Exposition des produits de la République (Eugène LABICHE - DUMANOIR - CLAIRVILLE)

Vaudeville en trois actes et cinq tableaux.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Montansier, le 20 juin 1849.

 

Personnages

 

GOBCHESTER, Anglais

LA PAPILLONNE

UN GAMIN

UNE LORETTE

L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

LE PÈRE SUFFRAGE UNIVERSEL

JEANNE BEDOUIN

UN BOUSINGOT

FLORENCE

LA HONGRIE

NAPLES

PALERME

VENISE

ROME

BALOURDEAU, garçon de ferme

BOBÈCHE

UN SOCIALISTE

UN SERGENT DE VILLE

INDUSTRIELS

VISITEURS

 

 

ACTE I

 

Une allée des Champs-Élysées.

 

 

Scène première

 

INDUSTRIELS, de tous genres

 

Ils traversent le théâtre, portant ou traînant dans des voitures à bras toutes sortes d’objets destinés à l’exposition, meubles, instruments aratoires, etc.

CHŒUR.

Allons, courons, enfants de l’industrie !
Le jour de gloire est arrivé pour nous !
Que nos produits, honneur de la patrie,
Brillent aux yeux de l’étranger jaloux !

Ils disparaissent. Un gros arbre s’entr’ouvre et la Papillonne en sort.

 

 

Scène II

 

LA PAPILLONNE

 

Allez... industriels, fabricants, inventeurs brevetés... stupides soutiens du vieux système de concurrence... allez exposer dans ce palais improvisé vos cachemires en coton, vos pendules garanties pour un an et vos tables de nuit perfectionnées... Un jour... c’est moi qui vous le jure par l’âme du grand Fourier... ici même, dans ces Champs-Élysées, à la place où s’élève votre baraque industrielle, on verra un vaste phalanstère... La concurrence aura vécu la vieille industrie se sera écroulée, et nous serons en plein dans le système d’association, ou personne ne se permettra de faire mieux que les autres... Quel progrès !

Air de la Manola.

Je suis la tendre Papillonne,
Qui séduis et qui passionne :
Divinité sensible et bonne,
Je gouverne un peuple léger.
Changer toujours, c’est mon essence,
C’est mon désir, ma jouissance,
Et bientôt même à l’innocence
Je veux apprendre à voltiger.
Que moins cruelles,
Toutes les belles,
Maîtresses d’elles,
Soient infidèles ;
Comme l’Amour
Ayons des ailes,
Et voltigeons à notre tour !
Oui, dans les âmes
De bien des femmes
Vont s’allumer
Nouvelles flammes !
Le phalanstère
N’est point austère :
On est sur terre,
C’est pour aimer !

 

 

Scène III

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER[1]

 

GOBCHESTER, cherchant.

On avait dit à moâ de tourner à main droite... puis, de tourner à main gauche... puis, de tourner à main droite... puis, de tourner à main...

Voyant la Papillonne.

Ah ! je apercevé quelque chose... Mademoiselle, le palais de l’industrie, if you plase ?...

LA PAPILLONNE.

Le palais de l’industrie, c’est cette baraque que vous voyez là-bas...

GOBCHESTER.

Ah ! le palais ce été une barraque ?

LA PAPILLONNE.

Voilà ce que c’est, monsieur, que le provisoire... et c’est toujours comme cela dans ce pays-ci... au lieu d’élever un monument qui durerait des siècles, on fait tous les cinq ans une baraque qui sert un mois... cela ne dure pas, mais cela revient plus cher.

GOBCHESTER.

Oh ! god ! ce été une grosse bêtise !

LA PAPILLONNE.

Salle d’exposition, provisoire... salle d’Opéra, provisoire... jusqu’au gouvernement !... provisoire !

GOBCHESTER.

Oh ! yes, yes... qui avé coûté bien cher et qui n’avé pas duré du tout... je vous comprends... le gouvernement provisoire, il avé été une baraque...

LA PAPILLONNE.

Vous résumez parfaitement mon opinion...

GOBCHESTER.

Mais, pardon, mademoiselle...

La regardant.

Je ne me rappelle pas avoir vu dans Boule-rouge Street ou Breda square, de... de... comment disez-vous ça ?... Ah !... de lorette... fi, fi... comment diable disez-vous donc ça ?... Ah ! ficelée comme vous... Oh ! yes, ficelée il était un mot bien distingué.

LA PAPILLONNE.

Ah ! c’est que je ne suis pas une femme !...

GOBCHESTER, l’examinant.

Oh ! je apercevé alors des détails... qui sont bien imités !

LA PAPILLONNE.

Je suis une passion... la Papillonne... la sœur de la cabaliste et de la composite... Nous sommes les trois filles de l’illustre Fourier...

GOBCHESTER.

Fourier ?...

LA PAPILLONNE.

Le chef du grand régiment des réformateurs sociaux !

GOBCHESTER.

Ah ! yes, il été le fourier du régiment...

LA PAPILLONNE.

Mais, à mon tour, à qui ai-je l’honneur de parler ?

GOBCHESTER.

Je vais bien étonner vos... oh ! que je vais donc étonner vos !... À la façon dont je parlé le français, à ma prononchiationne excessivement pioure... vous ne vous douteriez jamais que je suis Anglais...

LA PAPILLONNE.

Non, je ne m’en serais pas doutée...

GOBCHESTER.

Vous voyez bien que j’ai étonné vos... Eh bien ! ma parole d’honneur la plus sacrée, je souis Anglais... Vous en doutez ?

LA PAPILLONNE.

Non !... Mais comment vous trouvez-vous à Paris ?

GOBCHESTER.

On m’a oublié...

LA PAPILLONNE.

Comment ?

GOBCHESTER.

On m’a oublié dans un fiacre... numéro 214... Oh ! ce été une histoire bien bête, bien stioupide !...

LA PAPILLONNE.

Mais enfin... dites-moi...

GOBCHESTER.

Vous savez que messieurs les gardes nationaux de Paris étaient allés, l’an fini... non, pas fini... l’an passé, faire un petit tour à Londres... avec trompette et tambour en tête...

LA PAPILLONNE.

Eh bien ?...

GOBCHESTER.

Eh bien ! nous sommes venus leur rendre leur visite... sans tambour ni trompette...

LA PAPILLONNE.

Politesse internationale...

GOBCHESTER.

Air : Le beau Lycas aimait Thémire.

C’est ainsi qu’il fallait répondre,
En bons voisins, en bons Anglais,
Lorsque Paris invitait Londres
À manger un beeftack français.

LA PAPILLONNE.

Pour arriver un beau dimanche,
Vous avez traversé la Manche.

GOBCHESTER.

La Manche, oh ! yes, il le fallait :
Dans cette partie, en effet
Ils avaient la première manche,
La seconde nous revenait. 

LA PAPILLONNE.

Et vous êtes partis la poche pleine de guinées ?

GOBCHESTER.

Oh ! nô, pas de guinées dans le poche... rien dans le poche... nôs avons pris un... un cornac... à qui nôs avons donné chacun 125... 125... Comment disez-vos ça ?...

LA PAPILLONNE.

Cent vingt-cinq francs...

GOBCHESTER.

Nô... l’autre chose... Ah ! 125 balles !... Oh ! ce été plus joli, oh ! ce été encore un mot bien distingué... 125 balles, pour emmener nôs, nourrir nôs, coucher nôs, amuser nôs et ramener nôs en bon état chez nôs !...

LA PAPILLONNE.

Et vous êtes content de la réception qu’on vous a faite ?

GOBCHESTER.

Oh ! god ! bien content, beaucoup satisfait de la politesse française... On a fait sur nous des caricatures qui nous montraient avec des grandes vilains nez, des grandes vilaines dents et l’air très bête... Oh ! charmants Français ! bien spirituels et bien aimables pour le étranger !... Ah ! je puis dire que nôs avons fait une vie de polichinelle !... Encore un mot bien distingué...

LA PAPILLONNE.

Et les invitations, les raouts !...

GOBCHESTER.

Yes, yes... surtout le gros raout chez le lord-maire de Paris !... Monsieur... monsieur Pasteur !... Nous avons été hébergés chez monsieur Pasteur !

Air : Nous avons-t’y ri.

Nous avons-t’y ri ! nous avons-t’y bu
À l’Hôtel de Ville !
J’en étais rompu,
Je me suis repu,
Autant que j’ai pu.
Toute la tribu
Il avait bien bu !

Nous avons fêté
L’alliance anglaise,
Nous avons chanté
Votre Marseillaise,
Le grand chœur Mourons
Sur l’air anglais des lampions,
Et God save the queen,
Sur l’air de drinn ! drinn !

Nous avons-t’y ri ! etc.

LA PAPILLONNE.[2]

Et les autres sont repartis sans vous ?

GOBCHESTER.

