Être aimé ou mourir (Eugène SCRIBE - DUMANOIR)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 10 mars 1835.

 

Personnages

 

BONNIVET, notaire de Paris

CLOTILDE, sa femme

SAUVIGNY

HORTENSE DE VARENNES, jeune veuve

FERNAND DE RANGÉ, son frère

 

La scène se passe à Rouen.

 

Une salle d’hôtel garni. Porte d’entrée au fond. De chaque côté, au premier plan, portes avec des numéros. Au-delà de la porte, à droite de l’acteur, une fenêtre ouvrant sur un balcon. Entre la fenêtre et la porte à droite, un secrétaire. Près de la porte à gauche, une table et ce qu’il faut pour écrire.

 

 

Scène première

 

BONNIVET, CLOTILDE

 

Ils sont assis près d’une table à droite, et déjeunent. Un garçon les sert.

BONNIVET.

Décidément, ma chère amie, je suis enchanté du détour que nous avons fait pour visiter Rouen, que tu ne connaissais pas... Ces nouveaux hôtels sur les quais sont d’un luxe tout parisien... des salles décorées avec élégance, une vue magnifique... et un excellent déjeuner, parbleu !

Il boit, et en posant sa tasse, il s’aperçoit que Clotilde est distraite et ne touche pas à la sienne.

À quoi penses-tu donc ?

CLOTILDE, revenant à elle.

Moi ?... à rien... Dites-moi, mon ami, à quelle heure partirons-nous demain matin ?

BONNIVET.

J’ai commandé les chevaux pour huit heures... ainsi, nous avons une nuit complète pour nous reposer... Mais ça ne m’explique pas pourquoi tu es distraite et rêveuse... Qu’est-ce que c’est ?... Qu’as-tu donc ?

CLOTILDE.

Mais je n’ai rien.

BONNIVET.

Si fait... Cela t’a pris deux ou trois jours avant notre départ de Boulogne... car auparavant, tu étais d’une gaieté fort satisfaisante.

Air de Voltaire chez Ninon.

Tu me semblais chaque matin
Aimable, contente et joyeuse :
Quel accident ou quel chagrin
Te rend ainsi triste et rêveuse ?
Parle, d’où vient cet ennui-là ?
Époux et femme, chère amie.
Ne font qu’un seul.

CLOTILDE.

  C’est pour cela :

À demi voix.

Quand je suis seule, je m’ennuie.

Ils se lèvent.

BONNIVET.

Je fais cependant tout ce que je peux pour te distraire... Tous les étés, un voyage de plaisir ou de santé, ce qui revient au même... Cette année, aux bains de mer de Boulogne... L’année précédente, en Italie... Il y a deux ans, aux eaux de Bagnères...

CLOTILDE, vivement.

Arrêtez !... Mon ami, je vous en conjure, ne me parlez jamais des eaux de Bagnères.

BONNIVET.

C’est juste, et je t’en demande pardon... Ce souvenir-là m’est aussi pénible qu’à toi... Ce pauvre jeune homme, avec qui j’herborisais dans les montagnes, et que j’avais pris en amitié...

CLOTILDE.

Finir d’une manière aussi déplorable !...

BONNIVET.

Aussi absurde !... Aller se tuer !... et sans dire pourquoi encore !

CLOTILDE.

On m’a assuré, à moi, que c’était par amour.

BONNIVET.

Quelle bêtise !

CLOTILDE.

Hein ?...

BONNIVET.

Je dis : Quelle bêtise !

CLOTILDE.

Ah ! c’est que vous ne pouvez comprendre un pareil dévouement... Vous ne seriez pas capable de mourir pour une femme ?

BONNIVET.

Jamais !

CLOTILDE.

Pas même pour la vôtre ?

BONNIVET.

J’en serais bien fâché... et elle aussi, je l’espère... Car il y a un raisonnement bien simple que devraient faire tous ces cerveaux brûlés... Ou celle que j’aime sera désolée de ma mort, et je suis trop galant homme pour lui causer un pareil chagrin : ou mon trépas lui sera indifférent, et alors je serais bien dupe de lui donner ce plaisir-là.

CLOTILDE.

Est-ce qu’on raisonne quand on aime ?

BONNIVET.

Certainement... C’est parce que j’aime ma femme et mes enfants, que je me dis : « Je leur serai plus utile en vivant et en travaillant pour eux... » Aussi, sois franche, qu’est-ce qui te manque ?... Y a-t-il dans Paris une femme de notaire plus heureuse que toi ?... La clef de ma caisse n’est-elle pas à ta disposition ?... Maison de campagne l’été, quatre bals dans l’hiver, et un quart de loge à l’Opéra... secondes de côté.

CLOTILDE.

Je ne dis pas non...

BONNIVET.

Et s’il te faut quelqu’un pour l’obéir les jours de caprice, ou pour te plaindre les jours de migraine... est-ce que je ne suis pas là ?... Est-ce que je ne te suis pas nécessaire ?... J’en suis persuadé, et si tu devenais veuve, ma pauvre femme, j’en serais désolé pour toi... encore plus que pour moi.

CLOTILDE.

Oui, sans doute, vous êtes un bon mari...

BONNIVET.

Je m’en vante... et un mari qui aime à vivre... Aussi, ne parlons plus de tout cela ; et pour dissiper tes idées noires, viens donc respirer l’air frais de la rivière.

Il ouvre la fenêtre et passe sur le balcon.

 

 

Scène II

 

BONNIVET, sur le balcon, CLOTILDE, FERNAND

 

CLOTILDE, apercevant Fernand qui parait au fond, une lettre à la main.

Ô ciel !

FERNAND, à voix basse.

Chut !...

Il lui montre de loin la lettre, en la suppliant du geste de la recevoir.

CLOTILDE.

Encore lui !...

BONNIVET, se retournant.

Hein ?

Fernand a disparu lestement.

Est-ce que tu me parles ?

CLOTILDE, troublée.

Moi ?... je te demandais si tu ne voyais rien de nouveau.

BONNIVET, toujours au balcon.

Mon Dieu, non... Eh !... si vraiment, voilà une charmante calèche qui vient par la route de Paris, et qui s’arrête devant l’hôtel... une dame en descend... fort jolie tournure.

Il prend son lorgnon.

Oh ! que je vais t’étonner !... Sais-tu quelle est cette dame ?... Devine.

CLOTILDE.

Je la connais ?

BONNIVET.

Je crois bien, une compagne de pension... Nous qui tout à l’heure parlions de veuve...

CLOTILDE.

Hortense !...

BONNIVET.

Juste... ta chère Hortense, madame de Varennes.

CLOTILDE.

Il serait vrai !... Moi qui l’avais laissée à Paris... Qu’est-ce qui l’amène donc à Rouen, et toute seule ? C’est bien étonnant.

BONNIVET.

Et bien désagréable... car elle a l’air d’être fort embarrassée au milieu des postillons, des paquets et des commissionnaires... Je suis trop galant pour ne pas voler à son secours...

CLOTILDE, effrayée.

Comment, vous sortez !... Eh bien !... et moi ?...

BONNIVET.

N’as-tu pas peur ?... Je cours et je te l’amène.

Il sort en courant.

 

 

Scène III

 

CLOTILDE, puis FERNAND

 

CLOTILDE.

Il me laisse seule !... Si l’autre, pendant ce temps... Mon Dieu ! le voilà !

FERNAND, après avoir jeté un coup d’œil du côté par lequel est sorti Bonnivet, entrant précipitamment.

Au nom du ciel, Madame, daignez recevoir cette lettre.

CLOTILDE.

Non, jamais, Monsieur !... Et je ne sais ce que j’ai fait, ce que j’ai dit pour vous autoriser...

FERNAND.

Il a bien fallu vous écrire, puisque vous refusez de m’entendre... Arrivé à Boulogne peu de jours avant votre départ, plus d’une fois j’ai trouvé l’occasion de vous parler seule, et toujours vous l’avez rendue illusoire en vous dérobant à une explication... Surpris de ce départ précipité, je n’ai eu que le temps de me procurer un cheval, et depuis Boulogne, je suis votre chaise de poste.

CLOTILDE.

Je le sais, je vous ai bien vu... et c’est ce que je trouve très mal... certainement, Monsieur ; et je ne puis m’expliquer ni votre conduite, ni l’espoir que vous avez.

FERNAND.

Ma conduite !... c’est celle d’un fou, d’un insensé qui ose vous aimer, sans qu’un seul regard de bonté le lui ait permis... Mon espoir !... c’est de me jeter à vos genoux et d’implorer votre indulgence.

CLOTILDE.

Oh ! oui, un insensé... vous avez bien raison... car enfin, Monsieur, je ne vous connais pas, je ne sais qui vous êtes.

FERNAND.

N’est-ce que cela ?... Eh bien, Madame, je ne suis pas tout à fait un étranger pour vous : je suis allié à une famille que vous connaissez, parent d’une de vos meilleures amies, qui tant de fois m’a parlé de vous...

CLOTILDE, avec effroi.

On vient !...

Elle passe à la gauche de Fernand.

FERNAND, vivement.

Non, Madame... et pour la fidélité, la discrétion, je suis élève de Saint-Cyr.

CLOTILDE, de même.

Mon mari va revenir !

FERNAND.

Je le sais bien ; peut-être même remonte-t-il déjà.

Air : J’ai vu le Parnasse des dames.

Puisqu’ici je ne puis, Madame...

CLOTILDE.

Monsieur, laissez-moi... je frémis !

FERNAND.

