Le nouveau Nicaise (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN)
Comédie-Vaudeville en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 15 octobre 1818.
Personnages
NICAISE, fils de la mère Rabaud
MATHURIN, voisin de la mère Rabaud
BLAISE, tabellion
LA MÈRE RABAUD, fermière
PAUL, neveu de Mathurin
ROSE, jeune orpheline
LOUISE, fille du village
LOUISON, fille du village
MÉNÉTRIERS
VILLAGEOIS
VILLAGEOISES
Dans un village.
Un village agréable. À gauche, la maison de la mère Rabaud, avec un balcon en saillie ; à droite, une grange ouverte pour le spectateur, qui, d’un côté, tient à la maison de Rose, et, de l’autre, offre une fenêtre en mansarde avec une poulie. La fenêtre donne sur le village et est en face de la maison de la mère Rabaud. Lue botte de foin est encore attachée à la poulie ; une échelle, dressée contre la mansarde ; et, au milieu du théâtre, un gros arbre dont le feuillage cache une partie de l’échelle.
Scène première
MATHURIN, PAUL
MATHURIN.
Eh bien !... qu’est-ce que c’est donc ?... j’apprends de belles choses à mon retour !
PAUL.
Oh ! mon oncle, je l’ai juré, je ne la reverrai de ma vie... je ne veux plus être amoureux.
MATHURIN.
Vois-tu, ces promesses-là, ça ressemble aux serments d’ivrognes, je m’y connais...
Air : Ah ! que de chagrins dans la vie. (Lantara.)
Pour être heureux, pour être sage,
Il n’ faut jamais jurer de rien.
Aimer est morguenn’ de ton âge,
Et bien boire convient au mien.
Aussi le ciel, qui mieux que nous raisonne,
Créant chaque chose à son temps,
Eut soin d’ placer les raisins en automne,
Et les roses dans le printemps.
Mais au moins ne puis-je savoir le sujet de cette grande querelle ? car il y a un sujet.
PAUL.
Certainement, il y en a un... et si je pouvais me rappeler... je ne vous dirai pas au juste comment ça a commencé... Vous savez combien j’aimais Rose... nous avions été élevés ensemble ; eh bien ! elle m’a appelé volage ; je l’ai appelée coquette. Ce n’était rien ; mais elle a été confier tout ça à la mère Rabaud, qui, par sa médiation, s’y est prise de manière que nous avons juré de ne jamais nous revoir.
MATHURIN.
Pardieu ! je ne m’étonne plus... dès que la mère Rabaud s’en est mêlée... Imagine-toi qu’elle a brouillé plus de trente ménages en sa vie, et moi qui parle... Enfin, le matin même de mes noces, j’ai eu le malheur de l’inviter. Eh bien ! deux heures après, au moment d’aller à l’église, les parents, les témoins, ma future et moi, c’était à ne plus s’entendre ; jusqu’au clerc de notaire qui s’était pris de querelle avec le bedeau de la paroisse ! Le mariage a manqué, et voilà comment je suis resté garçon.
PAUL.
Et vous en avez pris votre parti ?
MATHURIN.
Ah ! mon Dieu, oui, et si tu m’en crois, tu feras de même. Tu auras un jour toute ma fortune, cent bons louis de rente, et je veux que ce soit elle qui te regrette.
PAUL.
Oui, mon oncle, v’là qu’est dit.
Air : De sommeiller encore ma chère. (Arlequin Joseph.)
Je jur’ d’oublier l’infidèle.
MATHURIN.
L’honneur, morgue ! t’en fait la loi.
PAUL.
C’en est fait, je ne veux plus d’elle.
MATHURIN.
Qu’elle en épouse un autr’ que toi.
PAUL.
Pour elle ma tendresse expire,
Et si la noc’ se fait demain,
Moi, j’y veux m’amuser et rire,
Dussé-je en mourir de chagrin.
Scène II
MATHURIN, PAUL, MÈRE RABAUD, sortant de chez elle et parlant à la cantonade
MÈRE RABAUD.
Je vous dis de passer chez le notaire, M. Biaise, sur la grande place, et non pas chez le voisin Giroux... Ah ! bien, oui, une belle idée d’aller chez celui-là ! il n’est jamais dans son étude... Il est vrai que sa femme y est toujours, et son maître clerc aussi, un petit bossu qui est bien la plus mauvaise langue...
MATHURIN.
Ça commence bien, mère Rabaud ! la journée sera bonne. Est-ce que vous faites maintenant vos caquets par-devant notaire ?... Ça doit diablement vous coûter de papier timbré.
MÈRE RABAUD.
Non, compère, ce ne sont point des caquets, mais un bel et bon contrat de mariage.
MATHURIN.
Un contrat de mariage !
MÈRE RABAUD.
Comme vous dites. C’est demain que je marions notre fils Nicaise ; il est bien un peu simple, un peu bon enfant... il tient de son père ; mais je lui donne une femme qui aura de l’esprit pour lui, c’est cette jeune Rose, notre voisine... Ces enfants s’adorent.
PAUL, vivement.
Rose !... ce n’est pas possible !... Je sais, j’ai entendu dire que Rose en aimait un autre.
MÈRE RABAUD.
Ah ! oui, je sais... elle ne m’a pas dit son nom, mais elle m’a tout raconté. Elle l’avait connu chez cette tante où elle a d’abord été élevée, et elle m’en parlait encore hier.
Air du vaudeville de L’Avare et son Ami.
Ell’ plaisantait sur sa figure,
Sur son air froid et langoureux.
Ell’ contrefaisait sa tournure,
Et nous nous en moquions tout’s deux.
PAUL, à part.
Moi qui l’aimais, m’ traiter d’ la sorte !
J’ vais la détester à présent.
MATHURIN.
Tu gagn’ras p’t-êtr’, puisqu’on l’aimant,
Tu vois bien c’ que ça te rapporte.
À la mère Rabaud.
Et connaissez-vous le jeune homme ?
MÈRE RABAUD.
Non, je sais qu’il est sans fortune, mais qu’il a un bonhomme d’oncle qu’il mène par le nez, du moins il s’en vante.
MATHURIN, à Paul.
C’est comme ça que tu m’arranges !
PAUL.
Mon oncle, je vous assure qu’il n’y a pas un mot de vrai.
MÈRE RABAUD.
Comment, c’est vous !... que je suis tachée d’avoir parlé.
MATHURIN.
