Damon et Pythias (Samuel CHAPPUZEAU)
Sous-titre : le triomphe de l’amour et de l’amitié
Tragi-comédie en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Maris, en 1656.
Personnages
DENIS, Tyran de Syracuse
TIMOCRATE, favori du Tyran
POLIXÈNE, favori du Tyran
MARSYAS, confident de Polixène
DAMON, seigneur de Thessalie
PYTHIAS, seigneur de Thessalie
SOPHROSYNE, sœur de Dion, amante de Damon
DORIDE, sœur de Polixène, amante de Pythias
ALDRÈTE, sœur du Tyran, femme de Dion banni
PHILISTE, suivante d’Aldrète
GARDES du Tyran
La scène est au Palais de Syracuse.
À MONSIEUR APERO VAN DER HOEVEN
MONSIEUR,
Si je n’ose me persuader que ce Poème ait reçu de l’applaudissement dans quelques représentations qui en ont été faites cet hiver et à Paris et à Bruges ; j’ose publier sur le rapport de ceux qui m’en ont écrit, que le sujet en a paru merveilleux, et la conduite passable. J’avoue que je n’y ai pas employé tout le temps qu’il faudrait pour un ouvrage achevé, et que d’ailleurs je ne fais pas profession de fournir le Théâtre qui occupe aujourd’hui des Auteurs célèbres, et qui les occupe tous entiers. Je ne pris que quinze jours à composer ces quinze cent vers, et ne puis nommer cette pièce qu’un pur divertissement que je me croyais permis dans le cabinet : Mais puisqu’enfin elle en est pour servir de spectacle sortie au peuple, je veux encore une fois lui donner plus de loisir d’admirer la haute vertu de mes deux Amis. C’est en effet, MONSIEUR, le plus Illustre exemple que l’Antiquité nous laisse de fidélité et de concorde, et ces riches Armes que porte votre famille, avec la devise ingénieuse qui les accompagne, n’ont pu que me faire naître en frappant ma vue, le dessein de vous offrir ce tableau d’une parfaite amitié. Mais je dirai de plus, que c’est avec beaucoup de raison que j’ai fait ce choix ; et Damon et Pythias après s’être du plaindre que mes vers ont mal exprimé leurs généreux sentiments, auront de quoi louer ma prudence à leur donner un si digne protecteur. Un sé jour de trois mois en cette ville m’a suffi pour apprendre tout ce que la renommée en publie : mais ce pour n’en est assez avoir pas conçu tous les éloges qu’il peut mériter ; Et c’est ici, MONSIEUR, que je ne veux pas pécher comme dans la composition de cet ouvrage, la chose est de plus haute importance, et je destine un temps plus raisonnable et une plus longue étude à produire ce que vos rares qualités doivent m’inspirer. Soufrez donc que je ne trace à présent qu’un petit plan, et que l’abrégé d’une matière sur laquelle je pourrai un jour m’étendre ; que tous ceux qui liront les nobles aventures de Damon et de Pythias, apprennent tout à la fois que vous êtes anobli des mêmes vertus qui leur acquirent jusqu’à l’amitié d’un Tyran ; que vous êtes comme eux, accort, courtois, généreux, fidèle ; que vous n’aimez pas seulement la tranquillité en vous même, que vous la savez procurer entre vos amis : mais d’une manière si belle et si fort hors du commun, qu’elle vous a fait admirer en divers rencontres. Je m’expliquerais davantage, si votre modestie le pouvait permettre : mais sans la blesser, il faut que je parle encore de cet air tout aimable que vous portez, de cet entretien charmant qui vous fait rechercher des meilleures compagnies, et qui ne se trouvent pas complètes si vous y manquez. J’ajouterai enfin cet amour que vous avez pour la poésie, marque essentielle d’un bel esprit, et qui qui sait gouter les bonnes choses ; et c’est sur cela que j’ai osé vous offrir la mienne, et que j’ose de plus me dire avec respect.
MONSIEUR
À AMSTERDAM
le 16 Janvier, 1657.
Votre très humble et très obéissant serviteur.
CHAPPUZEAU.
ARGUMENT
Damon et Pythias seigneurs de Thessalie, amis très intimes, se rencontrent à la Cour de Denis Tyran de Syracuse, et y font chacun une maîtresse. Pythias surpris en trahison par un rival, le tue, et est d’abord condamné à mort par le Tyran à la sollicitation du frère du défunt. Il obtient pourtant une grâce, et il lui est permis pour des affaires importantes qui demandent sa présence, de faire un voyage en son pays, en donnant une caution suffisante. Damon s’offre pour otage, et est accepté. Pythias fait voile, et promet de retourner à jour nommé. Le jour arrive, on ne le voit point. Son amante s’afflige de son malheur et de son absence, et appréhende d’ailleurs son retour. L’Amante de Damon dans la crainte qu’elle a de la perte de celui-ci, entre dans des sentiments contraires, et Damon contre toutes les deux soutient hautement la fidélité de son ami, et sans souhaiter qu’il revienne afin d’avoir la gloire de mourir pour lui, les assure qu’elles le verront avant la nuit. Il arrive en effet, et les surprend agréablement ; et après divers stratagèmes pour favoriser la fuite de l’un et empêcher le retour de l’autre, le Tyran révoque l’arrêt de mort contre Pythias, et admirant une si rare amitié, demande d’y entrer comme troisième, et leur accorde à chacun le digne objet de leur amour. Aldrète femme de Dion banni, après avoir souffert diverses persécutions du Tyran son frère en faveur d’un confident qu’il aimait, et de laquelle il le voulait rendre possesseur, obtient le rappel de ce grand homme.
Il est aisé de discerner ce qui est de l’histoire d’avec les embellissements fabuleux, que j’y ai mêlés. Voyez Cicéron dans son livre de l’Amitié, et Valère Maxime sur le même titre.
ACTE I
Scène première
ALDRÈTE, TIMOCRATE, PHILISTE
ALDRÈTE.
Quoi toujours m’affliger ? c’en est trop, Timocrate ;
Non, non, je veux enfin que ma colère éclate,
Et voir malgré l’appui dont vous vous prévalez
À vos feux criminels vos tourments égalés.
Lâche, y penses vous bien, et me croies vous telle
Pue je puisse souffrir cette tache immortelle,
Et que si le Tyran m’éloigne d’un mari
J’écoute en son absence un simple favori ?
Je saurai comme il faut repousser cette injure ;
Déjà dans Syracuse un chacun en murmure.
Et le Tyran et vous qu’agite la fureur
Offrez aux Citoyens deux objets pleins d’horreur.
TIMOCRATE.
D’un frère trop humain vous blessez la tendresse,
Avecque trop d’ardeur pour vous il s’intéresse,
Et vous méconnaissez les biens qu’il vous a faits
En répondant si mal à ses justes souhaits.
ALDRÈTE.
C’est mon frère, il est vrai, mais un frère barbare,
Si le sang nous a joints, son vice nous sépare,
Et la seule naissance est un faible lien
Alors qu’elle n’a pas la vertu pour soutien.
Tant de feux allumés par toute la Sicile,
Tant de têtes à bas dans sa première ville ;
Dion, l’équité même et la même vertu
Sous de si rudes coups tristement abattu,
Et contraint de céder à l’effort d’un orage,
Qui vainquit ses conseils sans vaincre son courage,
Dion ce cher époux que le Ciel m’a donné
Dans un exil fâcheux de tous abandonné,
Et pour dernière horreur, à sa femme affligée
Proposer un amour dont elle est outragée,
Renverser la nature et troubler ses états
D’un frère trop humain font les noirs attentats.
TIMOCRATE.
De trop de passion votre âme est surmontée ;
Oui, du Syracusain l’insolence domptée,
Ses efforts dissipés, des rebelles punis
Pour assurer le sceptre à l’Illustre Denis,
À ce frère qu’à tort condamne votre haine,
Marquent de ce grand cœur la vertu souveraine ;
Sa justice a paru dans ces occasions
Étouffant la révolte et les divisions ;
Son grand cœur s’est fait voir en forçant mille obstacles,
Toutes les actions ont été des miracles,
Et ses bontés enfin n’ont pas eu moins d’éclat
En offrant le pardon à tout un peuple ingrat.
Mais à ceux dont l’orgueil n’a point eu de limites
L’on a vu justement ses grâces interdites,
L’on a vu trébucher ces superbes Titans ;
Et si Dion eut su s’accommoder au temps,
S’il eut un peu quitté de son humeur altière
Qui dans nos différents fut toujours trop entière,
Il eut de votre frère éprouvé l’amitié,
Et vous verriez encor cette chère moitié.
Mais c’est mal à propos que je la nomme chère ;
Dion en vous aimant eut paru moins sévère,
Et son zèle indiscret nous eut moins combattus
S’il eut fait plus d’état de vos rares vertus.
Il n’eut jamais pour vous que de l’indifférence,
L’amour n’eut dans son cœur aucune préférence,
Et qui s’est pu résoudre quitter tant d’appas
Semble céder un bien qu’il ne méritait pas.
Son exil vous fait voir une âme trop austère ;
Il ne fut point forcé, puisqu’il fut volontaire,
Et faisant quelque trêve à ne le plus choquer,
Le généreux Denis allait le révoquer.
Mais contre vous et lui sa fausse politique
Obtint sur son amour un pouvoir tyrannique,
Il méprisa le frère et méprisa la sœur,
Et n’en est plus enfin l’indigne possesseur.
ALDRÈTE.
Il le sera toujours malgré la tyrannie
Qui bannissant Dion rend la vertu bannie,
Il le sera toujours : mais trop digne de moi,
Trop digne de mes feux, trop digne de ma foi.
En vain pour s’établir dans une âme constante
Il n’estrien contre lui qu’un perfide ne tente,
Dion et Timocrate ont trop peu de rapport ;
L’un fut de son pays l’invincible support,
L’autre de son pays médite la ruine
Et se plaît aux fureurs d’une guerre intestine.
Ne reprochez donc point à ce charmant époux
Que de me conserver il parut peu jaloux,
C’est par là qu’il se rend beaucoup plus estimable,
C’est par là qu’il m’est cher et qu’il m’est adorable ;
C’était mettre bien mieux sa passion au jour
Quand au bien de l’état il fit céder l’amour,
Son cœur était brulant d’une divine flamme
Quand il sut mieux aimer son pays que sa femme,
Et j’aurais vu mes vœux et ses desseins trahis
S’il avait préféré sa femme à son pays.
À servir l’un et l’autre il est trop de justice,
Mais à l’un devant l’autre est du ce haut service,
Et Dion a bien su pratiquer cette loi
Étant à sa patrie avant que d’être à moi.
TIMOCRATE.
Que Dion est heureux d’avoir en sa défense
Une bouche qui s’ouvre avec tant d’éloquence,
Et tout absent qu’il est de trouver aujourd’hui
Dans la beauté qu’il quitte un si puissant appui.
Mon amour toutefois ne perd point l’espérance,
Madame, j’attends tout de ma persévérance,
Et sans me prévaloir d’un pouvoir souverain
Qui me rendrait bientôt de mon bonheur certain,
Qui me ferait raison après tant d’injustices,
Je veux vous obtenir à force de services,
Et vous faire juger aux preuves de ma foi
Qui vous aime le plus de Dion ou de moi.
ALDRÈTE.
C’est faire à mon époux un trop sensible outrage
De souffrir plus longtemps cet importun langage ;
Timocrate, cessez de me persécuter,
Et si tous mes dédains n’ont pu vous rebuter,
Je suis femme, ce mot doit vous couvrir de honte.
TIMOCRATE.
D’un fantôme d’honneur vous faites trop de conte ;
Dion vous abandonne aux volontés d’autrui,
Et ce mépris trop grand vous dégage envers lui.
ALDRÈTE.
Coupons court, Timocrate, à ce discours frivole,
Au lieu de m’affliger son exil me console,
Je l’y trouve cent fois plus digne et plus charmant,
Nous sommes bien mieux joints dans cet éloignement,
Et malgré les rigueurs la mort qui tout sépare
N’aura jamais sur nous un pouvoir si barbare,
Dion sera toujours mon unique vainqueur,
Et mort comme vivant doit posséder mon cœur.
