Le Train du monde (Denis DIDEROT)

Plan d’une Comédie, inédit.

 

Personnages

 

UNE FEMME DU MONDE

SON MARI

SON AMANT

UNE AUTRE FEMME DU MONDE

SON MARI

SON AMANT

LE PETIT CHEVALIER

SON AMANT

UNE VEUVE

SON FILS

SON AMANT

UN OISIF de la connaissance de tous, qui a été aimé de la plupart de ces femmes et qui n’a voulu d’aucune, qui les conseille tous, qui s’amuse de leur embarras, qui ne tient à rien, qui les devine et les persifle.

UN TAILLEUR, UNE MARCHANDE DE MODE ET DE DENTELLES, UN JOAILLIER et D’AUTRES GENS qui attendent des mariages pour être payés

DES FEMMES DE CHAMBRE et AUTRES DOMESTIQUES

 

 

COMÉDIE

Un jeune homme fait un voyage en province, y séduit une jeune fille et l’attire à Paris.
Ce jeune homme a un père sévère. Pour dérober sa conduite à son père, et soustraire sa maîtresse aux poursuites de sa famille, il la déguise en homme.
C’est sous cet habit qu’il l’installe auprès d’une jeune fille, maîtresse d’un de ses amis.
Ces deux filles vivent ensemble et passent pour frère et sœur.
Comme leurs amants sont fastueux, elles tiennent une maison fort honnête ; et leur éducation, leur talent, leur esprit, achèvent d’en imposer sur leur état.
La maison qu’elles habitent est partagée entre elles et une veuve fort riche qui a un fils et un amant.
Cette veuve est en société avec deux femmes de nom qui occupent une maison voisine.
Celles-ci y ont aussi leurs maris et leurs amants ; mais lasses de leurs amants, elles cherchent à s’en défaire. Elles les ont déjà échangés entre elles. Elles les promènent comme des chiens qu’on veut perdre, mais cela ne leur réussit pas. Elles sont amies et confidentes l’une de l’autre.
Leurs maris sont, de leur côté, très las de ces amants. Ils ne les peuvent plus supporter, parce que ce sont des impertinents qui leur manquent d’égards, qui déshonorent leurs femmes, qui les ruinent, et qui les ont entraînées dans toutes sortes de travers.
Les dispositions des femmes pour leurs amants ne sont point ignorées des maris, ni celles des maris pour les mêmes personnages, ignorées des femmes.
Il faut cependant que les maris se conduisent avec adresse. Un moyen certain de ranimer le goût de leurs femmes pour leurs amants, ce serait d’en exiger d’autorité l’éloignement. C’est ce que les maris se confient, car ils sont amis.
Comme ils font très peu de cas de leurs femmes et qu’il leur est assez indifférent qui elles aient ou n’aient pas pour amants, pourvu qu’elles se défassent de ceux dont ils sont fatigués, ils imaginent dans un entretien qu’ils ont à ce sujet (ou on leur conseille) d’attirer les deux jeunes gens, amants des deux filles qui passent pour frère et sœur, qui demeurent chez la veuve et qu’ils ont eu occasion de connaître là. Il n’y a point de doute que ces jeunes gens ou que la fille déguisée qu’ils prennent pour un homme ou tous les trois peut-être ne réussissent auprès de leurs femmes.
Ils ont chacun un motif secret qu’ils se confient ou non, comme il me plaira. C’est que l’un a pris du goût pour la maîtresse d’un de ces jeunes gens, qui est en fille, et que l’autre, un peu non-conformiste, en a pris pour celle qui est en homme et qu’il croit homme.
Mais ils ont découvert qu’ils avaient là chacun un rival, l’un dans la veuve qui suivait de près la jeune fille déguisée en homme, que j’appellerai dans la suite le Petit Chevalier ; l’autre dans le fils de la veuve à qui la prétendue sœur du Petit Chevalier n’était pas indifférente.
