne à l’un, des gros sous à l’autre... c’est une âme pétrie dans le bienfait, quoi.

LEGRAS.

Vous connaissez cette dame.

MARENGO, d’un ton sentimental.

Si je la connais, ô huissier ! voyez-vous, j’aimerais mieux toucher d’amour une personne favorable à l’humanité comme celle que vous allez voir, que toutes les pièces d’un franc cinquante qui dans le courant d’une année, peuvent vous glisser dans les doigts, ô huissier, que vous êtes... À votre santé.

Il boit.

LEGRAS.

Ah, ça, qu’est-ce qu’il me dit, ce monsieur ?

JOSEPH.

Venez, M. Legras, venez, je vas vous mener vers mademoiselle Camille, ou mademoiselle Frétillon. Les drôles de noms qu’ils ont, ces gens-là.

Ils s’acheminent du côté de la dette.

MARENGO.

Des noms respectables, entends-tu, pékin.

JOSEPH, se retournant.

Porte-clés.

Il sort.

MARENGO, seul.

Il y a quelque chose à dire sur Frétillon, je ne dis pas, mais, ça regarde ceux qu’elle aime. Dieu si c’était moi, ne fut-ce que pour vingt-quatre heures !... je suis jaloux, d’abord...

Air : Sans mentir.

Si jamais j’arrive en ligne,
Si j’suis heureux à mon tour,
Il faudra changer d’consigne,
Voilà mon ordre du jour.
Je veux qu’ell’ me soit fidèle,
Sinon... et quant au galant
Qui viendra rôder près d’elle...
Ce s’ra comme au régiment,
Rantan plan, (bis.)
Je l’mén’rai tambour battant.

On entend des éclats de rire à droite.

JOSEPH, rentrant.

Ah ! ah ! ah !

MARENGO.

Qu’est-ce qu’il y a ?

JOSEPH.

Il y a que c’est une bonne fille, tout de même ; ils se rappellent là-dedans des choses à mourir de rire... ou à pleurer comme une bête !... les tour qu’elle a joués aux uns... les services qu’elle a rendus aux autres, il y a un petit pâle qui raconte qu’étant pauvre et malade, Frétillon a vendu pour lui absolument tout, quoi ! Et là-dessus, ils remplissent son verre et elle le vide en riant, et elle a des yeux qui brillent comme des diamants, mais, qui sont petits... petits.

MARENGO, vidant son verre.

Femme céleste !

JOSEPH.

Quand M. Legras est entré... elle a jeté sur la table un gros portefeuille, en criant : c’est mon reste... et on lui a donné un verre pour le griser.

MARENGO.

L’huissier ?...

JOSEPH.

Et moi aussi... Tenez, entendez-vous ?...

CHŒUR  en dehors.

Air de Ramponneau.

Force Champagne
À Frétillon,
Que sa gaieté nous gagne ;
Force Champagne
À Frétillon,
Mes amis, faisons-lui raison.

FRÉTILLON, entrant suivi du chœur.

Non, laissez-moi, je le veux,
Au bruit d’ce vin joyeux,
Ma tête déménage.
Je vais quitter la prison,
Mais je crains qu’ma raison
Ne reste dans la cage.

CHŒUR.

Force Champagne, etc.

 

 

Scène VI

 

JOSEPH, MARENGO, CAMILLE, LUDOVIC, M. DE CÉRAN, ANATOLE, EDMOND, FRÉDÉRIC, FERDINANT, LEGRAS.

 

Ils entrent tous sur le chœur.

LUDOVIC, offrant un verre à Frétillon.

Encore un verre...

CAMILLE, à peu près grise.

Merci, merci ! assez, assez. Dieu que c’est amusant le vin de Champagne ! en prison, ça échauffe le cœur, la tête... Eh vite, Ludovic, puisque le Champagne t’a rendu raisonnable, partons !...

LUDOVIC, tout à fait gris.

Au fait, puisque tu y tiens... liberté ! c’est délicat ce que tu fais là, je crois que le grand air me fera du bien !

CAMILLE.

Et, pendant que j’y suis écoute, geôlier, mon amour.

JOSEPH.

Présent !

CAMILLE.

Je délivre des prisonniers.

S’interrompant.

C’est drôle, la prison tourne... Je paie pour tous !

LEGRAS.

Pour tous !

JOSEPH.

Vous avez donc le budget dans votre sac ?

LEGRAS.

Mais d’abord, pardon, je suis un honnête homme.

MARENGO, dans le fond.

Il est dedans, l’huissier.

CAMILLE.