TIMOCRATE.
Je vois bien à la fin que je vous importune,
Et qu’un mauvais démon s’oppose à ma fortune ;
Mais ce démon ni vous n’êtes pas si puissants ;
Qu’on n’ait pour vous dompter des moyens plus pressants.
Adieu.
ALDRÈTE.
Va, je crains peu l’effet de tes menaces.
Ha ! Philiste, vois-tu quelles sont mes disgrâces !
Dans l’exil d’un époux un frère contre moi
Appuie un téméraire à corrompre ma foi.
Ô Ciel ! ne permets pas que jamais je succombe,
Plutôt, plutôt cent fois, Terre, ouvre moi la tombe.
PHILISTE.
Madame, à tant de maux espérez du secours,
Quand ils vont dans l’excès ils n’ont pas un long cours,
La nature s’oppose à trop de violence,
Et vous verrez bientôt finir tant d’insolence.
ALDRÈTE.
Espérons donc, Philiste, et de mon cher Dion
Défendons bien les droits en cette occasion.
Arme-toi, ma constance, il faut que tu le gagnes :
Mais voici de mon fort deux Illustres compagnes.
Scène II
ALDRÈTE, DORIDE, SOPHROSYNE, PHILISTE
ALDRÈTE.
Vous trouvez vous ici pour plaindre mes malheurs,
Et venez vous mêler vos soupirs à mes pleurs ?
DORIDE.
Madame, nous avons même sujet de plainte,
Nous souffrons comme vous une dure contrainte,
Et cet affreux palais qui nous sert de prison
Ne promet à nos maux aucune guérison.
Depuis le triste jour qui nous rendit captives
Et porta dans nos cœurs des atteintes si vives,
Nous sommes toutes trois dans de pareils tourments,
Vous pour un digne époux, et nous pour nos amants.
SOPHROSYNE.
J’éprouve entre nous trois le fort le plus sévère,
Je crains pour un amant, et je crains pour un frère,
Pour Dion qui m’est cher, et que le droit du sang
Me fait avec Damon tenir en même rang.
ALDRÈTE.
Ha ! Madame, à ce nom ma douleur se rengrège,
Rien ne peut égaler le malheur qui m’assiège,
Pour un amant perdu l’on ne sent point des coups
Si rudes ni si grands comme pour un époux ;
L’amour s’évanouit avecque l’espérance,
Mais avec quels regrets s’en perd la jouissance !
DORIDE.
Hélas ! je n’en vois point plus à plaindre que moi,
Vous avez de Damon la présence et la foi,
Je n’ai de Pythias qu’une faible assurance,
Se tournant vers Sophrosyne.
Et je crains son retour autant que son absence.
ALDRÈTE.
Je n’ai jamais appris qu’avec confusion
De ces rares amis la parfaite union,
Leur décente en Sicile et leur prompte disgrâce,
Et comme dans vos cœurs ils surent trouver place ;
J’avais alors assez de mes propres malheurs ;
Charmés par ce récit l’excès de mes douleurs,
Ou pour le moins, Madame, accordez-le à leur gloire.
DORIDE.
Puisque vous le voulez j’en commence l’histoire,
Et plus savante ici qu’aucune de vous deux,
Je confesse que j’aime à m’entretenir d’eux.
Quand du divin Platon la haute renommée,
Fut par tout l’Univers si promptement semée,
Chaque pays charmé de son rare savoir
Souhaita ce grand homme et tâcha de l’avoir.
Denis avec chaleur brigua cet avantage,
Et renvoyant bientôt message sur message
Crut donner plus de poids à son gouvernement
S’il tenait dans sa Cour cet Illustre ornement.
Après mille ressors et mille coups d’adresse
Nous vîmes sur nos bords ce soleil de la Grèce,
Et la Sicile enfin eut l’heur de posséder
Ce qu’aux Syracusains chacun devait céder.
Damon et Pythias furent de ce voyage
Ayants fait sous Platon leur noble apprentissage,
Et voulant l’honorer dans cette occasion
Prirent un train sortable à leur condition.
Les champs délicieux qu’enclot la Thessalie,
Qu’arrose le Pénée où son onde s’allie,
Ces beaux lieux si fameux sous le nom de Tempé
Font le riche Domaine entre eux deux occupé.
Ils naquirent tous deux dans la même journée,
Tous deux semblaient avoir la même destinée,
Leur âge, leur humeur, leurs vertus et leur rang
Les joignirent plus fort que le lien du sang.
Le Ciel qui de bonne heure à son vouloir nous range
Porta leurs petits cœurs à faire un doux échange,
Et leurs corps n’étaient pas encor bien affermis
Qu’ils s’efforçaient déjà de se montrer amis.
Ils s’en donnaient souvent des preuves innocentes,
Et trompaient pour se voir l’œil de leurs surveillantes ;
Leurs inclinations n’avaient rien d’inconstant,
Ce que l’un trouvait bon, l’autre en était content ;
Ce que leur langue encor ne pouvait bien produire,
Leurs gestes et leurs yeux le savaient mieux déduire,
Et tout secrètement disaient que du berceau
Cette amitié devait passer jusqu’au tombeau.
(J’ai su de Pythias ce que je vous raconte.)
Par de si beaux transports leur âge se surmonte
Et fait connaître assez qu’ils deviendront un jour
Ainsi qu’en amitié très parfaits en amour.
SOPHROSYNE.
Ha ! si faut il ici que je vous interrompe,
Puisqu’aujourd’hui l’un deux trop lâchement nous trompe.
DORIDE.
Souffrez que mon discours l’achève en liberté,
Et ne blâmez aucun sans l’avoir écouté,
Le Ciel dans un moment peut produire un miracle,
Et contre notre espoir surmonter tout obstacle.
Ces deux rares amis voient donc notre Cour,
La trouvent très charmante et goutent son séjour,
Quoi qu’alors du Tyran l’absence nécessaires
La rendît moins pompeuse et comme solitaire.
Toutes leurs actions nous firent présumer
Que notre sujet seul la leur faisait aimer,
Si les bouillants transports de leur âme blessée
Pouvaient innocemment flatter notre pensée.
Nous formâmes bientôt un commerce amoureux,
S’ils brulèrent pour nous, nous brulâmes pour eux,
Avec grande équité, mais avec retenue,
Et d’un feu dont l’ardeur se rendait peu connue,
Autant qu’à notre sexe un peu de gravité
Tient de la bienséance et de la majesté.
Tout riait à nos vœux, lorsqu’un rival infâme
Duquel trop justement je détestais la flamme,
N’osant ouvertement attaquer Pythias,
Le prend en trahison et jure son trépas.
Pythias qui connut qu’on le voulait surprendre
Dans cette extrémité s’apprête à se défendre,
Il le pousse, il le presse, et par un bel effort
Ne lui porte qu’un coup, mais le coup de la mort.
Timocréon tué la Cour est en alarme,
Tout ce qu’il a d’amis en ce désordre s’arme,
Timocrate son frère au camp est averti,
Le Tyran qui l’aimait embrasse son parti,
Et dépêche un des siens avec un pouvoir ample
D’arrêter Pythias, et d’en faire un exemple
Qui donnât désormais à chacun de l’effroi,
Quoi qu’en se défendant il eut suivi la loi.
Ô Dieux pour notre amour quelle rude tempête !
Un violent arrêt dispose de sa tête,
Et rend par sa rigueur notre esprit interdit
Sans nous laisser pour lui ni force ni crédit.
Toutefois au moment que nous voyions la foudre
Toute prête à crever, ne sachant que résoudre,
Quelque rayon d’espoir vint flatter nos douleurs.
SOPHROSYNE.
Ou plutôt nous jeter dans de nouveaux malheurs.
DORIDE.
Madame, encore un coup permettez que j’achève...
Réduits donc aux abois nous eûmes quelque trêve ;
Un père au lit mourant voulant que Pythias
Sans différer d’un jour retournât sur ses pas,
Il obtint du Tyran d’abord très difficile,
Pour six mois seulement de quitter la Sicile,
Mais sous bonne assurance, et c’est, ce disait-on,
Tout ce que pût gagner le désolé Platon,
Qui voyant à regret cette personne chère
Par le coup surprenant d’un arrêt trop sévère
Pour défendre la vie exposée à la mort,
Fit pour la reculer ce généreux effort.
Il fut avec Damon se rendre dans l’armée
Par qui notre Île alors se voyait opprimée,
Il salua Denis, considéra son port,
Et fut mal satisfait de ce premier abord ;
Il vit dessus son front la marque trop visible
D’une âme sanguinaire et d’un cœur inflexible ;
Et bientôt les effets l’en rendirent certain
Lorsque pour Pythias tout son effort fut vain ;
Il demandait sa grâce, et la voulait entière,
Et ne put remporter sur cette humeur altière
Qu’un congé seulement, mais à condition
De laisser en sa place une ample caution.
Elle n’était pas loin, Damon s’offre et de meure,
Sa tête sert d’otage, et l’on entend qu’il meure
Au casque son ami n’arrive à jour nommé ;
Platon trop justement de colère animé,
Et voyant du Tyran la haute ingratitude
Après que pour l’avoir il a mis tant d’étude,
Ne délibère point, se retire sans bruit,
Part avec Pythias et s’embarque la nuit.
Surtout du grand Dion l’exemple mémorable
Lui faisant redouter un traitement semblable
Quand l’inconstant Denis lassé de son Conseil
Cesserait à la fin de le voir d’un bon œil.
Pythias en partant nous envoie une lettre,
Jugez en la lisant ce qu’on s’en peut promettere.
ALDRÈTE.
Je pars, mon cher Damon, sans pouvoir t’embrasser,
Sans vous pouvoir parler je pars belle Doride,
Avec trop de rigueur le destin qui nous guide
Dans nos meilleurs succès vient nous embarrasser.
Mais ne crains point, Damon, je retourne au plutôt,
Et viens te dégager du pouvoir d’un barbare,
Notre ancienne amitié si fidèle et si rare,
M’oblige à retirer un si riche dépôt.
Adieu, belle Doride, attendez mon retour :
Mais ne le craignez point puisqu’il est pour ma gloire,
Qui chérit un vainqueur il chérit sa victoire ;
Vous devez sans regret me revoir en ce jour.
DORIDE.
De cet Illustre amant ainsi je fus privée.
À quelque temps de là la campagne achevée.
Les Chefs viennent bientôt ici se délasser,
Et leur retour ne sert qu’à nous embarrasser.
Je soufre du Tyran, et vous de Polixène,
Timocrate vous tue, et chacune a sa peine,
Sans pouvoir l’adoucir, puisque leur cruauté
Nous tient avec Damon dans la captivité.
Enfin le temps s’approche, il faut que dans une heure
Ou Pythias retourne, ou que son ami meure ;
Je vous l’ai dit tantôt, qu’en ce funeste jour
Je pleure son absence et je crains son retour.
SOPHROSYNE.
Je crains de l’un et l’autre une fâcheuse fuite,
Amour, Tyrans, amis, où m’avez vous réduite ?
ALDRÈTE.
Comme mes propres maux je plains votre souci.
PHILISTE.
Le Tyran vient, Madame.
ALDRÈTE.
Éloignons nous d’ici.
Scène III
DENIS, TIMOCRATE, POLIXÈNE, MARSYAS
DENIS.
En vain d’un criminel ma sœur prend la défense,
À tenir son parti, c’est me faire une offense,
Elle ne lui doit plus ni d’amour ni de foi,
Et je suis après tout et son frère et son Roi.
Si son orgueil trop fort à votre amour s’oppose
Contre nos volontés ce sera peu de chose ;
Si vous l’aimez, j’entends qu’elle vous aime aussi,
Et je veux vous montrer ce que je puis ici.
TIMOCRATE.
Sire à tant de bontés je ne sais que répondre,
Et cet excès d’honneur ne sert qu’à me confondre.
DENIS.
Polixène, espérez de même en ma faveur ;
Autant qu’à me servir vous montrez de serveur,
Autant que de tous deux j’estime la vaillance,
Je prétends vous aider de toute ma puissance,
Et vous faire paraître avec quels sentiments
Je vois de vos grands cœurs les nobles mouvements.
