Le mariage fait et rompu (Charles DUFRESNY)
Comédie en trois actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 14 février 1721.
Personnages
LE PRÉSIDENT
LA PRÉSIDENTE, sa femme
LA TANTE, sœur du Président
LA VEUVE, nièce de la Tante
VALÈRE, amant de la Veuve
LIGOURNOIS, frère de la Présidente
L’HÔTESSE
LE FAUX DAMIS
GLACIGNAC
UN NOTAIRE
La scène est dans une hôtellerie de Marseille.
ACTE I
Scène première
VALÈRE
Quelle nouvelle, ô Ciel ! quel affreux contretemps !
Quand mon amour se flatte, en arrivant j’apprends,
Que l’adorable veuve ici se remarie,
Que ses noces se font dans cette hôtellerie !
Que deviendrai-je ?... où vais-je ? j’ai l’esprit troublé.
Mon mariage à moi, dont j’étais accablé,
Se rompt ; j’accours ; je crois qu’il sera temps encore ;
Je viens me déclarer à celle que j’adore.
J’eusse fait consentir sa tante et son tuteur ;
Mais ce contrat signé m’accable de douleur.
Scène II
VALÈRE, L’HÔTESSE
L’HÔTESSE, à la Cantonade.
Attendez-moi tous là ; je vous donne audience,
Après quelqu’un par où je veux qu’elle commence
À Valère.
Ah ! c’est vous que je cherche, aimable cavalier,
Et c’est vous que je veux servir tout le premier ;
Venez, monsieur, venez, je vous traite à merveille ;
Par excellence on dit l’hôtesse de Marseille,
Hôtesse jeune et sage ; oiseau rare, ma foi :
Oui, par mer et par terre on vient loger chez moi :
J’y régale par tête, et l’Asie, et l’Afrique ;
L’Europe y vient aussi boire avec l’Amérique.
Mon vin a la vertu d’assortir les humeurs,
D’accorder les esprits, de rapprocher les mœurs ;
De trente nations il n’en fait qu’une à table.
Je vous donne d’abord une chambre agréable,
Monsieur, et d’où l’on voit les rochers et la mer,
Très bonne pour rêver ; et vous m’avez tout l’air
D’aimer un peu la douce et tendre rêverie ;
C’est la plus belle, enfin, de mon hôtellerie.
La voulez-vous ?
VALÈRE, en rêvant.
Est-il rien plus cruel ? non...
L’HÔTESSE.
Non ?
Il faut vous en donner une dont le balcon
Est vis-à-vis celui d’une jeune personne...
VALÈRE.
Non, jamais...
L’HÔTESSE.
Non encor ? que faut-il qu’on vous donne ?
Car celle auprès de qui je voudrais vous loger,
Viendrait sur son balcon se plaindre, s’affliger ;
Vous la consoleriez. C’est une jeune veuve.
VALÈRE.
Veuve ?
L’HÔTESSE.
Oui, mais veuve jeune, et comme toute neuve,
Veuve, qui va mourir aujourd’hui de chagrin.
Un sot époux pourtant l’embarquera demain ;
Car il veut l’embarquer morte ou vive.
VALÈRE.
L’hôtesse,
À quoi tend ce discours ?
L’HÔTESSE.
Mais s’il vous intéresse,
Je le continuerai. De loin je vous ai vu
Vous désoler avec la tante, et j’ai connu
Par l’air, dont vous fuyait la nièce effarouchée,
Qu’en vous fuyant, de fuir elle était bien fâchée.
Et vous, qui l’autre jour vîntes loger ici,
De repartir pour Aix vous fûtes triste aussi.
Troubles, soupirs, mettons ces indices ensemble ;
Aimeriez-vous un peu cette veuve ? j’en tremble.
Elle est remariée à si peu que rien près.
Si l’on pouvait, monsieur, adoucir vos regrets ;
Car enfin, que sait-on ? du moins je suis discrète.
Puisque j’ai deviné, la confidence est faite.
N’hésitez plus, monsieur, car pour vous parler net,
L’aimable veuve m’a confié son secret.
VALÈRE.
Elle t’a confié...
L’HÔTESSE.
Non pas qu’elle vous aime ;
Je vois qu’elle le cache avec un soin extrême :
Mais par l’excès d’horreur qu’elle a pour son époux,
J’ai conclu qu’elle avait un amant. Est-ce vous ?
VALÈRE.
Cette veuve, dis-tu, t’a confié sa haine ?
L’HÔTESSE.
Pour ce sot époux, oui ; je la vis à la gêne,
Trembler, pâlir, frémir, en signant le contrat ;
Je la surpris après dans un cruel état,
Maudissant son mari tout haut, (cela soulage ;)
De lui, plus qu’elle encore, aussitôt je dis rage,
C’était le seul moyen d’adoucir ses douleurs.
Lors, moitié par pitié de la voir fondre en pleurs,
Moitié par intérêt (car elle est libérale)
Je fis d’abord une offre étonnante et brutale :
Voulez-vous que demain je rompe ce contrat,
Lui dis-je ?
VALÈRE.
Quoi tu peux ? Je suis dans un état,
Où l’indiscrétion doit être pardonnable.
Si tu peux délivrer cette veuve adorable
Du mariage affreux qui fait mon désespoir,
Je n’épargnerai rien.
L’HÔTESSE.
J’espère que ce soir...
VALÈRE.
Ce soir qu’espères-tu ?
L’HÔTESSE.
Du secours que j’espère,
Et que je leur promets, je leur ai fait mystère.
VALÈRE.
Que leur as-tu promis ?
L’HÔTESSE.
Point d’explication.
Elles ont cependant de la discrétion
Beaucoup toutes deux ; mais à deux femmes discrètes
L’on ne doit confier que des affaires faites.
VALÈRE.
Tu me vas dire à moi ?...
L’HÔTESSE.
Non. Vif, impétueux,
Vous seriez indiscret, vous seul, plus qu’elles deux.
VALÈRE.
Mais l’hôtesse ?...
L’HÔTESSE.
Non.
VALÈRE.
Mais...
L’HÔTESSE.
Curiosité vaine !
De me questionner ne prenez pas la peine.
Quand ce secret pourrait vous être confié,
Il ne vous convient pas d’en être de moitié ;
Un homme comme vous en s’intriguant déroge ;
En m’intriguant bien, moi, je mérite un éloge.
VALÈRE.
Tu me fermes la bouche ; apprends-moi seulement
Qui peut avoir conclu ceci si promptement ;
Car je n’en sais encore aucune circonstance.
L’HÔTESSE.
Celui qui règle tout, est homme d’importance,
Homme d’un grand crédit ; c’est un Président d’Aix :
Mais un Président fait comme ils ne sont plus faits
Morgue de magistrat, rébarbatif, sévère,
Qui ne dément jamais son grave caractère,
Et régulier... Je fus bien étonnée un soir,
De le voir arriver en poste en manteau noir.
Le fat ! pardon du mot, mais je suis en colère
De la fatuité qu’il a dans cette affaire,
Comme en toute autre : un air, un ton d’autorité,
Avec une faiblesse, une timidité ;
Lorsque voulant sur tout présider, il décide,
Sa prude Présidente en secret le préside.
C’est par elle qu’il fait ce mariage-ci.
Il domine partout, hors chez lui. C’est ainsi
Que, tout homme qui prend une prude pour femme,
Devient un sot monsieur, gouverné par madame.
VALÈRE.
Et voilà l’ascendant qui nous perd aujourd’hui :
Comme il l’a sur sa sœur, sa femme l’a sur lui.
L’HÔTESSE.
Justement. Pour finir hier ce mariage,
Ce Président tenait à sa femme un langage
Marital, mais pourtant poliment absolu ;
Car il ne veut jamais qu’après qu’elle a voulu.
Elle, de son coté, veut avec politesse ;
C’est par soumission qu’elle se rend maîtresse,
Sitôt qu’elle lui fait humblement entrevoir
Qu’elle voudrait, d’abord c’est lui qui croit vouloir.
VALÈRE.
Ah ! je vois à présent le nœud de cette affaire :
La Présidente aura ménagé pour son frère
La pupille et les biens.
L’HÔTESSE.
D’accord ; c’est là-dessus
Que je ferai trembler... Je n’en dirai pas plus,
Sur un seul point fondant le projet que je tente,
Je ferai déguerpir, morbleu, la Présidente.
Le Président révère en elle la vertu,
À quarante ans, dit-il, en avoir toujours eu !
Sa vertu cependant est bien plus jeune qu’elle.
Scène III
LA TANTE, L’HÔTESSE, VALÈRE
LA TANTE.
Vous causez à ma nièce une peine cruelle,
Valère, éloignez-vous. Je vous l’ai déjà dit,
Ni la discrétion, ni la force d’esprit
Ne pourraient empêcher votre amour de paraître.
VALÈRE.
D’accord. De ma douleur je ne suis pas le maître,
Et dans mon désespoir, je les brusquerais tous.
Que je vous veux de mal, à vous, madame, à vous
D’avoir consenti...
LA TANTE.
Mais vous savez bien, Valère,
L’ascendant, qu’a sur moi le Président mon frère.
L’HÔTESSE.
Inutiles regrets ! comptez sur mon projet.
LA TANTE.
Oui, mais explique-toi. Mets-nous la chose au net.
L’HÔTESSE.
À ne m’expliquer point, vous dis-je, on m’a contrainte ;
Mais séparons-nous, car je suis toujours en crainte.
Çà, jusqu’à nouvel ordre, il faut premièrement
À Valère.