  Vous faire l’aveu de ma flamme...

CLOTILDE.

L’entendre ne m’est pas permis.

FERNAND, lui présentant la lettre.

Ce billet qui peint mon martyre...

CLOTILDE.

Monsieur, je ne puis l’accepter.

FERNAND.

Un seul instant daignez le lire !

CLOTILDE.

Autant vaudrait vous écouter.

FERNAND.

Et vous ne le voulez pas !... Vous regardez ce que j’éprouve comme un caprice que le temps dissipera... Oh ! non, Madame, ce n’est pas cela... c’est un amour vrai et profond que le mien : c’est un de ces sentiments qui marquent dans notre vie, car ils la rendent belle où la flétrissent pour jamais... de ces sentiments qui font qu’un homme est capable de tout pour obtenir le cœur d’une femme !

CLOTILDE, vivement.

J’entends la voix d’Hortense !... Si mon mari me voyait ainsi, seule avec un étranger !... Adieu, Monsieur... adieu. Je vous en prie, éloignez-vous.

Elle court au-devant d’Hortense et sort par la porte du fond.

FERNAND, la suivant.

Encore un mot, un seul...

Il s’arrête à la porte.

 

 

Scène IV

 

FERNAND, seul

 

Il redescend la scène en froissant la lettre.

Et elle me reste dans les mains!... une lettre où j’avais épuisé toute mon éloquence... Cinquième occasion de perdue !... Je commence à croire... Eh bien ! non, morbleu ! je n’en aurai pas le démenti... Je ne sors pas d’ici qu’elle ne m’ait entendu... et répondu... On monte !... passons sur ce balcon, et peut-être qu’un heureux hasard... Les voici...

Il passe sur le balcon et en referme la fenêtre.

 

 

Scène V

 

HORTENSE, CLOTILDE, BONNIVET

 

Clotilde et Hortense entrent en se tenant encore embrassées. Bonnivet porte plusieurs petits cartons. Une femme de chambre en porte d’autres plus grands.

ENSEMBLE.

Air : Pour l’honneur de la France.

Quelle rencontre aimable !
Nos cœurs doivent bénir
Le destin favorable
Qui vient nous réunir.

CLOTILDE, regardant autour d’elle.

Il est parti... je respire.

HORTENSE, à la femme de chambre, montrant la porte à gauche de l’acteur.

Portez ces cartons... là, au numéro six... c’est l’appartement qu’on avait retenu pour moi.

BONNIVET, tenant une boite en acajou.

Et cette boîte, qui est assez lourde ?

HORTENSE, souriant.

Ce n’est point à mon usage... c’est à mon frère Fernand, qui m’a priée de m’en charger... des pistolets de chez Lepage...

À Bonnivet.

Là, sur cette table, je vous prie...

Bonnivet pose la boite sur la table, puis il passe à la droite d’Hortense.

BONNIVET.

Vous attendez donc votre frère ?...

HORTENSE.

Nous devons nous rencontrer ici, à Rouen, où nous nous sommes donné rendez-vous... Je viens de Paris, et lui de la Bretagne... ou peut-être de plus loin encore... car c’est une tête éventée, qui n’a jamais de but et qui est capable de tout... excepté d’aller droit son chemin...

À Clotilde.

Du reste, un charmant cavalier, que je te présenterai... car il brûle de te connaître, et t’adore déjà sur ton seul portrait.

BONNIVET.

Le gaillard n’a pas mauvais goût, et ça prouve en sa faveur... Moi, j’aime d’avance tous ceux qui aiment ma femme.

HORTENSE, souriant.

Je vois que vous êtes l’ami de tout le monde.

BONNIVET.

Trop aimable... Ah çà ! si je vous gêne, vous me le direz...

Regardant sa femme.

Oui ?... je m’en doutais... Deux amies de pension qui ne se sont pas vues depuis longtemps...

À Hortense.

Si vous avez des emplettes, des commissions, je vais faire celles de ma femme, ne vous gênez pas... traitez-moi comme un mari... trop heureux d’exercer auprès de vous par interim.

Air de la Dugazon.

Adieu ! d’être indiscret je tremble ;
Je pars, de peur d’être fâcheux :
Vous avez à causer ensemble.

HORTENSE.

Nous allons parler toutes deux
De veuvage et de mariage.

BONNIVET.

  C’est bien.

Montrant sa femme.

  J’aime mieux, sur ma foi,
  Qu’elle connaisse le veuvage
  Par vous, Madame, que par moi.

Ensemble.

CLOTILDE et HORTENSE.

Lorsque le sort qui nous rassemble
Comble le plus cher de nos vœux,
Qu’il est doux de causer ensemble !
Ainsi, recevez nos adieux.

BONNIVET.

  Adieu ! d’être indiscret je tremble ;
  Je pars, de peur d’être fâcheux :
  Vous avez à causer ensemble,
  Et je vous laisse toutes deux.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

HORTENSE, CLOTILDE

 

HORTENSE.

Sais-tu que c’est un excellent homme que ton mari ?

CLOTILDE.

Oui... il devine tous mes désirs... il nous laisse.

Prenant dans ses mains les deux mains d’Hortense.

Chère Hortense !... voilà pourtant trois ans que nous nous sommes vues... Oui, il y a trois ans que nous avons quitté notre bon pensionnat de Paris, où nous nous aimions tant... et où nous jouions au cerceau... Et, depuis ce temps-là, que d’événements !

HORTENSE.

Mariées toutes les deux, toi à un notaire, M. Bonnivet...

CLOTILDE.

Et toi à M. de Varennes, à un colonel !... Que j’aurais aimé cela ! des épaulettes !... et un si joli uniforme !... Que tu as dû être heureuse !...

HORTENSE.

Eh mais !... je n’en suis pas bien sûre... Et pendant les huit mois qu’a duré ce mariage, que de fois j’ai regretté le temps où j’étais demoiselle !

CLOTILDE.

Est-il vrai ?...

HORTENSE.

N’en parlons plus... c’est fini... je suis veuve.

CLOTILDE.

C’est presque la même chose... Et déjà, je le parie, il a dû se présenter bien des prétendants.

HORTENSE.

Eh ! mon Dieu, oui... un surtout, qui est aimable, qui est riche... un jeune négociant du Havre, que mon frère, que toute ma famille me presse d’accepter... et je n’ai encore pu m’y décider.

CLOTILDE.

Et pourquoi ?

HORTENSE.

Parce qu’il m’aime trop.

CLOTILDE.

Est-il possible ?...

HORTENSE.

C’est une ardeur, des transports, un délire !

CLOTILDE.

Et tu appelles cela un défaut ?

HORTENSE.

Dans un mari, certainement.

CLOTILDE.

Ah ! si le mien était ainsi !

HORTENSE.

Je te plaindrais, car en ménage, vois-tu, il faut des qualités qui résistent et qui durent, et les grandes passions ne durent pas... tandis qu’un bon caractère, c’est de tous les temps... M. Bonnivet, par exemple, me semble le chef-d’œuvre des maris... bon, aimable, complaisant.

CLOTILDE.

Je ne dis pas non... il m’aime bien... mais d’un amour si bourgeois, si tranquille !... Un parfait notaire... qui, quelquefois la nuit, me parle de son étude et de ses clients... Ce n’est pas là ce que j’avais rêvé... J’aurais voulu d’un époux qui m’adorât... qui fût tendre, empressé, galant... qui me fît des vers.

HORTENSE.

Un notaire !... y penses-tu ?

Air de la Famille de l’apothicaire.

Il fait des contrats, c’est bien mieux...
Contre toi-même tu conspires :
Car pour toi ses actes poudreux
Se transforment en cachemires.
Un poète ! Dieu ! quel travers !
Tant d’éclat ne vaut pas grand’chose...
Ma chère, la gloire est en vers,
Mais le vrai bonheur est en prose.

Et si, dans ton ménage, tu n’as pas d’autres sujets de chagrin...

CLOTILDE.

C’est ce qui te trompe... car, depuis quelques jours, j’ai beau redoubler d’efforts pour le cacher à mon mari... je suis d’une inquiétude !...

HORTENSE.

Pourquoi donc ?

CLOTILDE.

Une aventure, ma chère !

HORTENSE.

Vraiment ! et tu ne me le dis pas ?

CLOTILDE, baissant la voix.

Un jeune homme qui m’aime, qui m’a fait une déclaration, là-bas, à Boulogne ; qui nous a suivis jusqu’ici à cheval... et qui tout à l’heure encore vient de me répéter, en me présentant une lettre...

HORTENSE, partant d’un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah !... de quel air tu me dis cela !... Qu’y a-t-il donc là de si effrayant ?... Quand ces messieurs sont amoureux de nous, il faut les faire parler et les écouter... c’est très amusant.

CLOTILDE, d’un ton grave.

Oh ! pour moi, c’est bien différent, va... Pour peu que quelqu’un me regarde, ait l’air de m’aimer, la peur me prend, et je deviens toute triste.

HORTENSE.

Pourquoi donc cela ?... Ah ! la crainte de leur faire du chagrin... Je te reconnais bien là... toujours ton bon cœur, que l’on citait au pensionnat... le trépas d’un petit oiseau te faisait pleurer.

CLOTILDE, lui prenant la main, et du ton le plus pénétré.

Ah ! ma chère Hortense... quand on a déjà à se reprocher la mort d’un homme !...

HORTENSE, effrayée.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que tu me dis là ?... La mort d’un homme !... explique-toi.

CLOTILDE.

Je crains...

