L’Écossaise (VOLTAIRE)

Comédie en cinq actes, d’après M. Hume, et traduite en français par Jérôme Carré.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 26 juillet 1760.

 

Personnages

 

MAÎTRE FABRICE, tenant un café avec des appartements

LINDANE, Écossaise

LE LORD MONROSE, Écossais

LE LORD MURRAY

POLLY, suivante

FREEPORT, qu’on prononce Friport, gros négociant de Londres

FRÉLON, écrivain de feuilles.

LADY ALTON : on prononce lédy

ANDRÉ, laquais de lord Monrose[1]

PLUSIEURS ANGLAIS, qui viennent au café

DOMESTIQUES

UN MESSAGER D’ÉTAT

 

La scène est à Londres.

 

 

ÉPÎTRE DÉDICATOIRE DU TRADUCTEUR DE L’ÉCOSSAISE, À M. LE COMTE DE LAURAGUAIS[2]

 

Monsieur,

 

La petite bagatelle que j’ai l’honneur de mettre sous votre protection n’est qu’un prétexte pour vous parler avec liberté. Vous avez rendu un service éternel aux beaux-arts et au bon goût, en contribuant par votre générosité à donner à la ville de Paris un théâtre moins indigne d’elle. Si on ne voit plus sur la scène César et Ptolémée, Athalie et Joad, Mérope et son fils, entourés et pressés d’une foule de jeunes gens, si les spectacles ont plus de décence, c’est à vous seul qu’on en est redevable. Ce bienfait est d’autant plus considérable, que l’art de la tragédie et de la comédie est celui dans lequel les Français se sont distingués davantage. Il n’en est aucun dans lequel ils n’aient de très illustres rivaux, ou même des maîtres. Nous avons quelques bons philosophes ; mais, il faut l’avouer, nous ne sommes que les disciples des Newton, des Locke, des Galilée. Si la France a quelques historiens, les Espagnols, les Italiens, les Anglais même, nous disputent la supériorité dans ce genre. Le seul Massillon aujourd’hui passe chez les gens de goût pour un orateur agréable ; mais qu’il est encore loin de l’archevêque Tillotson aux yeux du reste de l’Europe ! Je ne prétends point peser le mérite des hommes de génie ; je n’ai pas la main assez forte pour tenir cette balance : je vous dis seulement comment pensent les autres peuples ; et vous savez, monsieur, vous qui, dans votre première jeunesse, avez voyagé pour vous instruire, vous savez que presque chaque peuple a ses hommes de génie, qu’il préfère à ceux de ses voisins.

Si vous descendez des arts de l’esprit pur à ceux où la main a plus de part, quel peintre oserions-nous préférer aux grands peintres d’Italie ? C’est dans le seul art des Sophocle que toutes les nations s’accordent à donner la préférence à la nôtre : c’est pourquoi, dans plusieurs villes d’Italie, la bonne compagnie se rassemble pour représenter nos pièces, ou dans notre langue, ou en italien ; c’est ce qui fait qu’on trouve des théâtres français à Vienne et à Pétersbourg.

Ce qu’on pouvait reprocher à la scène française était le manque d’action et d’appareil. Les tragédies étaient souvent de longues conversations en cinq actes. Comment hasarder ces spectacles pompeux, ces tableaux frappants, ces actions grandes et terribles, qui, bien ménagées, sont un des plus grands ressorts de la tragédie ; comment apporter le corps de César sanglant sur la scène[3] ; comment faire descendre une reine éperdue dans le tombeau de son époux, et l’en faire sortir mourante de la main de son fils[4], au milieu d’une foule qui cache, et le tombeau, et le fils, et la mère, et qui énerve la terreur du spectacle par le contraste du ridicule ?

C’est de ce défaut monstrueux que vos seuls bienfaits ont purgé la scène ; et quand il se trouvera des génies qui sauront allier la pompe d’un appareil nécessaire et la vivacité d’une action également terrible et vraisemblable à la force des pensées, et surtout à la belle et naturelle poésie, sans laquelle l’art dramatique n’est rien, ce sera vous, monsieur, que la postérité devra remercier.[5]

Mais il ne faut pas laisser ce soin à la postérité ; il faut avoir le courage de dire à son siècle ce que nos contemporains font de noble et d’utile. Les justes éloges sont un parfum qu’on réserve pour embaumer les morts. Un homme fait du bien, on étouffe ce bien pendant qu’il respire ; et si on en parle, on l’exténue, on le défigure : n’est-il plus ? on exagère son mérite pour abaisser ceux qui vivent.

Je veux du moins que ceux qui pourront lire ce petit ouvrage, sachent qu’il y a dans Paris plus d’un homme estimable et malheureux secouru par vous ; je veux qu’on sache que tandis que vous occupez votre loisir à faire revivre, par les soins les plus coûteux et les plus pénibles, un art utile[6] perdu dans l’Asie, qui l’inventa, vous faites renaître un secret plus ignoré, celui de soulager par vos bienfaits cachés la vertu indigente[7].

Je n’ignore pas qu’à Paris il y a, dans ce qu’on appelle le monde, des gens qui croient pouvoir donner des ridicules aux belles actions qu’ils sont incapables de faire ; et c’est ce qui redouble mon respect pour vous.

 

P. S. Je ne mets point mon inutile nom au bas de cette épître, parce que je ne l’ai jamais mis à aucun de mes ouvrages ; et quand on le voit à la tête d’un livre ou dans une affiche, qu’on s’en prenne uniquement à l’afficheur ou au libraire.

 

 

PRÉFACE[8]

 

La comédie dont nous présentons la traduction aux amateurs de la littérature est de M. Hume[9], pasteur de l’église d’Édimbourg, déjà connu par deux belles tragédies jouées à Londres : il est parent[10] et ami de ce célèbre philosophe M. Hume, qui a creusé avec tant de hardiesse et de sagacité les fondements de la métaphysique et de la morale. Ces deux philosophes font également honneur à l’Écosse, leur patrie.

La comédie intitulée l’Écossaise nous parut un de ces ouvrages qui peuvent réussir dans toutes les langues, parce que l’auteur peint la nature, qui est partout la même : il a la naïveté et la vérité de l’estimable Goldoni, avec peut-être plus d’intrigue, de force, et d’intérêt. Le dénouement, le caractère de l’héroïne, et celui de Freeport, ne ressemblent à rien de ce que nous connaissons sur les théâtres de France ; et cependant c’est la nature pure. Cette pièce paraît un peu dans le goût de ces romans anglais qui ont fait tant de fortune ; ce sont des touches semblables, la même peinture des mœurs ; rien de recherché, nulle envie d’avoir de l’esprit, et de montrer misérablement l’auteur quand on ne doit montrer que les personnages ; rien d’étranger au sujet ; point de tirade d’écolier, de ces maximes triviales qui remplissent le vide de l’action : c’est une justice que nous sommes obligé de rendre à notre célèbre auteur.

Nous avouons en même temps que nous avons cru, par le conseil des hommes les plus éclairés, devoir retrancher quelque chose du rôle de Frélon, qui paraissait encore dans les derniers actes : il était puni, comme de raison, à la fin de la pièce ; mais cette justice qu’on lui rendait semblait mêler un peu de froideur au vif intérêt qui entraîne l’esprit au dénouement.

De plus, le caractère de Frélon est si lâche et si odieux, que nous avons voulu épargner aux lecteurs la vue trop fréquente de ce personnage, plus dégoûtant que comique. Nous convenons qu’il est dans la nature ; car, dans les grandes villes où la presse jouit de quelque liberté, on trouve toujours quelques uns de ces misérables qui se font un revenu de leur impudence, de ces Arétins subalternes qui gagnent leur pain à dire et à faire du mal, sous le prétexte d’être utiles aux belles-lettres ; comme si les vers qui rongent les fruits et les fleurs pouvaient leur être utiles !

L’un des deux illustres savants, et, pour nous exprimer encore plus correctement, l’un de ces deux hommes de génie qui ont présidé au Dictionnaire encyclopédique, à cet ouvrage nécessaire au genre humain, dont la suspension fait gémir l’Europe ; l’un de ces deux grands hommes, dis-je, dans des essais qu’il s’est amusé à faire sur l’art de la comédie[11], remarque très judicieusement que l’on doit songer à mettre sur le théâtre les conditions et les états des hommes. L’emploi du Frélon de M. Hume est une espèce d’état en Angleterre : il y a même une taxe établie sur les feuilles de ces gens-là. Ni cet état ni ce caractère ne paraissaient dignes du théâtre en France ; mais le pinceau anglais ne dédaigne rien ; il se plaît quelquefois à tracer des objets dont la bassesse peut révolter quelques autres nations. Il n’importe aux Anglais que le sujet soit bas, pourvu qu’il soit vrai. Ils disent que la comédie étend ses droits sur tous les caractères et sur toutes les conditions ; que tout ce qui est dans la nature doit être peint ; que nous avons une fausse délicatesse, et que l’homme le plus méprisable peut servir de contraste au plus galant homme.

J’ajouterai, pour la justification de M. Hume, qu’il a fait de ne présenter son Frélon que dans des moments où l’intérêt n’est pas encore vif et touchant. Il a imité ces peintres qui peignent un crapaud, un lézard, une couleuvre, dans un coin du tableau, en conservant aux personnages la noblesse de leur caractère.

Ce qui nous a frappé vivement dans celte pièce, c’est que l’unité de temps, de lieu, et d’action, y est observée scrupuleusement. Elle a encore ce mérite, rare chez les Anglais comme chez les Italiens, que le théâtre n’est jamais vide. Rien n’est plus commun et plus choquant que de voir deux acteurs sortir de la scène, et deux autres venir à leur place sans être appelés, sans être attendus ; ce défaut insupportable ne se trouve point dans l’Écossaise.

Quant au genre de la pièce, il est dans le haut comique, mêlé au genre de la simple comédie. L’honnête homme y sourit de ce sourire de l’âme, préférable au rire de la bouche. Il y a des endroits attendrissants jusqu’aux larmes, mais sans pourtant qu’aucun personnage s’étudie à être pathétique ; car de même que la bonne plaisanterie consiste à ne vouloir point être plaisant, ainsi celui qui vous émeut ne songe point à vous émouvoir ; il n’est point rhétoricien, tout part du cœur. Malheur à celui qui tâche, dans quelque genre que ce puisse être !

Nous ne savons pas si cette pièce pourrait être représentée à Paris ; notre état et notre vie, qui ne nous ont pas permis de fréquenter souvent les spectacles, nous laissent dans l’impuissance de juger quel effet une pièce anglaise ferait en France.

Tout ce que nous pouvons dire, c’est que, malgré tous les efforts que nous avons faits pour rendre exactement l’original, nous sommes très loin d’avoir atteint au mérite de ses expressions, toujours fortes et toujours naturelles.

Ce qui est beaucoup plus important, c’est que cette comédie est d’une excellente morale, et digne de la gravité du sacerdoce dont l’auteur est revêtu, sans rien perdre de ce qui peut plaire aux honnêtes gens du monde.

La comédie ainsi traitée est un des plus utiles efforts de l’esprit humain ; il faut convenir que c’est un art, et un art très difficile. Tout le monde peut compiler des faits et des raisonnements : il est aisé d’apprendre la trigonométrie ; mais tout art demande un talent, et le talent est rare.

Nous ne pouvons mieux finir cette préface que par ce passage de notre compatriote Montaigne sur les spectacles.

« I’ai soustenu les premiers personnages ez tragédies latines de Bucanan, de Guerente, et de Muret, qui se représentèrent à nostre collège de Guienne, avecques dignité. En cela, Andreas Goveanus, nostre principal, comme en toutes aultres parties de sa charge, feut sans comparaison le plus grand principal de France ; et m’en tenoit on maistre ouvrier. C’est un exercice que ie ne mesloue point aux ieunes enfants de maison, et ai veu nos princes s’y addonner depuis en personne ; à l’exemple d’aulcuns des anciens, honnestement et louablement : il estoit loisible mesme d’en faire mestier aux gents d’honneur en Grèce, Aristoni tragico actori rem apetit : huic et genus et fortuna honesta erant ; nec ars, quia nihil tale apud Grœcos pudori est, ea deformabat (Tit.-Liv., XXIV, 24) ; car i’ai tousiours accusé d’impertinence ceulx qui condamnent ces esbattements ; et d’iniustice ceulx qui refusent l’entrée de nos bonnes villes aux comédiens qui le valent, et envient aux peuples ces plaisirs publicques. Les bonnes polices prennent soing d’assembler les citoyens, et les r’allier, comme aux offices sérieux de la dévotion, aussi aux exercices et ieux ; la société et amitié s’en augmente ; et puis on ne leur sçauroit concéder des passetemps plus réglez que ceulx qui se font en présence d’un chascun, et à la veue mesme du magistrat ; et trouveroy raisonnable que le prince, à ses despens, en gratifiast quelquesfois la commune, d’une affection et bonté comme paternelle ; et qu’aux villes populeuses il y eust des lieux destinez et disposez pour ces spectacles ; quelque divertissement de pires actions et occultes. Pour revenir à mon propos, il n’y a rien tel que d’alleicher l’appetit et l’affection, aultrement on ne fait que des asnes chargez, de livres ; on leur donne à coups de fouet en garde leur pochette pleine de science ; laquelle, pour bien faire, il ne fault pas seulement loger chez soy, il la fault espouser. » Essais, liv. I, ch. 25, à la fin.

 

 

À MESSIEURS LES PARISIENS[12]

 

Messieurs[13],

 

Je suis forcé par l’illustre M. Fréron de m’exposer vis-à-vis[14] de vous. Je parlerai sur le ton du sentiment et du respect ; ma plainte sera marquée au coin de la bienséance, et éclairée du flambeau de la vérité. J’espère que M. Fréron sera confondu vis-à-vis des honnêtes gens qui ne sont pas accoutumés à se prêter aux méchancetés de ceux qui, n’étant pas sentimentés, font métier et marchandise[15] d’insulter le tiers et le quart, sans aucune provocation, comme dit Cicéron dans l’oraison pro Murena, page 4.

Messieurs, je m’appelle Jérôme Carré, natif de Montauban ; je suis un pauvre jeune homme sans fortune, et comme la volonté me change d’entrer dans Montauban, à cause que M. Le Franc de Pompignan m’y persécute, je suis venu implorer la protection des Parisiens. J’ai traduit la comédie de l’Écossaise de M. Hume. Les comédiens français et les italiens voulaient la représenter : elle aurait peut-être été jouée cinq ou six fois, et voilà que M. Fréron emploie son autorité et son crédit pour empêcher ma traduction de paraître ; lui qui encourageait tant les jeunes gens, quand il était jésuite, les opprime aujourd’hui : il a fait une feuille entière[16] contre moi ; il commence par dire méchamment que ma traduction vient de Genève[17], pour me faire suspecter d’être hérétique.

Ensuite il appelle M. Hume, M. Home[18] ; et puis il dit que

M. Hume le prêtre, auteur de cette pièce, n’est pas parent de M. Hume le philosophe. Qu’il consulte seulement le Journal encyclopédique du mois d’avril 1758, journal que je regarde comme le premier des cent soixante-treize journaux qui paraissent tous les mois en Europe, il y verra cette annonce, page 137 :

« L’auteur de Douglas est le ministre Hume, parent du fameux David Hume, si célèbre par son impiété[19]. »

Je ne sais pas si M. David Hume est impie : s’il l’est, j’en suis bien fâché, et je prie Dieu pour lui, comme je le dois ; mais il résulte que l’auteur de l’Écossaise est M. Hume le prêtre, parent de M. David Hume ; ce qu’il fallait prouver, et ce qui est très indifférent.

J’avoue à ma honte que je l’ai cru son frère[20] ; mais qu’il soit frère ou cousin, il est toujours certain qu’il est l’auteur de l’Écossaise. Il est vrai que, dans le journal que je cite, l’Écossaise n’est pas expressément nommée ; on n’y parle que d’Agis et de Douglas : mais c’est une bagatelle.

Il est si vrai qu’il est l’auteur de l’Écossaise, que j’ai en main plusieurs de ses lettres, par lesquelles il me remercie de l’avoir traduite : en voici une que je soumets aux lumières du charitable lecteur.

My dear translator, mon cher traducteur, you have committed many a blunder in your performance, vous avez fait plusieurs balourdises dans votre traduction : you have quite impoverish’d the character of Wasp, and you have blotted his chastisement at the end of the drama... vous avez affaibli le caractère de Frélon, et vous avez supprimé son châtiment à la fin de la pièce.

Il est vrai, et je l’ai déjà dit[21], que j’ai fort adouci les traits dont l’auteur peint son Wasp (ce mot wasp veut sire frélon) ; mais je ne l’ai fait que par le conseil des personnes les plus judicieuses de Paris. La politesse française ne permet pas certains termes que la liberté anglaise emploie volontiers. Si je suis coupable, c’est par excès de retenue ; et j’espère que messieurs les Parisiens, dont je demande la protection, pardonneront les défauts de la pièce en faveur de ma circonspection.

Il semble que M. Hume ait fait sa comédie uniquement dans la vue de mettre son Wasp sur la scène, et moi j’ai retranché tout ce que j’ai pu de ce personnage ; j’ai aussi retranché quelque chose de milady Alton, pour m’éloigner moins de vos mœurs, et pour faire voir quel est mon respect pour les dames.