Qu’est-ce que vous voulez encore, M. Legras ? les créanciers, qu’est-ce qu’ils veulent ?

Éclatant de rire.

Dieu que les huissiers sont laids ! c’est le seul corps que je n’aurais jamais pu souffrir !

LEGRAS.

Vous êtes bien bonne ; mais, mamzelle, ce n’est pas mon compte.

CAMILLE.

Comment, Ludovic n’est pas libre ! il vous manque...

LEGRAS.

Quinze cents francs, dont neuf cents pour les frais.

CAMILLE.

Les frais ! et le portefeuille est vide !

Donnant sa chaine, ses bracelets, etc.

mais voilà de l’or, des bijoux ; vous êtes payé.

LEGRAS.

Permettez...

CAMILLE.

Encore ! Ah ! tiens...

Lui jetant son châle.

pur cachemire, mon cher... mais rien de plus... Dam ! la plus belle fille du monde ne peut donner...Quant à toi, Anatole à toi, Ferdinand... à demain, je suis riche, et il ne sera pas dit que je ferai tort de ce que je possède à de pauvres diables qui m’ont aimée ; comptez sur moi, tant que je pourrai payer des rançons, j’en payerai... Quant à vous, M. de Céran, demain vous sortirez d’ici, je verrai les autorités, je les attendrirai, ou j’y perdrai mon nom de Frétillon !

Air du Cabaret.

Ainsi, comme une enchanteresse,
Chassant le malheur de ces lieux,
Sous ces tristes verrous, je laisse
L’espérance... faute de mieux !
Comme ce Champagne efficace,
Qui pour nous, vient tout embellir,
Je veux que partout où je passe
Il ne reste que du plaisir.

Adieu, adieu, partons.

Ils vont pour sortir.

JOSEPH, se plaçant entre eux. À Camille.

Vous, à la bonne heure ; mais, monsieur, ça ne se peut pas.

LUDOVIC.

Comment, ça ne se peut pas.

JOSEPH.

Il faut qu’on lève son écrou.

LEGRAS.

Et pour cela, il faut que la somme soit liquide.

LUDOVIC.

Qu’est-ce qu’il parle de liquide... est-ce qu’il n’en a pas assez, l’huissier ?

JOSEPH.

Faut qu’il reste.

CAMILLE, passant à Ludovic.

Et moi, je vous dis que Ludovic ne restera pas ici... mon Ludovic !

On entend un roulement de tambour.

M. DE CÉRAN.

Entendez-vous ? les portes vont être fermées ; je retourne à la politique.

LUDOVIC.

Et moi, je reste à la dette.

CAMILLE.

Pauvre garçon ! encore une nuit ! ça doit être triste une nuit en prison ; mais elle ne sera pas mauvaise, je l’espère ; vous rêverez à moi. Allons, à demain, à demain !

Air du Philtre. (Premier acte du paysan amoureux.)

Adieu donc, loin de vous
Je pars, mais bientôt, je l’espère,
À ma table vous serez tous ;
Je vous y donne rendez-vous.

CHŒUR.

Adieu donc, loin de nous
Elle part, mais bientôt je l’espère,
À sa table nous serons tous ;
Et nous y prenons rendez vous.

Ils vont tous pour rentrer à droite et à gauche et laissent la scène libre.

MARENGO, la prenant à part, dans le fond.

Mam’zell’ Frétillon...

CAMILLE.

Quel mystère.

MARENGO.

Le froid pince, il fait mauvais temps.

CAMILLE, montrant la capote suspendue à la guérite.

Eh bien, ta capote, et j’espère,
Te la rendre à toi, viens aussi, viens demain, je t’attends.

Marengo place la capote sur les épaules de Camille.

TOUS, parlé.

À demain !

CHŒUR et CAMILLE.

Adieu donc, etc.

 

 

ACTE V

 

Le théâtre représente un petit boudoir très simple. Dans le fond, une cheminée, et devant, un guéridon et deux couverts. À gauche, l’entrée du dehors ; à droite, porte qui mène à l’appartement.

 

 

Scène première

 

CAMILLE, seule

 

Elle entre par la gauche, et parlant à la cantonade.

Eh ! mon Dieu !... je vous abandonne l’appartement. Prenez, saisissez tout, puisque je ne puis plus payer... Je ne garde que ce petit boudoir et ce couvert !...

Montrant le couvert.

pour mon Ludovic et pour moi !... Eh mais j’y pense, et tous ces messieurs que j’avais invités pour aujourd’hui !... à une grande table ; ma foi, tant pis... bien fâchée, messieurs, il n’y a place que pour un.