Que vous entriez, vous, dans cet appartement.
VALÈRE.
Je vais m’y désoler.
Scène IV
LA TANTE, L’HÔTESSE
LA TANTE.
Que je serai contente
Si tu peux me venger de notre Présidente !
Qu’elle serait confuse en cette occasion !
Sans blâme on peut jouir de sa confusion ;
Elle est vindicative, injuste, méprisante,
Hypocrite, sans foi.
L’HÔTESSE.
Fière, prude et pédante ;
J’achève le portrait, joignons-y la fadeur ;
C’est elle-même.
Elle s’en va.
LA TANTE.
Et c’est ma bête, mon horreur.
Voir ma nièce à son frère et par force liée,
La voir à dix-huit ans deux fois mal mariée.
Que je la plains !
Scène V
LA TANTE, LA VEUVE
LA VEUVE, accourant.
Qu’entends-je ? ah ! je suis hors de moi,
Quel bonheur !
LA TANTE.
Qu’est-ce donc ?
LA VEUVE.
Ma tante...
LA TANTE.
Explique-toi.
LA VEUVE.
Je vais sûrement voir rompre mon mariage.
LA TANTE.
Tu te flattes trop tôt.
LA VEUVE.
Non, non.
LA TANTE.
Tu n’es pas sage,
Car l’Hôtesse elle-même...
LA VEUVE.
Eh ! ce n’est pas cela ;
C’est d’un autre côté que mon bonheur viendra.
LA TANTE.
Tu rêves ! ton amour et ta douleur te troublent.
LA VEUVE.
Non ; ma joie est sensée, et mes transports redoublent :
Car c’est un homme sage, et sensé qui le dit.
Monsieur de Glacignac.
LA TANTE.
Oui, c’est un bon esprit.
LA VEUVE.
Ce parent au notaire a dit en ma présence,
Mais d’un sang-froid qui marque une pleine assurance,
Le notaire lui-même a parti confondu :
Oui, disait Glacignac, mariage rompu.
LA TANTE.
Tu te flattes, ma nièce, et Glacignac se trompe.
Non, il ne se peut pas qu’un tel contrat se rompe.
Mon frère et le notaire, habiles gens tous deux...
LA VEUVE.
Monsieur de Glacignac est plus habile qu’eux.
Mariage rompu.
LA TANTE.
Tu dis une chimère.
LA VEUVE.
Non, je n’ai plus d’époux, je puis revoir Valère.
LA TANTE.
Mais, si ce qu’on te dit enfin se trouve faux ?
LA VEUVE.
J’en frémis. Ce sera le comble de mes maux.
Plus je vois cet époux, plus je suis à la gêne,
Mon amour pour Valère augmente cette haine,
Et cette haine, hélas ! par un fâcheux retour,
Semble encore pour Valère augmenter mon amour.
LA TANTE.
Dans cette extrémité l’effort que je puis faire,
C’est de te retenir ici malgré mon frère.
LA VEUVE.
Je ne m’embarque point, ma tante, assurément.
LA TANTE.
Ils viennent tous ; je vais leur parier fortement.
Mais j’ai beau leur vouloir tenir tête, je n’ose ;
C’est un faible que j’ai, leur présence m’impose.
Scène VI
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE
LA PRÉSIDENTE, à la cantonade.
Monsieur le Président me cherche, attendez tous.
Au Président.
Ici, Président.
LE PRÉSIDENT.
Ah ! Présidente, c’est vous ?
LA PRÉSIDENTE.
J’ai dit que vous vouliez qu’on dînât chez sa tante ;
Ai-je tort, Président ?
LE PRÉSIDENT.
Non, jamais, Présidente.
LA PRÉSIDENTE.
L’on a toujours raison quand on pense après vous.
On doit étudier les désirs d’un époux.
Jeune épouse, apprenez que dans la moindre idée
Il faut par un époux être toujours guidée.
Mon exemple en cela vous est d’un grand secours.
LE PRÉSIDENT.
En cela comme en tout.
LA PRÉSIDENTE.
Pour Monsieur, j’eus toujours
Déférence, respect, soumission entière.
LE PRÉSIDENT.
La femme à son mari doit respect la première
Comme au chef ; mais respect qui doit être rendu.
Oui, je respecte en vous et prudence et vertu.
LA PRÉSIDENTE.
Respecter, c’est trop dire. Aimez-la.
LE PRÉSIDENT.
Je l’honore ;
C’est le mot.
LA PRÉSIDENTE.
C’est le mot. Je le répète encore,
Jeune épouse, il faut vivre avecque votre époux,
Comme monsieur et moi nous vivons entre nous :
Ne le jamais quitter il vous mène à Ligourne.
LA VEUVE.
Non, je reste à Marseille où ma tante séjourne ;
C’est une complaisance au moins que je lui dois
Pour toutes les bontés qu’elle eut toujours pour moi.
J’y reste quelques jours.
LA TANTE.
Quelques jours, rien ne presse,
Encore faut-il bien qu’elle se reconnaisse.
À peine est-elle encor mariée.
LA PRÉSIDENTE, au Président.
Est-il vrai ?
Croirai-je qu’on propose un blâmable délai,
Quand le devoir... au fond je ne suis point gênante ;
Mais pour suivre un mari, l’on doit quitter sa tante.
Je ne l’exige point... et monsieur sait fort bien
Que je n’ai ni désir, ni volonté sur rien.
LE PRÉSIDENT, d’un ton d’autorité.
Il est vrai ; mais c’est moi, moi, qui veux qu’elle suive...
LA PRÉSIDENTE.
Monsieur veut.
LE PRÉSIDENT.
Oui, je veux.
LA PRÉSIDENTE.
Volonté décisive.
LA TANTE.
Mais il faut voir...
LE PRÉSIDENT.
Ma sœur, l’arrêt est prononcé.
LA VEUVE.
Il faut attendre.
LA PRÉSIDENTE.
Au fond, j’ai toujours bien pensé,
Que vous n’auriez jamais une vive tendresse
Pour mon frère. Il n’est pas d’une extrême jeunesse ;
Mais c’est ce qui convient. Il est d’âge à former
Ces nœuds où l’on ne peut trouver rien à blâmer :
Car il faut qu’une veuve épouse un homme d’âge ;
Homme, qui justifie un second mariage ;
En ôtant tout soupçon qu’un amour excessif
D’un second mariage ait été le motif.
Scène VII
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE, LIGOURNOIS
LIGOURNOIS.
Oh ! je viens d’inventer un souper de génie,
Un repas pour la noce, où la cérémonie
Soit joyeuse malgré le cérémonial :
Ma sœur la Présidente en veut : cela fait mal
Dans un bon repas ; mais, comme j’ai de la tête,
J’ai mêlé tout ensemble, au festin qu’on apprête,
Et du grave et du gai.
LA TANTE, bas.
Le sot !
LA PRÉSIDENTE.
C’est un repas
Superbe, mais modeste.
LIGOURNOIS.
Oh ! ne voilà-t-il pas ?
Vous allez tout gâter par votre modestie.
J’y voulais du galant, c’est votre antipathie,
Ma sœur, car vous voulez par vertu de l’ennui.
LA PRÉSIDENTE.
Mon frère, vous avez moins d’esprit aujourd’hui
Qu’à l’ordinaire.
LIGOURNOIS.
Oh ! point ; c’est toujours tout de même.
Mais c’est que le transport de mon amour extrême
Me trouble en m’animant.
LA PRÉSIDENTE.
Paix donc, ou parlez bas ;
Car de si vifs transports ne vous conviennent pas.
LIGOURNOIS.
Quand on est possesseur...
LA PRÉSIDENTE.
Mais soyez donc plus sage ;
Ces folâtres discours ne sont plus de votre âge.
Mêlez à votre joie un peu plus de raison ;
Sous le nom d’amitié, fruit d’arrière-saison,
Il faut masquer l’amour, en jouir, et se taire.
LIGOURNOIS.
Je fais l’amour tout haut.
LA PRÉSIDENTE.
Que nous veut le notaire ?
Scène VIII
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE, LIGOURNOIS, LE NOTAIRE
LE NOTAIRE, en colère.
On vient de m’excéder, je n’y puis plus tenir :
Ces manques de respect se devraient bien punir.
On en manque pour vous, pour votre caractère,
Monsieur, et pour le mien, corriger un Notaire,
Et vouloir réformer un contrat fait par moi,
Qui par la forme sait régler, fixer la loi !
On dit notre contrat fautif, nul, invalide.
LE PRÉSIDENT.
Qui dit cela ?
LA PRÉSIDENTE.
Quoi ?
LIGOURNOIS.
Qu’est-ce ?
LE NOTAIRE.
Un homme qui décide,
Qui croit qu’un oui, qu’un non froidement prononcé,
Que parler peu, suffit pour être bien sensé :
Qui croit, en dédaignant ma féconde science,
Arrêter d’un seul mot un torrent d’éloquence :
C’est un Gascon nommé Glacignac.
LA VEUVE, à part.
Écoutons.
LA TANTE, à la Veuve.
C’est donc là la rupture ?
LA VEUVE, à la Tante.
Oui, sur quoi nous comptons.
LE PRÉSIDENT.
Ce Glacignac, toujours zélé pour sa parente,
Disputait l’autre jour pour la clause importante,
Pour la dot ; mais nous tous l’emportâmes sur lui.
Il tire un portefeuille.
Je l’ai mise en billets que je livre aujourd’hui,
Même dès à présent ; la voilà toute prête.
LA PRÉSIDENTE.