HORTENSE.

Nous sommes seules... parle vite.

CLOTILDE, regardant autour d’elle.

En effet, personne ne peut nous entendre... C’était aux eaux de Bagnères, il y a environ deux ans... Il y avait là un jeune homme que personne ne connaissait, qui était venu, on ne sait dans quel but, et sans nom de famille... on l’appelait Édouard, Alfred, que sais-je ?... M. Bonnivet l’avait pris en grande amitié, parce qu’il herborisait avec lui, et il ne s’apercevait pas qu’il me faisait la cour.

HORTENSE.

Et tu n’appelles pas cela un bon mari ?

CLOTILDE.

Mais moi, je voyais bien qu’il m’aimait ; car chaque jour il me le disait avec un accent plus vrai, plus passionne... Tu sens bien que je ne voulais ni lui répondre ni même l’écouter.

HORTENSE.

Cela va sans dire.

CLOTILDE, s’attendrissant peu à peu.

Un jour enfin... je le vis paraître pâle, agité, en désordre... Il se mit à mes pieds, et me supplia avec des yeux pleins de larmes, qui me navraient le cœur... Eh bien ! je résistai, je fus sans pitié... Alors il se releva, me dit que, repoussé par moi, la vie lui devenait à charge, et qu’il allait mourir... il s’éloigna, et ma bouche ne s’ouvrit pas pour le rappeler !... Le lendemain, ma chère Hortense, le lendemain, le journal des eaux nous apprit que ce malheureux avait mis fin à ses jours... Une lettre adressée à son domestique l’avertissait de cet affreux dessein... On fit de vaines recherches dans les montagnes, vers lesquelles on l’avait vu se diriger... on ne retrouva que son chapeau à côté d’un précipice.

HORTENSE.

Quelle histoire, juste ciel !

CLOTILDE.

Il s’était tué pour moi !... pour moi !...

HORTENSE.

Mais c’est affreux... Il y avait là de quoi te compromettre... C’est une grave inconséquence de la part de ce jeune homme.

CLOTILDE, avec feu.

Une inconséquence !... l’action la plus courageuse, la plus sublime !... Il fallait aimer vraiment pour cela... il fallait une de ces âmes fortes, puissantes, généreuses...

HORTENSE.

Ah ! bon, voilà que c’est une héros, à présent... Toutes les qualités possibles... parce qu’il est mort !

CLOTILDE.

Pauvre jeune homme !... Ah ! si j’avais su ce qui arriverait !

HORTENSE, vivement.

Eh bien ?...

CLOTILDE.

Eh bien !... dame, que veux-tu ?... on les contente quelquefois avec si peu...

HORTENSE, secouant la tête avec incrédulité.

Si peu, si peu...

CLOTILDE.

Cela vaut toujours mieux que de les laisser mourir.

HORTENSE.

Cependant, ma chère...

CLOTILDE, avec bonté.

Ce n’est pas tant pour eux encore ; mais songe donc qu’ils ont une mère, des sœurs...

HORTENSE.

Oui, mais nous, nous avons des maris.

CLOTILDE, impatientée.

Les maris n’en meurent pas, eux.

HORTENSE.

Il ne manquerait plus que cela !

CLOTILDE.

Tu dois comprendre quels remords, quelle tristesse cet événement m’a laissés...

Air : Je ne vous vois jamais rêveuse (de ma Tante Aurore).

Qu’un amant s’enflamme et s’anime,
Je tremble... et, craignant ses regards,
Je rêve précipice, abîme,
Et partout je vois des poignards.
Un de mort !... c’est déjà terrible !
S’il fallait causer deux trépas !...
Moi, d’abord, je suis trop sensible,
Et si j’étais en pareil cas...

HORTENSE.

  Que ferais-tu ?

CLOTILDE.

  Je ne sais pas...
  Mais, à coup sûr, il ne périrait pas ;
  Non, non, ma chère, il ne périrait pas :
  L’infortuné ne mourrait pas !

Fernand ouvre doucement la fenêtre du balcon, témoigne par  on geste qu’il a tout entendu, et s’esquive sur la pointe des pieds.

HORTENSE.

Ah çà ! mais... et ton inconnu de Boulogne ?... J’espère qu’il est plus raisonnable.

CLOTILDE.

Oh ! d’après mon accueil de ce matin, je suis sûre qu’il y a renoncé et qu’il est reparti... Dans tous les cas, je ne le ménagerai pas, celui-là !

HORTENSE.

Tu feras bien... J’aime beaucoup M. Bonnivet, et ça me ferait vraiment de la peine si...

CLOTILDE.

Que tu es bonne !... Mais je te retiens ici pour te parler de moi, et je t’empêche de te reposer.

HORTENSE.

Je n’en ai pas besoin... Je ne rentre dans ma chambre que pour réparer un peu ma toilette de voyage... J’attends mon frère, qui ne peut tarder.

CLOTILDE.

Des frais de toilette pour un frère ?

HORTENSE.

Et peut-être pour une autre personne... car je ne t’ai pas dit que j’allais au Havre, et il se pourrait bien, quoique je l’aie détendu, qu’on vînt au-devant de moi jusqu’ici.

CLOTILDE.

Vingt-quatre lieues pour te voir une heure plus tôt !... C’est là de l’amour !

HORTENSE.

C’est de l’impatience, et voilà tout... Avant le mariage on ferait deux cents lieues pour voir sa femme ; après, on ne ferais pas vingt pas pour la conduire au bal.

CLOTILDE.

Laisse donc ! M. Bonnivet m’y mènerait tous les soirs, si je le voulais.

HORTENSE.

Et tu te plains !

À demi voix.

Crois-moi, tu ne trouveras jamais mieux... Adieu, adieu... Retourne près de ton mari, et embrasse-le de ma part.

CLOTILDE.

Je le veux bien.

Hortense entre dans la chambre à gauche de l’acteur.

Allons, j’y vais.

 

 

Scène VII

 

CLOTILDE, puis FERNAND

 

Au moment où elle se dirige vers la porte à droite, elle aperçoit Fernand qui entre, la coiffure cl les vêtements en désordre.

CLOTILDE.

C’est lui !... Encore ici !... et je suis seule !... Hâtons-nous.

FERNAND.

Un seul instant !...

CLOTILDE.

Comme il est défait !...

FERNAND.

J’étais parti, Madame, je m’étais éloigné de cette ville...

CLOTILDE.

J’en étais sûre.

FERNAND.

De cette ville, où une sœur chérie m’attendait.

CLOTILDE.

Que dites-vous ?...

FERNAND.

Que je suis le frère d’Hortense ; de Varennes, de votre meilleure amie...

CLOTILDE.

Ô ciel !... Je vais la prévenir.

FERNAND, la retenant.

C’est inutile... ce n’est pas pour elle que je suis revenu sur mes pas... c’est pour vous, pour vous seule, que j’ai voulu revoir encore une dernière fois... Il est impossible, me suis-je dit, que tant d’amour ne trouve pas pitié dans son cœur... Si elle me repousse comme ce soir, comme hier, comme toujours, eh bien ! je m’éloignerai sans murmure, et elle n’entendra plus parler de moi... Cette fois, ma volonté sera forte, comme la sienne, et mon projet s’exécutera.

CLOTILDE.

Je n’ose vous comprendre !... Mais vous savez, Monsieur, que je ne puis vous écouter, que mon mari...

FERNAND.

Votre mari !... Ah ! voilà ce nom qui m’a exaspéré... ce nom qui tout à l’heure, après vos derniers refus, est venu se placer comme une barrière devant le bonheur que j’avais rêvé... La seule femme que je puisse aimer, celle dont dépend mon avenir, je la vois au pouvoir d’un autre; et cet autre, elle l’aime... car pour lui elle me repousse, elle me condamne à mourir... Cette pensée était affreuse... Alors, je n’ai plus consulté que le désespoir... et le désespoir, Madame, ne donne qu’un conseil, n’inspire qu’une résolution.

CLOTILDE.

Malheureux !...

FERNAND.

Que m’importe à présent une vie sans espérance et sans but ?... Ma vie, c’est vous... et vous ne voulez pas que je vive !

CLOTILDE.

Calmez-vous, avez donc un peu de raison...

À part.

Que lui dire ?...

Haut et vivement.

Oh ! tenez, je vous en conjure, au nom de votre sœur qui vous aime tant...

FERNAND.

C’est aussi en son nom que, moi, je vous supplie... voulez-vous quelle n’ait plus de frère ?

CLOTILDE, à part.

Ô ciel !... Cette pauvre Hortense... qui n’a que lui de famille...

Se retournant et voyant Fernand ouvrir la boite de pistolets qui était restée sur la table.

Monsieur, que faites-vous ?

FERNAND, qui a pris un pistolet.

Votre silence est un arrêt...

CLOTILDE.

Tout mon sang se glace !...

FERNAND, avec désespoir.

Vous voulez ma mort !...

CLOTILDE.

Monsieur !...

FERNAND, de même.

Vous l’avez prononcée !...

CLOTILDE, courant à lui.

Mais pas du tout, mais au contraire !... Car enfin, Monsieur, que voulez-vous ? que demandez-vous ?

FERNAND, se rapprochant vivement.

Oh ! bien peu... rien qu’un moment d’entretien.

CLOTILDE.

Et mon mari que j’attends, qui va rentrer !

FERNAND.

Eh bien ! tantôt, dans cette salie, à quatre heures, quand votre mari sera sorti... Je me charge de l’éloigner.

CLOTILDE.