Air : Cœur infidèle, cœur volage.
C’est donc ainsi...
PAUL.
Mais, je vous jure.
N’écoutez pas cette imposture.
Ensemble.
MÈRE RABAUD.
Moi, je jure,
Je jure !
Que c’est bien la vérité pure,
Je le jure !
PAUL et MATHURIN.
Moi, je jure, moi, je jure
Que ce n’est là qu’une imposture.
Je le jure.
MATHURIN.
J’ te déshérit’, neveu rebelle.
PAUL.
J’ m’en moqu’, qu’il fass’ ce qu’il voudra.
MÈRE RABAUD.
Bon, les v’là tous deux en querelle,
Une brouille, c’est toujours ça !
Ensemble.
PAUL.
C’est un mensonge, une imposture !
Je n’ai rien dit, je vous le jure.
Elle ne veut qu’une rupture ;
C’est une horreur, une imposture !
MATHURIN.
C’est une horreur, une imposture !
Oui, c’est fini, je te le jure,
Et désormais, ici, je jure
De me venger de cette injure.
MÈRE RABAUD.
Je prévois ici la rupture ;
Je me réjouis de l’aventure.
Non, ce n’est point une imposture,
Et c’est bien la vérité pure.
L’oncle et le neveu sortent en se disputant.
Scène III
MÈRE RABAUD, seule
Qui s’ raccommodent comme y pourront ! ça ne me regarde plus.
Air du Ménage de garçon.
J’ sais bien des gens qui m’ font un crime
Des moindres p’tits propos malins,
Mais, moi, j’eus toujours pour maxime
De mettre aux prises mes voisins.
Chacun querellant son confrère,
On n’ s’occup’ point de mes projets ;
Et mettre tout le monde en guerre,
C’est le moyen de vivre en paix.
C’est que cette petite Rose est un fort bon parti : une orpheline qui a une fortune assurée... et je tremble toujours que, par sa bêtise, Nicaise ne détruise tout l’effet de mes soins... C’est que ce garçon-là est si bête, si bête...
L’apercevant.
Là, qu’est-ce que je disais ? le v’là encore s’amusant avec des papillons.
Scène IV
MÈRE RABAUD, NICAISE, tenant un papillon de papier au bout d’un fil de laiton
MÈRE RABAUD.
Je vous demande si on dirait qu’il a dix-huit ans ! s’amuser avec des papillons... N’as-tu pas de honte, Nicaise ?
NICAISE.
Eh bien ! qu’est-ce ?
MÈRE RABAUD.
Viens ici que je le parle, et écoute-moi.
Nicaise joue toujours avec son papillon, mère Rabaud le lui arrache.
NICAISE.
Que vous êtes taquinante !
MÈRE RABAUD, lui levant le menton.
Tiens-toi droit et fais attention. Tu as dix-huit ans ! tu as une jolie figure, tu as de l’esprit...
NICAISE, étonné.
Ah ! j’en ai ?
MÈRE RABAUD.
Je te dis que tu en as, et avec tout ça tu n’es qu’un sot... et jusqu’aux plus petits enfants du village t’en remontreraient.
NICAISE.
Dame, vous ne m’avez rien appris.
MÈRE RABAUD.
Est-ce qu’il n’y a pas des choses qu’on apprend tout seul !
NICAISE.
Eh bien ! fallait donc me laisser faire... Dès que je voulais m’échapper... Nicaise, viens ici !... Et quand il venait des messieurs qui vous baisaient la main... Allez vous coucher !
MÈRE RABAUD.
Qu’est-ce que c’est que ça ?... Voulez-vous vous taire... Il est bien heureux qu’on ne nous entende pas.
NICAISE.
Et toujours : Nicaise, allez vous coucher ! Si vous croyez que l’esprit vient en dormant... Sans compter qu’il faut que je vous consulte sur tout, et qu’alors je ne sais plus rien faire par moi-même ; au point que quelquefois, quand je me mets à jouer, je suis obligé de vous demander : Maman, est-ce que je m’amuse ? afin de savoir à quoi m’en tenir... Tout ça empêche les développements.
MÈRE RABAUD.
Eh ! mon Dieu, je ne demande qu’à te voir te développer, et la preuve, c’est que je veux te faire part de mes projets... Je veux te marier.
NICAISE.
Ah !
MÈRE RABAUD.
Mais tu as un rival.
NICAISE.
Ah !
MÈRE RABAUD.
Mais je t’en ai débarrassé en le brouillant avec Rose, et ils ne se verront plus.
NICAISE.
Ah !
MÈRE RABAUD.
En revanche, j’ai tant dit du bien de toi à la future, qu’elle est presque décidée en ta faveur.
NICAISE.
Ah !
MÈRE RABAUD.
Mais pour cela, il faudrait lui plaire et s’en faire aimer.
NICAISE.
Ah !
MÈRE RABAUD.
Ah ! ah ! et toujours ah ! Mais ça ne suffit pas.
Air : J’ai vu partout dans mes voyages. (Le Jaloux malgré lui.)
Faut, pour avoir la préférence,
Lui fair’ la cour, fair’ les doux yeux.
C’est par là toujours qu’on commence.
NICAISE.
Que l’ commenc’ment est ennuyeux !
MÈRE RABAUD.
Puis vienn’nt les présents à la ronde,
Et puis la noce et le festin.
NICAISE.
Ça n’ m’étonn’ plus, si tant de monde
Aim’ mieux commencer par la fin !
MÈRE RABAUD.
Imbécile !... Écoute ici : Rose est la fille la plus sage du village et ne parle jamais aux garçons ; mais je sortirai avec elle ce matin ; trouve-toi au passage, et il y aurait bien du malheur si en un quart d’heure de tête-à-tête, tu ne lui donnais pas une idée avantageuse de ta personne... car il est gentil, ce petit, en ne parlant pas trop.
Elle lui relève le menton.
NICAISE.
Eh ! mon Dieu, pourvu que vous me laissiez faire, soyez tranquille.
MÈRE RABAUD.
Attends-moi ici.
Air : Adieu, je vous fuis, bois charmant. (Sophie.)
Si ta mère n’était pas là,
Tu n’en sortirais de la vie ;
On n’ s’établit pas comme ça...
Vois les d’moiselles qu’on marie :
Ell’s s’y prennent ben d’autr’ façon !
Au peu d’esprit qui chez toi brille,
T’es ben heureux d’être garçon,
Car tu resterais toujours fille.