Eh ! ce n’est pas cela, monsieur, qui nous arrête.
LIGOURNOIS.
Mais qu’il avance donc, il marche à pas comptés.
Scène IX
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE, LIGOURNOIS, LE NOTAIRE, GLACIGNAC vient les saluer tous froidement sans rien dire
LE NOTAIRE.
Ah ! nous allons donc voir ici ces nullités ;
S’il en connaît quelqu’une, au moins qu’il la désigne.
LA PRÉSIDENTE.
C’est que comme parent il veut signer.
LE PRÉSIDENT.
Qu’il signe :
Mais l’on n’a pas besoin ici de ses avis.
LA PRÉSIDENTE.
Qu’on les écoute, mais qu’ils ne soient pas suivis.
LE PRÉSIDENT.
Qu’est-ce à dire, monsieur, j’apprends par le Notaire,
Qu’au contrat vous trouvez quelque article à refaire ?
GLACIGNAC, froidement.
Peu dé chose.
LE PRÉSIDENT.
Voyons ce qui vous a choqué.
GLACIGNAC.
Très peu dé chose.
LE NOTAIRE.
Mais qu’avez-vous remarqué ?
Montrez-le nous, voyez.
GLACIGNAC.
C’est uné minutie
Sur les qualités.
LIGOURNOIS.
Oh chacun se qualifie
Comme il veut.
LE PRÉSIDENT.
Si ce n’est que cela...
GLACIGNAC.
Cette erreur
Du contrat cépendant alteré la valeur.
Vous qualifiez là cette épousé dé veuve,
Dé veuve ! et vous n’avez nullé certainé preuve
Que son mari soit mort. Eh donc ! c’est sans raison,
Faussément, qué dé veuve on lui donne lé nom.
C’est uné bagatelle, un rien, uné vétille,
On pourrait, corrigeant ce mot par apostille,
Mettre ici, veuvé, dont lé mari n’est pas mort.
LE PRÉSIDENT.
Qu’est-ce à dire ?
GLACIGNAC.
Qu’il vit ; eh donc ? l’épouse a tort...
LIGOURNOIS.
Est-il ivre ?
LE PRÉSIDENT.
Est-il fou ?
LA VEUVE.
Que dit-il donc, ma tante ?
LA TANTE.
Je n’y comprends rien...
LA PRÉSIDENTE.
Mais je croirais qu’il plaisante,
Si je ne connaissais qu’il est très sérieux.
GLACIGNAC.
Véridique dé plus. Si vous avez des yeux,
Vous pouvez aller voir au port Damis en vie.
LIGOURNOIS.
De rire son sang-froid,
Il rit.
ah, ah, me donne envie.
Croire vivant un mort au récit d’un gascon !
LA VEUVE.
Ma tante, parle-t-il sérieusement ?
LA TANTE.
Non.
Mais expliquez-vous donc.
GLACIGNAC.
Jé parle vrai.
LA VEUVE.
Qu’entends-je ?
GLACIGNAC.
Damis est débarqué.
LE NOTAIRE.
Le cas serait étrange.
LA TANTE.
C’est donc là la rupture ? ah ! quel événement !
LE PRÉSIDENT.
Mais vous nous annoncez cela tranquillement.
GLACIGNAC.
Et pourquoi voulez-vous que jé mé passionne !
Sais-je pour ces époux si la nouvelle est bonne,
Mauvaise, indifférente, et s’ils s’aiment, ou non ?
Eh donc ! température est ici dé saison ;
Or je débarquais, moi, j’étais sur lé rivage,
Je venais pour signer à votré mariage ;
À l’oreille jé sens murmurer un bruit sourd,
Bruit qui dévient bruyant à mésuré qu’il court.
Damis, Damis, Damis ; dit-on, dé bouche en bouche,
Damis rejoindra donc sa compagne de couche ?
Dans Marseillé Damis était connu très fort,
Pour lé voir débarquer chacun court sur lé port.
LA PRÉSIDENTE.
Quoi ! Damis est ici ?
GLACIGNAC.
Révivant en personne.
En lé voyant révivre, on s’émeut, on s’étonne.
Moi qui crois tout possible, et né m’émeus dé rien,
J’ai dit ; c’est lé cousis, il vit, jé lé veux bien.
LE PRÉSIDENT.
Mais il faut s’assurer d’une telle nouvelle.
LE NOTAIRE.
Moi-même je vais voir si la chose est réelle.
LE PRÉSIDENT.
Allez, mais en tout cas, donnez-moi le contrat ;
Nous pourrons s’il le faut, l’annuler sans éclat.
Je suis bien aise enfin de m’en rendre le maître,
Afin que le mari n’en puisse rien connaître.
Scène X
LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE, LIGOURNOIS, GLACIGNAC
LA VEUVE.
Je ne puis revenir du coup.
LA TANTE.
Coup malheureux !
Deux maris ! je voudrais qu’ils fussent morts tous deux.
LA VEUVE.
Allons nous renfermer, je ne puis plus paraître.
Scène XI
LA PRÉSIDENTE, LIGOURNOIS, GLACIGNAC
LIGOURNOIS.
Ce maudit revenant ainsi revivre en traître !
Ainsi venir m’ôter une veuve, et son bien !
GLACIGNAC.
Il faut bien lui céder le pas, c’est votre ancien.
LA PRÉSIDENTE.
Monsieur, comme Damis saura ce qui se passe,
Il nous en voudra mal.
GLACIGNAC.
Oui.
LA PRÉSIDENTE.
Voyez-le, de grâce ;
Vous étiez, m’a-t-on dit, de ses meilleurs amis.
Il ne convient qu’à vous de parler à Damis ;
Faites-lui pour nous tous excuse.
GLACIGNAC.
Oui dà, madame.
LIGOURNOIS.
Et ne lui dites pas que j’épousais sa femme.
GLACIGNAC.
Il né lé saura point, lé public est discret.
Scène XII
LA PRÉSIDENTE, seule
Pour ne rien laisser voir de mon trouble secret,
Que je me suis contrainte ! Étrange conjoncture !
Mon scélérat amant, mon traître, mon parjure,
Ce Damis n’est pas mort ! Fuyons-le promptement,
Je serais exposée à son ressentiment.
Il saurait que c’est moi qui livrais à mon frère,
Et sa femme, et ses biens. Ô Ciel ! dans sa colère
Ce brutal me perdrait d’honneur : du moins je puis,
En ne le voyant pas, lui cacher qui je suis.
Il ne peut pas savoir que je suis Présidente.
Hélas ! quand je l’aimai j’étais bien différente
De ce que je suis ; mais au plus vite partons.
Que j’ai bien fait d’avoir pris parfois de faux noms !
Mon histoire ne peut avoir été suivie.
Heureux qui peut cacher la moitié de sa vie,
Pour se faire par l’autre un renom de vertu !
C’est dans tout âge avoir très sensément vécu.
ACTE II
Scène première
VALÈRE, L’HÔTESSE
VALÈRE.
Du mariage on vient m’annoncer la rupture,
Et le mari cru mort revient : quelle aventure !
L’HÔTESSE.
Oui, la rupture c’est l’autre mari cru mort,
Qui revient.
VALÈRE.
Ah ! quel coup !
L’HÔTESSE.
Je viens rire d’abord ;
Car j’ai le temps de rire un peu de votre trouble.
Et dans ce salon-ci j’attends ce mari double,
J’entends qui vient doubler ce Ligournois fâcheux :
Un mari c’était peu pour vous, en voilà deux ;
Un amant tel que vous triompherait de trente.
VALÈRE.
Toi dans mes intérêts plaisanter !
L’HÔTESSE.
Je plaisante.
VALÈRE.
Vient-il ?
L’HÔTESSE.
Non pas encor, monsieur, sans plaisanter,
À ce mari d’abord je vais vous présenter.
Je lui dirai, voilà l’amant de votre femme :
De votre main, monsieur, présentez-le à madame.
C’est la règle à présent.
VALÈRE.
La tête t’a tourné !
L’HÔTESSE.
C’est le meilleur mari, docile et façonné
Au manège qui rend nos maris adorables.
VALÈRE.
Rêves-tu ? Quels discours ?
L’HÔTESSE.
Discours très raisonnables.
Je vous explique ici très sérieusement
Ce que ce mari fait pour vous en ce moment.
Sur ce mari pour vous tout mon espoir se fonde ;
Il revit, il revient exprès de l’autre monde,
Pour ôter à sa femme un sot mari qu’elle a,
Et pour vous la donner ensuite il remourra.
N’est-il pas bien honnête ?
VALÈRE.
À cette énigme obscure
Je ne comprends rien ; mais par ta gaîté j’augure...
J’augure bien, je crois ; mais que croire ? On me dit,
Qu’en public ce Damis...
L’HÔTESSE.
C’est par moi qu’il revit.
VALÈRE.
Quoi ? Comment...
L’HÔTESSE.
Ce mari n’est qu’un mari postiche,
L’image du défunt, qu’en public, moi j’affiche ;
Un faux Damis enfin. Voilà ce grand secret.
La veuve est scrupuleuse, et vous, vif, indiscret ;
Je vous avais caché l’époux que je suppose.
VALÈRE.
Ce n’est qu’un faux mari ?
L’HÔTESSE.
Non, qu’à l’autre j’oppose.
L’énigme est éclaircie. Ce n’est qu’un frère à moi.
Voyons ; j’entends qu’il fait merveille, je le vois.
VALÈRE.
Je ne sais où j’en suis ; en ceci tout m’étonne.
L’HÔTESSE.