 

 

Scène II

 

CAMILLE, AUGUSTA

 

AUGUSTA.

Eh bien, personne pour annoncer, pas un domestique.

CAMILLE, gaiement.

Comme tu vois ; ils sont tous partis... avec la fortune, et ils reviendront avec elle, quand je descendrai de ma mansarde, où je vais remonter, comme autrefois, tu sais ; m’y revoilà !

AUGUSTA.

Ah ! mon dieu ! que me dis-tu là ? Qu’est-ce que cela signifie, ma chère ?

CAMILLE.

Cela signifie, ma chère, que j’avais de l’or, de l’argent, des billets qui m’étaient venus, Dieu sait comme, et qui s’en allaient de même, je prenais toujours sans compter ; si bien qu’à mon retour de Ste-Pélagie, je me suis aperçue que j’étais au bout de mon rouleau... mon propriétaire s’est rappelé que je lui devais cinq termes, seulement ; il a mis les huissiers partout... et moi, je me suis réfugiée ici, dans ce boudoir, en attendant.

Air : Restez, restez, troupe jolie.

Ce soir, pour le cinquième étage,
D’ici, je prendrai mon congé !
C’est ainsi, déjà, sans bagage,
Que, trois fois j’ai déménagé ;
Du haut en bas j’ai voyagé.
À prendre un parti je suis prompte,
Sans oublier, depuis cinq ans,
Ni ma gaieté, quand je remonte.
Ni mes amis, quand je descends !

AUGUSTA.

Comment tu as tout mangé ?

CAMILLE.

Mieux que ça... j’ai tout donné.

AUGUSTA.

Alors, je vois à ta nouvelle fortune, que ce qu’on m’a dit pourrait bien être vrai.

CAMILLE.

Qui ?... qu’est-ce qu’on t’a dis ?

AUGUSTA.

Oh !... quelque chose d’inconcevable... ton mariage.

CAMILLE, riant.

Mon mariage !...

AUGUSTA.

Et moi, qui venais t’en détourner, te conseiller de n’en rien faire... un mauvais parti, ma chère...

CAMILLE.

Un mauvais parti... mais qui donc ?

AUGUSTA.

Eh ! tu le sais bien... ton Ludovic... puisqu’il l’a dit... c’est avec toi assurément... il l’a annoncé à Lolotte !... cette pauvre fille elle s’est trouvée mal !

CAMILLE.

Mon mariage ! Ludovic !... as-tu perdu la tête ! je n’y ai jamais pensé !

AUGUSTA.

Eh bien il ! y a pensé, lui !

CAMILLE.

Pas possible !... c’est une surprise qu’il me ménage... une bêtise !... c’est d’un bon cœur... ce cher Ludovic !... hier en sortant de prison, il m’a bien juré qu’il n’aimerait que moi, et que jamais une autre... ah, ah, ah ! ce serait drôle, n’est ce pas ? mon mariage !... Il me semble due je me vois déjà passer avec un voile, et de la fleur d’orange ! Tu n’as jamais pensé au mariage, toi ?

AUGUSTA.

Si fait, quelquefois, souvent même, mais avec quelqu’un de riche, de cossu... un fils de pair de France... un général ou un danseur. Mais un jeune homme comme ton Ludovic, fi donc !

CAMILLE.

Bah ! il fera son chemin.

Riant.

Et si j’étais sa femme...

AUGUSTA.

Oh ! sa femme !... Lolotte y mettrait bon ordre.

CAMILLE.

Lolotte, comment ça ?

AUGUSTA.

Certainement... elle a une lettre de change de mille francs... Elle a juré par tout l’Olympe de l’Opéra, qu’elle poursuivrait son infidèle !...

CAMILLE.

Ah mon Dieu !... encore... pauvre garçon !... mais.il n’en sera rien... Ah ! ma chère !... je t’en prie... vois cette Lolotte... en ta qualité de diplomate, arrange cette affaire-là... paie et que tout soit fini !

AUGUSTA.

Désolée !... je n’ai pas d’argent !... tu ne sais pas, mon vieux général est mort !... et il ne m’a rien laissé, le traître !

CAMILLE, mystérieusement, tirant un billet de son sein.

Tiens !... tiens !... c’est mon dernier... je l’avais sauvé pour lui... qu’il serve à cela.

AUGUSTA.

Mais, pense donc...

CAMILLE.

Non... non... je ne veux penser à rien... ce n’est pas dans mes habitudes... c’est mon ami !... mon amant !... mon mari !...