Aldrète et Sophrosyne ont des beautés exquises,
Puisque vous les aimez, elles vous sont acquises,
Je veux récompenser votre fidélité
Par ce sensible effet de mon autorité ;
Trop heureux à mon tour si l’aimable Doride
De mon cœur soupirant l’agréable homicide,
Sans user de pouvoir voulait aussi m’aimer,
Autant que son bel œil m’a su toujours charmer,
POLIXÈNE.
Sophrosyne a Damon trop avant dans son âme
Pour bruler désormais d’une nouvelle flamme ;
Pythias à Doride est plus cher que le jour
Et chacune se flatte enfon aveugle amour.
Mais, Sire, elles ont beau se flatter, voici l’heure
Qu’il faut par votre arrêt que l’un ou l’autre meure ;
Pythias ne vient point, ordonnez qu’aujourd’hui
Ce Damon qui nous nuit satisfasse pour lui.
TIMOCRATE.
Sire, Timocréon, qui vous pleut en sa vie,
Que d’Illustres exploits vous alliez voir suivie,
Vous demande vengeance et sort du monument
Pour exiger de vous ce juste châtiment.
DENIS.
Je n’y recule point, il l’est trop, je l’avoue,
Et puisque Pythias visiblement nous joue,
Qu’il ne retourne point comme il l’avait promis,
Damon est en vos mains, et tout vous est permis.
TIMOCRATE.
Allons, cher Polixène, et hâtons son supplice.
POLIXÈNE.
Avec ce grand pouvoir servons nous d’artifice ;
Pythias pourrait bien avant la fin du jour
Se montrer en ces lieux et troubler mon amour.
ACTE II
Scène première
SOPHROSYNE, DORIDE
SOPHROSYNE.
Calmez, calmez enfin cette grande tristesse,
Il n’est plus désormais de sujet qui vous blesse,
Pythias a sa grâce, et ne doit point mourir,
DORIDE.
Ha ! Madame, quel Dieu m’est venu secourir,
Et quel bon mouvement le Tyran dans son âme
A-t-il pu concevoir en faveur de ma flamme ?
Pythias a sa grâce ! ô mon cœur le crois-tu ?
Et dois tu relever tan courage abattu ?
Ce rapport trop charmant peut il être fidèle ?
SOPHROSYNE.
Je ne vous flatte point d’une fausse nouvelle,
Quoi qu’elle vous surprenne, elle est digne de foi ;
La grâce est assurée à qui la prend de foi ;
Damon pour l’acheter abandonne sa vie,
Désormais du Tyran la rage est assouvie,
Et Pythias témoigne en ce dernier moment
Qu’il est mauvais ami, comme trop bon amant.
DORIDE.
Par quelle fausse joie et quelle injuste atteinte
Vous jouez vous ainsi d’une âme toute en crainte,
Et qui croit aisément ce qui la vient flatter !
Surprise qui me tue ! ha ! c’est trop m’insulter !
Pythias ne veut point de grâces de la sorte,
Il veut sur son amour que l’amitié l’emporte,
Il reviendra, Madame, et je puis en son nom
Rassurer vos esprits pour votre cher Damon.
SOPHROSYNE.
Il reviendra sans doute après qu’un glaive infâme
Du beau corps de Damon aura sépare l’âme.
Il reviendra sans doute après avoir bien su
Qu’il est exempt du coup qu’un autre aura reçu.
Mais ne vous flattez point d’une vaine allégresse,
Qui trahit son ami peut trahir sa maîtresse.
Et vous devez rougir de cette trahison
Sans craindre son retour qui n’est plus de saison ;
Non, ne le craignez point, et de cet infidèle
N’espérez pas jamais présence ni nouvelle,
Chassez de votre esprit cet indigne souci ;
De quel front Pythias paraîtrait-il ici ?
Pourriez-vous l’estimer après un tour si lâche
Dont l’amitié s’offense et dont l’honneur se fâche ?
Tu le connaissais mal, ami trop généreux
En t’engageant pour lui dans un sort malheureux ?
Tu l’aimais plus que moi ce traître, ce parjure,
Qui te fait aujourd’hui cette sensible injure.
DORIDE.
Ha ! Madame, cessez d’outrager un absent
Qui malgré ce reproche est sans doute innocent,
Ne le portez non plus sur mon âme affligée
Qui par son prompt retour se verrait soulagée,
Et le souhaiterait dans ce fatal moment
Autant fidèle ami comme fidèle amant.
SOPHROSYNE.
Madame, toutes deux nous sommes bien à plaindre,
Toutes deux nous avons également à craindre ;
J’estime enfin en vous ce noble mouvement
Quand vous savez si bien défendre votre amant ;
Je l’attends comme vous ; mais quoi s’il faut qu’il meure,
Croirai-je que Damon le survive d’une heure,
Et que ce digne ami, s’il revient aujourd’hui
Puisse le voir périr sans périr avec lui ?
Arrêt trop violent d’un juge trop inique,
Tyrans, quand un désir aveuglement vous pique,
Juste ou non, à la fin vous en venez à bout
Et savez tout oser lorsque vous pouvez tout.
Mais quel objet fâcheux à mes yeux se présente ?
DORIDE.
Madame, sur un point il faut que je le tente,
Mais un point important s’il peut l’exécuter ;
C’est mon frère, et je crois qu’il me doit écouter,
Seulement portez vous à quelque complaisance.
SOPHROSYNE.
Dieux, que j’ai de contrainte à souffrir sa présence !
Scène II
POLIXÈNE, SOPHROSYNE, DORIDE
POLIXÈNE.
Je craindrais d’exciter votre juste courroux
Rompant un entretien qui semble être si doux.
Mais, Madame, je viens ici pour vous apprendre
Ce que mon zèle ardent m’a du faire entreprendre,
Ce zèle que toujours je vous ai témoigné
Ce zèle que toujours vous avez dédaigné,
Et qui jamais malgré votre rigueur extrême
Ne s’est pu refroidir dans un cœur qui vous aime,
Car, Madame, à la fin je ne puis plus celer
Que pour vous d’un beau feu mon cœur se sent bruler,
Que pour vous j’ai cent fois surpassé mon courage,
Qu’au milieu des hasards où l’honneur nous engage,
J’ai signalé ma vie et par mes actions
Tâché d’obtenir lieu dans vos affections.
Si j’ai peu fait, Madame, il faut, il faut encore,
Vous mieux persuader combien je vous adore,
Et vous faire savoir que je suis toujours prêt
De renoncer pour vous à mon propre intérêt.
Contre mon intérêt je vous ai donc servie,
J’ai prié pour Damon, j’ai demandé sa vie,
Je sais que vous l’aimez, et cela me fait voir
Qu’en travaillant pour lui je détruis mon espoir ;
J’ai tenté toutefois ce dessein difficile,
Mais j’ai toujours trouvé mon effort inutile,
Et lorsque du Tyran je crois venir à bout,
Timocrate survient et d’un mot détruit tout.
SOPHROSYNE.
Je dois vous savoir gré de cette bienveillance
Qui de cet estranger protège l’innocence,
Et je puis avouer sans courir de hasard
Que dedans son malheur je prends beaucoup de part.
La pitié naturelle aux âmes généreuses
Pour le salut d’autrui les rend officieuses,
Et le sort de Damon me semble trop cruel
Pour ne lui pas donner un soin continuel.
POLIXÈNE.
Ha ! que ce soin, Madame, est un soin admirable,
Jamais pour étranger il n’en fut de semblable,
Plutôt que de partir d’une simple pitié,
Je pourrais le nommer un effet d’amitié.
SOPHROSYNE.
L’une ou l’autre, qu’importe ? et n’est il pas licite
D’estimer la vertu, d’en aimer le mérite ?
Oui, j’estime Damon, et je l’aime de plus,
Sans que par cet aveu mon esprit soit confus.
J’aime encore après lui tous ceux qu’avec justice
Le verrai détourner son indigne supplice ;
Si Polixène même en avait le pouvoir
Je promets de l’aimer en suivant mon devoir.
Adieu, pensez y bien, je n’ai plus rien à dire.
Scène III
POLIXÈNE, DORIDE
POLIXÈNE.
En suivant mon devoir ! ha ! quel est mon martyre !
Ma sœur, ces derniers mots n’ont pour moi rien de doux
Et donnent une attaque à mon esprit jaloux.
Que me conseilles-tu dans cette concurrence,
Toi qui de Sophrosyne obtiens la confidence.
DORIDE.
Je crois que le moyen de la pouvoir gagner,
C’est de sauver Damon et le faire éloigner,
POLIXÈNE.
Ce conseil est mauvais et loin de ma pensée,
Toi même en ce rencontre es trop intéressée,
Laisse périr Damon, et regarde en ce jour
De même que le mien triompher ton amour,
Puisque le même coup qui son destin termine
T’assure Pythias, comme à moi Sophrosyne.
DORIDE.
Quoi, pouvez vous avoir ce lâche mouvement ?
Ha ! plutôt empêchons ce cruel traitement,
Pour mon cher Pythias mon amour est extrême,
Et je ne puis l’aimer sans aimer ce qu’il aime,
Je ne puis le sauver qu’en sauvant son ami,
Et ne suis point enfin généreuse à demi.
Mon frère, en sa faveur employez-vous de grâce,
Et que dans votre cœur la pitié trouve place.
POLIXÈNE.
Vous vous intéressez avec trop de chaleur
Pour un homme qui n’a qu’une fausse valeur,
Qu’une feinte amitié, qu’ une vertu fardée,
Qu’il a pour un ingrat follement hasardée,
Et qui voudrait sans doute au point qu’il faut mourir
Que votre Pythias revins ici s’offrir.
Mais malgré vos conseils qui vont à ma ruine,
Malgré tout le mépris qu’a pour moi Sophrosyne,
J’en userai, ma sœur, comme il est à propos,
Allez, et cependant demeurez en repos.
DORIDE.
Vous interprétez mal le bien qu’on vous procure,
Sophrosyne vous aime, et je vous en assure ;
Mais il est juste aussi que vous lui répondiez
Et pour la mieux gagner que vous vous hasardiez.
Notre sexe, mon frère, entend que l’on lui cède,
Il faut servir longtemps avant qu’on nous possède
Lorsque nous commandons se tenir toujours prêt,
Fermer souvent les yeux à son propre intérêt,
Contre nos volontés n’avoir point de réserve ;
C’est comme on nous acquiert, c’est comme on nous conserve.
Sophrosyne aujourd’hui vous demande Damon,
Ne lui refusez pas un si facile don,
Ouvrez lui le palais, faites par votre adresse
Qu’on éloigne de vous un rival qui vous blesse,
Je vous donne parole et crois assurément
Que vous aurez alors plus de contentement,
Et qu’après cet effet de votre obéissance
Sophrosyne en aura grande reconnaissance.
POLIXÈNE.
Bien, sur votre parole et contre mon devoir
J’emploierai pour Damon ce que j’ai de pouvoir,
Allez en avertir la belle Sophrosyne.
DORIDE.
J’y cours.
POLIXÈNE.
Tu ne tiens rien, tu n’es pas assez fine.
J’ai bien d’autres ressorts. Mais voici Marsyas.
Scène IV
POLIXÈNE, MARSYAS
POLIXÈNE.
Hé bien quelle nouvelle ? A-t-on vu Pythias ?
MARSYAS.
Il est entre mes mains.
POLIXÈNE.
Ô Ciel ! le puis-je croire ?
Apprend moi donc comment, et conte m’en l’histoire.
MARSYAS.
Seigneurs depuis un mois par vos ordres secrets
J’ai disposé par tout des surveillants discrets,
Qui devaient de chacun, mais avec industrie
Observer la décente, apprendre la patrie,
Lui demander son nom, et l’arrêter au cas
Qu’il se peut rencontrer que ce fût Pythias,
Enfin hier seulement du port de cette ville
Se découvre un navire à la pointe d’une Île,
Qui vraisemblablement y veut passer la nuit ;
D’abord dans un esquif j’envoie un homme instruit,
Qui n’avançant qu’a peine au vent qui l’en empêche,
Entend que l’on lui crie, approche, à moi, dépêche
Et cet empressement lui donne à présumer
Que c’est ce Pythias qu’on vient de lui nommer.