Eh quoi !...

FERNAND.

La promesse de m’entendre sans colère, voilà tout... Un amour comme le mien ne forme pas d’autre vœu.

CLOTILDE, à part.

Il n’est pas trop exigeant... L’autre, l’ancien, demandait bien plus...

Haut.

À ce prix, consentez-vous à me remettre ces armes qui me font tant de peur ?...

FERNAND.

À l’instant.

CLOTILDE.

Donnez.

Fernand s’avance pour lui présenter la boite de pistolets. Clotilde recule effrayée.

Non ! non ! ne donnez pas... Fermez la boîte et portez-la vous-même dans ce secrétaire.

FERNAND.

J’obéis...

Il porte la boîte dans le secrétaire, et s’en éloigne. Clotilde court au secrétaire et le ferme.

Que faites-vous ?

CLOTILDE.

Moi, je le ferme, et j’en garde la clef.

Elle met la clef à sa ceinture.

Maintenant, je suis plus tranquille.

Ensemble.

Air de valse.

FERNAND.

À ce soir !... Douce espérance,
Qui met un terme à ma souffrance !
Ah ! qu’ici l’heure s’avance
Au gré de mon impatience !...
Songez bien au serment, qui vous lie,
Et, je vous en supplie,
Soyez au rendez-vous,
À ce soir, etc.

CLOTILDE.

  Je frémis ! car l’espérance
  Chez lui succède à la souffrance,
  Et déjà, lorsque j’y pense,
  L’effroi saisit mon cœur d’avance.
  Pourtant ma promesse me lie,
  Et sa voix me supplie :
  Hélas ! résignons-nous.
  Je frémis, etc.

Elle entre dans la chambre à droite.

FERNAND, seul.

À ce soir ! elle y consent !... Oh ! l’excellent moyen ! C’est fini, je ne veux plus me servir que de celui-là... Les femmes ont pour elles les attaques de nerfs... il faut bien que nous ayons quelque chose.

 

 

Scène VIII

 

SAUVIGNY, FERNAND

 

SAUVIGNY.

Le maudit postillon ! être ainsi en retard !

FERNAND.

Qui vient là ?... Sauvigny !... notre amoureux du Havre ! mon ancien camarade du lycée !

SAUVIGNY, courant à lui.

Moucher Fernand !... Y a-t-il longtemps que vous êtes arrivés ?

FERNAND.

Moi, depuis quelques heures... ma sœur, il n’y a qu’un instant.

SAUVIGNY.

Et je n’étais pas là pour la recevoir... pour lui offrir la main !... Je suis au désespoir.

FERNAND.

Il n’y a pas de quoi.

SAUVIGNY.

Si vraiment... J’avais ordonné au postillon d’aller si vite, qu’il nous a versés... Une roue cassée, un cheval tué, deux heures de perdues... est-ce malheureux !

FERNAND.

Pour le cheval...

SAUVIGNY.

Pour moi, mon cher ami, pour moi qui espérais précéder ici madame de Varennes... J’ai si peu d’occasions de lui prouver mon amour, elle a tant de peine à y croire !...

FERNAND.

Mais du tout... ma sœur est persuadée que tu l’adores... je le lui ai dit, et elle a confiance en moi.

SAUVIGNY.

Pourquoi alors ne pas se décider quand je lui offre ma main et ma fortune ?

FERNAND.

Pourquoi ?... parce qu’elle a été malheureuse avec un premier mari qui l’adorait, et qu’elle se défie des grandes passions et de leur durée... Elle craint que tu ne changes.

SAUVIGNY, avec chaleur.

Moi, changer !... On voit bien qu’elle ne me connaît pas... mais je ne change jamais : quand j’aime, c’est pour la vie... et je n’ai jamais aimé que ta sœur, c’est la seule.

FERNAND, froidement.

Je le veux bien.

SAUVIGNY, de même.

Je le lui ai dit, je le lui ai juré, et c’est la vérité.

FERNAND.

Tu me dis cela, à moi... qu’est-ce que cela me fait ? Tu es un brave garçon... c’est tout ce qu’il faut pour un beau-frère, et ma sœur t’épousera.

SAUVIGNY.

Tu en es sûr ?...

FERNAND.

Je t’en réponds... Et si elle tardait trop à se décider, je t’enseignerais un moyen...

SAUVIGNY.

Lequel ?

FERNAND.

Un moyen dont je viens de faire la découverte, et qui est d’un effet immanquable auprès des dames.

SAUVIGNY, vivement.

Air : Du Partage de la richesse.

Ah ! dis-le-moi.

FERNAND.

  De sa vertu secrète
  Il faut user sobrement, mon ami :
  Et je pourrai te donner ma recette...
  Mais quand je m’en serai servi.
  Je veux bien que tu t’enrichisses
  De ce moyen, qui fera ton bonheur ;
  Mais après moi... les premiers bénéfices
  Appartiennent à l’inventeur.

SAUVIGNY.

C’est trop juste... Mais tu me promets ?...

FERNAND.

À une condition.

SAUVIGNY, vivement.

Je l’accepte d’avance.

FERNAND.

Un service à te demander.

SAUVIGNY.

Est-ce de l’argent ?... ma bourse est à tes ordres.

FERNAND.

Eh ! non vraiment.

SAUVIGNY, allant à la table.

Un bon sur mon caissier ?... entre beaux-frères, on ne fait pas de façons...

FERNAND.

Il ne s’agit pas de cela... plus tard, je ne dis pas, c’est possible... Mais dans ce moment, ce n’est pas là ce qui me gêne... c’est un mari.

SAUVIGNY.

Un mari ?

FERNAND.

Qu’il faut éloigner, et je compte sur toi.

SAUVIGNY.

Moi, qui n’ai pas encore vu ta sœur ?

FERNAND.

Elle est à sa toilette, et ne peut te recevoir ; et d’ailleurs, ce n’est pas encore maintenant... c’est à quatre heures qu’il faut l’emmener.

SAUVIGNY.

Et où ça ?

FERNAND.

Où tu voudras... Tu iras avec lui visiter les quais, la cathédrale, acheter de la gelée de pommes de Rouen... cela te regarde.

SAUVIGNY.

Mais ce mari, je ne le connais seulement pas.

FERNAND.

Qu’importe ? tous les maris se ressemblent... Et puis, celui-là a un avantage... c’est un notaire... on peut toujours lui parler de ventes, d’achats, de donations...

Air : Vos maris en Palestine.

Tu peux broder sur ce texte :
Un tel époux... c’est de droit,
Ne veut pas d’autre prétexte ;
Car au public il se doit...
Allons, tâche d’être adroit.

SAUVIGNY.

Puis-je ainsi, je t’en fais juge,
Aider à tromper un mari ?

FERNAND.

Tu le peux encore aujourd’hui...
Jusqu’au moment où, transfuge,
Tu passeras à l’ennemi.

Tiens... tiens, le voilà.

 

 

Scène IX

 

BONNIVET, FERNAND, SAUVIGNY

 

BONNIVET, portant plusieurs paquets.

Ma femme et ma petite fille seront contentes... car je leur ai trouvé là les deux plus jolies robes...

Il salue Fernand, puis s’avançant et apercevant Sauvigny.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que je vois !...

SAUVIGNY, courant à lui.

Monsieur Bonnivet !...

FERNAND.

Tu sais son nom ?...

SAUVIGNY.

Oui... oui... mon ami.

BONNIVET, stupéfait.

Vous que j’ai cru mort !

FERNAND.

Comment cela ?

BONNIVET.

Votre lettre... votre disparition de Bagnères...

SAUVIGNY.

Monsieur !...

BONNIVET.

Ce n’est donc pas vrai ?... vous existez encore ?... J’en suis ravi... car je vous aimais de tout mon cœur, et c’est un grand plaisir de se retrouver ainsi.

FERNAND.

C’est charmant... vous voilà en pays de connaissance...

Bas à Sauvigny.

Et tu peux le mener maintenant aussi loin que tu voudras... À quatre heures, n’oublie pas...

Haut.

Adieu, je vais faire tes affaires... n’oublie pas les miennes.

Il entre dans la chambre à gauche.

 

 

Scène X

 

BONNIVET, SAUVIGNY

 

BONNIVET.

Que je vous regarde encore... Vous que nous avons tous pleuré à Bagnères-de-Luchon !... vous dont le journal a imprimé le suicide et la mort bien constatée !... C’est un miracle à crier partout.

SAUVIGNY, vivement.

Au contraire !... et je vous prie en grâce de ne point parler de cette aventure... ici surtout.

BONNIVET.

Pourquoi donc ?... un suicide par amour !

SAUVIGNY.

Raison de plus... Cela me perdrait... cela ferait manquer mon mariage.

BONNIVET.

Comment cela ?

SAUVIGNY.

Vous êtes un galant homme... un homme discret...

BONNIVET.

Un notaire... c’est mon état...

SAUVIGNY.

On peut se fier à vous, et d’ailleurs vous m’avez toujours témoigné tant d’amitié...

Après un court silence.

Apprenez donc que lorsque je vous ai rencontré aux eaux de Bagnères... j’étais attaqué d’une maladie nerveuse qui avait produit sur moi une sensibilité si vive, que j’étais amoureux de toutes les femmes... une surtout...

BONNIVET.

Cette belle Anglaise ?

SAUVIGNY.

Non.

BONNIVET.

La femme du médecin des eaux ?

SAUVIGNY.

Du tout.

BONNIVET.

Et qui donc ?

SAUVIGNY.