Riant.

mon mari !... la drôle d’idée. Oh ! jamais !...

AUGUSTA.

Qu’est-ce que j’entends là !

CAMILLE.

Chut !... c’est mon propriétaire, peut-être... avec ses huissiers, ses estafiers, que sais-je !... va vite, va... par ici... je t’attends...

AUGUSTA.

Dam !... tant pis pour toi... ça te regarde...

Camille la fait sortir par la droite, pendant le chœur suivant.

 

 

Scène III

 

M. DE CÉRAN, CAMILLE, GODUREAU, FRÉDÉRIC, ANATOLE, EDMOND, ANATOLE

 

CHŒUR.

Chez Frétillon, (bis.)
Le plaisir fidèle
M’appelle.
C’est Frétillon
Qui gaiement paya ma rançon !

CAMILLE.

Eh non ! je ne me trompe pas... ce sont tous ces messieurs que j’avais invités à dîner.

M. DE CÉRAN.

Et, comme vous voyez, nous sommes exacts... ce sont des heureux qui viennent vous remercier de votre visite.

GODUREAU.

Et vous la rendre... Eh bien ! eh bien !... et le couvert... où est-il donc ?

CAMILLE.

Le voilà !...

M. DE CÉRAN.

Bah ! il n’y a place que pour deux... et moi !...

GODUREAU.

Et moi ?

TOUS.

Et moi ?

CAMILLE.

Bien fâchée... le couvert est pour quelqu’un qui tarde bien avenir... ce cher Ludovic !

GODUREAU, riant.

Et ce mariage !... Ludovic ?...

CAMILLE.

Vous savez... Silence ! entre nous, c’est à la vie et la mort !

GODUREAU, étonné.

Bah !

M. DE CÉRAN, aux jeunes gens.

Et, Ludovic !... est-ce que n’est pas lui qui s’est disputé hier pour elle avec ce soldat...

FRÉDÉRIC.

Et qui a dû se battre ce matin ?

CAMILLE.

Il s’est battu !... et comment ?... pourquoi ?... Dieu ! Ludovic !

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, LUDOVIC

 

LUDOVIC.

Air Anglais. (Camilla.)

Tra, la, la, la, la,
amarades.
Tra, la, la, la, la.
Encore un coup je viens grossir
Vos joyeuses brigades !
Je viens faire, pour en finir,
Mes adieux au plaisir !
Tra, la, la, la, la.

CAMILLE.

Tu n’as pas été blessé ?

LUDOVIC.

Blessé ?... Moi !... Ah ! par exemple !... et comment ça, donc ?

CAMILLE.

Mais... en te battant.

LUDOVIC.

Me battre !... pas si bête !...

Tra, la, la, la, la.
Je n’aime pas la guerre,
Tra, la, la, la, la, etc.

M. DE CÉRAN.

Comment, ce n’est pas vous qui vous êtes battu, ce matin... avec ce soldat...

LUDOVIC.

Ah ! oui... ce soldat, un camarade de Mareneo qui attaquait la vertu de Frétillon...

Riant.

Ah, ah !... il paraît qu’il t’a reconnue... en sortant de Sainte-Pélagie... Je lui ai dit que c’était un manant, il m’a répondu que j’étais un imbécile... j’ai passé mon chemin, nous sommes quittes.

CAMILLE.

Je te reconnais là...

GODUREAU.

C’est singulier ! mais on s’est disputé... on s’est battu...

LUDOVIC.

Ce n’est pas moi, ma parole d’honneur !... quelle bêtise ! pour la vertu de Frétillon... elle ne le souffrirait pas... elle est trop bonne fille pour ça... Frétillon ne veut que mon bonheur.

CAMILLE.

Certainement !

LUDOVIC.

Elle me l’a dit cent fois... Aussi, je viens lui en apprendre un... et un fameux !... à vous aussi... parce que vous êtes ses amis... et que les amis des amis.

GODUREAU, riant.

Sont nos amis...

LUDOVIC, à Camille.

Tu ris... est-ce que tu te douterais...

CAMILLE.

Peut être... tu es un bon enfant !

TOUS.

Qu’est-ce donc ?... qu’est-ce donc ?

CAMILLE.

Allons, n’en parlons pas... c’est bête !...

LUDOVIC.

Bah ! tu sais... et ça t’arrange ! tant mieux.

CAMILLE, lui prenant ta main.

On peut bien s’aimer sans cela !...

Souriant.

Oh ! tu as de drôles d’idées.

LUDOVIC.