M. Fréron, dans la vue de me nuire, dit dans sa feuille, page 114, qu’on l’appelle aussi Frélon, que plusieurs personnes de mérite[22] l’ont souvent nommé ainsi. Mais, messieurs, qu’est-ce que cela peut avoir de commun avec un personnage anglais dans la pièce de M. Hume ? Vous voyez bien qu’il ne cherche que de vains prétextes pour me ravir la protection dont je vous supplie de m’honorer.

Voyez, je vous prie, jusqu’où va sa malice : il dit, page 115, que le bruit courut longtemps qu’il avait été condamné aux galères[23] ; et il affirme qu’en effet, pour la condamnation, elle n’a jamais eu lieu : mais, je vous en supplie, que ce monsieur ait été aux galères quelque temps, ou qu’il y aille, quel rapport cette anecdote peut-elle avoir avec la traduction d’un drame anglais ? Il parle des raisons qui pouvaient, dit-il, lui avoir attiré ce malheur. Je vous jure, messieurs, que je n’entre dans aucune de ces raisons ; il peut y en avoir de bonnes, sans que M. Hume doive s’en inquiéter : qu’il aille aux galères ou non, je n’en suis pas moins le traducteur de l’Écossaise. Je vous demande, messieurs, votre protection contre lui. Recevez ce petit drame avec cette affabilité que vous témoignez aux étrangers.

J’ai l’honneur d’être avec un profond respect.

 

Messieurs,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur,

 

JÉRÔME CARRÉ,

natif de Montauban, demeurant dans l’impasse de Saint-Thomas-du-Louvre ; car j’appelle impasse, messieurs, ce que vous appelez cul-de-sac. Je trouve qu’une rue ne ressemble ni à un cul ni à un sac. Je vous prie de vous servir du mot impasse, qui est noble, sonore, intelligible, nécessaire, au lieu de celui de cul, en dépit du sieur Fréron,  ci-devant jésuite.

 

 

AVERTISSEMENT[24]

 

Cette lettre de M. Jérôme Carré eut tout l’effet qu’elle méritait. La pièce fut représentée au commencement d’août 1760[25]. On commença tard ; et quelqu’un demandant pourquoi on attendait si longtemps : C’est apparemment, répondit tout haut un homme d’esprit[26], que Fréron est monté à l’hôtel-de-ville. Comme ce Fréron avait eu l’inadvertance de se reconnaître dans la comédie de l’Écossaise, quoique M. Hume ne l’eut jamais eu en vue, le public le reconnut aussi. La comédie était sue de tout le monde par cœur avant qu’on la jouât, et cependant elle fut reçue avec un succès prodigieux. Fréron fit encore la faute d’imprimer dans je ne sais quelles feuilles, intitulées l’Année littéraire, que l’Écossaise n’avait réussi qu’à l’aide d’une cabale composée de douze à quinze cents personnes[27], qui toutes, disait-il, le haïssaient et le méprisaient souverainement. Mais M. Jérôme Carré était bien loin de faire des cabales ; tout Paris sait assez qu’il n’est pas à portée d’en faire : d’ailleurs il n’avait jamais vu ce Fréron, et il ne pouvait comprendre pourquoi tous les spectateurs s’obstinaient à voir Fréron dans Frélon. Un avocat, à la seconde représentation, s’écria : Courage, monsieur Carré ; vengez le public ! Le parterre et les loges applaudirent à ces paroles par des battements de mains qui ne finissaient point. Carré, au sortir du spectacle, fut embrassé par plus de cent personnes. « Que vous êtes aimable, M. Carré, lui disait-on, d’avoir fait justice de cet homme dont les mœurs sont encore plus odieuses que la plume ! Eh, messieurs, répondit Carré, vous me faites plus d’honneur que je ne mérite ; je ne suis qu’un pauvre traducteur d’une comédie pleine de morale et d’intérêt. »

Comme il parlait ainsi sur l’escalier, il fut barbouillé de deux baisers par la femme de Fréron. « Que je vous suis obligée, dit-elle, d’avoir puni mon mari ! Mais vous ne le corrigerez point. » L’innocent Carré était tout confondu ; il ne comprenait pas comment un personnage anglais pouvait être pris pour un Français nommé Fréron ; et toute la France lui faisait compliment de l’avoir peint trait pour trait. Ce jeune homme apprit, par cette aventure, combien il faut avoir de circonspection : il comprit en général que toutes les fois qu’on fait le portrait d’un homme ridicule, il se trouve toujours quelqu’un qui lui ressemble.

Ce rôle de Frélon était très peu important dans la pièce ; il ne contribua en rien au vrai succès, car elle reçut dans plusieurs provinces les mêmes applaudissements qu’à Paris. On peut dire à cela que ce Frélon était autant estimé dans les provinces que dans la capitale ; mais il est bien plus vraisemblable que le vif intérêt qui règne dans la pièce de M. Hume en a fait tout le succès. Peignez un faquin, vous ne réussirez qu’auprès de quelques personnes : intéressez, vous plairez à tout le monde.

Quoi qu’il en soit, voici la traduction d’une lettre de milord Boldthinker au prétendu Hume, au sujet de sa pièce de l’Écossaise.

« Je crois, mon cher Hume, que vous avez encore quelque talent ; vous en êtes comptable à la nation : c’est peu d’avoir immolé ce vilain Frélon à la risée publique sur tous les théâtres de l’Europe, où l’on joue votre aimable et vertueuse Écossaise : faites plus ; mettez sur la scène tous ces vils persécuteurs de la littérature, tous ces hypocrites noircis de vices, et calomniateurs de la vertu ; traînez sur le théâtre, devant le tribunal du public, ces fanatiques enragés qui jettent leur écume sur l’innocence, et ces hommes faux qui vous flattent d’un œil et qui vous menacent de l’autre, qui n’osent parler devant un philosophe, et qui tâchent de le détruire en secret ; exposez au grand jour ces détestables cabales qui voudraient replonger les hommes dans les ténèbres.

« Vous avez gardé trop longtemps le silence : on ne gagne rien à vouloir adoucir les pervers ; il n’y a plus d’autre moyen de rendre les lettres respectables que de faire trembler ceux qui les outragent. C’est le dernier parti que prit Pope avant que de mourir : il rendit ridicules à jamais, dans sa Dunciade, tous ceux qui devaient l’être ; ils n’osèrent plus se montrer, ils disparurent ; toute la nation lui applaudit : car si, dans les commencements, la malignité donna un peu de vogue à ces lâches ennemis de Pope, de Swift, et de leurs amis, la raison reprit bientôt le dessus. Les Zoïles ne sont soutenus qu’un temps. Le vrai talent des vers est une arme qu’il faut employer à venger le genre humain. Ce n’est pas les Pantolabes et les Nomentanus[28] seulement qu’il faut effleurer ; ce sont les Anitus et les Mélitus qu’il faut écraser. Un vers bien fait transmet à la dernière postérité la gloire d’un homme de bien et la honte d’un méchant. Travaillez, vous ne manquerez pas de matière, etc. »

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

FABRICE, FRÉLON

 

La scène représente un café et des chambres sur les ailes, de façon qu’on peut entrer de plain-pied des appartements dans le café.[29]

FRÉLON, dans un coin,
auprès d’une table sur laquelle il y a une écritoire et du café, lisant la gazette.

Que de nouvelles affligeantes ! Des grâces répandues sur plus de vingt personnes ! aucune sur moi ! Cent guinées de gratification à un bas-officier, parce qu’il a fait son devoir ! le beau mérite ! Une pension à l’inventeur d’une machine qui ne sert qu’à soulager des ouvriers ! une à un pilote ! Des places à des gens de lettres ! et à moi rien ! Encore, encore, et à moi rien !

Il jette la gazette et se promène.

Cependant je rends service à l’état ; j’écris plus de feuilles que personne ; je fais enchérir le papier... et à moi rien ! Je voudrais me venger de tous ceux à qui on croit du mérite. Je gagne déjà quelque chose à dire du mal ; si je puis parvenir à en faire, ma fortune est faite. J’ai loué des sots, j’ai dénigré les talents ; à peine y a-t-il de quoi vivre. Ce n’est pas à médire, c’est à nuire qu’on fait fortune.

Au maître du café.

Bonjour, M. Fabrice, bonjour. Toutes les affaires vont bien, hors les miennes : j’enrage.

FABRICE.

M. Frélon, M. Frélon, vous vous faites bien des ennemis.

FRÉLON.

Oui, je crois que j’excite un peu d’envie.

FABRICE.

Non, sur mon âme, ce n’est point du tout ce sentiment-là que vous faites naître : écoutez ; j’ai quelque amitié pour vous ; je suis fâché d’entendre parler de vous comme on en parle. Comment faites-vous donc pour avoir tant d’ennemis, M. Frélon ?

FRÉLON.

C’est que j’ai du mérite, M. Fabrice.

FABRICE.

Cela peut être, mais il n’y a encore que vous qui me l’ayez dit : on prétend que vous êtes un ignorant ; cela ne me fait rien : mais on ajoute que vous êtes malicieux, et cela me fâche, car je suis bonhomme.

FRÉLON.

J’ai le cœur bon, j’ai le cœur tendre ; je dis un peu de mal des hommes, mais j’aime toutes les femmes, M. Fabrice, pourvu qu’elles soient jolies ; et, pour vous le prouver, je veux absolument que vous m’introduisiez chez cette aimable personne qui loge chez vous, et que je n’ai pu encore voir dans son appartement.

FABRICE.

Oh, pardi ! M. Frélon, cette jeune personne-là n’est guère faite pour vous ; car elle ne se vante jamais, et ne dit de mal de personne.

FRÉLON.

Elle ne dit de mal de personne, parce qu’elle ne connaît personne. N’en seriez-vous point amoureux, mon cher M. Fabrice ?

FABRICE.

Oh ! non : elle a quelque chose de si noble dans son air, que je n’ose jamais être amoureux d’elle : d’ailleurs sa vertu...

FRÉLON.

Ha ! ha ! ha ! ha ! sa vertu !...

FABRICE.

Oui, qu’avez-vous à rire ? est-ce que vous ne croyez pas à la vertu, vous ? Voilà un équipage de campagne qui s’arrête à ma porte ; un domestique en livrée qui porte une malle : c’est quelque seigneur qui vient loger chez moi.

FRÉLON.

Recommandez-moi vite à lui, mon cher ami.

 

 

Scène II

 

LE LORD MONROSE, FABRICE, FRÉLON

 

MONROSE.

Vous êtes M. Fabrice, à ce que je crois ?

FABRICE.

À vous servir, monsieur.

MONROSE.

Je n’ai que peu de jours à rester dans cette ville. Ô ciel ! daigne m’y protéger... Infortuné que je suis !... On m’a dit que je serais mieux chez vous qu’ailleurs, que vous êtes un bon et honnête homme.

FABRICE.

Chacun doit l’être. Vous trouverez ici, monsieur, toutes les commodités de la vie, un appartement assez propre, table d’hôte, si vous daignez me faire cet honneur, liberté de manger chez vous, l’amusement de la conversation dans le café.

MONROSE.

Avez-vous ici beaucoup de locataires ?

FABRICE.

Nous n’avons à présent qu’une jeune personne, très belle et très vertueuse.

FRÉLON.

Eh, oui, très vertueuse ! hé ! hé !

FABRICE.

Qui vit dans la plus grande retraite.

MONROSE.

La jeunesse et la beauté ne sont pas faites pour moi. Qu’on me prépare, je vous prie, un appartement où je puisse être en solitude... Que de peines !... Y a-t-il quelque nouvelle intéressante dans Londres ?

FABRICE.

M. Frélon peut vous en instruire, car il en fait ; c’est l’homme du monde qui parle et qui écrit le plus : il est très utile aux étrangers.

MONROSE, en se promenant.

Je n’en ai que faire.

FABRICE.

Je vais donner ordre que vous soyez bien servi.

Il sort.

FRÉLON.

Voici un nouveau débarqué : c’est un grand seigneur, sans doute, car il a l’air de ne se soucier de personne. Milord, permettez que je vous présente mes hommages et ma plume.

MONROSE.

Je ne suis point milord ; c’est être un sot de se glorifier de son titre, et c’est être un faussaire de s’arroger un titre qu’on n’a pas. Je suis ce que je suis : quel est votre emploi dans la maison ?

FRÉLON.

Je ne suis point de la maison, monsieur ; je passe ma vie au café : j’y compose des brochures, des feuilles ; je sers les honnêtes gens. Si vous avez quelque ami à qui vous vouliez donner des éloges, ou quelque ennemi dont on doive dire du mal, quelque auteur à protéger ou à décrier, il n’en coûte qu’une pistole par paragraphe[30]. Si vous voulez faire quelque connaissance agréable ou utile, je suis encore votre homme.

MONROSE.

Et vous ne faites point d’autre métier dans la ville ?

FRÉLON.

Monsieur, c’est un très bon métier.

MONROSE.

Et on ne vous a pas encore montré en public, le cou décoré d’un collier de fer de quatre pouces de hauteur ?

FRÉLON.

Voilà un homme qui n’aime pas la littérature.

 

 

Scène III

 

FRÉLON, se remettant à sa table. Plusieurs personnes paraissent dans l’intérieur du café, MONROSE avance sur le bord du théâtre

 

MONROSE.

Mes infortunes sont-elles assez longues, assez affreuses ? Errant, proscrit, condamné à perdre la tête dans l’Écosse, ma patrie, j’ai perdu mes honneurs, ma femme, mon fils, ma famille entière : une fille me reste, errante comme moi, misérable, et peut-être déshonorée ; et je mourrai donc sans être vengé de cette barbare famille de Murray, qui m’a persécuté, qui m’a tout ôté, qui m’a rayé du nombre des vivants ! car enfin je n’existe plus ; j’ai perdu jusqu’à mon nom par l’arrêt qui me condamne en Écosse ; je ne suis qu’une ombre qui vient errer autour de son tombeau.

UN DE CEUX qui sont entrés dans le café, frappant sur l’épaule de Frélon qui écrit.

Eh bien, tu étais hier à la pièce nouvelle ; l’auteur fut bien applaudi ; c’est un jeune homme de mérite, et sans fortune, que la nation doit encourager.

UN AUTRE.

Je me soucie bien d’une pièce nouvelle. Les affaires publiques me désespèrent ; toutes les denrées sont à bon marché, on nage dans une abondance pernicieuse ; je suis perdu, je suis ruiné.

FRÉLON, écrivant.

Cela n’est pas vrai ; la pièce ne vaut rien ; l’auteur est un sot, et ses protecteurs aussi ; les affaires publiques n’ont jamais été plus mauvaises ; tout renchérit ; l’état est anéanti, et je le prouve par mes feuilles.

UN SECOND.

Tes feuilles sont des feuilles de chêne ; la vérité est que la philosophie est bien dangereuse, et que c’est elle qui nous a fait perdre l’île de Minorque.[31]

MONROSE, toujours sur le devant du théâtre.

Le fils de milord Murray me paiera tous mes malheurs. Que ne puis-je au moins, avant de périr, punir par le sang du fils toutes les barbaries du père !

UN TROISIÈME INTERLOCUTEUR, dans le fond.

La pièce d’hier m’a paru très bonne.

FRÉLON.

Le mauvais goût gagne ; elle est détestable.

LE TROISIÈME INTERLOCUTEUR.

Il n’y a de détestable que tes critiques.

LE SECOND.

Et moi je vous dis que les philosophes font baisser les fonds publics, et qu’il faut envoyer un autre ambassadeur à la Porte.[32]

FRÉLON.

Il faut siffler la pièce qui réussit, et ne pas souffrir qu’il se fasse rien de bon.

Ils parlent tous quatre en même temps.

UN INTERLOCUTEUR.

Va, s’il n’y avait rien de bon, tu perdrais le plus grand plaisir de la satire. Le cinquième acte surtout a de très grandes beautés.

LE SECOND INTERLOCUTEUR.

Je n’ai pu me défaire d’aucune de mes marchandises.

LE TROISIÈME.

Il y a beaucoup à craindre cette année pour la Jamaïque ; ces philosophes la feront prendre.[33]

FRÉLON.

Le quatrième et le cinquième actes sont pitoyables.

MONROSE, se tournant.

Quel sabbat !

LE PREMIER INTERLOCUTEUR.

Le gouvernement ne peut pas subsister tel qu’il est.

LE TROISIÈME INTERLOCUTEUR.

Si le prix de l’eau des Barbades ne baisse pas, la patrie est perdue.

MONROSE.

Se peut-il que toujours, et en tout pays, dès que les hommes sont rassemblés, ils parlent tous à-la-fois ! quelle rage de parler avec la certitude de n’être point entendu !

FABRICE, arrivant avec une serviette.

Messieurs, on a servi : surtout ne vous querellez point à table, ou je ne vous reçois plus chez moi.

À Monrose.

Monsieur veut-il nous faire l’honneur de venir dîner avec nous ?

MONROSE.

Avec cette cohue ? non, mon ami ; faites-moi apporter à manger dans ma chambre.

Il se retire à part, et dit à Fabrice.[34]

Écoutez, un mot : milord Falbrige est-il à Londres ?

FABRICE.

Non, mais il revient bientôt.

MONROSE.

Est-il vrai qu’il vient ici quelquefois ?

FABRICE.

Il y venait avant son voyage d’Espagne[35].

MONROSE.

Cela suffît : bonjour. Que la vie m’est odieuse !

