Les Fiancés de loches (Georges FEYDEAU - Maurice DESVALLIÈRES)

Vaudeville en trois actes.

Représenté pour la première fois, sur la scène du théâtre Cluny, le 27 septembre 1888.

 

Personnages

 

GÉVAUDAN

SAINT-GALMIER

ALFRED

SÉRAPHIN

PLUCHEUX

MICHETTE

LAURE

RACHEL

LÉONIE

UNE NÉGRESSE

UN GROOM

UN DOMESTIQUE BOITEUX

PREMIER DOMESTIQUE

LE MÉLODISTE

DEUXIÈME DOMESTIQUE

UN GARDIEN

TROISIÈME DOMESTIQUE

UN GARDIEN

DOMESTIQUES

 

Les indications sont prises de la gauche du spectateur.

 

 

ACTE I

 

Au bureau de placement.

Porte vitrée au fond, s’ouvrant intérieurement et donnant sur l’escalier. Sur le côté extérieur de la porte, une plaque avec ces mots : « Essuyez vos pieds, S.V.P. ». À droite de la porte, accrochés au mur, un petit lavabo et un essuie-mains. À droite, premier plan, un cartonnier surmonté d’une grande glace d’appartement. Sur le cartonnier, une statuette en plâtre d’une Vénus quelconque. À droite, deuxième plan, une porte donnant dans les appartements de l’Agent. À gauche, deuxième plan, autre porte donnant sur la caisse. À gauche, premier plan, un secrétaire, sur le secrétaire un petit Hercule en plâtre. Çà et là, sur les murs, des écriteaux où sont exposées les demandes d’emploi. Sur le devant de la scène, à gauche, un large poêle ; chaises à droite et à gauche du poêle ; chaises dans le fond. À droite, sur le devant de la scène et placé de profil, le bureau de travail de l’Agent. Un fauteuil à droite de la table.

 

 

Scène première

 

SÉRAPHIN, UNE NOURICE NÉGRESSE, UN GROOM, PREMIER DOMESTIQUE, LE DOMESTIQUE BOITEUX, DEUXIÈME DOMESTIQUE, TROISIÈME DOMESTIQUE, PLUSIEURS DOMESTIQUES, dans le fond

 

PREMIER DOMESTIQUE, insistant auprès de Séraphin qui est assis à droite à son bureau et écrit.

Alors, je peux y compter ?

SÉRAPHIN.

Oui.

Lui indiquant la caisse.

Allez déposer vos quatre francs pour les droits d’inscription.

Appelant.

Le suivant !

LE DOMESTIQUE, revenant.

N’oubliez pas de mettre sur l’enveloppe « Monsieur... monsieur Marie... parce que ma sœur aussi s’appelle Marie »...

SÉRAPHIN, impatienté.

Eh ! allez donc !

LE DOMESTIQUE, remonte un peu, puis redescend.

Et alors, c’est à « monsieur » qu’on nous reconnaît.

TOUS LES DOMESTIQUES, protestant.

Ah ! c’est assommant à la fin !...

Le premier domestique entre à gauche, deuxième plan.

SÉRAPHIN, aux domestiques, appelant.

Allons ! le suivant ! le 6 !...

LA NÉGRESSE et LE GROOM, s’avançant, leurs numéros à la main.

Moi ! moi !

SÉRAPHIN.

Comment, il y a deux six !

Prenant le numéro de la négresse.

Eh ! vous avez 9, vous !

LA NÉGRESSE.

Pourquoi moi plutôt 9 que li ?...

SÉRAPHIN, lui montrant son numéro.

Pa que point en bas.

À part.

Allons bon, elle me fait parler nègre.

LA NÉGRESSE, retournant à sa place.

Ah ! moi avais mis point en l’air !

SÉRAPHIN.

Ah ! quel métier que celui d’employé dans un bureau de placement !

Au groom.

Allons ! qu’est-ce que vous voulez ?

LE GROOM, très déluré.

Je voudrais une cocotte...

SÉRAPHIN, scandalisé.

Eh ! ce n’est pas ici, mon garçon !

LE GROOM.

Comment ! vous ne placez pas chez des cocottes !

SÉRAPHIN.

Ah ?... Oh ! nous n’avons pas de préférence, mais pourquoi tenez-vous à une cocotte ?

LE GROOM.

Aujourd’hui on n’arrive plus que par les femmes.

SÉRAPHIN.

C’est bien, donnez-moi vos certificats... Je vous chercherai ça !...

LE GROOM, lui donnant ses certificats.

Mais vous savez ! pas de blague ! prenez des renseignements !

SÉRAPHIN.

Oui. Allez !

Il lui indique la caisse. Appelant.

n° 7 !

LE DOMESTIQUE BOITEUX, descendant du fond, il a des béquilles et avance avec peine.

Voilà !... je voudrais trouver une place de chasseur.

SÉRAPHIN.

Dans votre état !... vous ne serez pas un chasseur diligent.

LE DOMESTIQUE BOITEUX.

Oui, mais mon médecin m’a recommandé l’exercice... si vous pouviez me placer chez un masseur.

SÉRAPHIN.

Chez un masseur ?

LE DOMESTIQUE BOITEUX.

Oui... Ça m’est aussi recommandé par mon médecin.

SÉRAPHIN, pendant que le domestique lui remet ses papiers.

Diable ! ce ne sera pas commode !... un chasseur sur pilotis... Passez à la caisse !

Appelant.

n° 8 !

Silence.

Eh bien, le n° 8 !

DEUXIÈME DOMESTIQUE.

Il est sorti un instant.

SÉRAPHIN.

Eh bien ! le 9 alors ! À la négresse !

LA NÉGRESSE, qui est en train de se poudrer la figure avec de la poudre noire.

Ah ! pardon !

SÉRAPHIN.

Ah ! la coquette ! Elle se poudre ?

À la négresse qui lui présente son numéro.

Tiens ! c’est vrai ! c’est un 6 ! Mais alors, vous avez passé votre tour ! À un autre !

LA NÉGRESSE.

Comment mais...

SÉRAPHIN.

Après tout, puisque vous y êtes ! Qu’est-ce que vous demandez ?

LA NÉGRESSE.

Moi vouloir nounou !

SÉRAPHIN.

Une nounou ? À votre âge !

LA NÉGRESSE.

Pas nounou pour moi ! moi nounou.

SÉRAPHIN, se levant.

Ah ! une place de nourrice ! Eh bien, j’ai votre affaire... J’ai justement une famille en deuil... Seulement dites donc ! C’est le lait !... Il n’est pas noir au moins ?

LA NÉGRESSE.

Ah ! non ! Blanc comme du café au lait !

SÉRAPHIN.

À la bonne heure ! Elle n’aurait qu’à teindre le petit !... passez à la caisse !

Il regarde son bureau.

LA NÉGRESSE.

Au revoir, monsieur !

SÉRAPHIN, appelant.

À qui le tour ?

TROISIÈME DOMESTIQUE, s’avançant.

À moi !...

Se campant.

Or donc, monsieur... c’était en 1872... ma famille me destinait à la littérature... un jour... Il était comme maintenant... environ midi...

SÉRAPHIN, vivement.

Midi ! Il est midi !... Mais c’est l’heure de mon déjeuner.

Se levant.

Désolé, cher monsieur, mais vous aurez l’obligeance de repasser... Je n’aime pas à me faire attendre pour mes repas.

LES DOMESTIQUES, protestant.

Hein ! Comment !

SÉRAPHIN, allant au poêle.

L’agence est fermée pour cause de déjeuner !

Tirant une assiette du poêle.

J’ai là deux andouillettes...

DEUXIÈME DOMESTIQUE.

Mais voilà une heure que nous posons !

SÉRAPHIN.

Mais vous n’avez donc jamais été dans le moindre des ministères ?

DEUXIÈME DOMESTIQUE.

C’est possible, mais nous n’aimons pas à attendre.

SÉRAPHIN.

Les andouillettes non plus ! Allons ! serviteur !

LES DOMESTIQUES, sortant par le fond.

Sale agence !

 

 

Scène II

 

SÉRAPHIN, puis PLUCHEUX, puis MICHETTE

 

Plucheux paraît au fond. Il tient à la main une assiette avec une côtelette. Il se cogne dans les domestiques qui sortent.

LES DOMESTIQUES, le bousculant.

C’est fermé !

PLUCHEUX, ramassant sa côtelette qui est tombée de son assiette.

Faites donc attention ! Qu’est-ce qui vous demande l’heure qu’il est ?...

Ramassant sa côtelette.

Une côtelette toute neuve !... Enfin, ça la panne !...

SÉRAPHIN, qui déjeune à son bureau.

Tiens ! vous voilà, monsieur Plucheux !

PLUCHEUX.

Oui. Je viens vous demander l’hospitalité pour ma côtelette et pour moi...

SÉRAPHIN.

Comment donc !... C’est un honneur pour le premier secrétaire de l’agence de placement de recevoir son collègue de l’agence matrimoniale.

PLUCHEUX, le saluant.

Mon cher confrère !

SÉRAPHIN.

Mon cher confrère !

Ils s’assoient tous les deux au bureau de Séraphin et déjeunent.

Pour vous rendre votre politesse, nous irons prendre le café là-haut.

PLUCHEUX.

Là-haut ? à l’Agence matrimoniale ? Mais vous ne savez donc rien ?... Il n’y en a plus, d’agence !

SÉRAPHIN.

Comment cela ?

PLUCHEUX.

Ce matin, comme à l’habitude, j’arrive exactement... deux heures en retard... Je vois des bandes avec de la cire sur la porte... Je me dis : quel est l’animal qui a cacheté la porte ? C’étaient les scellés !... Savez-vous où elle est, notre agence matrimoniale ?... à Mazas !

SÉRAPHIN.

À Mazas !

PLUCHEUX.

Oui... on avait collé les scellés à la porte et le patron au clou !

SÉRAPHIN.

Qu’est-ce qu’on a donc à lui reprocher ?

PLUCHEUX.

La police a trouvé qu’il abusait trop des arrhes.

SÉRAPHIN, avec dédain.

Elle est si peu artiste, la police !... Mais dites donc, s’il vous vient des clients, ils se casseront le nez.

PLUCHEUX.

J’ai tout prévu ! J’ai collé aussi ma bande sur la porte : « Pour l’agence adressez-vous au premier !... »

SÉRAPHIN.

Ici !

PLUCHEUX.

Eh bien, oui ! De cette façon-là, je peux déjeuner tranquillement avec vous et faire mon service.

SÉRAPHIN.

Votre service ? Mais s’il n’y a plus d’agence, il n’y a plus de service !

PLUCHEUX.

Mais c’est vrai ! Je suis sur le pavé !

SÉRAPHIN.

Dame !...

PLUCHEUX.

Oh ! Séraphin ! Vous allez me tirer de là... Trouvez-moi une place !...

SÉRAPHIN.

Une place ! Levez-vous ?

Plucheux se lève ahuri.

Vous n’êtes plus mon collègue, vous êtes un solliciteur... Donnez-moi quatre francs...

PLUCHEUX, les lui donnant.

Quels carottiers dans ces agences ! Les voilà !

SÉRAPHIN.

Merci ! J’ai votre affaire !... Savez-vous arroser ?

PLUCHEUX.

Je viens de le prouver.

SÉRAPHIN.

Eh bien, je vous propose une place de doucheur...

PLUCHEUX, vivement.

Doucheur pour dames ?

SÉRAPHIN.

Non ! pas de sexe ! pour névropathes !

PLUCHEUX.

Des étrangers ?

SÉRAPHIN.

Chez le docteur Saint-Galmier !

PLUCHEUX.

Qu’est-ce que c’est que ça, le docteur Saint-Galmier ?

SÉRAPHIN.

Mais le directeur du Louvre-Hydrothérapique !

PLUCHEUX.

Une bonne maison ?

SÉRAPHIN.

Le premier établissement de Paris pour le traitement des maladies nerveuses !... Il a chez lui deux cents pensionnaires.

PLUCHEUX.

Des toqués !

SÉRAPHIN.

À peu près ! mais pas dangereux ! Il va venir tout à l’heure... dois-je lui dire que vous entrez chez lui ?...

PLUCHEUX.

Enfin !... ce n’est pas le rêve !... mais en attendant !

SÉRAPHIN.

Je vous inscris... Vous pourrez vous présenter demain chez lui à midi, 25, rue d’Aumale...

PLUCHEUX, se rasseyant et se disposant à manger.

Merci ! et maintenant...

SÉRAPHIN.

Non, non, mon ami ! Je n’ai pas l’habitude de déjeuner avec les gens que je place...

Lui mettant son assiette dans les mains.

Emportez votre déjeuner !

PLUCHEUX.

Hein !

SÉRAPHIN.

Pas de familiarités avec la clientèle.

Le reconduisant.

Au revoir !

MICHETTE, entrant du fond.

L’agence de placement, s’il vous plaît ?

SÉRAPHIN, à part.

Une jolie femme !

Haut.

C’est ici, madame.

PLUCHEUX.

Mais alors, dites-moi !...

SÉRAPHIN.

Eh ! vous voyez bien que j’ai du monde ! Allez ! Allez !

PLUCHEUX, sortant par le fond.

Lâcheur !

 

 

Scène III

 

SÉRAPHIN, MICHETTE

 

SÉRAPHIN.

Je vous demande pardon, madame... un importun ! Vous désirez sans doute un domestique ?

MICHETTE.

Au contraire, monsieur !...

SÉRAPHIN.

Comment ! Vous désirez vous placer ?

MICHETTE.

Merci !... Moi, c’est déjà fait !... C’est pour mon frère !

SÉRAPHIN.

Votre frère ?

MICHETTE, se levant.

Oui... vous voyez devant vous une pauvre sœur de famille, monsieur !... Ma mère eut de mon père, croit-on, deux enfants... je fus l’un, mon frère fut l’autre... J’eus la chance de réussir dans la carrière que j’entrepris, mais cela ne me fit jamais oublier ce que l’on doit à sa famille ! Je pris mon frère chez moi, à mon foyer... comme groom...

SÉRAPHIN, ému.

Brave femme !

MICHETTE, changeant de ton.

Eh bien, voilà ! ça n’a pas pu marcher !... Qu’est-ce que vous voulez ? ce petit, il y a des choses qu’il ne comprend pas ! J’avais beau lui dire... il avait la manie de me tutoyer ! de m’appeler Caroline...

SÉRAPHIN, transporté.

Vous vous appelez Caroline ?

MICHETTE.

Plus maintenant !... Je m’appelle mademoiselle Michette ! Vous voyez l’effet d’ici quand il m’appelait Caroline !... Et si ce n’était que ça ! Quand il y avait du monde, il m’embrassait. Oui, monsieur !... Comment ! Il a même voulu embrasser un de mes amis qui m’appelait sa nièce, sous prétexte qu’alors c’était aussi son oncle.

SÉRAPHIN, riant.

Elle est bonne !

MICHETTE.

Eh bien, moi, je l’ai trouvée mauvaise ! Ce qu’il m’a fait de tort dans ma carrière !... En huit jours, il m’a fait perdre trois partis sérieux : le père, le fils...

SÉRAPHIN.

Et le Saint-Esprit ?

MICHETTE.

Non, un autre... Enfin, entre nous, je dois me marier.

SÉRAPHIN.

Sérieusement ?

MICHETTE.

Tiens ! avec un colonel, s’il vous plaît. Il m’a promis de m’épouser, et il est parti pour faire ses vingt-huit jours... il y a deux mois.

SÉRAPHIN, à part.

Ça m’a l’air d’un lapin, le colonel.

MICHETTE.

Voyez-vous que mon frère me fasse manquer mon mariage... aussi, qu’est-ce que vous voulez, on a beau être sœur, il y des situations cruelles dans la vie... pauvre chéri... je l’ai flanqué à la porte.

SÉRAPHIN.

Brave femme !

MICHETTE.

Mais je lui dois une situation... je vous le recommande. Soignez-le comme un frère. C’est un orphelin !... Il sait très bien découper, nettoyer... il fait l’argenterie...

SÉRAPHIN.

Mauvaise habitude ! Enfin je le placerai au Bouillon Duval... il n’y a que du ruolz.

MICHETTE.

Ah ! Monsieur... je ne saurais vous dire ce que je vous dois !

SÉRAPHIN.

Mais quatre francs, madame.

MICHETTE.

Je ne m’acquitterai jamais !

SÉRAPHIN.

Hein !

MICHETTE.

Voici vos quatre francs !

SÉRAPHIN, à part.

Ah ! elle m’avait fait peur !

À Michette.

À la caisse, madame, si vous voulez bien.

Appelant.

Voyez caisse !

Il indique la porte de la caisse à Michette qui sort.

 

 

Scène IV

 

SÉRAPHIN, puis SAINT-GALMIER

 

SÉRAPHIN.

Eh bien, voilà ce que j’appelle une femme du monde !... Je vais me lier avec son frère...

SAINT-GALMIER, paraissant au fond.

Bonjour, monsieur Séraphin.

SÉRAPHIN.

Ah ! le docteur Saint-Galmier !

SAINT-GALMIER.

Très bien ! Je vous remercie !

SÉRAPHIN.

J’allais vous le demander ; et moi aussi ! pas mal, je vous remercie...

SAINT-GALMIER.

Il n’y a pas de quoi !... Eh bien ? Avez-vous mon homme ?

SÉRAPHIN.

Votre doucheur ! Parfaitement ! Il ira chez vous demain à midi ! Mais asseyez-vous donc !

SAINT-GALMIER.

Oh ! je n’ai pas le temps !... On m’attend en bas... Voici de quoi il s’agit... J’ai besoin de trois domestiques... J’ai mis les miens à la porte !

SÉRAPHIN.

Encore !...

À part.

Il change de domestique comme de chemise !... tous les quinze jours ... Ce n’est pas un homme, c’est une rente !...

SAINT-GALMIER.

Que voulez-vous ?... Aujourd’hui on n’est plus maître chez soi ! Je m’étais permis d’avoir une fiancée...

SÉRAPHIN.

Pour un mariage, probablement ?

SAINT-GALMIER.

Je pensais avoir le droit de me marier librement... Eh bien, non !... Mes domestiques m’ont déclaré qu’ils s’y opposaient ou qu’ils se brouilleraient avec moi... J’ai préféré la brouille.

SÉRAPHIN.

Je comprends ça !

SAINT-GALMIER.

Si donc vous voulez inscrire ma demande...

SÉRAPHIN.

Tout de suite ! Je vais chercher mon registre.

SAINT-GALMIER, à Séraphin qui sort par le pan coupé de droite.

Dépêchez-vous, au moins ! Ma sœur et ma fiancée m’attendent en bas, en voiture.

 

 

Scène V

 

SAINT-GALMIER, puis MICHETTE

 

SAINT-GALMIER, seul.