Ils se sont encore aperçus que l’un des jeunes gens en usait assez mal avec sa maîtresse, et que le Petit Chevalier qu’ils prennent ou pour son ami ou pour son rival n’était plus ni un ami fort chaud, ni un rival fort dangereux, et que la fille et le jeune homme qu’ils regardent comme frère et sœur ont du chagrin. Toutes ces circonstances fondent l’espoir de leur succès.
Après avoir lié la société de ces jeunes gens et de leurs femmes, il s’agit de s’insinuer dans leur confiance, et de donner à l’amant de la veuve l’éveil des prétentions qu’on a sur sa conquête, et à la veuve l’éveil des projets qu’on a sur son fils.
Mais ce serait une chose plaisante, dit, à part lui, l’un des maris, le non-conformiste, que ma femme vînt à prendre du goût pour le Petit Chevalier, et le Petit Chevalier pour elle ; ce serait le cas du concessio unius fuit possessio alterius de Pétrone, et il en rit de toute sa force.
Les choses prennent exactement le tour que les maris avaient prévu. Leurs femmes accueillent à merveille les deux jeunes gens et se les partagent, mais ce n’est qu’une dissimulation de l’une et de l’autre ; le Petit Chevalier est l’objet réel de leurs prétentions secrètes.
Voilà donc le Petit Chevalier aimé d’un des maris, des deux femmes et poursuivi par-dessus par la veuve.
Un des amants des femmes devient en même temps amoureux de la sœur du Petit Chevalier et rival d’un des maris et du fils de la veuve.
Pour l’autre amant d’une des femmes, il reprend pour elle, devient jaloux, et fait le diable.
L’amant de la veuve, instruit par un des maris du goût de sa maîtresse pour le Petit Chevalier, devient aussi jaloux, redouble de soins et d’humeur, et fait le diable.
Cette femme et les deux autres et un des maris qui ont un même objet en vue, le Petit Chevalier, et qui ne tardent pas à se démêler, sont à couteaux tirés et font aussi le diable.
C’est un charivari enragé, mais sourd. Les maris s’enveloppent pour leurs femmes, les femmes pour leurs amants et pour leurs maris, les amants pour leurs maîtresses, celles-ci pour eux, le fils de la veuve pour sa mère, la veuve pour son amant et pour tous les autres.
Il n’y a de sincérité et d’union intime qu’entre le Petit Chevalier et sa sœur prétendue. Ces deux femmes sont malheureuses. Elles craignent de le devenir davantage. Elles se sont tout avoué. Elles se liguent envers et contre tous et se jurent un attachement inviolable.
Le Petit Chevalier est un démon de confiance, d’intrépidité et d’intrigue.
La sœur est la bonté et la douceur mêmes. La nature en avait fait une créature charmante ; mais les circonstances, qui disposent de tout, en ont fait ce qu’elle est. Elle aime vraiment son amant. Son inconstance la désole ; mais qu’y faire ?
Le Petit Chevalier lui peint les hommes tels qu’ils sont, lui montre la nécessité de penser à elle et les avantages qu’elle peut se promettre du goût que le fils de la veuve et l’un des maris ont pris pour elle. « Votre amant, lui dit-il, est un perfide auquel il faut renoncer. Oubliez qui vous oublie. Le fils de la veuve est un sot auquel vous n’avez pas résolu de vous en tenir. Le mari d’une de ces femmes qui vous en veut est riche. Il faudrait avoir l’un pour époux et l’autre pour amant. Voyez, faites-moi signe, et je me charge du reste. » La petite sœur hésite d’abord, se laisse entraîner ensuite, mais bien à contrecœur.
Cependant la veuve, pressée d’un goût très vif, d’un goût de veuve, pour le Petit Chevalier, qu’elle voit sur le point de tomber entre les mains de ses rivales, ou même de l’un de leurs satans de maris, prend son parti et propose au Petit Chevalier sa fortune et sa main.
Voilà le moment de servir sa sœur prétendue que le Petit Chevalier avait prévu, qu’il attendait et qu’il ne manquera pas.