Il sort.

FABRICE.

Cet homme-là me paraît accablé de chagrins et d’idées. Je ne serais point surpris qu’il allât se tuer là-haut : ce serait dommage, il a l’air d’un honnête homme.

Les survenants sortent pour dîner. Frélon est toujours à la table où il écrit. Ensuite Fabrice frappe à la porte de l’appartement de Lindane.

 

 

Scène IV

 

FABRICE, POLLY, FRÉLON

 

FABRICE.

Mademoiselle Polly ! mademoiselle Polly !

POLLY.

Eh bien ! qu’y a-t-il, notre cher hôte ?

FABRICE.

Seriez-vous assez complaisante pour venir dîner en compagnie ?

POLLY.

Hélas ! je n’ose, car ma maîtresse ne mange point : comment voulez-vous que je mange ? nous sommes si tristes !

FABRICE.

Cela vous égaiera.

POLLY.

Je ne puis être gaie : quand ma maîtresse souffre, il faut que je souffre avec elle.

FABRICE.

Je vous enverrai donc secrètement ce qu’il vous faudra.

Il sort.

FRÉLON, se levant de sa table.

Je vous suis, M. Fabrice. Ma chère Polly, vous ne voulez donc jamais m’introduire chez votre maîtresse ? Vous rebutez toutes mes prières.

POLLY.

C’est bien à vous d’oser faire l’amoureux d’une personne de sa sorte ?

FRÉLON.

Eh ! de quelle sorte est-elle donc ?

POLLY.

D’une sorte qu’il faut respecter : vous êtes fait tout au plus pour les suivantes.

FRÉLON.

C’est-à-dire que, si je vous en contais, vous m’aimeriez ?

POLLY.

Assurément non.

FRÉLON.

Et pourquoi donc ta maîtresse s’obstine-t-elle à ne me point recevoir, et que la suivante me dédaigne ?

POLLY.

Pour trois raisons ; c’est que vous êtes bel-esprit, ennuyeux, et méchant.

FRÉLON.

C’est bien à ta maîtresse, qui languit ici dans la pauvreté[36], à me dédaigner !

POLLY.

Ma maîtresse pauvre ! qui vous a dit cela, langue de vipère ? ma maîtresse est très riche : si elle ne fait point de dépense, c’est qu’elle hait le faste : elle est vêtue simplement par modestie ; elle mange peu, c’est par régime ; et vous êtes un impertinent.

FRÉLON.

Qu’elle ne fasse pas tant la fière : nous connaissons sa conduite, nous savons sa naissance, nous n’ignorons pas ses aventures.

POLLY.

Quoi donc ? que connaissez-vous ? que voulez-vous dire ?

FRÉLON.

J’ai partout des correspondances.

POLLY.

Ô ciel ! cet homme peut nous perdre. M. Frélon, mon cher M. Frélon, si vous savez quelque chose, ne nous trahissez pas.

FRÉLON.

Ah ! ah ! j’ai donc deviné ? il y a donc quelque chose ? et je suis le cher M. Frélon. Ah ça, je ne dirai rien ; mais il faut...

POLLY.

Quoi ?

FRÉLON.

Il faut m’aimer.

POLLY.

Fi donc ! cela n’est pas possible.

FRÉLON.

Ou aimez-moi, ou craignez-moi : vous savez qu’il y a quelque chose.

POLLY.

Non, il n’y a rien, sinon que ma maîtresse est aussi respectable que vous êtes haïssable : nous sommes très à notre aise, nous ne craignons rien, et nous nous moquons de vous.

FRÉLON.

Elles sont très à leur aise, de là je conclus[37] que tout leur manque ; elles ne craignent rien, c’est-à-dire qu’elles tremblent d’être découvertes... Ah ! je viendrai à bout de ces aventurières, ou je ne pourrai.[38] Je me vengerai de leur insolence. Mépriser M. Frélon.

Il sort.

 

 

Scène V

 

LINDANE, sortant de sa chambre, dans un déshabillé des plus simples, POLLY

 

LINDANE.

Ah ! ma pauvre Polly, tu étais avec ce vilain homme de Frélon : il me donne toujours de l’inquiétude : on dit que c’est un esprit de travers[39], et un homme dangereux, dont la langue, la plume, et les démarches, sont également méchantes ; qu’il cherche à s’insinuer partout, pour faire le mal s’il n’y en a point, et pour l’augmenter s’il en trouve. Je serais sortie de cette maison qu’il fréquente, sans la probité et le bon cœur de notre hôte.

POLLY.

Il voulait absolument vous voir, et je le rembarrais...

LINDANE.

Il veut me voir ; et milord Murray n’est point venu ! il n’est point venu depuis deux jours !

POLLY.

Non, madame ; mais parce que milord ne vient point, faut-il pour cela ne dîner jamais ?

LINDANE.

Ah ! souviens-toi surtout de lui cacher toujours ma misère, et à lui, et à tout le monde[40] : ce n’est point la pauvreté qui est intolérable, c’est le mépris : je sais manquer de tout, mais je veux qu’on l’ignore.

POLLY.

Hélas ! ma chère maîtresse, on s’en aperçoit assez en me voyant : pour vous, ce n’est pas de même : la grandeur d’âme vous soutient : il semble que vous vous plaisiez à combattre la mauvaise fortune ; vous n’en êtes que plus belle ; mais moi, je maigris à vue d’œil : depuis un an que vous m’avez prise à votre service en Écosse, je ne me reconnais plus.

LINDANE.

Il ne faut perdre ni le courage ni l’espérance : je supporte ma pauvreté, mais la tienne me déchire le cœur. Ma chère Polly, qu’au moins le travail de mes mains serve à rendre ta destinée moins affreuse : n’ayons d’obligation à personne ; va vendre ce que j’ai brodé ces jours-ci.

Elle lui donne un petit ouvrage de broderie.

Je ne réussis pas mal à ces petits ouvrages. Que mes mains te nourrissent et t’habillent : tu m’as aidée : il est beau de ne devoir notre subsistance qu’à notre vertu.

POLLY.

Laissez-moi baiser, laissez-moi arroser de mes larmes ces belles mains qui ont fait ce travail précieux. Oui, madame, j’aimerais mieux mourir auprès de vous dans l’indigence, que de servir des reines. Que ne puis-je vous consoler !

LINDANE.

Hélas ! milord Murray n’est point venu ! lui, que je devrais haïr ! lui, le fils de celui qui a fait tous nos malheurs ! Ah ! le nom de Murray nous sera toujours funeste : s’il vient, comme il viendra sans doute, qu’il ignore absolument ma patrie, mon état, mon infortune.

POLLY.

Savez-vous bien que ce méchant Frélon se vante d’en avoir quelque connaissance ?

LINDANE.

Eh ! comment pourrait-il en être instruit, puisque tu l’es à peine ? Il ne sait rien ; personne ne m’écrit ; je suis dans ma chambre comme dans mon tombeau : mais il feint de savoir quelque chose, pour se rendre nécessaire. Garde-toi qu’il devine jamais seulement le lieu de ma naissance. Chère Polly, tu le sais, je suis une infortunée dont le père fut proscrit dans les derniers troubles, dont la famille est détruite ; il ne me reste que mon courage[41]. Mon père est errant de désert en désert, en Écosse. Je serais déjà partie de Londres pour m’unir à sa mauvaise fortune, si je n’avais pas quelque espérance en milord Falbrige. J’ai su qu’il avait été le meilleur ami de mon père. Personne n’abandonne son ami. Falbrige est revenu d’Espagne ; il est à Windsor : j’attends son retour. Mais, hélas ! Murray ne revient point ! Je t’ai ouvert mon cœur ; songe que tu le perces du coup de la mort si tu laisses jamais entrevoir l’état où je suis.

POLLY.

Et à qui en parlerais-je ? je ne sors jamais d’auprès de vous ; et puis le monde est si indifférent sur les malheurs d’autrui !

LINDANE.

Il est indifférent, Polly, mais il est curieux, mais il aime à déchirer les blessures des infortunés ; et si les hommes sont compatissants avec les femmes, ils en abusent, ils veulent se faire un droit de notre misère ; et je veux rendre cette misère respectable. Mais hélas ! milord Murray ne viendra point !

 

 

Scène VI

 

LINDANE, POLLY, FABRICE, avec une serviette

 

FABRICE.

Pardonnez... madame... mademoiselle... Je ne sais comment vous nommer, ni comment vous parler : vous m’imposez du respect. Je sors de table pour vous demander vos volontés je ne sais comment m’y prendre.

LINDANE.

Mon cher hôte, croyez que toutes vos attentions me pénètrent le cœur ; que voulez-vous de moi ?

FABRICE.

C’est moi qui voudrais bien que vous voulussiez avoir quelque volonté. Il me semble que vous n’avez pas dîné hier.

LINDANE.

J’étais malade.

FABRICE.

Vous êtes plus que malade, vous êtes triste... Entre nous, pardonnez... il paraît que votre fortune n’est pas comme votre personne.

LINDANE.

Comment ? quelle imagination ! je ne me suis jamais plainte de ma fortune.

FABRICE.

Non, vous dis-je, elle n’est pas si belle, si bonne, si désirable que vous l’êtes.

LINDANE.

Que voulez-vous dire ?

FABRICE.

Que vous touchez ici tout le monde, et que vous l’évitez trop. Écoutez : je ne suis qu’un homme simple, qu’un homme du peuple ; mais je vois tout votre mérite, comme si j’étais un homme de la cour : ma chère dame, un peu de bonne chère : nous avons là-haut un vieux gentilhomme, avec qui vous devriez manger.

LINDANE.

Moi me mettre a table avec un homme, avec un inconnu ?

FABRICE.

C’est un vieillard qui me paraît[42] un galant homme. Vous paraissez bien affligée, il paraît bien triste aussi : deux, afflictions mises ensemble peuvent devenir une consolation.

LINDANE.

Je ne veux, je ne peux voir personne.

FABRICE.

Souffrez au moins que ma femme vous fasse sa cour ; daignez permettre qu’elle mange avec vous, pour vous tenir compagnie. Souffrez quelques soins...

LINDANE.

Je vous rends grâce avec sensibilité ; mais je n’ai besoin de rien.

FABRICE.

Oh ! je n’y tiens pas : vous n’avez besoin de rien, et vous n’avez pas le nécessaire !

LINDANE.

Qui vous en a pu imposer si témérairement ?

FABRICE.

Pardon ![43]

LINDANE.

Vous extravaguez, mon cher hôte.

FABRICE, en tirant Polly par la manche.

Va, ma pauvre Polly, il y a un bon dîner tout prêt dans le cabinet qui donne dans la chambre de ta maîtresse, je t’en avertis. Cette femme-là est incompréhensible. Mais qui est donc cette autre dame qui entre dans mon café comme si c’était un homme ? elle a l’air bien furibond.

POLLY.

Ah ! ma chère maîtresse, c’est mylady Alton, celle qui voulait épouser milord ; je l’ai vue une fois rôder près d’ici : c’est elle.

LINDANE.

Milord ne viendra point, c’en est fait ; je suis perdue : pourquoi me suis-je obstinée à vivre ?

Elle rentre.

 

 

Scène VII

 

LADY ALTON, FABRICE

 

LADY ALTON, ayant traversé avec colère le théâtre, et prenant Fabrice par le bras

Suivez-moi, il faut que je vous parle.

FABRICE.

À moi, madame ?

LADY ALTON.

À vous, malheureux !

FABRICE.

Quelle diablesse de femme !

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LADY ALTON, FABRICE

 

LADY ALTON.

Je ne crois pas un mot de ce que vous me dites, M. le cafetier. Vous me mettez toute hors de moi-même.

FABRICE.

Eh ! madame, revenez à vous.[44]

LADY ALTON.

Vous m’osez assurer que cette aventurière est une personne d’honneur, après qu’elle a reçu chez elle un homme de la cour : vous devriez mourir de honte.

FABRICE.

Pourquoi, madame ? Quand milord y est venu, il n’y est point venu en secret ; elle l’a reçu en public, les portes de son appartement ouvertes, ma femme présente.[45] Vous pouvez mépriser mon état, mais vous devez estimer ma probité ; et quant à celle que vous appelez une aventurière, si vous connaissiez ses mœurs, vous la respecteriez.

LADY ALTON.

Laissez-moi, vous m’importunez.

FABRICE.

Oh, quelle femme ! quelle femme !

LADY ALTON va à la porte de Lindane, et frappe rudement.

Qu’on m’ouvre.

 

 

Scène II

 

LINDANE, LADY ALTON

 

LINDANE.

Eh î qui peut frapper ainsi ? et que vois-je ?

LADY ALTON.[46]

Connaissez-vous les grandes passions, mademoiselle ?

LINDANE.

Hélas ! madame, voilà une étrange question.

LADY ALTON.

Connaissez-vous l’amour véritable, non pas l’amour insipide, l’amour langoureux ; mais cet amour, la, qui fait qu’on voudrait empoisonner sa rivale, tuer son amant, et se jeter ensuite par la fenêtre ?

LINDANE.

Mais c’est la rage dont vous me parlez là.

LADY ALTON.

Sachez que je n’aime point autrement, que je suis jalouse, vindicative, furieuse, implacable.

LINDANE.

Tant pis pour vous, madame.

LADY ALTON.

Répondez-moi ; milord Murray n’est-il pas venu ici quelquefois ?

LINDANE.

Que vous importe, madame ? et de quel droit venez-vous m’interroger ? suis-je une criminelle ? êtes-vous mon juge ?

LADY ALTON.

Je suis votre partie : si milord vient encore vous voir, si vous flattez la passion de cet infidèle, tremblez : renoncez à lui, ou vous êtes perdue.

LINDANE.

Vos menaces m’affermiraient dans ma passion pour lui, si j’en avais une.

LADY ALTON.

Je vois que vous l’aimez, que vous vous laissez séduire par un perfide ; je vois qu’il vous trompe, et que vous me bravez : mais sachez qu’il n’est point de vengeance à laquelle je ne me porte.

LINDANE.

Eh bien ! madame, puisqu’il est ainsi, je l’aime.

LADY ALTON.

Avant de me venger, je veux vous confondre ; tenez, connaissez le traître ; voilà les lettres qu’il m’a écrites ; voilà son portrait qu’il m’a donné.[47]

Elle le donne à Lindane.

LINDANE.

Qu’ai-je vu, malheureuse !... Madame...

LADY ALTON.

Eh bien ?...

LINDANE, en rendant le portrait.

Je ne l’aime plus.

LADY ALTON.

Gardez votre résolution et votre promesse ; sachez que c’est un homme inconstant, dur, orgueilleux, que c’est le plus mauvais caractère...

LINDANE.

Arrêtez, madame ; si vous continuiez à en dire du mal, je l’aimerais peut-être encore. Vous êtes venue ici pour achever de m’ôter la vie ; vous n’aurez pas de peine. Polly, c’en est fait ; allons cacher la dernière de mes douleurs.[48]

Elles sortent.

 

 

Scène III

 

LADY ALTON, FRÉLON

 

LADY ALTON.

Quoi ! être trahie, abandonnée pour cette petite créature !

À Frélon.

Gazetier littéraire, approchez ; m’avez-vous servie ? avez-vous employé vos correspondances ? m’avez-vous obéi ? avez-vous découvert quelle est cette insolente qui fait le malheur de ma vie ?

FRÉLON.

J’ai rempli les volontés de votre grandeur ; je sais qu’elle est Écossaise, et qu’elle se cache.

LADY ALTON.

Voilà de belles nouvelles !

FRÉLON.

Je n’ai rien découvert de plus jusqu’à présent.

LADY ALTON.

Et en quoi m’as-tu donc servie ?

FRÉLON.

Quand on découvre peu de chose, on ajoute quelque chose, et quelque chose avec quelque chose fait beaucoup. J’ai fait une hypothèse.

LADY ALTON.

Comment, pédant ! une hypothèse !

FRÉLON.

Oui, j’ai supposé qu’elle est mal intentionnée contre le gouvernement.

LADY ALTON.

Ce n’est point supposer, rien n’est posé plus vrai : elle est très mal intentionnée, puisqu’elle veut m’enlever mon amant.

FRÉLON.

Vous voyez bien que, dans un temps de trouble, une Écossaise qui se cache est une ennemie de l’état.

LADY ALTON.

Je ne le vois pas ; mais je voudrais que la chose fût.

FRÉLON.

Je ne le parierais pas, mais j’en jurerais.[49]

LADY ALTON.

Et tu serais capable de l’affirmer ?[50]

FRÉLON.

Je suis en relation avec des personnes de conséquence. Je connais fort la maîtresse du valet de chambre d’un premier commis du ministre ; je pourrais même parler aux laquais de milord votre amant, et dire que le père de cette fille, en qualité de malintentionné, l’a envoyée à Londres comme malintentionnée ; je supposerais même que le père est ici. Voyez-vous, cela pourrait avoir des suites, et on mettrait votre rivale en prison.[51]

LADY ALTON.

Ah ! je respire ; les grandes passions veulent être servies par des gens sans scrupule ; je n’aime ni les demi-vengeances, ni les demi-fripons ;[52] je veux que le vaisseau aille à pleines voiles, ou qu’il se brise. Tu as raison ; une Écossaise qui se cache, dans un temps où tous les gens de son pays sont suspects, est sûrement une ennemie de l’état[53]. Je croyais que tu n’étais qu’un barbouilleur de papier, mais je vois que tu as en effet des talents. Je t’ai déjà récompensé ; je te récompenserai encore. Il faudra m’instruire de tout ce qui se passe ici.