Oh ! ridée n’est pas de moi... elle est de mon oncle... car me voilà rentré en grâce auprès de lui... et il ne veut plus voir mon cousin... chacun son tour...

À Godureau.

Mais je ferai ta paix avec lui, sois tranquille... si bien donc que mon oncle me marie.

TOUS.

Pas possible !

CAMILLE

Quoi !... c’est ton oncle...

LUDOVIC.

Lui même. D’abord, il paiera mes dettes... il me l’a promis.

Pressant la main de Camille, et bas.

Il les paiera toutes... c’est sacré...

Haut.

et puis ce respectable oncle m’offre une petite femme qui est rousse... ça m’est égal... j’ai la vue basse

À Godureau.

mademoiselle Joséphine, tu sais...

CAMILLE, émue.

Ah ! mademoiselle... et tu acceptes ?

LUDOVIC.

Tiens, si j’accepte... cent mille francs, dans dix-huit mois... et des espérances, comptant... d’abord, ça ne pouvait pas durer comme ça il faut faire une fin, c’est ce que tu m’as toujours souhaité... et puis, j’ai vu ma future, elle est gentille... je l’aime déjà.

CAMILLE.

Comment, tu...

À part.

Encore un ingrat !

LUDOVIC.

Hein !... ça te fait plaisir... n’est-ce pas... aussi, je n’ai pas voulu passer sans t’en faire part... et aux amis que j’invite à la noce !... la boutique de l’oncle y passera !...

Chantant.

Tra, la, la, les liqueurs et les dindes truffées... tra, la, la...

À Camille.

Par exemple !... toi, tu ne peux pas en être... parce que, tu conçois... la morale... mais je t’enverrai quelque chose en cadeau...

CAMILLE.

À moi !...

À part.

Oh !...

LUDOVIC.

Mais adieu... adieu !... car, moi, je parle de mon mariage... mais il y a un diable de billet à ordre en circulation... on me menace de me poursuivre... une certaine personne...

CAMILLE.

Oui, mademoiselle Lolotte...

LUDOVIC.

Chut... Oh ! ce n’est pas la somme, mais j’en devrais trente fois autant, je n’en serais pas plus vexé... Si la famille de Joséphine savait que j’ai fait des billets aux danseuses !... va te promener la dit et le mariage !... Ah !... c’est qu’elle a des principes, la belle-mère... je vais tâcher de rattraper mon billet. Adieu les amis... adieu, Frétillon... à revoir... Tra, la, la, la, je me marie !...

TOUS.

Adieu, adieu !...

LUDOVIC, s’éloignant.

Tra, la, la, la.

On cesse de l’entendre peu à peu.

 

 

Scène V

 

LES MÊMES, hors LUDOVIC

 

CAMILLE, à part, avec émotion.

Me quitter ainsi !... moi qui l’aimais tant !... Oh ! les homme !... les homme ! je crois que je vais les haïr...

GODUREAU, revenant à gauche.

Hein !... qu’est-ce que nous avons ?...

CAMILLE, essuyant une larme.

Rien, rien...

M. DE CÉRAN, revenant à droite.

Bah ! Frétillon... est-ce que tu le regretterais ?

CAMILLE.

Ah ! bien oui !...

À part.

Mais ce billet qu’il redoute, je vais l’avoir, et nous verrons.

GODUREAU.

Ah ça !... le couvert du cousin me revient de droit.

TOUS.

Non !... c’est à moi !...

GODUREAU, s’approchant de Camille.

C’est à moi, n’est-ce pas ?...

M. DE CÉRAN, même jeu.

C’est à moi !

CAMILLE.

Eh ! que m’importe ! à qui le voudra !...

GODUREAU.

Ma fois, à moins de le tirer au sort...

M. DE CÉRAN.

C’est ça !... c’est ça !... une loterie !...

TOUS.

Bravo !... une loterie !...

GODUREAU.

Oh !... nous allons rire...

CAMILLE.

Hein que dites-vous ?

Air du premier prix.

Ici, quoi ! mettre en loterie,
Mon souper.

TOUS.

Oui, oui ; c’est charmant !

CAMILLE.

Mais c’est une plaisanterie...
Vous n’en ferez rien...

TOUS.

Si vraiment.

CAMILLE.

Si dans le monde, l’aventure
Allait avoir quelque échos ?...

GODUREAU.

Oh, dans ce cas, vous seriez sûre
De placer tous les numéros.

CAMILLE.

Mais vous êtes fous !... je ne veux pas !...

M. CE CÉRAN.

Si fait, c’est convenu !

GODUREAU.

Il faut écrire nos noms.

