Un divertissement domestique (Denis DIDEROT)

Plan d’une Comédie, inédit.

1770.

 

 

C’est ici le canevas d’une pièce que Diderot a remaniée par trois fois au moins. On y trouvera, au milieu d’une suite de scènes un peu décousues, celle de la solliciteuse, qui reparaîtra dans la Pièce et le Prologue, et dans Est-il bon ? est-il méchant ? Nous donnons ces trois versions, non-seulement parce qu’elles sont très différentes, mais aussi pour prouver une fois de plus que, malgré son tempérament d’improvisateur, Diderot se relisait quelquefois et reprenait autant qu’il le fallait une idée qui lui plaisait.

 

 

Scène première

 

LE MAÎTRE DE LA MAISON, seul

 

Il est environ deux heures. Le Maître de la maison attend ses convives. Il esquisse les portraits de quelques-uns. Il regarde à sa montre : ils vont arriver tous, et Mme de *** ne paraît point... Il ajoute un mot sur l’importance des subalternes et leurs audiences qui ne finissent point. Le peu d’égards pour les malheureux... Il sonne... « Mme de *** n’a-t-elle rien fait dire ? – Non... » Il s’informe si l’on a suivi les ordres qu’il a donnés pour que chacun eût les mets et les vins qu’ils ont ordonnés... Il espère que la paresse accoutumée du Chevalier le tirera d’affaire.

 

 

Scène II

 

LE MAÎTRE, LE CHEVALIER

 

Le Maître : « C’est vous ? – Moi-même, mais ce n’est pas ma faute... » Il s’excuse de son exactitude. « – Vous êtes tout à fait singulier. – Une fois n’est pas coutume. – Vous veut-on ? vous n’arrivez pas. Ne vous veut-on pas ? vous venez. – De quoi s’agit-il ? » Il attend une malheureuse créature qui viendra à je ne sais quelle heure. « Ce n’est que cela ? Nous dînerons fort bien sans elle. – Cela vous plaît à dire. Les malheureux sont ombrageux. Mais, Chevalier, vous pourriez la servir. – Je ne demande pas mieux. – Ne connaissez-vous pas les bureaux de la marine ? – Beaucoup. »

 

 

Scène III

 

LE MAÎTRE, LE CHEVALIER

 

Les convives arrivent les uns après les autres, hommes et femmes.
Chaque convive avec son ridicule. Et puis les coiffures, les plumes, les vêtements des femmes. Les histoires scandaleuses.
Ils sont interrompus et contredits par le Maître de la maison et par le Chevalier, qui cherchent à gagner du temps.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, et apparition d’un laquais qui fait signe que non

 

Dépit du Maître... Au Chevalier : « Mais, à propos, Chevalier, il n’est bruit que de votre parade d’hier avec Mme ***. – Il est vrai que Mme *** a été sublime... Mais si nous dînions ?... – Les deux scènes seulement de la fin. – Cela ne se peut ; nous mourons de faim. – Ces deux scènes, tandis qu’on servira. » On joue les deux scènes.

 

 

Scène V

 

Première scène de la parade. – Les femmes à leurs voisines : Mais cela n’est pas trop bon... Nous serions mieux à table... Le Chevalier sort.

 

 

Scène VI

 

La seconde scène de la parade. — On bâille, etc.

 

 

Scène VII

 

Le Chevalier rentre. Troisième scène de la parade. Les convives : « Cela est charmant ; mais voyons votre dîner... » Une femme : « Et mon plat, y avez-vous pensé ? – Assurément... » Et puis une autre, etc.

 

 

Scène VIII

 

Le même laquais effaré qui appelle son maître : « Monsieur !... monsieur !... et vite et au plus vite ! »

 

 

Scène IX

 

Le Maître sort. Effroi du Chevalier, effroi des convives... Il y a quelque chose d’extraordinaire... « Mais, Chevalier, voyez donc... » Le Chevalier sort.

 

 

Scène X

 

Conjectures des convives, bien comiques, bien ridicules. Leur impatience.