Après beaucoup d’efforts pour vaincre l’onde enflée,
L’esquif atteint le bord, et d’une voix troublée,
Allons, dit un jeune homme, en se jetant dedans,
Des flots et de la nuit bravons les accidents,
Et gagnons au plutôt le port de Syracuse ;
Amis, c’est Pythias qui reste sans excuse,
S’il n’arrive demain pour dégager sa foi
Envers son cher Damon comme envers votre Roi.
L’esquif en même temps à son désir s’accorde,
Lui-même prend la rame, et bien tôt l’on aborde
Dans une Île prochaine où des affreux rochers
En défendent l’accès aux plus hardis nochers.
Sous couleur de danger on l’oblige à descendre,
Et seul dans ce désert on le laisse reprendre
De cette grande ardeur qui poussoir ses esprits,
On s’éloigne bien vite, on méprise ses cris,
Et l’onde en ce moment perdant son arrogance
L’on reprend du vaisseau la route en diligence.
Par l’espoir d’un présent le Pilote gagné
Promet de bien agir comme il est enseigné,
Et doit devant Damon, Sophrosyne et Doride
Déclarer Pythias pour un homme perfide
Qui trouve en son pays de trop charmants attraits,
Et qui n’a pas dessein de retourner jamais.
Cependant que son sort est en votre puissance,
Qu’il ne peut que de vous avoir sa délivrance,
Et que dedans cette Île ou l’on va rarement
Mieux que dans une tour je le tiens sûrement.
Impatient d’avoir cette bonne nouvelle
J’ai veillé sur le port avec la sentinelle,
Pour faire entrer l’esquif que j’ai vu de retour
Et suivant mon désir, et plutôt que le jour.
POLIXÈNE.
Et le Pilote ?
MARSYAS.
Il est entré depuis une heure.
POLIXÈNE.
Tu ne pouvais trouver d’invention meilleure ;
Marsyas, je t’en loue, et tu peux bien penser
Que je n’oublierai point à t’en récompenser.
Oui, Damon doit périr, en vain il s’imagine
De revoir Pythias et m’ôter Sophrosyne ;
Le Roi qui de ma sœur se voit si maltraité
T’estimera beaucoup de l’avoir arrêté.
Scène V
POLIXÈNE, DORIDE, MARSYAS
POLIXÈNE.
Tu retournes bientôt, ma sœur, quelle nouvelle ?
DORIDE.
Sophrosyne vous aime.
POLIXÈNE.
Et moi j’agis pour elle ;
Marsyas prend de moi toute l’instruction
Que semble demander une telle action.
Juge à présent, ma sœur, si par cette entreprise
Je ne mérite pas qu’amour me favorise,
Puisqu’en me hasardant pour Sophrosyne et toi,
J’aurai dessus les bras Timocrate et Le Roi.
MARSYAS.
Mais, Seigneur, le voici.
DORIDE.
Faut-il que je me montre !
POLIXÈNE.
Oui, ma sœur, et tu pus m’aider dans ce rencontre,
Il t’aime, tu le sais, feins de l’aimer aussi,
Cependant de Damon nous prendrons le souci.
Scène VI
DENIS, DORIDE
DENIS.
Tirez vous à l’écart Polixène, Madame,
Sans doute vous parlait de l’ardeur de ma flamme,
Et sachant mon respect comme votre rigueur
Me servait d’interprète et vous ouvrait mon cœur.
Vous a-t-il bien dépeint ma passion extrême ?
Vous a-t-il pu montrer à quel point je vous aime ?
M’aurait-il adouci ce cœur plein de fierté ?
Ha ! je reconnais trop qu’il n’a rien remporté,
Et j’en puis aisément imaginer la cause ;
Oui, pour tant de mérite un sceptre est peu de chose :
Mais si c’est peu d’un sceptre et si c’est peu d’un Roi,
Je puis ranger encor l’Univers sous ma loi ;
Je puis de la Sicile où je règne avec gloire
Jusqu’aux bouts de l’Asie étendre ma victoire,
Je puis pour satisfaire à votre ambition
Établir en tous lieux ma domination ;
J’irais si vous trouviez trop étroite la terre
Chercher un autre monde et lui porter la guerre,
J’affronterais les Dieux, j’irais les désarmer,
Enfin je pourrais tout si vous pouviez m’aimer.
DORIDE.
Sire, il n’est pas besoin d’ajouter ces conquêtes.
Au destin malheureux de tant d’Illustres têtes,
Qui sous un fer impie ont vu couler leur sang,
Sans que l’on respectât leur âge ni leur rang.
De cette cruauté je n’accuse personne,
Et si pour mon Pays aux pleurs je m’abandonne,
Si je plains son depastre et son fort trop cruel,
Ce sentiment est juste autant que naturel.
Je n’affecte donc point cette grandeur hautaine
Dont la possession est toujours incertaine,
Qui veut pour l’acquérir qu’on trouble les humains,
Et qu’au meurtre sans cesse on occupe les mains.
Sire, j’aime la paix, et je hais le carnage,
Et c’est avec douleur qu’aujourd’hui j’envisage
Le pitoyable état où les Siciliens
Sont réduits a gémir sous de rudes liens.
Je n’ose derechef en pénétrer la cause,
Et trop d’obscurité pour moi s’y trouve enclose ;
Mais de quelque côté que parte leur malheur,
Je ne puis le cacher, j’en ai de la douleur ;
Plutôt que de les voir toujours dans les alarmes,
Je vous souffrirais mieux sans pouvoir et sans armes ;
Ou si votre fureur prenait un autre objet,
J’aurais de vous haïr beaucoup moins de sujet.
Mais et sur citoyens, et sur l’Étranger même
L’on vous voit exercer une rigueur extrême,
Damon et Pythias en ressentent les coups,
Je m’explique à présent, Tyran, m’entendez-vous ?
DENIS.
Je ne t’entends que trop et connais ton audace ;
Possible en ta faveur Damon eut eu sa grâce,
Insolente, oses-tu me reprocher la mort
De ceux qui pour me perdre ont fait tout leur effort !
Crois-tu qu’impunément je soufre cet outrage,
Va, mon amour pour toi se convertit en rage,
Et gardant de ta haine un juste souvenir,
Si tu ne pus m’aimer je saurai t’en punir.
Scène VII
DORIDE, seule
Des tyrans comme toi l’on craint peu les disgrâces,
Et leur bouche jamais ne s’ouvre qu’aux menaces.
Polixène a mal cru que je pourrais fléchir,
C’est un pas qu’à la fin il me falloir franchir.
C’est à des esprits bas qu’il est aisé de feindre,
Une haute vertu ne saurait se contraindre,
Et périsse Damon, périsse Pythias
Tu me verras courir avec eux au trépas.
ACTE III
Scène première
DAMON, seul
Éloignez vous de moi pensers injurieux
Qui blessez la vertu d’un ami que j’adore,
Je ne puis sans rougir vous écouter encore,
Allez, retirez vous, vous m’êtes odieux.
En vain vous attaquez la gloire
De cet Illustre infortuné,
En vain je suis importuné
Par une injustice si noire ;
Vous voyez Damon obstiné
Et trop généreux pour vous croire.
Quoi s’obstiner de même, et ne me quitter pas,
C’en est trop, ô pensers, qu’à la fin je redoute ;
Vous n’obtiendrez de moi ne créance ne doute,
Et je suis un rocher parmi tous vos combats.
N’attendez pas que je me rende,
Et ne pouvant me surmonter
Cessez de me persécuter ;
Amitié, que ta force est grande !
Je fais un crime de douter
Quand la raison me le commande.
Raison impertinente et raison sans appui,
Qui ne peut justement souffrir que l’on t’accuse ;
Ô mon cher Pythias, et n’as tu point d’excuse,
Si le sort te défend d’arriver aujourd’hui ?
Sans doute Neptune lui-même
Qui jusqu’aux vents donne la loi,
S’oppose au courant de ta foi,
Il connaît à quel point je t’aime,
Et me laissant mourir pour toi
Sait que ma joie en est extrême.
Mais quoi ? tu me suivras si tu me vois périr,
Des nos plus tendres ans le destin nous assemble ;
Reviens donc, cher ami, nous périrons ensemble,
Si tu ne pus sans moi ni vivre ni mourir.
Notre amitié sera suivie
D’un Illustre et bienheureux fort,
Que presse un tyrannique effort
Et qui donnera de l’envie ;
Et nous ne ferons qu’une mort
Comme nous n’avons qu’une vie.
Ha, chère Sophrosyne, objet doux et charmant,
Je vous quitte à regret, je pers votre présence,
Et je dois avouer qu’en cette concurrence
Pour être bon ami je suis mauvais amant.
Mais hélas ! ô beauté divine
Qui défia causez mon trépas,
Hé quoi ! ne connaissez vous pas
Quel est l’astre qui me domine,
Et que je suis à Pythias
Avant que d’être à Sophrosyne.
Dieux ! la voici qui vient, prépare-toi mon cœur
À soutenir l’effort de ce bel oil vainqueur.
Scène II
SOPHROSYNE, DAMON
SOPHROSYNE.
Il faut partir, Damon, et deux heures d’attente
Vont lasser du Tyran l’humeur impatiente ;
Timocrate le presse, et du jour assigné
Marque tous les moments dans son cœur indigné.
Le soleil doit bien tôt achever sa carrière,
Et vos jours vont s’éteindre avecque sa lumière ;
Rien ne vous garantit qu’un prompt éloignement.
Fuyez au nom des Dieux, et sans retardement.
Vous pouvez de la forte empêcher votre perte,
Et Polixène au parc tient une porte ouverte
Qui répond dans la plaine où vous devez trouver
Un équipage prêt afin de vous sauver ;
Des amis affidés vous y feront escorte
Qui vous doivent attendre à cent pas de la porte.
DAMON.
Polixène, Madame ? ô sentiments jaloux !
Employer mon rival à m’éloigner de vous !
Vous deviez vous servir de toute autre personne ;
Voulez-vous qu’en ses mains ainsi je m’abandonne ?
De mon cher Pythias le fort injurieux
Ne doit-il pas jey vous défiler les yeux ?
Ne vous souvient-il plus de cette perfidie
Dont sa haute valeur sut défendre sa vie ?
Songez-vous qu’en ses mains mon destin est égal,
Et me répondez vous de la foi d’un rival ?
Je vois qu’en mon absence il à peu d’avantage,
Et d’un prochain retour pouvant tirer ombrage,
Il a plus d’intérêt pour finir son tourment
À la mort de Damon qu’à son éloignement.
Ha ! s’il me faut mourir que je meure avec gloire,
D’une mort qui soit belle et digne de mémoire,
Que je meure à vos yeux, et je mourrai content
Si jusques au trépas vous me voyez constant.
SOPHROSYNE.
Pour votre sûreté me soyez point en peine,
Doride en ma faveur a gagné Polixène,
Je l’ai prié de plus et l’ai sollicité
D’agir sincèrement pour votre liberté,
Il m’adonné parole, et je crois que vous-même
Devez tout hasarder dans ce péril extrême.
DAMON.
Vous dites vrai, Madame, et c’est tout hasarder
Que de cette façon vous perdre et vous céder.
Ce n’est point en effet par cette juste plainte
Que d’une indigne peur mon âme soit atteinte,
Et je croirais, Madame, ainsi que mon ami
Me pouvoir démêler d’un semblable ennemi.
Mais si j’ai contre moi l’aimable Sophrosyne,
Si bien mieux que le sien votre bras m’assassine,
Si vous portez les coups, alors il faut périr,
Et toute ma valeur ne me peut secourir,
Trop heureux Polixène !
SOPHROSYNE.
Ha ! ce discours me blesse,
Votre indigne soupçon trop avant m’intéresse ;
Polixène en mon cœur n’aura jamais de part,
Et je meurs de regret d’un si triste départ.
Mais il est nécessaire, et de plus je l’ordonne ;
Ne croyez point par là que je vous abandonne,
Damon, consolez-vous, ce n’est que pour un temps,
J’espère que bien tôt nos vœux seront contents.
DAMON.
Quoi qu’à me voir partir vous soyez résolue,
Quoi que vous l’ordonniez de puissance absolue,
Une plus forte loi me défend d’obéir
Et jusques à ce point je ne puis me trahir.