M. DE CÉRAN.

Et le premier qui sourira...

TOUS.

De l’encre... du papier...

M DE CÉRAN, montrant la porte à droite.

Là ! là !... messieurs...

Ils sortent.

CAMILLE.

Mais, messieurs, je ne veux pas !

Godureau lui envoie un baiser.

 

 

Scène VI

 

CAMILLE, AUGUSTA

 

AUGUSTA, entrant.

Me voilà, ma chère, me voilà !

CAMILLE.

Ah ! c’est toi !

AUGUSTA.

J’ai vu Lolotte.

CAMILLE.

Et le billet ?

AUGUSTA.

Elle n’y a pas tenu... Tiens, le voici !

CAMILLE, le prenant.

Donne... Ah ! nous verrons maintenant !... qu’il vienne le chercher.

AUGUSTA.

À propos, tu n’as pas vu Marengo ?

CAMILLE.

Marengo !...

AUGUSTA.

Quand je suis sortie, je l’ai vu qui causait avec ton propriétaire, tes huissiers, et en revenant je ne l’ai plus trouvé... je le croyais ici.

 

 

Scène VII

 

AUGUSTA, MARENGO, CAMILLE

 

MARENGO, arrivé entr’elles.

Pardon, excuse.

AUGUSTA.

C’est lui !

CAMILLE.

Marengo !...

MARENGO.

Vous m’avez invité, mamzelle... et, pour manquer à l’appel, il faudrait que je fusse été mort, et je n’eu ai pas été bien loin.

AUGUSTA.

Comment ma chère ! est-ce qu’il l’aime toujours depuis le temps ?

CAMILLE.

S’il m’aime... Qui ?

MARENGO, à Augusta.

Chut !... taisez-vous donc mamzelle.

AUGUSTA.

Pas possible... elle n’en a jamais rien su... le pauvre garçon !

CAMILLE.

Mais parle donc... qui est-ce qui m’aime ?...

AUGUSTA.

Mais, lui... Marengo.

CAMILLE.

Marengo !...

MARENGO, s’en allant.

Bonsoir !... je m en vas.

CAMILLE, le retenant vivement.

Non, non, restez.

Lentement.

Il m’aimait ; c’est une plaisanterie.

AUGUSTA.

Eh, non... c’est parce que tu en aimais un autre, qu’il s’est refait soldat, et pourtant, il y avait une personne qui aurait eu un faible pour lui, il n’en a rien su.

MARENGO.

Si fait, mamzelle, mais ce n’était pas Frétillon...

CAMILLE.

Quoi ! Marengo, est-il bien vrai ?

MARENGO.

Je ne vous l’aurais jamais dit, je n’aurais jamais osé, quoique, ce matin, je ne vienne pas ù autre intention... mais, puisque la petite a bavardé. Eh bien ! oui, mamzelle, oui ; il y a six ans que ça me tient là. Dam ! le fantassin y est exposé tout tomme les autres... c’était pour vous revoir que j’avais quitté le service, c’est pour ne pas voir le bonheur des autres que je l’ai repris... toujours fidèle, toujours en ligne, et en attendant mon tour qui n’a pas voulu venir... j’ai été bien malheureux !

CAMILLE.

Pauvre garçon, il m’aimait plus que les autres, et c’est le seul qui ne m’ait rien demandé.

MARENGO.

Aussi !... Mais, c’est égal... ça ne fait qu’augmenter la fièvre que j’ai là dans le cœur ; si bien, qu’hier soir, quand on m’a dit qu’il m’était arrivé...

AUGUSTA.

Hein !

MARENGO, se reprenant.

C’est-à-dire, rien... Pour vous, mamzelle, je me jetterais au feu, je me ferais tuer.

CAMILLE, lui saisissant le bras.

Mon ami !

MARENGO, poussant un cri.

Ah !

AUGUSTA.

Il se trouve mal !

CAMILLE.

Marengo ! qu’est-ce donc ? qu’avez-vous ? cette pilleur...

MARENGO, s’asseyant.

Rien... rien... c’est un coup de sabre... qui est encore tout frais. C’est de ce matin.

CAMILLE.

Un coup de sabre ! Vous vous êtes battu !...

MARENGO.

Oui, mamzelle...

CAMILLE.

Avec un soldat ?

MARENGO.

Oui, mamzelle...

CAMILLE.

Qui m’a insultée, devant Ludovic...

MARENGO.

Comment, vous savez ?

CAMILLE.

Oui, tout ! et c’est vous qui m’avez vengée !

AUGUSTA.

Il se pourrait !

MARENGO.