 

 

Scène XI

 

Le Chevalier rentre : « Ce n’est rien, le feu est aux cuisines. – Et adieu notre dîner. – Non, je crois qu’on l’arrêtera, qu’il ne prendra pas à l’escalier et que nous en serons quittes pour la peur. – À l’escalier ! à l’escalier !... » Tumulte occasionné par cette nouvelle ; les femmes courent comme des folles. « Il n’y a point de porte dérobée !... J’ai senti la chaleur de la vapeur !... » Le Chevalier les rassure de manière à augmenter leur frayeur. Il va à la porte qu’il referme brusquement. Les hommes demandent des cartes pour faire un whist en attendant.

 

 

Scène XII

 

Le Maître rentre. Tout est éteint. Le Chevalier : « Et notre dîner ? – Il n’en souffrira pas. » Chaque femme se remet à sa manière. On annonce Mme de ***, la femme attendue.

 

 

Scène XIII

 

Elle se jette dans un fauteuil. On prend sa lassitude pour de l’effroi ; on la questionne. Quiproquo ; on lui parle du feu, elle répond de son affaire... « C’était un monde... Dans la rue ? etc. » Elle se déchaîne contre toute la cour et l’audience. Peinture de son rôle à l’audience, des femmes et hommes qui étaient là, du Premier Commis, homme très-familier. « – Mais le feu ? – Fussent-ils tous brûlés ! – Mais le feu ? » Elle ne sait ce que c’est. – Le Chevalier : « Ce n’est rien. – Non, rien, si ce n’est que nous nous sommes tous crus en charbon. »

 

 

Scène XIV

 

On a servi. Bégueuleries des femmes : « Je n’ai plus faim... J’étouffe... Le moyen de manger après cette alerte !... J’en ai l’estomac grippé... » On les entraîne.

 

 

Scène XV

 

Dîner sur la scène ou derrière la scène, comme on voudra. On attaque le Chevalier sur son beau sang-froid.

 

 

Scène XVI

 

Sur la fin, il vient des marmottes, un joueur de violon avec sa pratique. On danse et l’on chante des couplets sur le feu. Les femmes voient qu’on les a jouées et s’en plaignent.

 

 

Scène XVII

 

Le café. Suite d’une dispute commencée à table sur quelque aventure de la ville, comme on juge légèrement les femmes ; les uns pour, les autres contre... Parties de jeux, whist, brelan et piquet.

 

 

Scène XVIII

 

Les parties de jeux établies, le Maître de la maison présente le Chevalier à Mme de ***.
Elle entame le récit de son affaire, mais elle est à chaque instant interrompue par les disputes des joueurs qui prennent le Chevalier pour juge. La femme peste contre eux.

 

 

Scène XIX

 

Le jeu finit. On s’assemble autour de Mme de***. Elle raconte son affaire. Elle a perdu son mari ; il a péri avec son vaisseau. Elle n’a rien. Elle demande une pension, on la lui accorde, mais elle la veut réversible sur la tête de son enfant, ce qu’elle ne saurait obtenir... Réflexions très ridicules des femmes là-dessus ; cependant elles connaissent le ministre, elles parleront, etc. Le Chevalier attend ici le Premier Commis ; il parlera, mais c’est à la condition que personne que lui ne s’en mêlera. On y consent, et les convives se dispersent pour des visites, pour le spectacle. Ils doivent revenir souper. Un mot des visites, des spectacles, des auteurs, des acteurs.

 

 

Scène XX

 

MADAME DE ***, LE CHEVALIER

 

 « Vous ne réussirez pas. – Je réussirai... » Moyens du Chevalier : « Il faut être chaud, il faut être importun ; il faut s’adresser à un homme tendre et humain. – Et où est cet homme-là ? Ils sont tous de fer. – Surtout il faut se rendre la chose propre et personnelle... » – On annonce le Premier Commis. Mme de *** se retire.

 

 

Scène XXI

 

LE CHEVALIER, LE PREMIER COMMIS

 

Le Chevalier : « Eh bien, ma commission ? – On doit me l’apporter ici. On la signe. – Vous êtes charmant. – Oui, très charmant. Vous ne savez pas combien ces guenilles-là donnent de peine ; c’est qu’une place de commis aux barrières est sollicitée par un prince du sang. – Mais ce n’est pas tout ; j’ai à vous parler d’une autre affaire qui dépend de vous. – Tant mieux. – Uniquement de vous. – Elle est faite... » – Il sollicite. Le Premier Commis jette les hauts cris ; il dit ses raisons qui sont excellentes. Mais que fait le Chevalier ? Il se fait père de l’enfant de Mme de *** ; c’est pour son enfant qu’il parle. « Je ne suis pas riche ; la mère n’a rien. Si elle vient à mourir, croyez-vous que je laisserai mon enfant dans la rue ? » Il est d’un pathétique, mais d’un pathétique !... Le Commis se laisse fléchir.