Ma fiancée !... Oui, je deviens un homme sérieux !... Plus de Michette ! Pauvre Michette ! Elle attend toujours son colonel !... C’est moi, son colonel ! Les femmes disent toujours : « un médecin, ce n’est pas un homme. » Et puis les militaires paient partout quart de place, alors, pour les cocottes, je suis toujours colonel !

MICHETTE, venant de la caisse.

Il est étonnant ce caissier !... Il n’accepte pas la fausse monnaie !

SAINT-GALMIER.

Ah ! une jolie femme.

Reconnaissant Michette.

Fichtre ! Michette !

MICHETTE.

Le colonel !... Ah ! vous voilà, vous !

SAINT-GALMIER, interloqué.

Oui... tu vois... j’ai fini mes vingt-huit jours...

MICHETTE.

Vous y avez mis le temps ! Depuis deux mois que vous êtes parti.

SAINT-GALMIER.

Oui... je vais te dire... C’est le train qui a eu du retard !... Quinze jours de retard... Tu n’as pas lu ça dans les journaux, ils ne sont au courant de rien... Et puis... tu sais, la discipline... j’ai eu de la salle de police...

MICHETTE.

Toi... un colonel !...

SAINT-GALMIER.

La salle de police des colonels ! Il y en a une maintenant !... c’est nouveau !... Tu n’as donc pas lu dans les journaux...

MICHETTE.

Et qu’est-ce que tu viens faire ici !

SAINT-GALMIER.

Moi, je... je fais comme toi... je viens chercher un brosseur.

MICHETTE.

Eh bien, et notre mariage avec tout ça ?

SAINT-GALMIER.

Comment ! notre mariage !... Mais il marche !... Tu ne sais pas comme il marche !

MICHETTE.

Tant que ça !

SAINT-GALMIER.

C’est-à-dire que, s’il ne s’arrête pas, je serai obligé de courir après ! D’abord tu as la parole du colonel.

 

 

Scène VI

 

SAINT-GALMIER, MICHETTE, SÉRAPHIN

 

SÉRAPHIN, entrant du pan coupé de droite, un registre à la main.

Votre demande est inscrite !

SAINT-GALMIER.

Séraphin ! sapristi ! Il va faire un impair...

SÉRAPHIN, à Saint-Galmier.

Dites-moi, vous demeurez bien...

SAINT-GALMIER, vivement.

Non ! non ! Je ne demeure pas ! Je ne demeure plus !

Il donne, en signe d’intelligence, des petits coups de canne sur le bureau de Séraphin, qui ne comprend rien à cette pantomime.

SÉRAPHIN, à part.

Qu’est-ce qu’il a ?...

À Saint-Galmier.

Cependant, docteur...

SAINT-GALMIER, à part.

V’lan ! Ça y est !

MICHETTE.

Pourquoi t’appelle-t-il docteur ?

SAINT-GALMIER.

Il appelle le docteur ?... Il est malade ?

MICHETTE.

Non ! Toi ! Il t’appelle docteur !

SÉRAPHIN.

Dame ! Vous l’êtes bien !

SAINT-GALMIER, à Michette.

Ah !... oui !... Tu sais bien... Il y a les docteurs en droit, les docteurs en médecine... et puis alors... les docteurs en stratégie...

SÉRAPHIN, appuyant.

Eh bien, justement, lui, il est docteur en médecine.

SAINT-GALMIER.

Voilà !... ben ! non ! C’est-à-dire si !... J’ai le grade de médecin-colonel...

SÉRAPHIN.

Qu’est-ce qu’il raconte ?

SAINT-GALMIER.

Je suis le colonel des infirmiers.

À part.

Ouf !

SÉRAPHIN.

Vous ?

MICHETTE.

Mais oui ! C’est le colonel dont je vous ai parlé !

SÉRAPHIN.

Vous ! Hé, c’est madame que vous épousez ?

SAINT-GALMIER, saisissant la balle au bond.

Oui ! Justement !... Tu vois, je viens de lui en parler tout à l’heure !... N’est-ce pas, Séraphin ?

SÉRAPHIN.

Parfaitement !... Oui. C’est madame qui attendait dans la voiture !

MICHETTE.

Quelle voiture ?

SAINT-GALMIER, vivement.

Rien ! c’est une image !... Allons, bonjour, monsieur Séraphin.

SÉRAPHIN, appuyant.

Non, mais comment se fait-il qu’elle était là avant vous quand elle vous attendait dans la voiture !

SAINT-GALMIER, à part.

Oh ! ce qu’il est embêtant avec sa voiture !

Haut.

Allons, bonjour ! bonjour !

SÉRAPHIN.

Eh bien, c’est ça ! Au revoir, monsieur Saint-Galmier. Je vais m’occuper de votre beau-frère !

SAINT-GALMIER.

Quel beau-frère ?

SÉRAPHIN.

Le groom.

SAINT-GALMIER, sans comprendre.

Le groom ? Ah ! oui, le groom !...

À part, remontant.

J’aime autant ne pas l’interroger, il me fait peur !

MICHETTE.

Je m’en vais avec toi !...

SAINT-GALMIER.

Ah ! non, non.

À part.

Merci, ma fiancée qui est en bas avec ma sœur !

 

 

Scène VII

 

SAINT-GALMIER, MICHETTE, SÉRAPHIN, LÉONIE, RACHEL

 

RACHEL, entrant du fond avec Léonie.

Entrez, ma chère, ce doit être ici !

SAINT-GALMIER, à part.

Elles ! Sapristi ! Elles tombent bien !...

RACHEL.

Eh bien, nous vous attendons. Qu’est-ce que vous faites ?

SAINT-GALMIER, embarrassé.

Mais, voilà Rachel... C’est... c’est le brosseur...

RACHEL.

Comme vous êtes lambin, Ernest.

MICHETTE, bas.

Ernest ! Pourquoi t’appelle-t-elle Ernest ?

SAINT-GALMIER.

Hein... parce que... parce que c’est mon nom.

MICHETTE, le tirant par la manche.

Tu les connais donc ?

LÉONIE, le tirant par l’autre manche.

Quelle est cette dame ?

MICHETTE.

Eh bien, réponds, voyons !...

SAINT-GALMIER, indiquant Rachel.

La vieille ?... Là ? Eh bien, c’est... c’est Rachel.

MICHETTE, naïvement.

La grande tragédienne ?

SAINT-GALMIER, pouffant de rire.

Hein ? là... oui ! oui, précisément !

MICHETTE.

Oh ! comme elle est marquée !... Et l’autre ?

SAINT-GALMIER.

C’est la confidente.

Passant au 4. Bas à Léonie et à Rachel.

Ne faites pas attention ! C’est une cliente ! elle est un peu toquée !...

LÉONIE et RACHEL.

Une folle !...

MICHETTE, à part.

La grande tragédienne !

À Rachel.

Ah ! Madame, combien je bénis le hasard... ainsi, vous connaissez le colonel ?

LÉONIE et RACHEL.

Quel colonel ?

MICHETTE.

Le colonel Saint-Galmier !

RACHEL et LÉONIE.

Vous ?

SAINT-GALMIER, bas.

Oui, c’est une monomanie !

RACHEL, à part.

Pauvre femme !

SAINT-GALMIER, à part.

Maintenant, tu peux y aller ! Ca m’est égal !

MICHETTE, à Rachel.

Ah ! madame ! Je ne vous ai jamais vue jouer.

RACHEL.

Moi !...

MICHETTE.

Mais j’ai souvent entendu parler de vous !... par l’un des maris de ma mère...

SAINT-GALMIER, à part.

Oui, marche ! marche !

Il remonte.

MICHETTE.

Mais comment, avec votre talent, n’avez-vous pas choisi l’opérette ? C’est si ennuyeux, les tragédies !

RACHEL.

Mon Dieu ! oui... Qu’est-ce que vous voulez...

À part.

Elle est bien malade !

MICHETTE.

J’espère, madame, que vous voudrez bien dire des vers à ma noce...

LÉONIE.

Quelle noce ?

MICHETTE.

Eh bien, j’épouse le colonel, n’est-ce pas, colonel ?

SAINT-GALMIER, redescendant au 2, entre Michette, et Rachel, et Léonie.

Oui ! oui ! parfaitement !

Bas à Léonie et à Rachel.

Hein ! L’est-elle ?

MICHETTE.

Je vais m’occuper de mon trousseau... Venez-vous avec moi ?...

SAINT-GALMIER, bas.

Impossible !... Je ne peux pas planter là la grande tragédienne... et puis nous ne sommes pas mariés... si on vous voyait sortir avec moi... ça vous compromettrait... Allez ! allez !

MICHETTE.

Mais où vous retrouver ? Je n’ai pas votre adresse.

SAINT-GALMIER.

Eh bien... à la caserne... la caserne du Cherche-Midi ! Vous demanderez le colonel.

MICHETTE.

C’est entendu !

Saluant Léonie et Rachel.

Mesdames... alors à la noce, n’est-ce pas ?

LÉONIE et RACHEL.

C’est ça !

Michette sort par le fond.

 

 

Scène VIII

 

SAINT-GALMIER, LÉONIE, RACHEL, puis SÉRAPHIN

 

LÉONIE.

Pauvre femme ! Je crois que vous aurez bien de la peine à la guérir... Mais comment n’est-elle pas enfermée ?

SAINT-GALMIER.

Elle est en congé ! C’est son jour de sortie...

À part.

Ouf ! m’en voilà débarrassé !

Haut.

Maintenant, filons !

Ils remontent.

RACHEL, indiquant Séraphin qui écrit à son bureau.

Vous vous êtes entendu avec monsieur pour les domestiques ?

SÉRAPHIN, écrivant.

Je m’en occupe justement ! Mais vous ne m’avez pas dit au juste ce qu’il vous faut !...

SAINT-GALMIER, redescendant.

Ah ! c’est vrai !... Eh bien, voilà, je voudrais un maître d’hôtel, un groom et une cuisinière.

SÉRAPHIN.

C’est entendu ! Je vous trouverai ça aujourd’hui. J’en attends une fournée tout à l’heure...

SAINT-GALMIER.

Eh bien, nous repasserons les choisir nous-mêmes !... Je n’ai qu’une course à faire avec ma sœur et ma fiancée !

SÉRAPHIN, ahuri.

Votre fiancée !... Comment ?

Indiquant Léonie.

Madame ?...

À part.

Ah çà ! mais il épouse donc tout le monde !

SAINT-GALMIER, à Léonie et à Rachel.

Venez !...

À Séraphin.

À tout à l’heure !

 

 

Scène IX

 

SÉRAPHIN, puis GÉVAUDAN, ALFRED et LAURE

 

SÉRAPHIN, seul.

Il épouse aussi celle-là !... Quelle belle nature !... C’est égal, deux femmes... Il exagère...

Bruit de voix au fond.

Hein ! Encore du monde ! Et ma barbe qui n’est pas faite... ma foi, avant qu’ils ne me rasent, je vais me raser moi-même.

Il sort par le pan coupé de droite. La scène reste vide. On frappe timidement et à plusieurs reprises au fond, puis la porte s’entr’ouvre.

GÉVAUDAN, passant la tête.

Vous m’avez bien dit « entrez » n’est-ce pas ?... Tiens ! Il n’y a personne !

À Laure qui paraît.

Viens, ma sœur ! viens, mon frère !

LAURE, entrant avec Alfred.

Personne ! Alors pourquoi est-ce qu’ils mettent là-haut sur leur pancarte : « Pour l’agence matrimoniale, adressez-vous au premier » ?

GÉVAUDAN.

Eh bien, nous n’avons pas regardé à la porte ici. Il y a peut-être encore écrit : « Adressez-vous au cinquième. »

ALFRED.

Au fait, il me semble que j’ai vu de l’imprimé.

Courant à la porte du fond.

Voilà !...

Lisant.

Essuyez vos pieds.

LAURE, courant lire l’affiche avec Gévaudan.

Essuyez vos pieds ! Il y a ça !

GÉVAUDAN.

Mais oui, il y a ça ! Comme ils sont propres à Paris ! C’est beau. Le raffinement des villes. Alors essuyons nos pieds !

LAURE et ALFRED.

Essuyons !

GÉVAUDAN, apercevant l’essuie-mains de Séraphin accroché au mur.

Tiens ! voilà ce qu’il nous faut.

Il frotte ses souliers avec l’essuie-mains.

LAURE, même jeu.

À moi !

ALFRED.

À moi !

Après s’être essuyé jusqu’aux semelles des souliers, il remonte raccrocher l’essuie-mains et redescend à l’extrême droite.

L’agent ne pourra pas dire que nous ne sommes pas des gens propres.

GÉVAUDAN.

Ainsi, nous voilà dans cette fameuse agence matrimoniale.

À Laure.

Laure, je suis ému ! Regardez cette chambre de modeste apparence.

À Alfred.

Alfred, découvre-toi !... Elle nous aura vus entrer célibataires.

LAURE.

Vierges...

GÉVAUDAN.

Heu ! Toi !... Quand nous en ressortirons, Laure, nous ne serons plus garçons.

LAURE, pleurant.

Plus garçon !... À mon âge !

GÉVAUDAN.

Ne pleure pas ! Il est vrai que nous ne nous sommes jamais quittés... mais, crois-moi, on n’est vraiment uni que quand on est séparé.

ALFRED.

Sans compter que ce n’était pas rigolo, notre existence à Loches... la droguerie toute la journée !

GÉVAUDAN.

Ah ! ne touche pas à ma droguerie !

ALFRED.

Je n’y touche pas, seulement je dis !... Et puis le soir, le loto, avec Laure qui triche.

GÉVAUDAN, à Laure.

Et puis, vois-tu, ce n’est pas tout cela !... L’homme est fait pour la femme, la femme est faite pour l’homme... surtout en province... où il n’y a pas de distractions... Eh bien, c’est cette distraction qui nous manquait. Alors nous nous sommes dit : il faut nous marier.

ALFRED.

En bloc ! Expédions !

LAURE.

Seulement avec qui ? Nous aurions bien pu trouver à Loches.

GÉVAUDAN.

Mais nous en sommes déjà tous les trois ! C’est assez de Lochards dans la famille.

ALFRED.

Ça appauvrit le sang !

GÉVAUDAN.

Et puis, moi, j’avais envie de me marier à Paris !... Je ne connaissais pas la ville...

ALFRED.

Sans compter qu’on y est bien mieux approvisionné ! Il y a tant de débit !

GÉVAUDAN.

Et du bon !... C’est réputé !... L’article de Paris... et puis nous avons lu notre journal. Tu te rappelles ce qu’il disait notre journal, à la quatrième page !... Laure !... donne la Petite France !

LAURE, tirant un journal de sa poche.

La voilà !

GÉVAUDAN, lisant.

« Plus de célibat ! Brillants mariages ! Fraîche noblesse, bonheur garanti 3, 6, 9. Grand choix de maris et de femmes avec ou sans tache, occasions exceptionnelles. S’adresser à l’agence Mandrin et Cie, 7, rue Vide Gousset, Paris. » Il n’y avait pas à hésiter, nous avons pris le premier train, et nous voilà.

LAURE, avec émotion.

Alors, vraiment, tu crois que je suis faite pour le mariage.

GÉVAUDAN.

Toi ! Tu n’es que trop faite !

LAURE, pleurant.

Ah ! c’est que c’est la première fois que ça m’arrive.

ALFRED.

Eh bien, nous aussi !

LAURE.

À la seconde... ça me fera moins !... Mais cette vie nouvelle... cet inconnu...

Éclatant en sanglots dans les bras de Gévaudan.

Ah ! ah !

ALFRED.

Encore ! Ah ! elle pleurniche trop, ma sœur !

GÉVAUDAN, en pivotant lentement avec Laure dans ses bras, gagne le I.

Voyons ! console-toi ! Je n’ai qu’un mot à te dire : Quoi qu’il arrive... nous serons toujours frère et sœur...

LAURE.

Ah ! tu me le promets, n’est-ce pas ?

GÉVAUDAN.

Oui ! oui !

Regardant autour de lui.

C’est égal ! c’est imposant, ici !...

ALFRED.

C’est probablement le boudoir des entrevues.

GÉVAUDAN, voyant les écriteaux rouges et gagnant l’extrême gauche.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Il se découvre machinalement.

Ce doit être les bans !

Alfred et Laure gagnent également la gauche.

GÉVAUDAN, lisant.

« Majordome. » Oh ! oh ! c’est du beau monde ! « Ancien suisse. »

Ils longent les murs pour parcourir les divers écriteaux.

ALFRED, la tête découverte.

Comment, ancien suisse !

GÉVAUDAN.

Il se sera fait naturaliser !

Lisant.

« Valet de pied ! » Tiens !

LAURE, lisant.

« Bonne à tout faire – excellentes références. »

ALFRED, lisant.

« Frotteur ! pour parquets et rhumatismes. »

GÉVAUDAN.

Ah çà ! mais il n’y a que des domestiques !

ALFRED.

Excepté le majordome !

GÉVAUDAN, qui est arrivé à la hauteur de la porte du fond, redescendant.

Ce sont probablement les bans des gens de maisons.

LAURE, apercevant la statuette d’Hercule sur le meuble de gauche.

Oh ! le bel homme !

GÉVAUDAN, vivement.

Ne regarde pas ça ! Il n’est pas assez vêtu !

LAURE, pudiquement.

Mais il a une feuille.

ALFRED, voyant la statuette de la Vénus de Médicis qui est sur le cartonnier à droite.

Ah ! Et la petite là !... Elle est gentille !

LAURE.

Elle ressemble à la nièce du percepteur.

GÉVAUDAN, bon enfant.

Peuh !... Pas la tête !... Ce sont évidemment des échantillons de prétendus !... Ah çà ! mais il se fait attendre, l’agent matrimonial !

ALFRED, indiquant le pan coupé de droite.

Ah ! on a remué par là !

GÉVAUDAN.

Je vais voir !

Il frappe à deux reprises au pan coupé de droite.

 

 

Scène X

 

GÉVAUDAN, ALFRED, LAURE, SÉRAPHIN

 

SÉRAPHIN, paraissant, un rasoir à la main, un côté de la figure barbouillé de savon.

Hein !... Qu’est-ce qu’il y a ?

GÉVAUDAN, saluant à plusieurs reprises ainsi qu’Alfred et Laure.

Monsieur l’agent... j’ai bien l’honneur...

SÉRAPHIN.

Bonjour ! bonjour !

À part.

Ces domestiques sont assommants ! On dirait qu’on est à leur service.

Haut, continuant à se raser.

Asseyez-vous !

GÉVAUDAN, gagnant la gauche.

Oui, monsieur l’agent.

À Laure et à Alfred.

Asseyons-nous.

Ils s’asseyent sur les trois chaises qui sont presque en ligne à côté du poêle, de façon à faire face au bureau de l’agent. Moment de silence pendant lequel ils se regardent en riant bêtement, tandis que Séraphin se rase. Puis Gévaudan se lève.

Monsieur l’agent, nous venons...

SÉRAPHIN, brusquement.

Ne parlez pas, vous me feriez couper.