Scène V
NICAISE, seul
Elle est drôle, ma mère, avec ses leçons ! elle croit que si je voulais m’en donner la peine, je ne m’en tirerais pas comme les autres... J’ai vingt fois été sur le point d’apprendre, c’est l’hasard qui m’a empêché ; l’autre jour, je vois Gros-Pierre qui montait par escalade dans le grenier de la voisine Lucette... Je suis bien sûr que si je l’avais suivi... Mais il m’a prié de lui tenir l’échelle, ça fait que je l’ai attendu une grande demi-heure auprès du mur... Mais p’t-être ben qu’une autre fois où ça sera de plain-pied... Il n’y a qu’une chose qui m’embarrasse : c’est de faire la cour ; je n’ai pas voulu dire à ma mère que je ne savais pas ça, parce que ça aurait été encore un tas d’histoires.
Air de l’Enfantine.
J’ai beau chercher et beau faire,
Ah ! qu’ c’est ennuyeux de plaire !
Et quelle idée a ma mère
De m’ faire
Apprenti
Mari !
Mon Dieu, que de choses j’ignore !
Plaire, épouser tour à tour,
Et pour m’achever encore,
V’là qu’il faut faire la cour.
Ah ! mon Dieu, comment ça s’ fait-y ?
Comment ça s’ dit-y ?
Mais à quoi donc ça sert-y ?
J’ai beau chercher et beau faire, etc.
À faire ainsi chaque semaine
Des frais trois ou quatre fois,
L’esprit suffirait à peine ;
On s’rait bêle au bout du mois.
Quel ennui !
Comment ça s’ dit-y ?
Comment-ça s’ fait-y ?
Mais à quoi donc ça sert-y ?
J’ai beau chercher, et beau faire, etc.
Encore, si je pouvais demander à quelqu’un ?... Allons, v’là toutes les filles du village, on n’ peut pas être un instant à ses réflexions.
Scène VI
NICAISE, LOUISE, LOUISON, VILLAGEOISES
Air : Paris est comme autrefois.
LES VILLAGEOISES.
Jeunes filles du hameau,
Si l’ombrage
Vous engage,
Jeunes filles du hameau.
Venez danser sous l’ormeau.
LOUISE.
C’est Nicaise qu’ est là.
NICAISE, à part.
Les v’là !
LOUISE.
Qu’il a l’air en train
C’ matin !
Est-ce que tu serais sourd ?
NICAISE.
Bonjour.
LOUISE.
Il ne veut pas nous voir.
NICAISE.
Bonsoir.
LES VILLAGEOISES.
Jeunes filles du hameau, etc.
LOUISE.
Nicaise, veux-tu venir avec nous ?
NICAISE.
Je ne peux pas, j’ai des affaires.
LOUISE.
Tiens, il est occupé ?...
NICAISE.
Oui, je le suis, et quand je ne le serais pas, je n’irais pas jouer avec vous, parce que je me rappelle d’avanz’hier.
LOUISE.
Eh ben ! as-tu pris quelqu’un ?
NICAISE.
Oui, joliment, je n’ai rien pris du tout.
LOUISE.
Eh bien ! viens prendre aujourd’hui ta revanche.
NICAISE.
Non, laissez-moi a mes occupations.
LOUISE.
Qu’est-ce que t’as donc à faire ?
NICAISE.
J’ai, j’ai... ça me regarde, ça... J’ai un rendez-vous.
LOUISE.
Tiens, Nicaise qui a un rendez-vous.
TOUTES.
Un rendez-vous ?
NICAISE.
Oui, un rendez-vous, à moi tout seul, et je n’ai pas été vous chercher pour ça... C’est-à-dire que je vous aurais bien demandé quelque chose, mais vous êtes trop moqueuses.
LOUISE.
Ah ! mon petit Nicaise.
NICAISE.
Non, laissez-moi, j’aime mieux m’adresser à Louison.
S’adressant à une petite fille de dix ans.
Dis donc, ma petite, sais-tu ?...
Aux jeunes filles qui se sont approchées.
Éloignez-vous, vous autres !
À Louison.
Sais-tu ce que c’est que faire la cour ?
LOUISON.
Tiens, pardi, si je le sais.
NICAISE.
Eh bien ! elle sait ça... C’est-il étonnant... ces petites filles !... Eh ben ! comment fait-on la cour ?
LOUISON.
Comment ?
NICAISE.
Oui, comment ?
LOUISON, le regardant, et souriant de pitié.
Ah ! Nicaise, que tu es bête !
NICAISE.
Ce n’est pas répondre, et je veux absolument, puisque tu le sais, que tu me dises comment on fait la cour ; enfin, la recette.
LOUISON.
Eh ben ! faut être galant.
NICAISE.
Ah ! ah ! faut être galant... Et comment est-on galant ?
LOUISON.
Comment ?
NICAISE.
Oui, comment ?
LOUISON.
On fait comme ci, on fait comme ça, et puis comme ça.
TOUTES.
Ah ! Nicaise, que tu es bête !
LES VILLAGEOISES.
Jeunes filles du hameau, etc.
Elles sortent.
Scène VII
NICAISE, seul
Elles ont bien fait de s’en aller... Si j’en avais attrapé une... Je sais toujours qu’il faut être galant.
Se retournant du côté où elles viennent de sortir.
Je lui aurais donné une fameuse taloche... C’est égal, il faut être galant, c’est déjà bon à savoir... Ah ! jarni ! v’là Rose avec ma mère.
Scène VIII
NICAISE, MÈRE RABAUD, ROSE
Air : Au travail retournons gaiement.
Ensemble.
MÈRE RABAUD.
Oui, malgré l’amour qui le guide,
Il est si timide !
À la promesse il faut songer
Et l’encourager.
ROSE.
Oui, malgré l’amour qui le guide,
Il est si timide !
À ma promesse il faut songer
Et l’encourager.
ROSE.
Oui, Paul est infidèle,
Sachons, pour m’en venger,
Sur lui prendre modèle
Et comme lui changer.
MÈRE RABAUD et ROSE.
Oui, malgré l’amour qui le guide, etc.
MÈRE RABAUD, montrant Nicaise qui regarde d’un air bête.
Vois déjà comme il a l’air triste et rêveur.
ROSE.
Je ne vois pas trop cela.
MÈRE RABAUD.