Puisque je vous dis qu’on m’avé oublié... Le cornac ramenait nôs au chemin de fer dans un tas de fiacres... moi, je me suis endormi dedans le mien, dedans le 214... Il paraît que j’étais tombé entre les deux banquettes... on a négligé de me ramasser avec les sacs de nuit, et le cocher il m’avé déposé le lendemain chez le commissaire... sans exiger de récompense... ce trait de probité il a été cité dans toutes les feuilles pioubliques !

LA PAPILLONNE.

Et, à votre réveil, vous avez été furieux ?

GOBCHESTER.

Nô... pas fourious du tout !

LA PAPILLONNE.

Et vous n’avez pas couru après les autres ?

GOBCHESTER.

Nô... pas couru du tout... Le cornac il s’été chargé de moâ, pour cent vingt-cinq balles, tant que je été à Paris... je attends qu’il vienne chercher moâ, et je amusé moâ en l’attendant... C’est lui qui payera tout... Pourquoi qu’il m’avé oublié dans le 214 ?...

LA PAPILLONNE.

C’est juste... et c’est pour amuser vôs que vous venez à l’exposition des produits de l’industrie ?

GOBCHESTER.

Yes... je admiré beaucoup les inventionnements, les perfectionnements et les progrèssements de la science... je voulais voir s’il y avé de nouvelles souricières...

LA PAPILLONNE.

Oh ! mais, il ne s’agit pas seulement, cette année, de pianos plus ou moins droits, de soieries plus ou moins lyonnaises, d’allumettes plus ou moins chimiques... la science agricole est appelée aussi à nous montrer ses conquêtes !

GOBCHESTER.

Ah ! vraiment ? on exposera... 

LA PAPILLONNE.

Les plus beaux produits de la terre... des céréales, des fruits, des légumes...

GOBCHESTER.

Des pommes de terre ?

LA PAPILLONNE.

Qui concourront pour la médaille d’or... Puis, des chevaux, des bœufs, des moutons...

GOBCHESTER.

Et des veaux ?

LA PAPILLONNE.

Qui aspirent à être couronnés !

GOBCHESTER.

Oh ! god ! du veau et des pommes de terre !... ce été une exposition bien nourrissante, bien intéressante !

LA PAPILLONNE.

Mais ce qui sera d’un intérêt plus palpitant encore, c’est l’exposition nouvelle, inouïe, inattendue...

GOBCHESTER.

De ?...

LA PAPILLONNE.

Des produits de la République !

GOBCHESTER.

Qu’est-ce que je entends-là ?

LA PAPILLONNE.

La République, nouvellement établie et encore peu connue, veut se faire une clientèle, et elle expose tout ce qu’elle a fait de beau depuis un an...

GOBCHESTER.

Oh ! ce doit être bien joli !

Air : Les maris ont tort.

Mais ses produits, vantés d’avance,
Sont-ils en grande quantité ?

LA PAPILLONNE.

Elle a d’abord, à sa naissance,
Inventé la fraternité,
L’égalité, la liberté !
Voilà le produit magnifique
Qu’elle nous montre avec fierté !

GOBCHESTER.

J’étais sûr que la république
Exposerait la liberté !

LA PAPILLONNE.

Et tenez, voici des exposants qui emménagent.

 

 

Scène IV

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, nouveau défilé d’EXPOSANTS

 

CHŒUR.

Air des deux Maîtresses.

Allons, courons, enfants de l’industrie !
Le jour de gloire est arrivé pour nous !
Que nos produits, honneur de la patrie,
Brillant aux yeux de l’étranger jaloux !

LA PAPILLONNE, montrant une boîte sur laquelle on lit : Maurel et Jayet, machine à calculer.

Cet instrument fait avec assurance
Tous les calculs... Sublime invention !...
Hélas ! déjà n’avions-nous pas en France
Tout ce qu’il faut pour la division !

Présentant de faux appas et une fausse tournure.

Vois ces appas... l’inventeur, on l’assure,
Vient d’obtenir un brevet d’invention.

GOBCHESTER.

Non, l’inventeur ce était la nature,
Et ce n’est là qu’une contrefaçon.

Arrêtant un autre Exposant.

Que de bijoux et que d’argenterie !

LA PAPILLONNE.

Tenez, voyez, dans ce petit coffret,
Ce morceau d’or de la Californie,
Qui de Ruolz porte encor le cachet.

Présentant un Arabe qui porte des citrons.

Voici venir des fruits de l’Algérie.

GOBCHESTER.

Pour ces citrons, yes, nous sollicit’rons :
Car ces citrons excit’ront l’industrie,
Comme citrons nous cit’rons ces citrons.

LA PAPILLONNE, montrant une hotte de légumes portée par un paysan.

L’agriculture a fait, en république,
Plus de progrès que sous le joug royal :
Elle vous offre un chou démocratique,
Accompagné d’un navet social !

GOBCHESTER.

En vérité, ce était magnifique !

LA PAPILLONNE.

De nos travaux tu viens de voir les fruits ;
Et maintenant, de notre République
Viens admirer tous les nouveaux produits.

CHŒUR.

Allons, courons, enfants de l’industrie, etc.

Après le défilé, le théâtre change.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une salle d’exposition. Sur plusieurs casiers placés au fond, se trouvent, en vue du spectateur, un bonnet à poils à côté d’un képi, un ruban de représentant du peuple, un pavé, une circulaire, un billet de cent francs, un bon de la banque du peuple, une corne dorée ; en scène, un arbre de la liberté.

 

 

Scène première

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER[3]

 

LA PAPILLONNE.

Nous y voici !

GOBCHESTER.

Comment ! ce sont là tous les produits de la République ?... Oh ! il n’y en a pas beaucoup.

LA PAPILLONNE.

Il y a des gens qui prétendent qu’il y en a trop.

GOBCHESTER.

Oh ! je sais... on appelle ces gens-là... attendez... on les appelle des réocs... non, des réacs... yes, yes, réacs... Oh ! je été réac ; réac pour conserver mes guinées, mes rosbeefs, mes chevaux, mes maîtresses, mes chiens... j’ai été réac pour tout.

LA PAPILLONNE.

Et tu veux connaître les produits de la République ?

GOBCHESTER.

Yes, je serais bien aise de connaître...

LA PAPILLONNE.

Eh bien ! commençons ensemble l’inspection de ce bazar démocratique et social.

GOBCHESTER.[4]

Démoc et soc... encore un très joli mot... Oh ! quelle est cette grosse pierre ?

LA PAPILLONNE.

Un pavé.

GOBCHESTER.

Un pavé !...

LA PAPILLONNE.

Air de Julie.

En février, quand je récapitule,
Que de changements arrivés !
On a déplacé sans scrupule
Les sous-préfets et les pavés.

GOBCHESTER.

Mais maintenant, on cherche en vain les traces
De ces incroyables méfaits ;
Les pavés et les sous-préfets
Ont été remis à leurs places.

LA PAPILLONNE.

La fameuse circulaire du 12 mars... une circulaire qui a fait bien du bruit.

GOBCHESTER.

Oh ! yes... je savais, une circulaire pour faire mousser le République.

LA PAPILLONNE.

Dis plutôt pour l’enfoncer.

Air : Un jour Lycas trouva Thémire.

On acceptait la République,
Et l’on commençait à l’aimer,
Quand cette pièce diabolique
Vint tout à coup nous alarmer.
Dans ce décret démocratique,
Le cri : Vive la République !
Causait d’invincibles terreurs...
Sans d’imprudents provocateurs,
Ce cri : Vive la République !
Serait sorti de tous les cœurs. 

GOBCHESTER.

Tiens ! tiens ! tiens !... qu’est-ce que ce été que ce peuplier faisait là ?

LA PAPILLONNE.

Tu dois le reconnaître... c’est un arbre de liberté.

GOBCHESTER.

Oh ! mais il n’y a plus une seule feuille.

LA PAPILLONNE.

Air de Calpigi.

Ces arbres, autrefois vivaces,
Quand on les planta sur nos places,
Sont maintenant tout rabougris,
Regarde comme ils sont maigris ;
Serait-ce donc l’air de Paris ?

GOBCHESTER.

Dame ! mettez-vous à leur place :
En voyant tout ce qui se passe
Dans le parti républicain,
Ils devaient mourir de chagrin...
Ces arbres sont morts de chagrin.

Il ramasse au pied de l’arbre un fagot.

Oh ! l’arbre de la liberté, il était devenu un fagot.

S’approchant d’un casier.

Eh ! mais je ne voyais pas... Oh ! god... ce été une bank-not...

LA PAPILLONNE.

Dis, une coupure de cent francs.

GOBCHESTER.

Cent francs !... mais pourquoi couper ces petits billets ?

Air : Qu’il est flatteur d’épouser celle.

De gros billets est-ce qu’on manque ?

LA PAPILLONNE.