Gévaudan soumis, retourne à sa place. Moment de silence. Séraphin achève de se raser, puis va au lavabo au fond et se débarbouille.

GÉVAUDAN, bas à Laure.

Arrange tes cheveux sur le front... tu es toute décoiffée.

Nouveau moment de silence.

GÉVAUDAN, qui a suivi tous les mouvements de Séraphin, le voyant prendre l’essuie-mains.

Eh ! monsieur l’agent ?

SÉRAPHIN.

Chut ! Je vous ai dit de ne pas parler.

GÉVAUDAN.

Oui, monsieur l’agent !

SÉRAPHIN, s’essuyant la figure avec l’essuie-mains, et redescendant.

Là ! maintenant, qu’est-ce que vous vouliez me dire ?

GÉVAUDAN, très bon enfant.

Mais je voulais vous dire... que nous nous sommes essuyé les pieds avec !

SÉRAPHIN, rejetant l’essuie-mains loin de lui.

Ah ! pouah !

S’essuyant la figure avec son mouchoir.

Vous auriez bien pu me prévenir.

GÉVAUDAN.

Dame ! vous nous avez défendu de parler !

SÉRAPHIN.

Qu’est-ce que c’est que ces manières ! Ce n’est pas un essuie-pieds !... Vous êtes encore propres, vous !

GÉVAUDAN, entre ses dents.

Ils sont étonnants !... Ils vous disent d’essuyer vos pieds, on les essuie... et ils ne sont pas contents !...

SÉRAPHIN, allant à son bureau et s’asseyant.

Voyons ! Qu’est-ce que vous voulez ?

GÉVAUDAN, faisant l’aimable.

Eh ! eh ! vous devez bien le deviner... cher et honorable agent !

SÉRAPHIN.

Vous voulez que je vous place ?

GÉVAUDAN.

Voilà ! Eh ! eh !

À part.

Il a des mots drôles.

SÉRAPHIN, ouvrant son registre.

Voyons ! vos noms ?

GÉVAUDAN, se levant ainsi que Laure et Alfred.

Voilà !

Faisant signe à Laure et à Alfred.

Mademoiselle est ma sœur, et puis ça, c’est mon frère !

SÉRAPHIN.

Je ne vous demande pas ça ! Vous ! qui êtes-vous ?

GÉVAUDAN.

Mais, je suis leur frère à tous les deux !

SÉRAPHIN, à part.

Ils m’ont l’air d’en avoir une couche !

GÉVAUDAN.

Je suis de Loches...

LAURE et ALFRED.

Nous aussi !

SÉRAPHIN.

Eh ! Il fallait donc le dire !

Écrivant.

Messieurs et mademoiselle de Loches !

GÉVAUDAN.

Non ! pardon ! Gévaudan.

SÉRAPHIN.

Ah ! bon !

Écrivant.

« De Loches-Gévaudan. »

GÉVAUDAN.

Non ! Gévaudan tout court !

SÉRAPHIN.

Alors, qui est-ce qui est Deloche là-dedans ?

TOUS.

Nous.

SÉRAPHIN.

Eh bien, c’est ce que je disais : Deloche-Gévaudan. Vous vous appelez Deloche et Gévaudan.

GÉVAUDAN.

Eh ! non ! C’est notre pays !

SÉRAPHIN.

Le Gévaudan ?

GÉVAUDAN.

Mais non ! Loches !

À Laure et à Alfred.

Il est bête cet agent !

SÉRAPHIN.

Eh ! qu’est-ce qui vous demande votre pays ? Voyons ! avez-vous déjà fait du service ?

GÉVAUDAN.

Je suis de la classe 62.

SÉRAPHIN.

Je ne vous demande pas ça ! Je vous demande si vous avez servi !

GÉVAUDAN.

Eh bien, oui ! sept ans !

SÉRAPHIN.

Où ça ?

GÉVAUDAN.

Au 25e Dragons !

SÉRAPHIN.

Ah ! çà, est-ce que vous avez bientôt fini ! Vous m’avez l’air d’un fumiste, vous !

GÉVAUDAN, indigné.

Fumiste !... Je suis droguiste.

SÉRAPHIN, à part.

Droguiste ! Et il veut se placer !

À Gévaudan.

Ça n’a donc pas été les affaires ?

GÉVAUDAN.

Pourquoi ça ?

SÉRAPHIN.

Dame ! puisque je vous vois ici !

GÉVAUDAN, à Laure et à Alfred.

Est-il bête !

Haut.

On est droguiste... Est-ce qu’on n’est pas homme tout de même ?

SÉRAPHIN.

Après tout, ça vous regarde !

Le considérant.

Euh ! Feriez-vous un bon chasseur ?

GÉVAUDAN.

Non ! Je suis myope !

À part.

Qu’est-ce que ça peut lui faire ?

SÉRAPHIN, à part.

Il est très décousu !

GÉVAUDAN.

Seulement, je pêche à la ligne.

SÉRAPHIN.

Ah ! quelle huître !... Mais je m’en fiche que vous pêchiez à la ligne !

GÉVAUDAN.

Ah ?... bon !

À part.

Il n’est pas pêcheur...

Haut.

Eh bien, cher et honorable agent, vous le savez comme moi, la droguerie est la fille de la médecine.

SÉRAPHIN.

Bon ! Qu’est-ce qu’il raconte, maintenant ?

GÉVAUDAN.

La droguerie, c’est moi, c’est la médecine qu’il me faut !

SÉRAPHIN.

Vous voulez vous purger ? On ne se purge pas ici !

GÉVAUDAN.

Qu’est-ce qui vous parle de se purger ? Je voudrais de préférence que vous me fassiez entrer dans une famille de médecin.

SÉRAPHIN, à part.

De médecin ! de médecin !

Se levant.

Mais au fait !... le docteur Saint-Galmier ! un maître d’hôtel, une femme de chambre, un groom ! Voilà mon affaire ! Si je lui collais cette fournée-là !

Haut.

Dites donc ! Ça vous irait-il de rentrer dans la même famille ?

GÉVAUDAN.

Dans la même famille ! Mais c’est le rêve !

LAURE.

Ne pas nous quitter !

TOUS, s’embrassant.

Ah ! mon frère ! Ah ! ma sœur ! Ah ! mon frère !

SÉRAPHIN.

Tiens ! Ils s’embrassent ! Eh bien, ils sont bêtes, mais ils ont bon cœur ! Je crois que ça fera de braves domestiques !... Et puis, s’ils sont mauvais, on les flanquera à la porte...

GÉVAUDAN, à Séraphin.

Dites donc ! Une question !

À Laure.

Attends, ma sœur.

À Séraphin, avec importance.

Ce sont des gens bien au moins que vous nous proposez là ?...

SÉRAPHIN.

Parbleu ! la famille du docteur Saint-Galmier !

GÉVAUDAN, remontant à gauche vers Alfred et Laure.

À la bonne heure ! parce que, sans cela !... je les flanque à la porte, moi.

SÉRAPHIN, à part.

Il est superbe !

GÉVAUDAN.

D’ailleurs, nous verrons.

Bruit au fond.

SÉRAPHIN, remontant au fond.

Vous ne pouviez pas mieux dire : car je crois que les voilà !

LAURE, à part.

Nos prétendus !... Ah ! mon Dieu !

GÉVAUDAN, gagnant la droite, très agité.

Laure ! Tes cheveux ! tes cheveux !...

Mettant ses gants.

Alfred, tes gants !

Laure se précipite devant la glace de droite.

ALFRED, gagnant la droite.

Ah ! mon Dieu !... Je n’en ai pas. Prête-m’en un !

GÉVAUDAN.

Voilà le gauche !

 

 

Scène XI

 

GÉVAUDAN, ALFRED, LAURE, SÉRAPHIN, SAINT-GALMIER, RACHEL et LÉONIE

 

SAINT-GALMIER, descendant avec Séraphin qui a été au-devant de lui et suivi de Léonie et Rachel.

Eh bien ! avez-vous nos bonshommes ?

SÉRAPHIN, indiquant Gévaudan, Alfred et Laure.

Les voilà ! Je vous les avais mis de côté.

GÉVAUDAN.

Et maintenant, sourions ! sourions !

Ils rient d’un air bête, en faisant de petites révérences.

SÉRAPHIN.

Allons ! Avancez !

Gévaudan fait un pas, ainsi que Laure et Alfred.

GÉVAUDAN, saluant en riant bêtement.

Monsieur ! Mesdames !

À Laure et à Alfred.

Ils sont très bien !

ALFRED, bas.

Oui, je crois que nous sommes bien tombés.

SAINT-GALMIER, à Rachel et à Léonie.

Eh bien, ils n’ont pas l’air mal... Qu’est-ce que vous en dites ?

RACHEL et LÉONIE.

Heu ! Oui !

SAINT-GALMIER, à Gévaudan.

Allons, approchez-vous, le gros !

GÉVAUDAN.

Qui çà ? le gros ?

ALFRED.

Eh bien ! toi.

GÉVAUDAN, s’approchant.

Ah ! c’est moi !

Saluant.

Monsieur !

SAINT-GALMIER.

Allons ! Marchez !

À Alfred et à Laure.

Vous aussi, les autres !... et levez vos pieds.

Tous les trois, ahuris, défilent devant eux et regagnent la droite.

GÉVAUDAN, à part.

Quelle drôle de manière de se marier !

SAINT-GALMIER.

Oui ! Ils pourront aller !

Il se consulte avec Léonie et Rachel.

GÉVAUDAN, bas à Laure.

Dis donc ? Je ne sais pas si je dois leur dire de marcher moi aussi !... Qu’en dis-tu ?

LAURE.

Ne te lance pas ! Nous pourrions faire un impair !

Séraphin est remonté au fond.

SAINT-GALMIER, s’avançant vers Gévaudan.

Eh bien, décidément, vous nous convenez.

GÉVAUDAN, très familier.

Oui ! Eh bien, voulez-vous que je vous dise ? Vous aussi.

SAINT-GALMIER, railleur.

Vous êtes trop bon ! Eh bien, c’est convenu ! Pour les conditions, nous nous entendrons.

GÉVAUDAN.

Oui ! ça regarde le notaire.

SAINT-GALMIER.

Nous avons justement du monde demain dans la journée. Si vous voulez venir.

GÉVAUDAN.

Comment donc !...

À Laure et Alfred.

Ils nous invitent !

LAURE.

Ils sont charmants !

ALFRED, à part.

C’est sans doute pour nous présenter à leurs amis.

GÉVAUDAN.

Et à quelle heure devons-nous ?

SAINT-GALMIER.

À une heure ! pour la signature du contrat.

TOUS.

Le contrat ?

GÉVAUDAN, à part.

Déjà ! C’est étonnant comme ça va vite à Paris !

RACHEL.

À propos ! avez-vous un habit ?

GÉVAUDAN.

J’en louerai un.

SAINT-GALMIER.

C’est ça ! n’oubliez pas, demain, chez moi, 25, rue d’Aumale.

GÉVAUDAN, lui serrant la main.

C’est entendu !

SAINT-GALMIER.

C’est bon !...

À part.

Il est familier.

 

 

Scène XII

 

GÉVAUDAN, ALFRED, LAURE, SÉRAPHIN, SAINT-GALMIER, RACHEL, LÉONIE, MICHETTE, LES DOMESTIQUES

 

MICHETTE, entrant, et poussant Séraphin qui est sur le pas de la porte pour courir à Saint-Galmier.

Ah ! c’est comme ça que vous m’envoyez me casser le nez à la caserne du Cherche-Midi !

SAINT-GALMIER, à part.

Sapristi ! Michette !

RACHEL et LÉONIE.

La folle !

Elles sortent.

MICHETTE.

Oh ! tu ne te sauveras pas !

Elle veut courir après Saint-Galmier, mais Séraphin la retient et essaye de la calmer.

GÉVAUDAN, rattrapant Saint-Galmier sur le pas de la porte.

Alors à demain, chez vous, 25, rue d’Aumale.

SAINT-GALMIER, se dégageant.

Oui ! oui !

Il sort.

MICHETTE.

25, rue d’Aumale ! Il m’a trompée... Ah !...

Elle s’évanouit.

GÉVAUDAN.

Il l’a trompée !... Serait-ce une amante ?...

LES DOMESTIQUES, entrant.

L’agent !... nous voulons voir l’agent !

SÉRAPHIN, dégrafant le corsage de Michette.

Tout à l’heure !... vous voyez bien que je suis occupé.

LES GÉVAUDAN.

Ah ! mon frère... ah ! ma sœur !

Ils se jettent dans les bras les uns des autres, tandis que les domestiques entourent le groupe Séraphin-Michette.

 

 

ACTE II

 

Un salon à pans coupés chez Saint-Galmier. Porte d’entrée au fond. Une porte dans chaque pan coupé. À droite, premier plan, une autre porte – id. à gauche. À droite, entre la porte, premier plan, et celle du pan coupé, une cheminée. À gauche, sur le devant de la scène, une table, de chaque côté de la table, une chaise. À droite, face au public, un canapé. Chaises au fond, de chaque côté de la porte. Mobilier élégant. Sur le dossier du canapé, un gilet d’habit noir. Sur une des chaises du fond, un habit noir. Sur la chaise à droite de la table, une toque de femme.

 

 

Scène première

 

PLUCHEUX, puis SAINT-GALMIER

 

Au lever du rideau, la scène est vide, puis la porte du fond s’entr’ouvre, et Plucheux passe la tête.

PLUCHEUX.

Peut-on entrer ?... Tiens ! personne !...

Allant au pan coupé de gauche et entr’ouvrant la porte.

Le docteur Saint-Galmier, s’il vous plaît ?

Voix de RACHEL avec un cri.

Ah ! on n’entre pas !

PLUCHEUX.

Oh ! une vieille en corset ! ce n’est pas ça.

Allant frapper à la porte de droite, premier plan.

M. Saint-Galmier ?...

SAINT-GALMIER, sortant en manches de chemise.

Hein ! Quoi ! Qu’est-ce que c’est ?... Je m’habille !...

Il entre, il est en manches de chemise et en cravate blanche. Tout en parlant, il s’efforce d’attacher une de ses bretelles, qui lui échappe chaque fois au moment où il croit l’avoir boutonnée, et rebondit sur son épaule. Jeux de scène.

Hem ! un étranger ! Par où êtes-vous entré ?

PLUCHEUX.

Mais par la porte !... C’est le concierge qui m’a donné la clef ! Il n’a pas pu m’accompagner, parce qu’il a la goutte !

SAINT-GALMIER, même jeu.

Eh ! on frappe avant d’entrer, que diable !

PLUCHEUX.

Ah ! pardon !

Il sort par le fond et frappe.

SAINT-GALMIER.

Eh bien ! qu’est-ce qu’il fait ?

PLUCHEUX, reparaissant.

Voilà !

SAINT-GALMIER, haussant les épaules.

Enfin, qui êtes-vous ?

PLUCHEUX.

Mais je suis Plucheux ! le doucheur que vous avez retenu à l’agence !

SAINT-GALMIER, passant son gilet.

Le doucheur !... Eh ! il fallait donc le dire !... Vous arrivez bien !...

PLUCHEUX.

Il y a quelqu’un à doucher ?

SAINT-GALMIER.

Non ! mais à l’occasion de mon contrat, on va luncher tout à l’heure.

PLUCHEUX.

Ah ! on va licher tout à l’heure ?

SAINT-GALMIER.

Luncher !

PLUCHEUX.

Oui, enfin, luncher ! licher ! Tout ça dépend de la manière de prononcer.

SAINT-GALMIER.

J’ai retenu de nouveaux domestiques qui ne sont pas encore arrivés ! Vous allez tout préparer en les attendant !...

PLUCHEUX.

Tout de suite, monsieur ! je cours à l’office...

SAINT-GALMIER, à Plucheux qui sort par le fond.

C’est par là !... la porte à gauche.

 

 

Scène II

 

SAINT-GALMIER, puis RACHEL

 

SAINT-GALMIER, très affairé.

Je n’ai que le temps de terminer ma toilette ! J’ai donné rendez-vous au notaire pour deux heures...

Allant et venant.

Où sont les épingles ?...

Apercevant la toque sur la chaise.

Qu’est-ce que c’est que ce chapeau d’enfant ?... C’est malin de placer ça là ! on peut s’asseoir dessus !

Il le prend et, distraitement, va le poser sur le canapé.

Ah ! voilà les épingles.

RACHEL, entrant du pan coupé de gauche. Elle a une robe excentrique.

Ernest ! Ernest ! Tiens ce tire-bouton !... boutonne-moi mes bottines !

SAINT-GALMIER.

Mais je n’ai pas le temps ! Enfin ! donne-moi ton pied...

S’asseyant sur le canapé sans voir la toque qu’il écrase.

Comme c’est amusant de faire la femme de chambre !

RACHEL, mettant son pied sur le genou de Saint-Galmier qui lui boutonne ses bottines.

Et c’est la faute de tes nouveaux domestiques... Ils ne sont pas encore ici et il est près de deux heures...

SAINT-GALMIER.

Là !

Il se lève.

RACHEL.

Merci !... Comment trouves-tu ma robe ?

SAINT-GALMIER.

Éblouissante !...

RACHEL, coquette.

Et j’ai un chapeau !... Tu verras...

SAINT-GALMIER, passant son habit.

Il fera sensation ?

RACHEL, lui prenant le bras.

Tu te souviens, l’autre soir... aux Variétés... la petite débutante... Tu as dit : « Elle a une toque qui vous a un chien !... » Eh bien !

Quittant son bras.

J’ai la toque !

SAINT-GALMIER.

Pareille ?

RACHEL.

Pareille !

SAINT-GALMIER, à part.

Elle sera épouvantable avec ! Elle aura l’air d’un chien savant.

RACHEL.

Tu vas voir...

Regardant autour d’elle.

Où est-elle ?... Je l’avais posée là...

SAINT-GALMIER, cherchant.

Ah ! c’est la toque qui était sur la chaise !... Je l’ai rangée... elle pouvait s’abîmer !... Où donc l’ai-je mise ?

RACHEL, apercevant la toque aplatie.

Ah ! mon Dieu !...

SAINT-GALMIER.

Quoi ?...

RACHEL.

Ma toque !... Elle est dans un bel état !...

SAINT-GALMIER.

C’est moi qui ai fait ça ?

RACHEL.

Dame ! ce n’est pas moi !

SAINT-GALMIER.

Ce ne sera rien !...

Redressant la toque.

Tiens ! elle est mieux qu’avant !... Mets-la un peu !

RACHEL.

Tout de suite !...

Mettant la toque.

Eh bien ?... suis-je à croquer ?

SAINT-GALMIER.

Tu es en sucre !...

À part.

C’est vrai ! Elle a l’air d’une pièce montée !

RACHEL.

Maintenant, je suis prête.

SAINT-GALMIER.

Ah ! oui, au fait ! Il faut que tu ailles chercher Léonie.

RACHEL.

Comme si elle ne pouvait pas venir toute seule... une veuve...