Il accepte l’offre de la veuve, mais il est désolé de ne pouvoir y répondre avec tout l’empressement qu’il devrait. Il a une sœur qui lui est chère. Il a promis à cette sœur et à leur père en mourant de ne la point quitter et de renoncer à tout engagement, jusqu’à ce qu’elle fût pourvue. Ils ont peu de bien. Que deviendrait cette pauvre petite sœur ? Non, il ne se résoudra jamais à la laisser seule.
La veuve lève sur-le-champ cette difficulté. « Eh bien, lui dit-elle, mon fils aime votre sœur. Je le sais ; sachez d’elle s’il en est aimé, et nous ferons deux mariages en un jour. »
Belle scène de la sœur et de son amant. Elle est prête à renoncer à tout si cet ingrat veut revenir à elle.
Mais les deux femmes rivales de la veuve, les deux maris, l’un amant du Petit Chevalier, l’autre amant de sa petite sœur, et l’amant de la veuve ne sont pas sitôt instruits de cet arrangement qu’ils font un sabbat détestable.
Cependant le Petit Chevalier va toujours son train. Il vient d’arranger le mariage de sa petite sœur avec le fils de la veuve, et le voilà qui va arranger l’intrigue de cette petite sœur avec celui des maris dont elle est aimée. Conditions du traité.
Quant aux deux amants, l’un du Petit Chevalier et l’autre de sa petite sœur, ils gardent le secret ; et pourquoi le rompraient-ils ? Ils sont las de ces filles.
À la vérité, ils ne sont pas trop bien avec leurs nouvelles maîtresses ; le Petit Chevalier est un rival fâcheux pour eux. Mais il s’engage à les rendre heureux l’un et l’autre, pourvu qu’ils continuent de se taire. Ils y consentent, sans savoir ni comment le Petit Chevalier se tirera de son intrigue avec la veuve, ni comment il conduira la leur à bonne fin.
Le plus incommode des rivaux du Petit Chevalier, c’est l’amant de la veuve. Les perquisitions que cet homme fait sur l’état de sa sœur et le sien l’inquiètent. Pour les arrêter, il le voit et lui dit : « Votre attachement pour la veuve, non plus que le mien, ne peut être une affaire de cœur. À son âge, on n’inspire pas de la passion à des hommes du nôtre. Vous en voulez à la fortune, n’est-ce pas ? Et moi aussi. Croyez-moi, ne nous nuisons pas. Partageons notre proie et qu’il n’en soit plus question. J’ai en province une cousine charmante. Elle doit arriver incessamment à Paris. La veuve la dotera richement ; je saurai l’y déterminer ; vous l’épouserez et nous serons tous contents. »
L’amant de la veuve tope à ce projet. La veuve vient savoir du Petit Chevalier si son fils convient à sa sœur. La veuve, son fils, le Petit Chevalier, sa petite sœur, se voient. Ils sont tous enchantés les uns des autres. Il ne s’agit plus que de conclure. « Mais... lui dit le Petit Chevalier. – Quoi, mais ? Qu’est-ce qu’il y a encore ? – Vous avez accordé votre confiance à monsieur un tel, en lui nommant son amant ; il y a longtemps qu’il vous sert et d’un service assez pénible. Il a la clef de vos affaires. Il peut vous jeter dans des embarras sans fin. – Après. – Il y aurait un moyen. – Et ce moyen ? – J’ai une cousine charmante qui doit incessamment arriver ici ; il faudrait, etc. »
La veuve, qui voit sa fortune se démembrer encore et son mariage se différer, goûte difficilement cette idée. Cependant à force de louer la bonté de son caractère, sa bienfaisance, de l’embrasser, de la baiser, de la cajoler, de lui parler de sa cousine comme d’une fille charmante qu’elle aimera à la folie, le Petit Chevalier la persuade, mais à une condition, c’est qu’en attendant cette cousine, le Petit Chevalier se chargera de la désennuyer. Elle ne peut plus y tenir. Il lui faut son Petit Chevalier et dès cette nuit.