Non, il fallait, c’était urgent,
Diviser les billets de banque,
Pour démocratiser l’argent.

GOBCHESTER.

La République, c’est visible,
Pouvait seule s’en aviser ;
Depuis qu’elle est indivisible
Elle cherche à tout diviser.

Un poteau paraît au milieu du théâtre, on y lit cette inscription : Le paresseux est un voleur !

Que faisait la grand ce morceau de bois ?

LA PAPILLONNE.

Tu as sous tes yeux la pensée la plus célèbre du philosophe le plus célèbre de nos philosophes célèbres... Toute l’organisation du travail est dans cette phrase... Regarde.

GOBCHESTER.

God ! j’étais curieux de connaître...

Lisant.

« Le paresseux est un voleur ! »

Parlé.

Oh ! il vaudrait mieux que le voleur il soit un paresseux... il travaillerait pas du tout... mais je ne comprenais pas ce inscriptione.

LA PAPILLONNE.

Voici tout le système : Quand un citoyen ne veut pas travailler, on l’emmène au pied de ce poteau, on l’attache...

GOBCHESTER.

Oh ! très bien ! on pendait lui ! oh ! très bien !

LA PAPILLONNE.

Pendre !... comme tu y vas !... non ! on se contente de l’attacher.

GOBCHESTER.

Et après ?

LA PAPILLONNE.

Après ?... on le détache.

GOBCHESTER.

Pourquoi faire ?

LA PAPILLONNE.

Pour qu’il aille toucher sa paie.

GOBCHESTER.

Ah ! on lui donnait une paye ?

LA PAPILLONNE.

Parbleu !

GOBCHESTER.

Eh bien ! dans le Angleterre, peuple de imbéciles et de caricatures, nous avons un bête de moyen plus simple que ça... Celui qui ne travaillait pas il ne touchait pas son paye.

LA PAPILLONNE.

Comment ! vous ne le payez pas ?... Mais alors c’est l’exploitation de l’homme par l’homme.

GOBCHESTER.

Quand je donnais mon argent, je vôlais avoir quelque chose pour... Quand je achetais un culotte, si le tailleur ne faisait pas le culotte, je attachais pas lui à un poteau, mais je payais pas mon culotte... C’était bête, mais j’avais le habitude... Papillonne, je voulais voir autre chose.

LA PAPILLONNE.[5]

Comme il serait trop long de tout observer en détail, écoute en gros l’historique des nouveaux produits de la République.

Montrant une corne dorée.

Air : Bientôt aidé de mes suppôts.

D’un noble bœuf ornant la tête,
Cette corne-là, cet été,
Fut dorée exprès pour la fête
Offerte à la fraternité...
Mais on la supprime, je pense,
Parce que cette corne d’or
Nous eût rappelé l’abondance,
Qu’en vain l’on cherchait au trésor.
Ce drapeau, par un locataire,
Fut, dans le cours de février,
Offert à son propriétaire
Pour quatre termes de loyer.

GOBCHESTER.

Si toujours de cette manière
On payait son terme, bientôt
Chaque pauvre propriétaire
Se nourrirait de calicot.

LA PAPILLONNE.

Tiens ! vois cette valeur étrange ;
C’est une moderne action,
C’est de notre banque d’échange
Un bon de circulation.
Ces bons, que peu de gens préfèrent,
Ces bons, dont on a tant parlé,
Ces bons jamais ne circulèrent,
Mais l’inventeur a circulé.
Vois encor, je te le signale,
Ce produit d’un grand intérêt ;
De la garde nationale
Contemple le dernier bonnet.
À ce bonnet, trop magnifique
Pour tous nos modernes titis,
Notre nouvelle République
Préféra le képi...

GOBCHESTER.

Qu’est pis !

LA PAPILLONNE.

Tu peux déjà te mettre en garde
Contre ces petits produits-là ;
Maintenant approche et regarde
Nos plus grands produits, les voilà !

Le théâtre change et représente une autre salle de l’exposition. Les petits produits ont tous disparu et l’on voit, rangés comme des figures de cire et dans des postures différentes, tous les personnages créés par la République, tels que le garde républicain, le garde mobile, la vivandière, le marquis républicain, etc. Deux rideaux retombent et cachent les figures du fond.

GOBCHESTER.

Oh ! oh ! des figures de cire !...

LA PAPILLONNE.

Tais-toi donc !... est-ce qu’il y a des figures de cire en république ?

GOBCHESTER.

Mais enfin, qu’esque tous ces personnages ils faisaient là ?

LA PAPILLONNE.

Si tu veux les interroger, prends cette notice et appelle.

Le rideau se ferme.

GOBCHESTER, lisant.

Oh ! yes... je appellerai le gamin révolutionnaire.

 

 

Scène II

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, LE GAMIN, sortant de derrière les rideaux[6]

 

LE GAMIN.

Air : Dans les Canotiers.

Chaud ! chaud !
Bien vite, il faut
Au monde entier donner l’assaut !
Chaud ! chaud !
Plus d’atelier !
Je suis l’ouvrier
De février !

Jadis je n’ vivais pas mal ;
Mais je lisais un journal,
Et je me crus opprimé,
Puisque c’était imprimé...
Chaud ! chaud ! etc.

Alors, j’ai tout ravagé,
Tout changé,
Tout saccagé...
Et j’fus, par certains journaux,
Mis au nombre des héros...
Chaud ! chaud ! etc.

Héros, ma foi, ça m’allait ;
Car alors il ne fallait,
Pour devenir un héros,
Que casser quelques carreaux...
Chaud ! chaud ! etc.

GOBCHESTER.

Oh ! god ! mais ce était un petit enragé.

LE GAMIN, regardant Gobchester.

Ah ! c’t’ hure !...

GOBCHESTER.

Il m’appelle Arthur !...

LE GAMIN.

Non, je dis... ah ! c’t’ hure !... ou ah ! c’te hure !

Chantant.

V’là d’sanglais pour un liard !...

GOBCHESTER.

Eh ! mais, vous prenez des libertés...

LE GAMIN.

Des libertés !... j’ai pris bien autre chose... j’ai pris les Tuileries, ses caves et ses cuisines ; j’ai pris le Château-d’Eau ; j’ai pris l’Hôtel-de-Ville... bref, j’ai tout pris et je n’ai rien gardé.

LA PAPILLLONNE.

Tout le monde n’en peut pas dire autant.

GOBCHESTER.

Mais l’ordre, malheureux, l’ordre !...

LE GAMIN.

L’ordre ?... voilà comme je le comprends.

Air du Charlatanisme.

Briser lanternes et carreaux,
Et, pour que Paris soit tranquille,
Renvoyer les municipaux,
Supprimer les sergents de ville...
Aux jobards qui se trouvent là,
Prôner, sans jamais en démordre,
Le bruit, l’émeute, et cætera...
Bref, adorer le désordre... voilà
Comme jadis j’entendais l’ordre !

GOBCHESTER.

Oh ! mais ce ne été pas un produit de la République... En France et dans le Angleterre, il y rivé toujours eu cette genre de gamin... de crapaud !... oh ! crapaud !... encore un mot bien distingué !...

LA PAPILLONNE.

C’est vrai ; mais notre République a métamorphosé les nôtres. Tiens, regarde.

Ici le Gamin se métamorphose en garde mobile.

LE GAMIN.

Air : Dans un petit de la mobile.

Joyeux enfant de la garde mobile,
Soldat de seize ans, j’ai l’courag’ d’un vieux lapin ;
J’ai ramené le repos dans la ville,
Que je saccageais autrefois comme gamin...
Gaîment j’accours
Partout où l’on s’ameute,
Contre l’émeute
Je marcherai toujours...
Et nous serons
Grands, malgré notre taille :
À la bataille,
Enfants, nous grandirons !
Joyeux enfant, etc.

GOBCHESTER.

Oh ! mais je ne le reconnais plus.

LA PAPILLONNE.

On ne le reconnaît plus qu’à son intrépidité.

LE GAMIN.

Vive la famille et la propriété !... Liberté, ordre public, je ne sors pas de là, mille carabines !

GOBCHESTER.

Oh ! vôs qui disiez tout a l’heure...

LE GAMIN.

Je disais des bêtises, ventrebleu !... maintenant je homme, mille paquets d’ moustaches !

GOBCHESTER.

Oh ! tant de paquets de moustaches que cela ?

LE GAMIN.

Air du Charlatanisme.

Je fais remettre les carreaux,
Et, pour que Paris soit tranquille,
J’assiste les municipaux
Et j’aide les sergents de ville...
Aux bourgeois qui se trouvent là,
Je dis, sans jamais en démordre :
Votre cause triomphera,
Jamais de bruit, ni d’émeute... voilà
Comme maintenant j’entends l’ordre !

GOBCHESTER.

Et ce été le bonne manière de l’entendre... je été fort satisfait de ce produit de la République.