SAINT-GALMIER.

Elle a été mariée si peu de temps...

RACHEL.

Eh bien... Et moi, je l’ai été encore moins... on n’a jamais vu que ce soit une jeune fille qui aille chercher une veuve !...

SAINT-GALMIER.

Que veux-tu... elle est orpheline... Nous avons remplacé sa famille...

Coup de sonnette au fond.

Hein ! quelqu’un !

 

 

Scène III

 

SAINT-GALMIER, RACHEL, GÉVAUDAN, ALFRED et LAURE

 

PLUCHEUX, paraissant au fond.

Messieurs et mademoiselle Gévaudan.

SAINT-GALMIER.

Qu’est-ce que c’est que ça ?... Tu les connais, toi ?

RACHEL.

Pas du tout ! Ce sont peut-être des parents de Léonie !

Laure, en grande toilette décolletée paraît au fond, suivi de Gévaudan et Alfred en habits noirs, des claques à fonds roses à la main. Tous deux sont frisés.

SAINT-GALMIER, saluant.

Messieurs... madame...

À part.

Il me semble que j’ai vu ces têtes-là quelque part !

La famille Gévaudan salue.

RACHEL.

Je vous demande pardon... Je vous laisse avec mon frère. Je vais chercher la fiancée qui nous manque et je suis à vous...

GÉVAUDAN, à part.

C’est ça... à eux trois, ça fera le compte !

Rachel sort par le fond.

SAINT-GALMIER, très aimable, aux Gévaudan.

Si vous voulez vous asseoir.

ALFRED.

Je ne demande pas mieux... J’ai une migraine !

SAINT-GALMIER, à Laure.

Débarrassez-vous donc, madame !

Il lui prend sa mantille. Gévaudan et Alfred lui donnent leurs paletots qu’il met sur son bras. Gévaudan s’assied sur la chaise à droite de la table : Saint-Galmier reste debout au milieu de la scène. Laure et Alfred vont s’asseoir sur le canapé.

GÉVAUDAN, assis, avec désinvolture.

Vous voyez, cher monsieur, que nous nous sommes rendus à votre aimable invitation.

SAINT-GALMIER, étonné.

Mon invitation !...

GÉVAUDAN.

Oui... hier, à l’agence !...

SAINT-GALMIER, à part, abasourdi.

Hein !... les domestiques !...

Haut.

Comment, c’est vous...

GÉVAUDAN, se carrant sur une chaise.

Mon Dieu, oui !... Nous sommes un peu en retard... c’est la petite qui n’en finissait pas avec sa toilette !

SAINT-GALMIER, sèchement.

Avec vos toilettes ! Vous feriez mieux de ne pas rester assis !

ALFRED, à Laure en se levant.

Il a raison... ça pourrait les chiffonner !...

SAINT-GALMIER.

D’abord, qu’est-ce que c’est que ces costumes-là !

LAURE, allant à lui, minaudant.

C’est la dernière mode de Loches...

SAINT-GALMIER.

Mode de Loches... mode de Loches !... Ce ne sont pas des costumes de domestiques !...

GÉVAUDAN.

Mais nous n’avons pas l’habitude de nous habiller comme des domestiques !...

Laure a gagné l’extrême gauche et s’est assise sur la chaise à gauche de la table.

ALFRED, à part.

Il a l’air de nous reprocher notre province !... ce Parisien ! Sapristi ! que j’ai mal à la tête !...

GÉVAUDAN, à part.

Je lui trouve un air froid !... Je vais le mettre à l’aise !

Il se lève, va à Saint-Galmier et avec désinvolture, lui frappant sur l’épaule.

Eh bien, voyons ! quoi de neuf, aujourd’hui ?

SAINT-GALMIER.

Hein !

À part.

Ah ! mais il manque de style !... Il a dû servir chez des cocottes !

Haut.

Vous croyez que je suis là pour causer avec vous !...

GÉVAUDAN.

C’est juste !... Nous avons autre chose à faire !...

À Laure.

Laure, viens ici...

À Saint-Galmier, tenant Laure dans ses bras.

Je vous présente ma sœur, je l’ai vue naître.

SAINT-GALMIER.

Ça ne vous rajeunit pas !

GÉVAUDAN.

C’est un tempérament solide et une nature aimante !... Le jour venu... elle remplira ses devoirs matrimoniaux avec conscience...

SAINT-GALMIER, à part.

Qu’est-ce que ça me fait à moi ?

GÉVAUDAN, à Laure.

Embrasse-moi, Laure !

Il l’embrasse avec effusion.

SAINT-GALMIER.

Voyons ! Ce n’est pas ici l’endroit des épanchements de famille !

LAURE.

C’est mon frère, monsieur !...

À part.

Il est déjà jaloux !

ALFRED, mettant sa tête sur le marbre de la cheminée.

Oh ! que j’ai mal à la tête !

GÉVAUDAN, quittant Laure.

Mais ce n’est pas tout ça !... avant d’engager nos paroles... je voudrais subsidiairement...

SAINT-GALMIER, à part.

Oh mais ! il est phraseur, ce domestique !

Haut.

Qu’est-ce encore ?

GÉVAUDAN, à mi-voix, l’amenant sur le devant de la scène.

Eh bien, voilà ! J’ai vu hier à l’agence une demoiselle Michette qui vous appelle son gros lapin.

SAINT-GALMIER, à part.

Hein ! il sait !...

Haut.

Eh bien ?

GÉVAUDAN.

Eh bien, mais j’aime à croire, monsieur, que ce n’est pas une amante ! Sans cela, je ne connais que mon devoir, je dirai tout à votre fiancée !

SAINT-GALMIER, à part.

À Léonie ! Sapristi !

Vivement.

Ne faites pas ça ! Tenez ! voici pour vous.

Il lui remet une pièce de monnaie.

GÉVAUDAN, ahuri.

Quarante sous ?...

SAINT-GALMIER.

Oui ! acceptez-les ! D’ailleurs tout est fini avec Michette !... j’ai rompu !...

GÉVAUDAN.

Ah ! je l’espère, monsieur, mais nous verrons ! Abordons maintenant la question d’argent !

SAINT-GALMIER, à part.

Il va me faire chanter, c’est sûr !

GÉVAUDAN, fait signe à Laure de s’approcher.

Il est bon d’établir les situations respectives !

À Saint-Galmier.

Qu’est-ce que vous donnez ?

SAINT-GALMIER, embarrassé.

Mon Dieu ! j’ai pensé que soixante francs...

TOUS.

Soixante francs !

SAINT-GALMIER, vivement.

Eh bien non ! quatre-vingts !... j’irai jusqu’à quatre-vingts francs par mois...

GÉVAUDAN.

Comment !... Vous ne donnez pas tout à la fois ?

LAURE.

Oh ! ces questions d’intérêt devant moi... l’inclination seule me guide...

GÉVAUDAN.

Laisse donc ! Laisse donc !

SAINT-GALMIER.

Maintenant, si après je suis content, je vous augmenterai !

GÉVAUDAN.

Oh ! vous en serez content ! Mon Dieu... c’est une éducation à faire...

SAINT-GALMIER.

Hein !... elle n’a jamais servi ?...

GÉVAUDAN, indigné.

Ma sœur ! jamais !

SAINT-GALMIER.

Eh bien, c’est agréable !

GÉVAUDAN, à part.

Il n’y a qu’à Paris qu’on entend des choses pareilles !

SAINT-GALMIER, à part.

Ah ! quelle fichue idée j’ai eue d’arrêter ces domestiques-là !...

GÉVAUDAN.

Mais voyons ! ces quatre-vingts francs... ce n’est pas sérieux !... Voulez-vous que nous disions partout que vous n’apportez rien en dot !...

SAINT-GALMIER, furieux.

Comment ! vous iriez dire ?...

GÉVAUDAN, s’échauffant.

Laure a vingt-cinq mille francs, monsieur !...

SAINT-GALMIER, se montant.

Eh ! tant mieux pour elle !... mais quel intérêt ?...

GÉVAUDAN.

Quatre et demi !

SAINT-GALMIER.

Mais non ! je dis : quel intérêt cela a-t-il pour moi ?... Je m’en moque qu’elle ait vingt-cinq mille francs !...

GÉVAUDAN.

Mais je me moque encore plus de vos quatre-vingts francs !...

LAURE.

Eugène !... calme-toi !...

ALFRED, s’échouant sur le canapé.

Oh ! ce qu’ils me font mal à la tête !

GÉVAUDAN, à Saint-Galmier.

Comment ? vous vous mariez et vous n’apportez pas un sou de dot !

SAINT-GALMIER, exaspéré.

Je n’apporte pas un sou, moi ?...

GÉVAUDAN, à Saint-Galmier.

Puisque vous ne donnez que quatre-vingt francs !

SAINT-GALMIER, exaspéré.

Mais sapristi !... je vous donne quatre-vingts francs, mais ça ne m’empêche pas d’apporter deux cent mille francs en mariage.

GÉVAUDAN, calmé.

Eh ! dites-le donc ! D’accord ! je ne dis plus rien...

Il passe au 3.

SAINT-GALMIER, n° 2, à part, avec joie.

Il ne dira rien !...

GÉVAUDAN.

Alors, les quatre-vingts francs... c’est pour le service courant ?...

SAINT-GALMIER.

Naturellement !... Maintenant, à chaque enfant, vous aurez cinquante francs...

GÉVAUDAN, souriant.

Il n’y a pas besoin de ça !... n’est-ce pas, Laure ?...

LAURE, n° 1, minaudant.

Oh ! Eugène !... voyons !...

GÉVAUDAN, à Saint-Galmier, lui envoyant plusieurs renfoncements, en riant bêtement.

Il n’y a pas besoin de ça !... Ah ! ah ! ah !

SAINT-GALMIER.

Vous n’avez pas fini !

À part.

Quelle brute !...

Haut.

Dites-moi !... Est-ce que vous pourrez coucher ici ce soir ?

GÉVAUDAN et LAURE.

Hein ! Déjà ?...

SAINT-GALMIER.

Eh bien oui !... Vos chambres sont prêtes !...

À Laure.

La vôtre est à côté de la mienne... au moindre appel vous viendrez chez moi !

GÉVAUDAN, vivement.

Eh là ! pas avant le mariage !

SAINT-GALMIER, passant au 1.

Mais laissez donc !... Ça ne vous regarde pas...

GÉVAUDAN.

Comment ça ne me regarde pas ! mais je suis son frère !...

SAINT-GALMIER.

Mais quel rapport !...

À part.

Ah !... s’il ne me tenait pas avec Michette... mais, une fois marié, ce que le flanquerai à la porte, celui-là !

GÉVAUDAN, gagnant le fond à droite, ainsi qu’Alfred.

Nous allons prendre possession de nos appartements !

SAINT-GALMIER.

C’est ça !... et faites-moi le plaisir de quitter ces costumes ridicules.

TOUS.

Ridicules !

LAURE.

Ma toilette ne vous plaît pas ?

SAINT-GALMIER.

Non ! j’aime à ce qu’une femme de ménage soit mise simplement.

LAURE.

C’est assez ! Vos désirs sont des ordres !... Je sais qu’un grand philosophe a dit que la simplicité est la plus belle parure de la femme ! je vous comprends !...

Remontant au fond.

Seulement je n’ai rien ici...

SAINT-GALMIER, remontant également et indiquant le pan coupé de gauche.

Eh bien, passez là... vous trouverez justement une vieille robe de ma sœur... elle voulait la faire jeter... cela fera votre affaire !

Laure sort. À Gévaudan et à Alfred.

Quant à vous deux, vous allez suivre le corridor jusqu’aux chambres 5 et 6... ce sont les vôtres...

À Alfred.

Vous trouverez un costume de groom !

ALFRED.

De quoi !...

SAINT-GALMIER, redescendant à gauche.

De groom !... Ma sœur a la manie des grooms !...

ALFRED.

Ce doit être un costume étranger !

SAINT-GALMIER, à Gévaudan.

Vous, vous resterez comme ça... vous êtes bien...

GÉVAUDAN.

Trop aimable !...

À part.

Il me flatte !

SAINT-GALMIER, il est à l’extrême gauche.

Allez !...

GÉVAUDAN.

Oui !...

Revenant sur ses pas.

Ah ! encore un mot !

Il redescend jusqu’à Saint-Galmier qui a les mains dans les poches, il lui retire la main gauche de la poche, Saint-Galmier impatienté la dégage brusquement, Gévaudan la rattrape au vol et la tient serrée pendant ce qui suit malgré les efforts de Saint-Galmier pour se dégager. Avec émotion.

Au moment de vous marier, laissez-moi vous le dire : rendez-la heureuse !

SAINT-GALMIER, furieux.

Oui !... c’est bien !... c’est bien !...

GÉVAUDAN, à mi-voix.

Et plus de Michette !... ou vous savez... je dis tout.

SAINT-GALMIER.

Sapristi !... mais voulez-vous bien vous taire !... Tenez ! voilà encore pour vous.

Il lui donne une pièce de monnaie.

GÉVAUDAN.

Quarante sous !...

À part, en remontant.

Ah ça ! pourquoi me donne-t-il toujours quarante sous ?... Ça doit être un acompte sur la dot.

À Alfred.

Viens, Alfred !

Il sort par le pan coupé de droite avec Alfred.

ALFRED, en sortant.

Ah ! que j’ai mal à la tête !...

 

 

Scène IV

 

SAINT-GALMIER, puis PLUCHEUX et SÉRAPHIN

 

SAINT-GALMIER, seul.

Eh bien, j’ai mis la main sur de drôles de domestiques !...

On sonne.

et impossible de les renvoyer !... ils n’auraient qu’à faire manquer mon mariage...

PLUCHEUX, entrant au fond, suivi de Séraphin.

Monsieur le docteur, c’est Séraphin !

SÉRAPHIN.

Dites donc !... Vous pourriez bien dire monsieur !

PLUCHEUX.

Bah ! nous avons été collègues !

Plucheux sort.

SAINT-GALMIER, à Séraphin.

Qu’est-ce qu’il y a, Séraphin ?...

SÉRAPHIN.

Ah ! je tenais à vous voir pour une chose grave, vous savez, votre fiancée... la première...

SAINT-GALMIER.

Comment ? « la première ! »

SÉRAPHIN.

Eh bien oui ! la jeune ! mademoiselle Michette !... Elle est dans une colère après vous !...

SAINT-GALMIER.

Hein !

SÉRAPHIN.

Après votre départ... elle a eu une crise de nerfs... Je l’ai même frictionnée... Ah ! il y a du massage...

SAINT-GALMIER.

C’est vrai !... il y en avait !...

SÉRAPHIN.

Alors, j’ai essayé de la calmer !... je lui ai dit : « Laissez-le tranquille cet homme ! C’est demain qu’il signe son contrat !... »

SAINT-GALMIER.

Comment, vous lui avez dit !...

SÉRAPHIN.

Oui, j’ai eu cette idée.

SAINT-GALMIER.

Eh bien ! elle est jolie votre idée.

SÉRAPHIN.

Elle reut une attaque de nerfs !... moi je l’ai refrictionnée et... elle est tout à fait calmée !...

SAINT-GALMIER, joyeux.

Ah !

SÉRAPHIN, très naturellement.

Elle vous vitriolera, voilà tout !

SAINT-GALMIER, bondissant.

Hein ! mais c’est que...

SÉRAPHIN.

Alors comme je n’avais rien à faire, j’ai pensé que je ferais bien de vous prévenir...

SAINT-GALMIER, éperdu.

Sapristi ! pourvu qu’elle n’ait pas déniché mon adresse !... La voyez vous débouchant ici en plein contrat !... Séraphin ! vous allez me rendre un service !

S’essayant à la table.

Vous allez lui porter ce mot de ma part !...

Écrivant.

« Ma poulette... Veux-tu que nous dînions ensemble à Robinson... Prends le train de ton côté et attends-moi... sous l’arbre. – Ton colonel. » Là, autant de gagné !...

On sonne.

Vous savez son adresse... portez-lui ça tout de suite...

SÉRAPHIN.

Faudra-t-il monter ?

SAINT-GALMIER.

Je crois bien ! Même, si vous pouvez rester, vous me ferez plaisir...

 

 

Scène V

 

SAINT-GALMIER, SÉRAPHIN, RACHEL et LÉONIE

 

RACHEL, entrant du fond avec Léonie, cette dernière tient un bouquet à la main.

Ah ! nous voilà !

SÉRAPHIN, à Saint-Galmier.

Tiens ! votre deuxième !

À Léonie.

Ah ! Madame, je viens de le tirer d’un mauvais pas !...

SAINT-GALMIER.

Oui ! oui ! allez !...

SÉRAPHIN.

Imaginez-vous que sans moi...

SAINT-GALMIER, le poussant vers le fond.

Mais allez donc !...

SÉRAPHIN, bien gaffeur.

Ah ! c’est vrai ! moi qui allais leur raconter...

LES DEUX FEMMES.

Quoi donc ?

SÉRAPHIN, l’air fin.

Mais rien ! rien !... rien-rien-rien-rien-rien ! Au revoir !

Il sort par le fond.

SAINT-GALMIER, redescendant.

Ne vous occupez pas de ce qu’il dit !... il radote !... Mais comment allez-vous ce matin, ma chère fiancée ?

LÉONIE.

Mais très bien !... vous voyez, j’ai reçu votre joli bouquet... vous m’avez gâtée !...

Elle dépose le bouquet sur la cheminée.

 

 

Scène VI

 

SAINT-GALMIER, RACHEL, LÉONIE, GÉVAUDAN, ALFRED

 

GÉVAUDAN, entrant du pan coupé de droite suivi d’Alfred en groom.

Allons ! viens ! et tiens-toi droit !

ALFRED.

Oh ! ne me remue pas !...

LÉONIE, à Saint-Galmier.

Ah !... vos gens sont arrivés ?

ALFRED.

Ça me résonne dans la tête...

GÉVAUDAN, à Alfred.

Quand on a l’honneur de porter l’uniforme, on envoie promener sa tête !...

À part, apercevant Léonie et Rachel.

Oh ! nos prétendues !...

À Alfred.

Enlève ton képi !...

Saluant plusieurs fois ainsi qu’Alfred.

Mesdames !...

S’approchant de Saint-Galmier et à mi-voix.

Dites donc !... Quelle est la mienne ?

SAINT-GALMIER.

La vôtre ?...

GÉVAUDAN, lui donnant un coup de coude.

Eh bien oui !... présentez-nous !...

SAINT-GALMIER, ennuyé, s’essuyant le coude.

C’est bien ! Je sais ce que j’ai à faire !... Dans votre situation,... on garde ses distances !

GÉVAUDAN.

Dans notre situation !... Ah !... je ne savais pas...

À Alfred.

Viens, Alfred !... prenons nos distances !

Ils vont tous deux jusqu’à l’extrême gauche, appelant Saint-Galmier.

Eh !... Sommes-nous assez loin comme ça ?...

SAINT-GALMIER.