Dans le cours de cette intrigue, le Petit Chevalier a avec ses deux maîtresses et avec un de leurs maris son amant, plusieurs entrevues tout aussi pressantes, tout aussi plaisantes et tout aussi difficiles. Mais il s’en tire si bien qu’il ne doute plus de rien. Il accepte donc le rendez-vous de la veuve.
Il fait pis, il voit une des femmes et songe à s’acquitter avec son amant et celui de la petite sœur de la promesse qu’il leur a faite. Il donne donc rendez-vous chez lui à cette femme, et pour la même nuit que la veuve. Il voit l’autre femme et lui donne rendez-vous chez elle et pour la même nuit que la veuve.
Il voit un des maris et lui donne, au nom de la petite sœur, rendez-vous dans une maison de plaisir et pour la même nuit que la veuve.
Il tiendrait parole à tous, qu’ils n’en seraient pas plus avancés, excepté ce dernier. Encore.
L’un des amants que la sœur et le Petit Chevalier avaient, ira prendre sa place auprès d’une des femmes ; l’autre amant auprès de l’autre femme. Un des maris sera occupé de sa petite sœur. L’autre mari gardera les manteaux.
Les bonnes scènes que ces incidents fourniront entre le Petit Chevalier, sa petite sœur et leurs premiers amants ! car ils sont dans la confidence et reçoivent chacun leur rôle du Petit Chevalier.
Voilà qui est fort bien jusque-là. Mais comment se tirera-t-il, lui, du rendez-vous de la veuve ? Qui est-ce qui le remplacera là ? Il y rêve. Rien ne lui vient. Il se désespère. Il en était là, lorsque l’amant d’une des deux femmes, celui qui avait repris de tendresse pour sa maîtresse, vient lui faire une querelle. Cette aventure de jalousie, qui pouvait exposer sa vie ou son secret, lui tourne à merveille. Il considère cet homme. Il découvre que c’est un de ses parents. Il l’embrasse. L’autre est fort surpris, etc.
Le Petit Chevalier, après s’être découvert à lui, lui peint sa maîtresse des couleurs les plus noires, et il a beau jeu ; lui montre la veuve et sa fortune ; il le détermine à l’épouser, et, pour s’assurer de la proie, à prendre, en attendant, auprès d’elle, la place dans le rendez-vous nocturne qu’il a accepté. « Tout ira bien, lui dit-il, faites ceci, faites cela. Et surtout songez seulement à ce que la nuit me fasse honneur et inspire à la veuve du goût pour quelques autres. Vous serez bien malheureux si vous ne vous en tirez pas mieux que moi. »
Ce parent y consent, et tout est arrangé. « Mais, dit le Petit Chevalier, quoi ! je serais oisif tandis qu’ils seront tous occupés ! Ô Chevalier, cela ne se peut. J’aurais fait leurs affaires et je négligerais les miennes ! Cela n’est pas sensé. » Il écrit un billet à l’un des amants des femmes qu’il aime, et lui donne rendez-vous pour la même nuit encore que la veuve.
Cependant son parent s’acquitte très bien de son rôle. La veuve, qui l’a pris pour son Petit Chevalier et qui lui a trouvé des talents qu’elle lui croyait moins qu’elle ne les lui souhaitait, en devient folle à lier.
C’est une bonne chose que la scène de ce parent au sortir de chez la veuve, avec lui-même, ensuite avec le Petit Chevalier.
Et celles de tous ces amants qui sortent les uns après les autres de leurs rendez-vous, soit qu’elles se passent avec le Petit Chevalier, ou entre eux, ne seront-elles pas plaisantes ?
La veuve, en attendant le don de sa main et de sa fortune, accable le Petit Chevalier de présents de toute espèce. Le Petit Chevalier, qui a de la conscience, offre ces présents à son parent qui les a bien gagnés. Elle, sa petite sœur et leurs premiers amants en font des gorges chaudes ; car ce sont tous des brigands, excepté la petite sœur, à qui son amant revient, qui a quelques syndérèses dont on lui fait honte et qui se passent.