FRÉLON.

Madame, je vous conseille de faire usage de tout ce que vous saurez, et même de ce que vous ne saurez pas. La vérité a besoin de quelques ornements : le mensonge peut être vilain, mais la fiction est belle ; qu’est-ce, après tout, que la vérité ? la conformité à nos idées : or ce qu’on dit est toujours conforme à l’idée qu’on a quand on parle ; ainsi il n’y a point proprement de mensonge.

LADY ALTON.

Tu me parais subtil : il semble que tu aies étudié à Saint-Omer.[54] Va, dis-moi seulement ce que tu découvriras, je ne t’en demande pas davantage.

 

 

Scène IV

 

LADY ALTON, FABRICE

 

LADY ALTON.

Voilà, je l’avoue, le plus impudent et le plus lâche coquin qui soit dans les trois royaumes. Nos dogues mordent par instinct de courage ; et lui, par instinct de bassesse[55]. À présent que je suis un peu plus de sang froid, je pense qu’il me ferait haïr la vengeance ; je sens que je prendrais contre lui le parti de ma rivale. Elle a dans son état humble une fierté qui me plaît ; elle est décente, on la dit sage : mais elle m’enlève mon amant, il n’y a pas moyen de pardonner.

À Fabrice qu’elle aperçoit agissant dans le café.

Adieu, mon maître ; faisons la paix : vous êtes un honnête homme, vous ; mais vous avez dans votre maison un vilain griffonneur.

FABRICE.

Bien des gens m’ont déjà dit, madame, qu’il est aussi méchant que Lindane est vertueuse et aimable.

LADY ALTON.

Aimable ! tu me perces le cœur.

 

 

Scène V

 

FREEPORT, vêtu simplement, mais proprement, avec un large chapeau, FABRICE

 

FABRICE.

Ah ! Dieu soit béni ! vous voilà de retour, M. Freeport ; comment vous trouvez-vous de votre voyage à la Jamaïque ?

FREEPORT.

Fort bien, M. Fabrice. J’ai gagné beaucoup, mais je m’ennuie.

Au garçon de café.

Hé, du chocolat, les papiers publics ; on a plus de peine à s’amuser qu’à s’enrichir.

FABRICE.

Voulez-vous les feuilles de Frélon ?

FREEPORT.

Non : que m’importe ce fatras ? Je me soucie bien qu’une araignée dans le coin d’un mur marche sur sa toile pour sucer le sang des mouches ! Donnez les gazettes ordinaires. Qu’y a-t-il de nouveau dans l’état ?

FABRICE.

Rien pour le présent.

FREEPORT.

Tant mieux ; moins de nouvelles, moins de sottises. Comment vont vos affaires, mon ami ? Avez-vous beaucoup de monde chez vous ? qui logez-vous à présent ?

FABRICE.

Il est venu ce matin un vieux gentilhomme qui ne veut voir personne.

FREEPORT.

Il a raison : les hommes ne sont pas bons à grand’chose : fripons ou sots, voilà pour les trois quarts ; et pour l’autre quart, il se tient chez soi.

FABRICE.

Cet homme n’a pas même la curiosité de voir une femme charmante que nous avons dans la maison.

FREEPORT.

Il a tort. Et quelle est cette femme charmante ?

FABRICE.

Elle est encore plus singulière que lui ; il y a quatre mois qu’elle est chez moi, et qu’elle n’est pas sortie de son appartement ; elle s’appelle Lindane ; mais je ne crois pas que ce soit son véritable nom.

FREEPORT.

C’est sans doute une honnête femme, puisqu’elle loge ici.

FABRICE.

Oh ! elle est bien plus qu’honnête ; elle est belle, pauvre, et vertueuse : entre nous, elle est dans la dernière misère, et elle est fière à l’excès.

FREEPORT.

Si cela est, elle a bien plus tort que votre vieux gentilhomme.

FABRICE.

Oh ! point ; sa fierté est encore une vertu de plus ; elle consiste à se priver du nécessaire, et à ne vouloir pas qu’on le sache : elle travaille de ses mains pour gagner de quoi me payer, ne se plaint jamais, dévore ses larmes ; j’ai mille peines à lui faire garder pour ses besoins l’argent de son loyer : il faut des ruses incroyables pour faire passer jusqu’à elle les moindres secours ; je lui compte tout ce que je lui fournis à moitié de ce qu’il coûte : quand elle s’en aperçoit, ce sont des querelles qu’on ne peut apaiser, et c’est la seule qu’elle ait eue dans la maison : enfin, c’est un prodige de malheur, de noblesse, et de vertu ; elle m’arrache quelquefois des larmes d’admiration et de tendresse.

FREEPORT.

Vous êtes bien tendre ; je ne m’attendris point, moi ; je n’admire personne ; mais j’estime... Écoutez : comme je m’ennuie, je veux voir cette femme-là ; elle m’amusera.

FABRICE.

Oh ! monsieur, elle ne reçoit presque jamais de visites. Nous avions un milord qui venait quelquefois chez elle ; mais elle ne voulait point lui parler sans que ma femme y fût présente : depuis quelque temps il n’y vient plus, et elle vit plus retirée que jamais.

FREEPORT.

J’aime les personnes de cette humeur ;[56] je hais la cohue aussi bien qu’elle : qu’on me la fasse venir ; où est son appartement ?

FABRICE.

Le voici de plain-pied au café.

FREEPORT.

Allons, je veux entrer.

FABRICE.

Cela ne se peut pas.

FREEPORT.

Il faut bien que cela se puisse : où est la difficulté d’entrer dans une chambre ? Qu’on m’apporte chez elle mon chocolat et les gazettes.

Il tire sa montre.

Je n’ai pas beaucoup de temps à perdre ; mes affaires m’appellent à deux heures.

Il pousse la porte et entre.

 

 

Scène VI

 

LINDANE, paraissant tout effrayée, POLLY la suit, FREEPORT, FABRICE

 

LINDANE.

Eh, mon dieu ! qui entre ainsi chez moi avec tant de fracas ? Monsieur, vous me paraissez peu civil, et vous devriez respecter davantage ma solitude et mon sexe.

FREEPORT.

Pardon.

À Fabrice.

Qu’on m’apporte mon chocolat, vous dis-je.

FABRICE.

Oui, monsieur, si madame le permet.

Freeport s’assied près d’une table, lit la gazette, et jette un coup d’œil sur Lindane et sur Polly : il ôte son chapeau et le remet.

POLLY.

Cet homme me paraît familier.

FREEPORT.

Madame, pourquoi ne vous asseyez-vous pas quand je suis assis ?

LINDANE.

Monsieur, c’est que vous ne devriez pas l’être ; c’est que je suis très étonnée ; c’est que je ne reçois point de visite d’un inconnu.

FREEPORT.

Je suis très connu ; je m’appelle Freeport, loyal négociant, riche ; informez-vous de moi à la bourse.

LINDANE.

Monsieur, je ne connais personne en ce pays-là, et vous me feriez plaisir de ne point incommoder une femme à qui vous devez quelques égards.

FREEPORT.

Je ne prétends point vous incommoder ; je prends mes aises, prenez les vôtres ; je lis les gazettes ; travaillez en tapisserie, et prenez du chocolat avec moi... ou sans moi... comme vous voudrez.

POLLY.

Voilà un étrange original !

LINDANE.

Ô ciel ! quelle visite je reçois ![57] Cet homme bizarre m’assassine : je ne pourrai m’en défaire : comment M. Fabrice a-t-il pu souffrir cela ? Il faut bien s’asseoir.

Elle s’assied, et travaille à son ouvrage. Un garçon apporte du chocolat ; Freeport en prend sans en offrir ;  il parle et boit par reprises.

FREEPORT.

Écoutez. Je ne suis pas homme à compliment ; on m’a dit de vous... le plus grand bien qu’on puisse dire d’une femme : vous êtes pauvre et vertueuse ; mais on ajoute que vous êtes fière, et cela n’est pas bien.

POLLY.

Et qui vous a dit tout cela, monsieur ?

FREEPORT.

Parbleu, c’est le maître de la maison, qui est un très galant homme, et que j’en crois sur sa parole.

LINDANE.

C’est un tour qu’il vous joue : il vous a trompé, monsieur ; non pas sur la fierté, qui n’est que le partage de la vraie modestie ; non pas sur la vertu, qui est mon premier devoir ; mais sur la pauvreté, dont il me soupçonne. Qui n’a besoin de rien n’est jamais pauvre.

FREEPORT.

Vous ne dites pas la vérité, et cela est encore plus mal que d’être fière : je sais mieux que vous que vous manquez de tout, et quelquefois même vous vous dérobez un repas.

POLLY.

C’est par ordre du médecin.

FREEPORT.

Taisez-vous ; est-ce que vous êtes fière aussi, vous ?

POLLY.

Oh ! l’original ! l’original !

FREEPORT.

En un mot, ayez de l’orgueil ou non, peu m’importe. J’ai fait un voyage à la Jamaïque, qui m’a valu cinq mille guinées ; je me suis fait une loi (et ce doit être celle de tout bon chrétien) de donner toujours le dixième de ce que je gagne ; c’est une dette que ma fortune doit payer à l’état malheureux où vous êtes... oui, où vous êtes, et dont vous ne voulez pas convenir. Voilà ma dette de cinq cents guinées payée. Point de remerciement, point de reconnaissance ; gardez l’argent et le secret.

Il jette une grosse bourse sur la table.

POLLY.

Ma foi, ceci est bien plus original encore.

LINDANE, se levant et se détournant.

Je n’ai jamais été si confondue. Hélas ! que tout ce qui m’arrive m’humilie ! quelle générosité ! mais quel outrage !

FREEPORT,
continuant à lire les gazettes, et à prendre son chocolat.

L’impertinent gazetier ! le plat animal ! peut-on dire de telles pauvretés avec un ton si emphatique ? Le roi est venu en haute personne. Eh, malotru ! qu’importe que sa personne soit haute ou petite ? Dis le fait tout rondement.

LINDANE, s’approchant de lui.

Monsieur...

FREEPORT.

Eh bien ?

LINDANE.

Ce que vous faites pour moi me surprend plus encore que ce que vous dites ; mais je n’accepterai certainement point l’argent que vous m’offrez : il faut vous avouer que je ne me crois pas en état de vous le rendre.

FREEPORT.

Qui vous parle de le rendre ?

LINDANE.

Je ressens jusqu’au fond du cœur toute la vertu de votre procédé, mais la mienne ne peut en profiter ; recevez mon admiration ; c’est tout ce que je puis.

POLLY.

Vous êtes cent fois plus singulière que lui. Eh ! madame, dans l’état où vous êtes, abandonnée de tout le monde, avez-vous perdu l’esprit de refuser un secours que le ciel vous envoie par la main du plus bizarre et du plus galant homme du monde ?

FREEPORT.

Et que veux-tu dire, toi ? en quoi suis-je bizarre ?

POLLY.

Si vous ne prenez pas pour vous, madame, prenez pour moi ; je vous sers dans votre malheur, il faut que je profite au moins de cette bonne fortune. Monsieur, il ne faut plus dissimuler ; nous sommes dans la dernière misère, et sans la bonté attentive du maître du café, nous serions mortes mille fois.[58] Ma maîtresse a caché son état à ceux qui pouvaient lui rendre service ; vous l’avez su malgré elle : obligez-la, malgré elle, à ne pas se priver du nécessaire que le ciel lui envoie par vos mains généreuses.

LINDANE.

Tu me perds d’honneur, ma chère Polly.

POLLY.

Et vous vous perdez de folie, ma chère maîtresse.

LINDANE.

Si tu m’aimes, prends pitié de ma gloire ; ne me réduis pas à mourir de honte pour avoir de quoi vivre.

FREEPORT, toujours lisant.

Que disent ces bavardes-là ?

POLLY.

Si vous m’aimez, ne me réduisez pas à mourir de faim par vanité.

LINDANE.

Polly, que dirait milord, s’il m’aimait encore, s’il me croyait capable d’une telle bassesse ? J’ai toujours feint avec lui de n’avoir aucun besoin de secours, et j’en accepterais d’un autre ! d’un inconnu !

POLLY.

Vous avez mal fait de feindre, et vous faites très mal de refuser. Milord ne dira rien, car il vous abandonne.

LINDANE.

Ma chère Polly, au nom de nos malheurs, ne nous déshonorons point : congédie honnêtement cet homme estimable et grossier, qui sait donner, et qui ne sait pas vivre ; dis-lui que quand une fille accepte d’un homme de tels présents, elle est toujours soupçonnée d’en payer la valeur aux dépens de sa vertu.

FREEPORT, toujours prenant son chocolat, et lisant.

Hem ! que dit-elle là ?

POLLY, s’approchant de lui.

Hélas ! monsieur, elle dit des choses qui me paraissent absurdes ; elle parle de soupçons ; elle dit qu’une fille...

FREEPORT.

Ah ! ah ! est-ce qu’elle est fille ?

POLLY.

Oui, monsieur, et moi aussi.

FREEPORT.

Tant mieux ; elle dit donc qu’une fille... ?

POLLY.

Qu’une fille ne peut honnêtement accepter d’un homme.

FREEPORT.

Elle ne sait ce qu’elle dit : pourquoi me soupçonner d’un dessein malhonnête, quand je fais une action honnête ?

POLLY.

Entendez-vous, mademoiselle ?

LINDANE.

Oui, j’entends, je l’admire, et je suis inébranlable dans mon refus. Polly, on dirait qu’il m’aime : oui, ce méchant homme de Frélon le dirait : je serais perdue.

POLLY, allant vers Freeport.

Monsieur, elle craint que l’on ne dise que vous l’aimez.[59]

FREEPORT.

Quelle idée ! comment puis-je l’aimer ? je ne la connais pas. Rassurez-vous, mademoiselle, je ne vous aime point du tout. Si je viens dans quelques années à vous aimer par hasard, et vous aussi à m’aimer, à la bonne heure... comme vous vous aviserez je m’aviserai. Si vous vous en passez, je m’en passerai. Si vous dites que je vous ennuie, vous m’ennuierez. Si vous voulez ne me revoir jamais, je ne vous reverrai jamais. Si vous voulez que je revienne, je reviendrai. Adieu, adieu.

Il tire sa montre.

Mon temps se perd, j’ai des affaires ; serviteur.

LINDANE.

Allez, monsieur, emportez mon estime et ma reconnaissance ; mais surtout emportez votre argent, et ne me faites pas rougir davantage.

FREEPORT.

Elle est folle.

LINDANE.

Fabrice ! M. Fabrice ! à mon secours ! venez !

FABRICE, arrivant en hâte.

Quoi donc, madame ?

LINDANE, lui donnant la bourse.

Tenez, prenez cette bourse que monsieur a laissée par mégarde ; remettez-la-lui, je vous en charge ; assurez-le de mon estime, et sachez que je n’ai besoin du secours de personne.

FABRICE, prenant la bourse.

Ah ! M. Freeport, je vous reconnais bien à cette bonne action : mais comptez que mademoiselle vous trompe, et qu’elle en a très grand besoin.

LINDANE.

Non, cela n’est pas vrai. Ah ! M. Fabrice ! est-ce vous qui me trahissez ?

FABRICE.

Je vais vous obéir, puisque vous le voulez.

Bas à M. Freeport.

Je garderai cet argent, et il servira, sans qu’elle le sache, à lui procurer tout ce qu’elle se refuse. Le cœur me saigne ; son état et sa vertu me pénètrent l’âme.

FREEPORT.

Elles me font aussi quelque sensation ; mais elle est trop fière. Dites-lui que cela n’est pas bien d’être fière. Adieu.

 

 

Scène VII

 

LINDANE, POLLY

 

POLLY.

Vous avez là bien opéré, madame ; le ciel daignait vous secourir ; vous voulez mourir dans l’indigence ; vous voulez que je sois la victime d’une vertu dans laquelle il entre peut-être un peu de vanité ; et cette vanité nous perd l’une et l’autre.

LINDANE.

C’est à moi de mourir, ma chère enfant ; milord ne m’aime plus ; il m’abandonne depuis trois jours ; il a aimé mon impitoyable et superbe rivale ; il l’aime encore, sans doute ; c’en est fait ; j’étais trop coupable en l’aimant ; c’est une erreur qui doit finir.

Elle écrit.

POLLY.

Elle paraît désespérée ; hélas ! elle a sujet de l’être ; son état est bien plus cruel que le mien : une suivante a toujours des ressources ; mais une personne qui se respecte n’en a pas.

LINDANE, ayant plié sa lettre.

Je ne fais pas un bien grand sacrifice. Tiens, quand je ne serai plus, porte cette lettre à celui...

POLLY.

Que dites-vous ?

LINDANE.

À celui qui est la cause de ma mort : je te recommande à lui ; mes dernières volontés le toucheront. Va,

Elle l’embrasse.

sois sûre que de tant d’amertumes, celle de n’avoir pu te récompenser moi-même n’est pas la moins sensible à ce cœur infortuné.

POLLY.

Ah ! mon adorable maîtresse ! que vous me faites verser de larmes, et que vous me glacez d’effroi ! Que voulez-vous faire ? quel dessein horrible ![60] quelle lettre ! Dieu me préserve de la lui rendre jamais !