Damis était bouffon, et mon frère bouffonne,
Fait le mauvais plaisant pour lui mieux ressembler.
VALÈRE.
L’entreprise est hardie, elle me fait trembler.
Scène II
VALÈRE, L’HÔTESSE, LE FAUX DAMIS
DAMIS, une bourse à la main, qui donne de l’argent.
Vous m’étouffez, messieurs, et votre accueil affable,
Votre zèle, morbleu, me ruine et m’accable.
Vous criez en chorus, Damis, Damis, Damis,
Mon nom me coûte cher, tenez, mes bons amis,
Allez tous en buvant raconter mon histoire,
Et laissez-moi du moins me reposer et boire.
Vous me regrettiez mort, je l’avais mérité
Que c’est un grand plaisir de mourir regretté !
Mais pour le bien goûter il faut, ma foi, revivre ;
M’imite qui pourra, l’exemple est bon à suivre.
VALÈRE.
Je ne puis revenir de mon étonnement.
L’HÔTESSE.
Ma lettre ne t’a point parlé de cet amant ?
C’est un amant secret de la charmante veuve,
Surcroît de gain pour toi.
DAMIS.
J’en accepte la preuve.
VALÈRE.
Prends ces cent louis, mais vite, rassure-moi,
Comment te prennent-ils pour Damis ? Et pourquoi...
DAMIS.
Je suspends les transports de ma reconnaissance.
Apprenez qu’il ne fut jamais de ressemblance,
Telle qu’entre Damis et moi : Caille jamais,
Ni Martin-Guerre n’ont vu leurs vivants portraits
Mieux que Damis ne vit le sien dans ma figure.
Cela nous fit amis, compagnons d’aventure ;
Et là-dessus ma sœur a formé son projet :
Par sa lettre de tout, elle m’a mis au fait.
À Toulon je me donne à quelques gens de marque
Pour Damis ; sous son nom avec eux je m’embarque :
Le vaisseau s’est trouvé plein de ces fainéants,
De ces marins oisifs que l’ennui rend friands
D’entendre raconter, par conséquent de croire ;
Sur leur crédulité je fonde mon histoire.
La pitié se saisit de leurs affections :
Et par le merveilleux de mes narrations,
Leur faisant admirer mes fausses aventures,
De tous mes auditeurs je fais des créatures.
Nous abordons enfin, et je sors le dernier
Du vaisseau, dont chacun veut sortir le premier
Pour conter au public mes fables sans pareilles :
Mon Journal se grossit de cent et cent merveilles.
Ces zélés narrateurs ont déjà tant conté,
Raconté, rajusté, corrigé, commenté,
Qu’étant tous à présent auteurs de mon histoire,
Ils vont avoir aussi tous à la faire croire
Presque autant d’intérêt et déplaisir que moi.
VALÈRE.
J’écoute, et j’admire.
L’HÔTESSE.
Oh ! c’est mon frère, ma foi,
Pour l’esprit.
DAMIS.
Écoutez jusqu’au bout.
VALÈRE.
Par avance,
Je te promets, mon cher, une ample récompense,
Agis toujours.
L’HÔTESSE.
Au port, te voilà donc rendu ?
DAMIS.
Oui, pour Damis j’arrive ici tout reconnu.
Voyant tout disposé pour ma brillante entrée,
Car les gens du vaisseau l’avaient bien préparée,
Je descends et je cours vers les plus empressés,
Car ordinairement ce sont les moins sensés.
Sur l’épaule de l’un frappant d’un air affable,
Au bourgeois caressé je fais croire ma fable ;
Certain cabaretier ne me reconnaît pas.
Ce n’est point lui, dit-il, parlant à demi-bas,
Et chez moi le défunt très souvent venait boire.
Je cours à lui craignant l’effet de sa mémoire.
Ah ! cher ami, chez toi le bon vin que j’ai bu !
Je crois t’en redevoir encore quelque écu.
L’espoir d’un peu d’argent, joint à la ressemblance,
S’est emparé d’abord de sa réminiscence.
Un autre devenu créancier à l’instant,
Me reconnaît aussi pour en avoir autant.
Certain Gascon m’observe et me tient en brassière,
Je le voyais tout prêt à me rompre en visière ;
Venez dîner chez moi, mon cher, n’y manquez pas.
Oui, Cousis, m’a-t-il dit, j’accepté lé repas.
Un faux brave a paru, j’ai juré qu’à la guerre
Je l’avais vu, morbleu, plus craint que le tonnerre.
Ainsi, pour peu qu’on soit libéral et flatteur,
Du crédule public on sait gagner le cœur.
L’HÔTESSE.
Oui ; mais je vois qu’ici ce public entre en foule.
Ton apparition sur quoi ton projet roule,
À fait croire Damis vivant, c’était ton but ;
Mais s’il fallait qu’enfin quelqu’un te reconnût,
Te soupçonnât, ceci pourrait changer de face,
Ne t’expose donc plus à cette populace.
Pour revoir ce Damis ils veulent tous entrer,
Allons adroitement les faire retirer.
À Valère.
Venez.
À Damis.
Toi, reste là, je reviendrai te joindre.
VALÈRE.
Nulle difficulté, n’est-ce pas ?
DAMIS.
Pas la moindre.
L’HÔTESSE.
Tu sais ton rôle ?
DAMIS.
Oui, mais rejoins-moi promptement.
L’HÔTESSE.
Vous,
À Valère.
je vais vous instruire un peu plus amplement.
DAMIS.
Va par l’autre côté m’ouvrir cette autre porte.
L’HÔTESSE.
Eh ! ne crains rien.
DAMIS.
Va donc dissiper, la cohorte.
VALÈRE.
Je n’en puis revenir ! un projet si hardi,
Me fait trembler, j’en suis encor tout étourdi,
Le moindre contretemps perdrait tout.
DAMIS, seul.
Bon courage,
Valère est libéral, couronnons notre ouvrage.
Scène III
LE FAUX DAMIS, GLACIGNAC
GLACIGNAC, à part.
Cé Damis est un fourbe à coup sûr.
DAMIS.
Qui vient-là ?
GLACIGNAC.
Mes yeux dé plus en plus mé confirment qu’il a
Lé portrait du défunt calqué sur son visage.
DAMIS, à part.
Ah ! Ah, c’est ce Gascon qui criait du rivage,
J’accepte le repas. Je tremble cependant,
Car on m’a dit qu’il est parent du Président.
GLACIGNAC, à Damis.
Un Cousis que j’avais, en trépassant, jé pense,
Vous a par testament légué sa ressemblance.
DAMIS.
Je croyais être lui.
GLACIGNAC.
Qué mé dités-vous là ?
Il est mort. Jé né sais si vous savez céla.
DAMIS.
Je devrais l’être au moins, les périlleux voyages,
Les corsaires, la mer, les écueils, les naufrages...
Mais je suis débarqué sain et sauf, c’est le bon.
GLACIGNAC.
Vous débarqué ! c’est donc de la barque à Caron ?
DAMIS.
Oui, j’ai sur l’estomac encore une onde noire ;
Pour la faire passer, cher cousin, allons boire,
Vous m’avez dit tantôt, j’accepte le repas.
GLACIGNAC.
Non, jé suis dé la noce, et jé n’accepté pas.
La veuvé dé Damis ici sé rémarie.
DAMIS.
Oui, ma femme voulait...
GLACIGNAC.
Veuvé donc, jé vous prie,
Veuvé, très veuvé ; car feu Damis...
DAMIS.
Pour de feu.
GLACIGNAC.
Jé vous dis, feu Damis, mon cher, m’aimait un peu
Feu Damis...
DAMIS.
Oh ! feu, feu... l’épithète m’offense.
GLACIGNAC.
Dé tout il mé faisait exacté confidence.
DAMIS.
J’étais un jour...
GLACIGNAC.
Non pas.
DAMIS.
J’allai...
GLACIGNAC.
Non, non.
DAMIS.
Comment ?
GLACIGNAC.
J’étais, j’allai, n’est pas s’exprimer congrûment
La façon dé parler, mé semblé, n’est pas bonne :
Damis, à votre égard, est la tiercé personne ;
Vous dévez dire, vous, il était, il alla,
Non pas, j’étais, j’allai, c’est mal dit qué céla ;
Jé né pardonne point les fautés dé grammaire.
DAMIS.
Ce badinage enfin cessera, je l’espère.
GLACIGNAC.
Prouvez donc gravément qué vous étés Damis.
Vous vous souvenez bien qu’il fut dé mes amis,
Quoiqué parent ; un jour, vous en souvient sans doute,
Il vint chez moi, sa bourse était à vau dé route ;
Or devinez combien jé lui prêtai d’argent ?
DAMIS.
Combien, je n’en ai pas le calcul bien présent ;
Car comme étourdiment j’emprunte, je m’endette,
Étourdiment j’oublie, aussi ce qu’on me prête.
Mais je me souviens bien que quand je vous hantais,
Tantôt vous me prêtiez, tantôt je vous prêtais,
Et prêterai de plus, je suis toujours le même.
GLACIGNAC.
Avant qué dé prêter, il faut rendre.
DAMIS.
Que j’aime
Ces maximes d’honneur, d’exacte probité !
Ma bourse s’ouvre. Eh bien, que m’avez-vous prêté !
GLACIGNAC.
Cinquante louis d’or neufs.
DAMIS, comptant.
Justement, c’est la somme ;
Je m’en souviens, fort bien ; et même en galant homme
À part.
Je vous rends sans quittance... on aura son secours
Pour de l’argent.