L’honneur plus que l’amour tous les grands cœurs maîtrise,
Il ne peut leur souffrir une basse entreprise.
Et qui n’a point d’honneur quoi qu’il ait de l’amour
Mérite qu’on l’abhorre, est indigne du jour.
Je pourrais le nommer la marque essentielle
D’un esprit généreux, d’une âme noble et belle,
Qui s’élève toujours, et de ce haut degré
Semble devoir régir tout le monde à son gré.
J’eus cette qualité pour mon plus cher partage,
Et Pythias et moi nous l’avons d’héritage ;
C’est ce puissant lien qui nous unit si fort,
Que ne rompra jamais ni disgrâce ni mort,
Puisqu’un heureux destin de façon nous assemble
Qu’ainsi que nous vivons nous finirons ensemble.
Pourquoi donc m’accabler de discours superflus ?
Que Pythias retourne et ne me trouve plus !
Qu’il me reproche un jour de l’avoir cru capable
De manquer de parole et se rendre coupable
Envers une amitié qui ne peut s’ébranler
Et que dans l’Univers rien ne doit égaler !
Je demeure, Madame, et cet exemple insigne
Doit charmer votre amour, doit m’en rendre plus digne,
Et vous faire avouer qu’en cet événement
Qui ne sait être ami ne sait pas être amant.
SOPHROSYNE.
Ha ! je ne vois que trop mon attente trompée !
En vain à vous sauver je me suis occupée ;
Je vous perds, ô Damon, et ce cruel refus
Me dit trop clairement que vous ne m’aimez plus.
Ce n’est donc plus pour moi que vous gardez la vie
Qui par un coup honteux va vous être ravie.
Donc l’heureux Pythias occupe tout ce cœur
Sur lequel jusqu’ici j’ai cru le mien vainqueur ;
Pour Sophrosyne hélas ! il n’est plus que de glace,
Mes plus tendres soupirs n’y trouvent plus de place,
Et je vois bien enfin que je ne puis toucher
Ce cœur plus insensible et plus dur qu’un rocher,
DAMON.
Sophrosyne, cessez, et cachez moi vos larmes
Je ne pourrais enfin résister à leurs charmes.
Qu’une amante qui pleure a de puissants attraits,
Et qu’il est malaisé de repousser leurs traits !
L’amour et l’amitié, mon honneur et ma flamme
M’agitent tour à tour et partagent mon âme.
Je sens que je chancelle, ha ! c’est trop combattu !
Pour mon cher Pythias soutien moi ma vertu.
Scène III
DORIDE, SOPHROSYNE, DAMON
DORIDE.
Je crois que Polixène a tenu sa promesse.
Damon, êtes vous prêt ? Dépêchez, l’heure presse,
Et de trop longs adieux ne sont pas de saison.
SOPHROSYNE.
Dites que je ne puis le vaincre de raison,
Qu’en vain en sa faveur votre frère s’emploie,
Et que nous nous flattions d’une trop courte joie,
DORIDE.
Et que prétend il donc ?
SOPHROSYNE.
Demeurer et mourir.
DAMON.
N’est ce pas assez d’une à me faire souffrit,
Madame et venez vous vous joindre à Sophrosyne
Pour combattre un dessein où ma gloire s’obstine,
Contre un fidèle ami mes soupons exciter,
Et m’arracher d’un lieu que je ne puis quitter ?
SOPHROSYNE.
L’attendez vous encor cet ami si fidèle
Duquel depuis six mois vous n’avez eu nouvelle ?
Puisqu’il manque à venir au jour qu’on lui prescrit
Il ne doit plus avoir de place en votre esprit.
DAMON.
Ayez de Pythias une estime meilleure ;
Ce jour n’est pas fini.
SOPHROSYNE.
Qu’en reste-t-il qu’une heure ?
DAMON.
Et cette heure suffit pour l’amener ici.
DORIDE.
Hélas que cet espoir me donne de souci !
SOPHROSYNE.
Dieux ! voici le Tyran qui nous surprend ensemble !
Il n’est plus temps de fuir.
DAMON.
Que craignez-vous ?
SOPHROSYNE.
Je tremble.
Scène IV
DENIS, TIMOCRATE, DAMON, SOPHROSYNE, DORIDE
DENIS.
Damon, vous pouvez bien commencer vos adieux,
Vous êtes désormais criminel à nos yeux,
Puisque d’un criminel vous occupez la place,
Et que passé ce jour je ne dois plus de grâce.
Pythias désormais rend son crime connu,
S’il était innocent il serait revenu,
Et ne le voyant point l’on peut aisément croire
Qu’il craint le châtiment d’une action si noire,
Ma justice ne peut plus long temps différer,
Et c’est à vous enfin à vous y préparer.
DAMON.
Sire, je suis tout prêt à vous donner ma tête
Une semblable mort me vaut une conquête,
J’en ferai mon trophée, et je veux en ce jour
Que l’amitié triomphe aussi bien que l’amour,
Mais, Sire, hâtez la, malgré votre créance
Je crains qu’en ce moment Pythias ne s’avance,
Il ne manquera point à dégager sa foi.
Ami, demeure encor, que je meure pour toi.
Scène V
DENIS, TIMOCRATE, DAMON, PYTHIAS, SOPHROSYNE, DORIDE, UN GARDE
LE GARDE.
Sire, un matelot Grec vous demande audience.
DENIS.
Qu’il entre.
SOPHROSYNE.
Que mon cœur est dans l’impatience !
PYTHIAS.
D’une affaire commise à ma fidélité.
Je viens donner avis à votre Majesté.
DORIDE.
Ha ! Dieux, c’est Pythias.
SOPHROSYNE.
Sans doute.
DAMON.
C’est lui même.
Voyant sans l’interrompre où va ce stratagème.
DORIDE.
Que je crains !
DENIS.
Par le haut. Tous ceux qui font ici
Au nom que tu me dis prennent part en ceci.
PYTHIAS.
Sire, depuis un mois aux côtes de l’Épire
J’avais un vaisseau prêt pour passer en Corcyre,
De là dans la Calabre, et me rendre à la fin
Au port de Syracuse où finit mon chemin...
Je reçus en partant ordre de Thessalie
Qu’en de nouveaux plaisirs retient ensevelie
Le magnifique hymen de l’heureux Pythias
D’avertir en ce lieu qu’on ne l’attende pas ;
Qu’il conjure Damon, Doride et Sophrosyne
Dans ce bonheur extrême où le Ciel le destine,
De prendre patience et d’excuser l’amour
Qui par de forts liens empêche son retour.
DENIS.
Hé bien ! que dites vous après cette nouvelle ?
DAMON.
Possible le rapport n’en est pas trop fidèle,
Le bruit qui vient de loin n’a rien que d’inconstant.
TIMOCRATE.
Voilà ce brave ami que vous estimez tant.
DAMON.
Personne ici que nous ne connaît son visage.
DORIDE.
Qu’il sait adroitement jouer ce personnage !
SOPHROSYNE.
Qu’il feint bien !
DORIDE.
Imitons-le, et de notre côté
Aidons le à mieux cacher cette subtilité,
Ha ! le lâche !
SOPHROSYNE.
Ha ! le traitre !
DENIS.
Oubliez cet infâme,
Étouffez pour jamais cette honteuse flamme.
Éteignez ce brasier dans vos cœurs allumé,
Puisque d’un feu nouveau Pythias consumé,
Et que Damon tout prêt de subir le supplice
Qu’en suite de tout meurtre exige ma justice,
Vous ôtent tout espoir de posséder jamais
Ce que vous proposaient de trop lâches souhaits,
Cependant vous pouvez s’il vous en prend envie,
Écrire à Pythias touchant son infamie,
Gardez ce matelot, je le laisse avec vous,
Et rendez le témoin de tout votre courroux.
Scène VI
SOPHROSYNE, DORIDE, DAMON, PYTHIAS
SOPHROSYNE.
Ou plutôt ouvrons lui notre commune joie.
DORIDE.
Oui, si pour notre bien le Ciel nous le renvoie.
Il croit qu’en cet habit je ne le connais pas,
Je veux le prévenir.
PYTHIAS.
Doride !
DORIDE.
Pythias !
PYTHIAS.
Madame, pardonnez si dans cette Allégresse
Je cours à mon ami devant qu’à ma maîtresse.
Damon, c’est Pythias, et le reconnais-tu ?
Qui vient en ce moment admirer ta vertu ;
Tu l’as en sa faveur trop longtemps exercée,
Et ne pourras jamais la voir récompensée.
Ô Cruel déplaisir qui me saisit le cœur,
Je reviens pour mourir et meurs ton débiteur.
Mais si ton amitié s’en témoigne contente,
Si ta gloire par là se rend plus éclatante,
Si pour ton paiement tu crois t’en prévaloir,
Je ne m’afflige plus, et veux bien te devoir.
Trop heureux si la mort où le destin m’appelle
Te peut persuader que je te suis fidèle.
DAMON.
Ami, cesse, et permets qu’en mes embrassements
J’étouffe derechef ces trop beaux sentiments.
Tu m’élèves trop haut pour un petit service,
Si je te l’ai rendu, c’était avec justice,
Et je n’ai fait pour toi dans cette occasion
Que ce que Pythias aurait fait pour Damon.
C’est moi, c’est moi plutôt qui te suis redevable,
D’avoir cru que ma foi ferait inébranlable ;
Et le croyant encor ne te trompes tu pas
Si tu penses, ami, courir seul au trépas ?
Je partage avec moi ta mort ou ta victoire.
SOPHROSYNE.
Ô Ciel ! lequel des deux mérite plus de gloire !
La constance de l’un, de l’autre le retour
Veulent qu’également on les étale au jour.
Amitié trop parfaite !
PYTHIAS.
Il est temps, ô Doride !
De vous représenter ce traître, ce perfide ;
Car hélas ! je crois bien qu’on me nommait ainsi
Tandis que mon retour vous tenait en souci.
Vous en aviez sujet : maintenant hors de craintes
Qu’un pardon mutuel mette fin à nos plaintes,
J’excuse vos soupçons si vous en avez pris
Excusez mes longueurs et calmez vos esprits.
DORIDE.
Que ce retour m’afflige, et sans qu’il me surprenne
Qu’il me jette à présent dans une grande peine !
Hélas ! et de quel œil vous revois-je en ce lieu,
Si c’est pour vous y dire un éternel adieu.
Pythias !
PYTHIAS.
Ha ! Madame, ayez plus de constance.
DORIDE.
Madame, en même temps ayez plus d’espérance,
Vous revoyez celui que vous condamniez tant,
Et devez désormais avoir l’esprit content.
SOPHROSYNE.
Ce discours est piquant et de mauvaise grâce,
Puisqu’avec lui Damon le même sort embrasse,
Et puisqu’ils sont tous deux disposés à mourir,
Nous n’avons toutes deux qu’à pleurer et souffrir.
DAMON.
Mais pourquoi cet habit ?
PYTHIAS.
C’est une longue histoire,
Et pleine d’incident qu’à peine l’on peut croire.
Pour mieux la prendre d’ordre il faudrait commencer
Par l’accident fâcheux qui vint nous traverser,
Lorsqu’un lâche assassin qui demandait ma vie
Par mon bras trop heureux vit la sienne ravie.
Mais sans vous arrêter dessus cette action,
Ni sur mon départ même avec le grand Platon,
Sans vous entretenir de mes tristes voyages
Qu’allant et revenant suivirent mille orages ;
Sans vous parler enfin de l’état du pays...
Scène VII
DAMON, PYTHIAS, SOPHROSYNE, DORIDE, UN GARDE
LE GARDE.
Ami, le Roi vous mande.
SOPHROSYNE.
Ha ! nous sommes trahis.
DORIDE.
Messager importun.
PYTHIAS.
Il faut suivre, j’espère
Que le Ciel à la fin nous deviendra prospère,
Et je viens d’échapper un péril assez grand
Pour ne pas m’assurer de l’avoir pour garant.
Adieu nous trouverons une heure favorable
Pour vous continuer ce récit pitoyable.
DORIDE.
La peur par tout mon corps jette un mortel frisson.
DAMON.