Ça ne fait rien à l’histoire.

BONNIVET.

J’y suis... cette jolie comtesse ?

SAUVIGNY.

Si vous voulez... d’autant qu’inflexible et sévère, elle me traita avec tant de cruauté, qu’entraîné par le délire, le paroxysme de la passion, peut-être aussi par cette maladie nerveuse dont je vous parlais... j’avais pris la résolution d’en finir... mais une bonne et solide résolution... J’y allais franchement... Et le genre de mort que j’avais choisi, comme le plus en harmonie avec l’état de mes idées, consistait à me précipiter dans un de ces abîmes si fréquents sur les Pyrénées... Il y avait là-dedans du grandiose.

BONNIVET.

Oui... en extravagance.

SAUVIGNY.

C’est possible.... Or donc, après avoir écrit à mon domestique, pour lui faire cadeau de mes effets et prier qu’on n’inquiétât personne à cause de moi... je me dirigeai vers le lieu adopté... C’était le matin... et tout en marchant, déjà je me calmais.... Je me sentais refroidi.... J’avais les pieds dans la neige et il faisait un vent de tous les diables.

Air du vaudeville de Turenne.

Mais arrivé sur le bord du cratère.
Dont je soudais l’horrible profondeur,
Un mouvement involontaire
Me fit reculer de terreur !
Puis, je revins, honteux de ma frayeur...
Mais de nouveau sentant mon cœur s’abattre,
Je reculai, les yeux troublés...

BONNIVET.

Comment ! deux fois ?

SAUVIGNY.

  Parbleu ! vous qui parlez,
  Je vous le donnerais en quatre !

Enfin, bien malgré moi, et par respect humain, j’allais peut-être m’élancer les yeux fermés... quand tout à coup, dans la montagne, un grand bruit se fait entendre... C’était... devinez ?

BONNIVET.

Une avalanche ?

SAUVIGNY.

Non... Charles d’Avernais, un de mes amis, et quelques jeunes gens de ma connaissance, des artistes, des peintres, qui faisaient la chasse aux chamois... Ils riaient tant, ils étaient d’une telle gaieté, que je n’osai leur raconter mon histoire, de peur qu’un ne se moquât de moi... Et quand ils se mirent tous à crier : « Viens avec nous ! viens avec nous ! » je me dis : Je me tuerai tantôt, à midi, aussi bien que maintenant, et même j’aurai plus chaud... Me voilà donc chassant le chamois, courant dans les montagnes... perdant mon chapeau, mon mouchoir, et arrivant enfin au rendez-vous harassé et mourant de faim.

BONNIVET.

Vous aviez faim ?

SAUVIGNY.

Je dévorais... un appétit de chasseur, ou plutôt de revenant... car j’avais tout à fait oublié l’affaire principale... J’étais à cent lieues de mon abîme et je me disais : Si le désespoir m’a permis de vivre trois heures et demie.... j’irai bien à quatre, cinq, douze... et ainsi de suite... Dans ces cas-là, il n’y a que le premier pas qui coûte... Voilà mon raisonnement, le meilleur, sans contredit, que j’aie jamais fait à mon usage... Mais le plus difficile n’était pas de revenir à la vie... c’était de rentrer à Bagnères... Comment m’exposer aux brocards, aux quolibets ?... donner un démenti au journal ?... Et puis, aux yeux de celle que j’aimais, comment me présenter vivant ?... ce n’était pas possible... Aussi, prenant mon parti et une place dans la diligence de Tarbes, je revins à Paris, de là au Havre où mon père me mit à la tête de son commerce... Et depuis ce temps, les sucres, les cafés, les cotons... j’ai été si occupé...

BONNIVET.

Que vous n’avez plus trouvé un moment pour vous tuer...

SAUVIGNY.

C’est vrai... Et puis j’ai fait fortune... une belle fortune, ce qui distrait toujours un peu et donne d’autres idées... des idées de mariage.

BONNIVET.

Je comprends... cette fortune... vous voulez maintenant l’offrir à votre ancienne passion.

SAUVIGNY.

Non, à une autre...

BONNIVET, riant.

De sorte que cet amour qui devait être éternel...

SAUVIGNY.

Existe encore plus ardent, plus brûlant, si c’est possible... C’est toujours le même... seulement il a changé d’objet.

BONNIVET.

C’est le phénix qui renaît de sa cendre.

SAUVIGNY.

Voilà... Une veuve charmante, adorable... mais, malgré mon amour, je n’ai pu encore obtenir un consentement formel... elle se défie de moi et de ma constance.

BONNIVET, froidement.

Elle a bien tort.

SAUVIGNY.

Et comme elle est ici, dans cet hôtel, pour un jour ou deux, si vous vous avisiez de parler devant elle de cette malheureuse histoire de Bagnères...

BONNIVET.

Pauvre jeune homme ! soyez tranquille, je ne vous trahirai pas, et s’il faut même vous aider...

SAUVIGNY.

Ah ! Monsieur ! tant de bonté, de générosité, après ce que j’ai fait ! J’en ai vraiment dis remords... car si vous saviez...

BONNIVET.

Quoi donc ?

SAUVIGNY, voyant la porte à gauche qui s’ouvre.

Rien... c’est celle que j’aime... la voici avec son frère.

BONNIVET.

Hortense de Varennes ?

SAUVIGNY.

Vous la connaissez ?

BONNIVET.

C’est l’intime amie de ma femme.

SAUVIGNY, avec effroi.

De sa femme !

 

 

Scène XI

 

BONNIVET, SAUVIGNY, HORTENSE, FERNAND

 

Fernand et Hortense sortent de la chambre à gauche.

HORTENSE, saluant.

Je viens d’apprendre votre arrivée, Monsieur, et j’attendais votre visite.

SAUVIGNY, troublé.

J’ignorais si vous étiez visible... et puis j’ai trouvé ici un ami... un ami véritable.

HORTENSE, souriant.

Vous en avez beaucoup ; car voici mon frère qui depuis une demi-heure a plaidé votre cause avec tant de chaleur...

FERNAND.

J’ai tenu mes promesses... songe aux tiennes.

HORTENSE.

Quoi donc ?

SAUVIGNY.

Rien... Il vous a dit que mon amour, que ma tendresse, ma constance... qui, je le jure, sera éternelle...

HORTENSE.

Eh ! mais ! somme vous êtes ému !

SAUVIGNY.

Quand je vous vois... et, en outre, je me trouve dans une position...

BONNIVET, s’avançant.

Si gênante !...

HORTENSE, l’apercevant.

Ah ! monsieur Bonnivet... Eh mais ! où est donc cette chère Clotilde ?

BONNIVET.

Dans sa chambre probablement.

HORTENSE, à Sauvigny.

Je veux vous présenter à elle, à ma meilleure amie.

SAUVIGNY.

Ô ciel !...

Bas à Bonnivet.

C’est fait de moi ! sa surprise, son effroi !...

BONNIVET.

C’est juste.

HORTENSE, passant entre Bonnivet et Sauvigny et lui tendant la main.

Venez !

SAUVIGNY.

Pardon... une affaire importante... dont je parlais à M. Bonnivet, et dont il a la bonté de s’occuper...

FERNAND, bas à Sauvigny.

C’est bien.

SAUVIGNY.

Il faut que nous nous rendions ensemble chez un notaire de Rouen.

FERNAND, de même.

C’est cela.

SAUVIGNY.

Dont l’étude est toujours fermée de bonne heure.

FERNAND.

Et voilà quatre heures qui vont sonner.

BONNIVET, prenant son chapeau.

Je suis à vos ordres.

FERNAND, à part.

L’excellent homme !

SAUVIGNY, à Hortense.

Vous ne m’en voulez pas, je pense ?

HORTENSE.

De vous occuper de vos affaires ?... au contraire... c’est agir en homme raisonnable et sensé. D’ailleurs, j’ai aussi des emplettes à faire... chez Cadot-Anquetin... Vous me conduirez jusque-là... je vous laisserai ensuite avec M. Bonnivet, dont j’aime à vous voir prendre les leçons... et puis tantôt, à dîner, car nous dînons tous ici ensemble, avec M. Bonnivet et sa femme...

SAUVIGNY.

Sa femme !

À part.

Heureusement que d’ici là nous l’aurons prévenue.

Air du quatuor du quatrième acte de Gustave.

Ensemble.

FERNAND.

Ah ! quel bonheur je me promets,
Et que ce jour aura d’attraits !
Quel espoir ! (bis.)
Je pourrai donc la voir.
Oui dans l’instant, combien ces lieux
Vont tout à coup charmer mes yeux !
Et soudain s’embellir
Par l’attrait du plaisir !

BONNIVET, à Sauvigny.

Je veux servir vos intérêts,
En cachant vos anciens projets ;
Aujourd’hui, (bis.)
Je serai votre appui.
Évitez ma femme en ces lieux :
Avant de paraître à ses yeux,
Je veux la prévenir,
Et tout doit réussir.

HORTENSE.

À peine je le reconnais :
D’où viennent ses regards distraits ?
Près de moi, (bis.)
Qu’a-t-il donc, et pourquoi
Cet embarras, lorsqu’à mes yeux
Il devrait paraître joyeux ?
Craint-t-il de réussir ?
Je n’en puis revenir.

SAUVIGNY.

Quand il défend mes intérêts.
Et lorsqu’il sert tous mes projets.
Quoi ! c’est lui (bis.)
Que je trompe aujourd’hui ?
Ah ! je le sens, ah ! c’est affreux !
Je ne puis rester en ces lieux ;
Mais pour le secourir.
Je veux y revenir.