Scène IV
GLACIGNAC, LE FAUX DAMIS, VALÈRE, L’HÔTESSE
L’HÔTESSE, courant étourdiment à Damis.
Joignons-le. Ah ! mon frère, j’accours...
GLACIGNAC.
Ton frère !
VALÈRE, bas à part.
Elle nous perd.
L’HÔTESSE.
Oui, monsieur est mon frère,
Frère de lait, s’entend ; tous deux la même mère,
Mère nourrice.
GLACIGNAC.
Eh donc ! la sœur d’un Damis faux !
Immobilés tous deux ! jé vous fixe en deux mots ;
Jé vous pétrifie.
DAMIS, d’un air de confiance.
Oui.
GLACIGNAC, à Valère.
Vous vif commé salpêtré,
Monsieur, vivacité dont on n’est pas lé maîtré ;
Jé vous ai vu tantôt très vif, vu dé mes yeux
Parler très vivement à la veuvé ; et tant mieux,
Tant mieux, que vous aimiez cette veuvé charmanté.
Je vous protégerai contre la présidenté.
Liguons-nous pour punir l’injustice qu’elle a.
Dépétrifiez-vous, jeune amant, touchez là.
VALÈRE.
Quel bonheur !
GLACIGNAC.
Commençons par vous rendre la sommé
Que j’ai prisé par jeu, pour révirer votre hommé.
J’emprunte en badinant, mais jé rends tout dé bon ;
Car en ce cas, mon cher, jé né suis point gascon.
DAMIS.
L’honnête homme !
GLACIGNAC.
Soyons amis à touté épreuvé.
VALÈRE.
De tout mon cœur.
GLACIGNAC.
Voici votre adorable veuvé.
Jé vous laissé tous trois suivré, votré projet :
Pour votré sûrété, moi, j’aurai l’œil au guet.
VALÈRE.
Que ce projet sera difficile à conduire !
Scène V
LE FAUX DAMIS, VALÈRE, L’HÔTESSE, LA VEUVE
L’HÔTESSE.
De ce qu’on lui cachait il est temps de l’instruire.
VALÈRE.
Elle ne sait donc pas que c’est un faux époux ?
L’HÔTESSE.
Non, elle s’en croit deux, deux, qu’en rêvant à vous,
Elle donne, je crois, de tout son cœur au diable.
VALÈRE.
Dissipons promptement le chagrin qui l’accable.
LA VEUVE, demi haut.
Ce mari qui m’avait trahie en cent façons,
Il faut donc le revoir ? il le faut bien, allons.
L’HÔTESSE, imitant la voix, de la Veuve.
Faut-il, quand un mari de l’autre me délivre,
Qu’il ne m’en puisse pas délivrer sans revivre ?
VALÈRE.
Suspendez vos chagrins.
LA VEUVE, sans voir Damis.
Valère, laissez-moi.
Elle aperçoit Damis.
Eh, ne voyez-vous pas mon mari ?
L’HÔTESSE.
Non, ma foi.
VALÈRE.
Reprenez vos esprits, rassurez-vous, madame.
L’HÔTESSE, à Valère.
Laissez-la dans l’erreur. J’aime à voir que sa femme
Nous prouve qu’il pourra tromper nos gens.
VALÈRE.
Oui ; mais
Elle souffre.
L’HÔTESSE.
On en a plus de plaisir après.
VALÈRE.
Ce n’est point là Damis, madame.
LA VEUVE.
Quoi ? qu’entends-je ?
L’HÔTESSE.
Ce n’est point le défunt, ni prenez plus le change.
LA VEUVE.
Ah ! quelle ressemblance !
DAMIS.
En cette occasion,
Je ne serai mari qu’avec discrétion.
LA VEUVE.
Le même son de voix !
L’HÔTESSE.
Quelque épouse rusée,
Quelque femme de bien à conscience aisée,
S’y tromperait exprès pour t’aimer par devoir.
VALÈRE.
Ne perdons point le temps.
LA VEUVE.
Faites-moi donc savoir
Votre dessein.
VALÈRE.
Il est très simple. On va se plaindre,
Blâmer le Président, le presser, le contraindre
À rendre votre dot, à biffer le contrat :
Par avance je viens d’intimider ce fat.
LA VEUVE.
Quoi donc ? il va le voir, lui parler ! ah je tremble !
DAMIS.
Oubliez-vous déjà qu’à Damis je ressemble ?
Apprenez que d’ailleurs j’ai su tous ses secrets.
Vous voyez son esprit en moi, comme ses traits.
Je fus pendant deux ans son ami de voyage.
Lorsqu’il s’embarqua même au temps qu’il fit naufrage,
Il me laissa gardien d’un nombre de papiers,
Contrats, titres, journaux, modestes sottisiers,
Libelles médisants, surtout contre ses proches,
Contrat de mariage ; enfin j’ai plein mes poches
De tout ce que j’ai cru me devoir au besoin
Servir à tout venant de preuve, et de témoin.
Je ferais son histoire à sa famille en face ;
Et l’histoire en défaut, le roman la remplace.
Si Damis, en un mot, revenait aujourd’hui,
Je lui soutiendrais, moi, morbleu, que je suis lui.
VALÈRE.
Jouez bien votre jeu, le Président s’avance.
Je cours le rejoindre.
Scène VI
LE FAUX DAMIS, L’HÔTESSE, LA VEUVE, LE PRÉSIDENT, VALÈRE
LA VEUVE.
Ah ! vous risquez trop, je pense.
L’HÔTESSE.
Feignons de ne point voir qu’il nous voit.
DAMIS, bas.
Tenez bon.
Il hausse la voix.
Ne tient-il, morbleu, qu’à demander pardon,
Quand d’infidélité vous êtes convaincue ?
Redoutez ma fureur.
LA VEUVE.
Fureur mal entendue ;
C’est sur le Président, qui disposait de moi
Qu’elle doit retomber.
L’HÔTESSE, bas, à la veuve.
Fort bien, fort bien ! ma foi
Riposter prestement, c’est un talent femelle.
DAMIS.
Quoi c’est le Président qui vous rend infidèle ?
VALÈRE, au Président.
N’avancez pas, laissons passer cette fureur.
DAMIS.
Ce Président rend donc public mon déshonneur ?
J’entends le vaudeville, et tout Marseille crie,
Tu sois le bienvenu, ta femme se marie.
Ventrebleu !
L’HÔTESSE.
Mais, monsieur, des gens nous avaient dit
Qu’ils vous avoient vu mort.
DAMIS.
Eh ! vous l’avais-je écrit ?
LE PRÉSIDENT.
Toujours mauvais plaisant, voilà son caractère.
DAMIS.
Me faire un tel affront, et par devant notaire !
LA VEUVE.
Je n’y puis plus tenir.
L’HÔTESSE.
Séparez-vous en paix
Du moins.
DAMIS.
Nous y vivrons ne nous voyant jamais.
LA VEUVE.
Près de ma tante allons chercher un sûr asile.
DAMIS.
Me voilà demi veuf.
Scène VII
LE FAUX DAMIS, LE PRÉSIDENT, VALÈRE
LE PRÉSIDENT.
Le voilà plus tranquille ;
Avançons.
VALÈRE.
Je vous laisse.
LE PRÉSIDENT.
Ah ! ne me quittez pas.
DAMIS, se radoucissant et ôtant son chapeau.
N’ayez pas peur, monsieur ; j’ai pour les magistrats
Déférence, respect...
En colère.
Mais rancune tenante,
Car ventrebleu !...
LE PRÉSIDENT.
Monsieur, en affaire importante,
Quoique de conseils, moi, je n’aie pas besoin,
En décidant j’admets un ami pour témoin.
DAMIS.
Pour juge même, soit ; j’aime un juge d’épée,
Il expédie en bref : au fait, dot usurpée...
Il tire un contrat.
Contrat de mariage en main... mari très prompt
Lisez... comptons... rendez... reste à venger l’affront.
VALÈRE.
Il n’est point question d’affront, ni de vengeance.
Monsieur le Président veut ici ma présence,
Pour n’avoir avec vous nulle discussion :
Un mot finira tout sans bruit, sans passion.
Monsieur déjà fâché, qu’à tort chacun le blâme
De vouloir disposer des biens de votre femme,
Veut les rendre.
LE PRÉSIDENT.
Oui, monsieur, non qu’on ait peur de vous ;
Mais je veux dissiper les faux bruits.
DAMIS, d’un ton doux.
Mon courroux
Sur ce premier article avec raison s’apaise ;
En colère.
Passe pour revenir, et c’est par parenthèse
Que j’accepte votre offre, et que je suis content.
J’interromps mon courroux, monsieur le Président,
Par raison, par égards pour votre caractère.
Mais, morbleu, je reprends le fil de ma colère,
En pensant qu’il existe un diffamant contrat ;
Chacun l’a vu signer, ma honte a fait éclat.
Au gré de l’offensé, l’offense se répare ;
Chacun a là-dessus son faible ; moi bizarre,
Délicat sur l’affront, pour le laver, je veux
Lacérer en public ce contrat scandaleux.
LE PRÉSIDENT.
Caprice en effet ; car de lui-même il s’annule,
Vous vivant.
VALÈRE.
Il est vrai, caprice ridicule.
Au Président.
Vous lui devez pourtant ce bizarre plaisir ;
Vous aviez un peu tort.
LE PRÉSIDENT.
Contentons son désir ;
C’est minutie au fond qui m’est indifférente.
À l’égard de la dot, je la livre à la tante,
Et non pas à vous ; car par mon autorité,
Pour mettre les débris des biens en sûreté,
Je vous fis séparer.