Eh bien ! quoi ? Je ne vous ai pas dit de vous en aller là-bas.

RACHEL, qui examine Alfred.

Il est très bien, ce petit groom !...

Passant au 3. À Alfred.

Venez ici, mon ami !...

ALFRED, à part, passant au 2.

Elle m’a appelé son ami !...

RACHEL.

Tournez-vous !... je ne vous ai pas bien regardé !...

Alfred tourne sur lui-même.

GÉVAUDAN, n° 1, tournant aussi, à part.

Ils vous font beaucoup tourner dans cette famille.

SAINT-GALMIER, haussant les épaules.

Qu’est-ce que vous avez à faire des ronds, vous, là-bas ?...

RACHEL, à Saint-Galmier, indiquant Alfred.

Tu sais que je le trouve très gentil !...

SAINT-GALMIER, s’asseyant (n° 4), ainsi que Léonie (n° 5,) sur le canapé.

Tant mieux !... il est pour toi !...

ALFRED, à part.

Hein ! je suis pour la vieille !... ah ! flûte !...

À Rachel.

Dites donc !... ça ne vous serait pas égal de prendre mon frère ?

GÉVAUDAN, vivement.

Eh bien ! dis donc ! tu es bien bon !...

RACHEL.

Merci !... je ne veux pas d’un vieux groom !...

GÉVAUDAN, à part.

Si elle croit que je veux d’une vieille fille !...

À Alfred.

Ne discute donc pas !...

ALFRED, bas.

Tien ! parbleu ! tu as la jeune !...

Gévaudan gagne petit à petit par le fond l’extrême droite et revient au 5.

RACHEL, à Alfred.

Dites-moi, mon garçon...

ALFRED, à part.

Son garçon !... Elle est familière !... Si je l’appelais ma fille !... Qu’est-ce qu’elle dirait ?

Haut.

Eh bien ? quoi ?

RACHEL.

Êtes-vous d’une forte constitution ?

ALFRED.

Comment ?

RACHEL.

Je vous préviens que vous aurez du service !...

ALFRED.

Hein ?

GÉVAUDAN, à part.

Elle a des expressions !...

ALFRED, à part.

Ah ! bien, si elle croit que je vais m’échiner !...

SAINT-GALMIER, se levant.

Allons, c’est bien ! maintenant comment vous appelez-vous ?... Vous ne nous avez pas dit vos noms ?...

GÉVAUDAN.

Nous nous appelons Gévaudan !

LÉONIE.

Non ! vos petits noms ?...

GÉVAUDAN, très finaud.

Ah ! c’est juste !... Au point où nous en sommes !... Nous ne pouvons plus nous appeler par nos noms de famille... je m’appelle Eugène !

RACHEL, à Alfred.

Et vous ?

ALFRED.

Alfred !

ALFRED et GÉVAUDAN, à Rachel et à Léonie.

Et vous ?...

SAINT-GALMIER, LÉONIE et RACHEL, scandalisés.

Nous ?...

GÉVAUDAN.

Eh bien oui ! vos noms ?

RACHEL.

Dites donc !... Est-ce que ça vous regarde ?...

GÉVAUDAN, à part.

Ils sont étonnants ! Ils prennent tout pour eux !...

RACHEL.

Je vous conseille d’être plus convenable, vous !... sans cela, je vous donne vos huit jours !...

Allant à Gévaudan, en passant devant Saint-Galmier.

GÉVAUDAN, à part.

Mes huit jours !... Qu’est-ce qu’elle veut que j’en fasse !...

 

 

Scène VII

 

SAINT-GALMIER, RACHEL, LÉONIE, GÉVAUDAN, ALFRED, LAURE

 

LAURE, venant du pan coupé de gauche. Elle a une robe simple.

Me voilà !...

SAINT-GALMIER, à part.

Ah ! la bonne !

GÉVAUDAN, allant au devant de Laure.

Laure !

À mi-voix.

Viens ! je vais te présenter à tes belles-sœurs !

À Rachel et à Léonie.

Mesdames, je vous présente ma sœur !...

LAURE.

Qui est bien heureuse d’entrer dans votre famille !

Passant devant Gévaudan et allant à Rachel et à Léonie.

Ah ! mesdames !

Elle veut les embrasser.

RACHEL, se défendant.

Hein ? quoi ?

SAINT-GALMIER, assis sur la chaise à droite de la table.

Elle veut embrasser ma sœur !

LAURE.

C’est la joie !...

À part.

Sont-ils collet montés à Paris !

À Saint-Galmier.

Eh bien ! je me suis mise simplement ! suis-je à votre goût ?...

SAINT-GALMIER.

Est-ce que je sais ? je n’ai pas à vous goûter !...

À part.

Ce n’est pas possible ! tous ces gens-là ont reçu un coup de marteau !...

À Alfred qui pendant ce qui précède s’est échoué sur la chaise à gauche de la table, et les bras ballants, le front appuyé sur la table, dodeline de la tête pour calmer sa migraine.

Et vous, là ! Qu’est-ce que vous faites ?

ALFRED, soulevant la tête.

Ah ! ça ne va pas !

RACHEL, allant à lui.

Vous êtes malade ?

ALFRED.

Ah ! j’ai une migraine ! ma chère !

TOUS.

Sa chère !

ALFRED, se levant.

Oh ! C’est vrai !... c’est trop tôt !

RACHEL, bas à Saint-Galmier.

Ah çà qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? Voilà les domestiques que tu nous as retenus !

SAINT-GALMIER, bas à Rachel.

Ce n’est pas ma faute ! Séraphin me les a garantis ! et puis nous en serons quittes pour les renvoyer demain.

Haut.

Mais quelle heure est-il ?

GÉVAUDAN, qui est dans le fond avec Laure, tirant sa montre.

La demie ! heure de Loches !

LÉONIE, allant à Rachel qui est au fond n° 2.

La demie ! mais le notaire va arriver !

RACHEL.

Oui ! vite ! allons retirer nos chapeaux !

Sortant avec Léonie par le pan de gauche.

Sa chère !

SAINT-GALMIER, à Laure, lui donnant le bouquet de fiançailles qui est sur la cheminée.

Voici le bouquet de fiançailles ! mettez-le dans l’eau !

LAURE, avec explosion.

Le bouquet de fiançailles.

Lui serrant les mains avec effusion.

Ah ! merci ! Merci !

SAINT-GALMIER, la repoussant.

Mais laissez donc ! Sont-ils tripoteurs !

LAURE.

Ces fleurs d’oranger embaument !

Elle gagne la gauche, tandis qu’Alfred est au fond.

GÉVAUDAN, descendant à Saint-Galmier, sournoisement.

Espérons que dans neuf mois, elle vous le rendra couvert d’oranges !

Il lui envoie une botte dans le côté.

SAINT-GALMIER.

Eh ! bien, voyons ! C’est bon ! allez à votre service !...

À part.

Non ! décidément, ils ont un grain !

Haut.

Allez ! et occupez-vous du lunch !

Il sort par la droite. Premier plan, tous trois se regardent, abrutis.

 

 

Scène VIII

 

GÉVAUDAN, LAURE et ALFRED, puis SAINT-GALMIER

 

LAURE.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

ALFRED.

Il a dit le lunch !

À Gévaudan.

Tu sais ce que c’est toi ?

GÉVAUDAN.

Approximativement ! je crois que c’est une loi ! la loi du lunch ! Eh bien, voyons, qu’est-ce que vous dites de vos prétendus ?

À Alfred.

Es-tu content de la tienne ?

ALFRED.

De Rachel ?... Dame, elle est un peu avancée.

GÉVAUDAN.

Oh bien, tu sais... le soir... aux lumières...

ALFRED.

Oui. Quand elles sont éteintes... Alors, décidément, tu ne veux pas changer...

GÉVAUDAN.

Te céder Léonie ! Merci bien ! D’abord, cette femme m’aime !

ALFRED.

Qui te l’a dit ?

GÉVAUDAN.

Son silence ! J’ai remarqué une chose bien souvent !

Sur un ton dogmatique.

Quand une femme parle c’est pour ne rien dire, donc quand elle ne dit rien, c’est qu’elle parle.

On sonne.

LAURE.

Moi, tout ce que je sais, c’est que mon petit Saint-Galmier est un amour d’homme ! Une tenue !...

GÉVAUDAN.

Trop !... moi, je le trouve un peu brusque !

On sonne.

LAURE.

L’amour rend bourru.

Montrant un bouquet.

M’a-t-il donné un joli bouquet !... je vais le porter dans ma chambre !

GÉVAUDAN, le prenant.

Non... Donne-le moi !

LAURE.

Mon bouquet !

GÉVAUDAN.

Oui, je l’offrirai à Léonie ! Pas de frais inutiles !

On sonne furieusement au fond.

Ah çà ! qui est-ce qui nous embête avec cette sonnette ? Il n’y a donc pas de domestiques ici !

Appelant à la porte de droite.

Eh ! Saint-Galmier ! Saint-Galmier !

SAINT-GALMIER, passant la tête.

Quoi ?

GÉVAUDAN.

Eh bien ?... on sonne !

SAINT-GALMIER.

Eh bien, allez ouvrir.

Il referme sa porte.

GÉVAUDAN, gagnant la gauche.

Comment, allez ouvrir !

ALFRED, remontant jusqu’à la cheminée en passant derrière le canapé.

Pour qui nous prend-il ?

GÉVAUDAN.

Il ne faudra pas qu’il le prenne sur ce pied-là !

 

 

Scène IX

 

GÉVAUDAN, LAURE, ALFRED, PLUCHEUX, MICHETTE

 

MICHETTE, entrant au fond, suivie de Plucheux.

Ah ! ce n’est pas malheureux !

GÉVAUDAN, à part.

Mademoiselle Michette ! la petite à Saint-Galmier !...

MICHETTE, à Plucheux.

Voilà une heure que je sonne !

PLUCHEUX.

Eh ! j’étais en haut !

À Gévaudan.

Vous ne pouviez pas allez ouvrir ?

GÉVAUDAN.

Hein ? dites donc ! est-ce que je suis là pour ça ?

MICHETTE.

Allons, c’est bien !

À Plucheux.

Allez dire à M. Saint-Galmier que quelqu’un le demande... un monsieur !

PLUCHEUX, sortant par la droite.

Un monsieur !... Ah ! C’est un... travesti !

MICHETTE, très agitée, allant à Alfred.

Ah ! nous allons rire ! je vais y assister, à son contrat !

GÉVAUDAN, à part.

Comment ! Saint-Galmier l’a invitée ?

ALFRED, à Michette, saluant.

Madame vient pour le contrat ! Ah ! c’est trop aimable à vous de vous être dérangée pour nous.

MICHETTE, lui tournant le dos.

Fichez-moi la paix !

ALFRED.

Ah ! bien !

À part.

Elle n’est pas polie !

MICHETTE, marchant, furieuse, et allant à Laure.

Ah ! nous allons donc le voir, ce beau mari, avec sa grue de fiancée !

LAURE.

Qu’est-ce qu’elle a dit !

GÉVAUDAN.

Je vous défends d’insulter sa fiancée !

MICHETTE.

Ah bien ! je me gênerai !... quand Saint-Galmier m’a plantée là !... après trois mois de lune de miel avant la lettre !

LAURE.

Vous osez dire ?

MICHETTE.

Et il me promettait le mariage.

TOUS.

Lui !

MICHETTE.

Ah ! je comprends pourquoi il me donnait une fausse adresse ! mais vous allez voir comme je vais l’enlever !...

LAURE.

Elle veut enlever l’homme que j’aime !

MICHETTE.

Hein ?

LAURE, se trouvant mal dans les bras de Gévaudan et d’Alfred, qui s’est précipité au secours de sa sœur.

Ah !

GÉVAUDAN.

Calme-toi !

ALFRED.

Ma sœur !

MICHETTE, gagnant l’extrême droite.

Il est l’amant de sa bonne !... ça, c’est le comble !...

 

 

Scène X

 

GÉVAUDAN, LAURE, ALFRED, PLUCHEUX, MICHETTE, SAINT-GALMIER

 

SAINT-GALMIER, sortant de droite, gagne le milieu sans voir Michette.

Je vous demande pardon, monsieur !

Ne voyant personne, il se retourne et aperçoit Michette.

Hein ! Michette !...

MICHETTE.

Ah ! tu ne comptais pas me voir !

GÉVAUDAN, indigné, à Saint-Galmier.

Monsieur ! votre conduite n’est pas celle d’un galant homme !

SAINT-GALMIER.

Eh ! allez au diable !

GÉVAUDAN.

Oui ! mais ça n’empêche pas !... vous n’avez pas de honte de recevoir votre maîtresse devant votre fiancée !

Laure revient à elle.

MICHETTE.

Faites sortir ces gens !

LAURE, voyant Saint-Galmier.

Lui !

GÉVAUDAN.

Viens ! viens, ma sœur !

LAURE, emmenée par Gévaudan, à Saint-Galmier.

Monsieur, tout est fini entre nous !

ALFRED, les suivant.

Et dire qu’on ordonne la tranquillité pour la migraine !

Laure sort par le fond avec Gévaudan et Alfred.

 

 

Scène XI

 

SAINT-GALMIER, MICHETTE

 

MICHETTE.

Approchez, monsieur !

Il gagne vivement l’extrême gauche.

SAINT-GALMIER, à part.

Elle vient me vitrioler, c’est sûr !

Haut.

Ah ! cette bonne Michette !

MICHETTE.

Il n’y a plus de bonne Michette ! Alors vous vous moquiez de moi !

SAINT-GALMIER.

Moi !... mais je t’assure !...

MICHETTE.

Allons donc ! je sais tout ! Ah ! vous me présentez des soi-disant Rachel avec de fausses confidentes ! Ah ! vous m’envoyez à la caserne chercher un colonel qui n’existe pas !... et pendant ce temps-là monsieur signe son contrat de mariage...

SAINT-GALMIER.

Moi... mais pas du tout !

MICHETTE.

Alors quel est le contrat que vous signez aujourd’hui ?...

SAINT-GALMIER.

Ce contrat... mais je vais te dire...

MICHETTE.

Vous mentez !...

SAINT-GALMIER.

Ah ! déjà ?

Entre ses dents.

Je n’ai encore rien dit.

MICHETTE.

Mais ça ne se passera pas comme ça !... attends, va ! je sais ce que je vais faire.

Elle met la main dans sa poche.

SAINT-GALMIER, à part.

Ah ! mon Dieu ! elle cherche la bouteille !

Haut.

Michette ! ne fais pas ça !... les tribunaux n’acquittent plus !

Michette tire son mouchoir et se mouche. À part.

Ah ! elle m’a fait une peur !...

Haut.

Écoute, je t’en prie ! pas de bruit ! pas de scandale !... Tu t’emballes, tu te montes ! comment veux-tu que je t’explique...

MICHETTE.

Enfin m’épouses-tu oui ou non ?

SAINT-GALMIER.

Si je t’épouse !... mais plus que jamais !... Est-ce que j’ai l’air d’un mari qui ne t’épouse pas ?

MICHETTE.

Mais alors, ce contrat ?...

SAINT-GALMIER.

Eh bien, quoi ? Ce contrat ! parce qu’il y a un contrat !... tu en conclus que je vais me marier !

MICHETTE.

Comment ?

SAINT-GALMIER.

Dame ! on fait des contrats pour tout ! pour des ventes ! Tiens ! c’est une maison que j’achète !

MICHETTE.

Quoi ! il se pourrait !...

SAINT-GALMIER.

Il se peut ! il se peut !

LÉONIE, du dehors.

Je vais le chercher !

 

 

Scène XII

 

SAINT-GALMIER, MICHETTE, LÉONIE, puis RACHEL, puis PLUCHEUX

 

SAINT-GALMIER, apercevant Léonie qui vient du pan coupé à gauche.

Ciel ! Léonie !

LÉONIE.

Ah ! vous voilà !

MICHETTE, à part.

La confidente !

LÉONIE.

La folle d’hier !

Bas à Saint-Galmier.

Pourquoi nous l’avez-vous amenée ?

SAINT-GALMIER, bas.

C’est !... C’est pour la distraire ! Je lui ai ordonné les distractions !

LÉONIE, à part.

C’est bien agréable pour nous !

Elle gagne la gauche.

MICHETTE, bas à Saint-Galmier.

Ah çà ! me diras-tu ce que c’est que cette femme ?

SAINT-GALMIER.

Eh bien, c’est... c’est ma sœur !...

MICHETTE.

Sa sœur !

RACHEL, venant du pan coupé de gauche.

Voilà quelques invités qui arrivent.

Apercevant Michette.

La toquée !

Elle interroge Léonie.

MICHETTE, bas à Saint-Galmier.

Et celle-là... qui est-ce ?

SAINT-GALMIER, il va vers Léonie et Rachel.

Eh bien, c’est... c’est ma sœur.

MICHETTE, gagnant la droite.

Encore !

PLUCHEUX, accourant du fond.

Monsieur ! Monsieur !

LÉONIE.

Quel est cet homme ?

SAINT-GALMIER.

C’est le... masseur !

MICHETTE.

Encore !

SAINT-GALMIER, à Plucheux.

Qu’est-ce qu’il y a ?

PLUCHEUX.

C’est le notaire qui vient d’arriver pour le contrat.

SAINT-GALMIER, à part.

Aïe !

Il passe devant Plucheux.

MICHETTE.

Le contrat !

SAINT-GALMIER, bas.

Eh bien, oui !... le contrat de vente... pour la maison...

LÉONIE, remontant au fond à droite.

Venez-vous ?

SAINT-GALMIER.

Voilà !

Redescendant, bas à Michette.

Reste ici avec ma sœur ! Je reviens tout de suite !...

À Rachel.

Tâche de la retenir, je te dirai pourquoi.

RACHEL.

Hein !

SAINT-GALMIER, à Michette.

À tout à l’heure !

Saint-Galmier sort par le pan coupé de droite avec Léonie et Plucheux.

 

 

Scène XIII

 

RACHEL, MICHETTE

 

MICHETTE.

Comment ! il s’en va ?

RACHEL, à part.

Me laisser avec elle !... comme c’est agréable !

MICHETTE, brusquement.

Ah çà ! où est-il ?

RACHEL, peu rassurée, se réfugie à gauche de façon à avoir la table entre elle et Michette.

Mais il est avec le notaire...

MICHETTE, allant vers elle à gauche.

Le notaire ?...

RACHEL, redescendant à droite après avoir fait le tour de la table par le fond.

Il signe son contrat de mariage...

MICHETTE, qui a également fait le tour de la table.

Son contrat ?... il se marie !...

RACHEL, au milieu de la scène dans le fond, très effrayée.

Eh bien oui !... avec Léonie !

MICHETTE, furieuse.

Il épouse sa sœur ! Ah ! le gredin !... eh bien ! nous allons voir !

Elle bouscule Rachel en passant et sort précipitamment par le pan coupé de droite.

RACHEL.

Qu’est-ce qui lui prend ?... Eh ! madame, madame !