LA PAPILLONNE.

Eh bien, jeune homme, vous pouvez regagner votre place ; vous emportez les félicitations de l’Angleterre.

GOBCHESTER.

Oh ! yes, yes.

LE GAMIN.

En ce cas, touchez là, goddam ! et vivent les bons enfants de tous les pays !

GOBCHESTER.

Oh ! yes, yes. 

LE GAMIN.

Joyeux enfant de la garde mobile, etc.

Il sort.

 

 

Scène III

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, ensuite LA LORETTE[7]

 

GOBCHESTER.

Je demandai tout de suite un autre produit.

LA PAPILLONNE.

Le produit demandé, voilà !

GOBCHESTER.

Oh ! ce été un joli produit.

LA LORETTE.

Air : Oui, je suis grisette.

De pauvre grisette
Du pays latin,
Je devins lorette
Du quartier d’Antin.
J’ai gardé souv’nance
De mon point d’ départ,
Jamais l’opulence
Ne m’éblouit... car
C’est ct’pauvre grisette
Du pays latin,
Que je d’vins lorette
Du quartier d’Antin !

GOBCHESTER.

Mais je ne vois pas quel rapport...

LA LORETTE.

Ouf ! je n’en puis plus !... le bal du petit marquis était d’une richesse !... on y a dansé jusqu’à six heures du matin... Je n’ai pas manqué une valse, un quadrille, une polka... j’étais la reine de la fête, et toutes ces demoiselles mouraient de jalousie... Des fleurs, des soupirants et des banquiers... des fleurs pour les yeux, des soupirants pour les cœurs, et des banquiers pour la caisse... un vrai paradis !

GOBCHESTER.

Oh ! god !... mais tout ceci ne été pas un produit de la République.

LA LORETTE.

La République !

LA PAPILLONNE.

Patience... Écoute encore...

LA LORETTE.

Qui a parlé de République ?... Ah ! oui, je me rappelle... le réveil après un doux rêve, l’épouvantail des amours !... Ah ! monsieur, quel cruel changement !... Mondor est ruiné, et Arthur est en Icarie.

GOBCHESTER.

Ah ! ce pauvre Arthur ! Mais qu’est-ce que ce été que Mondor ?

LA LORETTE.

Mon protecteur, monsieur.

GOBCHESTER.

Ah ! le monsieur qui avait le douille... c’était encore un mot bien distingué... douille.

LA LORETTE.

Air : Qu’il est flatteur d’épouser celle.

Bien qu’il fût porteur d’un gros ventre,
Je chérissais ce protecteur ;
C’était un député du centre,
Un député conservateur...
Mais sur nous planait un orage,
Février me porta malheur ;
Car je ne pus, dans le naufrage,
Conserver mon conservateur.

GOBCHESTER.

Et alors vous êtes devenue...

LA LORETTE.

Voilà ce que je suis devenue...

Son costume tombe, elle paraît en vivandière.

Air : Réveillez-vous, mesdames les dormeuses. (Dans les Grenouilles.)

Je rafraîchis notre brave milice
Et je m’endors au milieu des soldats ;
De m’embrasser si l’on a la malice,
Par chasteté je ne m’éveille pas.
Mais au dehors, je sais faire la guerre
À tout pékin qui n’a pas d’ fourniment !
Car, par état, la jeune vivandière
N’a de bontés que pour son régiment...
Du bataillon, je suis la souveraine,
Et mes flacons sont taris chaque jour ;
Car c’est, parmi la garde citoyenne,
À qui voudra de mon parfait amour...
Mais au dehors, etc.

Elle sort.

GOBCHESTER.[8]

Vous me mettrez aussi ce petit produit-là de côté... Passons à autre chose.

 

 

Scène IV

 

GOBCHESTER, PAPILLONNE, LA CONTITUANTE, LA LÉGISLATIVE, puis LE PÈRE SUFFRAGE

 

La Constituante et la Législative entrent en se disputant.[9]

LA CONSTITUANTE.

Taisez-vous, vous n’êtes qu’une sotte, une intrigante !

LA LÉGISLATIVE.

Et vous, une bavarde, une radoteuse !

LA CONSTITUANTE.

Morbleu !

LA LÉGISLATIVE.

Ventrebleu !

GOBCHESTER, à la Papillonne.

Ces deux produits, ils se asticotaient ensemble.

LA PAPILLONNE.

Et pourtant ce sont deux sœurs... l’une est la Constituante qui s’en va, et l’autre, la Législative qui arrive.

GOBCHESTER.

Oh ! god ! celoui-ci il avait dégommé celoui-là !... Dégommé... c’était encore un mot bien distingué.

LA CONSTITUANTE.

C’est une indignité !... une sœur !... me renvoyer, me mettre à la porte !...

LA LÉGISLATIVE.

Tiens, voilà assez longtemps que vous êtes là... vous êtes-vous fait tirer l’oreille pour partir !

LA CONSTITUANTE.

Se réveiller sur le pavé, quand on a cessé d’être inviolable !... où trouver une chambre ?

LA LÉGISLATIVE.

C’est votre faute... il fallait en faire deux.

LA CONSTITUANTE.

Après les services que j’ai rendus !...

LA LÉGISLATIVE.

Oui, ils sont jolis vos services... c’est comme votre caractère : taquin, hargneux... Ah ! vous vouliez renverser le cabinet !

LA CONSTITUANTE.

J’avais raison !

LA LÉGISLATIVE.

Vous aviez tort !

LA PAPILLONNE.

Deux chambres qui se disputent pour un cabinet !

GOBCHESTER.

C’été cocasse.

LA CONSTITUANTE, à Gobchester.[10]

Monsieur, soyez notre juge.

Lui montrant la Constitution écrite sur sa poitrine.

Et d’abord, comment trouvez-vous ma constitution ?

GOBCHESTER, regardant sa poitrine.

Oh ! god !... je le trôvais parfaitement... tournée.

LA CONSTITUANTE.

Un chef-d’œuvre.

GOBCHESTER, à part.

Je en voyais deux, moâ.

Haut.

Tiens ! il y avait écrit dessus Liberté...

LA CONSTITUANTE.

C’est dans mes principes.

GOBCHESTER.

Égalité...

LA CONSTITUANTE.

Chez moi, ce n’est point un vain mot.

GOBCHESTER.

Fraternité...

LA CONSTITUANTE.

Je la pratique jour et nuit.

LA LÉGISLATIVE.

C’est égal, cette constitution-là a besoin d’être retouchée.

GOBCHESTER.

Oh ! yes... il fallait retoucher.

LA CONSTITUANTE, l’arrêtant.

Minute !... la présente est mise sous la protection du peuple Français... Article premier, à bas les pattes !

GOBCHESTER, à part.[11]

Oh ! je trôvais mauvais ce article premier.

À la Législative.

Mais la petite Législative, il n’avait pas de article premier.

LA LÉGISLATIVE.

Ne m’approchez pas... je sais tenir mon rang, et je n’aime pas qu’on se familiarise.

GOBCHESTER.

Le Législative, il était moins populaire et plus bégueule.[12]

LA CONSTITUANTE.

Elle s’éloigne des masses, c’est une aristocrate.

LA LÉGISLATIVE.

Et vous, une tricoteuse !

LA CONSTITUANTE.

Morbleu !

LA LÉGISLATIVE.

Ventrebleu !

LE PÈRE SUFFRAGE, entrant, il porte une urne sous son bras.

Allons, bon ! voilà encore mes deux filles qui se prennent aux cheveux !

GOBCHESTER, à la Papillonne.[13]

Qui été cette vieille cruche ?

LA PAPILLONNE.

C’est le suffrage universel... Bonjour, père Suffrage.

GOBCHESTER.

Ah ! c’été là le suffrage universel... Eh bien ! il n’été pas aussi effrayant qu’on le disait...

LE PÈRE SUFFRAGE.

Ah ! dame ! on s’est défié de moi longtemps... Et pourtant la France me doit une fière chandelle... Vous voyez bien ce que je tiens là sous mon bras ?...

GOBCHESTER.

C’été une urne.

LE PÈRE SUFFRAGE.

C’est l’éteignoir des révolutions... Maintenant on ne se bat plus, on ne se dispute plus, on met des petits morceaux de papiers là dedans, on les compte, et tout est dit.

GOBCHESTER.

C’été admirable... Pauvre brave homme ! il a l’air bien fatigué.

LE PÈRE SUFFRAGE.

Ah ! dam ! c’est que je travaille joliment depuis quelque temps.

GOBCHESTER.

Mais il avait perdu ses cheveux.

LE PÈRE SUFFRAGE.

C’est l’effet du dépouillement... Ah ça, puisque j’ai pour mission de mettre tout le monde d’accord, je vais commencer par mes deux filles... À toi, d’abord, ma petite Constituante.