Séparons-nous aussi pour ôter tout soupçon.
ACTE IV
Scène première
ALDRÈTE, PHILISTE
ALDRÈTE.
N’est-ce point d’un faux bruit que tu me viens flatter ?
Le sais tu bien, Philiste, et n’en puis-je douter ?
PHILISTE.
Madame, il est bien vrai, la chose est trop certaine,
Le Tyran en courroux témoigne en être en peine ;
Le peuple hautement redemande Dion,
Et semble menacer d’une sédition.
Il soufre avec plaisir que l’on te désabuse
Jamais plus d’union ne fut dans Syracuse,
Et tous d’un ton égal et d’un commun accord
Détestent le Tyran et conspirent sa mort.
ALDRÈTE.
Puisse le juste Ciel favoriser mes plaintes,
Et donner désormais quelque fin à mes craintes ;
Puisse le juste Ciel m’écouter cette fois,
Et me rendre la vie en ces derniers abois ;
Me venger d’un Tyran qui s’aime dans le crime,
Qui de frère et de sœur les tendres noms supprime,
Et m’ôtant un époux ose encore porter
Un lâche confident à me persécuter.
Mais, Philiste, le peuple est une hydre à cent têtes,
Qui n’excite jamais que de courtes tempêtes,
Un tourbillon qui passe, un corps qui s’étourdit,
Ce qu’il veut aujourd’hui demain il s’en dédit ;
C’est un feu qui s’éteint dans le temps qu’il s’allume,
Comme il a trop d’ardeur, bien tôt il se consume,
Et s’effroyant d’abord de ce qu’il entreprend
Souvent il perd courage au moment qu’il en prend.
Toutefois espérons, puisque tant de justice
Semble appuyer ici ce bien heureux caprice,
Et qu’enfin Syracuse a fait réflexion
Qu’elle a trop de besoin des conseils de Dion.
Dion, ma seule joie et ma seule espérance,
Reviens, mon cher époux, terminer ma souffrance,
Reviens voir ton pays qui cesse d’être ingrat,
Reviens prendre ta place et régir cet État.
Et vous, Syracusains, avec ce grand courage,
Soufrez moi dans vos rangs, ouvrez m’en le passage,
Que je marche à la tête, et vous anime tous
À ne point ralentir cet Illustre courroux,
À vaincre du Tyran la rage envenimée,
Et tirer de ses fers la Sicile opprimée.
Elle a dessous ces fers assez longtemps gémi,
Délivrez vous enfin d’un si fier ennemi,
Qui désole vos champs, qui dépeuple vos villes,
Et jette le désordre en toutes vos familles.
Mais où vont mes souhaits et mes ressentiments
Philiste, je crains tout dans ces événements,
Je crains que du Tyran la violence extrême
S’agissant de Dion ne s’attaque à moi même,
Et croyant ma présence un obstacle à ses vœux
Qu’il ne m’accable encor d’un sort plus rigoureux.
Ha ! s’il voulait ma mort !
PHILISTE.
Mais le voici, Madame.
ALDRÈTE.
Vient-il encore ici pour affliger mon âme ?
Scène II
DENIS, ALDRÈTE, PHILISTE
DENIS.
Enfin Dion retourne, et vous l’allez revoir
Si le peuple aveuglé ne manque de pouvoir,
J’apprends qu’en sa faveur il se forme des brigues,
Que les Syracusains par de lâches intrigues
S’efforcent de me perdre et de le rappeler.
Mais, ma sœur, après tout, sans plus dissimuler,
Ne serait-ce point vous qui par vos artifices
Me rendez aujourd’hui de si mauvais services,
Et troublant mon repos excitez mes sujets
À faire contre moi de semblables projets ?
En vain entre ces murs je vous tiens renfermée,
Votre haine par là se rend plus enflammée,
À vous faire observer j’ai perdu tous mes soins,
Et j’aurais plus gagné si j’en avais eu moins.
Oui, je me suis trompé, malgré nos vigilances
Une femme par tout à des intelligences,
Et comme son esprit remue incessamment
Elle aspire toujours à quelque changement.
Combien dans l’Univers de haines assoupies
Ont su renouveler ces cruelles harpies !
De combien de malheurs ce sexe est-il auteur !
Le Ciel pour ses desseins n’a point trop de hauteur
Et l’on sait de tout temps, comme au siècle où nous sommes
Qu’il a mis en désordre et les Dieux et les hommes.
Mais, ce qu’à peine ont pu les hommes et les Dieux,
Rangeons à son devoir ce sexe impérieux.
Aldrète, il faut dompter cette audace trop fière ;
Apprenez qu’aujourd’hui je vous tiens prisonnière,
Et pouvant tout sur vous en frère comme en Roi,
Qu’en sœur comme en sujette il faut subir ma loi.
Ne vous flattez donc point d’une fausse allégresse,
J’ai découvert enfin votre mauvaise adresse,
Je connais vos desseins, je sais tous vos ressorts,
Et comme à me troubler vous faites vos efforts.
Sur de faibles conseils le peuple se repose,
Contre ma prévoyance ils peuvent peu de chose,
Et par de tels moyens ni le peuple ni vous
Ne fléchirez jamais mon trop juste courroux.
Dion ma voulu perdre, et je connais son crime,
Plus vous le défendez, plus ma haine s’anime,
Et tant que je saurai conserver mon pouvoir
N’espérez pas ici jamais de le revoir.
ALDRÈTE.
Ce long enchaînement de piquantes paroles,
De soupçons mal fondés, de menaces frivoles,
Étonne peu mon âme, et ne m’ébranle point
Lorsque vous m’attaquez sur un si faible point.
De tout ce procédé j’étais fort ignorante,
Et c’est vous même ici qui m’en rendez savante
Vous mettez trop bon ordre à ma captivité,
À peine de ma chambre ai-je la liberté,
De mille surveillants je me vois entourée,
Je suis dans ce palais de trop prés éclairée,
L’on me suit en tous lieux, et ce serait en vain
Que j’aurais entrepris un semblable dessein.
Ce n’est pas que mon cœur n’en affectât la gloire,
Ce dessein est trop beau, trop digne de mémoire,
Et bien loin que je cherche à m’en justifier
Je serai toujours prête à m’y sacrifier.
Oui, si je n’ai point fait ce que tu t’imagines,
Si je n’ai point osé de toutes ces machines,
Sache, frère inhumain, que si je le pouvais.
Tu me verrais agir du bras et de la voix,
J’exhorterais ce peuple à venger sur toi-même
L’exil de mon époux et ma souffrance extrême,
J’irais le confirmer dans ce noble désir,
De ta perte aujourd’hui je ferais mon plaisir,
À tous ces conjurés j’irais montrer exemple
Et frayeur devant eux un chemin assez ample ;
Puisque mon intérêt au leur se trouve joint,
Dans cette occasion que ne ferais-je point ?
DENIS.
En effet, âme ingrate, exécrable Mégère,
Que ne ferais-tu point si l’on te laissait faire ?
Que ne ferais-tu point contre ton propre sang,
Toi qui voudrais aider à me percer le flanc,
Qui pousserais la main par ta rage animée,
Et sur ton propre frère aurais la tienne armée ?
Va, j’abhorre ton crime, et je vois cette fois
Qu’il ne te souvient plus de ce que tu me dois.
ALDRÈTE.
Je ne sais de quels biens je te suis redevable,
Et je vois trop les maux dont ta haine m’accable ;
D’un frère tel que toi renonçant au lien
Je dois tout à Dion et je ne te dois rien.
DENIS.
Feins tu par ce discours d’ignorer ma puissance,
Tu me dois malgré toi respect, obéissance ;
Tu dois ce que je veux, et je veux en ce jour
En exiger la preuve et te vaincre à mon tour.
Il faut, il faut enfin que cet orgueil s’abatte,
Et tu dois dans une heure épouser Timocrate.
ALDRÈTE.
Ha Ciel ! ha juste Ciel ! que viens-je d’écouter ?
À ce comble d’horreur ton âme peut monter,
Tyran j’ai même horreur de t’appeler mon frère,
Quand tu m’oses parler d’un infâme adultère.
Tu n’es point comme moi sorti d’un noble sang,
Nous ne fûmes jamais portés en même flanc
Deux cœurs si différents ont des sources diverses,
Tu le monstres assez par ces rudes traverses,
Et si ton sort ici n’était défectueux
Tu serais comme moi sensible et vertueux,
Mais...
DENIS.
Ne va pas plus loin, et modère ta rage
Qui te fait inventer cet insolent langage,
J’aurais plus de raison de te désavouer
Si ce lien fatal se pouvait dénouer.
Ce doute impertinent plus que toi me regarde,
S’il était éclairci... Mais que me veut ce garde
Scène III
DENIS, ALDRÈTE, PHILISTE, UN GARDE
LE GARDE.
Sire, un bruit assez grand vient d’entrer au Palais
Que Pythias retourne, et qu’un de ses valets
A paru ce matin au port de Syracuse.
DENIS.
Qui fait courir ce bruit trop lourdement s’abuse.
LE GARDE.
Que l’on s’abuse ou non, l’on ajoute à ce bruit
Qu’on l’a vu dans la ville, et que Dion instruit
Des souhaits inconstants de quelque populace
Suit de près, et s’attend de reprendre sa place.
ALDRÈTE.
Nouvelle agréable !
DENIS.
Ô Desseins superflus !
ALDRÈTE.
Hâte-toi cher époux, et ne diffère plus.
DENIS.
Tu ne l’as pas encor cet époux téméraire
Qui fut toute sa vie à mon repos contraire,
Tu ne l’as pas encor, ou s’il vient te revoir
Il faut qu’à Timocrate il cède son pouvoir.
Je te l’ai déjà dit, tu dois être sa femme,
Et si pour ton humeur ce supplice est infâme,
C’est par là que je veux punir cette fierté
Qui pense me braver avec impunité ;
Ce tumulte apaisé détruit ton espérance,
Je vais pour ce sujet faire agir ma puissance.
ALDRÈTE.
Va, tyran, va barbare, achever tes desseins,
La mort me doit bien tôt délivrer de tes mains,
C’est le puissant secours de tous les misérables,
Et je dois peu chérir des jours si déplorables.
Philiste, à quels tourments me réserve le Ciel,
Et les Dieux contre moi gardent ils tant de fiel !
PHILISTE.
Mais, Madame, cessez cette plainte infinie ;
Que veut ce matelot avec sa compagnie ?
Qu’il me donne d’espoir !
ALDRÈTE.
Qu’il augmente ma peur !
Scène IV
PYTHIAS, DAMON, DORIDE, SOPHROSYNE, ALDRÈTE, PHILISTE
DORIDE.
Madame, Pythias sous cet habit trompeur
Vient vous donner ici d’agréables nouvelles,
Qui d’une telle part doivent être fidèles.
ALDRÈTE.
Pythias, justes Dieux ! et qui l’eut jamais cru !
À ce nom mon espoir tout d’un coup s’est accru,
Ami trop généreux pour le siècle où nous sommes :
Mais ami généreux du plus rare des hommes,
Soufrez que je vous loue, et vous estime tels
Que rien ne vous égale entre tous les mortels.
PYTHIAS.
Madame, cet éloge a pour nous trop de lustre,
Il nous conviendrait mieux s’il était moins illustre,
Et nous n’affectons point, quoi qu’il nous fût permis
Le titre fastueux de généreux amis.
Nous nous aimons, c’est tout, et tachons que l’envie
N’ait rien à censurer dans toute notre vie.
J’avais donné ma foi, je devais la tenir,
Plus joyeux qu’en partant on me voit revenir,
Et sans ce vêtement tantôt très favorable
Mon malheur envers vous m’allait rendre coupable.
Mais pourquoi, cher ami, le garder plus longtemps ?
Parce déguisement qu’ est-ce que tu prétends ?
Je ne puis plus souffrir qu’un ennemi me blâme
Et me traite en son cœur de perfide et d’infâme.
Ma gloire avec la tienne a trop d’affinité
Pour ne se pas piquer de cette indignité.
Produisons Pythias au Tyran qui s’abuse
Et qui le croit encor si loin de Syracuse ;
Allons, Damon, allons.
DAMON.