Eh ! mon Dieu, j’ai oublié de prendre ici à côté des papiers importants pour donner au notaire... Attends-moi ici, mon enfant ; je sais d’ailleurs que mon fils Nicaise a quelque chose à te demander.
ROSE.
Mais, madame...
MÈRE RABAUD.
Je reviens dans l’instant.
À Rose.
Songe à ce que tu m’as promis.
À Nicaise.
Et toi, ne perds pas une si belle occasion, tâche d’obtenir quelque aveu, quelque laveur... Allons, du courage et de la hardiesse.
Elle sort.
Scène IX
NICAISE, ROSE
NICAISE, à part.
C’est ça ! du courage et de la hardiesse ; je vomirais l’y voir.
ROSE, à part.
Au fait, je ne sais d’où vient ma répugnance : ce mariage est sortable ; ce jeune homme me paraît fort bien... Que je voudrais pouvoir le trouver aimable, l’épouser, et prouver ainsi à M. Paul combien je me soucie peu de lui ! Allons, mon parti est pris, et mère Rabaud sera contente de moi.
NICAISE, à part.
Voilà déjà dix ou douze fois que je tourne ma langue. Gn’y a que le premier mot qui me gêne pour partir ; je n’oserai jamais lui dire que je veux lui faire la cour.
ROSE.
Votre mère m’a dit, je crois, que vous aviez quelque chose à me demander.
NICAISE.
C’est vrai.
ROSE.
Eh bien ! monsieur Nicaise, parlez ; si cela est en mon pouvoir, vous pouvez être certain...
NICAISE.
C’est que ça n’est pas ce que vous croyez.
ROSE.
Qu’importe ?
Air du vaudeville de Voltaire chez Ninon.
J’ suis sûr’, malgré votre embarras,
Que c’ sont des chos’s qu’on peut entendre.
Parlez.
NICAISE.
Non, je n’ parlerai pas,
Je crains de n’ pas me fair’ comprendre.
ROSE.
J’y ferai du moins mes efforts,
Et pour vous montrer ma franchise,
Je l’ devine à peu près.
NICAISE.
Alors,
C’ n’est pas la peine que j’ vous l’ dise.
ROSE.
Sans doute ; mais cependant, comme d’après tous les renseignements que vous me donnez, je pourrais encore me tromper, si vous vouliez m’expliquer vous-même...
NICAISE.
J’ suis sûr que ça va vous déplaire, et c’est ce qui m’effraye.
ROSE.
Vous me trouvez donc l’air bien effrayant ?
NICAISE.
C’est-à-dire... Non ! et quand je vous regarde...
Il la regarde attentivement.
ROSE.
Eh bien ?
NICAISE.
Oh ! les belles dentelles que vous avez là ! ça doit coûter joliment cher !
ROSE.
Mais, Nicaise...
NICAISE.
Et des pendants d’oreilles... Et des bagues donc... C’est pire qu’un jour de noce... quasi à tous les doigts... Par exemple, je vous demanderais à les regarder, si ce n’était...
ROSE.
Si ce n’était, quoi ?
NICAISE.
C’est que je n’oserais toucher votre main.
ROSE, lui présentant la main.
Que ne le disiez-vous...
NICAISE.
Comment, vrai... Vous voulez ?... C’est pour vous obéir.
Il lui tient la main quelques instants et se met à rire niaisement.
Quoi que ça, je fais une réflexion... Quelqu’un qui serait hardi, ce serait une fameuse occasion de vous baiser la main... Il n’y aurait que ça à faire ; mais ça vous fâcherait, hein ?... Vous ne dites rien... mais je vois bien que ça ne vous conviendrait point, n’est-ce point ?
ROSE, retirant brusquement sa main.
Vous avez raison.
NICAISE.
Là, vous le voyez bien.
ROSE.
Air : Le beau Lycas aimait Thémire. (Les Artistes par occasion.)
Monsieur, quelle finesse extrême !
Vous entendez à demi-mot.
NICAISE.
Ah ! je l’ disais ben en moi-même.
J’ m’y connais, je n’ suis pas un sot.
ROSE, à part.
Eh ! mais, mon Dieu, mais mon Dieu, qu’il est bute ! (Bis.)
Ah ! j’en ai vu peu comme lui. (Bis.)
NICAISE, croyant qu’elle lui fait un compliment.
Mam’zell’, vous êtes trop honnête.
ROSE, lui faisant la révérence.
Monsieur, vous êtes trop poli.
NICAISE.
Vous ne voulez pas me montrer l’autre ?
ROSE, faisant la révérence.
Je craindrais que ce ne fût abuser de votre complaisance, monsieur Nicaise.
NICAISE.
Pas du tout, c’est plutôt vous, mam’zelle.
ROSE, de même.
Il paraît que vous vous connaissez en anneaux, monsieur Nicaise ?
NICAISE.
Ah ! ben, maintenant, v’là que vous êtes trop honnête, et vous me rendez honteux avec toutes vos révérences.
ROSE.
Mais, asseyons-nous donc, je vous en prie ! je craindrais de rester trop longtemps debout, s’il fallait écouter toutes les jolies choses que vous allez me dire...
Faisant la révérence.
monsieur Nicaise.
Elle va pour s’asseoir.
NICAISE.
Oh ! par exemple, je ne le souffrirai point... Ce gazon est peut-être mouillé, et une belle robe comme la vôtre... D’ailleurs, faut être galant... Je cours chercher un tapis, ça ne sera pas long.
ROSE.
Ce n’est pas la peine.
NICAISE.
Ne vous impatientez pas, je reviens dans l’instant. Vous allez voir un gaillard qui court bien... Oh ! faut être galant !
Il sort en courant et entre chez la mère Rabaud.
Scène X
ROSE, seule
Et la mère Rabaud qui me vantait l’esprit de son fils... C’est à n’y pas tenir, et avec la meilleure volonté du monde... Ah ! Paul ! Quelle différence ! Nous étions si bien d’accord.
Air : Avec vous, bous le même toit. (Fanchon la vielleuse.)
Hélas ! il m’entendait si bien !...
On a tant d’esprit quand on aime !
Mais cependant, Paul, j’en convien,
N’avait pas ce respect extrême.
J’aurais bien pu lui reprocher
Plus d’un baiser qu’il prit par ruse...
Mais j’oubliais de m’en fâcher,
Et lui d’en demander excuse.
En soupirant.
Mais plus j’y pense... Ah ! mon Dieu ! c’est ce Nicaise qui revient... C’est bien assez d’une conversation, et je ne suis pas obligée, je crois, d’en entendre davantage...