DAMIS.
Séparer ! autre injure
Qu’on me fit, moi parti, mais par chicane pure.
Est-ce que l’on sépare un mari par défaut ?
À certains magistrats... oui, c’est là ce qu’il faut ;
Ils savent, profitant de ce qui nous afflige,
Mettre, ainsi que nos biens, nos femmes en litige.
VALÈRE, au Président.
C’est un reste de fiel, excusez.
DAMIS.
Notre dot,
Du moins, si je mourrais, n’ira plus à ce sot,
Frère de votre femme : avec horreur je pense
Qu’il puisse avoir par vous ma femme en survivance.
VALÈRE.
Vous voilà donc d’accord ?
LE PRÉSIDENT.
Je vais prendre là-haut
Le contrat, les billets, enfin ce qu’il vous faut.
Messieurs, entrez toujours dans la salle prochaine :
Je vous joins à l’instant.
DAMIS.
Je renonce sans peine
À la dot, car sur mer je gagne assez d’argent.
Le désir de vengeance est un désir urgent,
Contentons-le. J’irai joindre après ma chaloupe ;
Heureux qui fuit sa femme avec le vent en poupe.
Scène VIII
LE PRÉSIDENT, seul
J’ai bien mené ceci, prudence, fermeté,
Prévoyant tout, en tout de la formalité,
Suivant exactement les lois les plus sévères.
J’admire mon talent pour les grandes affaires,
Prononçant, décidant, je suis content de moi.
Scène IX
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE
LA PRÉSIDENTE, à part.
Il faut approfondir un peu ce que je vois.
Au Président.
Je vous cherche partout.
LE PRÉSIDENT.
Je vous cherche de même.
LA PRÉSIDENTE.
Je n’ai point respiré depuis le trouble extrême,
Que m’a causé tantôt ce grand événement.
Enfin j’ai réfléchi de sang-froid, mûrement ;
Mais qu’a produit la peur que vous a fait Valère ?
LE PRÉSIDENT.
J’ai sans m’intimider, en traitant cette affaire,
Gardé le décorum, et parlé hautement.
Je vais livrer la dot à la tante.
LA PRÉSIDENTE.
Comment ?
LE PRÉSIDENT.
Je crois avoir bien fait, parlez.
LA PRÉSIDENTE.
Que puis-je dire ?
Dès que vous décidez, c’est à moi de souscrire.
LE PRÉSIDENT.
D’accord ; mais vous devez m’approuver amplement.
LA PRÉSIDENTE.
Je me tais.
LE PRÉSIDENT.
Je veux, moi, je veux absolument
Que vous parliez.
LA PRÉSIDENTE.
Parlons, mais par obéissance.
Ne livrez rien encor.
LE PRÉSIDENT.
C’est ce que par prudence,
J’avais déjà tout seul d’abord imaginé.
LA PRÉSIDENTE.
Suspendez...
LE PRÉSIDENT.
Oui, j’étais déjà déterminé.
À suspendre pour...
LA PRÉSIDENTE.
Pour approfondir un doute.
LE PRÉSIDENT.
Ce doute m’est venu : parlez, je vous écoute.
LA PRÉSIDENTE.
Quelqu’un m’a dit tout bas qu’il croit ce Damis faux.
LE PRÉSIDENT.
J’en ai quelque soupçon, il m’a dit certains mots...
LA PRÉSIDENTE.
Il faut dissimuler, l’affaire est délicate.
LE PRÉSIDENT.
C’est ce que je vous dis ; avant que l’on éclate,
Je suis d’avis de... de...
LA PRÉSIDENTE.
Pour approfondir mieux
Des faits, qui là-dessus m’ont fait ouvrir les yeux ;
Laissez-moi seule agir sur ce que je soupçonne.
LE PRÉSIDENT.
Oui, ma femme, agissez seule, je vous l’ordonne.
Scène X
LA PRÉSIDENTE, seule
Je joue ici gros jeu ; car si c’est ce Damis,
Qui devint le plus grand de tous mes ennemis,
Après avoir été sa trop crédule amante,
S’il savait que c’est moi qui suis la Présidente,
Il me perdrait d’honneur, pour se venger de moi...
Le parti que je prends est le plus sûr, je crois.
Sous un nom étranger à Damis annoncée,
Je pourrai m’éclaircir, le voir coiffe baissée ;
Si c’est lui, livrons tout, il n’y faut plus songer,
Et si ce n’est pas lui, j’éclate sans danger.
ACTE III
Scène première
LE FAUX DAMIS, seul
On ne vient point finir, ce contretemps m’étonne.
Me soupçonnerait-on ? Pour peu qu’on me soupçonne,
Ma foi, pour esquiver, regagnons notre esquif ;
Ravoir la dot pourtant, c’est le point décisif ;
S’ils me vont disputer mon nom, ferai-je face ?
Voyons ; car j’ai tantôt gagné la populace ;
Mais au moindre revers je ne m’y fierais plus.
La faveur populaire est un flux et reflux,
Tantôt blâme excessif, tantôt louange outrée.
À Damis avec joie ils ont fait une entrée ;
Avec joie ils verraient leur Damis au carcan.
Scène II
LA PRÉSIDENTE, LE FAUX DAMIS
LA PRÉSIDENTE, seule.
Il me paraît Damis, mais assurons-nous-en ;
Pour l’observer de près, et n’être point connue,
Parlons-lui coiffe basse.
DAMIS.
Oui, cette dot reçue,
Apercevant la Présidente.
Je disparaîtrais... mais on m’examine fort.
Que me veut cette femme ? Évitons son abord.
Mais je ne puis rentrer, elle barre la porte.
LA PRÉSIDENTE, à part.
Ce n’est pas lui.
DAMIS, à part.
Morbleu, faisons du moins en sorte
D’éluder l’embarras du questionnement.
LA PRÉSIDENTE.
Monsieur, j’aurais besoin d’un éclaircissement,
Je voudrais bien savoir...
DAMIS.
Avant de vous entendre,
Madame, je voudrais d’abord par vous apprendre...
LA PRÉSIDENTE.
Répondez-moi d’abord.
DAMIS.
Je vous réponds après.
LA PRÉSIDENTE.
Répondez-moi, monsieur, d’abord sur quelques faits.
DAMIS.
Dites-moi si...
LA PRÉSIDENTE.
Parler tous deux, c’est se confondre ;
Tous deux questionner, au lieu de se répondre.
Je veux sur une affaire un éclaircissement ;
Écoutez-moi, je vais m’énoncer clairement.
DAMIS.
Souffrez que le premier clairement je m’énonce.
LA PRÉSIDENTE.
Par politesse au moins, d’abord une réponse.
DAMIS.
Sachons...
LA PRÉSIDENTE.
C’est éluder un peu grossièrement.
DAMIS.
Je n’élude point ; c’est que naturellement
En conversation je prends mon avantage.
Chacun a pour briller ses talents en partage.
Tel en répondant juste à chaque question,
Fait voir modestement son érudition :
À bien questionner moi je mets ma science.
LA PRÉSIDENTE.
N’oser répondre, c’est marquer sa défiance,
Ou c’est me mépriser ; car au premier venu
Vous contez, racontez ce que vous avez vu
En voyageant.
DAMIS.
D’accord ; mais las de verbiages,
Je vais faire imprimer ma vie et mes voyages,
Qui se vendront chez Jean Gilles Josse, à Lyon ;
Vous pourrez acheter toute l’édition.
LA PRÉSIDENTE.
En plaisantant ainsi vous croyez m’éconduire ;
Mais si sur deux points seuls vous ne daignez m’instruire,
Je ne vous quitte point, je vous suivrai partout.
Je suis femme obstinée, et je vous pousse à bout.
DAMIS.
S’il s’agit de deux mots, je suis civil, honnête,
Et pour les dames j’ai toujours réponse prête.
LA PRÉSIDENTE.
Répondez donc.
DAMIS.
Parlez, je réponds, si je puis.
LA PRÉSIDENTE.
Je voudrais bien savoir de vous...
DAMIS.
Quoi ?
LA PRÉSIDENTE, ôtant sa coiffe.
Qui je suis ?
DAMIS.
Qui vous êtes ? parbleu vous devez vous connaître.
LA PRÉSIDENTE.
Voyez, examinez, rêvez qui je puis être.
Mon autre question, c’est de vous demander,
Qui vous êtes ?
DAMIS.
Fort bien. C’est fort bien préluder !
Jamais femme n’a fait questions plus sensées,
Plus précises surtout, ni moins embarrassées...
LA PRÉSIDENTE.
J’y pourrais mettre encor plus de précision.
Un seul mot de deux points fait la décision ;
Dites-moi qui je suis, je saurai qui vous êtes.
DAMIS.
Toutes vos questions sont sentences complètes :
Vous m’inspirez, madame, une estime pour vous,
Un désir de lier connaissance entre nous.
LA PRÉSIDENTE.
C’est dire, que jamais elle ne fut liée.
DAMIS.
C’est dire que l’on peut vous avoir oubliée :
Je vous remets pourtant, cette bouche, ces yeux...
Un certain assemblage, et noble et gracieux...
Mais dans trois ou quatre ans j’ai vu dans mes voyages,
En femmes seulement, vingt milliers de visages ;
Ils sont tous gravés là ; mais quoi ? vous savez bien
Que le plan d’un cerveau n’est pas plus grand que rien.
Tous ces portraits y sont peints les uns sur les autres,
Tant de traits différents, mêles avec les vôtres,
Font un brouillamini que je débrouillerai ;
Et tantôt à coup sûr je vous reconnaîtrai.