La veuve, son fils, l’amant de la veuve, les deux maris, leurs chères moitiés sont les jouets du Petit Chevalier, de sa petite sœur et de leurs premiers amants.
Cependant il faut dénouer. Le Petit Chevalier dit donc à ceux qui sont dans la confidence : « Mes amis, il est temps, je crois, que ma cousine arrive, or je viens d’apprendre qu’en effet elle est arrivée. »
Ils sont tous ou peuvent être de bonne foi sur cette cousine. C’est comme il me conviendra, et son arrivée leur paraît un événement fâcheux.
Le Petit Chevalier ajoute : « Elle ne tardera pas de s’adresser à vous. Je ne vous dis rien sur le rôle que vous avez à faire. Le moment vous l’inspirera. En attendant, répandez que je m’en suis allé, que, mécontent des femmes, méprisant les hommes, entêté de la manie des voyages, je suis déjà bien loin. Les présents de la veuve serviront à doter ma cousine, si elle arrive, comme je l’espère ; et si elle ne vient pas, on les remettra à monsieur un tel, l’autre amant d’une de nos femmes. C’est un homme que j’ai toujours estimé et que j’estimerai toujours et à qui je suis bien aise de donner cette marque d’attachement. »
Il faut savoir que le Petit Chevalier s’était pris de tendresse pour cet homme, et que, ne pouvant dans le courant de la pièce se l’attacher comme amant, il s’en était fait un ami ; ce en quoi son parent l’avait bien servi, depuis que le Petit Chevalier et ce parent s’étaient reconnus.
Il faut se ressouvenir que ce parent et cet ami liés à deux femmes amies, l’étaient beaucoup ensemble.
Ce qui achève de rendre cette partie de l’intrigue vraisemblable et facile.
C’est l’affaire de quelques scènes entre cet amant et le Petit Chevalier (ces scènes même auront un caractère très singulier) et de quelques scènes entre cet amant et le parent du Petit Chevalier. Les premières seront préparées par la passion de cet homme pour la sœur du Petit Chevalier, à qui il se sera adressé, et qui, loin de le servir, aura toujours croisé son goût et cherché à le tenir dans l’indifférence, du moins jusqu’à l’arrivée de sa cousine.
Le Petit Chevalier disparaît en effet. Le bruit de son évasion se répand. Alors, que deviennent tous ses amoureux et la veuve, et les deux femmes et l’un des maris ?
Ils arrivent tous les uns après les autres, et en raisonnent comme il leur plaît.
La veuve en est désespérée.
Les deux femmes affectent le mépris. Un des maris, honteux, garde le silence. L’autre est content et a raison de l’être. Ils sont tous rassemblés, lorsqu’on annonce la cousine. Ils s’écrient : « Ah ! la voilà donc cette cousine si attendue, si vantée ; nous l’allons voir. »
Elle paraît au milieu d’eux. C’est le Petit Chevalier même en habit de femme.
Tous la reconnaissent et se récrient à leur manière.
Mais est-elle, n’est-elle pas ce qu’elle paraît ?
Les femmes de nos maris la croient femme, et elles ont bien leurs raisons pour cela.
Leurs maris ne savent qu’en dire.
La veuve la soutient homme, et elle a bien aussi ses raisons pour cela.
Le Petit Chevalier, après s’être bien laissé contempler, prend la parole et explique tout.
Et la veuve épouse son parent. Et le fils de la veuve épouse la petite sœur qu’un des époux achève de doter. Et elle épouse un des amants des femmes.
Et les amants qu’elles avaient, lui et sa petite sœur, restent en possession des femmes pour qui elles avaient été quittées.
Et les maris, débarrassés des premiers, se consolent.
Et leurs femmes en font autant par un motif à peu près semblable. Et tous, trompés et trompeurs, sont contents, excepté l’amant de la veuve qui reste dupé comme un sot, quoique le Petit Chevalier lui promette toujours sa cousine. Et la pièce finit.