FERNAND, bas à Sauvigny.

  Mais va-t’en donc.

SAUVIGNY, passant à la droite.

  Ah ! quel supplice !

BONNIVET, riant.

Il divague, et se croit vraiment
Toujours au bord du précipice.

SAUVIGNY, regardant Bonnivet avec intérêt.

  Et lui donc, lui, dans ce moment !

Reprise de l’ensemble.

FERNAND.

Ah ! quel bonheur je me promets.
Etc., etc., etc.

HORTENSE.

À peine je le reconnais.
Etc., etc., etc.

BONNIVET.

Je veux servir vos intérêts,
Etc., etc., etc.

SAUVIGNY.

Quand il défend mes intérêts,
Etc., etc., etc.

Bonnivet, Sauvigny et Hortense sortent.

 

 

Scène XII

 

FERNAND, seul

 

Enfin, ils sont partis tons les trois ; je reste maître de la place, et seul de ce côté de l’hôtel... seul avec elle !... Cette fois, il faudra bien qu’elle m’entende ; il faudra bien enfin que je m’explique... mais avant tout, de la prudence ; et de peur de sui prise, empêchons l’ennemi de venir jusqu’à nous...

Montrant la porte du fond.

On ne peut venir du dehors que par cette porte... en la fermant au verrou...

Il met le verrou et aperçoit Clotilde qui entre par la porte à droite.

C’est elle ! Il était temps !

 

 

Scène XIII

 

CLOTILDE, sortant de la porte à droite, FERNAND, au fond du théâtre

 

CLOTILDE, sans le voir.

Quatre heures viennent de sonner... heureusement mon mari n’est pas encore rentré... Je me soutiens à peine... Ah ! J’ai une frayeur !...

Elle passe à gauche du théâtre ; se retournant et apercevant Fernand.

Le voilà !

FERNAND, s’avançant près d’elle.

Oh ! que vous êtes bonne !... Laissez-moi tomber à vos genoux et vous bénir comme mon ange gardien... Ah ! Madame, vous sauvez la vie d’un malheureux !

CLOTILDE, avec candeur.

Oh ! bien certainement, c’est pour vous sauver la vie... sans cela...

FERNAND.

Je n’ose croire à tant de bonheur... et cependant c’est bien vous, là, près de moi, et nous sommes seuls, et je puis vous dire que je vous aime, que désormais je ne puis vivre loin de vous !

CLOTILDE.

Parlez plus bas... votre sœur...

FERNAND.

Je l’ai éloignée.

CLOTILDE.

Mais mon mari ?...

FERNAND.

Je l’ai remis en mains sûres.

CLOTILDE, effrayée.

Ah ! mon Dieu !

FERNAND, la retenant.

Vous m’avez promis de m’écouter.

CLOTILDE.

Et qu’est-ce que je fais donc ?

FERNAND.

Oui, c’est beaucoup, sans doute... mais suffit-il de m’écouter, si vous vous obstinez à ne pas comprendre tout ce qui se passe au fond de mon âme ?... et pour cela il ne faudrait pas détourner vos regards que j’implore...

Il s’approche davantage.

CLOTILDE, voulant s’éloigner.

Monsieur !... Monsieur !... est-ce là ce que vous m’avez promis ?... Oh ! je m’en souviens, moi... vous m’avez juré que la raison...

FERNAND.

La raison ! et quel empire pourrait-elle conserver sur celui qui ne se connaît plus ?... sur celui dont l’âme est en proie au plus violent désespoir ?

CLOTILDE, effrayée et à part.

Ô ciel !

Haut.

Certainement, Monsieur, je serais désolée d’être cause d’un malheur... vous le voyez bien... Mais vous, de votre côté, aidez-vous un peu et soyez raisonnable... car, enfin, vous ne demandiez ce matin que juste ce qu’il fallait pour vivre.

FERNAND.

Et à quoi me servira cette vaine faveur ? à prolonger de quelques jours mon existence.

CLOTILDE.

Que dites-vous ?

FERNAND.

Que je ne serai pas mort à vos yeux que vous vous serez épargné un pareil spectacle... voilà tout.

Avec égarement.

Mais demain. Madame, nous serons séparés !... Demain, vous partirez !...

CLOTILDE.

Certainement... Aujourd’hui, si je le peux.

FERNAND, avec frénésie.

Et vous voulez que je vive !

CLOTILDE.

Eh bien ! non, Monsieur, non, je ne partirai pas demain, je vous le promets.

Air : On me dit gentille (de Labarre).

Ah ! quelle souffrance !
Il y va, je pense.
De son existence...
Point de cruauté.
Je tremble, je n’ose !
Voyez, et pour cause,
À quoi l’on s’expose
Par humanité.

FERNAND.

Ah ! si ma voix a su se faire entendre,
Si vous avez pitié d’un malheureux,
Prouvez-le-moi par un regard plus tendre,
Un seul regard !... ou j’expire à vos yeux !
Ou j’expire à vos yeux !

CLOTILDE, à part.

Ah ! quelle souffrance !
Il y va, je pense,
De son existence...
Point de cruauté.

Elle le regarde avec douceur, et dit à part.

C’est si peu de chose !
Mais voyez, pour cause,
À quoi l’on s’expose
Par humanité.

Se rapprochant de Fernand.

Mais désormais vous jurez de suspendre
Vos noirs projets ?...

FERNAND.

  Pour qu’il soient oubliés,
  Sur cette main que vous daignez me tendre,
  Un seul baiser... ou je meurs à vos pieds !
  Ou je meurs à vos pieds !

CLOTILDE, à part.

Ah ! quelle souffrance !
Il y va, je pense.
De son existence...
Point de cruauté.

Elle lui laisse baiser sa main, et dit à part.

C’est bien peu de chose...
Mais voyez, pour cause,
À quoi l’on s’expose
Par humanité.

ENSEMBLE.

C’est bien peu de chose, etc.

FERNAND, qui s’est jeté à ses pieds.

Délire et tendresse !
Sa main que je presse
Fait battre d’ivresse
Mon cœur enchanté !

CLOTILDE, se défendant et le repoussant.

Monsieur !... Monsieur !..

On frappe à la porte.

Silence !

BONNIVET, en dehors.

Ma femme, ouvre-moi.

CLOTILDE.

C’est mon mari !

FERNAND, à part.

Comment diable Sauvigny l’a-t-il laissé échapper ?

CLOTILDE, à voix basse.

Partez, de grâce !

FERNAND, de même.

À condition qu’aussitôt son départ nous reprendrons cet entretien... Vous me le promettez ?

CLOTILDE, hors d’elle-même.

Oui... oui, tout ce que vous voudrez, si vous partez à l’instant !...

FERNAND, pendant que l’on frappe encore.

Et par où ?... Ah ! la chambre de ma sœur... c’est un asile assuré...

CLOTILDE, voyant qu’il s’y enferme.

Surtout, quoi qu’il arrive, n’en sortez pas... Et moi, allons ouvrir cette porte... Mon Dieu ! mon Dieu ! que de peine pour lui sauver la vie !

Elle va ouvrir la porte du fond.

 

 

Scène XIV

 

CLOTILDE, BONNIVET

 

BONNIVET.

Pardon, chère amie, de t’avoir dérangée.

CLOTILDE, à part.

Il me demande pardon encore !

BONNIVET.

Tu étais dans ta chambre et tu ne m’as pas entendu ?

CLOTILDE, troublée.

C’est vrai... c’est pour cela que je vous ai fait attendre.

BONNIVET.

Il n’y a pas grand mal... pour moi, du moins... mais je ne suis pas venu seul.

À part.

Usons de précautions oratoires...

Haut.

Il y a là, avec moi, quelqu’un pour qui les moments sont précieux.

CLOTILDE.

Et qui donc ?

BONNIVET.

Une personne que tu ne t’attends pas à revoir, et qui désire instamment t’être présentée.

CLOTILDE.

Et pourquoi ?

BONNIVET.

Pour te demander une grâce que tu ne lui refuseras pas.

CLOTILDE.

Eh ! mon Dieu. On ne voit aujourd’hui que des gens qui demandent... Qu’il vienne donc, qu’il se dépêche, qu’il paraisse.

BONNIVET.

À condition que tu n’auras pas peur ?...

CLOTILDE.

Eh mais ! voilà que vous m’effrayez !...

BONNIVET.

Que tu ne jetteras aucun cri d’effroi ?...

CLOTILDE.

Mais qu’est-ce donc ?...

Apercevant Sauvigny qui vient d’entrer, elle pousse un cri.

Ah !...

Bonnivet la soutient.

 

 

Scène XV

 

CLOTILDE, BONNIVET, SAUVIGNY

 

Air : L’amour de la patrie (Wallace).

Ensemble.

CLOTILDE.

Ô ciel ! terreur soudaine !
Est-ce un rêve imposteur ?
Je me soutiens à peine
Et tremble de frayeur.

BONNIVET et SAUVIGNY.

Quelle terreur soudaine
S’empare de son cœur !
Elle respire à peine
Et tremble de frayeur.

SAUVIGNY.

Qu’ici votre cœur se rassure.

CLOTILDE.

Non, je ne puis y croire encor.

SAUVIGNY.

  C’est moi, c’est bien moi, je le jure...
  Je veux mourir, si je suis mort !

Reprise de l’ensemble.

CLOTILDE.

Ô ciel ! terreur soudaine !
Etc., etc.