Mais j’ai pour le présent une affaire pressée.
LA PRÉSIDENTE, à part.
N’éclatons pas d’abord ; mais en femme sensée,
En démasquant le fourbe, assurons-nous de lui,
Pour pouvoir achever notre noce aujourd’hui.
Scène III
LE FAUX DAMIS, GLACIGNAC, L’HÔTESSE
DAMIS.
La voilà partie. Ah ! ceci me déconcerte.
Monsieur de Glacignac, la trame est découverte.
L’HÔTESSE.
Je ne le sais que trop ; je suis au désespoir.
La prude soupçonnait, elle a voulu te voir.
DAMIS.
Quoi, c’est la Présidente ?
GLACIGNAC.
Elle-même.
DAMIS.
Qu’entends-je ?
GLACIGNAC.
Paix, né mé troublés pas ; là-dessus jé m’arrange.
DAMIS.
Sur quoi ?
GLACIGNAC.
Tu m’as montré ces papiers dé Damis,
Ces journaux, qu’en mourant lé défunt t’a rémis.
DAMIS.
Eh bien ?
L’HÔTESSE.
Sur ces papiers, quelle est votre espérance ?
DAMIS.
Parlez donc.
L’HÔTESSE.
Hâtons-nous.
GLACIGNAC.
Jé pensé et jé répensé...
DAMIS.
Mais je suis découvert ; pensez donc promptement.
GLACIGNAC.
Les expédients sûrs mé viennent lentément ;
Mais nous aurons main forté, en tout cas.
DAMIS.
Ah ! je tremble.
GLACIGNAC.
À mon égard je suis tranquillé, cé mé semblé ;
Au sujet dé Damis, si l’on m’inquiétait,
Jé dirais bonnément j’ai cru qué cé l’était ;
Vous né pourriez pas vous, diré, jé croyais l’être.
DAMIS.
Vraiment, non. C’est pourquoi, moi, je veux disparaître.
GLACIGNAC.
Révoyons ces papiers, ces léttrés du défunt.
DAMIS.
Tenez ; mais je n’ai vu parmi ces noms d’emprunt
Aucun de ceux, qu’a pris jadis la Présidente.
L’HÔTESSE.
Damis fut son amant pourtant, chose constante.
GLACIGNAC.
Lisons tranquillement.
DAMIS.
Lisez, mais hâtez-vous.
GLACIGNAC.
Voici bien des billets, jé veux les liré tous
À mon aisé.
DAMIS.
Morbleu ! mais nul nom de la prude.
L’HÔTESSE.
Il faut voir. Ce doit être à tous trois notre étude
Selon ceux qu’elle aimait, en changeant de pays,
Elle changeait d’état, de nom, comme d’habits ;
En intrigues d’amour, ce fut un vrai Protée.
DAMIS.
Moi, j’ai vu du défunt chaque intrigue cotée
Sur son journal galant.
L’HÔTESSE.
Moi, je sais quelques faits.
Voyons s’ils cadreraient au journal, aux billets.
N’y trouverions-nous point une modeste Hortense,
Qui gagnait tous les cœurs par sa fine innocence,
Quand les filles encor plaisaient par la pudeur ?
DAMIS.
Damis était du goût d’à présent, par malheur ;
Sur son journal galant je n’ai point vu d’Hortense.
L’HÔTESSE.
De ce Protée en fille, autre histoire : En Provence,
Sur mer, on lui donnait une fête, un cadeau,
Opéra, dieux marins, mascarade sur l’eau ;
Elle y faisait Thétis ; il survint un orage ;
Tout enfonce, un Triton la prend sur son dos, nage,
Et veut, toujours nageant, promesse d’épouser ;
Elle était fière ; mais comment le refuser ?
Il peut par désespoir se noyer avec elle :
J’épouse, sauvez-moi, dit enfin la cruelle.
Mariage dans l’eau, qui ne tint pas, dit-on.
DAMIS.
Je rêve... Non, Damis ne fut point ce Triton ;
Du moins dans son journal je n’en ai point de note.
L’HÔTESSE.
Attendez, attendez : la prude eut la marotte
Jadis de ces romans, dans le goût pastoral...
DAMIS.
Ah ! sur ce ton, j’ai vu des traits dans mon journal.
L’HÔTESSE.
En Provence autrefois, mascarades champêtres,
Nos amants en bergers chantaient au pied des hêtres,
Et Tirsis et Silvie, et Damon et Philis...
GLACIGNAC.
Jé vois dans cé billet du Damon.
L’HÔTESSE.
Où ?
GLACIGNAC.
Tiens, lis.
L’écrituré sans doute est dé la Présidenté,
Je la connais.
DAMIS.
Lisons ; est-elle convaincante ?
L’HÔTESSE.
Non, voyons l’autre : Oui, c’est son écriture aussi ;
Car elle a devant moi fait une liste ici
Des priés pour la noce.
DAMIS.
Ah ! parbleu je respire.
L’HÔTESSE.
Cette lettre vaut bien la peine de la lire.
DAMIS.
Je n’aurais jamais pu deviner sans vous deux...
L’HÔTESSE.
Dans celle-ci Damon est encore amoureux ;
Voyons l’autre. Ah ! ma foi Damon cesse de l’être,
Parce qu’on l’a rendu trop tôt heureux peut-être.
Justement ! on s’en plaint en champêtre jargon.
Elle lit.
La fidèle Silvie au volage Damon.
Hon ! hon !
Traître, parjure, tu dis que les bergers délicatement amoureux s’offensent du mot de contrat ; mais ce contrat, ne me le promis-tu pas, lorsque ta délicatesse exigea de la mienne que le don libre de nos cœurs précédât la signature ? Que la signature le suive donc, ingrat ; que Damon et Silvie, après avoir suivi la loi des bergers, subissent enfin la loi du contrat ?
DAMIS.
Je tirerai parti de ce billet lyrique.
L’HÔTESSE.
Il faut voir en secret cette Silvie antique :
Qui de nous la verra ?
GLACIGNAC.
Cé né peut être moi ;
Ellé croirait...
L’HÔTESSE.
Voyez là-bas, je l’aperçois.
DAMIS.
Est-elle seule ?
L’HÔTESSE.
Oui.
DAMIS.
Bon. Je risque l’abordage.
Faites le guet, pendant que je la contregage.
L’HÔTESSE.
Oui ; car en cas d’alarme on le ferait sauver.
GLACIGNAC.
Comptez sur nous.
Scène IV
LE FAUX DAMIS, LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE
Ces deux derniers dans le fond du Théâtre.
DAMIS.
Allons ; mais qui la vient trouver ?
Ah ! c’est le Président : morbleu, si je retarde,
Il ne sera plus temps peut-être... on me regarde...
On vient à moi... risquons. Oui, le mari présent
Rendra le coup plus vif, plus fort et plus pressant.
LE PRÉSIDENT.
Mais en public du moins je veux qu’il se rétracte.
LA PRÉSIDENTE.
Vous pourriez le punir ; votre justice exacte
Cède à votre bonté pour éviter l’éclat ;
Mais soyez sûr, monsieur, que c’est un scélérat :
Non, ce n’est point Damis, ce n’est qu’un fourbe insigne.
LE PRÉSIDENT.
Qu’apprends-je ici, monsieur ? jouer un rôle indigne !
DAMIS.
Je respecte l’arrêt que madame a donné,
Je me tiens criminel, si je suis condamné
Par la plus pénétrante et la plus équitable,
Par la plus vertueuse et la plus respectable...
En un mot, je souscris à sa décision ;
Mais la prenant pour juge avec soumission,
Je puis, sans l’offenser, récuser sa mémoire.
Vous souvient-il d’un fait, (il est à votre gloire)
Sur lequel j’ai reçu plusieurs lettres de vous ?
LA PRÉSIDENTE.
De moi, monsieur ?
LE PRÉSIDENT.
Non, non ; vous vous moquez de nous ;
Jamais autre que moi n’eût lettres de ma femme.
DAMIS.
Celles que j’ai, monsieur, font honneur à madame.
LA PRÉSIDENTE.
Vous avez dites-vous ?...
DAMIS.
Belles moralités,
Lettres de votre main, par où vous m’exhortez
À réformer mes mœurs sur quelque bon modèle.
Au Président.
Madame... à ses devoirs ne borne point son zèle ;
Elle se charge encor de la vertu d’autrui.
LE PRÉSIDENT.
Monsieur vous connaît bien, j’en conviens avec lui.
DAMIS, à part.
Bien mieux qu’elle ne croit.
LA PRÉSIDENTE, à part.
Ouais, que voudrait-il dire ?
DAMIS.
Je ris de souvenir, vous-même en allez rire,
Quand je vous aurai dit à quelle occasion
Madame m’écrivit une exhortation.
En amour j’étais vif, folâtre en mon jeune âge ;
Mais à présent... ma foi, je ne suis pas plus sage.
J’étais donc scélérat assez passablement ;
Ah ! Madame, j’étais un scélérat charmant.
Vers elle.
Je devins le Damon... de certaine... Silvie...
Nous goûtions les douceurs d’une champêtre vie
Rien que de pastoral dans notre passion ;
Toujours traitant l’églogue eu conversation.