Et pourquoi pas ! est-ce que vous croyez que je laisserai insulter comme ça une femme que j’aime.

Se levant vivement.

Sacré non !... pardon du mot.

CAMILLE.

Il n’y a pas de mal.

MARENGO.

Et puis, je voulais être tué... j’avais du chagrin ! j’avais appris un malheur !

CAMILLE.

Et, lequel ?

MARENGO.

Ce sera un bonheur peut-être... si bien qu’il m’a donné un coup de sabre... je lui en ai donné deux à votre intention... Maintenant il vous respectera, soyez tranquille... et tant que je vivrai... je ne souffrirai pas qu’on dise, sur votre compte, un mot, un seul qui ne soit pas catholique.

CAMILLE.

Oh ! mon pauvre Marengo !

Air : pour le chercher je passe en Allemagne.

Comment jamais pourrai-je reconnaître
Tant de bonté, d’amour, de dévouement.
Ah, ce matin, je m’ s’rais fait tuer, peut-être...
Mais j’s suis heureux d’n’êtr’ pas mort, à présent.
Si vous m’aimiez un peu.

FRÉTILLON.

C’est impossible.

MARENGO.

Là, rien qu’un peu.

FRÉTILLON.

Je ne puis, car enfin,
Aimer un peu, voyez vous, c’est terrible,
Je ne sais pas m ‘arrêter en chemin.

MARENGO.

Eh bien, beaucoup ! oui, mamzelle... c’est ce que j’attendais pour vous apprendre

 

 

 

Scène VIII

 

AUGUSTA, MARENGO, CAMILLE, GODUREAU

 

GODUREAU, mystérieusement.

Me voilà ! me voilà ! chut, silence, les autres sont de l’autre côté à dire des folles... et pendant ce temps-là, Frétillon, je viens te conter une idée boufonne qui m’est venue... tu sais, j’ai toujours eu des idées...

CAMILLE.

Quelle idée ?

GODUREAU.

On fait une loterie... ils ont écrit leurs noms, mais c’est moi que tu aimes, n’est-ce pas ? c’est moi que tu préfères, j’en suis sûr... et tu as raison... parce que moi, vois-tu, jeté radore.

À Augusta.

Je la radore... ! eh, eh, eh ! alors, voilà mon projet... c’est d’écarter les billets qu’ils vont t’apporter, et d’en mettre à la place, d’autres, sur lesquels il n’y aura qu’un nom, le miens !

AUGUSTA.

Comme c’est ingénieux !

CAMILLE.

Fameux, hein, eh, eh, eh, eh.

GODUREAU.

Excellente idée... donnez ce papier, je vais écrire votre nom.

AUGUSTA.

Comment, tu consens !...

MARENGO.

Elle consent !...

AUGUSTA.

Le marchand de commestibles !

MARENGO.

Encore ! ah ! à présent, je suis fâché de ne pas avoir été tué.

GODUREAU, épiant l’arrivée des jeunes gens.

Écrivez, Godureau, Godureau, sept fois Godureau, et je serai heureux... tu m’aimes...

AUGUSTA.

Est-ce qu’elle aurait encore un faible pour les dindons ?

GODUREAU.

Voilà les autres !

 

 

Scène IX

 

LES MÊMES, M. DE CÉRAN, LUDOVIC, FRÉDÉRIC, LES JEUNES GENS

 

TOUS, entrant.

Voilà les billets !...

AUGUSTA, voyant Ludovic qui entre par ta gauche en chantant.

Tiens, Ludovic aussi...

CAMILLE.

Ludovic !

M. DE CÉRAN.

Il en sera !

LUDOVIC.

Comment, j’en serai, et de quoi ?

CAMILLE.

Du tout M. Ludovic se marie, et ; il est trop honnête homme pour manquer à ses serments.

LUDOVIC.

Comme tu dis cela... quand j’accours te remercier de ce que tu viens de faire pour moi.

Aux autres.

Vous savez bien, cet obstacle à mon mariage... ce maudit billet qui pouvait tout perdre.

TOUS, l’entourant.

Eh bien ?

LUDOVIC.

Elle l’a retiré pour m’empêcher d’être poursuivi.

CAMILLE, sévèrement.

Et qui vous dit, monsieur, qu’on ne veuille pas vous poursuivre ?

LUDOVIC, déconcerté.

Ah !

CAMILLE.

Allons, vos billets...

M. DE CÉRAN.

Oui, vos billets.

CAMILLE.

Donnez-les tous.

Passant à Marengo.

Et le vôtre ?

MARENGO, bas.