Elle entre dans la grange, dont elle ferme la porte ; elle s’assied sur une chaise, se met à travailler et reste en vue du public.
Scène XI
NICAISE, seul, portant un tapis
Ouf ! je suis tout essoufflé... Mam’zelle !... Eh ben ! où est-elle donc ?... Mam’zelle Rose... Comment, elle est partie...
Il frappe à la porte de la grange.
ROSE, dedans.
Oui, va, frappe.
NICAISE.
Eh ben ! soyez donc galant, donnez-vous de la peine... Qui diable entend rien aux filles !... C’est comme j’ai cru voir qu’elle se moquait de moi, parce que je n’avais pas baisé sa main... Dame, c’est sa faute, on lui demande... Pourquoi ne répond-elle pas...
Appelant.
Mam’zelle Rose ! mam’zelle Rose !... Avec ça, je sens que je ne sais pas trop bien faire la cour... Mais dame... moi, je n’ai jamais appris, et pour la première fois...
Scène XII
ROSE dans la grange, NICAISE sur le devant du théâtre, et PAUL dans le fond
PAUL, à part.
En vérité, je n’en reviens pas... Voyez-vous cette méchante femme ! Me brouiller avec mon oncle... Et Rose ! Rose !... J’ai beau rôder autour de la maison, impossible de l’apercevoir. Si je pouvais seulement lavoir encore une fois, lui reprocher sa trahison... Ah ! mon Dieu ! c’est Nicaise !
NICAISE.
Ah ! c’est vous, monsieur Paul ?...
À part.
Au moins, celui-là est un brave garçon, il n’est pas moqueur comme ces jeunes filles.
Haut.
Pardi, vous pouvez me rendre un grand service.
PAUL.
Peut-être que d’autres à ma place hésiteraient ; mais parlez.
NICAISE.
Eh bien ! dites-moi comment vous vous y prenez pour faire courir après vous toutes les filles du village ?... Car on dirait qu’elles vous aiment toutes.
PAUL, soupirant.
Toutes !... Non pas, il s’en faut.
NICAISE.
Oh ! si vraiment, je le vois bien, et si vous vouliez me faire part du secret ?
PAUL.
Et qu’en avez-vous besoin ?
NICAISE.
Ah ! c’est que vous ne savez pas... Ma mère dit que je suis amoureux... et je vais me marier... avec Rose qui demeure là.
PAUL.
Comment, c’est pour cela que vous demandez !... Elle ne vous aime donc pas ?
NICAISE.
Pas encore ; mais peut-être qu’à nous deux, si vous vouliez m’aider...
PAUL, vivement.
Ah ! mon Dieu, monsieur Nicaise, bien volontiers... Tout ce qui pourra vous être agréable.
NICAISE.
Eh ben ! v’là un bon enfant, au moins... Je vois que vous êtes mon ami... Mais dites donc, il me vient une idée.
PAUL.
Vraiment ?
NICAISE.
Vrai.
Air : Gai, Coco, gai, Coco, hiou.
Près de celle que j’aime,
Vous qu’êt’s le savoir même,
Si vous vouliez vous-même
M’donner leçon ici,
J’ comprendrais mieux la chose.
PAUL.
Quoi ! tu veux qu’avec Rose,
Ici, d’vant toi, je cause ?
NICAISE.
C’est un s’rvice d’ami.
D’puis si longtemps que j’guette
Un’ leçon d’amourette,
Ah ! pour moi quelle fête !
À profiter j’ m’apprête ;
Car ça va, je le vois.
Je l’ conçois,
Faire un tête-à-tête
Où nous serons trois.
PAUL, à part.
Ma foi ! profitons de l’occasion.
NICAISE.
C’est que je l’ai déjà appelée, elle ne veut pas paraître.
PAUL.
Attendez.
À part.
Peut-être cet air attirera son attention, c’était le signal de nos rendez-vous.
Il joue sur son flageolet les premières mesures de l’allemande qui suit.
ROSE, dans la grange.
Qu’entends-je ! Comment Nicaise connaîtrait-il cet air ?
Elle ouvre la porte et sort.
NICAISE, apercevant Rose.
Là, il n’y a qu’un air à jouer pour les faire revenir.
ROSE, apercevant Paul.
C’est Paul ! il est bien hardi !
PAUL.
Mille pardons, mademoiselle, si je me présente devant vous.
NICAISE.
Oh ! non, d’abord c’est moi qui l’y ai engagé.
PAUL.
Je n’avais que deux mots à vous dire.
NICAISE.
Oui, n’ayez pas peur ; il n’agit que pour moi, et tout ce qu’il fera sera bien fait.
ROSE.
Qu’est-ce que cela signifie ?
PAUL.
N’importe, tous les moyens sont bons, pourvu que je vous parle.
ROSE, avec dépit.
Mon Dieu, monsieur, je ne vous empêche pas de parler ; mais je vous préviens que je n’écoute pas.
Elle s’assied sur le banc et tourne le dos à Paul.
PAUL.
Rose, vous ne me refuserez pas la grâce de m’entendre.
NICAISE, allant chercher une chaise.
Attendez ; ne commencez pas sans moi.
PAUL.
Air : Valse de Darondeau.
Aimable et jolie,
Toi qui fus ma mie,
Dis-moi
Pourquoi
T’aurais-je trahie ?
N’ai-je plus ta foi ?
Tu me jurais constance éternelle.
NICAISE, les regardant.
Très bien, très bien ; je vois tout d’ici.
PAUL.
Et c’est moi seul, moi qui suis fidèle !
NICAISE.
Très bien, très bien ; disons comme lui.
PAUL et NICAISE.
Aimable et jolie, etc.
PAUL.
Rose, je vous en supplie, un mot d’entretien.
Il se met à genoux.
NICAISE.
Bon, bon ! voilà que ça s’échauffe.
Paul est aux genoux de Rose ; Nicaise, les pieds sur les bâtons de la chaise, et le menton dans les mains, les regarde avec ravissement.
Scène XIII
ROSE, NICAISE, PAUL, MÈRE RABAUD, les surprenant dans cette position
MÈRE RABAUD.
Eh bien ! qu’est-ce que je vois là ?
Rose, effrayée, pousse un cri et s’enfuit dans la grange ; Paul monte sur l’échelle qui est cachée par l’arbre.