Tout beau, sans nous hâter,
Ce n’est pas le meilleur de se précipiter ;
Laissons agir le Ciel, possible avec prudence
Nous saurons du Tyran calmer la violence ;
Et d’ailleurs nous avons intérêt de savoir
Ce que nous ne pouvons aisément concevoir,
Comment à point nommé vers nous tu t’es pu rendre,
D’où te vient cet habit, et qui te l’a fait prendre ;
Par ce charmant récit contente nos esprits.
Mais fais-le en peu de mots, de peur d’être surpris.
PYTHIAS.
Pour vous continuer l’histoire commencée
Je devrais la reprendre où je l’avais laissée,
Mais en votre faveur, Madame, je veux bien
Repasser un moment sur le même entretien.
Vous saurez donc qu’après une lettre reçue
Où mon père mourant redemandait ma vue
Je quittai Syracuse avec mille regrets,
Et le cœur tout outré de déplaisirs secrets.
Malcontent de la Cour Platon fut du voyage,
Qui se trouva très long, toujours parmi l’orage,
La mer ne cessant point son aveugle courroux
Qu’au golfe de Lépante assez connu de tous.
Là je quitte Platon, et je poursuis ma route,
J’arrive en Thessalie, et je la trouve toute
Dans l’appréhension de perdre le soutien
De qui n’était pas moins son père que le mien.
Il combattait encor d’une haleine assez forte,
Et combattît si bien, que trois mois de la sorte
Je le vis chaque jour et revivre et mourir,
Et qu’il souffrit alors tout ce qu’on peut souffrir.
Non, je me suis mépris, je souffrais d’avantage,
Je souffrais pour un Père, et pour un cher otage,
Je souffrais pour Doride et pour mon cher Damon
Et mes douleurs étaient hors de comparaison.
Le temps qui s’écoulait me remplissait de craintes
Je n’étais plus chez moi qu’avec mille contraintes,
Je partais tous les jours et ne pouvais partir
Et ce père mourant n’y pouvait consentir.
Enfin le corps succombe et veut la sépulture,
Et donnant à sa mort ce que doit la nature,
Sans avertir les miens de celle qui m’attend
Je leur fais mes adieux, et les quitte à l’instant.
Quoi qu’il ne me restât que cinq ou six semaines,
Je crus que je devais repasser par Athènes
Pour embrasser Platon, à qui j’avais promis
De ne point retourner sans prendre ses avis.
C’est dedans ce séjour le plus beau de la Grèce
Que du fameux Dion j’ai connu la sagesse,
J’eus l’heur de lui parler, et je vis dans ses yeux
Des traits moins approchants des hommes que des Dieux
Tous les Athéniens sa vertu considèrent,
Tous dans un grand respect l’aiment et le révèrent,
Et Dion en ce lieu rempli de tant d’appas
Rencontre des douceurs qu’ailleurs il n’aurait pas.
Toutefois ayant su qu’ ici l’on le souhaite
Il ne veut plus souffrir cette injuste retraite,
Oui, Madame, je sais qu’il est sur son départ.
ALDRÈTE.
Hélas ! que je crains bien qu’il ne vienne trop tard !
DAMON.
Mais poursuis, je te prie.
PYTHIAS.
Oui, cher ami, j’achève.
De ce charmant séjour un prompt désir m’enlève.
Je cours au premier port qui n’en est pas fort loin,
Et j’y trouve un vaisseau tout prêt à mon besoin.
Il fait voile sur l’heure, et d’abord à notre aise
Nous fuyons l’Achaïe et le Péloponnèse,
Mais malgré nos efforts, et quoi que nous ne fassions,
Bientôt un vent fâcheux veut que nous relâchions,
Nous demeurons dix jours dans une triste rade ;
D’aller contre les flots en vain je persuade,
Je conjure les vents, je conjure la mer,
Et bien plus vainement je pense les calmer.
Mais je vous retiens trop sur ce récit funeste ;
Tu peux bien, cher ami, t’imaginer le reste,
Et que j’étais alors dans un mortel effroi
De me voir au hasard de te manquer de foi.
Enfin hier seulement nous vîmes Syracuse,
Mais de passer plus loin le pilote s’excuse,
Et n’ose s’engager approchant de la nuit
Entre des banes fameux qu’on évite à leur bruit.
Un esquif de la ville au vaisseau se vient rendre,
Je laisse mon valet, et seul j’y veux descendre.
Mais loin de me porter dans le lieu souhaité
L’esquif prend le chemin d’un désert écarté,
D’une Île où sous couleur d’un danger manifeste
Il m’abandonne seul à la merci céleste.
Il fuit en même temps et me laisse étonné.
De mers et de rochers partout environné.
Mais le jour qui paraît relève mon courage,
Je reprends mes esprits et me jette à la nage,
Mon juste désespoir me rendant assez fort ;
Au lever du soleil je regagne le bord,
Et bientôt le Pilote à qui mon aventure
Donne de la pitié, m’apprend une imposture
Dont vrai semblablement un rival est l’auteur,
Et ce Pilote enfin est mon libérateur.
Vous me voyez ici jouer son personnage,
Il devait au Tyran faire ce faux message,
Et par une vertu bien rare à ses égaux...
PHILISTE.
Mais j’aperçois venir les auteurs de vos maux.
SOPHROSYNE.
Pythias, pour ce coup évitons leur présence,
Et ne leur donnons point sujet de défiance.
Scène V
TIMOCRATE, POLIXÈNE
TIMOCRATE.
Notre abord est fâcheux à ces fières beautés,
Mais je prévois la fin de tant de cruautés.
Et voyant désormais leur espérance éteinte
Elles nous aimeront sans beaucoup de contrainte.
La populace émue en faveur de Dion
Sur sa haute folie a fait réflexion ;
Il ne reviendra point comme il se l’imagine,
À d’éternels malheurs son Astre le destine,
Et je n’aperçois plus dans l’objet qui me fuit
Que son extrême orgueil qui me choque et me nuit.
POLIXÈNE.
Je n’ai non plus à vaincre en la beauté que j’aime
Qu’une fierté superbe, et qu’un mépris extrême ;
J’ai mis bon ordre au reste, et Damon doit mourir,
Sans que son Pythias le puisse secourir.
TIMOCRATE.
J’admire, Polixène, une adresse si belle,
Et sans m’en offenser j’apprends cette nouvelle.
Il suffit qu’un des deux par une juste mort
Aille joindre mon frère et partager son sort.
Il m’est indiffèrent que ce soit l’un ou l’autre,
Ici mon intérêt s’accorde avec le vôtre.
Allons, cher Polixène, avant la fin du jour
Venger d’un même coup ma haine et votre amour.
ACTE V
Scène première
PYTHIAS, DORIDE
PYTHIAS.
Oui, ce déguisement me faisait trop de honte,
Il donnait à juger que la peur me surmonte,
Et quoi que votre amour puisse exiger de moi
Il est temps de paraître et dégager ma foi.
DORIDE.
Donne encore un moment à ta chère Doride,
D’une cruelle mort ne sois pas tant avide,
Elle vient assez tôt sans qu’on l’aille chercher ;
Regarde enfin mes pleurs et t’y laisse toucher.
PYTHIAS.
J’en suis touché, Madame, ils alarment mon âme,
Mon cœur s’en attendrit, j’en sens croître ma flamme,
Mais sans diminuer d’un devoir bien plus fort
Qui fait toute ma gloire et m’appelle à la mort.
Si je pouvais la fuir, cette fuite coupable
À vous-même aujourd’hui me rendrait haïssable,
Une honte éternelle attachée âmes pas
Vous devrait faire alors souhaiter mon trépas,
Et me voyant commettre une telle infamie
Vous cesseriez bien tôt de craindre pour ma vie.
N’ayez donc plus pour moi cette compassion
Qui presse mon amour d’une lâche action.
L’amour assez souvent prend sur nous trop d’empire,
Et contre notre bien souvent il nous inspire ;
Il vous abuse ici d’un conseil suborneur,
Et pourriez vous aimer un homme sans honneur ?
DORIDE.
Hélas qu’à m’affliger ton esprit a d’adresse !
Quel heur pour ton ami ! quel deuil pour ta maîtresse !
Mais ce mépris trop grand ne se peut supporter.
Quoi sur une maîtresse un ami l’emporter ?
Quoi Damon sur Doride avoir cet avantage
Que pour lui seul ici tu montres du courage ?
Puisqu’il veut bien mourir, vis désormais pour moi,
Assez par ton retour tu dégages ta foi.
PYTHIAS.
Ma foi par ce discours se sent trop outragée,
Et n’est par mon retour qu’à demi dégagée.
Je sais ce que je dois à Doride, à Damon,
J’ai pour vous et pour lui beaucoup d’affection
Mais enfin je lui dois encor plus que la vie,
J’ai de le témoigner une trop juste envie,
Et de faire avouer qu’en tous événements
Nous savons être amis avant que d’être amants,
Mais en vous écoutant je lui fais injustice,
Je sais mal me garder d’un cruel artifice ;
Damon ne paraît point, et je m’arrête ici,
Par un langage adroit vous charmiez mon souci ;
Hélas ! en ce moment peut être il perd la vie.
Scène II
SOPHROSYNE DORIDE, PYTHIAS
SOPHROSYNE.
Ainsi donc vous souffrez qu’elle lui soit ravie ;
L’on vient de s’en saisir durant votre entretien.
DORIDE.
Amante trop soigneuse !
PYTHIAS.
Ha ! je m’en doutais bien.
Madame, pardonnez à l’ardeur qui m’emporte.
DORIDE.
Trop cruel Pythias ! me quitter de la forte !
SOPHROSYNE.
Cessez de vous en plaindre, il fait ce que l’honneur
Dans un pareil rencontre inspire aux gens de cœur ;
Et j’aurais pu rentrer dans un second reproche,
Que tandis que Damon du lieu fatal s’approche
Où pour son Pythias il va perdre le jour,
Pythias avec vous s’entretienne d’amour.
Mais, Madame, pourquoi nous arrêter nous-mêmes
À nous entretenir dans ces périls extrêmes ?
Que faisons nous ici tandis que nos amants
Sont à se disputer la gloire des tourments,
Tandis qu’un même coup les abat l’un et l’autre,
Et si la mort du mien ne sauve point le vôtre ?
Puisque leur amitié veut qu’ils meurent tous deux,
Suivons des pas si beaux et moutons avec eux.
DORIDE.
Oui, je suis votre exemple, amante généreuse,
Allons leur témoigner une âme courageuse,
Et forçons le Tyran par un trait de pitié
D’admirer notre amour comme leur amitié.
Scène III
DENIS, TIMOCRATE, POLIXÈNE, MARSYAS, DAMON, GARDES
DENIS, en son lit de justice.
Puisque sans différer vous voulez son supplice,
Je le veux avec vous, et je vous dois justice.
Oui par cette vertu sur les cours des humains
Bien mieux que par le fer règnent les souverains.
À tenir la balance une main occupée
L’est aussi noblement comme à tenir l’épée,
Et la force souvent a bien moins de pouvoir
Qu’une juste raison qui nous range au devoir.
J’ai tenté l’une et l’autre en des saisons diverses
Selon que plus ou moins j’ai reçu de traverses,
Et sur un peuple ingrat autant qu’audacieux
Il m’a fallu souvent user de toutes deux.
Cent fois je me suis pris à le traiter en père,
Cent fois il a de même éprouvé ma colère ;
Et lorsque des sujets courent aux trahisons
Un Prince ne doit plus agir par les raisons,
Un si faible moyen sert peu pour s’en défendre,
Ayant la force en main il doit tout entreprendre,
Et ses jours sont trop chers pour ne pas recourir
Au remède plus court qui le peut secourir.
Syracuse aujourd’hui d’un criminel charmée,
Que son éloignement tient toujours alarmée,
Me donne trop souvent sujet de la punir,
Et dans mon amitié ne peut s’entretenir.
Oui, contre mon repos sans cesse elle consulte,
Et je viens récemment d’apaiser le tumulte
Qu’elle excitait encor afin de m’obliger
À souffrir que Dion revienne m’outrager.
Il me fâche pourtant que plusieurs bons languissent
Pour de méchants esprits qui me désobéissent,
Et quoi que d’un Tyran ils m’imputent l’aigreur,
S’ils m’en donnent le nom, je n’en ai pas le cœur.