BONNIVET et SAUVIGNY.

Quelle terreur soudaine !
Etc., etc.

SAUVIGNY, à part.

Quel bonheur qu’Hortense n’ait pas été là !

CLOTILDE, encore troublée.

C’est bien vous... vous qui existez encore ?...

SAUVIGNY, d’un air honteux et balbutiant.

Je... je voudrais en vain le nier.

BONNIVET.

Il est même très bien portant.

CLOTILDE, d’un ton de reproche.

Et comment, Monsieur, n’êtes-vous pas mort ?...

SAUVIGNY.

Je vous en demande bien pardon... Ce n’est pas ma faute.

BONNIVET.

Oui, tu sauras tout... nous te le conterons en détail, ça t’amusera... car moi, ce matin, il m’a bien fait rire.

SAUVIGNY, d’un air suppliant.

Monsieur !

BONNIVET, vivement.

Vous avez raison... ce n’est pas là ce qui nous amène... Il s’agit en ce moment de lui sauver la vie.

CLOTILDE, étonnée.

Encore !...

BONNIVET, vivement.

Il y a ici quelqu’un qu’il aime et qu’il va épouser.

CLOTILDE, indignée.

Lui ! grand Dieu !

SAUVIGNY, baissant les yeux.

Hélas ! oui.

BONNIVET.

Ta bonne amie Hortense, madame de Varennes.

CLOTILDE, stupéfaite.

Ô ciel !... ce prétendu, ce jeune homme du Havre dont elle me parlait ce matin ?

BONNIVET.

C’est lui.

CLOTILDE.

Cet amant à qui elle ne reprochait qu’un excès de passion ?

BONNIVET.

C’est lui.

CLOTILDE.

Ce cœur qui n’avait jamais aimé qu’elle, et qui devait l’aimer toujours ?

BONNIVET.

C’est lui.

CLOTILDE.

Quelle horreur !... elle saura tout... elle connaîtra la vérité !

BONNIVET.

Voilà justement ce qu’il ne faut pas faire.

SAUVIGNY.

Oui, Madame, je vous en conjure...

BONNIVET.

Nous te prions en grâce de garder le silence.

CLOTILDE.

Je laisserais tromper ma meilleure amie !

BONNIVET.

Mais il ne la trompe pas... il l’aime réellement, il en perd la raison.

CLOTILDE, en hésitant.

Et l’autre ?... et la personne de Bagnères ?...

BONNIVET.

Il ne l’aime plus... il ne l’a jamais aimée... il me l’a dit.

SAUVIGNY, vivement.

Je n’ai pas dit cela !

BONNIVET.

À peu près.

SAUVIGNY.

Je vous ai avoué qu’elle méritait toute ma tendresse, et que je l’avais réellement adorée...

BONNIVET.

Oui, un jour... une matinée... Il se fait là plus coupable qu’il n’était... Une passion de jeune homme, un caprice, une plaisanterie...

CLOTILDE.

Une plaisanterie !... quand il voulait se tuer !...

SAUVIGNY, vivement.

Oui, Madame, j’y étais bien décidé, je vous le jure, et la seule considération qui m’en ait empêché...

BONNIVET.

C’est un déjeuner qu’on lui a offert... des amis et du vin de Champagne qu’il a rencontrés... et une demi-heure après il n’y pensait plus... Il m’a tout raconté.

SAUVIGNY.

Monsieur...

BONNIVET.

Et vous avez bien l’ait, et je vous approuve.

CLOTILDE.

C’est une indignité !...

BONNIVET.

Du tout... et tu aurais tort de lui en vouloir... C’est tout simple, tout naturel... celui qui jure d’être toujours amoureux est un fou, un insensé qui s’abuse lui-même... Est-ce que ça dépend de lui ? est-ce qu’il en est le maître ?... Autant vaudrait jurer de toujours se bien porter.

CLOTILDE.

À la bonne heure... mais menacer de se donner la mort ?

BONNIVET.

Laisse-moi donc tranquille... est-ce que tu crois ça ?

CLOTILDE, regardant Sauvigny.

Mais... jusqu’à présent, j’y croyais.

BONNIVET, riant.

Ma pauvre femme !

CLOTILDE.

Vous riez de moi ?

BONNIVET.

Sans doute... tout le monde le dit et personne ne le fait... Témoin Monsieur, qui était de bonne toi... à plus forte raison quand ils ne le sont pas, quand ils jouent la comédie.

CLOTILDE, poussant un cri d’indignation.

Ah !...

BONNIVET.

Qu’as-tu donc ?

CLOTILDE, passant à gauche.

Rien...

À part.

Et moi qui tout à l’heure, ici même !...

Regardant la porte de la chambre ou Fernand s’est enfermé. Haut.

La présence de Monsieur me rend un grand service, et je le reconnaitrai en gardant le silence qu’il me demande.

SAUVIGNY.

Est-il possible !...

BONNIVET.

Quand je vous disais que c’était la bonté même.

CLOTILDE, regardant la porte à gauche.

Oui... une bonté...

À part, avec dépit.

dont on ne se sera pas joué impunément...

Haut.

Mais Hortense, où donc est-elle ?

BONNIVET.

Nous l’avons laissée faisant des emplettes.

CLOTILDE, qui s’est mise à la table et qui écrit.

Eh bien, mon ami, il faut tâcher de la rejoindre et de lui donner ou de lui faire parvenir ce petit mot...

À Sauvigny.

Ne craignez rien... je neveux pas vous trahir... au contraire...

À Bonnivet.

Mais il est nécessaire que ce billet lui soit remis sur-le-champ... ou du moins avant dîner.

BONNIVET.

Sois tranquille... Il y a un magasin de nouveautés par le quel elle devait finir ses courses... Je vais y envoyer un des commissionnaires de l’hôtel.

CLOTILDE, lui remettant la lettre qu’elle vient de cacheter.

À la bonne heure.

BONNIVET.

Et, en attendant son retour, veux-tu que nous fassions une promenade sur les quais ?...

CLOTILDE.

Je préfère rester.

BONNIVET.

Comme tu voudras... Je reste aussi.

CLOTILDE.

Non, il vaudrait mieux sortir quelques instants, vous promener un peu.

BONNIVET.

C’est juste, avec ma fille... il fait un soleil superbe... et cette pauvre petite Ninie qui n’a pas pris l’air d’aujourd’hui...

SAUVIGNY, à part.

Ah ! mon Dieu ! elle veut l’éloigner... Serait-ce pour Fernand ?...

BONNIVET.

Venez-vous, mon jeune ami ?...

SAUVIGNY, à part.

Ah ! l’honnête homme !... Et comment le prévenir ?...

Haut.

Non, non ; j’ai des lettres à écrire, et je reste...

À part.

Pour veiller sur lui.

Il entre, sans être vu, dans le cabinet à droite.

BONNIVET.

Adieu, femme.

CLOTILDE, l’embrassant.

Adieu, mon ami.

BONNIVET.

C’est gentil... Il y a longtemps que tu ne mas embrassé ainsi.

Il sort par le fond.

 

 

Scène XVI

 

CLOTILDE, FERNAND

 

CLOTILDE, après avoir fermé la porte du fond, allant à la porte à gauche.

Vous pouvez sortir... tout le monde est parti.

Elle prend une chaise et son ouvrage, et s’assied au milieu du théâtre.

FERNAND.

Ah ! Madame, qu’elles m’ont paru longues, ces minutes d’attente !... Mon cœur battait avec tant de violence, que je sentais s’épuiser en moi les sources de la vie... et dans ce moment encore, je me soutiens à peine.

CLOTILDE, froidement.

Eh bien... il faut vous asseoir.

FERNAND, avec chaleur.

M’asseoir !... quand je suis près de vous !... quand je vous contemple avec ivresse !

CLOTILDE, s’occupant de son ouvrage.

Je vois que les forces vous reviennent.

FERNAND.

Elles me reviennent pour souffrir... pour souffrir plus que jamais.

CLOTILDE, faisant de la tapisserie.

Cela serait fâcheux... car enfin, après tout ce que nous avons fait vous et moi... s’il n’y avait pas de mieux, il faudrait y renoncer.

FERNAND, étonné.

Que voulez-vous dire ?...

CLOTILDE.

Que par intérêt pour votre sœur, qui est ma meilleure amie... j’ai voulu sauver son frère.

FERNAND.

Quoi ! ce n’était pas pour moi ?

CLOTILDE.

En aucune façon... Je ne vous connaissais pas... Mais dès qu’il s’agit de la vie de quelqu’un... vous, ou tout autre... qu’importe la personne ? c’est une question d’humanité.

FERNAND.

Quoi ! nulle affection, nulle tendresse ?... Ah ! ce n’est pas possible... et cette tranquillité, ce sang-froid quand vous voyez auprès devons le plus malheureux des hommes !...

À part.

Allons, c’est une scène à recommencer... Ce que c’est aussi que d’être interrompu au meilleur moment.

Haut.

Oui, Madame, vous daignerez m’écouter... Vos yeux ne resteront pas éternellement attachés sur votre ouvrage, sur cette tapisserie qui me désespère ; vous jetterez sur moi un regard de pitié... ou ces paroles que vous entendez seront les dernières de moi qui frapperont vos oreilles... et cette croisée, qui donne sur le fleuve... cette croisée élevée !... Il fait quelques pas vers le balcon ; Clotilde reste assise et sans remuer.

À part.

Eh bien ! elle reste tranquille ?...

Haut.

Cette croisée, d’où je vais me précipiter !...