Comment, imbécile ! devant toi, en ta présence !
NICAISE.
Là ! v’là tout gâté, j’en étais sûr ; elle ne peut pas me laisser faire.
MÈRE RABAUD.
Te laisser faire !
NICAISE.
J’allais tout apprendre, eh ben ! non, faut qu’elle vienne s’en mêler... Donnez-vous de la peine pour votre éducation, avec des parents comme ceux-là !
MÈRE RABAUD.
Mais encore une fois...
NICAISE.
Vous lui avez fait peur, il ne voudra plus revenir pour la leçon.
MÈRE RABAUD.
Ah çà ! perd-il la tête ?... Dis-moi ce que c’est que cette leçon et ce tapis ?
NICAISE.
C’est moi qui l’ai apporté.
MÈRE RABAUD.
Et pourquoi ?
NICAISE.
Pour qu’ils puissent causer à leur aise.
MÈRE RABAUD.
Comment, tu vas leur procurer un entretien !... Tu ne sais donc pas que Paul est ton rival ?
NICAISE.
Comment !... Paul qui était là ?
MÈRE RABAUD.
Eh ! oui.
NICAISE.
Là, j’étais sûr que vous feriez quelque... Comment, ce matin, vous me parlez d’un rival, et vous ne me dites pas son nom ! Suis-je sorcier ?
MÈRE RABAUD.
Allons, vous allez voir que c’est moi maintenant...
NICAISE.
Tenez, ma mère, vous venez toujours vous mêler de mes affaires.
MÈRE RABAUD.
Il le faut bien, puisque maintenant plus que jamais il faut empêcher Paul et Rose de se parler.
NICAISE.
J’y songerai.
MÈRE RABAUD.
Et son consentement ?
NICAISE.
Je l’aurai.
MÈRE RABAUD.
Et le notaire à avertir ?
NICAISE.
J’y cours de ce pas.
MÈRE RABAUD.
Et les ménétriers ?
NICAISE.
Je vais les envoyer. Mon Dieu, on me croit bête, et l’on verra, si je m’y mets une fois, de quoi je suis capable. Tout ce que je vous demande, c’est de rentrer chez vous et de me laisser agir... Que diable, ça n’est pas difficile.
MÈRE RABAUD, à part.
Allons, laissons-le faire... Qui sait, peut-être, une fois par hasard aura-t-il de l’esprit... Mais je m’en vais toujours surveiller...
Haut.
Prends bien garde.
NICAISE.
Eh ! mon Dieu, soyez tranquille.
Elle rentre.
Scène XIV
NICAISE, PAUL et ROSE
NICAISE.
Là, me v’là débarrassé de ma mère, c’est le plus difficile... Pour plus de sûreté, enfermons-la, afin qu’il ne lui prenne pas encore envie de me contrarier. Maintenant qu’elle me laisse faire, il me semble que les idées me viennent en foule... D’abord, faut ôter cette échelle, de peur que, comme faisait avant-hier le voisin Gros-Pierre, on ne veuille monter par la lucarne du grenier... V’là de l’esprit et de l’expérience.
PAUL, sur l’échelle, mais toujours caché par les branches de l’arbre.
Ah ! mon Dieu ! comment donc faire ?
NICAISE.
Ôtons notre veste, et à l’ouvrage !
Pendant ce temps, Paul monte vite par la lucarne et se trouve dans la grange ; il est debout sur une traverse. Rose est assise sur le devant du théâtre et travaille. Nicaise a porté l’échelle contre la maison de sa mère.
Voilà les communications coupées... Sont-ils bêtes ! Et cette botte de foin qu’ils ont laissée à la poulie, et que le premier venu pourrait décrocher, rentrons-la ; ce n’est pas tout d’avoir de l’esprit, faut encore de la prévoyance.
PAUL.
Ma foi, profitons de sa bonne volonté.
Il se met à cheval sur la botte de foin, et Nicaise, eu lâchant la corde le descend au milieu de la grange.
ROSE, se retournant au bruit de la poulie.
Que vois-je !
PAUL.
Ce n’est pas ma faute... C’est Nicaise qui me fait descendre auprès de vous.
ROSE.
Vit-on jamais une pareille hardiesse !... Si vous restez, je sors à l’instant même.
Elle va pour sortir.
NICAISE.
À présent, enfermons Rose, pour être sûr d’elle.
Il donne un tour de clef à la porte de la grange.
ROSE, en dedans.
On a fermé la porte.
NICAISE.
Maintenant que tout est arrangé, achevons notre ouvrage. Allons, Nicaise, de l’activité, et je les forcerai bien à convenir que je ne suis pas une bête.
Il sort en courant.
Scène XV
PAUL, ROSE, dans la grange
ROSE, se bouchant les oreilles avec les doigts.
Non, monsieur, non, je ne veux rien entendre.
Paul fait semblant de parler et ne remue que les lèvres.
Hein ?... quoi ?... qu’est-ce que vous dites ?
PAUL.
Moi, je ne disais rien ; mais si vous vouliez me permettre de parler, je vous dirais que je n’ai jamais cessé de vous aimer, et que c’est vous qui, malgré vos serments...
ROSE.
Moi ? si on peut dire ça !
PAUL.
Air : Bergère, sois moins sévère.
Que Rose
Ici dispose
Du destin de mes jours ;
Près d’elle
Toujours fidèle.
Je l’aimerai toujours.
ROSE.
C’est l’amour, c’est lui.
Qui causa notre querelle ;
L’amour, aujourd’hui,
Nous devait bien son appui.
Ensemble.
PAUL.
Oui, Rose
Toujours dispose
Du destin de mes jours ;
Comme elle,
Toujours fidèle,
Je l’aimerai toujours.
ROSE.
Que Rose
Toujours dispose
Du destin de tes jours ;
Comme elle,
Toujours fidèle,
Tu l’aimeras toujours.
ROSE.
Mais raconte-moi donc comment il se fait...
PAUL.
Tu étais si pressée, tout à l’heure !
ROSE.
J’étais pressée de me raccommoder.
Il s’assied près d’elle, et ils ont l’air de causer tout bas.
Scène XVI
PAUL, ROSE, MÈRE RABAUD, paraissant sur son balcon
MÈRE RABAUD.
J’ai voulu sortir, impossible ! Conçoit-on quelque chose à ce Nicaise qui s’avise de m’enfermer... Avec ça, je ne le vois pas revenir, et je crains qu’il n’ait fait encore quelques...