Elle déchire la lettre.

Hélas ! pourquoi ne vous êtes-vous pas expliquée avec milord ? Peut-être que votre réserve cruelle lui aura déplu.

LINDANE.

Tu m’ouvres les yeux ; je lui aurai déplu, sans doute : mais comment me découvrir au fils de celui qui a perdu mon père et ma famille ?

POLLY.

Quoi ! madame, ce fut donc le père de milord qui...

LINDANE.

Oui, ce fut lui-même qui persécuta mon père, qui le fit condamner à la mort, qui nous a dégradés de noblesse, qui nous a ravi notre existence. Sans père, sans mère, sans bien, je n’ai que ma gloire et mon fatal amour. Je devais détester le fils de Murray ; la fortune qui me poursuit me l’a fait connaître ; je l’ai aimé, et je dois m’en punir.

POLLY.

Que vois-je ! vous pâlissez, vos yeux s’obscurcissent...

LINDANE.

Puisse ma douleur me tenir lieu du poison et du fer que j’implorais !

POLLY.

À l’aide, M. Fabrice, à l’aide ! Ma maîtresse s’évanouit.

FABRICE.

Au secours ! que tout le monde descende, ma femme, ma servante, monsieur le gentilhomme de là-haut, tout le monde...

La femme et la servante de Fabrice, et Polly, emmènent Lindane dans sa chambre.

LINDANE, en sortant.

Pourquoi me rendez-vous à la vie ?

 

 

Scène VIII

 

MONROSE, FABRICE

 

MONROSE.

Qu’y a-t-il donc, notre hôte !

FABRICE.

C’était cette belle demoiselle, dont je vous ai parlé, qui s’évanouissait ; mais ce ne sera rien.

MONROSE.

Ah ! tant mieux, vous m’avez effrayé.[61] Je croyais que le feu était à la maison.

FABRICE.

J’aimerais mieux qu’il y fût que de voir cette jeune personne en danger. Si l’Écosse a plusieurs filles comme elle, ce doit être un beau pays.

MONROSE.

Quoi ! elle est d’Écosse ?

FABRICE.

Oui, monsieur, je ne le sais que d’aujourd’hui ; c’est notre faiseur de feuilles qui me l’a dit, car il sait tout, lui.

MONROSE.

Et son nom, son nom ?

FABRICE.

Elle s’appelle Lindane.

MONROSE.

Je ne connais point ce nom-là.

Il se promène.

On ne prononce point le nom de ma patrie que mon cœur ne soit déchiré. Peut-on avoir été traité avec plus d’injustice et de barbarie ! Tu es mort, cruel Murray, indigne ennemi ! ton fils reste ; j’aurai justice ou vengeance. Ô ma femme ! ô mes chers enfants ! ma fille ! j’ai donc tout perdu sans ressource ! Que de coups de poignard auraient fini mes jours, si la juste fureur de me venger ne me forçait pas à porter dans l’affreux chemin du monde ce fardeau détestable de la vie !

FABRICE, revenant.

Tout va mieux, dieu merci.

MONROSE.

Comment ? quel changement y a-t-il dans les affaires ? quelle révolution ?

FABRICE.

Monsieur, elle a repris ses sens ; elle se porte très bien ; encore un peu pâle, mais toujours belle.

MONROSE.

Ah ! ce n’est que cela ? Il faut que je sorte, que j’aille, que je hasarde... oui... je le veux.

Il sort.

FABRICE.

Cet homme ne se soucie pas des filles qui s’évanouissent. S’il avait vu Lindane, il ne serait pas si indifférent.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LADY ALTON, ANDRÉ

 

LADY ALTON.

Oui, puisque je ne peux voir le traître chez lui, je le verrai ici ; il y viendra, sans doute. Frélon[62] avait raison ; une Écossaise cachée ici dans ce temps de trouble ! elle conspire contre l’état ; elle sera enlevée, l’ordre est donné : ah ! du moins, c’est contre moi qu’elle conspire ! c’est de quoi je ne suis que trop sûre. Voici André, le laquais de milord ; je serai instruite de tout mon malheur. André, vous apportez ici une lettre de milord, n’est-il pas vrai ?

ANDRÉ.

Oui, madame.

LADY ALTON.

Elle est pour moi ?

ANDRÉ.

Non, madame, je vous jure.

LADY ALTON.

Comment ? ne m’en avez-vous pas apporté plusieurs de sa part ?

ANDRÉ.

Oui, mais celle-ci n’est pas pour vous ; c’est pour une personne qu’il aime à la folie.

LADY ALTON.

Eh bien ! ne m’aimait-il pas à la folie, quand il m’écrivait ?

ANDRÉ.

Oh ! que non, madame ; il vous aimait si tranquillement ! mais ici ce n’est pas de même ; il ne dort ni ne mange; il court jour et nuit ; il ne parle que de sa chère Lindane : cela est tout différent, vous dis-je.

LADY ALTON.

Le perfide ! le méchant homme ! N’importe, je vous dis que cette lettre est pour moi : n’est-elle pas sans dessus ?

ANDRÉ.

Oui, madame.

LADY ALTON.

Toutes les lettres que vous m’avez apportées n’étaient-elles pas sans dessus aussi ?

ANDRÉ.

Oui, mais elle est pour Lindane.

LADY ALTON.

Je vous dis qu’elle est pour moi ; et, pour vous le prouver, voici dix guinées de port que je vous donne.

ANDRÉ.

Ah ! oui, madame, vous m’y faites penser, vous avez raison, la lettre est pour vous, je l’avais oublié... Mais cependant, comme elle n’était pas pour vous, ne me décelez pas ; dites que vous l’avez trouvée chez Lindane.

LADY ALTON.

Laisse-moi faire.

ANDRÉ.

Quel mal, après tout, de donner à une femme une lettre écrite pour une autre ? il n’y a rien de perdu ; toutes ces lettres se ressemblent. Si mademoiselle Lindane ne reçoit pas sa lettre, elle en recevra d’autres. Ma commission est faite. Oh ! je fais bien mes commissions, moi.

Il sort.

LADY ALTON ouvre la lettre, et lit.

Lisons : « Ma chère, ma respectable, ma vertueuse Lindane... » Il ne m’en a jamais tant écrit... « Il y a deux jours, il y a un siècle que je m’arrache au bonheur d’être à vos pieds, mais c’est pour vos seuls intérêts : je sais qui vous êtes, et ce que je vous dois : je périrai, ou les choses changeront. Mes amis agissent ; comptez sur moi comme sur l’amant le plus fidèle, et sur un homme digne peut-être de vous servir. »

Après avoir lu.

C’est une conspiration, il n’en faut point douter : elle est d’Écosse ; sa famille est mal intentionnée ; le père de Murray a commandé en Écosse ; ses amis agissent : il court jour et nuit.[63] Dieu merci, j’ai agi aussi ; et, si elle n’accepte pas mes offres, elle sera enlevée dans une heure, avant que son indigne amant la secoure.

 

 

Scène II

 

LADY ALTON, POLLY, LINDANE

 

LADY ALTON, à Polly, qui passe de la chambre de sa maîtresse dans une chambre du café.

Mademoiselle, allez dire tout-à-l’heure à votre maîtresse qu’il faut que je lui parle, qu’elle ne craigne rien, que je n’ai que des choses très agréables à lui dire ; qu’il s’agit de son bonheur,

Avec emportement.

Et qu’il faut qu’elle vienne tout-à-l’heure, tout-à-l’heure : entendez-vous ? qu’elle ne craigne point, vous dis-je.

POLLY.

Oh, madame ! nous ne craignons rien ; mais votre physionomie me fait trembler.

LADY ALTON.

Nous verrons si je ne viens pas à bout de cette fille vertueuse, avec les propositions que je vais lui faire.

LINDANE, arrivant toute tremblante, soutenue par Polly.

Que voulez-vous, madame ? venez-vous insulter encore à ma douleur ?

LADY ALTON.

Non ; je viens vous rendre heureuse. Je sais que vous n’avez rien ; je suis riche, je suis grande dame ; je vous offre un de mes châteaux sur les frontières d’Écosse, avec les terres qui en dépendent ; allez y vivre avec votre famille, si vous en avez ; mais il faut dans l’instant que vous abandonniez milord pour jamais, et qu’il ignore, toute sa vie, votre retraite.

LINDANE.

Hélas ! madame, c’est lui qui m’abandonne ; ne soyez point jalouse d’une infortunée ; vous m’offrez en vain une retraite ; j’en trouverai sans vous une éternelle, dans laquelle je n’aurai pas au moins à rougir de vos bienfaits.

LADY ALTON.

Comme vous me répondez, téméraire !

LINDANE.

La témérité ne doit point être mon partage ; mais la fermeté doit l’être. Ma naissance vaut bien la votre ; mon cœur vaut peut-être mieux ; et, quant à ma fortune, elle ne dépendra jamais de personne, encore moins de ma rivale.

Elle sort.

LADY ALTON, seule.

Elle dépendra de moi. Je suis fâchée qu’elle me réduise à cette extrémité.[64] Mais enfin, elle m’y a forcée. Infidèle amant ! passion funeste ![65]

 

 

Scène III

 

FREEPORT, MONROSE, paraissent dans le café avec LA FEMME DE FABRICE, LA SERVANTE, LES GARÇONS DU CAFÉ, qui mettent tout en ordre, FABRICE, LADY ALTON

 

LADY ALTON, à Fabrice.

M. Fabrice, vous me voyez ici souvent : c’est votre faute.

FABRICE.

Au contraire, madame, nous souhaiterions...

LADY ALTON.

J’en suis fâchée plus que vous ; mais vous m’y reverrez encore, vous dis-je.

Elle sort.

FABRICE.

Tant pis. À qui en a-t-elle donc ? Quelle différence d’elle à cette Lindane, si belle et si patiente !

FREEPORT.

Oui. À propos, vous m’y faites songer ; elle est, comme vous dites, belle et honnête.

FABRICE.

Je suis fâché que ce brave gentilhomme ne l’ait pas vue ; il en aurait été touché.

MONROSE.

Ah ! j’ai d’autres affaires en tête...

À part.

Malheureux que je suis !

FREEPORT.

Je passe mon temps à la bourse ou à la Jamaïque : cependant la vue d’une jeune personne ne laisse pas de réjouir les yeux d’un galant homme. Vous me faites songer, vous dis-je, à cette petite créature : beau maintien, conduite sage, belle tête, démarche noble. Il faut que je la voie un de ces jours encore une fois... C’est dommage qu’elle soit si fière.

MONROSE, à Freeport.

Notre hôte m’a confié que vous en aviez agi avec elle d’une manière admirable.

FREEPORT.

Moi ? non... n’en auriez-vous pas fait autant à ma place ?

MONROSE.

Je le crois, si j’étais riche, et si elle le méritait.

FREEPORT.

Eh bien ! que trouvez-vous donc là d’admirable ?

Il prend les gazettes.

Ah ! ah ! voyons ce que disent les nouveaux papiers d’aujourd’hui, Hom ! hom ! le lord Falbrige mort !

MONROSE, s’avançant.

Falbrige mort ! le seul ami qui me restait sur la terre ! le seul dont j’attendais quelque appui ! Fortune ! tu ne cesseras jamais de me persécuter !

FREEPORT.

Il était votre ami ? j’en suis fâché... « D’Édimbourg, le 14 avril... On cherche partout le lord Monrose, condamné depuis onze ans à perdre la tête. »

MONROSE.

Juste ciel ! qu’entends-je ! hem ! que dites-vous ? milord Monrose condamné à...

FREEPORT.

Oui, parbleu, le lord Monrose... Lisez vous-même ; je ne me trompe pas.

MONROSE lit. Froidement.

Oui, cela est vrai...

À part.

Il faut sortir d’ici.[66] Je ne crois pas que la terre et l’enfer conjurés ensemble aient jamais assemblé tant d’infortunes contre un seul homme.

À son valet Jacq, qui est dans un coin de la salle.

Hé, va faire seller mes chevaux, et que je puisse partir, s’il est nécessaire, à l’entrée de la nuit... Comme les nouvelles courent ! comme le mal vole !

FREEPORT.

Il n’y a point de mal à cela ; qu’importe que le lord Monrose soit décapité ou non ? Tout s’imprime, tout s’écrit, rien ne demeure : on coupe une tête aujourd’hui, le gazetier le dit le lendemain, et le surlendemain on n’en parle plus. Si cette demoiselle Lindane n’était pas si fière, j’irais savoir comme elle se porte : elle est fort jolie et fort honnête.

 

 

Scène IV

 

FREEPORT, MONROSE, FABRICE, UN MESSAGER D’ÉTAT

 

LE MESSAGER.

Vous vous appelez Fabrice ?

FABRICE.

Oui, monsieur ; en quoi puis-je vous servir ?

LE MESSAGER.

Vous tenez un café et des appartements ?

FABRICE.

Oui.

LE MESSAGER.

Vous avez chez vous une jeune Écossaise nommée Lindane ?

FABRICE.

Oui, assurément, et c’est notre bonheur de l’avoir chez nous.

FREEPORT.

Oui, elle est jolie et honnête. Tout le monde m’y fait songer.

LE MESSAGER.

Je viens pour m’assurer d’elle de la part du gouvernement ; voilà mon ordre.

FABRICE.

Je n’ai pas une goutte de sang dans les veines.

MONROSE, à part.

Une jeune Écossaise qu’on arrête ! et le jour même que j’arrive ! Toute ma fureur renaît. Ô patrie ! ô famille ! Hélas ![67]

FREEPORT.

On n’a jamais arrêté les filles par ordre du gouvernement : fi ! que cela est vilain ! vous êtes un grand brutal, monsieur le messager d’état.

FABRICE.

Ouais, mais si c’était une aventurière, comme le disait notre ami Frélon ! Cela va perdre ma maison... me voilà ruiné. Cette dame de la cour avait ses raisons, je le vois bien... Non, non, elle est très honnête.

LE MESSAGER.

Point de raisonnement, en prison, ou caution, c’est la règle.

FABRICE.

Je me fais caution, moi, ma maison, mon bien, ma personne.

LE MESSAGER.

Votre personne et rien, c’est la même chose ; votre maison ne vous appartient peut-être pas ; votre bien, oïl est-il ? il faut de l’argent.

FABRICE.

Mon bon M. Freeport, donnerai-je les cinq cents guinées que je garde, et qu’elle a refusées aussi noblement que vous les avez offertes ?

FREEPORT.

Belle demande ! apparemment... Monsieur le messager, je dépose cinq cents guinées, mille, deux mille, s’il le faut ; voilà comme je suis fait. Je m’appelle Freeport. Je réponds de la vertu de la fille... autant que je peux... mais il ne faudrait pas qu’elle fût si fière.

LE MESSAGER.

Venez, monsieur, faire votre soumission.

FREEPORT.

Très volontiers, très volontiers.

FABRICE.

Tout le monde ne place pas ainsi son argent.

FREEPORT.

En l’employant à faire du bien, c’est le placer au plus haut intérêt.

Freeport et le messager vont compter de l’argent, et écrire au fond du café.

 

 

Scène V

 

MONROSE, FABRICE

 

FABRICE.

Monsieur, vous êtes étonné peut-être du procédé de M. Freeport, mais c’est sa façon. Heureux ceux qu’il prend tout d’un coup en amitié ! il n’est pas complimenteur, mais il oblige[68] en moins de temps que les autres ne font des protestations de services.

MONROSE.

Il y a de belles âmes... Que deviendrai-je ?

FABRICE.

Gardons-nous au moins de dire à notre pauvre petite le danger qu’elle a couru.

MONROSE.

Allons, partons cette nuit même.

FABRICE.

Il ne faut avertir les gens de leur danger que quand il est passé.

MONROSE.

Le seul ami que j’avais à Londres est mort !... Que fais-je ici ?

FABRICE.

Nous la ferions évanouir encore une fois.

 

 

Scène VI

 

MONROSE

 

On arrête une jeune Écossaise, une personne qui vit retirée, qui se cache, qui est suspecte au gouvernement ! Je ne sais... mais cette aventure me jette dans de profondes réflexions... Tout réveille l’idée de mes malheurs, mes afflictions, mon attendrissement, mes fureurs.

 

 

Scène VII

 

MONROSE, POLLY

 

MONROSE, apercevant Polly qui passe.

Mademoiselle, un petit mot, de grâce... Êtes-vous cette jeune et aimable personne née en Écosse, qui...

POLLY.

Oui, monsieur, je suis assez jeune ; je suis Écossaise, et pour aimable, bien des gens me disent que je le suis.

MONROSE.

Ne savez-vous aucune nouvelle de votre pays ?

POLLY.

Oh ! non, monsieur ; il y a si longtemps que je l’ai quitté.

MONROSE.

Et qui sont vos parents, je vous prie ?

POLLY.

Mon père était un excellent boulanger, à ce que j’ai ouï dire, et ma mère avait servi une dame de qualité.

MONROSE.

Ah ! j’entends ; c’est vous apparemment qui servez cette jeune personne dont on m’a tant parlé ; je me méprenais.

POLLY.

Vous me faites bien de l’honneur.

MONROSE.

Vous savez sans doute qui est votre maîtresse ?

POLLY.

Oui, monsieur, c’est la plus douce, la plus aimable fille, la plus courageuse dans le malheur.

MONROSE.

Elle est donc malheureuse ?

POLLY.