À part.

Elle ne me retient pas ?...

Haut, et revenant vivement.

Non, ce n’est pas loin de vous... c’est sous vos yeux, c’est à vos pieds que je veux jeter une existence que vous dédaignez.

CLOTILDE, froidement.

J’en serais désolée ; mais je ne peux pas vous en empêcher.

FERNAND.

Ah ! vous parlez ainsi, cruelle, parce que vous savez bien que mon bras est désarmé, et que je n’ai pas d’autre aide que mon désespoir... Mais si je pouvais trouver une arme !...

CLOTILDE.

N’est-ce que cela, Monsieur ?

Détachant froidement la clef qui est à sa ceinture.

Tenez...

FERNAND.

Qu’est-ce que c’est ?

CLOTILDE, se levant.

Ouvrez ce secrétaire...

Voyant qu’il hésite.

Ouvrez... vous trouverez là une boîte.

FERNAND, à part.

Ah ! mon Dieu !

Haut.

Où donc ?

CLOTILDE.

Sous votre main.

FERNAND, prenant la boîte.

Ah !... ces pistolets...

CLOTILDE.

Ils sont à vous.

FERNAND, stupéfait.

Ô ciel...

Haut, ouvrant la boîte, prenant un pistolet et jouant le désespoir.

Vous le voulez donc !... vous le voulez !...

CLOTILDE, froidement.

Puisqu’il n’y a pas d’autre moyen de vous guérir... C’est pour vous... cela vous regarde.

FERNAND.

Dites plutôt que c’est pour vous-même, qui êtes trop heureuse de vous délivrer ainsi d’un amour qui vous est odieux, qui vous importune, qui vous gène peut-être... Car j’ai un rival... j’en ai un, j’en suis sûr.

CLOTILDE.

Raison de plus pour...

FERNAND.

Ah ! c’est trop fort !...

Éclatant.

Eh bien ! non, Madame, je ne me tuerai pas !... je vous rendrais trop contente, trop joyeuse... Vous osez rire encore !... dans un pareil instant !...

CLOTILDE, riant.

Oui, vraiment... Allez donc. Monsieur, allez donc... je n’attendais que ce moment-là pour vous adorer.

 

 

Scène XVII

 

FERNAND, HORTENSE, CLOTILDE

 

HORTENSE, entre vivement, aperçoit Fernand, pousse un cri et se jette dans ses bras.

Ah ! mon ami ! mon frère !... je te revois !... tu respires encore !

FERNAND, cherchant à se dégager de ses bras.

Qu’as-tu donc ? morbleu !...

HORTENSE.

Tu n’es pas blessé ?...

CLOTILDE.

Non, non, je te l’atteste.

HORTENSE.

J’étais toute tremblante... car ce billet de Clotilde que vient de m’apporter un commissionnaire... Lis plutôt.

FERNAND, lisant.

Air : Fragment de Gustave.

  « Arrive à mon secours ; ton frère, chère amie,
  « Court dans ces lieux les dangers les plus grands ! »

À Clotilde.

Quoi ! Madame, c’est vous !

CLOTILDE, riant.

  Prêt à perdre la vie,
  On est toujours charmé d’avoir là ses parents.

Ensemble.

CLOTILDE et SAUVIGNY, qui entr’ouvre la porte à droite.

Le bon tour, la bonne folie !
Cet amant.
Qui faisait serment
D’expirer aux pieds d’une amie,
Le voilà frais et bien portant.

HORTENSE.

De frayeur, ah ! j’étais saisie !
Mais je vois fort heureusement
Que mon frère tient à la vie,

Et qu’il est frais et bien portant.

TOUS.

  Ah ! je rirai longtemps de cette comédie.

À Fernand.

Toi conserve le jour
Pour en rire à ton tour.

FERNAND.

  Je ne pardonne point semblable raillerie ;
  Je veux d’un pareil tour
  Me venger à mon tour.

À Sauvigny.

Vous étiez du complot ?

SAUVIGNY.

  Non, j’en étais témoin.

FERNAND.

  De me railler épargnez-vous le soin.
  Après un tel affront, oui, chacun dans le monde.
  Va me montrer au doigt ; et, que Dieu me confonde !

Prenant un pistolet.

Je me tuerai, si vous ne jurez pas
Qu’un silence éternel...

TOUS.

  Nous le jurons, hélas !

Ensemble.

FERNAND.

Tenez bien ce serment ;
Sinon, Dieu me confonde !
Moi, je fais le serment
De périr à l’instant.

TOUS.

Si c’est le seul moyen
Pour qu’il reste en ce monde,
Vivez... Nous jurons bien
Que nous n’en dirons rien.

 

 

Scène XVIII

 

FERNAND, HORTENSE, CLOTILDE, BONNIVET

 

BONNIVET, s’élançant et retenant le bras de Fernand qui tient encore le pistolet.

Jeune homme, jeune homme, qu’est-ce que ça signifie ?...

CLOTILDE, regardant sa main qui est enveloppée de noir.

Qu’est-ce que c’est donc ?... qu’est-ce que voua avez là ?...

BONNIVET.

Rien...

CLOTILDE.

Mais si, vraiment !

BONNIVET.

Je te dis que non... Ma petite fille jouait tout à l’heure dans le jardin de l’hôtel avec un gros chien noir, et des hommes couraient en criant : « Garde à vous, il est enragé ! » Je me suis élancé alors entre lui et mon enfant... il m’a mordu, c’était tout simple...

TOUS.

Enragé !...

BONNIVET.

Eh ! non... fausse terreur... car un instant après, il a bu comme si rien n’était.

HORTENSE.

Mais vous l’avez cru...

BONNIVET.

Ma foi, oui.

HORTENSE.

Et malgré cela ! Quelle générosité !... quel dévouement !

BONNIVET.

Du dévouement... Y pensez-vous ?... quand il s’agit de sa fille ou de sa femme !... C’est comme pour soi... c’est presque de l’égoïsme.

FERNAND.

Et vous qui ne voulez pas qu’on expose ses jours ?...

BONNIVET.

Quand il le faut... c’est trop juste... Raison de plus pour s’en abstenir quand il ne le faut pas... Ah çà ! dînons-nous ?

CLOTILDE, avec attendrissement.

Monsieur, vous êtes le meilleur des hommes.

BONNIVET.

Tais-toi donc.

CLOTILDE, de même.

Le meilleur des maris... et je vous aime comme jamais je ne vous ai aimé.

BONNIVET.

Tu es bien bonne, et came fait plaisir... Ça m’en ferait aussi de dîner... Moi à côté de ma femme... Madame à coté de son prétendu, qui bientôt sera son mari... et tous ensemble, nous boirons aux bons vivants...

À Fernand.

parce que, voyez-vous, mon cher ami....

Vaudeville.

Air : Quand on est mort c’est pour longtemps.

« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Disait Désaugiers, notre maître ;
Ce jour va naître
Et disparaître :
Imprudents,
Profitez des instants.

TOUS.

« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Etc., etc., etc.

BONNIVET.

Qui donc vous pousse
Vers le trépas ?
N’avez-vous pas
Le Champagne qui mousse ?
La vie est douce
À caresser.
Et sans secousse
Tâchons de la passer.
Car, ici-bas,
À chaque pas,
N’avons-nous pas,
Pour abréger la vie,
Peine, et chagrin,
Et médecin.
Dont la voix cric
À tout le genre humain :
« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Disait Désaugiers, notre maître ;
Ce jour va naître
Et disparaître :
Imprudents,
Profitez des instants.

TOUS.

« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Etc., etc., etc.

FERNAND.

Sur notre scène
Que montre-t-on ?
Viol, poison,
Forfaits à la douzaine ;
Et Melpomène,
Chaque semaine,
Part pour la chaîne
De Brest ou de Toulon...
Vers Ostrogoths
Et Visigoths,
Des noirs tombeaux
Sur vous tinte la cloche ;
Sombre roman.
Drame de sang.
Votre heure approche ;
Hardi ! donnez-vous-en !
« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Disait Désaugiers notre maître.
Bientôt vous allez disparaître !
Ainsi donc, profitez des instants

TOUS.

« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Etc., etc., etc.

SAUVIGNY.

Levant la nuque,
Le jeune Franc
Traite gaiement
Racine de perruque.
« Ô siècle eunuque, »
Disent-ils tous,
« Gloire caduque
« Qui va revivre en nous ! »
Ils le disaient,
Ils l’imprimaient,
Ils le croyaient...
Et, malgré leur mérite,
Nul jouvenceau
De leur tombeau
Ne ressuscite
Ou Molière ou Boileau...
« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Disait Désaugiers notre maître ;
Pour vous voir renaître,
Grands talents,
Il nous faut attendre encor du temps.

TOUS.

« Quand on est mort, c’est pour longtemps, »
Etc., etc., etc.

CLOTILDE, au public.

Sur le qui-vive.
En cet instant.
L’auteur attend
Son heure décisive ;
Sa crainte est vive :
Il va savoir
S’il faut qu’il vive
Ou qu’il meure ce soir...
Montrez-vous tous
Cléments et doux,
Et que pour nous
La critique traîtresse
Reste à l’écart ;
Point de brocard
Sur notre pièce,
Ne l’immolez pas... car,
« Quand on est mort c’est pour longtemps, »
Mais grâce au public, notre maître,
Que cet ouvrage qui va naître
Soit longtemps
Au nombre des vivants.

TOUS.

« Quand on est mort, c’est pour longtemps,»
Etc., etc., etc.

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