Scène XVII
PAUL, ROSE, MÈRE RABAUD, MATHURIN
MATHURIN.
Eh ! c’est vous, mère Rabaud ! Que diable faites-vous donc sur votre belvédère ?
MÈRE RABAUD.
J’attends mon fils Nicaise... Vous ne l’auriez pas rencontré ?
MATHURIN.
Ma foi, non ; je cherche aussi mon fripon de neveu.
Air : Un homme pour faire un tableau. (Les Hasards de la guerre.)
D’puis une heure il a disparu,
Et mon inquiétude est grande ;
J’ignorons c’ qu’il est devenu,
Et v’là pourquoi je vous l’ demande.
Pour retrouver c’ qui s’ perd chez nous,
Il n’est qu’ deux moyens en usage,
Et c’est de s’adresser à vous,
Ou bien au tambour du village.
MÈRE RABAUD.
Ça vous va bien, vous qui êtes aussi curieux pour le moins.
MATHURIN.
Moi, par exemple !
S’approchant de la grange.
Dites donc, mère Rabaud, j’ crois que j’ai entendu là, dans la grange...
MÈRE RABAUD.
Qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce que c’est ?
MATHURIN.
Comme qui dirait le bruit d’un baiser. Il me semble qu’on parle bas... Mais je ne distingue pas la voix.
MÈRE RABAUD.
Regardez par la fente à gauche, on voit très bien, je le sais.
MATHURIN, regardant.
C’est Rose elle-même... et quelqu’un que je ne puis distinguer est à ses genoux.
MÈRE RABAUD, avec joie.
Serait-il vrai ?
MATHURIN.
Oh ! très vrai.
MÈRE RABAUD.
Eh bien ! voisin, je sais ce que c’est.
À part.
Là, qui se serait attendu à cela de Nicaise ?... Il me l’avait bien dit : Ma mère, laissez-moi faire...
On entend une ritournelle.
MATHURIN.
Qu’est-ce que j’entends là ?
MÈRE RABAUD.
Ce sont toutes les filles et les garçons du village qui reviennent de l’ouvrage...
À part.
Ma foi, puisque Nicaise a si bien mené tout cela, il ne sera pas dit que je ne l’aurai pas secondé.
Scène XVIII
PAUL, ROSE, MÈRE RABAUD, MATHURIN, LOUISE, LOUISON, VILLAGEOIS et VILLAGEOISES
LES VILLAGEOIS et LES VILLAGEOISES.
Air de la Montagnarde.
Amis, après l’ouvrage,
Retournons au village.
On peut, après l’ouvrage,
Chanter un gai refrain.
MÈRE RABAUD, à part.
Hâtons-nous, et pour cause,
Je connais un moyen certain
Qui va bien forcer Rose
À lui donner sa main.
LES VILLAGEOIS et LES VILLAGEOISES.
Amis, après l’ouvrage, etc.
LOUISON.
Ah ! si Nicaise était là...
LOUISE.
Vous savez bien qu’il a un rendez-vous, il nous l’a dit ce matin.
TOUS.
Un rendez-vous ?
MÈRE RABAUD.
Oui, mesdemoiselles, il a un rendez-vous, et il est là, avec Rose, sa future ; car c’est demain qu’il se marie.
LOUISE.
Ah ! bien, faut aller lui faire nos compliments.
MATHURIN, bas à la mère Rabaud, pendant que les jeunes filles vont ouvrir.
Y pensez-vous ? compromettre cette jeune personne !
MÈRE RABAUD.
Bah ! ça hâtera leur mariage... et voilà tout... Vous sentez maintenant qu’il est indispensable... Qu’ai-je vu ?
Paul et Rose, amenés par les jeunes filles, paraissent les yeux baissés. Mathurin court à eux tout étonné. Mère Rabaud reste stupéfaite sur le balcon.
MATHURIN et LES VILLAGEOIS et LES VILLAGEOISES.
Comment, c’est Paul !
PAUL et ROSE, se jetant aux genoux de Mathurin.
Air : Ni jamais, ni toujours. (Mme Gail.)
Nous venons implorer
Tous deux votre clémence.
Daignez nous rassurer ;
On sait que l’indulgence
Vient toujours
Au secours
De la jeunesse et des amours.
MÈRE RABAUD.
Un instant !... nous saurons, j’espère, qui vous a ainsi renfermés.
PAUL et ROSE.
C’est Nicaise !
TOUS.
Nicaise !
MATHURIN.
Ma foi, mère Rabaud, vous l’avez dit vous-même, vous voyez que le mariage est indispensable.
MÈRE RABAUD.
Mais un instant ; au moins faut-il le temps de se reconnaître... Vous n’irez pas plus vite que les violons.
Scène XIX
PAUL, ROSE, MÈRE RABAUD, MATHURIN, LOUISE, LOUISON, VILLAGEOIS, VILLAGEOISES, BLAISE et QUATRE MÉNÉTRIERS
MATHURIN.
Air nouveau.
Voisin’, pour peu, Dieu merci,
Que la musique vous plaise,
Rassurez-vous, en voici.
LES MÉNÉTRIERS.
Dame, on nous envoie...
MATHURIN.
Et qui ?
LES MÉNÉTRIERS.
Nicais’ ! Nicaise ! Nicaise !
MÈRE RABAUD.
Suite de l’air.
Faut un notaire.
MATHURIN.
En effet,
V’là le tabellion Blaise.
BLAISE.
Oui, j’arrive tout d’un trait.
MATHURIN.
Qui donc vous envoie ?...
BLAISE.
Eh ! c’est
Nicais’ ! Nicaise ! Nicaise !
LES MÉNÉTRIERS.
Il nous a même payés.
MÈRE RABAUD.
Il a payé les violons !
MATHURIN.
Eh bien ! la musique en tête, les futurs après, et eu avant le cortège.
MÈRE RABAUD.
Au moins ouvrez-moi, que j’aille avec vous ?
MATHURIN.
Non pas, je me souviens de ma noce.
TOUS.
Air : La garde passe, il est minuit. (les Deux Avares.)
Oui, désormais plus de débat,
Allons signer tous au contrat,
Que tout se fasse avec éclat,
Que la noce commence.
Oui, nous serons tous de la danse,
D’la noce et du contrat.
La noce défile, les violons en tête.
Scène XX
MÈRE RABAUD, sur le balcon à se désespérer, NICAISE, arrivant tout essoufflé et s’essuyant le front avec son mouchoir
NICAISE.