Oui, monsieur, et moi aussi ; mais j’aime mieux la servir que d’être heureuse.

MONROSE.

Mais je vous demande si vous ne connaissez pas sa famille.

POLLY.

Monsieur, ma maîtresse veut être inconnue : elle n’a point de famille ; que me demandez-vous là ? pourquoi ces questions ?

MONROSE.

Une inconnue ! Ô ciel si longtemps impitoyable ! s’il était possible qu’à la fin je pusse !... Mais quelles vaines chimères ! Dites-moi, je vous prie, quel est l’âge de votre maîtresse ?

POLLY.

Oh ! pour son âge, on peut le dire ; car elle est bien au-dessus de son âge ; elle a dix-huit ans.

MONROSE.

Dix-huit ans !... hélas ! ce serait précisément l’âge qu’aurait ma malheureuse Monrose, ma chère fille, seul reste de ma maison, seul enfant que mes mains aient pu caresser dans son berceau : dix-huit ans ?...

POLLY.

Oui, monsieur, et moi je n’en ai que vingt-deux : il n’y a pas une si grande différence. Je ne sais pas pourquoi vous faites tout seul tant de réflexions sur son âge.

MONROSE.

Dix-huit ans ! et née dans ma patrie ! et elle veut être inconnue ! je ne me possède plus : il faut, avec votre permission, que je la voie, que je lui parle tout-à- l’heure.

POLLY.

Ces dix-huit ans tournent la tête à ce bon vieux gentilhomme. Monsieur, il est impossible que vous voyiez à présent ma maîtresse ; elle est dans l’affliction la plus cruelle.

MONROSE.

Ah ! c’est pour cela même que je veux la voir.

POLLY.

De nouveaux chagrins qui l’ont accablée, qui ont déchiré son cœur, lui ont fait perdre l’usage de ses sens.[69] Elle est à peine revenue à elle, et le peu de repos qu’elle goûte dans ce moment est un repos mêlé de trouble et d’amertume : de grâce, monsieur, ménagez sa faiblesse et ses douleurs.

MONROSE.

Tout ce que vous me dites redouble mon empressement. Je suis son compatriote ; je partage toutes ses afflictions ; je les diminuerai peut-être : souffrez qu’avant de quitter cette ville, je puisse entretenir votre maîtresse.

POLLY.

Mon cher compatriote, vous m’attendrissez : attendez encore quelques moments.[70] Je vais à elle : je reviendrai à vous.

 

 

Scène VIII

 

MONROSE, FABRICE

 

FABRICE, le tirant par la manche.

Monsieur, n’y a-t-il personne là ?

MONROSE.

Que j’attends son retour avec des mouvements d’impatience et de trouble !

FABRICE.

Ne nous écoute-t-on point ?

MONROSE.

Mon cœur ne peut suffire à tout ce qu’il éprouve.

FABRICE.

On vous cherche...

MONROSE, se tournant.

Qui ? quoi ? comment ? pourquoi ? que voulez-vous dire ?

FABRICE.

On vous cherche, monsieur. Je m’intéresse à ceux qui logent chez moi. Je ne sais qui vous êtes : mais on est venu me demander qui vous étiez : on rode autour de la maison, on s’informe, on entre, on passe, on repasse, on guette, et je ne serai point surpris si, dans peu, on vous fait le même compliment qu’à cette jeune et chère demoiselle, qui est, dit-on, de votre pays.

MONROSE.

Ah ! il faut absolument que je lui parle avant de partir.

FABRICE.

Partez vite, croyez-moi ; notre ami Freeport ne serait peut-être pas d’humeur à faire pour vous ce qu’il a fait pour une belle personne de dix-huit ans.

MONROSE.

Pardon... Je ne sais... où j’étais... je vous entendais à peine... Que faire ? où aller, mon cher hôte ? Je ne puis partir sans la voir... Venez, que je vous parle un moment dans quelque endroit plus solitaire, et surtout que je puisse ensuite entretenir cette jeune Écossaise.

FABRICE.

Ah ! je vous avais bien dit que vous seriez enfin curieux de la voir. Soyez sûr que rien n’est plus beau et plus honnête.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

FABRICE, FRÉLON, dans le café, à une table, FREEPORT, une pipe à la main, au milieu d’eux

 

FABRICE.

Je suis obligé de vous l’avouer, M. Frélon ; si tout ce qu’on dit est vrai, vous me feriez plaisir de ne plus fréquenter chez nous.

FRÉLON.

Tout ce qu’on dit est toujours faux : quelle mouche vous pique, M. Fabrice ?

FABRICE.

Vous venez écrire ici vos feuilles : mon café passera pour une boutique de poison.

FREEPORT, se retournant vers Fabrice.

Ceci mérite qu’on y pense, voyez-vous ?

FABRICE.

On prétend que vous dites du mal de tout le monde.

FREEPORT, à Frélon.

De tout le monde, entendez-vous ? c’est trop.

FABRICE.

On commence même à dire que vous êtes un délateur ;[71] mais je ne veux pas le croire.

FREEPORT, à Frélon.

Un délateur...[72] entendez-vous ? cela passe la raillerie.

FRÉLON.

Je suis un compilateur illustre, un homme de goût.

FABRICE.

De goût ou de dégoût, vous me faites tort, vous dis-je.

FRÉLON.

Au contraire, c’est moi qui achalandé votre café ; c’est moi qui l’ai mis à la mode ; c’est ma réputation qui vous attire du monde.

FABRICE.

Plaisante réputation ! celle d’un espion, d’un malhonnête homme (pardonnez si je répète ce qu’on dit), et d’un mauvais auteur !

FRÉLON.

M. Fabrice, M. Fabrice, arrêtez, s’il vous plaît ; on peut attaquer mes mœurs ; mais pour ma réputation d’auteur, je ne le souffrirai jamais.

FABRICE.

Laissez là vos écrits : savez-vous bien, puisqu’il faut tout vous dire, que vous êtes soupçonné d’avoir voulu perdre mademoiselle Lindane ?

FREEPORT.

Si je le croyais, je le noierais de mes mains, quoique je ne sois pas méchant.

FABRICE.

On prétend que c’est vous qui l’avez accusée d’être Écossaise, et qui avez aussi accusé ce brave gentilhomme de là-haut d’être Écossais.

FRÉLON.

Eh bien ! quel mal y a-t-il à être de son pays ?

FABRICE.

On ajoute[73] que vous avez eu plusieurs conférences avec les gens de cette dame si colère qui est venue ici, et avec ceux de ce milord qui n’y vient plus, que vous redites tout, que vous envenimez tout.

FREEPORT, à Frélon.

Seriez-vous un mauvais sujet,[74] en effet ? Je ne les aime pas, au moins.

FABRICE.

Ah ! dieu merci, je crois que j’aperçois enfin notre milord.

FREEPORT.

Un milord ! adieu. Je n’aime pas plus les grands seigneurs que les mauvais écrivains.

FABRICE.

Celui-ci n’est pas un grand seigneur comme un autre.

FREEPORT.

Ou comme un autre, ou différent d’un autre, n’importe. Je ne me gêne jamais, et je sors. Mon ami, je ne sais ; il me revient toujours dans la tête une idée de notre jeune Écossaise : je reviendrai incessamment ; oui, je reviendrai ; je veux lui parler sérieusement.[75] Adieu.

En revenant.

Dites-lui de ma part que je pense beaucoup de bien d’elle.

 

 

Scène II

 

LORD MURRAY, pensif et agité, FRÉLON, lui faisant la révérence, qu’il ne regarde pas, FABRICE, s’éloignant un peu

 

LORD MURRAY, à Fabrice, d’un air distrait.

Je suis très aise de vous revoir, mon brave et honnête homme : comment se porte cette belle et respectable personne que vous avez le bonheur de posséder chez vous ?

FABRICE.

Milord, elle a été très malade depuis qu’elle ne vous a vu ; mais je suis sûr qu’elle se portera mieux aujourd’hui.

LORD MURRAY.

Grand Dieu, protecteur de l’innocence, je t’implore pour elle ! daigne te servir de moi pour rendre justice à la vertu, et pour tirer d’oppression les infortunés ! Grâces à tes bontés et à mes soins, tout m’annonce un succès favorable.

À Fabrice.

Ami, laisse-moi parler en particulier à cet homme.

En montrant Frélon.

FRÉLON, à Fabrice.

Eh bien ! tu vois qu’on t’avait bien trompé sur mon compte, et que j’ai du crédit à la cour.

FABRICE, en sortant.

Je ne vois point cela.

LORD MURRAY, à Frélon.

Mon ami.

FRÉLON.

Monseigneur, permettez-vous que je vous dédie un tome ?...

LORD MURRAY.

Non ; il ne s’agit point de dédicace. C’est vous qui avez appris à mes gens l’arrivée de ce vieux gentilhomme venu d’Écosse ; c’est vous qui l’avez dépeint, qui êtes allé faire le même rapport aux gens du ministre d’état.

FRÉLON.

Monseigneur, je n’ai fait que mon devoir.

LORD MURRAY, lui donnant quelques guinées.

Vous m’avez rendu service, sans le savoir ; je ne regarde pas à l’intention : on prétend que vous vouliez nuire, et que vous avez fait du bien ; tenez, voilà pour le bien que vous avez fait ; mais si vous vous avisez jamais de prononcer le nom de cet homme, et de mademoiselle Lindane, je vous ferai jeter par les fenêtres de votre grenier. Allez.

FRÉLON.

Grand merci, monseigneur. Tout le monde me dit des injures, et me donne de l’argent : je suis bien plus habile que je ne croyais.

 

 

Scène III

 

LORD MURRAY, POLLY

 

LORD MURRAY, seul un moment.

Un vieux gentilhomme arrivé d’Écosse, Lindane née dans le même pays ! Hélas ! s’il était possible que je pusse réparer les torts de mon père ! si le ciel permettait... ! Entrons.

À Polly, qui sort de la chambre de Lindane.

Chère Polly, n’es-tu pas bien étonnée que j’aie passé tant de temps sans venir ici ? deux jours entiers !... je ne me le pardonnerais jamais, si je ne les avais employés pour la respectable fille de milord Monrose : les ministres étaient à Windsor ; il a fallu y courir. Va, le ciel t’inspira bien quand tu te rendis à mes prières, et que tu m’appris le secret de sa naissance.

POLLY.

J’en tremble encore ; ma maîtresse me l’avait tant défendu ! Si je lui donnais le moindre chagrin, je mourrais de douleur. Hélas ! votre absence lui a causé aujourd’hui un assez long évanouissement, et je ne sais comment j’ai eu assez de forces pour la secourir.[76]

LORD MURRAY.

Tiens, voilà pour le service que tu lui as rendu.[77]

POLLY.

Milord, j’accepte vos dons : je ne suis pas si fière que la belle Lindane, qui n’accepte rien, et qui feint d’être à son aise, quand elle est dans la plus extrême indigence.

LORD MURRAY.

Juste ciel ! la fille de Monrose dans la pauvreté ! malheureux que je suis ! que m’as-tu dit ? combien je suis coupable ! que je vais tout réparer ! que son sort changera ! Hélas ! pourquoi me l’a-t-elle caché ?

POLLY.

Je crois que c’est la seule fois de sa vie qu’elle vous trompera.

LORD MURRAY.

Entrons, entrons vite ; jetons-nous à ses pieds : c’est trop tarder.

POLLY.

Ah, milord ! gardez-vous-en bien, elle est actuellement avec un gentilhomme, si vieux, si vieux, qui est de son pays, et ils se disent des choses si intéressantes !

LORD MURRAY.

Quel est-il ce vieux gentilhomme, pour qui je m’intéresse déjà comme elle ?

POLLY.

Je l’ignore.

LORD MURRAY.

Ô destinée ! juste ciel ! pourrais-tu faire que cet homme fût ce que je désire qu’il soit ? Et que se disaient-ils, Polly ?

POLLY.

Milord, ils commençaient à s’attendrir ; et comme ils s’attendrissaient, ce bonhomme n’a pas voulu que je fusse présente, et je suis sortie.

 

 

Scène IV

 

LADY ALTON, LORD MURRAY, POLLY

 

LADY ALTON.

Ah ! je vous y prends enfin, perfide ! me voilà sûre de votre inconstance, de mon opprobre, et de votre intrigue.

LORD MURRAY.

Oui, madame, vous êtes sûre de tout.

À part.

Quel contretemps effroyable !

LADY ALTON.

Monstre ! perfide !

LORD MURRAY.

Je puis être un monstre à vos yeux ; et je n’en suis pas fâché ; mais pour perfide, je suis très loin de l’être : ce n’est pas mon caractère. Avant d’en aimer une autre, je vous ai déclaré que je ne vous aimais plus.

LADY ALTON.

Après une promesse de mariage ! scélérat ! après m’avoir juré tant d’amour !

LORD MURRAY.

Quand je vous ai juré de l’amour, j’en avais ; quand je vous ai promis de vous épouser, je voulais tenir ma parole.

LADY ALTON.

Eh ! qui t’a empêché de tenir ta parole, parjure ?

LORD MURRAY.

Votre caractère, vos emportements : je me mariais pour être heureux, et j’ai vu que nous ne l’aurions été ni l’un ni l’autre.

LADY ALTON.

Tu me quittes pour une vagabonde, pour une aventurière.

LORD MURRAY.

Je vous quitte pour la vertu, pour la douceur, et pour les grâces.

LADY ALTON.

Traître ! tu n’es pas où tu crois en être ; je me vengerai plus tôt que tu ne penses.

LORD MURRAY.

Je sais que vous êtes vindicative, envieuse plutôt que jalouse, emportée plutôt que tendre : mais vous serez forcée à respecter celle que j’aime.

LADY ALTON.

Allez, lâche, je connais l’objet de vos amours mieux que vous ; je sais qui elle est ; je sais qui est l’étranger arrivé aujourd’hui pour elle ; je sais tout : des hommes plus puissants que vous sont instruits de tout ; et bientôt on vous enlèvera l’indigne objet pour qui vous m’avez méprisée.

LORD MURRAY.

Que veut-elle dire, Polly ? elle me fait mourir d’inquiétude.

POLLY.

Et moi, de peur. Nous sommes perdus.

LORD MURRAY.

Ah ! madame, arrêtez-vous ; un mot ; expliquez-vous, écoutez...

LADY ALTON.

Je n’écoute point, je ne réponds rien, je ne m’explique point. Vous êtes, comme je vous l’ai déjà dit, un inconstant, un volage, un cœur faux, un traître, un perfide, un homme abominable.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

LORD MURRAY, POLLY

 

LORD MURRAY.

Que prétend cette furie ? que la jalousie est affreuse ! Ô ciel ! fais que je sois toujours amoureux, et jamais jaloux ! Que veut-elle ? elle parle de faire enlever ma chère Lindane et cet étranger ; que veut-elle dire ? sait-elle quelque chose ?

POLLY.

Hélas ! il faut vous l’avouer ; ma maîtresse est arrêtée par l’ordre du gouvernement : je crois que je le suis aussi ; et, sans un homme,[78] qui est la bonté même, et qui a bien voulu être notre caution, nous serions en prison à l’heure que je vous parle : on m’avait fait jurer de n’en rien dire ; mais le moyen de se taire avec vous ?

LORD MURRAY.

Qu’ai-je entendu ? quelle aventure ! et que de revers accumulés en foule ! Je vois que le nom de ta maîtresse est toujours suspect. Hélas ! ma famille a fait tous les malheurs de la sienne : le ciel, la fortune, mon amour, l’équité, la raison, allaient tout réparer ; la vertu m’inspirait ; le crime s’oppose à tout ce que je tente : il ne triomphera pas. N’alarme point ta maîtresse ; je cours chez le ministre ; je vais tout presser, tout faire. Je m’arrache au bonheur de la voir pour celui de la servir. Je cours, et je revole. Dis-lui bien que je m’éloigne parce que je l’adore.

Il sort.

POLLY.

Voilà d’étranges aventures ! je vois que ce monde-ci n’est qu’un combat perpétuel des méchants contre les bons, et qu’on en veut toujours aux pauvres filles.

 

 

Scène VI

 

MONROSE, LINDANE, POLLY reste un moment, et sort à un signe que lui fait sa maîtresse

 

MONROSE.

Chaque mot que vous m’avez dit me perce l’âme. Vous, née dans le Locaber ! et témoin de tant d’horreurs ! persécutée, errante, et si malheureuse avec des sentiments si nobles !

LINDANE.

Peut-être je dois ces sentiments mêmes à mes malheurs ; peut-être, si j’avais été élevée dans le luxe et la mollesse, cette âme, qui s’est fortifiée par l’infortune, n’eût été que faible.

MONROSE.

Ô vous ! digne du plus beau sort du monde, cœur magnanime, âme élevée, vous m’avouez que vous êtes d’une de ces familles proscrites, dont le sang a coulé sur les échafauds, dans nos guerres civiles, et vous vous obstinez à me cacher votre nom et votre naissance !

LINDANE.

Ce que je dois à mon père me force au silence : il est proscrit lui-même ; on le cherche, je l’exposerais peut-être, si je me nommais : vous m’inspirez du respect et de l’attendrissement ; mais je ne vous connais pas : je dois tout craindre. Vous voyez que je suis suspecte moi-même ; que je suis arrêtée et prisonnière ; un mot peut me perdre.

MONROSE.