 

 

OBSERVATIONS SUR LES CARACTÈRES DE LA PIÈCE

 

Il faut que le Petit Chevalier soit gai, plaisant, léger, insolent, dissimulé, sans caractère, sans mœurs, sans principes, rusé, fin, se jouant de tout, connaissant le cœur humain et le croyant naturellement malhonnête ; connaissant les hommes et les femmes et les méprisant ; le monde et le regardant comme une caverne de fripons où ce serait une duperie d’agir de bonne foi ; pratiquant cette morale et la prêchant à sa petite sœur ; du reste capable de toutes sortes de formes qu’il prend ou quitte d’un moment à l’autre au gré de son intérêt et des circonstances.
Sa petite sœur sera faible, douce, sensible, tendre, honnête ou du moins née pour l’être.
La veuve grave, empesée, renfermée, rengorgée, prude, vaine et passionnée.
Le fils de la veuve, jeune sot, ridicule, étourdi, sans éducation, sans monde, sans esprit, et fort pressé de sortir de dessous l’autorité de sa mère, de dépenser et surtout de connaître les femmes.
Un des maris, dur, violent et brutal.
L’autre, insinuant, doux, flatteur, caché, mystérieux, silencieux, ironique, avec l’accessoire de son goût.
Une des femmes, sérieuse, réservée, jouant la dignité, les mœurs et l’honnêteté.
L’autre femme, au contraire, ouverte, de la malhonnêteté la plus franche, sans mœurs et foulant aux pieds la décence avec l’intrépidité la plus décidée.
Un des amants de ces femmes, dur, jaloux et despote, et très incommode à sa maîtresse, et à l’époux par ce caractère.
L’amant de l’autre femme, gai, libertin, folâtre, sans soin, sans souci, fastueux, escroc, et très incommode à sa maîtresse et à l’époux par ce caractère.
L’amant d’une des filles est jeune, inconstant, libertin, dissipateur, le modèle et le héros du fils de la veuve, qu’il achève de perdre, et aimé de la femme ouverte.
L’amant de l’autre fille, joueur, homme froid, ennuyé, mélancolique, obéré de dettes et aimé de l’autre femme.
L’amant de la veuve, flatteur, lourd et maussade, homme intéressé, âme fausse et vile.
Le Petit Chevalier reconnaîtra dès le commencement son parent et craindra d’en être reconnu.
Lorsqu’il aura accepté le rendez-vous de la veuve, il faudra qu’il prenne des précautions pour que la veuve ne s’aperçoive point de l’erreur, lorsqu’un autre occupera sa place.
Quand il parle, il ne peut aimer. Le récit de cette nuit sera plaisant.
Le Petit Chevalier a une inquiétude, sa petite sœur l’interroge sur cette inquiétude, c’est la crainte d’être reconnu. Cela rendra cette reconnaissance plus intéressante.
Et comment font-ils le diable ? En accusant le Petit Chevalier de fourberie auprès de la veuve ; sa petite sœur d’indigence et de mauvaise conduite, ce qui fonde les recherches de l’amant. Et ces accusations se font d’intelligence avec les maris et les femmes et l’un des amants des femmes.
Les femmes peuvent aussi l’accuser à la veuve avec beaucoup de finesse. Conseil entre tous ces personnages pour rompre les deux mariages en question.
Le Petit Chevalier les détrompera ou les trompera tous par des rendez-vous acceptés. Il leur dira : « Il ne s’agit que de marier ma sœur, qu’aime votre mari, et que de duper la veuve. »
Il faut, s’il est possible, que le Petit Chevalier trompe sans cesse, en défaut de la vérité, et même les autres personnages.
Il faut qu’avec les femmes qui l’aiment, le Petit Chevalier les persifle, elles et tous les discours des amants. Il montrera la fausse modestie du cœur des unes et la forfanterie des serments des autres. Il rit en les faisant pleurer.
Il faut que les femmes, après avoir couché avec leurs amants, changent toutes les deux de sentiments et concourent avec le Petit Chevalier, que les maris s’en aperçoivent, et notre oisif, et qu’ils en devinent à peu près la raison.
Peut-être faut-il que la pièce commence au sortir de table par les deux maris mécontents qui racontent tout ce qui s’est passé.
Quand les femmes font le diable et les hommes, ils médisent de la sœur sur son commerce avec son amant.
Ils déterrent des soupçons sur sa naissance et sa fortune.
Il leur vient des créanciers qui sont aussi ceux des jeunes gens et du petit frère et de la petite sœur qu’ils envoient à la veuve ou à ses domestiques pour savoir si l’on se mariera bientôt.
Ils avouent leurs intrigues avec le Petit Chevalier ; les femmes mêmes tâchent de lui donner un air de fausseté. La femme *** dit toujours du mal du Petit Chevalier et des hommes.
L’autre n’est mécontente d’aucun, que de ceux qui durent trop. 

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