Je ne mets pas à la loterie.

LUDOVIC, remontant aux jeunes gens.

Qu’est-ce que c’est ? une loterie ?

CAMILLE, bas à Godureau en lui remettant les billets qu’on vient de lui donner.

Faites-les disparaître... avalez-les.

GODUREAU.

Encore une idée, et c’est la plus drôle !

M. DE CÉRAN.

Un chapeau !

MARENGO, se levant.

Je m’en vas.

CAMILLE, retenant Marengo.

Le schako du soldat.

GODUREAU.

C’est ça ! secouez bien les billets !

M. DE CÉRAN.

Qui est-ce qui va tirer !

GODUREAU, la bouche pleine.

Le plus innocent de la compagnie... la danseuse.

M. DE CÉRAN.

Mademoiselle Augusta !

AUGUSTA.

Méchant.

CAMILLE.

Non, non, une personne qui n’y ait aucun intérêt... M. Ludovic.

TOUS.

Ah ! oui... Ludovic... Ludovic !...

LUDOVIC.

Tirer un billet... très volontiers !...

À part.

si c’était mon billet.

MARENGO, à part.

Quelle indignité ! l’épreuve m’a joliment réussi !

LUDOVIC, tirant un billet.

Voilà !

TOUS.

Voyons !...

CAMILLE.

Un instant ! Et d’abord... il faut faire disparaître ces autres bulletins...

À Godureau, bas.

Avalez-les...

GODUREAU, à Camille.

Merci, j’en ai assez... les autres sont encore là.

Haut.

Je les brûle !

AUGUSTA, passant et prenant le billet.

Silence !... je vais l’ouvrir...

Elle le déroule et lit.

« Marengo !... »

TOUS.

Marengo !

LUDOVIC.

Bah !... mon remplaçant ?...

MARENGO.

Hein ! j’ai gagné... mais je n’avais pas...

CAMILLE, passant vivement à Marengo.

Comment est-ce que vous refusez votre lot ?

GODUREAU, qui a couru à la droite de Marengo.

Voulez-vous vendre votre billet ?

MARENGO.

Moi, mille-z-yeux !... on ne me l’arrachera qu’avec la vie... si mademoiselle Frétillon ne passe pas la loterie.

CAMILLE, se jetant dans ses bras.

Moi ! bien au contraire... je n’aurais pas mieux fait... car, de tous ceux qui sont ici, personne n’a plus d’amour et n’en mérite plus que M. Marengo.

GODUREAU, à part.

Je suis sûr qu’elle n’avait mis que des Marengo au lieu des Godureau dans le schako...

Haut.

Et moi qui ai eu la bêtise de brûler les autres billets...

CAMILLE.

il n’y en a plus qu’un seul... un seul !... et le voici ?...

Air : d’Aristippe.

Tenez monsieur, pouvez vous reconnaître
Ce billet-là ?

LUDOVIC.

Que vois-je !... c’est le mien...

CAMILLE.

Et je devrais vous poursuivre peut-être...

Mouvement de résignation de Ludovic.

Rassurez-vous, car il n’en sera rien. (bis.)

Elle lui présente le billet ; il le refuse du geste.

Mes mains, pour vous, de bienfaits étaient pleines ;
Jamais, monsieur... on le sait trop ici...
Je ne fus pour rien dans vos peines...

Déchirant le billet.

Je ne veux pas commencer aujourd’hui.

LUDOVIC.

Ah ! c’en est trop !... il en arrivera ce qui pourra !... je te reviens à toi... à toi seul !... et puisqu’il faut te le dire, je n’épousais l’autre que pour sa fortune ; eh bien, toi, ce sera pour ton amour, ta bonté.

CAMILLE, souriant.

Un mariage !... merci... c’est bien à toi... le fonds est toujours bon... ça me fait plaisir... mais moi, vois-tu, amour et liberté ! c’est ma devise... va, sois heureux à ta manière, comme moi, à la mienne.

Tendant la main à Marengo.

Et maintenant, je remonterai gaiement à mon cinquième.

MARENGO.

Non, morbleu ! vous êtes une brave fille... vous avez préféré le simple troupier... c’est ce que je voulais ; eh bien ! vous êtes ici chez vous... Grâce à mon pauvre général, qui est parti, j’ai tout racheté pour toi.

GODUREAU.

Oh ! il la tutoie !

MARENGO, lui donnant le bras.

Et maintenant, le bonheur, l’amour, les écus... ça durera.

CAMILLE.

Tant que ça pourra !

LUDOVIC.

C’est dommage !

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