Hélas ! un mot ferait peut-être la première consolation de ma vie. Dites-moi du moins quel âge vous aviez quand la destinée cruelle vous sépara de votre père, qui fut depuis si malheureux ?

LINDANE.

Je n’avais que cinq ans.

MONROSE.

Grand Dieu, qui avez pitié de moi ! toutes ces époques rassemblées, toutes les choses qu’elle m’a dites, sont autant de traits de lumière qui m’éclairent dans les ténèbres où je marche. Ô Providence ! ne t’arrête point dans tes bontés !

LINDANE.

Quoi ! vous versez des larmes ! Hélas ! tout ce que je vous ai dit m’en fait bien répandre.

MONROSE, s’essuyant les yeux.

Achevez, je vous en conjure. Quand votre père eut quitté sa famille pour ne plus la revoir, combien restâtes-vous auprès de votre mère ?

LINDANE.

J’avais dix ans quand elle mourut, dans mes bras, de douleur et de misère, et que mon frère fut tué dans une bataille.

MONROSE.

Ah ! je succombe ! Quel moment et quel souvenir ! Chère et malheureuse épouse !... fils heureux d’être mort, et de n’avoir pas vu tant de désastres ! Reconnaîtriez-vous ce portrait ?

Il tire un portrait de sa poche.

LINDANE.

Que vois-je ? est-ce un songe ? c’est le portrait même de ma mère : mes larmes l’arrosent, et mon cœur, qui se fend, s’échappe vers vous.

MONROSE.

Oui, c’est là votre mère, et je suis ce père infortuné dont la tête est proscrite, et dont les mains tremblantes vous embrassent.

LINDANE.

Je respire à peine ! où suis-je ? Je tombe à vos genoux ! Voici le premier instant heureux, de ma vie... Ô mon père !... hélas ! comment osez-vous venir dans cette ville ? je tremble pour vous au moment que je goûte le bonheur de vous voir.

MONROSE.

Ma chère fille, vous connaissez toutes les infortunes de notre maison ; vous savez que la maison des Murray, toujours jalouse de la notre, nous plongea dans ce précipice. Toute ma famille a été condamnée ; j’ai tout perdu. Il me restait un ami qui pouvait, par son crédit, me tirer de l’abîme où je suis, qui me l’avait promis : j’apprends, en arrivant, que la mort me l’a enlevé, qu’on me cherche en Écosse, que ma tête y est à prix. C’est sans doute le fils de mon ennemi qui me persécute encore : il faut que je meure de sa main, ou que je lui arrache la vie.

LINDANE.

Vous venez, dites-vous, pour tuer milord Murray ?

MONROSE.

Oui, je vous vengerai, je vengerai ma famille, ou je périrai ; je ne hasarde qu’un reste de jours déjà proscrits.

LINDANE.

Ô fortune ! dans quelle nouvelle horreur tu me rejettes ! Que faire ? quel parti prendre ? Ah, mon père !

MONROSE.

Ma fille, je vous plains d’être née d’un père si malheureux.

LINDANE.

Je suis plus à plaindre que vous ne pensez... Êtes-vous bien résolu à cette entreprise funeste ?

MONROSE.

Résolu comme à la mort.

LINDANE.

Mon père, je vous conjure, par cette vie fatale que vous m’avez donnée, par vos malheurs, par les miens, qui sont peut-être plus grands que les vôtres, de ne me pas exposer à l’horreur de vous perdre lorsque je vous retrouve... Ayez pitié de moi, épargnez votre vie et la mienne.

MONROSE.

Vous m’attendrissez ; votre voix pénètre mon cœur ; je crois entendre celle de votre mère. Hélas ! que voulez-vous ?

LINDANE.

Que vous cessiez de vous exposer, que vous quittiez cette ville si dangereuse pour vous... et pour moi... Oui, c’en est fait, mon parti est pris. Mon père, je renoncerai à tout pour vous... oui, à tout... Je suis prête à vous suivre : je vous accompagnerai, s’il le faut, dans quelque île affreuse des Orcades ; je vous y servirai de mes mains ; c’est mon devoir, je le remplirai... C’en est fait, partons.

MONROSE.

Vous voulez que je renonce à vous venger ?

LINDANE.

Cette vengeance me ferait mourir : partons, vous dis-je.

MONROSE.

Eh bien ! l’amour paternel l’emporte : puisque vous avez le courage de vous attacher à ma funeste destinée, je vais tout préparer pour que nous quittions Londres avant qu’une heure se passe ; soyez prête, et recevez encore mes embrassements et mes larmes.

 

 

Scène VII

 

LINDANE, POLLY

 

LINDANE.

C’en est fait, ma chère Polly, je ne reverrai plus milord Murray ; je suis morte pour lui.

POLLY.

Vous rêvez, mademoiselle ; vous le reverrez dans quelques minutes. Il était ici tout-à-l’heure.

LINDANE.

Il est ici, et il ne m’a point vue ! c’est là le comble. Ô mon malheureux père ! que ne suis-je partie plus tôt !

POLLY.

S’il n’avait pas été interrompu par cette détestable milady Alton...

LINDANE.

Quoi ! c’est ici même qu’il l’a vue pour me braver, après avoir été trois jours sans me voir, sans m’écrire ! Peut-on plus indignement se voir outrager ? Va, sois sûre que je m’arracherais la vie dans ce moment, si ma vie n’était pas nécessaire à mon père.

POLLY.

Mais, mademoiselle, écoutez-moi donc ; je vous jure que milord...

LINDANE.

Lui perfide ! c’est ainsi que sont faits les hommes ! Père infortuné, je ne penserai désormais qu’à vous.

POLLY.

Je vous jure que vous avez tort, que milord n’est point perfide, que c’est le plus aimable homme du monde, qu’il vous aime de tout son cœur, qu’il m’en a donné des marques.

LINDANE.

La nature doit l’emporter sur l’amour ! je ne sais où je vais, je ne sais ce que je deviendrai ; mais sans doute je ne serai jamais si malheureuse que je le suis.

POLLY.

Vous n’écoutez rien : reprenez vos esprits, ma chère maîtresse ; on vous aime.

LINDANE.

Ah ! Polly, es-tu capable de me suivre ?

POLLY.

Je vous suivrai jusqu’au bout du monde : mais on vous aime, vous dis-je.

LINDANE.

Laisse-moi, ne me parle point de milord. Hélas ! quand il m’aimerait, il faudrait partir encore. Ce gentilhomme que tu as vu avec moi...

POLLY.

Eh bien ?

LINDANE.

Viens, tu apprendras tout : les larmes, les soupirs, me suffoquent. Allons tout préparer pour notre départ.[79]

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

LINDANE, FREEPORT, FABRICE

 

FABRICE.

Cela perce le cœur, mademoiselle : Polly fait votre paquet, vous nous quittez.

LINDANE.

Mon cher hôte, et vous, monsieur, à qui je dois tant, vous qui avez déployé un caractère si généreux, car on m’a dit ce que vous avez fait pour moi, vous ne me laissez[80] que la douleur de ne pouvoir reconnaître vos bienfaits ; mais[81] je ne vous oublierai de ma vie.

FREEPORT.

Qu’est-ce donc que tout cela ? qu’est-ce que c’est que ça ? qu’est-ce que ça ? Si vous êtes contente de nous, il ne faut point vous en aller : est-ce que vous craignez quelque chose ? Vous avez tort ; une fille n’a rien à craindre.

FABRICE.

M. Freeport, ce vieux gentilhomme qui est de son pays fait aussi son paquet. Mademoiselle pleurait, et ce monsieur pleurait aussi, et ils partent ensemble. Je pleure aussi en vous parlant.

FREEPORT.

Je n’ai pleuré de ma vie : fi ! que cela est sot de pleurer ! les yeux n’ont point été donnés à l’homme pour cette besogne. Je suis affligé, je ne le cache pas ; et quoiqu’elle soit fière, comme je le lui ai dit, elle est si honnête qu’on est fâché de la perdre. Je veux que vous m’écriviez, si vous vous en allez, mademoiselle : je vous ferai toujours du bien... Nous nous retrouverons peut-être un jour, que sait-on ? Ne manquez pas de m’écrire... n’y manquez pas.

LINDANE.

Je vous le jure avec la plus vive reconnaissance ; et si jamais la fortune...

FREEPORT.

Ah ! mon ami Fabrice, cette personne-là est très bien née. Je serais très aise de recevoir de vos lettres : n’allez pas y mettre de l’esprit, au moins.[82]

FABRICE.

Mademoiselle, pardonnez ; mais je songe que vous ne pouvez partir, que vous êtes ici sous la caution de M. Freeport, et qu’il perd cinq cents guinées si vous nous quittez.

LINDANE.

Ô ciel ! autre infortune, autre humiliation : quoi ! il faudrait que je fusse enchaînée ici, et que milord... et mon père...

FREEPORT, à Fabrice.

Oh ! qu’à cela ne tienne : quoiqu’elle ait je ne sais quoi qui me touche, qu’elle parte si elle en a envie.[83] Je me soucie de cinq cents guinées comme de rien.

Bas à Fabrice.

Fourre-lui encore les cinq cents autres guinées dans sa valise. Allez, mademoiselle, partez quand il vous plaira : écrivez-moi, revoyez-moi, quand vous reviendrez... car j’ai conçu pour vous beaucoup[84] d’estime et d’affection.

 

 

Scène II

 

LORD MURRAY, et SES GENS, dans l’enfoncement, LINDANE, FREEPORT, FABRICE, sur le devant

 

LORD MURRAY, à ses gens.

Restez ici, vous : vous, courez à la chancellerie, et rapportez-moi le parchemin qu’on expédie, dès qu’il sera scellé. Vous, qu’on aille préparer tout dans la nouvelle maison que je viens de louer.

Il tire un papier de sa poche et le lit.

Quel bonheur d’assurer celui[85] de Lindane !

LINDANE, à Polly.

Hélas ! en le voyant, je me sens déchirer le cœur.

FREEPORT.

Ce milord-là vient toujours mal à propos : il est si beau et si bien mis qu’il me déplaît souverainement ; mais, après tout, que cela me fait-il ? j’ai quelque affection... mais je n’aime point, moi. Adieu, mademoiselle.

LINDANE.

Je ne partirai point sans vous témoigner encore ma reconnaissance et mes regrets.

FREEPORT.

Non, non ; point de ces cérémonies-là, vous m’attendririez peut-être : je vous dis que je n’aime point... je vous verrai pourtant encore une fois ; je resterai dans la maison, je veux vous voir partir. Allons, Fabrice, aider ce bon gentilhomme de là-haut : je me sens, vous dis-je,[86] de la bonne volonté pour cette demoiselle.

 

 

Scène III

 

LORD MURRAY, LINDANE, POLLY

 

LORD MURRAY.

Enfin donc je goûte en liberté le charme de votre vue. Dans quelle maison vous êtes ! elle ne vous convient pas : une plus digne de vous vous attend. Quoi ! belle Lindane, vous baissez les yeux, et vous pleurez ! Quel est cet homme[87] qui vous parlait ? vous aurait-il causé quelque chagrin ? il en porterait la peine sur l’heure.

LINDANE, en essayant ses larmes.

Hélas ! c’est un bon homme, un homme vertueux,[88] qui a eu pitié de moi dans mon cruel malheur, qui ne m’a point abandonnée, qui n’a pas insulté à mes disgrâces, qui n’a point parlé ici longtemps à ma rivale en dédaignant de me voir ; qui, s’il m’avait aimée, n’aurait point passé trois jours sans m’écrire.

LORD MURRAY.

Ah ! croyez que j’aimerais mieux mourir que de mériter le moindre de vos reproches : je n’ai été absent que pour vous, je n’ai songé qu’à vous, je vous ai servie malgré vous ; si, en revenant ici, j’ai trouvé cette femme vindicative et cruelle qui voulait vous perdre, je ne me suis échappé un moment que pour prévenir ses desseins funestes. Grand dieu ! moi, ne vous avoir pas écrit !

LINDANE.

Non.

LORD MURRAY.

Elle a, je le vois bien, intercepté mes lettres : sa méchanceté augmente encore, s’il se peut, ma tendresse ; qu’elle rappelle la votre. Ah ! cruelle, pourquoi m’avez-vous caché votre nom illustre, et l’état malheureux où vous êtes, si peu fait pour ce grand nom ?

LINDANE.

Qui vous l’a dit ?

LORD MURRAY, montrant Polly.

Elle-même, votre confidente.

LINDANE.

Quoi ! tu m’as trahie ?

POLLY.

Vous vous trahissiez vous-même ; je vous ai servie.

LINDANE.

Eh bien ! vous me connaissez : vous savez quelle haine a toujours divisé nos deux maisons ; votre père a fait condamner le mien à la mort ; il m’a réduite à cet état que j’ai voulu vous cacher. Et vous, son fils ! vous ! vous osez m’aimer !

LORD MURRAY.

Je vous adore, et je le dois.[89] Mon cœur, ma fortune, mon sang est à vous ; confondons ensemble deux noms ennemis : j’apporte à vos pieds le contrat de notre mariage ; daignez l’honorer de ce nom qui m’est si cher. Puissent les remords et l’amour du fils réparer les fautes du père !

LINDANE.

Hélas ! et il faut que je parte, et que je vous quitte pour jamais.

LORD MURRAY.

Que vous partiez ! que vous me quittiez ! Vous me verrez plutôt expirer à vos pieds. Hélas ! daignez-vous m’aimer ?

POLLY.

Vous ne partirez point, mademoiselle ; j’y mettrai bon ordre : vous prenez toujours des résolutions désespérées. Milord, secondez-moi bien.

LORD MURRAY.

Eh ! qui a pu vous inspirer le dessein de me fuir, de rendre tous mes soins inutiles ?

LINDANE.

Mon père.

LORD MURRAY.

Votre père ? Eh ! où est-il ? que veut-il ? que ne me parlez-vous ?

LINDANE.

Il est ici : il m’emmène ; c’en est fait.

LORD MURRAY.

Non, je jure par vous qu’il ne vous enlèvera pas. Il est ici ? conduisez-moi à ses pieds.

LINDANE.

Ah ! milord,[90] gardez qu’il ne vous voie ; il n’est venu ici que pour finir[91] ses malheurs en vous arrachant la vie, et je ne fuyais avec lui que pour détourner cette horrible résolution.

LORD MURRAY.

La votre est plus cruelle : croyez que je ne le crains pas, et que je le ferai rentrer en lui-même.

En se retournant.

Quoi ! on n’est pas encore revenu ? Ciel ! que le mal se fait rapidement, et le bien avec lenteur !

LINDANE.

Le voici qui vient me chercher : si vous m’aimez, ne vous montrez pas à lui, privez-vous de ma vue, épargnez-lui l’horreur de la votre, éloignez-vous[92] du moins pour quelque temps.

LORD MURRAY.

Ah ! que c’est avec regret ! mais vous m’y forcez : je vais rentrer ; je vais prendre des armes qui pourront faire tomber les siennes de ses mains.

 

 

Scène IV

 

MONROSE, LINDANE

 

MONROSE.

Allons, ma chère fille, seul soutien, unique consolation de ma déplorable vie ! partons.

LINDANE.

Malheureux père d’une infortunée ! je ne vous abandonnerai jamais : cependant daignez souffrir que je reste encore.

MONROSE.

Quoi ! après m’avoir si fort pressé vous-même de partir ! après m’avoir offert de me suivre dans les déserts où nous allons cacher nos disgrâces ! avez-vous changé de dessein ? avez-vous retrouvé et perdu en si peu de temps le sentiment de la nature ?

LINDANE.

Je n’ai point changé, j’en suis incapable... je vous suivrai... mais, encore une fois, attendez quelque temps ; accordez cette grâce à celle qui vous doit des jours si remplis d’orages ; ne me refusez pas des instants précieux.

MONROSE.

Ils sont précieux en effet, et vous les perdez : songez-vous que nous sommes à chaque moment en danger d’être découverts, que vous avez été arrêtée, qu’on me cherche, que vous pouvez voir demain votre père périr par le dernier supplice ?

LINDANE.

Ces mots sont un coup de foudre pour moi : je n’y résiste plus ; j’ai honte d’avoir tardé... Cependant j’avais quelque espoir... N’importe, vous êtes mon père, je vous suis. Ah, malheureuse !

 

 

Scène V

 

FREEPORT et FABRICE, paraissant d’un côté, tandis que MONROSE et SA FILLE parlent de l’autre

 

FREEPORT, à Fabrice.

Sa suivante a pourtant remis son paquet dans sa chambre ; elles ne partiront point. J’en suis bien aise ; je m’accoutumais à elle : je ne l’aime point ; mais elle est si bien née que je la voyais partir avec une espèce d’inquiétude que je n’ai jamais sentie, une espèce de trouble... je ne sais quoi de fort extraordinaire.

MONROSE, à Freeport.

Adieu, monsieur ; nous partons le cœur plein de vos bontés : je n’ai jamais connu de ma vie un plus digne homme que vous ; vous me faites pardonner au genre humain.

FREEPORT.

Vous partez donc avec cette dame ? je n’approuve point cela ; vous devriez rester. Il me vient des idées qui vous conviendront peut-être : demeurez.

 

 

Scène VI

 

FREEPORT, FABRICE, MONROSE, LINDANE, LORD MURRAY, dans le fond, recevant un rouleau de parchemin de la main de ses gens

 

LORD MURRAY.