J’en veux donner ici comme juste monarque
Sans blesser ma justice un infaillible marque ;
Je ne le cache point, je plains cet Étranger
Et c’est contre mon gré qu’il me le faut juger.
Il le faut toutefois ; l’action criminelle
D’un homme qui de plus se témoigne infidèle
Veut que l’innocent souffre, et ce dur châtiment
Est de son amitié l’indigne payement.
TIMOCRATE.
Sire...
DENIS.
Je vous entends, vous voulez qu’il périsse,
Je l’ordonne à regret, Gardes qu’on s’en saisisse.
Scène IV
PYTHIAS, DAMON, DENIS, TIMOCRATE, POLIXÈNE, MARSYAS
PYTHIAS.
Arrêtez malheureux, ne vous abusez pas,
Vous emmenez Damon au lieu de Pythias,
Vous tenez l’innocent, et voici le coupable,
Puisque d’un lâche crime on m’a jugé capable,
Quoique jamais ce fer n’ait paru dans ma main
Pour la déshonorer par un acte inhumain.
N’importe, il faut mourir, puisque l’on me l’ordonne,
Et je viens dégager cette chère personne,
Cet ami généreux, mais de qui je me plains
De m’avoir fait secret de ces derniers desseins.
Ami, pensais-tu donc m’abuser de la sorte ?
Est-ce ainsi que pour moi ton courage s’emporte ?
Du moins si tu voulais mourir obstinément
Devais tu m’inviter à te suivre au tourment,
Pour contempler ta mort, pour m’en faire un exemple
Qui me rendît un jour digne avec toi d’un temple.
Mais tu ne mourras point, ami trop généreux,
Sur moi seul doit tomber ce destin rigoureux,
L’arrêt est prononcé contre ma propre tête
La tienne est à l’abri du coup que l’on m’apprête ;
Assez durant six mois ta constance a souffert,
Et c’en est trop, ami, que tu te fois offert.
DAMON.
Ha ! que contre mes vœux ici le Ciel t’envoie,
Et que mal à propos tu viens troubler ma joie !
Tu devais demeurer encore un peu de temps,
Sans me venir ôter la gloire où je prétends.
À me la disputer tu me fais trop d’injure,
Va, laisse m’en jouir, ami, je t’en conjure ;
Mourir pour Pythias est un si noble sort
Que je trouve un triomphe en cette Illustre mort.
Soufre, souffre à la fin par ce haut avantage.
Que de mon amitié je te laisse un beau gage,
Et je n’ai jamais pu t’en donner en effet
Qui plus que ce dernier m’ait rendu satisfait.
PYTHIAS.
À quel propos toi même, ami trop magnanime
Vouloir parer le coup dont le destin m’opprime,
Et pourquoi t’obstiner à souffrir un trépas
Ou je ne vois pour toi que d’indignes appas.
Va plutôt le chercher au milieu d’une aimée,
Va d’Illustres exploits enfler ta renommée,
Va porter chez les Grecs cette bouillante ardeur,
Va-t’en dedans la Thrace acquérir de l’honneur.
Va revoir ton pays, et dedans nos familles
Fais reluire l’éclat des vertus dont tu brilles ;
La mienne désormais demande ton support,
Ne t’en excuse point, ne me fais pas ce tort ;
J’ai de ton amitié des preuves assez grandes
Pour ne pas t’accorder ce que tu me demandes.
Vidons ce diffèrent, et sans plus discourir,
Tu dois vivre, Damon, Pythias doit mourir.
DAMON.
Tu ne dois point mourir, et ton heure est passée.
PYTHIAS.
Ne me reproche point une faute effacée,
Si j’ais beaucoup tardé je reviens assez tôt.
DENIS.
C’est là ce matelot qui nous parlait tantôt.
TIMOCRATE.
C’est lui-même sans doute.
POLIXÈNE.
Il en a le visage.
PYTHIAS.
Je ne vous puis laisser en erreur d’avantage,
J’étais ce matelot, et je ne le suis plus.
POLIXÈNE.
Marsyas, qu’est-ceci ?
MARSYAS.
J’ai l’esprit tout confus.
POLIXÈNE.
À me jouer ainsi ton âme est si hardie !
Va, tu me répondras de cette perfidie.
Seigneur.
POLIXÈNE.
Ne parle point, je ne t’écoute pas.
PYTHIAS.
À ce noble débat connaissez Pythias.
La mort à qui l’horreur est toujours attachée
Des hommes du commun n’est pas si recherchée,
Ils en ont de l’effroi d’y penser seulement,
Et chacun n’y court pas avec empressement.
Un timide aisément trouveront sa défaite ;
À moins que d’être unis d’une amitié parfaite,
À moins d’un Pythias, à moins que d’un Damon
Vous n’auriez pas ici cette contention.
Mais je souhaite enfin qu’elle soit terminée ;
Sire, si j’ai failli, tranchez ma destinée,
Et pour vous obliger à ne m’épargner pas,
Sire, je suis coupable, ordonnez mon trépas.
DENIS.
Cet excès d’amitié me surprend et m’étonne,
Je sens qu’à la pitié mon âme s’abandonne,
Je me sens dépouiller de toute ma rigueur,
La clémence pour lui me parle dans le cœur,
Et je pense bien moins à la mort qu’il souhaite,
Qu’à l’air dont ses vertus veulent que je le traite.
Cette constance est rare, et cet ardeur me plaît
Qui si bien l’un de l’autre embrasse l’intérêt.
Ami, pour te montrer que je plains ta disgrâce,
Avant que de mourir que ton Juge t’embrasse,
Et recevant d’un Roi cette marque d’honneur,
Ne lui refuse pas une égale faveur.
PYTHIAS.
Ha ! Sire, c’en est trop, et le pourra t’on croire ?
Je ne m’attendais pas à ce comble de gloire ;
Je bénis mon désastre où tant d’heur se fait voir ;
Mais pour cette faveur, ou plutôt ce devoir,
Que votre Majesté pense qu’un misérable
De lui faire faveur se doit croire incapable ;
Toutefois s’il lui plaît ainsi de la nommer,
Quelle est cette faveur, Sire ?
DENIS.
C’est de m’aimer ;
Dans ton cœur aujourd’hui me donner une place,
Je la tiens à faveur, je la reçois pour grâce :
Mais en me l’accordant tu dois changer de sort,
Et pourrais-je en t’aimant consentir à ta mort ?
Non, tu ne mourras point, tous deux vous devez vivre,
Par de si beaux sentiers tous deux je vous veux suivre.
J’aime de vos grands cœurs ces nobles mouvements,
Cette haute constance à braver les tourments ;
Votre amitié me charme, et je prétends moi-même
Dans ce commerce aimable entrer comme troisième ;
Vous devez m’y souffrir, et vous aurez en moi
Un exemple immuable et d’amour et de foi.
TIMOCRATE.
Ce discours me surprend.
POLIXÈNE.
Tout ceci me surmonte.
PYTHIAS.
Ha ! Sire, encore un coup, c’est nous couvrir de honte,
Et votre Majesté par un excès d’amour
Nous départ trop de biens dedans un même jour.
DAMON.
J’en reste tout confus, après tant de clémence
Nous ne devons penser qu’à la reconnaissance ;
Oui, Sire, à vous servir nous bornons nos desseins,
Et remettrons toujours notre fort en vos mains,
DENIS.
J’accepte ce bel offre, et de si grands courages
Ne peuvent m’apporter que de grands avantages.
Commandez en ces lieux où tout vous est permis ;
J’en croirai mes États beaucoup mieux affermis,
Et vos bras que par tout doit suivre la victoire
Avec ces braves chefs vont accroître ma gloire.
Je saurai bien pour vous gagner leur amitié,
Et ne voulant point faire une grâce à moitié,
Comme de vos amours j’ai quelque connaissance,
Vous en pourrez bientôt avoir la jouissance,
Et faisant sur moi-même un merveilleux effort...
Scène V
SOPHROSYNE, DORIDE, DENIS, TIMOCRATE, POLIXÈNE, MARSYAS, DAMON, PYTHIAS
SOPHROSYNE.
Sire, lequel des deux conduit on à la mort ?
Ou si sur tous les deux il faut que s’accomplisse
L’arrêt trop rigoureux d’un indigne supplice ;
Qu’il n’en périsse qu’un, qu’il en périsse deux,
Nous avons résolu de périr avec eux.
DORIDE.
Notre amour ne peut plus user de retenue,
Sire, puisqu’à la fin elle vous est connue,
Rendez nous l’un et l’autre, ou que les mêmes coups
Qui les feront tomber tombent aussi sur nous.
DENIS.
Timocrate, vois tu ces transports magnanimes ?
Pour apaiser ton sang voici quatre victimes ;
Tu n’en demandais qu’une, en voici trois de plus :
Mais quitte ta vengeance, Amour a le dessus ;
Mon âme penche enfin à la miséricorde,
Vos amants ont leur grâce, et je vous les accorde,
Je crois qu’aucun de vous ici, ne m’en dédit.
SOPHROSYNE.
Dieux, qui l’eut espéré !
DORIDE.
Qui l’aurait jamais dit !
DENIS.
Vous, brave Timocrate, et vous, cher Polixène,
Oubliez tout sujet de colère et de haine,
Pour les mieux assurer d’un bien que j’ai promis,
J’entends que désormais vous deveniez amis ;
Tant de vertus qu’en eux chacun de nous contemple
Vous doit ici porter à suivre mon exemple.
TIMOCRATE.
Cette rare amitié nous charme autant que vous,
Et je n’ai plus pour eux ni haine ni courroux.
POLIXÈNE.
Je dois vous obéir.
DENIS.
Essuyez donc vos larmes.
Scène VI
DENIS, TIMOCRATE, POLIXÈNE, MARSYAS, DAMON, PYTHIAS, SOPHROSYNE, DORIDE, UN GARDE
LE GARDE.
Ha ! Sire, derechef toute la ville en armes
Menace hautement d’assiéger le Palais,
Et le bruit est plus grand qu’il ne le fut jamais.
Dion est le sujet de ce désordre étrange.
DENIS.
Quoi donc, à ses désirs faut il que je me range ?
Et ce peuple obstiné par de pareils assauts
Ne cessera-t-il point de troubler mon repos ?
À ce mal qui redouble opposons la prudence ;
Faites venir ma sœur.
LE GARDE.
La voici qui s’avance.
Scène VII
DENIS, TIMOCRATE, POLIXÈNE, MARSYAS, DAMON, PYTHIAS, ALDRÈTE, SOPHROSYNE, DORIDE, PHILISTE, GARDES
ALDRÈTE.
Viens voir, frère inhumain, tout le peuple en fureur,
Qui te doit à la fin donner de la terreur ;
Je t’aime encore assez pour craindre ta ruine,
Préviens, préviens les maux où ton sort t’achemine,
Et te laissant toucher d’une juste pitié,
Rend Dion à ce peuple, et rend le à sa moitié.
DENIS.
Bien, je consens, ma sœur, qu’en fin tu le revoies,
Et je veux que ce jour soit un jour plein de joies.
Damon et Pythias du destin maltraités
Ont déjà ressenti l’effet de mes bontés ;
Sophrosyne et Doride ont ce qu’elles demandent,
Mes volontés de même à tes désirs se rendent.
TIMOCRATE.
Ô discours qui me perd !
DENIS.
Mais de peur que ce bruit
Ne cause plus d’effroi si proche de la nuit,
Et que d’un petit mal un plus grand ne résulte,
Prends toi-même le soin d’apaiser ce tumulte,
Et courant de ma part lui donner cet espoir
Remets adroitement ce peuple en son devoir.
ALDRÈTE.
J’y cours. Que de bonheur après tant de traverses !
TIMOCRATE.
Ô Ciel, que tu produis de fortunes diverses !
DENIS.
Oui, que ce fer repose, et qu’ici désormais
On goute avec plaisir les douceurs de la paix,
Cependant que ma sœur va calmer cet orage
Que pourrait ma présence irriter davantage,
Allons, mes chers amis, et qu’on voie en ce jour
Triompher l’amitié de même que l’amour.