Elle répare devant la glace le désordre que cette bousculade a pu apporter dans sa toilette.

 

 

Scène XIV

 

RACHEL, ALFRED

 

ALFRED, très pâle, entrant du fond, un plateau de rafraîchissements à la main.

Ouf !... j’ai dit au docteur Saint-Galmier que j’avais la migraine... Il m’a répondu : « Oui ! Eh bien ! prenez ces rafraîchissement ». Je ne pourrai jamais avaler tout ça... Quel régime, mon Dieu !

Apercevant Rachel.

Oh ! ma fiancée !... elle est seule !...

La saluant, son plateau à la main.

Mademoiselle !

RACHEL, redescendant à droite du canapé.

Non ! merci ! je ne veux rien !

ALFRED, à part.

On dirait qu’elle me boude ! C’est peut-être parce que je ne me suis pas déclaré !

Haut.

Mademoiselle !

RACHEL.

Quoi, mon garçon ?

ALFRED, toujours son plateau à la main.

Si vous saviez !...

À part.

Mon plateau me gêne.

Il dépose son plateau sur la table.

Si vous saviez !

RACHEL.

D’abord, mon ami, habituez-vous à parler à la troisième personne.

ALFRED, regardant autour de lui.

À quelle troisième personne ?...

RACHEL.

Dites : si mademoiselle savait !

ALFRED, avec une moue.

Ça gêne pour les expansions... enfin !...

Reprenant.

Si mademoiselle savait ce qui se passe dans mon cœur...

RACHEL.

Vous me l’avez déjà dit : vous avez la migraine.

ALFRED.

La migraine et l’amour ! Si mademoiselle pouvait savoir les sentiments que j’ai pour mademoiselle...

RACHEL.

Hein !

ALFRED.

Que mademoiselle me laisse le dire à mademoiselle !

À part.

Pristi ! Que c’est difficile !

La prenant par la taille.

J’adore mademoiselle !

RACHEL, se dégageant et passant au n° I.

Ciel ! Ruy Blas ! Alfred, vous êtes fou !

ALFRED.

Oui, fou d’amour ! Je t’aime, Rachel !

RACHEL, affolée.

Appelez-moi mademoiselle !

ALFRED.

Je t’aime, mademoiselle Rachel !

RACHEL, très émue.

Ah ! Dieu ! c’est la première fois qu’un homme me parle d’amour ! Cela a beau être un domestique !...

Haut.

Alfred ! n’essayez pas de troubler le cœur d’une vierge !

ALFRED, transporté.

Mademoiselle est vierge !

RACHEL.

Nous sommes deux enfants !

ALFRED.

Oh ! vous vous calomniez !

RACHEL.

Va, pauvre ver de terre !

ALFRED.

Comment m’a-t-elle appelé ?

RACHEL.

Il faut oublier ce fol amour !

ALFRED, portant sa main à la tête.

Ah ! mon Dieu ! que je souffre !

RACHEL.

Le temps te guérira.

ALFRED.

Oh ! demain ce sera passé !

RACHEL.

Hein ! ton amour ?

ALFRED.

Eh ! non ! ma migraine ! la voilà qui me reprend ! et je n’ai pas même d’eau de mélisse !

RACHEL, ouvrant la porte de gauche, premier plan.

Mais j’en ai, moi... là !... dans ma chambre... Vous trouverez ça sur la cheminée.

ALFRED, gagnant le n° 1.

J’y cours !

RACHEL, remontant vers la droite, deuxième plan.

Et puis après, vous vous coucherez !

ALFRED, à part.

Hein ! dans sa chambre !

RACHEL.

Allez ! moi, je vais retrouver mon frère.

Sortant par le pan coupé de droite.

Mais allez donc !

ALFRED, se dirigeant vers la chambre de Rachel.

Après tout, du moment que ça lui fait plaisir...

 

 

Scène XV

 

ALFRED, GÉVAUDAN, arrivant du fond, un plateau de rafraîchissements à la main

 

ALFRED, au moment d’entrer dans la chambre, apercevant Gévaudan.

Tiens ! Tu as donc aussi la migraine, qu’on t’a donné un plateau ?

GÉVAUDAN.

Non ! C’est Saint-Galmier qui m’a dit de promener ça ! Alors, je promène ça !

ALFRED.

Eh bien, promène ça ! Moi, on m’a dit de me coucher, je vais me coucher !

Il sort par la gauche, premier plan.

GÉVAUDAN, faisant le tour de la pièce, son plateau à la main.

Je vous demande un peu à quoi ça peut leur servir que je promène un plateau !... Y en a-t-il des formalités dans ces mariages parisiens !... ce doit être des épreuves comme dans la franc-maçonnerie !... Pourvu qu’ils ne me fassent pas sauter de précipices !

Buvant un rafraîchissement.

Enfin ! heureusement que leur promenade est rafraîchissante !

Bruit de voix à droite. Déposant son plateau sur la table.

Hein ! Qu’est-ce que c’est que ça ?

 

 

Scène XVI

 

GÉVAUDAN, LÉONIE, RACHEL

 

LÉONIE, accourant précipitamment du pan coupé de droite, et gagnant le milieu de la scène.

Ah ! mon Dieu ! la toquée a eu un accès ! Elle veut tuer le notaire !...

RACHEL, descendant de droite également.

Aussi, il avait bien besoin de l’inviter à son contrat !

Elle se précipite à gauche, premier plan.

Je cours chercher mes sels !

Léonie se dispose à la suivre.

GÉVAUDAN, à part.

Seul avec Léonie !

Haut, arrêtant Léonie au passage.

Ah ! Léonie !

LÉONIE.

Léonie !

GÉVAUDAN.

On peut venir ! je n’irai pas par quatre chemins ! Léonie ! je vous adore !

Il tombe à ses pieds et lui prend les mains ; Léonie se débat en poussant des cris.

 

 

Scène XVII

 

GÉVAUDAN, LÉONIE, RACHEL, SAINT-GALMIER, puis LAURE, puis RACHEL, puis ALFRED

 

SAINT-GALMIER, venant de droite, deuxième plan.

Eh bien ? les sels !

Voyant Gévaudan aux pieds de Léonie qui à ce moment se dégage et gagne l’extrême droite.

Aux pieds de Léonie !

Il donne un coup de pied à Gévaudan.

GÉVAUDAN, se relevant en se frottant les reins.

Aïe ! oh ! que c’est bête !

Il remonte au fond.

LAURE, accourant du fond.

Où est-il ? Où est-il ?

À Saint-Galmier.

Ah ! Ernest, je sais tout ! Michette est une folle ! je te pardonne !

Elle lui saute au cou.

SAINT-GALMIER, impatienté la fait passer à droite en l’enlevant presque de terre.

Eh ! fichez-moi la paix !

Laure remonte vers son frère.

RACHEL, sortant éperdue de sa chambre.

Ah ! mon Dieu il y a un homme dans mon lit !

SAINT-GALMIER, se précipitant dans la chambre.

Dans ton lit ?

De la chambre.

Sortez, monsieur !...

Ressortant et traînant Alfred qui est en caleçon.

Le groom !

ALFRED.

Oui, elle m’a dit de me coucher !

SAINT-GALMIER.

Ah ! çà mais qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?

GÉVAUDAN.

Mais nous sommes les fiancés, de Loches.

SAINT-GALMIER.

Les fiancés ! il divague !

GÉVAUDAN.

Moi ! je n’ai pas dit ça !

 

 

Scène XVIII

 

GÉVAUDAN, LÉONIE, RACHEL, SAINT-GALMIER, LAURE, RACHEL, ALFRED, PLUCHEUX, UN GARDIEN, puis MICHETTE

 

PLUCHEUX, accourant du fond, une lettre à la main, il est suivi du gardien qui reste au fond.

Monsieur ! Monsieur ! une lettre pressée ! du Louvre hydrothérapique !

SAINT-GALMIER, parcourant la lettre, qui n’est que pliée mais non sous enveloppe.

Ah ! mon Dieu !

LÉONIE et RACHEL.

Quoi donc ?

SAINT-GALMIER, passant devant Plucheux, à Rachel et à Léonie, à mi-voix.

Trois pensionnaires se sont échappés, les trois Choquart. Deux hommes et une femme ! je comprends tout !

Indiquant Laure, Gévaudan, et Alfred.

Ce sont eux !

LÉONIE et RACHEL.

Des névropathes !...

GÉVAUDAN, à Laure et Alfred.

Qu’est-ce qu’ils manigancent tout bas ?

SAINT-GALMIER, bas à Plucheux, les indiquant.

Plucheux ! vous allez conduire ces gens-là à l’établissement ! Ils n’ont pas leur tête !

PLUCHEUX.

Comment ! ils n’ont pas ?...

SAINT-GALMIER, à Gévaudan, Laure et Alfred.

Tenez ! vous allez suivre monsieur !

TOUS LES TROIS.

Où ça ?

SAINT-GALMIER.

À ma maison de campagne, c’est une surprise !

GÉVAUDAN.

Mais nous venons pour nous marier !

SAINT-GALMIER.

Justement, il y a une petite mairie.

PLUCHEUX.

Vite ! Venez !

ALFRED.

Mais je suis en caleçon !

SAINT-GALMIER.

C’est bien ! on vous habillera !

GÉVAUDAN.

Ne discute donc pas ! c’est encore une formalité !

SAINT-GALMIER.

Surtout ne les laissez pas échapper !

MICHETTE, accourt du pan coupé de droite, furieuse, tenant à la main le contrat couvert d’encre, et se précipite sur Saint-Galmier à sa gauche.

Ah ! brigand ! tiens ! le voilà, ton contrat !

Elle le déchire et lui jette les morceaux à la figure.

RACHEL.

Ah ! mon Dieu ! la toquée !

SAINT-GALMIER, la faisant passer à droite, ce qui la met dans les bras de Plucheux.

Tenez ! emmenez-la aussi !

MICHETTE, à Plucheux, qui est à droite et qui veut l’appréhender au corps.

Moi ! ne me touchez pas !

GÉVAUDAN.

Ne criez donc pas ! nous allons à la campagne.

PLUCHEUX.

Allons ! en route !

Furieuse, Michette envoie à Plucheux un soufflet qu’il esquive et que reçoit Gévaudan à sa place. La douleur fait étendre la main à Gévaudan qui vient souffleter le visage d’Alfred qui est à sa droite. Saint-Galmier s’est précipité vers Michette, il reçoit un autre soufflet. Les trois soufflets doivent être donnés presque en même temps.

SAINT-GALMIER, RACHEL et LÉONIE tombant ensemble sur le canapé.

Ah ! quel contrat ! mon Dieu ! quel contrat !

Michette, dans le fond, tenant le milieu de la scène, prête à frapper encore, menace Plucheux à sa droite, le gardien à sa gauche. Alfred se frotte la joue ; pendant que Laure fait avaler une des consommations à Gévaudan, qui s’est affaissé sur la chaise à droite de la table.

 

 

ACTE III

 

La salle de visite au Louvre Hydrothérapique. Au fond, grande baie à jour, de toute la largeur de la scène donnant sur une cour. Une grille, également de toute la largeur de la scène, sépare la salle de visite de la cour. Porte d’entrée au fond, au milieu de la grille. À droite, second plan, une porte donnant dans la salle de douche. À gauche, deuxième plan, une porte vitrée avec des petits rideaux blancs. À droite et à gauche, premier plan, une baignoire placée parallèlement au mur, de façon à ce que les baigneurs soient face au public. Robinets autant que possible fonctionnant ; de chaque côté également, un paravent se développant du manteau d’arlequin auquel il est fixé, vers le fond. À droite de la porte d’entrée, contre la grille, une pomme de douche fonctionnant. À gauche de la porte d’entrée une petite table et une chaise. Tabouret auprès de chaque baignoire, tabourets dans le fond.

 

 

Scène première

 

GÉVAUDAN, LAURE, ALFRED

 

Au lever du rideau, Alfred, Laure et Gévaudan font irruption par le fond, poussés violemment par Plucheux qui referme la grille sur eux.

ALFRED.

Eh bien, voyons !... qu’est-ce que c’est que ces manières ?

LAURE.

Espèce de brutal !

GÉVAUDAN.

Oh ! mais ce cérémonial commence à me fatiguer !

ALFRED.

Le fait est que c’est d’un compliqué, de se marier à Paris !

GÉVAUDAN.

Je comprends qu’il y ait tant de ménages irréguliers !

LAURE.

On ne se marie pas tous les jours !

GÉVAUDAN.

Enfin quel besoin Saint-Galmier avait-il de nous envoyer à sa campagne !... Nous étions aussi bien à Paris !... Avec ça qu’elle a l’air folichon sa campagne !... pas une fleur !... le tout dans quatre murs !... À Loches nous ne faisons pas tant de manières !... Nous appelons ça une cour.

LAURE.

Et comme c’est meublé ici ! regarde-moi ça !... Qu’est-ce que c’est que ça ?

ALFRED.

C’est probablement la petite mairie !...

LAURE.

Ah ! c’est vrai !...

Indiquant les baignoires.

Et voilà les fonts baptismaux !

GÉVAUDAN.

Non ! je crois que c’est ce qu’on appelle à Paris une baignoire !

ALFRED.

C’est égal ! nous l’aurons gagné, notre mariage !...

LAURE.

Sans compter que je me demande pourquoi ces formalités ne sont que pour nous !

GÉVAUDAN.

Parbleu ! ils profitent de notre ignorance des us pour carotter !

ALFRED.

Zus ?... Qu’est-ce que c’est qu’un zus ?

GÉVAUDAN.

C’est un mot technique !

LAURE.

Té... ?

GÉVAUDAN.

...chnique ! Entre nous, voulez-vous que je vous dise ? Eh bien ! je commence à en avoir plein le dos de ces prétendus-là !

ALFRED.

Et moi donc, de ma vieille ! avec sa troisième personne !

GÉVAUDAN.

Je crois qu’on nous a collé des rossignols à l’agence.

LAURE.

Quand il aurait été si simple de nous marier à Loches !

GÉVAUDAN.

Le fait est qu’un Lochois, ce n’est peut-être pas très brillant, mais au moins c’est à la bonne franquette !

ALFRED.

Et ça ne cherche pas à vous épater avec des campagnes en bitume !...

GÉVAUDAN, les prenant tous deux confidentiellement par le bras.

Savez-vous ? Eh bien, nous allons les planter là, nos prétendus !

ALFRED.

Oui ! ça leur apprendra à faire les malins !

LAURE.

C’est dit !... Allons-nous-en !

Ils remontent tous les trois jusqu’à la grille du fond.

GÉVAUDAN, essayant d’ouvrir.

Ah ! sapristi !

Se retournant face au public.

La mairie est fermée !

ALFRED

C’est probablement une erreur de l’employé ; mais où est-il ?

GÉVAUDAN.

Je sais ! il doit être avec la dame Michette qui n’a cessé de s’évanouir dans la calèche.

ALFRED.

Quelle calèche ! C’est un omnibus !

GÉVAUDAN.

Calèche ! omnibus ! il n’y a pas d’orthographe pour les noms propres ! Tiens, sonne-le ! Tu as la sonnette sous la main.

Il lui indique le cordon de la douche, à droite.

ALFRED.

Attends !

Il tire le cordon, une douche lui tombe sur la tête.

Ah ! que c’est bête ! ils ont mis des sonnettes qui mouillent.

GÉVAUDAN.

C’est probablement des sonnettes hydrothérapiques.

ALFRED.

Je suis trempé ! Où m’essuyer ?

LAURE, se tâtant.

Je n’ai rien !

À Gévaudan.

Tu n’as pas une serviette sur toi ?

GÉVAUDAN.

Une serviette ?

LAURE.

Enfin, un drap ! quelque chose !

ALFRED, allant à la fenêtre et détachant le petit rideau blanc.

Ah ! voilà du linge.

Il s’entortille la tête avec le rideau, sans en avoir retiré la tringle qui pend derrière sa tête.

GÉVAUDAN.

Ah çà ! mais cet employé ne vient pas !

Appelant.

Hé ! l’employé !

TOUS, sur l’air des Lampions.

L’employé ! l’employé !

 

 

Scène II

 

GÉVAUDAN, LAURE, ALFRED, PLUCHEUX, puis UN GARDIEN

 

TOUS.

Ah ! enfin !

PLUCHEUX, parlant au dehors.

Tenez ! par ici !

GÉVAUDAN.

Ah ! çà ! vous n’avez donc pas entendu la sonnette ?

PLUCHEUX

Eh ! qu’est-ce que vous me chantez !

À un gardien qui entre du fond, tenant dans ses bras Michette qui se débat.

Conduisez-la dans la salle de douches et aspergez-la !

Le gardien sort avec Michette par la droite, deuxième plan.

GÉVAUDAN.

Il paraît qu’elle n’est pas encore calmée, la dame... Ce sont des crises intermittentes !

PLUCHEUX.

Intermittentes !... dites assommantes ! Enfin je l’ai confiée à mon adjoint...

GÉVAUDAN.

Votre adjoint !...

Bas à Alfred, à Laure, indiquant Plucheux.

Et nous qui le prenions pour un employé ! C’est M. le Maire !

TOUS LES TROIS, saluant Plucheux.

M. le Maire !

PLUCHEUX, à part.

Qu’est-ce qu’ils ont ?... Ah ! c’est vrai ! j’oublie toujours qu’ils ont un grain !...

Il écarte machinalement sa veste et laisse voir une ceinture de gymnastique tricolore.

GÉVAUDAN, bas à Laure.

Tu as vu !... il est ceint !... il a son écharpe.

À Plucheux.

Monsieur le maire... laissez-moi vous faire compliment. Elle est très bien, votre petite mairie.

Il passe devant lui en saluant.

ALFRED, s’avançant derrière son frère, toujours son rideau sur la tête.

Très bien !... un peu nue...

PLUCHEUX.

Qu’est-ce que vous avez sur la tête, vous ?

ALFRED.

Ne faites pas attention !... je me sèche !... c’est à cause de la sonnette.

PLUCHEUX.

Eh dites donc !... c’est le rideau !... ne vous gênez pas. Est-ce c’est vous qui payerez ?

Il le lui retire.

ALFRED, à part.

Est-il pingre ?

PLUCHEUX, remontant.

Décidément ils sont bien malades !

GÉVAUDAN.

Tiens ! il s’en va !

À Plucheux.

Hé ! monsieur le maire !

PLUCHEUX.

Qu’est-ce qu’il y a ?

GÉVAUDAN.

Eh bien, voilà !... vous seriez bien aimable de dire qu’on nous fasse avancer une voiture !

PLUCHEUX.

Une voiture ! pourquoi faire !

ALFRED.

Dame ! pour nous en aller !

PLUCHEUX, ironiquement.

Vous en aller !... Mais comment donc !... rien de plus simple !

GÉVAUDAN.

N’est-ce pas ! s’il vous plaît !... Je vais vous dire !... nous avons réfléchi... nous ne nous marions plus...