C’étaient ardents soupirs dans un sombre bocage,
De gazouillants ruisseaux, rossignols, doux ramage,
Musettes, verts gazons, houlettes, chalumeaux,
Bergères et bergers dormant sous les ormeaux,
Oubliant leurs moutons épars dans la prairie ;
Tendres galimatias, jargon de bergerie,
Délicats sentiments, tirant sur la fadeur :
En vrai Damon ainsi j’exprimais mon ardeur,
Lorsque sur cette intrigue innocente et rustique,
Une mère grossière, injuste et politique,
Ignorant des bergers la naturelle loi,
Voulut mettre un notaire entre Silvie et moi.
Mais, comme un franc berger, moi j’envoyai tout paître.
LE PRÉSIDENT, à la Présidente.
Ce récit paraît franc ; nous nous trompons peut-être.
DAMIS.
De Silvie en ce temps prenant les intérêts,
Madame m’exhorta par cinq ou six billets...
Il donne une lettre à la Présidente.
Si malgré celui-ci votre oubli continue,
Par d’autres à l’instant vous serez convaincue.
J’en puis encor montrer d’autres plus éloquents,
Bien plus forts en morale, en un mot convaincants.
LE PRÉSIDENT.
En morale toujours ma femme sut écrire.
Elle a fait des recueils qu’on est charmé de lire.
Montrez-moi ce billet.
LA PRÉSIDENTE.
Je m’en garderai bien.
LE PRÉSIDENT.
Pourquoi donc ?
LA PRÉSIDENTE.
Le secret d’autrui n’est pas le mien,
Cette jeune Silvie est ici dévoilée.
LE PRÉSIDENT.
Voilà toujours ma femme, avec excès zélée.
Montrez-moi ce billet.
LA PRÉSIDENTE.
Le voilà déchiré.
DAMIS.
Quel dommage, monsieur, vous l’auriez admiré !
LE PRÉSIDENT.
J’eusse été curieux de le voir.
DAMIS.
J’en ai d’autres,
Madame, et j’ai gardé les miens avec les vôtres.
J’ai les brouillons de ceux que je vous écrivais ;
Tâchant de mériter ceux que je recevais.
Je relisais les miens, j’y faisais cent ratures,
Pour les faire imprimer avec mes aventures.
LA PRÉSIDENTE, au Président.
Oui, plus je l’examine avec attention,
Plus je vois mon erreur, mon indiscrétion.
À Damis.
Que vos traits sont changés ! c’est une chose étrange,
Qu’un petit nombre d’ans, hélas si fort nous change !
DAMIS.
Mon aimable Silvie est bien changée aussi.
LA PRÉSIDENTE.
Par sagesse, monsieur conduisait tout ceci
Sans éclat, mieux que moi. J’avais été trop prompte ;
Pardon, vous méconnaître ! ah ! que j’en ai de honte !
DAMIS.
C’est moi qui suis honteux d’avoir vieilli si fort.
LE PRÉSIDENT.
C’est la première fois que vous avez eu tort,
Ma femme.
LA PRÉSIDENTE, au Président.
Obtenez donc de lui qu’il me pardonne.
DAMIS.
Oh ! suffit que madame ait la mémoire bonne.
LA PRÉSIDENTE.
Je remets à présent tous ses traits, je dis tous.
LE PRÉSIDENT.
Moi qui ne l’avais vu que très peu, croiriez-vous
Que je retrouve aussi toute sa ressemblance ?
LA PRÉSIDENTE.
Çà, monsieur, il faut donc pour, réparer l’offense,
Qu’a pu faire à Damis mon injuste soupçon,
Voir ce qu’il veut de nous, et lui faire raison.
Par vous tantôt l’affaire était bien décidée :
J’admire que toujours votre première idée
Est la meilleure ! car vous vouliez dès tantôt
Tout mettre entre les mains de la tante.
LE PRÉSIDENT.
Il le faut.
LA PRÉSIDENTE.
Allez prendre là-haut ce contrat qui le blesse.
LE PRÉSIDENT.
Oui.
LA PRÉSIDENTE.
Les lettres de change.
LE PRÉSIDENT.
Oui.
LA PRÉSIDENTE.
Mais pour votre nièce
Il faut qu’il ait aussi des égards, et je vais
L’exhorter...
LE PRÉSIDENT.
Exhortez-le à ne la voir jamais ;
C’est ce qu’il peut de mieux.
Scène V
LE FAUX DAMIS, LA PRÉSIDENTE
LA PRÉSIDENTE, à part.
Ce fourbe m’embarrasse.
DAMIS, à part.
Elle craint à présent de me revoir en face.
LA PRÉSIDENTE, à part.
D’où peuvent lui venir mes lettres ? il faut bien
Qu’il les ait de Damis...
DAMIS, à part.
Je ne risque plus rien.
LA PRÉSIDENTE, à part.
Ménageons l’imposteur, gagnons-le pour mon frère.
Ici une scène muette entre eux.
DAMIS, à la Présidente.
Quand on a de l’esprit on se tire d’affaire.
LA PRÉSIDENTE, à Damis.
L’on n’en a pas besoin quand on est innocent.
DAMIS.
Il en faut pour le monde, il est si médisant.
LA PRÉSIDENTE.
Je fermerai les yeux sur tout ce qui se passe ;
Mais vous m’accorderez une petite grâce :
Pour me la refuser vous êtes trop sensé.
DAMIS.
Je fermerai les yeux sur ce qui s’est passé,
Mais vous m’accorderez une grâce assez grande.
LA PRÉSIDENTE.
Accordez-moi d’abord ce que je vous demande.
Vous avez dites-vous, d’autres lettres de moi ?
DAMIS.
En voici quatre ou cinq, madame.
LA PRÉSIDENTE.
Je le vois
Sans vous faire prier, vous allez me les rendre.
DAMIS.
Oui, mais grâce pour grâce, et vous devez m’entendre.
LA PRÉSIDENTE.
Mais vous devez me craindre en cette occasion.
DAMIS.
Nous avons tous deux eu de la discrétion.
Comme berger discret j’ai caché le mystère...
LA PRÉSIDENTE.
Et moi j’ai découvert que vous servez Valère ;
J’entrevois vos projets, mais à force d’argent
Puis-je les changer ?
DAMIS.
Non ; je ne suis plus changeant.
Parlons net : il me faut la veuve pour Valère ;
Servez-le, votre honneur vous est plus cher qu’un frère ;
Votre sagesse enfin vous donne un ascendant
Sur le cœur, sur l’esprit de ce bon Président ;
Conservez-le.
LA PRÉSIDENTE.
Il revient.
DAMIS.
Soyez très complaisante ;
Je vous rends vos billets, pourvu qu’on me contente.
Scène VI
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE, DAMIS
LE PRÉSIDENT, à la Tante.
Je ne me mêle plus de rien ; c’est son époux
Qui laissera, s’il veut ; son épouse avec vous,
Ou dans un couvent.
DAMIS.
Moi, j’ai promis à madame
De ne point exiger le couvent pour ma femme.
LE PRÉSIDENT.
Finissons. De nos faits nous sommes convenus,
Monsieur ; en bons billets voici cent mille écus ;
Je les livre à ma sœur.
LA PRÉSIDENTE, bas à Damis.
Mes lettres ?
DAMIS, bas.
Patience,
Haut.
Le contrat ?
LE PRÉSIDENT.
Et voici le contrat.
DAMIS.
Ma vengeance
Va donc se contenter : déchirons.
LA PRÉSIDENTE, arrachant le contrat des mains de Damis.
Doucement :
Il allait déchirer ce contrat brusquement
Sans le voir. Il faut voir au moins ce qu’on déchire :
La confiance aveugle est blâmable.
LE PRÉSIDENT.
J’admire,
Que vous voulez qu’en tout on voie clair.
DAMIS.
Voyons.
LA PRÉSIDENTE, bas à Damis.
Mes lettres ?
DAMIS, bas.
Tout à l’heure.
LE PRÉSIDENT.
Afin que nous partions,
Voyez vite.
LA PRÉSIDENTE.
Attendez.
LE PRÉSIDENT.
Excès d’exactitude,
D’ordre !
DAMIS, bas.
En donnant, donnant.
LA TANTE, à part.
Que j’aime à voir la prude
Au supplice !
LE PRÉSIDENT.
Est-ce fait ?
DAMIS.
Oui ; quand on a bien vu
On est beaucoup plus sûr.
Scène VII
LE PRÉSIDENT, LA PRÉSIDENTE, LA TANTE, LA VEUVE, GLACIGNAC, DAMIS, L’HÔTESSE
GLACIGNAC.
Il est bien réconnu
Pour êtré vrai Damis, mon parent et lé vôtré :
Lé nouvel époux fuit, un mari chassé l’autré.
LA PRÉSIDENTE.
Partons.
À la Veuve.
Puisse Damis faire votre bonheur !
Scène VIII
DAMIS, LA TANTE, LA VEUVE, VALÈRE, L’HÔTESSE
L’HÔTESSE.
Bon les voilà partis.
VALÈRE.
Ah ! je n’ai plus de peur.
LA TANTE.
Je puis donc à présent, comme tante et maîtresse,
Par un nouveau contrat disposer de ma nièce.
LA VEUVE.
Me voilà donc à vous ?
VALÈRE.
Quel comble de bonheur !
DAMIS.
Oui, vous êtes heureux qu’une prude ait eu peur ;
Contre ses intérêts qu’une prude réduite,
Ait assez de pudeur pour masquer sa conduite ;
Chose rare à présent ! L’on en trouve si peu,
Qui prennent encor soin de bien cacher leur jeu
Tout bien considéré, franche coquetterie,
Est un vice moins grand, que fausse pruderie.
Les femmes ont banni ces hypocrites soins,
Le siècle y gagne au fond, c’est un vice de moins.