Air : Merci, mon Dieu ! ta bonté m’a bénie ! (Bouquet de violettes.

Lorsque tu vas déserter ta demeure,
De toi, ma fille, on dit, et tu l’entends :
Elle eut parfois de bien jolis quarts d’heure,
Oui, mais elle eut aussi de bien vilains moments...
Préférant la presse à l’histoire,
Et le bruit à la vérité,
Tu travailles moins pour la gloire
Que pour la popularité...
Tu bravas trop certain mal qui se gagne,
Et l’on te vit, moins sage que ta sœur,
Te promener souvent sur la montagne,
Dont l’air te fit venir des taches de rousseur...
Un jour, de la guerre civile
L’horrible cri fut répété,
Le sang coula dans cette ville,
Au nom de la fraternité !... 
Toi, qu’inspirait l’amour de la patrie,
Tu combattis, et l’émeute expira : 
Pour ce jour-là, la France t’a bénie
Et la postérité te récompensera !

LA LÉGISTATIVE.

Mais, mon père...

LE PÈRE SUFFRAGE.

À ton tour, ma petite Législative...

Air précédent.

Ô toi, qui vas régler nos destinées,
Songe aux périls qui vont te menacer,
Entends ma voix et, pendant trois années,
Suis bien le droit chemin que je vais te tracer.
Montrant la Constituants.
Comme elle, ne va pas, ma chère,
Garnir tes bancs, de bas en haut,
De médecins, ne parlant guère,
Et d’avocats qui parlent trop...
Plus d’aboyeurs toujours prêts à tout mordre,
Plus de bavards qui n’en finissent point,
Plus de menace et plus de cris à l’ordre,
Plus de gros mots surtout, et plus de coups de poing !...
Que chez toi le briquet gouverne,
Puisqu’il paraît que tout sergent
Porte aujourd’hui dans sa giberne
Un couteau de représentant...
Défends le pauvre et proscris la recette
Des charlatans qui lui tendent les bras ;
Donne au travail, à la misère honnête
Ce qu’ils promettent tous et ne donneraient pas !...
Qu’un seul parti, qui soit la France,
Inspire tous tes orateurs :
De trois drapeaux d’une nuance
Fais un drapeau de trois couleurs !...
Ne souffre pas, ainsi qu’elle, une offense
À cette croix qui vient de l’Empereur :
Autour de nous, quand meurt toute croyance,
Ah ! conservons du moins la croyance à l’honneur !

TOUS.

Ô toi, qui vas régler nos destinées
Songe au péril, etc.

 

 

Scène V

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, ensuite JEANNE BEDOUIN[14]

 

LA PAPILLONNE.

Maintenant tu vas voir un produit de première qualité... tout ce qu’il y a de plus excentrique et de plus drolatique... Attention !...

JEANNE BEDOUIN.

Air : Vaudeville des jolis soldats.

Ah ! nommez-moi ;
Car, en dépit d’la loi,
Quoique femme,
Ici, je le proclame,
À tout’s les voix
J’ai des droits...
Électeurs, je m’offre à votre choix !

GOBCHESTER, parlé.

Oh ! quel été ce gros tendron ?

LA PAPILLONNE, de même.

Jeanne Bedouin, candidate à l’Assemblée nationale.

JEANNE BEDOUIN.

Représentants, si l’on me nomme,
Vous  apprécierez mes talents ;
Car, je le sens,
Et morbleu ! je prétends
Parler beaucoup plus longtemps qu’un homme...
Et mes discours,
Qui ne seront pas courts,
Dureront des nuits et des jours...
Sur les questions les moins comprises,
Pouvant parler deux heur’s de temps,
Comme vous, j’dirai des bêtises,
Mais j’en dirai plus longtemps...
Ah ! nommez-moi, etc.

GOBCHESTER.

Oh ! introduire une femme à l’Assemblée...

JEANNE BEDOUIN.

Une femme !... mais ce serait une rose au corset de la République.

Air : Vadé de la Grenouillère.

La sonnette du président,
Grâce à moi, serait inutile ;
Chaque fougueux représentant
Sur son banc, toujours immobile,
Malgré lui resterai tranquille...
Lorsque l’orage gronderait,
Mes beaux yeux feraient la police :
Aucun d’eaux ne résisterait
À la femme qui s’écrierait :
Embrassons-nous et qu’ça finisse !

GOBCHESTER.

Oh ! yes, si elle me disait de l’embrasser, je resterais tranquille.

JEANNE BEDOUIN.

Eh bien ! croiriez-vous que malgré tous ces avantages, on tue repousse, on déchire mes affiches !

GOBCHESTER.

Ah ! madame, s’est affichée ?...

JEANNE BEDOUIN.

Souvent, oui, monsieur... Eh bien ! l’on s’en fiche, de mes affiches !... Enfin, monsieur, depuis trois mois, je fais un métier de chien courant... je cours les cercles, les clubs, les bastringues... on me bouscule, on me tapote, on me tripote, on me ballotte... mais, bah !... Dimanche dernier, je suis allée à Pantin... pour parler au peuple... j’avais mon flacon... l’entre dans le club... aussitôt on me presse, on me pousse, on me... il est très audacieux, le peuple de Pantin !... mais, bah !... Je monte à la tribune... sur un tonneau... je le croyais vide.

GOBCHESTER.

Il était plein ?

JEANNE BEDOUIN.

Il était habité par un jeune démocrate... dont le regard social... mais, bah !... je mets le pied sur la bonde et je continue !... je parle aux hommes, je parle aux femmes, je parle aux enfants, j’enlève l’auditoire, je le magnétise... chacun me félicite, tout le monde me claque, même les gendarmes !... enfin on me porte, on m’entraîne, on m’enlève !... c’est un triomphe !... la tête en bas et les jambes... mais, bah !... un candidat n’a rien de caché pour le peuple... d’ailleurs, pourvu que j’arrive, que je sois nommée, et je le serai, il le faut, j’ai des droits, j’ai fait les frais d’un costume.

GOBCHESTER.

Pour le chambre ?... c’été une robe de chambre.

JEANNE BEDOUIN.

Costume de montagnarde rouge, démoc et soc !... le voici !

Elle paraît dans le costume de représentante du Journal pour rire.

GOBCHESTER.

Oh ! quel bon chienlit il faisait !... Encore un mot bien distingué !

JEANNE BEDOUIN.

Air : Pourquoi me réveiller.

Je veux représenter !
Accordez-moi votre suffrage :
Si l’on veut m’écouter,
Je m’engage
À tout discuter !

Pour thèmes favoris,
Je pose que la femme
Doit avoir deux maris,
Et trois amants chéris.
Sans doute on va crier ;
Mais déjà, chaque dame
Cherche à se marier,
D’après monsieur Fourier.
Je veux représenter, etc.

Oui, nous aurons des voix,
Malgré main tripotage ;
Nous défendrons nos droits,
Oui, nous ferons des lois.
À Paris, selon moi,
Voilà, dans chaqu’ ménage,
Assez longtemps, ma foi,
Que l’ mari fait loi.
Je veux représenter, etc.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, UN SERGENT DE VILLE[15]

 

GOBCHESTER.

Qu’est-ce que ceci ?... Comment ! vous me donnez ça pour un produit de la République ?... mais ce était un ancien sergent de ville... tout ce qu’il y a de plus monarchien... oh ! monarchien ?... encore un mot bien distingué !

LA PAPILLONNE.

Nous l’avons changé du tout en tout !

GOBCHESTER.

Ah ! vous l’avez changé ?

LA PAPILLONNE.

Habit, veste, et... chapeau.

GOBCHESTER.

Oh ! je serais curieux de voir le nouvel uniforme.

Le costume du Sergent de ville tombe ; il en porte un autre exactement pareil.

Ah ! à la bonne heure ! ça ne se ressemble plus du tout ! voilà qui est républicain !

Air de l’Apothicaire.

Ce sergent de ville nouveau,
Au sergent de juillet ressemble ;
Même habit et même chapeau,
Rien de changé...

LA PAPILLONNE.

Rien ! et l’on tremble
Qu’observateur trop scrupuleux
De sa consigne monarchique,
Il ne prenne au collet tous ceux
Qui crieront viv’ la République !
Je crains qu’il n’arrête tous ceux
Qui crieront viv’ la République !

GOBCHESTER.

Certainement, monsieur, je saluais vô.

Le Sergent de ville sort.

Comment ! la République ne possède rien de plus républicain ?

LA PAPILLONNE.

Ah ! tu veux... sois satisfait !

 

 

Scène VII

 

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, UN BOUSINGOT[16]

 

LE BOUSINGOT.

Liberté ! égalité ! fraternité !... je ne sors pas de là, sacrebleu !... tous les hommes sont frères, j’en supprime la moitié ! et ça ira, quatre-vingt-treize bleu !