PLUCHEUX.

Oui ! oui ! je le savais !

À part.

Si on commence à écouter leurs histoires...

Il fait mine de remonter.

GÉVAUDAN, le retenant par le bras.

Alors, nous venons de décider que nous retournerions à Loches comme nous étions venus.

PLUCHEUX.

Oui ! oui ! je le savais.

GÉVAUDAN.

Comment il savait !... mais il sait donc tout ! Alors vous vous chargez de notre voiture ?

PLUCHEUX.

Oui ! oui !

GÉVAUDAN.

Ce maire est un père !...

Tirant de sa poche, son porte-monnaie. À Plucheux.

Tenez ! voilà vingt sous pour le garçon !

PLUCHEUX.

Comment ! vous avez de l’argent sur vous ! On ne vous a donc pas fouillés ?

GÉVAUDAN.

Non !

PLUCHEUX.

Mais on n’entre pas ici avec de l’argent !

GÉVAUDAN.

Dans les mairies !

LAURE.

C’est spécial à Paris sans doute !

GÉVAUDAN.

Je n’en saisis pas la raison.

PLUCHEUX, lui prenant son porte-monnaie et le mettant dans sa poche.

Allons ! donnez-moi ça !

GÉVAUDAN, à part.

Tiens ! il me fait mon porte-monnaie ! c’est un filou, ce maire-là !

Appelant Plucheux qui remonte.

Hé ! monsieur le maire !

PLUCHEUX, une fois sorti, lui fermant la porte de la grille au nez.

Restez là !...

On entend un bruit de cloche.

Voilà le docteur Saint-Galmier qui va vous visiter.

 

 

Scène III

 

GÉVAUDAN, ALFRED, LAURE, puis SAINT-GALMIER, PLUCHEUX et DEUX GARDIENS, puis LE MÉLODISTE

 

LAURE.

Saint-Galmier !

GÉVAUDAN.

Sapristi !... j’aurais voulu éviter cette rencontre !... Comment lui dire ? C’est très délicat !... j’aurais préféré traiter ça par lettre...

PLUCHEUX, paraissant au fond, avec Saint-Galmier, suivi des deux gardiens.

Oui, M. le docteur !... ils sont ici...

Le gardien porte la table à l’avant-scène à gauche ; Plucheux a apporté la chaise, qu’il place à gauche de la table, les deux objets profil au public.

SAINT-GALMIER, une serviette d’avocat sous le bras.

Ah bien ! pas de crise, rien ?

PLUCHEUX.

Non ! l’autre dame seulement !... On est en train de l’arroser !

SAINT-GALMIER.

Ça ne lui fera pas de mal !...

Plucheux remonte et reste au fond ainsi que le gardien pendant ce qui suit.

GÉVAUDAN.

Mon cher Saint-Galmier...

SAINT-GALMIER, posant sa serviette sur la table.

Asseyez-vous !

GÉVAUDAN.

J’allais vous le dire !...

S’asseyant ainsi que Laure et Alfred sur des tabourets, face à Saint-Galmier.

Mon cher Saint-Galmier... les jours se suivent et ne ressemblent pas...

SAINT-GALMIER.

C’est bien ! attendez que je vous questionne !

GÉVAUDAN.

Eh bien, j’aime autant ça !...

À Laure et Alfred.

Je lui répondra !... c’est plus commode !

SAINT-GALMIER, tirant un papier de sa serviette qu’il dépose sur la table et s’asseyant.

Il faut d’abord que j’interroge le dossier !

GÉVAUDAN.

Il n’a pas l’air de faire attention à nous !

SAINT-GALMIER, parcourant ses papiers.

Voyons !...

Lisant.

« Famille Choquant... Delirium tremens... résultat d’une ivrognerie invétérée. »

LAURE, à Gévaudan.

Je t’assure que tu devrais aborder la question.

GÉVAUDAN.

Tout à l’heure !... il est en train de dépouiller sa correspondance !

SAINT-GALMIER, à Gévaudan.

Dites donc ! Choquart ! Choquart aîné !

GÉVAUDAN, à part, regardant autour de lui ainsi que Laure et Alfred.

Il appelle quelqu’un ?

SAINT-GALMIER, répétant.

Choquart !

GÉVAUDAN.

Eh bien ! où est-il cet animal de Choquart ! Hé ! Choquart !

LAURE et ALFRED.

Choquart !

SAINT-GALMIER, à Gévaudan.

Qu’est-ce que vous avez à appeler Choquart ? C’est à vous que je parle ?

GÉVAUDAN.

À moi ?

À part.

Pourquoi diable m’appelle-t-il Choquart !

SAINT-GALMIER.

Dites mois, est-ce l’absinthe ou l’alcool qui vous a mis dans cet état-là ?

GÉVAUDAN.

Quoi ?

SAINT-GALMIER.

Eh bien, oui !... avec quoi vous soûlez-vous ?

TOUS.

Qu’est-ce qu’il dit ?

GÉVAUDAN, à part.

Je crois que c’est lui qui est soûl !

SAINT-GALMIER.

Vous ne m’entendez pas, Choquart ?

GÉVAUDAN.

D’abord, je vous prie de ne pas m’appeler Choquart.

SAINT-GALMIER, se soulevant.

Mon ami, je vous appellerai comme il me plaira.

GÉVAUDAN, se soulevant également.

Ah ?... ah ?... Eh bien, c’est bon !

Se rasseyant. À Laure et à Alfred.

Ça m’est égal, je l’appellerai Tartempion !

SAINT-GALMIER.

Voyons, Choquart !

GÉVAUDAN.

Quoi, Tartempion ?

SAINT-GALMIER.

Tartempion !

À part.

Pauvre garçon !

Doucement.

Appelez-moi docteur !

À part.

Je vais le mettre sur son dada, pour voir dans quel état il est !

Haut.

Eh bien, Choquart ?

GÉVAUDAN.

Quoi, Tartempion !

SAINT-GALMIER, à part.

Il y tient !

Haut.

Voyons... avez-vous toujours vos idées de mariage ?

ALFRED, bas à Gévaudan.

Vas-y !... il te tend la perche !

GÉVAUDAN, se levant.

C’est embêtant d’être l’aîné ! C’est toujours moi qui porte la parole !

Allant à Saint-Galmier.

Mon Dieu, mon Dieu, mon cher Saint-Galmier, je vous l’ai dit : les jours se suivent et ne se ressemblent pas !...

Saint-Galmier lui retourne la paupière avec le doigt et lui regarde dans l’œil.

Qui trop embrasse mal étreint ! Tel dit blanc aujourd’hui et noir le lendemain.

SAINT-GALMIER, à part.

Ah ! il est bien atteint !

À Gévaudan.

Tirez la langue !

GÉVAUDAN.

Ah ! il faut que...

À part.

enfin, je veux bien lui faire cette concession...

Tirant la langue et parlant.

Or donc, mon cher Saint-Galmier...

À part.

Sapristi ! ce n’est pas commode pour parler...

SAINT-GALMIER, lui regardant la langue.

Voyons !... la langue est belle !

GÉVAUDAN, s’inclinant, la langue pendante tout en parlant.

Je la tiens de ma mère !...

SAINT-GALMIER.

Rentrez ça !

GÉVAUDAN.

Merci !... Je recommence par dire que ma sœur vous trouve charmant...

SAINT-GALMIER, lui montrant ses mains.

Combien de doigts ?

GÉVAUDAN.

Eh ! bien, cinq ! vous ne les voyez donc pas !

À part.

Je le crois un peu toqué !

Haut.

Enfin je viens vous dire la chose en deux mots...

SAINT-GALMIER.

Attendez !... Allez vous asseoir.

À part.

Je vais leur appliquer mon système ! la guérison des maladies nerveuses par la danse !...

À Plucheux qui est toujours au fond.

Faites venir le mélodiste.

GÉVAUDAN, qui ne comprend pas.

Le mélodiste ?

SAINT-GALMIER, à part.

C’est un traitement souverain !... J’ai remarqué qu’en faisant sauter ou danser le malade...

PLUCHEUX, rentrant au fond suivi d’un gardien qui tient un cornet à pistons.

Voilà le mélodiste.

Il sort.

SAINT-GALMIER, au gardien.

Bien ! une polka, s’il vous plaît...

Le gardien, derrière Saint-Galmier, se met à jouer une polka.

GÉVAUDAN.

Il va nous donner un concert ?...

SAINT-GALMIER, à Gévaudan.

Maintenant expliquez-moi votre affaire...

GÉVAUDAN.

Mais monsieur joue.

SAINT-GALMIER.

Ça ne fait rien !

GÉVAUDAN, parlant pendant que le cornet à pistons joue.

Enfin ! je veux bien moi !... mais ce n’est pas poli !... Or donc, nous sommes venus, mon frère, ma sœur et moi... Sapristi, que c’est difficile de parler en musique.

SAINT-GALMIER.

Dansez !

GÉVAUDAN.

Hein ?

SAINT-GALMIER.

Quand vous me parlez, habituez-vous à danser.

GÉVAUDAN.

Quel braque !

Dansant tout en parlant.

Eh ! bien, voilà mon cher Saint-Galmier... Certainement votre famille est très honorable... et nous aurions été enchantés d’en faire partie ! Mais nous avons réfléchi... nous ne nous marions plus. Je le disais justement tout à l’heure à M. le maire.

Tout en dansant, il envoie un renfoncement à Plucheux, qui le dos tourné, ne s’attend à rien et manque de tomber.

SAINT-GALMIER.

M. le maire ?

GÉVAUDAN, dansant.

Et puis, s’il faut vous le dire, mon frère ne trouve pas Rachel jolie.

ALFRED, s’avançant en dansant.

Pardon, je n’ai pas dit ça !... J’ai dit que je la trouvais un peu fanée pour moi... Voilà tout !

GÉVAUDAN, dansant toujours.

Pardon !... Tu ne l’as pas dit !... Tu m’as fait comprendre que tu n’en voulais pas !

ALFRED, même jeu.

C’est pas la même chose ! Tu nous fais toujours dire ce qu’on ne dit pas !

LAURE, s’avançant entre eux deux, en dansant.

Je vous en prie ! ne vous disputez pas !

ALFRED.

Eh ! c’est lui qui...

GÉVAUDAN.

Non ! c’est le petit !...

Ils dansent ainsi quelque temps tous trois, en se chamaillant au son de la musique, puis éreintés ils s’effondrent sur leurs tabourets.

Ouf ! que j’ai chaud !

SAINT-GALMIER, à part.

Comme la danse amène le calme dans leurs esprits !

À Gévaudan, à Alfred et à Laure.

Ça va mieux, n’est-ce pas ?... Ça vous repose.

GÉVAUDAN.

Ça repose ! Oui !... Ça repose en fatiguant !

ALFRED et LAURE.

Oh ! oui !... Ouf !

SAINT-GALMIER, au cornet à pistons.

Vous pouvez vous retirer !

Le mélodiste sort pendant que Plucheux et le gardien reportent la table et la chaise au fond et rangent les tabourets occupés par les Gévaudan.

GÉVAUDAN, à Saint-Galmier.

Dites donc !... au moins, vous ne nous en voulez pas de ce que je viens de vous dire ?

SAINT-GALMIER.

Comment donc ?

GÉVAUDAN.

Eh bien ! puisque tout est rompu, nous n’avons plus qu’à prendre congé de vous...

Lui serrant la main.

Mon cher Saint-Galmier...

LAURE et ALFRED, remontant.

Au revoir ! au revoir !

SAINT-GALMIER.

Comment au revoir !... mais on ne sort pas d’ici comme ça !... il faut d’autres formalités !

GÉVAUDAN.

Encore !...

À part.

Il y a donc aussi des formalités pour les ruptures !

SAINT-GALMIER, à part.

Ils sont bons !... ils veulent s’en aller comme ça !...

Appelant.

Plucheux !

PLUCHEUX, venant du fond avec le gardien.

Monsieur !...

GÉVAUDAN.

Tiens ! le maire.

SAINT-GALMIER.

Une douche écossaise à la femme, un bain chaud pour Choquart aîné, et un bain froid pour le petit Choquart !

Aux Gévaudan.

Allez vous baigner.

TOUS.

Hein !

ALFRED.

Comment, nous baigner !

GÉVAUDAN.

Laisse donc ! C’est une des formalités de la rupture ! Le bain est évidemment un symbole pour nous dire que notre mariage est dans l’eau.

PLUCHEUX.

Allons, venez vous déshabiller !... je vais vous préparer vos bains.

ALFRED.

Comment ! c’est le maire qui prépare les bains !

GÉVAUDAN.

Qu’est-ce qui t’étonne ?... Tu n’as donc jamais entendu parler des bains de mer...

PLUCHEUX.

Allons ! venez !

On fait sortir Gévaudan, Laure et Alfred par le fond.

SAINT-GALMIER.

Vite ! préparez les bains !

PLUCHEUX.

Voilà ! voilà !

Il va à une baignoire et ouvre le robinet.

SAINT-GALMIER.

Celui-ci frappé, un bain frappé... oui, ça sera bien comme ça,

Allant à l’autre baignoire.

et celui-ci très chaud, ce qu’il y a de plus chaud.

Retournant à l’autre bain.

Voyons celui-là... très bien, ce n’est pas un bain, c’est un sorbet... et celui-ci ?...

PLUCHEUX.

Cinquante degrés de chaleur, si ça ne suffit pas...

Il éclabousse Saint-Galmier.

SAINT-GALMIER.

Faites donc attention...

 

 

Scène IV

 

SAINT-GALMIER, PLUCHEUX, LE GARDIEN, puis MICHETTE

 

Plucheux et les gardiens, ont développé les paravents ; bruits de voix dans les coulisses.

SAINT-GALMIER, au gardien qui prépare les bains.

Qui fait ce bruit ?

LE GARDIEN.

C’est le 23 qui fait de la résistance.

SAINT-GALMIER.

Michette !... C’est vrai !... Sapristi !... Il faut à tout prix que je la garde ici jusqu’à demain, après mon mariage... seulement, si je sais comment m’y prendre... enfin !

Au gardien.

Faites-la venir.

LE GARDIEN, ouvrant la porte de droite et appelant.

Faites venir le 23.

MICHETTE, entrant de droite.

Qu’est-ce qu’il dit celui-là, le 23 ?...

Furieuse, apercevant Saint-Galmier.

Ah ! gueux ! Ah ! sacripant ! Ah ! gredin !

LE GARDIEN.

Faut-il redoucher, monsieur ?

SAINT-GALMIER.

Non ! Occupez-vous de vos bains...

Le gardien remonte et prépare les bains.

MICHETTE.

Ah çà ! que veut dire cette plaisanterie ? Pourquoi m’internez-vous dans votre maison de campagne ? De quel droit me faites-vous doucher ?

SAINT-GALMIER.

Hein ! je... mais je...

MICHETTE.

Quoi ? Hein, je... mais je...

SAINT-GALMIER.

Non ! je dis : hein, je, mais je vais te dire... c’est une surprise.

MICHETTE.

Eh bien, elle est mauvaise.

SAINT-GALMIER.

Ne dis pas ça !... Il s’agit de ton bonheur !... et tu sais, quand ton bonheur est en jeu...

MICHETTE.

Eh bien, quoi, qu’est-ce que c’est ?

SAINT-GALMIER.

Eh ! attends un peu !... es-tu pressée ?... Non, mais est-elle pressée ?... hein !...

À part.

Du diable si je sais ce que je vais lui dire...

MICHETTE.

Enfin, quoi !... Il s’agit de mon mariage ?...

SAINT-GALMIER.

Eh bien, oui, là !... précisément !

MICHETTE.

Ah bien, tu ne vas pas m’en conter encore !... Je sais bien que tu ne m’épouses pas !... J’ai vu ton contrat.

SAINT-GALMIER.

Eh bien, justement !... J’aime mieux te dire la vérité : je n’ai plus le droit de t’épouser.

MICHETTE.

Pourquoi ?

SAINT-GALMIER.

Ah ! pourquoi ? Pourquoi ?...

Subitement.

Oh ! quelle idée !

Haut.

Parce que je t’ai trouvé beaucoup mieux que moi !... un de ces maris...

MICHETTE.

Un mari !...

SAINT-GALMIER.

Oui !... et alors je t’ai ménagé ici une entrevue... c’est un étranger... un lord !...

MICHETTE.

Et il est riche ?

SAINT-GALMIER.

S’il est riche !... Comme un lord ! Il est en train de faire un petit voyage en France avec sa famille ! Alors comme il veut rapporter quelque chose de notre pays, il m’a demandé de lui trouver une femme... j’ai tout de suite pensé à toi.

MICHETTE.

Ah ! c’est gentil, ça !

SAINT-GALMIER.

Mais voilà !... Je ne le fais qu’à une condition ! Promets-moi que tu ne me regretteras pas !...

MICHETTE.

Je te le promets !... Mais dis-moi, est-il bien ?

SAINT-GALMIER.

Mais tu l’as vu... C’est lord Choquart !... avec qui tu es venue ici !...

MICHETTE.

Comment !... ces gens en domestiques !...

SAINT-GALMIER.

Oui, ils voyagent incognito.

 

 

Scène V

 

SAINT-GALMIER, PLUCHEUX, LE GARDIEN, MICHETTE, GÉVAUDAN, ALFRED

 

Tous les deux, en peignoirs de bains, entrent du fond.

GÉVAUDAN et ALFRED, voyant Michette de dos.

Oh ! une dame !...

Ils entrent vivement derrière les paravents de droite et de gauche qui cachent leurs bains respectifs.

SAINT-GALMIER, à Michette.

Eh bien, est-ce décidé ? Épouses-tu ?

MICHETTE.

Oh ! attends ! Le mariage est une chose sérieuse qui mérite réflexion... Donne-moi cinq minutes !...

SAINT-GALMIER, à part.

Oh ! ces cinq minutes sont des manières !... Allons, tout va bien !... Ces Choquart sont des monomanes du mariage, ils entreront dans mon jeu... ça me donnera le temps de me marier tranquillement.

GÉVAUDAN, derrière le paravent de gauche.

Sapristi, que c’est chaud !

ALFRED, derrière celui de droite.

Brrrou ! C’est de l’eau frappée !...

MICHETTE, à Saint-Galmier.

Eh bien, ça me va !... J’ai réfléchi.

SAINT-GALMIER, tirant sa montre.

Je savais bien ! Il n’y a qu’une minute !...

MICHETTE.

Présente-moi ton lord.

SAINT-GALMIER.

Tout de suite !... Justement, je crois qu’il trempe.

À Plucheux et au gardien.

Ouvrez ces paravents !

Plucheux et le gardien ouvrent les paravents de droite et de gauche. On voit Gévaudan et Alfred dans leurs baignoires, l’un tout rouge et l’autre tout pâle.

GÉVAUDAN.

Eh la ! on n’entre pas !

ALFRED.

Il y a quelqu’un !

GÉVAUDAN, voyant Michette.