Ah ! ce n’est pas sans peine... Mais quand je m’y mets une fois... ça va rondement... Dieu merci !
MÈRE RABAUD.
Oui, va, félicite-toi !
NICAISE, d’un air triomphant.
Eh bien ! hein ?
MÈRE RABAUD.
Voyez encore cet air de contentement... Je ne sais qui me retient... car je suffoque de colère... Va, je renonce à l’établir, à me mêler de tes affaires.
NICAISE.
Eh bien ! qui vous dit de vous en mêler !... pardin’, elles sont en bon train !
MÈRE RABAUD.
Oui, en bon train... et tu n’as que ce que tu mérites... Tu ne seras jamais qu’un sot, un imbécile, un vrai Nicaise.
NICAISE.
Eh bien ! qu’est-ce qu’elle dit donc ?... Il me semble qu’elle oublie le respect maternel... Je vois ce que c’est, elle est fâchée que je me sois passé d’elle.
On entend dans le fond.
LES GENS DE LA NOCE.
Air du vaudeville de La Nouvelle télégraphique.
Chantons,
Dansons,
Et célébrons
L’hymen qui les engage.
Jeunes tendrons,
Jeunes garçons,
Unissons
Nos chansons.
NICAISE.
Eh ! mais, qu’est-c’ que je vois d’ici ?
Un’ noce, un mariage ;
Eh ! quoi, sans moi danser ainsi !
Morgue ! j’en suis aussi.
LES GENS DE LA NOCE.
Chantons, etc.
MÈRE RABAUD, en dedans.
Eh ! mais, ne m’ouvrira-t-on pas ?
MATHURIN, dans le fond.
Je n’ crains plus de commérage.
Nicaise ouvre à sa mère.
NICAISE, faisant danser sa mère.
Pas d’ bonn’s fêtes, ni de sabbats,
Quand ma mère n’en est pas.
Scène XXI
MÈRE RABAUD, NICAISE, TOUTE LA NOCE, MATHURIN, PAUL et ROSE, en tête
Reprise du chœur.
LES GENS DE LA NOCE.
Chantons,
Dansons,
Et célébrons
L’hymen qui les engage.
Jeunes tendrons,
Jeunes garçons,
Unissons.
Nos chansons.
PAUL et ROSE.
Chantons,
Dansons,
Et célébrons
L’hymen qui nous engage.
Jeunes tendrons,
Jeunes garçons,
Unissons.
Nos chansons.
NICAISE.
Tiens, je ne me trompe pas, c’est Paul qui tient Rose par-dessous son bras.
On rit.
Qu’est-ce que c’est donc que cela ?
On rit.
Dites donc, vous autres, qu’est-ce que cela signifie ?
On rit.
Ils rient tous... ça me donne aussi envie de rire... sont-ils farces !... Tiens, le notaire rit aussi... Ah ! bien, mettez-moi du secret.
MATHURIN.
Dame, ce sont des gens qui viennent te remercier de tout le mal que tu t’es donné pour le mariage de Paul.
MÈRE RABAUD.
Oui, imbécile ! pour le mariage de Paul et de Rose.
NICAISE.
Bah ! ils étaient brouillés.
MÈRE RABAUD.
C’est toi qui les as raccommodés.
NICAISE.
Bah ! raccommodés... Ils ne pouvaient pas se parler.
MÈRE RABAUD.
C’est pour cela que tu les as renfermés ensemble.
NICAISE.
Comment, je les ai renfermés... Par exemple, voilà qui est drôle !... Eh bien ! si je les ai renfermés, comment sont-ils dehors ?
MÈRE RABAUD.
Qui pouvait se douter ?... C’est moi qui les ai fait sortir.
NICAISE.
Là... à qui la faute ?... V’là tout ce que je demandais... Convenez que ce n’est pas ma faute ?...
À part.
Elle ne fait que des bêtises...
Haut.
Ah çà ! monsieur Paul, je suis de la noce ?
PAUL.
Comment donc, monsieur Nicaise : si vous voulez nous faire l’honneur d’être premier garçon ?...
NICAISE.
C’est ça, premier garçon de la noce... c’est une fameuse occasion pour prendre une leçon de mariage.
Vaudeville.
Air de contredanse.
Rien n’est désespère,
Bientôt vous en aurez la preuve,
Rien n’est désespéré ;
Comme un autre je m’instruirai.
Peut-être qu’après cette épreuve,
Près de vous j’aurai du succès,
Et mam’zell’, si vous d’venez veuve...
Vaut toujours mieux tard que jamais.
Les quatre derniers vers se répètent.
PAUL.
Pourquoi donc toujours voir
De nouveaux maux en perspective ?
Pourquoi tout voir en noir,
Quand tout s’embellit par l’espoir ?
La jeuness’ redevient active,
Nos champs voient renaître la paix ;
L’ bon vin, l’ bonheur, tout nous arrive !
Un peu tard vaut mieux que jamais.
MÈRE RABAUD.
Je n’ai pas pu d’abord.
Dans le fond du cœur j’en enrage,
Je n’ai pas pu d’abord
Les empêcher d’être d’accord.
Les voilà tous deux en ménage,
Mais j’espère, je m’y connais,
Les brouiller après l’mariage.
Vaut toujours mieux tard que jamais !
MATHURIN.
Soyons d’notre pays,
Nos intérêts nous le commandent.
Soyons d’notre pays,
N’ formons qu’une famill’ d’amis.
Si queuqu’zuns encor s’en défendent,
Quoiqu’on retard, ils sont Français !
Qu’ils arriv’nt, nos bras les attendent.
Vaut toujours mieux tard que jamais.
NICAISE.
Papa n’ cessait d’ prier,
C’est un fait que j’ tiens de ma mère :
Papa n’ cessait d’ prier,
Afin de s’ voir un héritier.
Il n’eut pas ce destin prospère,
Car v’là que j’ naquis tout exprès
Un an après la mort d’ mon père.
Vaut toujours mieux tard que jamais.
ROSE, au public.
Ce soir, dans le hameau,
Qu’il ne survienne point d’orage.
Ce soir, dans le hameau,
Que le temps soit toujours au beau.
Si nous n’avons eu vot’ suffrage,
Pendant le cours de nos couplets,
Applaudissez la fin d’ l’ouvrage.
Puisqu’il vaut mieux tard que jamais.