GOBCHESTER.

Qui été ce citoyen mal mis ?

LA PAPILLONNE.

Un bousingot !

LE BOUSINGOT.

Le défenseur du peuple ! un Spartiate !... je ne mets pas de gants et je farde des pipes, mille bonnets rouges !... Pendant que le riche s’engraisse de la sueur du peuple, moi, monsieur, je mange du brouet noir !

GOBCHESTER.

Mais le brouet noir il été encore meilleur pour manger que lé sueur du peuple.

LE BOUSINGOT.

Vous n’êtes qu’un malthusien !... à bas les riches ! les repus, les corrompus et les pritchardistes !... il faudra que ça marche ! triple carmagnole !

GOBCHESTER.

Il me fésé l’effet d’un bête enragé !

LA PAPILLONNE.

Il n’est pourtant pas difficile à apprivoiser... tu vas voir...

Appelant avec douceur.

Monsieur le marquis...

LE BOUSINGOT.

Hein ?... qui m’appelle ?...

Ses habits sont tombés, il paraît vêtu en marquis ; appelant.

Frontin !... Labranche !...

Deux valets entrent ; l’un lui donne son épée, l’autre son chapeau.

GOBCHESTER.

Oh ! god ! lé chénille il été devenu papillonne.

À la Papillonne.

Mais moins joli que vôs, Papillonne !

LE BOUSINGOT.

Allons, marauds ! qu’on m’apporte des danseuses... le corps de ballet !... ce soir je daignerai choisir... je veux un souper royal, des pages, des valets, des coupes d’or et du vin d’Espagne !... Allez, fermez les portes et surtout qu’on empêche la canaille d’entrer.

GOBCHESTER.

Jé né voyais plus son bonnet rouge. 

LA PAPILLONNE.

Je crois bien, il en a fait des talons rouges.

GOBCHESTER.

Oh ! yes, il été entré dans le république Pompadour.

Au Bousingot.

Il paraît que le Républicain il s’été envolé de vôs.

LE BOUSINGOT.

National bleu ! je le suis toujours de cœur !

Air : Ne raillez pas la garde citoyenne.

Depuis vingt ans, fièrement je m’honore
D’avoir bien haut flétri tous les abus !

LA PAPILLONNE.

Mais ces abus, ils subsistent encore,
Et cependant tu ne les flétris plus...

LE MARQUIS.

Depuis qu’ils sont absous par le mérite,
Leur sombre aspect paraît moins affligeant...

LA PAPILLONNE.

Ah ! dis plutôt que, lorsqu’on en profite,
On est pour eux beaucoup plus indulgent...

LE MARQUIS.

Des intrigants, pour signaler la trace,
J’ai fait la guerre aux gros appointements...

LA PAPILLONNE.

Alors, pourquoi conserver une place
Où tu reçois même émoluments ?

LE MARQUIS.

J’ai dénoncé tous ces gueux du domaine,
Logés gratis, en dépit de nos lois !...

LA PAPILLONNE.

Quand ta grandeur s’accommodait à peine
De la splendeur du palais de nos rois !

LE MARQUIS.

De nos ventrus le luxe était un crime,
Nous avons dû dénoncer les galas...

LA PAPILLONNE.

Et vous avez, dans un souper intime,
Ressuscité la puré’ d’ananas.

LE MARQUIS.

Notre justice est toujours des plus promptes,
Et nous avons, par nos premiers édits,
Destitué les barons et les comtes...

LA PAPILLONNE.

Mais vous avez conservé les marquis !

LE MARQUIS.

Ah ! c’en est trop !

LA PAPILLONNE.

Je parle avec franchise :
Maîtres nouveaux, dont nous avons fait choix,
À votre tour, souffrez que l’on vous dise
Les vérités que vous disiez aux rois !

Ensemble.

LE MARQUIS.

Ah ! c’en est trop ! c’est par trop de franchise !
De ses élus quand le peuple a fait choix,
Il ne faut pas qu’un imprudent leur dise
Les vérités que l’on disait aux rois !

LA PAPILLONNE, GOBCHESTER.

Souffrez du moins qu’on parle avec franchise,
Maîtres nouveaux, etc.

Le Marquis sort.

GOBCHESTER.

Oh ! après ce produit, je ne savais plus ce que la République aura pu produire.

 

 

Scène VIII

 

GOBCHESTER, LA PAPILLONNE, NAPLES, FLORENCE, PALERME, LA HONGRIE, VENISE, ROME

 

Elles ont toutes une arme à la main.[17]

CHŒUR.

Air :

Allons,
Marchons,
Il nous faut l’indépendance !
Marchons,
Courons,
Nous nous émanciperons !
Il faut
Bientôt,
Afin d’imiter la France,
Tout ravager,
Tout changer,
Tout saccager !

LA PAPILLONNE.

Autrefois,
Respectant les rois,
Toutes ces villes
Étaient tranquilles...

GOBCHESTER.

Pourquoi donc cet aspect guerrier ?

LA PAPILLONNE.

Produit de février.

CHŒUR.

Allons,
Marchons, etc.

GOBCHESTER.

Qui été ces jolies petites myladies !

LA PAPILLONNE.

Les villes révoltées de l’Europe.

GOBCHESTER.

Le fait est qu’elles ont l’air bien émancipé.

LA PAPILLONNE.

Permets que je te présente Florence.

GOBCHESTER.

Oh ! je connaissé le taffetas de Florence... Florence il été dans un vilain taffetas.

FLORENCE.

Oh ! ne m’en parlez pas !... j’avais pour amoureux et maître un gentil petit duc, bon, doux, pas despote, et j’ai fait la sottise de lui être infidèle.

GOBCHESTER.

Oh ! ce été étonnant.

FLORENCE.

Oui, monsieur, je me suis jetée dans les bras du peuple, ce qui fut cause que mon duc m’a quittée pour la petite Gaëte.

GOBCHESTER.

Dame ! écoutez donc...

FLORENCE.

Oh ! j’ai bien du chagrin.

GOBCHESTER.

Pauvre petite !... il reviendra, ton duc.

Il l’embrasse.

FLORENCE.

Eh bien ! monsieur, que faites-vous ? 

GOBCHESTER.

Jé interviens... et quand le Angleterre il intervient, il prené toujours une petite commissionne.

LA HONGRIE.

Liberté ! liberté !

GOBCHESTER, passant à la Hongrie.

Oh ! god ! quelle été cette petite qui montre le poing ?

LA PAPILLONNE.

La Hongrie.

GOBCHESTER.

Oh ! yes, elle montré le point de Hongrie.

LA HONGRIE.

Air : Tanturelu.

Pour le salut des Italiens,
Moi, je combats les Autrichiens,
Les Russes, les Prussiens,
Et tous les monarchiens.
Mais on prétend que Nicolas
De mes succès est déjà las,
Et qu’il voudrait, hélas !
Saisir son coutelas.
Mais, bah ! mon drapeau ne craint pas
L’attaque
D’un cosaque.
Déjà vainqueur dans vingt combats,
Oui, mon drapeau bravera tes soldats !
Tu n’ me l’ prendras pas,
Nicolas,
Tu n’ me l’ prendras pas !

GOBCHESTER, allant à Naples.

C’est très bien !... Mais quelle été cette petite si gentille et qui à l’air si doux ?...

NAPLES.

Je suis Naples... Naples qui a voulu, comme ses sœurs, faire des barricades... mais je dus y renoncer, faute de pavés... toutes mes rues sont dallées en lave.

Air : En vérité, je vous le dis.

Pourtant la première, un matin,
Contre son roi Naples s’emporte...
Hélas ! pour le mettre à la porte,
J’avais un trop gros souverain.
J’aurais bien voulu me défaire
De cette grosse majesté ;
Mais, comme à mainte couturière,
Le gros de Naples m’est resté.

GOBCHESTER, à Venise.

Et vous ?

VENISE.

Venise... L’Autriche voudrait bien me prendre... mais prendre Venise, c’est la mer à boire.

Air : Barcarole.

Pour s’emparer de Venise la belle,
L’Autriche en vain rassemble ses guerriers ;
La liberté se promène en nacelle,
Et ses soldats sont tous mes gondoliers
Ah ! ah ! ah !
Contre Venise, un souverain despote
Voudrait tourner l’incendie et le fer ;
Le voyez-vous diriger une flotte
Contre une perle au milieu de la mer !...
Ah ! ah ! ah !

GOBCHESTER.

Ah ! Venise, il était bien gentille ; je irai me promener à Venise.

À Palerme, allant près d’elle.

Et vous, ma belle enfant, votre nom ?

PALERME

Palerme... Oh ! je n’ai été qu’indisposée...c’est mon diable de volcan qui me tourmente... j’ai souffert d’une petite éruption démocratique, mais ça ne sera rien... le roi de Naples m’a défendu de sortir.

Air du Piège.