Hein ! sa connaissance !

SAINT-GALMIER, les montrant.

Les voilà !

MICHETTE.

Dans une baignoire !

SAINT-GALMIER.

Oui, c’est l’usage dans leur pays... pour les présentations... ce sont des chevaliers de l’Ordre du Bain.

Il fait asseoir Michette au milieu de la scène et se tient derrière elle.

GÉVAUDAN, dans sa baignoire.

Ah çà ! il ne pourrait pas recevoir sa connaissance autre part !

MICHETTE, bas à Saint-Galmier.

Lequel est lord Choquart ?

SAINT-GALMIER.

Tous les deux !... J’ai la paire.

MICHETTE.

Ah ! bien, je pourrai choisir.

SAINT-GALMIER.

Messieurs, je vous présente la princesse... la princesse Baladèche.

ALFRED et GÉVAUDAN.

Hein ! c’est une princesse !...

Ils se soulèvent dans leurs baignoires pour saluer.

SAINT-GALMIER, vivement.

Non ! ne bougez pas !

Plucheux et le gardien chacun derrière un des baigneurs, les ont fait rasseoir dans leurs bains.

MICHETTE, bas, à Saint-Galmier.

Ah çà ! pourquoi m’appelles-tu comme ça ?

SAINT-GALMIER, bas.

Ça pose mieux.

GÉVAUDAN, à part.

Princesse Baladèche !... ça doit être de la noblesse russe.

À Michette.

Excusez-moi, princesse, de vous recevoir dans ce léger déshabillé.

MICHETTE.

Je sais que c’est l’usage, lord !...

ALFRED.

Laure ?

GÉVAUDAN.

Laure !... c’est ma sœur.

MICHETTE, à part.

Je vais lui parler anglais, ça le flattera !...

À Gévaudan.

It is a great attraction for me to see you, sir.

GÉVAUDAN, à part.

Du russe ! Fichtre !

MICHETTE, continuant.

It is a long time you are in Paris ?

GÉVAUDAN, qui ne comprend pas.

Merci bien, pas mal et vous ?

MICHETTE, bas à Saint-Galmier.

Ah çà, il ne comprend donc pas l’anglais, ton lord ?

SAINT-GALMIER, bas.

Non !... C’est un... c’est un lord italien !...

MICHETTE.

Ah ! il fallait le dire !... Je ne sais malheureusement pas l’italien, lord !

GÉVAUDAN.

Non ! Eh bien, il y en a beaucoup comme vous.

À part.

À propos de quoi me dit-elle ça ?

MICHETTE.

Mais je l’apprendrai, lord.

GÉVAUDAN, à part.

Pourquoi diable m’appelle-t-elle toujours comme ma sœur.

MICHETTE, à Alfred.

Je l’apprendrai !

ALFRED.

Oui ! oui ! oui ! oui !

À part.

Qu’est-ce qu’elle veut que ça me fasse ?

MICHETTE, poétiquement.

Ah ! c’est un beau pays que l’Italie !... où j’aimerais à vivre avec quelque âme qui me comprendrait.

GÉVAUDAN, qui a mal entendu.

Un âne qui vous comprendrait... c’est un âne savant, alors !

MICHETTE.

Non ! J’ai dit : â-me !

GÉVAUDAN.

Ah ! bien !...

MICHETTE, à part.

Il ne comprend pas très bien le français !...

À Gévaudan.

Vous savez que vous avez très peu d’accent !

GÉVAUDAN.

Oh !... Nous sommes de Loches.

MICHETTE.

De Loches !

SAINT-GALMIER, bas et vivement.

Oui, c’est en Italie ! En Sicile !

MICHETTE.

En Sicile !

À Alfred.

Vous connaissez la belle Sicile ?

ALFRED.

La belle Cécile ! une grande blonde ?

GÉVAUDAN.

Ça ne doit pas être la même !... Il y a plus d’une Cécile qui s’appelle Martin.

SAINT-GALMIER.

Ah ! ah ! Très drôle ! très drôle !

À Michette.

C’est un mot !...

À part.

Elle va faire des gaffes.

MICHETTE.

Et... Est-ce qu’on parle un peu français, à Loches ?

GÉVAUDAN.

Dame !...

À part.

Est-ce qu’elle nous prend pour des sauvages ?...

SAINT-GALMIER, à Michette, l’entraînant.

Allons, c’est bien !... Tu as assez parlé comme ça ! Va par là... Laisse-moi seul avec eux ! Je vais tout conclure. Lequel préfères-tu ?

MICHETTE.

Tous les deux !

SAINT-GALMIER.

Ah ! non !... Il faut choisir !

MICHETTE.

Qu’ils décident eux-mêmes !

Remontant et saluant.

Lords !

GÉVAUDAN et ALFRED, se soulevant dans leurs baignoires.

Princesse !

SAINT-GALMIER.

Mais ne bougez donc pas !

Michette sort par le fond ; Alfred, que le gardien a poussé trop fort pour le faire asseoir dans sa baignoire, a glissé dans le bain. Il reparaît au bout d’un instant, en toussant comme un homme qui a bu un coup.

 

 

Scène VI

 

SAINT-GALMIER, GÉVAUDAN, ALFRED

 

SAINT-GALMIER, à Gévaudan et Alfred.

Eh bien ! Comment la trouvez-vous ?

GÉVAUDAN.

La princesse Baladèche ?

ALFRED, toussant encore.

La princesse !...

Il fait claquer sa langue contre son palais.

tke ! tke ! tke !

SAINT-GALMIER, l’imitant.

N’est-ce pas qu’elle est « tke ! tke ! tke ! » Eh bien, mes amis, elle en dit autant de vous. Vous cherchez à vous marier, épousez-la.

GÉVAUDAN.

Permettez !... certainement... elle est très bien... mais il y a un hic !

Il prononce un « nic ».

SAINT-GALMIER.

Un quoi ?

GÉVAUDAN.

Un hic.

Il prononce également « nic ».

Un... hic ! si vous aimez mieux.

SAINT-GALMIER.

Quel hic ?

GÉVAUDAN.

Dame !... Elle a été votre bonne amie !...

SAINT-GALMIER.

Eh ! ma bonne amie !... Qu’est-ce que ça vous fait ?...

ALFRED.

Tiens ! ça nous embête !

GÉVAUDAN.

Elle a commis une faute.

SAINT-GALMIER, sournoisement.

Vous savez qu’elle a des millions !

ALFRED.

Hein !

SAINT-GALMIER.

Sept !...

ALFRED, vivement.

Sept !...

GÉVAUDAN, comme s’il n’avait pas entendu ce qu’a dit Saint-Galmier.

Maintenant, cette faute est-elle à proprement parler une faute ? non, c’est un caprice !

ALFRED.

Sept millions !... courez la chercher !

GÉVAUDAN.

C’est ça ! courez !...

SAINT-GALMIER, à part.

Eh ! allez donc !... voilà Michette casée.

Plucheux et le gardien ferment les paravents de droite et de gauche.

Je vous la ramène !... habillez-vous !

Plucheux et le gardien, derrière le paravent, aident chacun son baigneur à se rhabiller.

 

 

Scène VII

 

GÉVAUDAN, ALFRED

 

ALFRED, derrière le paravent de droite.

Hein, dis donc, Eugène, sept millions !

GÉVAUDAN, derrière le paravent de gauche.

C’est féerique !

ALFRED.

Et une princesse !... Hein ? Qu’est-ce qui m’aurait dit que j’épouserais une princesse ?

GÉVAUDAN.

Comment, tu épouserais !... mais c’est moi qui épouse !

ALFRED.

Toi ! Jamais de la vie ! Tu as dit que tu n’en voulais pas.

GÉVAUDAN, passant la tête au-dessus de son paravent.

Où j’ai dit ça ? Quand j’ai dit ça ?...

ALFRED, même jeu.

Eh bien, tout à l’heure, donc !

GÉVAUDAN, même jeu.

Alors, tu crois que je vais la refuser ! une princesse !

Il disparaît.

ALFRED, même jeu.

Oui, mais elle a commis une faute !

Il disparaît.

GÉVAUDAN, reparaissant au-dessus de son paravent.

Une femme qui m’apporte sept millions.

ALFRED, reparaissant également.

Oui, mais elle a commis une faute !

GÉVAUDAN, même jeu.

Eh, tu m’embêtes avec ta faute !... Qu’est-ce que c’est qu’une faute ? Ça n’existe pas !... Et puis, je la réparerai !...

ALFRED, même jeu.

Eh ! je la réparerai aussi bien que toi !

GÉVAUDAN, même jeu.

J’ai le droit d’aînesse !

ALFRED, même jeu.

Justement, tu es trop vieux !

GÉVAUDAN, même jeu.

Trop vieux ! espèce de blanc-bec !

ALFRED, même jeu.

Va donc, vieille perruche !

 

 

Scène VIII

 

GÉVAUDAN, ALFRED, RACHEL, LÉONIE

 

RACHEL, entrant du fond avec Léonie.

N’ayez pas peur. Les malades dangereux sont enfermés ; d’ailleurs, presque tous me connaissent... une fois par semaine, je viens leur apporter des chatteries.

LÉONIE.

Pauvres gens !

Sortie de Plucheux et du gardien.

GÉVAUDAN, sortant de son paravent ainsi qu’Alfred. Ils sont en peignoirs.

Mesdames !

RACHEL.

Tiens ! nos bonshommes de tantôt.

GÉVAUDAN, à part.

Pauvres petites femmes !... Elles ne se doutent pas que tout est rompu...

Haut.

Vous n’avez pas vu Saint-Galmier ?

LÉONIE.

Non ! Justement nous le cherchons.

GÉVAUDAN.

Il a une commission à vous faire de notre part.

LES DEUX FEMMES.

Quoi ?

GÉVAUDAN.

Je ne peux pas m’expliquer !... Mais qu’il vous suffise de savoir que nous avons pris le bain de la rupture...

RACHEL, à part.

Pauvre homme !...

Haut.

Tenez, mon garçon, je sais ce que votre situation a de pénible... Voilà une livre de chocolat.

GÉVAUDAN.

Du chocolat !

LÉONIE, à Alfred.

Moi, je vous apporte un sucre de pomme !...

ALFRED.

Un sucre de pomme !... Je l’adore... à la cerise !

RACHEL, à Gévaudan.

Et maintenant... chut !... voici du tabac ! et des pipes.

ALFRED.

Des pipes.

RACHEL.

Chut !...

GÉVAUDAN.

N’ayez pas peur !...

À part.

C’est drôle, je savais bien qu’on faisait des cadeaux quand on se marie, mais j’ignorais qu’on en fît quand on rompt.

LÉONIE.

Voilà ! Êtes-vous contents ?

GÉVAUDAN, avec regret.

Nous n’avons rien à vous donner, nous !

RACHEL.

Non ! Qu’est-ce que vous voulez nous donner ?...

GÉVAUDAN.

C’est qu’on ne sait pas !... les us...

RACHEL.

Et... vous êtes en récréation en ce moment ?

GÉVAUDAN.

En récréation ?

RACHEL.

Oui... À quelle heure rentrez-vous dans vos cellules ?

ALFRED.

Comment, nos cellules ?

RACHEL.

Dame ! Je suppose qu’on ne met pas tous les malades ensemble !

GÉVAUDAN et ALFRED.

Quels malades ?

RACHEL.

Eh bien, vos collègues !

ALFRED.

Mais quels collègues ? Où sommes-nous donc ?

RACHEL.

Eh bien au Louvre Hydrothérapique, la maison de santé de mon frère, le docteur Saint-Galmier.

GÉVAUDAN, bondissant.

Nous sommes dans une maison de santé !

ALFRED, traversant la scène en courant et allant vers son frère, à l’extrême gauche.

Ah ! mon Dieu !

LÉONIE et RACHEL, gagnant la droite.

Hein ! Qu’est-ce qu’ils ont ?

 

 

Scène IX

 

GÉVAUDAN, ALFRED, RACHEL, LÉONIE, MICHETTE, puis LAURE

 

MICHETTE, venant du fond, à Gévaudan et à Alfred.

Eh bien ?

GÉVAUDAN.

Nous sommes dans une maison de santé.

MICHETTE et LAURE, qui a surgi en costume de bain, pour entendre ces derniers mots.

Une maison de santé ! À moi ! à l’aide !

LÉONIE et RACHEL.

Ah ! mon Dieu ! ils ont une crise !

GÉVAUDAN, LAURE, MICHETTE et ALFRED.

Au secours ! au secours !

RACHEL, courant à la douche du fond.

J’ai peur, je vais sonner !

GÉVAUDAN.

Ne sonnez pas ! elle fuit !

TOUS LES SIX.

Au secours ! au secours !

 

 

Scène X

 

GÉVAUDAN, ALFRED, RACHEL, LÉONIE, MICHETTE, LAURE, SAINT-GALMIER, accourant de droite, deuxième plan

 

SAINT-GALMIER.

Qu’est-ce qu’il y a ?

TOUS, à l’exception de Léonie et de Rachel se précipitant sur lui.

Ah ! gueux ! Ah ! brigand !

GÉVAUDAN, lui envoyant des bourrades.

Ah ! tu nous fais enfermer ! Tiens !

SAINT-GALMIER.

Une révolte ! Au secours ! au secours !

Il se précipite dehors par le fond. Les Gévaudan et Michette le poursuivent. Les gardiens poursuivent les Gévaudan. Va-et-vient derrière la grille. Bruit. Tumulte au fond.

RACHEL.

Ah ! mon Dieu ! mais ils vont le mettre en morceaux !...

LÉONIE.

Ils l’entraînent vers la piscine !

RACHEL.

Ils veulent le mettre dedans !

LÉONIE.

Me mouiller mon fiancé !

GÉVAUDAN, au dehors.

À l’eau ! à l’eau !

SAINT-GALMIER.

Non, laissez-moi ! à l’aide !

LÉONIE.

Ah ! le voilà !

RACHEL.

Mon frère !

 

 

Scène XI

 

LÉONIE, RACHEL, puis SAINT-GALMIER, puis PLUCHEUX

 

SAINT-GALMIER, rentrant précipitamment de droite ses vêtements déchirés.

Ouf ! J’ai cru qu’ils ne me lâcheraient pas !

LÉONIE.

Ah ! mon Dieu ! dans quel état.

Il se retourne, on voit des bandes d’étoffes arrachées de sa redingote comme avec les ongles.

RACHEL.

Mais il faut les faire enfermer !

SAINT-GALMIER.

Ah ! Je fais mieux ! On est en train de leur coller les menottes !

PLUCHEUX, accourant du fond.

Monsieur ! Monsieur !

TOUS.

Qu’est-ce qu’il y a ?

PLUCHEUX.

Ah ! si vous saviez ce qui arrive ! Les trois pensionnaires qui s’étaient évadés il y a deux jours, viennent de rentrer.

TOUS.

Hein !...

SAINT-GALMIER.

Les trois Choquart ! Ce n’est pas possible ! Ils sont ici !

PLUCHEUX.

Mande pardon ! Les trois Choquart !

SAINT-GALMIER.

Mais alors... ceux que nous tenons !

PLUCHEUX.

C’est probablement une erreur ! Ce sont des faux Choquart !

SAINT-GALMIER.

Des faux Choquart !... ils ont de l’aplomb !...

LÉONIE et RACHEL.

Les voilà !

 

 

Scène XII

 

LÉONIE, RACHEL, SAINT-GALMIER, PLUCHEUX, GÉVAUDAN, ALFRED, LAURE et MICHETTE

 

Ils ont tous les menottes aux mains et sont reliés les uns aux autres par une chaîne commune.

GÉVAUDAN, aux autres.

Croyez-moi, mes amis ! ne nous révoltons pas ! Il est le plus fort. De la froideur seulement pour qu’il voie que nous ne sommes pas contents !

SAINT-GALMIER.

Ah ! vous voilà, vous !

GÉVAUDAN, froidement.

Oui, monsieur, nous voilà ! Gloria victis !

SAINT-GALMIER.

Ah çà ! vous n’êtes donc pas les trois Choquart ?

GÉVAUDAN, LAURE et ALFRED, marchant sur Saint-Galmier, ce qui le fait reculer d’un pas.

Nous ! nous sommes les trois Gévaudan.

SAINT-GALMIER, marchant sur les Gévaudan, ce qui les fait reculer à leur tour.

Mais alors, vous vous fichez du monde ! De quel droit vous faites-vous passer pour Choquart ? Quand vous ne l’êtes pas ! On ne fait pas de ces fumisteries-là !

GÉVAUDAN.

Ah ! bien, elle est forte, celle-là !

SAINT-GALMIER.

Enfin, qu’est-ce que vous êtes venus faire ici ?

MICHETTE.

Ce que nous sommes venus faire !

GÉVAUDAN, à Michette.

Chut ! pas vous !

ALFRED, à Saint-Galmier.

Eh ! vous le savez bien ! nous sommes venus pour nous marier ! puisque c’est vous que nous devions épouser !

SAINT-GALMIER, il éclate de rire ainsi que Rachel et Léonie.

Nous !

ALFRED, montrant Rachel.

Eh bien oui ! j’avais la vieille !

RACHEL.

La vieille !...

GÉVAUDAN.

C’est pour cela que nous avons eu une entrevue à l’agence matrimoniale !

SAINT-GALMIER.

Quelle agence !...

GÉVAUDAN.

Non ! il le fait exprès ! l’agence où nous nous sommes vus hier !...

SAINT-GALMIER.

Mais c’est un bureau de placement pour les domestiques !

GÉVAUDAN.

Hein ! comment alors... vous êtes des domestiques !

TOUS.

Hein !

RACHEL.

Mais non, c’est vous qu’on nous a donnés pour tels !

LAURE.

Des domestiques ! nous !

SAINT-GALMIER.

L’agence matrimoniale était au-dessus.

GÉVAUDAN.

Nous nous sommes trompés d’agence ! je leur ferai un procès !

SAINT-GALMIER, à Plucheux et au gardien qui exécutent son ordre.

Vite ! vite ! débarrassez-les !

MICHETTE, allant à Saint-Galmier.

Oh ! mais ce n’est pas tout ça ! Tu m’avais promis que j’épouserais lord Gévaudan.

LAURE.

M’épouser, moi !

MICHETTE, à Gévaudan.

Non ! vous... milord !

GÉVAUDAN.

Moi ! milord ? mais je suis droguiste à Loches !

SAINT-GALMIER.

Là ! tu vois ! ça ne vaut pas la peine. Mais je te trouverai mieux !

GÉVAUDAN.

Et maintenant en route pour Loches !

ALFRED.

Ah ! oui... nous en avons assez des mariages parisiens.

MICHETTE.

Quelle désillusion ! moi qui rêvais les grandeurs, qui me croyais déjà la femme d’un lord italien.

GÉVAUDAN.

Un lord ! Ah ! bien ! consolez-vous ! vous auriez été malheureuse, vous connaissez le proverbe : ni Lords ni les grandeurs ne nous rendent heureux !

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