 

 

Scène XXII

 

UN HOMME DU PREMIER COMMIS, LE CHEVALIER, LE PREMIER COMMIS

 

L’Homme du Premier Commis : « Monsieur, le Fermier fait de la difficulté. Donnez-vous la peine de venir... » Le Premier Commis sort en pestant contre le Fermier et ses difficultés éternelles... Il ne fait qu’aller et revenir.

 

 

Scène XXIII

 

LE CHEVALIER, MADAME DE ***

 

Madame de *** : « Eh bien ? – Votre affaire est faite. – Faite ? – Faite... » – Transports de joie de Mme de ***. « Mais comment vous y êtes-vous pris ? – J’y ai mis Dieu et diable. Mes principes, madame, mes principes sont excellents, infaillibles... Mais le Premier Commis va revenir ; il ne serait pas mal que vous le remerciassiez. – Cela est juste. – Et que vous lui présentassiez votre enfant ; il ne saurait le connaître trop tôt. – Vous avez raison. Je vais le chercher et je reviens. » Mme de*** sort.

 

 

Scène XXIV

 

LE CHEVALIER, seul

 

Il rit de son expédient. Il a quelques scrupules. Cette femme est un peu prude.

 

 

Scène XXV

 

LE CHEVALIER, LE PREMIER COMMIS

 

Le Premier Commis : « Votre protégée est une veuve ? – Oui. – Elle est de ?... – Oui. — Elle s’appelle *** ? – Oui. – Eh bien, si je n’étais accouru, on abusait de la ressemblance des lieux, des noms et des états, et notre commission était expédiée pour une autre, on nous la soufflait. Mais la voilà, faites-la partir, et qu’on ne larde pas à s’installer. – Cela sera fait. – Adieu. – Un moment. – Je suis pressé. – Mais vous donnerez au moins le temps à Mme de *** de vous présenter son fils et de vous remercier. » Le Chevalier sort.

 

 

Scène XXVI

 

Les remerciements de la Mère commencent. Le Premier Commis prend l’enfant entre ses jambes et fait son horoscope d’après le père qu’il lui croit. La Mère le contredit et l’arrête à chaque mot.

 

 

Scène XXVII

 

LA MÈRE, L’ENFANT, LE CHEVALIER

 

La Mère : « Mais votre ami a une fibre dérangée dans la tête. – Pourquoi donc ? – Pourquoi ? À chaque fois que je prononce votre nom, il ricane. Il prend mon enfant entre ses jambes, lui regarde entre les yeux et m’en prédit mille folies. – Son erreur est très naturelle ; j’en ai tant fait... » Alors le Chevalier lui déclare le moyen dont il s’est servi. Mme de *** entre en fureur. Elle ira au ministre ; elle leur jettera leur pension au nez ; elle n’en veut point à ce prix... « Et vous, monsieur le Chevalier, vous êtes un indigne... » Pour qui va-t-elle passer ? – Le Chevalier : « Pour ma maîtresse ; quel mal y a-t-il à cela ?... » Grande querelle. Le Maître de la maison arrive au bruit.

 

 

Scène XXVIII

 

Il trouve Mme de *** désolée. Il croit que le Chevalier a été un insolent ; il lui en fait des reproches. – Mme de *** : « C’est bien pis. – Qu’est-ce donc ? – Il m’a fait passer pour une catin, il s’est fait père de mon enfant. »

 

 

Scène XXIX

 

Arrivent les convives. « Qu’est-ce qu’il y a ?... » Le Maître de la maison expose l’affaire. On juge en faveur du Chevalier ; on console la femme.
On sert le souper.

 

 

Scène XXX

 

Le souper sur la scène ou derrière la scène, comme on voudra.

 

 

Scène XXXI

 

Pendant le souper, concert, danses, couplets sur Mme de *** et le Chevalier. Les convives se joignent aux danseurs et le divertissement finit. 

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