Il me parle religion,
Exige que je me confesse,
Que j’aille souvent au sermon
Et que je me rende à la messe.
Mais il défend les Vêpres aux bourgeois...

GOBCHESTER.

Et pourquoi donc ?

PALERME.

S’il faut que tu l’apprennes,
C’est qu’il sait bien qu’à Palerme autrefois
On a sonné les vêpres siciliennes.

GOBCHESTER.

Et quelle était cette grande ville ?

ROME.

Rome !...

Premier couplet.

Air : Hymne de Pie IX.

Des ingrats, de la ville éternelle
Tout banni, pontife respecté,
Souverain dont la voix paternelle
Nous criait : Réforme et liberté !
Ah ! reviens de la terre étrangère :
Dans Rome, sous tes pas, s’éteindra le volcan !
Sonnez, sonnez, cloches de Saint-Pierre,
Ouvrez-vous, portes du Vatican !

CHŒUR.

Répétons notre chant populaire,
En l’honneur du pontife qui va
Rendre à Rome un pouvoir tutélaire !
Répétons : viva Pio, viva !

ROME.

Deuxième couplet.

Plus coupables, plus tard, à la France
Nous jetions un défi criminel,
Et nos mains, qu’égarait la démence,
Ont trempé dans un sang fraternel !
Accueillons le secours, la défense,
Qu’une sœur nous apporte, acceptons son soutien :
Bénissons le drapeau de la France,
Déployé contre l’aigle autrichien !

CHŒUR.

Répétons notre chant populaire, etc.

À la fin du chœur, elles brandissent toutes leurs épées.

 

 

ACTE III

 

 

Premier Tableau

 

Le théâtre représente une étable. Au fond, un veau, près duquel Balourdeau est assis.

 

 

Scène première

 

BALOURDEAU

 

Sapristi ! que je m’embête !... je ne connais rien de raccornissant pour l’intelligence comme un tête-à-tête de veau !... Ceci vous représente deux produits de l’agriculture, dont un citoyen et un veau... le veau, ce n’est pas moi... je me nomme Balourdeau, je suis garçon de ferme, et l’on m’a exposé comme type de villageois bien nourri... La République ayant décrété qu’on améliorerait le sort des populations agricoles, on m’a dit : Balourdeau, veux-tu être amélioré ?... Alors, moi, j’ai répondu : À cause ?... C’est pourquoi on m’a introduit dans une chambre oùsque, depuis trois mois, on me flanqué des farineux à me faire craquer le corps et l’âme !... ils appellent ça vous améliorer !... Farceuse de République, va !... Du reste, ça me profite... Autrefois, sous... sous Tarquin... j’avais l’air d’une aiguille, et à c’te heure je tourne à la pelote... c’est au point que, quand je suis entre ce matin, une jeune dame très distinguée s’est écriée : Ah ! nom d’un chien ! le beau produit !... Je crois, sans fatuité, que je puis concourir pour le prix de l’embonpoint national !... Malheureusement, j’ai un concurrent.... devinez qui ?... ce veau ! cet abominable veau !... Monsieur se présente, monsieur est candidat !... le plus gras de nous deux sera couronné... crétin, va !... et dire qu’on va me ballotter avec ce projet de bœuf !... moi, un électeur !... car enfin, je vote, moi, et il ne vote pas, lui... j’ai le droit de me réunir, moi... ce veau l’a-t-il ?... non !.... je peux m’associer, je peux m’attrouper, je peux faire un journal !...

Au veau.

Fais donc un journal, hein ? je m’y abonne !...

L’examinant.

Oh ! mais est-il gras ! est-il joufflu !... c’est dégoûtant !... il est capable d’avoir le prix... Tiens ! je te défends de me parler ! tu n’es qu’un croate !... Comment ! il mange !... ah ! mais, c’est de la tricherie !... je ne mange pas, tu ne dois pas manger !... hé ! là-bas !... Ah ! c’est comme ça !... eh bien ! moi aussi je vais m’en fourrer, de la nourriture... je n’ai pas faim, mais c’est égal, je vais manger comme un Auvergnat qui se marie... des choux !... et nous allons voir !

Air : Apportez vos pinceaux.

J’ veux êtr’ gras, bien nourri,
J’ veux être gros comme un’ baleine !
D’ mon côté, faut qu’ j’entraîne
La balance du jury.
Puisque c’est l’ plus lourd, en somme,
Qu’on doit proclamer l’ plus beau,
Faut qu’ les gros poids soient pour l’homme
Et les p’tits poids pour le veau.
J’ veux être, etc.

Il sort.

 

 

Scène II

 

LE VEAU, LA PAPILLONNE, GOBCHESTER[18]

 

LA PAPILLONNE, à la cantonade.

Par ici, Gobchester !

GOBCHESTER, paraît ; il est chargé de fruits, de légumes et tient une volaille sous son bras.

No, no, no !... si c’été encore pour voir l’agriculture, je donné mon démissionne !... Je disé : des navets ! à ton agriculture !... Oh ! des navets !... encore un mot bien distingué !

LA PAPILLONNE.

Nous venons de traverser la salle des légumes... c’est plein d’intérêt !

GOBCHESTER.

Lé artichauds, lé haricots, lé épinards, il embêté moâ... au tas !... jé avais distingué seulement cette monument...

Il tire de sa poche une énorme pomme de terre.

LA PAPILLONNE.

Une pomme de terre !

GOBCHESTER.

Jé connaissais...

À la pomme de terre avec intérêt.

Petite amie... vous avez été incommodée... comment vous portes-tu aujourd’hui ? hein ?... ça va mieux ? hein ?

LA PAPILLONNE.

La République les a guéries... vous devriez en essayer en Angleterre...

GOBCHESTER.

No ! c’été une médecine de cheval !

LA PAPILLONNE.

Bah ! cette médecine-là fera le tour du monde en chemin de fer...

GOBCHESTER.

En chemin de fer ?... je vôlais bien... il aura piou vite fini !

LA PAPILLONNE.

Quel aristo !...

Air : Tout le long de la rivière.

Mais qu’avez-vous là, sous le bras ?

GOBCHESTER.

Quoi donc ? ceci ?... Jé né sais pas
Lé nom dé cé gros volatile,
Dites-lé-moi.

LA PAPILLONNE.

C’est bien facile...
Ce citoyen, c’est un chapon.

GOBCHESTER.

Un chapon ?

LA PAPILLONNE.

C’est là son vrai nom.

GOBCHESTER.

Ah ! wéry-well ! je comprends à merveille :
En France, un chapon, c’est un coq de la veille !
Un chapon c’est un coq de la veille !

Mais dites-moâ, où sommes-nous ici ?

LA PAPILLONNE.

Dans la salle des bestiaux...

GOBCHESTER.

Ah ! c’été la salle des roosbefs... jé mé plaisais dé régarder !...

 

 

Scène III

 

LE VEAU, LA PAPILLONNE, GOBCHESTER, BALOURDEAU, entrant avec une soupière dans laquelle une cuiller est plantée

BALOURDEAU, à part.[19]

On appelle ça une soupe de maçon... on doit construire avec...

GOBCHESTER, qui a lorgné Balourdeau, le prend par l’oreille et l’amène sur le devant de la scène en lui disant.

Holà ! pétit !... holà, là, là... tout beau !... pétit !

À la Papillonne.

C’été un bestiaux, ça ?

BALOURDEAU.

Monsieur, je ne le suis que momentanément, pendant l’exposition... De mon état, je suis valet de charrue dans une ferme-modèle...

GOBCHESTER.

Ferme-modèle ?

BALOURDEAU.

Yes... on l’appelle ferme-modèle à cause des dépenses qu’on y fait et des récoltes qu’on n’y fait pas... Ces établissements ruraux sont ordinairement confiés à des avocats...

GOBCHESTER.

Et que fesez-vous là-bas ?

BALOURDEAU.

Nous fesons des expériences... nous avons trouvé le moyen de détruire les vers blancs...

GOBCHESTER.

C’été souperbe !... et quel est votre procédé ?...

BALOURDEAU.

Nous mettons le pied dessus... c’est exposé !

LA PAPILLONNE.

Salle des vers blancs !

GOBCHESTER.

Dis moâ : dans ton terme, vous labourez la terre ?

BALOURDEAU.

Allons donc ! mais si nous labourions la terre, nous ne serions pas une ferme-modèle, nous serions une ferme ordinaire... non, nous nous occupons de travaux plus graves... nous jouons au billard... la poule autant que possible !

LA PAPILLONNE.

Au fait, ça rentre dans l’agriculture !

GOBCHESTER.

Après ?

BALOURDEAU.

Après... nous donnons des soirées... nous dansons... la poule autant que possible !... ensuite, on fait circuler des rafraîchissements, du lait...

GOBCHESTER.

Du lait ?

BALOURDEAU.