Ah ! je le tiens enfin ce gage démon bonheur ! Soyez béni, ô ciel ! qui m’avez secondé.

FREEPORT.

Quoi ! verrai-je toujours ce maudit milord ? Que cet homme me choque avec ses grâces !

MONROSE,
à sa fille, tandis que milord Murray parle à son domestique.

Quel est cet homme, ma fille ?

LINDANE.

Mon père, c’est... Ô ciel ! ayez pitié de nous.

FABRICE.

Monsieur, c’est milord Murray, le plus galant homme de la cour, le plus généreux.

MONROSE.

Murray ! grand dieu ! mon fatal ennemi, qui vient encore insulter à tant de malheurs !

Il tire son épée.

Il aura le reste de ma vie, ou moi la sienne.

LINDANE.

Que faites-vous, mon père ? arrêtez.

MONROSE.

Cruelle fille ! c’est ainsi que vous me trahissez ?

FABRICE, se jetant au-devant de Monrose.

Monsieur, point de violence dans ma maison, je vous en conjure ; vous me perdriez.

FREEPORT.

Pourquoi empêcher les gens de se battre quand ils en ont envie ? les volontés sont libres, laissez-les faire.

LORD MURRAY, toujours au fond du théâtre, à Monrose.

Vous êtes le père de cette respectable personne, n’est-il pas vrai ?

LINDANE.

Je me meurs.

MONROSE.

Oui, puisque tu le sais, je ne le désavoue pas. Viens, fils cruel d’un père cruel, achève de te baigner dans mon sang.

FABRICE.

Monsieur, encore une fois...

LORD MURRAY.

Ne l’arrêtez pas, j’ai de quoi le désarmer.

Il tire son épée.

LINDANE, entre les bras de Polly.

Cruel ! vous oseriez !...

LORD MURRAY.

Oui, j’ose... Père de la vertueuse Lindane, je suis le fils de votre ennemi.

Il jette son épée.

C’est ainsi que je me bats contre vous.

FREEPORT.

En voici bien d’une autre !

LORD MURRAY.

Percez mon cœur d’une main ; mais de l’autre prenez cet écrit ; lisez, et connaissez-moi.

Il lui donne le rouleau.

MONROSE.

Que vois-je ? ma grâce ! le rétablissement de ma maison ! Ô ciel ! et c’est à vous, c’est à vous, Murray, que je dois tout ? Ah ! mon bienfaiteur !...

Il veut se jeter à ses pieds.

Vous triomphez de moi plus que si j’étais tombé sous vos coups.[93]

LINDANE.

Ah ! que je suis heureuse ! mon amant est digne de moi.

LORD MURRAY.

Embrassez-moi, mon père.

MONROSE.

Hélas ! et comment reconnaître tant de générosité ?

LORD MURRAY, en montrant Lindane.

Voilà ma récompense.

MONROSE.

Le père et la fille sont à vos genoux pour jamais.

FREEPORT, à Fabrice.

Mon ami, je me doutais bien que cette demoiselle n’était pas faite pour moi ; mais, après tout, elle est tombée en bonnes mains, et cela me fait plaisir.

 


[1] Ce personnage est l’un des interlocuteurs de la scène Ière du IIIe acte. Cependant beaucoup d’éditions omettent son nom dans la liste des personnages.

[2] Louis-Léon-Félicité, comte de Lauraguais, né le 3 juillet 1733, devint duc de Brancas en 1773, à la mort du duc de Villars-Brancas son père, et mourut le 9 octobre 1824.

[3] Dans la Mort de César, acte III, scène 8.

[4] Dans Sémiramis, acte V, scènes 2 et 8.

[5] Il y avait longtemps que M. de Voltaire avait réclamé contre l’usage ridicule de placer les spectateurs sur le théâtre, et de rétrécir l’avant scène par des banquettes, lorsque M. le comte de Lauraguais donna les sommes nécessaires pour mettre les comédiens à portée de détruire cet usage.

M. de Voltaire s’est élevé contre l’indécence d’un parterre debout et tumultueux ; et dans les nouvelles salles construites à Paris, le parterre est assis. Ses justes réclamations ont été écoutées sur des objets plus importants. On lui doit en grande partie la suppression des sépultures dans les églises, l’établissement des cimetières hors des villes, la diminution du nombre des fêtes, même celle qu’ont ordonnée des évêques qui n’avaient jamais lu ses ouvrages ; enfin l’abolition de la servitude de la glèbe, et celle de la torture. Tous ces changements se sont faits à la vérité lentement, à demi, et comme si l’on eût voulu prouver en les faisant qu’on suivait non sa propre raison, mais qu’on cédait à l’impulsion irrésistible que M. de Voltaire avait donnée aux esprits.

La tolérance qu’il avait tant prêchée s’est établie, peu de temps après sa mort, en Suède et dans les états héréditaires de la maison d’Autriche ; et, quoi qu’on en dise, nous la verrons bientôt s’établir en France.

Il en coûta 30000 fr. au comte de Lauraguais, pour la suppression des banquettes qui encombraient la scène, et dont Voltaire s’est plaint souvent. La suppression date du 23 avril 1759.

[6] Il s’agit des recherches sur la porcelaine de Chine

[7] M. le comte de Lauraguais avait fait une pension au célèbre Du Marsais, qui, sans lui, eût traîné sa vieillesse dans la misère. Le gouvernement ne lui donnait aucun secours, parce qu’il était soupçonné d’être janséniste, et même d’avoir écrit en faveur du gouvernement contre les prétentions de la cour de Rome.

L’Exposition de la doctrine de l’Église gallicane, commencée par Du Marsais, et terminée par le duc de la Feuillade, ne parut qu’après la mort de Du Marsais, 1757, in-12.

[8] Cette préface est en tête de la première édition. Elle est de Voltaire, ainsi que les deux autres écrits qui la suivent immédiatement, et que la dédicace qui la précède.

[9] On sent bien que c’était une plaisanterie d’attribuer cette pièce à M. Hume. 1761.

[10] Dans la première édition, on lisait : Il est le frère de ce célèbre.

[11] Diderot : l’autre homme de génie est Dalembert.

[12] Cette plaisanterie fut publiée la veille de la représentation, (1761.)

[13] La première édition de cet opuscule était intitulée : Requête de Jérôme Carré aux Parisiens. Une autre édition a pour titre : Requête adressée à MM. les Parisiens, par B.-Jérôme Carré, natif de Montauban, traducteur de la comédie intitulée : Le Café ou l’Écossaise, pour servir de post-préface à ladite comédie : À MM. les Parisiens. Cette Requête, composée dès le mois de juin (voir lettre à d’Argental, 19 juin 1760) était imprimée en juillet. Voltaire n’avait pas encore vu l’imprimé à la fin d’auguste ; on lui avait dit qu’il était différent du manuscrit. Voir lettre à Damilaville, du 29 auguste.

[14] Dans les Opuscules de Fréron, tome II, page 78, on lit : Défaut essentiel vis-à-vis des trois quarts des gens du monde. Voltaire a souvent critiqué le mauvais emploi du mot vis-à-vis ; voir dans la Correspondance, la lettre à d’Olivet, du 5 janvier 1767.

[15] Hémistiche du Tartuffe, acte I, scène 6.

[16] Le compte que Fréron rend de l’Écossaise avant la représentation remplit 44 pages sur les 72 dont se composait chacun de ses cahiers ; voir Année littéraire, 1760, tome IV, pages 7 3-i 16.

[17] Fréron le dit page 73.

[18] Cette faute n’est pas dans l’Année littéraire.

[19] Cela se lit en effet dans le Journal encyclopédique du 1er avril 1758. L’auteur de l’article était l’abbé Prévost, qui cessa, bientôt après, de travailler à ce journal. Voir le Mercure, 1766, juillet, tome I, page 94.

[20] Dans les premières éditions, la Préface qualifiait M. Hume frère de David Hume.

[21] Dans la Préface.

[22] Fréron accuse Voltaire d’être, pour le mot de Frélon, le plagiaire de Piron, qui l’était lui-même de Chévrier.

[23] Les mots imprimés en italique sont en effet dans l’Année littéraire.

[24] Cet Avertissement, dont Voltaire est l’auteur, est de 1761.

[25] La première représentation est du 26 juillet.

[26] Dalembert : voir sa lettre du 3 auguste 1760.

[27] Fréron, Année littéraire, 1760, tome V, page 210 et suiv., sans donner le nombre des cabaleurs, désigne comme leurs chefs Sedaine, Diderot, Grium, et Lamorlière, ayant sous leurs ordres les typographes et les libraires de l’Encyclopédie, leurs garçons de boutique, des clercs de procureurs, des écrivains sous les charniers, des apprentis chirurgiens et perruquiers ; il compose le corps de réserve de laquais et de savoyards.

[28] Pantolabus et Nomentanus sont nommés par Horace, livre Ier, sat. 8, vers 10.

[29] On a fait hausser et baisser une toile au théâtre de Paris, pour marquer le passage d’une chambre à une autre : la vraisemblance et la décence ont été bien mieux observées à Lyon, à Marseille, et ailleurs. Il y avait sur le théâtre un cabinet à côté du café. C’est ainsi qu’on aurait dû en user à Paris. (1761.)

[30] Cette dernière phrase fut ajoutée après la première édition.

[31] Édition de 1760 :

UN SECOND.

Tes feuilles sont des feuilles de chêne : la vérité est que le grand Turc arme puissamment pour faire une descente à la Virginie, et que c’est ce qui fait tomber les fonds publics.

La prise de Minorque, dont il est question dans la nouvelle version qui date de 1761, avait eu lieu en 1756.  La rappeler était une flatterie pour le maréchal de Richelieu, commandant de l’expédition.

[32] Édition de 1760 :

LE SECOND.

Et moi je vous dis que les fonds baissent, et qu’il faut envoyer un autre ambassadeur à la Porte.

[33] Les cinq derniers mots n’étaient pas dans la première édition.

[34] Toute la fin de cette scène fut ajoutée à la représentation.

[35] Toutes les éditions faites jusqu’à 1831 portent : Il m’a fait cet honneur.  Le texte que j’ai donné est indiqué par Voltaire lui-même, dans sa lettre à d’Argental, du 9 juillet 1760, où il donne les raisons du changement.

[36] La première et la plupart des éditions contiennent de plus ces mots : et qui est nourrie par charité, qui, supprimés dans l’édition de 1760, ont été cependant conservés dans l’édition de 1761 et les suivantes.

[37] Dans toutes les éditions, on lit : Je conclus qu’elles meurent de faim.

[38] Cette dernière phrase fut ajoutée à la représentation.

[39] Dans toutes les éditions, il y a : et un cœur de boue.

[40] Dans les éditions ordinaires on lit de plus ici : Je veux bien vivre de pain et d’eau.

[41] Cette phrase et les quatre qui la suivent n’étaient pas dans l’édition de 1760.

[42] Les éditions portent : me parait tout votre fait.

[43] Dans les éditions, on lit de plus ici :

LINDANE.

Ah, Polly ! il est deux heures, et milord Murray ne viendra point !

FABRICE.

Eh bien ! madame, ce milord dont vous parlez, je sais que c’est l’homme le plus vertueux de la cour ; vous ne l’avez jamais reçu ici que devant témoins : pourquoi n’avoir pas fait avec lui, honnêtement, devant témoins, quelques petits repas que j’aurais fournis ? C’est peut-être votre parent ?

[44] Les éditions portaient : Eh bien, madame, rentrez donc toute dans vous-même.

[45] Les éditions de 1760 contiennent de plus ces mots : sa suivante présente.

[46] Ce couplet et les cinq qui le suivent ne sont pas dans les éditions de 1760 ; ils n’ont été ajoutés que plusieurs années après.

[47] Dans les éditions ordinaires on lisait de plus : Ne le gardez pas au moins, il faut le rendre, ou je...

[48] Dans les éditions, la scène se terminait ainsi :

...Polly, c’en est fait ; viens m’aider à cacher la dernière de mes douleurs.

POLLY.

Qu’est-il donc arrivé, ma chère maîtresse, et qu’est devenu votre courage ?

LINDANE.

On en a contre l’infortune, l’injustice, l’indigence ; il y a cent traits qui s’émoussent sur un cœur noble ; il en vient un qui porte enfin le coup de la mort.

[49] Ce bon mot avait déjà fourni à Piron le sujet d’une épigramme dialoguée, entre deux Normands, qui se termine par ces vers :

J’en jurerais bien, sans doute ;

Mais je ne le parierais pas.

[50] Dans les différentes éditions, on lisait de plus : devant des gens de conséquence ?

[51] Dans l’édition originale, et dans beaucoup d’autres, il y a : ...votre rivale, pour ses mauvaises intentions, dans la prison où j’ai déjà été pour mes feuilles.

[52] Cette phrase : Je n’aime, etc., est supprimée dans beaucoup d’éditions.

[53] Dans les éditions, on lisait de plus : Tu n’es pas un imbécile, comme on le dit.

[54] Il y avait à Saint-Omer un collège de jésuites anglais très renommé dans toute la Grande-Bretagne.  – Il se pourrait que la rédaction de cette note fût des éditeurs de Kehl. Dans toutes les éditions antérieures, la note était ainsi conçue : « Autrefois on envoyait plusieurs enfants faire leurs études au collège de Saint-Omer. »

[55] On lisait dans l’édition originale et dans beaucoup d’autres : ...de bassesse ; il me ferait, je crois, haïr la vengeance. Je sens que je prendrais, etc.

[56] Dans la première édition il y avait : J’aime qu’on se retire ; je me retirerai avec elle. Qu’on me la fasse venir.

[57] Dans les éditions, on lit de plus ici : Et milord ne vient point !

[58] Dans les éditions ordinaires on lit : mortes de froid et de faim.

[59] Dans les éditions, on lisait : Monsieur, elle craint que vous ne l’aimiez.

[60] En 1760, il y avait seulement : Quel dessein horrible ! hélas ! pourquoi, etc.

[61] Dans les éditions, ce couplet commençait ainsi : Ces petites fantaisies de filles passent vite, et ne sont pas dangereuses. Que voulez-vous que je fasse à une fille qui se trouve mal ? Est-ce pour cela que vous m’avez fait descendre ? Je croyais, etc.

[62] Dans les éditions ordinaires on lit : Ce barbouilleur de feuilles. Dans l’édition que j’ai prise pour copie, il y a Wasp ; mais Voltaire ayant, dès 1761, rétabli le nom de Frélon.

[63] Dans les éditions ordinaires on répétait ici ces mots, qui sont déjà plus haut : C’est une conspiration.

[64] Dans les éditions, on lisait de plus : J’ai honte de m’être servie de ce faquin de Frélon.

[65] Dans les mêmes éditions, on lisait encore : Je suffoque.

[66] Dans les mêmes éditions, il y a de plus : La maison est trop publique.

[67] Dans les mêmes éditions on lisait de plus : Que deviendra ma fille infortunée ? Elle est peut-être ainsi la victime de mes malheurs ; elle languit dans la pauvreté ou dans la prison. Ah ! pourquoi est-elle née ?

[68] Dans les mêmes éditions, on lit : rend service.

[69] Dans les mêmes éditions il y a de plus : Hélas ! elle n’est pas de ces filles qui s’évanouissent pour peu de chose.

[70] Dans les mêmes éditions on lit de plus : Les filles qui se sont évanouies sont bien longtemps à se remettre avant de recevoir une visite.

[71] Dans les mêmes éditions, il y a : un délateur, un fripon.

[72] Dans les mêmes éditions, on lit de plus : un fripon.

[73] Dans les mêmes éditions, on lit de plus : On prétend.

[74] Dans les mêmes éditions, on lit de plus : un fripon.

[75] Dans les mêmes éditions, on lit de plus : Serviteur, cette Écossaise est belle et honnête.

[76] Dans les mêmes éditions on lit de plus : Et je me serais évanouie si je n’avais pas eu besoin de mes forces pour la secourir.

[77] Dans les mêmes éditions on lit de plus : pour l’évanouissement où tu as eu envie de tomber.

[78] Dans les mêmes éditions on lit de plus : Un gros homme.

[79] Dans les mêmes éditions on lit de plus : ...me suffoquent. Suis-moi, et sois prête à partir.

[80] Dans les mêmes éditions on lit de plus : ...si généreux, vous qui ne me laissez.

[81] Dans les mêmes éditions on lit de plus : ...vos bienfaits, je ne vous oublierai.

[82] La dernière phrase n’est pas dans l’édition originale.

[83] Dans les éditions, on lisait de plus : Il ne faut point gêner les filles.

[84] L’édition originale porte seulement : beaucoup d’affection.

[85] Les éditions portent : d’assurer le bonheur.

[86] Dans l’édition originale on lit : ...vous dis-je, quelque affection pour cette fille.

[87] Dans les éditions, on lit : ce gros homme.

[88] Dans les éditions, on lit : grossièrement vertueux.

[89] Dans les éditions, on lit de plus : C’est à mon amour à réparer les cruautés de mon père ; c’est une justice de la Providence.

[90] Dans les éditions, on lit : Ah ! cher amant, gardez, etc.

[91] Dans l’édition originale, il y a : que pour finir sa vie en vous arrachant la vôtre.

[92] Dans les éditions ordinaires on lit : Écartez-vous.

[93] Édition de 1760 : ...Ah ! mon bienfaiteur !... ôtez-moi plutôt cette vie, pour me punir d’avoir attenté à la vôtre.

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