De poule, autant que possible !

GOBCHESTER.

Oh ! mais c’été une poulailler que ton ferme !

BALOURDEAU.

Je m’y plais... la nourriture y est farineuse, mais abondante... moi, qui vous parle, monsieur, depuis la République j’ai gagné soixante-neuf livres !

GOBCHESTER.

De rente ?

BALOURDEAU.

Oh ! on voit bien tout de suite que monsieur est étranger... soixante-neuf livres de graisse !... Et quand je pense que cet animal !...

GOBCHESTER, apercevant le veau.

Oh ! le beau bête !

BALOURDEAU, amenant le veau sur le devant de la scène.

Tenez, vous voyez bien cet animal-là, il a l’air bête, il a l’air stupide... eh bien ! il a proclamé la République !

GOBCHESTER.

Oh ! god !

BALOURDEAU.

Voilà le père de la République !... ils se sont mis deux pour ça... lui et une salade !... une chicorée !... c’est bien amer !... encore, s’il se tenait tranquille !... mais non ! il continue son commerce, il est de tous les banquets rouges... servi froid, avec de la gelée... Et on donnerait le prix à un pareil sans-culotte !

GOBCHESTER.

Sans culotte ?... il avait son culotte de bœuf, et jé loui donné joustement le prix à cause de son culotte de bœuf !

BALOURDEAU.

Comment ?

GOBCHESTER.

Pouvais-tu faire des beefteacks, toi ?... no !... pouvais-tu faire des côtelettes, toi ?... no !... pouvais-tu faire des pieds de cochon, toi ?... oui !

BALOURDEAU, vivement.

Non !

GOBCHESTER.

Alors tu étais moins bon que lui !

BALOURDEAU.

Ah ! que voilà bien un jugement... beefteack-aux-pommes !

Ensemble.

Air :

GOBCHESTER, LA PAPILLONNE.

Ah ! comme il enrage !
Aussi, quel outrage !
Dans ce combat nouveau
Le citoyen est vaincu parle veau !

BALOURDEAU.

Je bisque, j’enrage !
Pour moi quel outrage !
Malheureux Balourdeau,
Il faut céder la victoire à ce veau.

Balourdeau sort avec le veau.

GOBCHESTER.

Oh ! ce veau il avait émoustillé moi... Papillonne, vous avez mené moi dans le salle des bestiaux... je voudrais voir maintenant la salle des socialistes...

PAPILLONNE.

Diable ! c’est que ça commence à devenir très rare... il n’en reste plus qu’un...

GOBCHESTER.

Comment cela ?

LA PAPILLONNE.

Air : 

Un seul nous reste, et moi, je te le livre...
D’autres, jadis, furent plus menaçants :
Nous avons dû, sans pitié, les poursuivre,
Quand ils étaient et libres et puissants.
À des vaincus nous devons le silence,
À des proscrits nous devons le repos :
Quand la justice élève sa balance,
Le Vaudeville abaisse ses grelots.

GOBCHESTER.

Oh ! faisez-moi voir...

LA PAPILLONNE.

Sois satisfait...

Une petite tribune arrive au milieu du théâtre ; un socialiste est assis sur un fauteuil et ronfle.

GOBCHESTER.

Papillonne, il s’était endormi, il pionçait... encore un mot bien distingué ! 

LA PAPILLONNE.

Le malheureux ! il vient de faire un discours...

GOBCHESTER.

Et il se avait écouté parler...

Réveillant le socialiste.

Monsieur !... monsieur !... je saluais vô...

LE SOCIALISTE. Il tient un manuscrit d’une grosseur fabuleuse.

Mes très chers frères... quelle heure est-il ?

GOBCHESTER.

Trois heures...

LE SOCIALISTE.

Mes très chers frères... il est trois heures, et je vous fais trois saluts... Qu’on frappe les trois coups...

Prenant son manuscrit.

Je vous demanderai la permission de vous lire ces quelques notes jetées à la hâte...

GOBCHESTER.

Tout ça ?

LE SOCIALISTE.

Je saute les trois cents premières pages, qui sont complètement inutiles... je ne les ai écrites que pour me mettre en train... c’est comme ça dans tous mes discours...

Lisant.

Mes très chers frères... je suis mu...

S’interrompant.

Je dois vous prévenir que cet ouvrage est en trois parties et formera trois volumes...

Reprenant.

Je suis mu... 

S’interrompant.

J’y ai consacré trois ans de mon existence...

Reprenant.

Je suis mu...

GOBCHESTER.

C’été un serin, il été toujours dans le mue !

LE SOCIALISTE.

Plaît-il ?

GOBCHESTER.

Je disé rien !

LE SOCIALISTE.

Je suis mu... par un grand principe, la triade !... le nombre trois !... tout est dans trois !... l’homme est triple, la femme est triple, nous sommes tous triples... interrogeons l’antiquité... qu’y voyons-nous ?... les trois Grâces, les trois Parques, les trois Horaces, les trois Curiaces, et enfin la guerre de Truie !... Vous parlerai-je de la règle de trois ?... Allez partout, partout vous trouverez trois... allez en Champagne, qu’y trouverez-vous ?... vous trouverez Troyes... en Champagne... Cadet Roussel a trois cheveux !... les trois couleurs sont revenues !... Vous me direz : quand on va au bois... on y va deux... oui, mais on revient trois !... trois fois trois font trois ! trois petits pâtés ma chemise brûle !... Voilà tout mon système ! vous avez maintenant la clef du bonheur social !

GOBCHESTER.

Oh ! ce homme il était trois fois bête, et je payais trois fois plus pour m’en aller trois fois plus vite dans le Angleterre, où le homme il était trois fois moins stioupide !

Le théâtre change et représente un champ de foire. Un grand tableau au fond reproduit la gravure du journal pour rire. Tous les personnages sont au fond et chantent le chœur suivant.

Vaudeville final.

TOUS.

Air :

Ah ! bravo ! bravo !
Voilà du nouveau !
Tout nouveau
Est beau.

LA LORETTE.

Si les tableaux ont osé } (bis.)
Changer d’ galeries      }
C’est qu’on est bien exposé } bis.)
Dans les Tuileries !               }
Ah ! bravo ! bravo ! etc.

LA LÉGISLATIVE.

Les présidents de l’aut’ jour, } (bis.)
Mis à la retraire,                    }
Se font marchands d’ coco, pour } (bis.)
Garder leur sonnette.                   }
Ah ! bravo ! bravo ! etc.

LE BOUSINGOT.

Plus d’ commissair’ ! dit l’ bureau } (bis.)
Des banquets d’ barrière...           }
On y digèr’ bien le veau, } (bis.)
Mais pas l’commissaire.  }
Ah ! bravo ! bravo, etc.

LE PÈRE SUFFRAGE.

À la chambre, on vit, dit-on, } (bis.)
Trois sergents se rendre.     }
Trois !... Quand in prend du galon, } (bis.)
On n’en peut trop prendre.             }
Ah ! bravo ! bravo ! etc.

LA CONSTITUANTE.

De la manifestation } (bis.)
La tête s’arrête,       }
Et tout à  coup, v’là, dit-on, } (bis.)
Qu’là queu’ perd la tête.     }
Ah ! bravo ! bravo ! etc.

BALOURDEAU.

On m’ disait, étant enfant : } (bis.)
La montagne accouche...  }
Et v’là qu’on m’ dit maintenant : } (bis.)
La montagn’ découche.              }
Ah ! bravo ! bravo ! etc.

LA PAPILLONNE.

Quand l’exposition finit } (bis.)
Pour la République,      }

Montrant le veau.

Acceptez c’ dernier produit  } (bis.)
De l’art dramatique.             }
Ah ! bravo ! bravo ! etc.


[1] La Papillonne, Gobchester.

[2] Gobchester, la Papillonne.

[3] La Papillonne, Gobchester

 

[4] Gobchester, la Papillonne.

[5] La Papillonne, Gobchester.

[6] Gobchester, le Gamin, la Papillonne.

[7] Gobchester, la Lorette, la Papillonne.

[8] La Papillonne, Gobchester.

[9] La Papillonne, la Constituante, la Législative, Gobchester.

[10] La Papillonne, la Législative, la Constituante, Gobchester.

[11] La Papillonne, la Législative, Gobchester, la Constituante.

[12] La Papillonne, la Législative, la Constituante, Gobchester.

[13] La Papillonne, la Législative, Suffrage, la Constituante, Gobchester.

[14] Gobchester, Jeanne, la Papillonne.

[15] La Papillonne, le Sergent de ville, Gobchester.

[16] Gobchester, Bousingot, la Papillonne.

[17] Gobchester, Florence, Hongrie, Naples, Palerme, Venise, Rome, la Papillonne.

[18] La Papillonne, Gobchester.

[19] La Papillonne, Gobchester, Balourdeau.

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